Language of document : ECLI:EU:F:2007:32

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE (deuxième chambre)

1er mars 2007 (*)

« Fonctionnaires – Remboursement de frais – Frais de mission – Refus de signer les ordres de mission demandés dans le cadre de l’activité syndicale – Intérêt à agir – Irrecevabilité »

Dans l’affaire F‑72/05,

ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA,

Mohammad Reza Fardoom et Michael Ashbrook, fonctionnaires de la Commission des Communautés européennes, demeurant respectivement à Roodt-sur-Syre (Luxembourg) et à Strassen (Luxembourg), représentés initialement par Mes G. Bounéou et F. Frabetti, avocats, puis exclusivement par Me F. Frabetti, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Berscheid et V. Joris, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de M. S. Van Raepenbusch, président, Mme I. Boruta (rapporteur) et M. H. Kanninen, juges,

greffier : M. S. Boni, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 septembre 2006,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête déposée au greffe du Tribunal de première instance des Communautés européennes le 25 juillet 2005, les requérants demandent l’annulation des décisions du 4 novembre 2004, par lesquelles le chef de l’unité « Dialogue social, relations avec les fonctions publiques nationales et questions horizontales relatives à l’élargissement » (ci-après l’« unité ‘Dialogue social’ ») de la direction générale (DG) « Personnel et administration » a refusé de signer les ordres de mission introduits en vue de participer, le 13 septembre 2004, à une réunion organisée par le membre de la Commission des Communautés européennes chargé de l’administration, de l’audit et de la lutte antifraude (ci-après les « décisions contestées »).

 Cadre juridique

2        L’article 60, premier alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut ») dispose :

« Sauf en cas de maladie ou d’accident, le fonctionnaire ne peut s’absenter sans y avoir été préalablement autorisé par son supérieur hiérarchique. Sans préjudice de l’application éventuelle des dispositions prévues en matière disciplinaire, toute absence irrégulière dûment constatée est imputée sur la durée du congé annuel de l’intéressé. En cas d’épuisement de ce congé, le fonctionnaire perd le bénéfice de sa rémunération pour la période correspondante. »

3        Aux termes de l’article 71 du statut :

« Dans les conditions fixées à l’annexe VII, le fonctionnaire a droit au remboursement des frais qu’il a exposés à l’occasion de son entrée en fonctions, de sa mutation ou de la cessation de ses fonctions, ainsi que des frais qu’il a exposés dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. »

4        L’article 11, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut énonce :

« Le fonctionnaire voyageant nanti d’un ordre de mission a droit au remboursement des frais de transport et aux indemnités journalières […] »

5        L’article 60, paragraphe 1, du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1), dispose :

« L’ordonnateur est chargé dans chaque institution d’exécuter les recettes et les dépenses conformément aux principes de bonne gestion financière et d’en assurer la légalité et la régularité. »

6        Par décision du 7 avril 2004, la Commission a arrêté, en application de l’article 71 du statut et des articles 11 à 13 bis de l’annexe VII dudit statut, le « [g]uide des missions pour les fonctionnaires et agents de la Commission européenne » (ci-après le « guide des missions »), entré en vigueur le 1er mai 2004.

7        Selon les observations liminaires du point 1 du guide des missions, intitulé « Ordre de mission (OM) » :

« L’ordre de mission est un document administratif destiné à autoriser le chargé de mission à se déplacer pour des raisons de service en dehors de son lieu d’affectation. Ce document contient toutes les données prévisionnelles quant à l’organisation de la mission. Il indique notamment l’objet, le programme de la mission, l’itinéraire, les moyens de transport utilisés, le tarif communiqué et le cas échéant, les conditions appliquées, les coûts prévisibles, les détours ou toute partie de voyage effectués à titre privé et le surcoût éventuel. Il doit fournir, en tout état de cause, à l’ordonnateur les éléments nécessaires afin que celui-ci puisse signer l’ordre de mission en toute connaissance de cause. »

8        Le point 1.1 du guide des missions, libellé « Introduction de l’OM », prévoit :

« L’OM dûment signé par le supérieur hiérarchique et l’ordonnateur de la mission est transmis au [s]ecteur [‘m]issions[’] du lieu d’affectation du chargé de mission avant le départ. »

9        Le point 1.2 du guide des missions, intitulé « Signature de l’OM », dispose :

« […]

La signature de l’OM par l’ordonnateur donne droit au remboursement des frais de mission dans la limite des dispositions réglementaires en vigueur. »

10      Au point 5.4, paragraphe 3, première phrase, du guide des missions, intitulé « Frais à charge des organisateurs, logement et repas offerts, missions sans frais », il est précisé :

« Lorsque l’OM porte la mention ‘sans frais’, aucun remboursement ne sera accordé au chargé de mission. »

11      Dans les conseils pratiques aux chargés de mission figurant sur le site intranet de la Commission, il est indiqué que l’ordre de mission doit être rempli dans l’application informatique intitulée « sic mission », dont la Commission dispose pour gérer les missions des personnels, ou bien sous format « papier » selon les procédures en vigueur dans la DG du chargé de mission. Il est également spécifié que ce dernier est tenu de s’assurer avant son départ que l’ordre de mission a effectivement été signé par l’ordonnateur de la mission, puis de transmettre ce document, au plus tard la veille du départ, au secteur « missions » de la DG d’affectation.

12      Les missions effectuées par les représentants syndicaux et les représentants du personnel présentent une double spécificité.

13      D’une part, la fonction de supérieur hiérarchique, au sens du guide des missions, est exercée par une personne habilitée, dont le nom figure sur une liste de représentants désignés par les organisations syndicales et professionnelles (ci-après les « OSP »). Quant à la fonction d’ordonnateur, elle est exercée, pour ce qui est des représentants syndicaux, par le chef de l’unité « Dialogue social », et, pour ce qui est des représentants du personnel, par le président du comité central du personnel ou, le cas échéant, par les présidents des sections locales dudit comité.

14      D’autre part, les représentants syndicaux et les représentants du personnel doivent remplir leurs ordres de mission dans une application informatique spécifique, intitulée « MissWeb » (ci-après l’« application MissWeb »).

15      Par une note adressée le 19 avril 2004 aux OSP signataires de l’accord sur les ressources, passé le 4 avril 2001 avec le vice-président de la Commission chargé de la réforme administrative, celle-ci reprenant la teneur d’une précédente note du 27 septembre 2002, le chef de l’unité « Dialogue social » a rappelé auxdites OSP que les ordres de mission présentés par les représentants syndicaux devaient, en application de la règle prescrite par le guide des missions, être signés par le supérieur hiérarchique et par l’ordonnateur avant le début de la mission.

16      Le chef de l’unité « Dialogue social » précisait en outre que, « [e]n tout état de cause, […] [il ne pourrait] signer aucun ordre de mission ne répondant pas à ces prescrits ».

17      Enfin, le chef de ladite unité demandait, en vue d’une organisation optimale permettant de respecter les dispositions du guide des missions, que l’introduction pour approbation des ordres de mission intervienne « au moins [quatre] jours avant le début de la mission » et que « les personnes assimilées au supérieur hiérarchique signent au moins [deux] jours avant le début de la mission, afin de laisser à l’ordonnateur subdélégué un délai raisonnable pour accorder la mission ».

18      Par une note du 23 juillet 2004, adressée aux responsables de plusieurs OSP, le chef de l’unité « Dialogue social » a confirmé la teneur de sa note du 19 avril 2004, en faisant valoir que cette dernière était désormais de « stricte application » et qu’il ne signerait plus aucun ordre de mission « ne répondant pas aux prescrits indiqués dans la[dite] note ».

 Faits à l’origine du litige

19      Fin août 2004, M. Kallas, membre de la Commission chargé plus spécialement de l’administration, a invité des représentants des OSP à une réunion de contact devant se tenir le 13 septembre suivant à Bruxelles.

20      Fonctionnaires de la Commission en poste à Luxembourg et membres de l’OSP « Action & Défense-Luxembourg » (ci-après « A&D-Luxembourg »), les requérants, qui projetaient d’assister à cette réunion en qualité de représentants syndicaux, ont chacun, le 9 septembre 2004, introduit dans l’application MissWeb un ordre de mission, en précisant qu’il s’agissait d’une mission « sans frais ».

21      Le 13 septembre 2004, les requérants se sont rendus à la réunion susmentionnée.

22      Le 20 octobre 2004, M. Soubies, secrétaire d’Alliance, structure regroupant plusieurs OSP, parmi lesquelles A&D-Luxembourg, a, en sa qualité de supérieur hiérarchique aux fins de la procédure de contrôle des ordres de missions, visé les ordres de mission précités dans l’application MissWeb.

23      Ces ordres de mission ont été soumis pour approbation au chef de l’unité « Dialogue social » qui, en cette qualité, était ordonnateur aux fins de cette procédure.

24      Par les décisions contestées, le chef de l’unité « Dialogue social » a refusé de viser les deux ordres de mission.

25      Par des notes du 2 février 2005, les requérants ont chacun introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, à l’encontre des décisions contestées.

26      Par deux décisions du 25 avril 2005, notifiées à chacun des requérants le 3 mai suivant, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») a rejeté les réclamations, en se fondant sur le fait que les ordres de mission avaient été soumis pour approbation au chef de l’unité « Dialogue social » plus d’un mois après la date de la mission, alors qu’ils auraient dû, en application des dispositions du guide des missions et conformément aux notes de service adressées aux responsables des OSP, être signés au plus tard la veille du départ prévu pour la mission.

 Procédure et conclusions des parties

27      Le présent recours a initialement été enregistré au greffe du Tribunal de première instance sous le numéro T‑291/05.

28      Par ordonnance du 15 décembre 2005, le Tribunal de première instance, en application de l’article 3, paragraphe 3, de la décision 2004/752/CE, Euratom du Conseil, du 2 novembre 2004, instituant le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (JO L 333, p. 7), a renvoyé la présente affaire devant le Tribunal. Le recours a été enregistré au greffe de ce dernier sous le numéro F‑72/05.

29      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions contestées ;

–        condamner la Commission aux dépens.

30      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les demandes en annulation ;

–        statuer sur les dépens comme de droit.

 Sur la recevabilité

 Arguments des parties

31      La Commission fait valoir, en particulier à l’audience, que les requérants ne justifieraient d’aucun intérêt personnel à l’annulation des décisions contestées. Elle souligne à cet égard que les intéressés ont pu se rendre et participer à la réunion du 13 septembre 2004 et qu’ils auraient ainsi été à même d’exercer en toute liberté leur action syndicale. La Commission ajoute que la mission pour laquelle les intéressés se sont rendus à Bruxelles était une mission « sans frais », de telle sorte que le refus, par l’ordonnateur, de viser les ordres de mission serait dépourvu d’incidence sur leur situation financière. Enfin, l’absence irrégulière des requérants lors de la journée du 13 septembre 2004 n’aurait donné lieu à aucune imputation sur leurs congés annuels.

32      En réponse, les requérants contestent les affirmations de la Commission relatives à leur prétendue absence d’intérêt à agir. Ils font valoir, en particulier, que ladite Commission pourrait toujours, à l’issue de la présente procédure, décider d’imputer leur absence du 13 septembre 2004 sur leurs congés annuels.

 Appréciation du Tribunal

33      Il est de jurisprudence constante que, pour qu’un fonctionnaire puisse introduire, en vertu des articles 90 et 91 du statut, un recours tendant à l’annulation d’une décision de l’AIPN, il faut qu’il ait un intérêt personnel à l’annulation de l’acte attaqué (arrêt du Tribunal de première instance du 16 décembre 1993, Moat/Commission, T‑58/92, Rec. p. II‑1443, points 31 et 32 ; ordonnances du Tribunal de première instance du 15 février 1995, Moat/Commission, T‑112/94, RecFP p. I‑A‑37 et II‑135, point 26, et du 28 juin 2005, Ross/Commission, T‑147/04, RecFP p. I-A-171 et II‑771, point 24 ; arrêt du Tribunal de première instance du 21 février 2006, V/Commission, T‑200/03 et T‑313/03, RecFP
p. I-A-2-15 et II-A-2-57, point 181). Ainsi, l’intérêt à agir d’un requérant doit être apprécié au regard de sa seule situation personnelle (arrêt de la Cour du 12 décembre 1967, Bauer/Commission, 15/67, Rec. p. 511, 519 ; arrêt du Tribunal de première instance du 18 février 1993, Mc Avoy/Parlement, T‑45/91, Rec. p. II‑83, point 25). Par ailleurs, un requérant ne saurait se prévaloir d’un intérêt simplement hypothétique (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2005, Rounis/Commission, T‑274/04, RecFP p. I-A-407 et II‑1849, point 30).

34      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner si les requérants établissent qu’ils pourraient utilement trouver avantage à une éventuelle annulation des décisions contestées.

35      À cet égard, il convient de rappeler que le point 5.4, paragraphe 3, première phrase, du guide des missions dispose que « [l]orsque l’OM porte la mention ‘sans frais’, aucun remboursement ne sera accordé au chargé de mission ». Or, en l’espèce, il est constant que les requérants ont porté, sur les ordres de mission qu’ils ont introduits dans l’application MissWeb, la mention « sans frais ». Ainsi, ils ne sauraient avoir droit, à raison du déplacement qu’ils ont effectué à Bruxelles le 13 septembre 2004, ni au remboursement de frais de transport ni au paiement d’indemnités journalières. Il s’ensuit que, même si les décisions contestées devaient être annulées, une telle annulation n’aurait aucune incidence sur la situation financière des requérants.

36      Par ailleurs, les requérants n’établissent pas non plus que d’autres aspects de leur situation pourraient trouver avantage à l’annulation des décisions contestées. S’ils soutiennent qu’une telle annulation ferait obstacle à ce que l’administration leur applique les dispositions de l’article 60, premier alinéa, du statut, aux termes desquelles « [s]ans préjudice de l’application éventuelle des dispositions prévues en matière disciplinaire, toute absence irrégulière dûment constatée est imputée sur la durée du congé annuel de l’intéressé », il est constant que l’absence des intéressés lors de la journée du 13 septembre 2004 n’a pas été imputée sur leurs congés annuels. De plus, à l’audience, le représentant de la Commission a fait savoir qu’il était largement hypothétique que celle-ci procède à l’avenir à une telle imputation. Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 33 du présent arrêt, un requérant ne saurait se prévaloir d’un intérêt simplement hypothétique.

37      Il résulte de ce qui précède que les requérants n’ont pas fait la preuve de leur intérêt né et actuel à obtenir l’annulation des décisions contestées. Il y a donc lieu de déclarer leur recours en annulation irrecevable.

 Sur les dépens

38      Ainsi que le Tribunal l’a jugé dans son arrêt du 26 avril 2006, Falcione/Commission (F‑16/05, RecFP p. I-A-1-3 et II-A-1-7, points 77 à 86), aussi longtemps que le règlement de procédure du Tribunal et, notamment, les dispositions particulières relatives aux dépens ne sont pas entrés en vigueur, il y a lieu, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et afin de garantir aux justiciables une prévisibilité suffisante quant aux règles relatives aux frais de l’instance, de faire seulement application du règlement de procédure du Tribunal de première instance.

39      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure de ce dernier Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l’article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Les requérants ayant succombé en leur recours, il y a lieu de décider que chaque partie supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Chaque partie supporte ses propres dépens.

Van Raepenbusch

Boruta

Kanninen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er mars 2007.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

      S. Van Raepenbusch


* Langue de procédure : le français.