Language of document : ECLI:EU:T:2022:402

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

29 juin 2022 (*)

« Accès aux documents – Décision 2004/258/CE – Décision de la BCE de placer Banca Carige sous administration temporaire – Refus d’accès – Exception relative à la protection de la confidentialité des informations protégées en tant que telles en vertu du droit de l’Union – Présomption générale de confidentialité – Notion d’informations confidentielles – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑501/19,

Francesca Corneli, demeurant à Velletri (Italie), représentée par Me F. Ferraro, avocat,

partie requérante,

contre

Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. F. von Lindeiner, A. Riso et Mme M. Van Hoecke, en qualité d’agents, assistés de Me D. Sarmiento Ramírez-Escudero, avocat,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise et P. Nihoul (rapporteur), juges,

greffier : Mme P. Nuñez Ruiz, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure, notamment

la décision du 22 décembre 2020 de suspendre la procédure jusqu’à la décision du Tribunal mettant fin à l’instance dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 octobre 2021, Aeris Invest/BCE (T‑827/17, sous pourvoi, EU:T:2021:660),

à la suite de l’audience du 20 janvier 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Mme Francesca Corneli, demande l’annulation de la décision LS/LDG/19/182 de la Banque centrale européenne (BCE), du 29 mai 2019, refusant l’accès à sa décision du 1er janvier 2019 plaçant Banca Carige SpA sous administration temporaire (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        La requérante est une actionnaire minoritaire de Banca Carige.

3        Banca Carige est un établissement de crédit établi en Italie, coté en bourse et soumis au contrôle de la BCE.

4        À la suite du rejet, le 22 décembre 2018, d’un projet d’augmentation de capital social à hauteur de 400 millions d’euros par une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de Banca Carige, plusieurs membres du conseil d’administration de cette banque ont démissionné.

5        Dans un communiqué de presse du 2 janvier 2019, la BCE a annoncé que, à la suite de la démission de la majorité des membres du conseil d’administration de Banca Carige, elle avait ordonné le placement de cette banque sous administration temporaire (ci-après la « décision litigieuse »). Ledit communiqué précise que cette décision constitue une mesure d’intervention précoce, par laquelle les organes d’administration et de surveillance de Banca Carige ont été dissous et trois administrateurs temporaires ainsi qu’un comité de surveillance composé de trois membres ont été nommés.

6        Il ressort d’un communiqué de presse de Banca Carige, publié aussi le 2 janvier 2019, que la décision litigieuse a été adoptée en application des dispositions du Decreto legislativo n. 385 - Testo unico delle leggi in materia bancaria e creditizia (décret législatif no 385 – Texte unique des lois en matière bancaire et de crédit), du 1er septembre 1993 (supplément ordinaire à la GURI no 230, du 30 septembre 1993) transposant l’article 29 de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190).

7        La décision litigieuse n’a pas été publiée et les motifs qui la sous-tendent n’étaient pas connus de la requérante.

8        Par courrier du 5 janvier 2019 adressé à la BCE, la banque centrale de la République italienne, à savoir la Banca d’Italia, Banca Carige et la Commissione nazionale per le società e la borsa (Commission nationale pour la société et la bourse, Italie), la requérante a présenté une demande d’accès à la décision litigieuse. Elle a renouvelé sa demande auprès de la BCE le 8 janvier 2019.

9        La demande du 8 janvier 2019 se fonde sur l’article 6 de la décision 2004/258/CE de la BCE, du 4 mars 2004, relative à l’accès du public aux documents de la BCE (BCE/2004/3) (JO 2004, L 80, p. 42), telle que modifiée par la décision 2011/342/UE de la BCE, du 9 mai 2011 (BCE/2011/6) (JO 2011, L 158, p. 37) et la décision (UE) 2015/529 de la BCE, du 21 janvier 2015 (BCE/2015/1) (JO 2015, L 84, p. 64). Cette demande couvre, outre la décision litigieuse, la « copie de tout autre acte éventuel de la BCE concernant Banca Carige, qui s’ajouterait et serait lié à [cette décision] ».

10      Le 9 janvier 2019, la BCE a accusé réception des demandes des 5 et 8 janvier 2019 (ci-après, prises ensemble, la « demande initiale »).

11      Les 10 janvier et 11 mars 2019, Banca Carige et la Banca d’Italia ont respectivement répondu à la requérante qu’elles avaient demandé l’autorisation à la BCE au sujet de sa demande d’accès. Toutefois, aucune d’elles n’a transmis la décision litigieuse à la requérante. La Commission nationale pour la société et la bourse n’a, quant à elle, pas répondu à cette demande.

12      Le 5 février 2019, la BCE a informé la requérante que le délai de réponse à la demande d’accès aux documents était prolongé de 20 jours ouvrés, conformément à l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2004/258, en raison d’une charge de travail exceptionnelle.

13      Le 6 février 2019, la requérante a répondu à la BCE en contestant la compatibilité de la prorogation du délai de traitement de sa demande initiale avec l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2004/258.

14      Le 12 février 2019, la BCE a répondu à la requérante, en indiquant que l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2004/258 était invoqué pour prolonger le délai de traitement de la demande d’accès aux documents présentée par la requérante en raison de la réception de nombreuses demandes concernant Banca Carige et de consultations avec la Banca d’Italia sur cette question.

15      Par courrier LS/PT/2019/27 du 5 mars 2019, le directeur général du secrétariat de la BCE a rejeté la demande initiale en identifiant la décision litigieuse comme étant le seul document pertinent pour cette demande (ci-après la « décision du 5 mars 2019 »).

16      Le 26 mars 2019, la requérante a présenté une demande confirmative au directoire de la BCE, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, de la décision 2004/258, dans laquelle elle sollicitait une révision de la décision du 5 mars 2019 et réitérait sa demande d’accès à la décision litigieuse, dans son intégralité ou, le cas échéant, sous une forme expurgée des données à caractère personnel qu’elle pourrait contenir (ci-après la « demande confirmative »).

17      Le 29 mars 2019, la BCE a adopté une décision prorogeant le placement de Banca Carige sous administration temporaire jusqu’au 30 septembre 2019 (ci-après la « première décision de prorogation »).

18      Le 23 avril 2019, la BCE a informé la requérante que, conformément à l’article 8, paragraphe 2, de la décision 2004/258, elle avait décidé de prolonger de 20 jours ouvrés le délai de réponse à la demande confirmative en raison d’une charge de travail exceptionnelle.

19      Le 22 mai 2019, la BCE a annoncé à la requérante que la nouvelle échéance pour répondre à sa demande confirmative, fixée au 23 mai 2019, ne serait pas respectée.

 Décision attaquée

20      Le 29 mai 2019, la BCE a, par la décision attaquée, rejeté la demande confirmative en reprenant, en substance, les motifs invoqués dans la décision du 5 mars 2019.

21      La BCE a refusé l’accès à la décision litigieuse en se fondant sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258, qui prévoit qu’« [elle] refuse l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection […] de la confidentialité des informations qui sont protégées en tant que tel[les] en vertu du droit de l’Union [européenne] ».

22      Le refus d’accès est motivé de la manière suivante.

23      Dans la première section de la décision attaquée, intitulée « Remarques sur l’application du principe de transparence et la présomption générale de non-accessibilité aux dossiers de surveillance de Banca Carige », la BCE a considéré qu’elle pouvait se fonder sur une présomption générale de confidentialité couvrant l’ensemble des dossiers relevant de sa mission de surveillance prudentielle.

24      La BCE a déduit l’existence de cette présomption générale de confidentialité du fait que le législateur de l’Union avait édicté des règles qui, d’une part, imposent le secret professionnel à toutes les personnes travaillant ou ayant travaillé pour les autorités de surveillance prudentielle et qui, d’autre part, exigent que les informations confidentielles que ces personnes reçoivent dans l’exercice de leurs fonctions ne puissent être divulguées que sous une forme résumée ou agrégée, de façon à ce que les établissements de crédit ne puissent être identifiés.

25      Dans ce cadre, la BCE s’est appuyée sur les dispositions suivantes :

–        l’article 27 du règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la BCE des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63) ;

–        les articles 53 et suivants de la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338) ;

–        l’article 84 de la directive 2014/59.

26      La BCE a indiqué que, en matière de surveillance prudentielle, l’obligation de protéger les informations confidentielles ne devait pas être conçue comme une exception au principe général de transparence, mais plutôt comme une règle générale en elle-même. Selon elle, les dispositions visées au point 25 ci-dessus et la présomption générale de confidentialité qui en découle garantissent une conduite efficace des activités de surveillance prudentielle, dans la mesure où tant les établissements surveillés que les autorités compétentes peuvent s’appuyer sur le fait que, en principe, les informations confidentielles fournies ne seront pas divulguées.

27      La BCE a conclu que la présomption générale de confidentialité conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 s’appliquait à la décision litigieuse, sans avoir à procéder à un examen individuel de cette décision.

28      Dans la deuxième section de la décision attaquée, intitulée « Examen de l’exception spécifique de la décision [2004/258] invoquée dans la lettre du directeur général du secrétariat », la BCE s’est penchée sur l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258, soulignant que le document dont l’accès était demandé était couvert par les obligations de secret professionnel prévues par les dispositions mentionnées au point 25 ci-dessus, lesquelles ne permettent la divulgation d’informations confidentielles que dans certains cas expressément prévus par les directives 2013/36 et 2014/59, mais qu’aucune de ces exceptions n’était applicable en l’espèce.

29      Se fondant, notamment, sur l’arrêt du 19 juin 2018, Baumeister (C‑15/16, ci-après l’« arrêt Baumeister », EU:C:2018:464, point 35), la BCE a indiqué que ces obligations l’empêchaient de dévoiler des informations confidentielles, lesquelles visent les informations détenues par les autorités compétentes qui, d’une part, n’ont pas un caractère public et dont, d’autre part, la divulgation risquerait de porter atteinte aux intérêts de la personne physique ou morale qui les a fournies ou de tiers, ou encore au bon fonctionnement du système de surveillance prudentielle.

30      Or, la BCE a relevé que la décision litigieuse n’avait pas de caractère public et que sa divulgation serait de nature à porter atteinte à l’intérêt public au bon fonctionnement du système de surveillance prudentielle. Elle a aussi estimé que la fuite non autorisée d’informations confidentielles ne pouvait justifier la divulgation, par ses soins, de ces informations confidentielles.

31      Les deux dernières sections de la décision attaquée sont respectivement consacrées au rappel des voies de recours ouvertes contre la décision attaquée et au rejet d’un droit d’accès privilégié de la requérante à la décision litigieuse.

 Faits postérieurs à l’introduction du recours

32      Le 18 juillet 2019, la requérante a introduit un recours en annulation contre la décision litigieuse, enregistré sous le numéro T‑502/19.

33      Le 20 septembre 2019, l’assemblée générale extraordinaire de Banca Carige a approuvé le projet d’augmentation de capital de la banque.

34      La BCE a ensuite prorogé le placement de Banca Carige sous administration temporaire à deux reprises, le 30 septembre 2019 et le 20 décembre 2019.

 Conclusions des parties

35      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        ordonner à la BCE d’accueillir sa demande, de produire la décision litigieuse, la première décision de prorogation, ainsi que les documents qui y sont afférents, et de lui permettre d’obtenir une copie, intégrale ou partielle, desdits documents ;

–        condamner la BCE aux dépens.

36      La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur le maintien de l’intérêt à agir de la requérante

37      Par courrier du 24 septembre 2020, la requérante a informé le Tribunal qu’elle s’était vu communiquer, le 21 septembre 2020, dans le cadre d’une procédure devant le Tribunale di Genova (tribunal de Gênes, Italie) introduite contre Banca Carige, dans laquelle elle était partie intervenante, la décision litigieuse et la décision de la BCE du 30 septembre 2019 prorogeant pour la deuxième fois le placement de Banca Carige sous administration temporaire.

38      Dans ce courrier, la requérante a toutefois estimé que l’accès à ces documents dans le cadre de cette procédure nationale ne faisait pas disparaître son intérêt à ce que le Tribunal constate l’illégalité du comportement de la BCE dans le cadre du présent recours.

39      À la suite du versement au dossier du courrier de la requérante du 24 septembre 2020, le Tribunal a invité les parties à indiquer si, selon elles, la requérante conservait un intérêt à la solution du litige et, partant, si le recours conservait un objet. Le 30 octobre 2020, les parties ont répondu, dans le délai imparti, par l’affirmative à la question du Tribunal.

40      Le 15 décembre 2021, dans l’affaire T‑502/19, le Tribunal a accordé à la requérante, pour les seuls besoins de ce litige, l’accès à la version confidentielle de la décision litigieuse et des trois décisions de prorogation mentionnées aux points 17 et 34 ci-dessus.

41      Le 16 décembre 2021, à la suite de la mesure mentionnée au point 40 ci-dessus adoptée dans l’affaire T‑502/19, le Tribunal a invité la requérante à indiquer de nouveau si elle souhaitait maintenir le présent recours. Le 30 décembre 2021, la requérante a répondu, dans le délai imparti, qu’elle maintenait ledit recours en confirmant, une nouvelle fois, son intérêt à la solution du litige et que ce recours conservait son objet.

42      À cet égard, conformément à une jurisprudence constante, l’objet du litige, tout comme l’intérêt à agir du requérant, doit perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (arrêt du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, EU:C:2007:322, point 42).

43      Selon la jurisprudence, le litige conserve son objet tant que la décision attaquée par laquelle l’institution concernée a refusé l’accès au document demandé n’a pas été formellement retirée par cette institution (voir, en ce sens, arrêts du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 45, et du 6 octobre 2021, Aeris Invest/BCE, T‑827/17, ci-après l’« arrêt Aeris Invest », sous pourvoi, EU:T:2021:660, point 74 et jurisprudence citée).

44      Il convient de relever que la requérante a obtenu une copie de la décision litigieuse dans le cadre d’une procédure juridictionnelle nationale et que, dans l’affaire T‑502/19, une telle copie lui a été communiquée par le Tribunal après que ce dernier ait ordonné à la BCE, par mesure d’instruction, de fournir une version complète de ladite décision (voir points 37 et 40 ci-dessus).

45      Toutefois, de telles circonstances ne font pas disparaître, dans le chef de la requérante, l’intérêt à obtenir un contrôle, par le Tribunal, de la légalité de la décision attaquée, par laquelle la BCE a refusé, de manière illégale selon la requérante, de lui communiquer le document auquel l’accès avait été demandé. Ainsi qu’il résulte du dossier, ladite décision n’a pas été retirée par la BCE, même si cette dernière a été amenée à produire le document demandé en application d’une mesure d’instruction dans le cadre de l’affaire T‑502/19.

46      Par ailleurs, un requérant peut conserver un intérêt à demander l’annulation de l’acte attaqué pour amener l’auteur de cet acte à apporter, à l’avenir, les modifications appropriées et ainsi éviter le risque de répétition de l’illégalité dont ledit acte est prétendument entaché (voir arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C-57/16 P, EU:C:2018:660, point 48 et jurisprudence citée).

47      La persistance de l’intérêt à demander l’annulation de l’acte attaqué suppose que l’illégalité dont ledit acte est prétendument entaché soit susceptible de se reproduire dans le futur, indépendamment des circonstances particulières de l’affaire en cause (voir arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 48 et jurisprudence citée).

48      À cet égard, la requérante reproche notamment à la BCE, dans le troisième moyen, d’avoir refusé l’accès à la décision litigieuse en se fondant sur une présomption générale de confidentialité en vertu de l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258. L’illégalité alléguée réside donc dans l’application de cette présomption.

49      Dans son arrêt Aeris Invest, le Tribunal a rejeté l’existence d’une telle présomption, que la BCE avait aussi invoquée dans cette affaire pour fonder une décision de refus d’accès à des documents relatifs à la résolution bancaire d’un établissement de crédit surveillé.

50      À travers l’examen du troisième moyen, le Tribunal sera amené, en l’espèce, à décider si la position retenue dans l’arrêt Aeris Invest, adoptée dans le cadre d’un refus d’accès à des documents relatifs à l’adoption d’un dispositif de résolution à l’égard d’une banque, est transposable au contexte distinct de la décision litigieuse, laquelle porte sur une mesure d’intervention précoce et, plus spécifiquement, sur le placement d’un établissement surveillé sous administration temporaire.

51      Dans sa réponse du 15 novembre 2021 à la mesure d’organisation de la procédure du Tribunal du 13 octobre 2021, invitant les parties à lui faire part de leurs observations sur les conséquences à tirer, notamment, de l’arrêt Aeris Invest (ci-après les « observations du 15 novembre 2021 »), la BCE a concédé que, sous réserve que cet arrêt devienne définitif, elle ne pourrait pas se prévaloir d’une présomption générale de confidentialité fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258, comme elle l’avait fait dans la décision attaquée. Pour autant, elle n’a pas retiré la décision attaquée et n’a donc pas formellement renoncé à se prévaloir d’une telle présomption pour refuser l’accès à la décision litigieuse.

52      Dans ces conditions, la position prise par la BCE dans les observations du 15 novembre 2021 ne saurait suffire pour éliminer le risque de répétition de l’illégalité dont la décision attaquée est, selon la requérante, prétendument entachée.

53      Il résulte de ce qui précède que la requérante conserve son intérêt à demander l’annulation de la décision attaquée.

54      Partant, il y a lieu de statuer sur le présent recours.

 Sur la recevabilité du deuxième chef de conclusions

55      Par le deuxième chef de conclusions de la requête, la requérante demande au Tribunal d’ordonner à la BCE d’accueillir sa demande, de produire la décision litigieuse, la première décision de prorogation, ainsi que les documents qui y sont afférents, et de lui permettre d’obtenir une copie, intégrale ou partielle, desdits documents.

56      À cet égard, ainsi que le fait valoir la BCE, dans l’exercice du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE, le Tribunal n’a pas compétence pour prononcer des injonctions à l’encontre des institutions de l’Union ou se substituer à ces dernières, étant entendu que, lorsque le Tribunal annule un acte d’une institution, cette dernière est tenue, en vertu de l’article 266 TFUE, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt d’annulation (voir, en ce sens, arrêts du 22 janvier 2004, Mattila/Conseil et Commission, C‑353/01 P, EU:C:2004:42, point 15, et du 9 octobre 2018, Pint/Commission, T‑634/17, non publié, EU:T:2018:662, points 19 à 21).

57      Il s’ensuit que la demande de la requérante rappelée au point 55 ci-dessus doit être rejetée pour cause d’incompétence.

 Sur le fond 

58      La requérante invoque, en substance, sept moyens, respectivement tirés :

–        le premier, d’une application erronée de l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 pour refuser l’accès à la décision litigieuse ;

–        le deuxième, de l’absence de mise en balance des intérêts favorablement et défavorablement affectés par une divulgation de la décision litigieuse ;

–        le troisième, de l’application erronée d’une présomption générale de confidentialité fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 ;

–        le quatrième, d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 1, de la décision 2004/258, ainsi que d’un défaut de motivation de la décision attaquée ;

–        le cinquième, de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective ;

–        le sixième, de l’absence de caractère confidentiel de la décision litigieuse, car elle aurait été rendue publique avant l’adoption de la décision attaquée ;

–        le septième, d’un manque de diligence de la BCE dans le traitement des demandes initiale et confirmative d’accès.

 Sur les règles applicables gouvernant l’accès aux documents

59      À titre liminaire, il convient de rappeler que le droit d’accès aux documents de la BCE se fonde sur le principe d’ouverture du processus décisionnel de l’Union énoncé à l’article 1er, deuxième alinéa, TUE et repris à l’article 15, paragraphe 1, TFUE.

60      L’article 15, paragraphe 3, premier alinéa, TFUE consacre un droit d’accès de tout citoyen de l’Union et de toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre aux documents des institutions, organes et organismes de l’Union, repris à l’article 42 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

61      En outre, selon l’article 15, paragraphe 3, deuxième alinéa, TFUE, « [l]es principes généraux et les limites qui, pour des raisons d’intérêt public ou privé, régissent l’exercice de ce droit d’accès aux documents sont fixées par voie de règlements par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, statuant conformément à la procédure législative ordinaire ».

62      Conformément au troisième alinéa de l’article 15, paragraphe 3, TFUE, « [c]haque institution, organe ou organisme assure la transparence de ses travaux et élabore dans son règlement intérieur des dispositions particulières concernant l’accès à ses documents, en conformité avec les règlements visés au deuxième alinéa [dudit paragraphe] ».

63      En vertu du quatrième alinéa de l’article 15, paragraphe 3, TFUE, la BCE n’est soumise à ce paragraphe que lorsqu’elle exerce des fonctions administratives.

64      Le régime applicable à l’accès aux documents de la BCE est régi par la décision 2004/258, adoptée sur le fondement de l’article 12.3 du protocole sur les Statuts du Système européen de banques centrales et de la BCE et de l’article 23 de la décision 2004/257/CE de la BCE, du 19 février 2004, portant adoption du règlement intérieur de la BCE (BCE/2004/2) (JO 2004, L 80, p. 33), telle que modifiée par la décision BCE/2014/1 de la BCE du 22 janvier 2014 (JO 2014, L 95, p. 56).

65      En vertu des considérants 2 et 3 de la décision 2004/258, cette décision vise à autoriser un accès plus large aux documents de la BCE que celui qui existait sous le régime de sa décision 1999/284/CE, du 3 novembre 1998, concernant l’accès du public aux documents et aux archives de la BCE (JO 1999, L 110, p. 30), tout en veillant à protéger l’indépendance de la BCE et des banques centrales nationales ainsi que la confidentialité de certaines questions touchant à l’accomplissement des missions de la BCE.

66      L’article 2, paragraphe 1, de la décision 2004/258 accorde ainsi à tout citoyen de l’Union, et à toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre, un droit d’accès aux documents de la BCE, sous réserve des limites et conditions définies par ladite décision.

67      Ce droit est soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé. Ainsi, conformément au considérant 4 de la décision 2004/258, l’article 4 de cette décision prévoit un régime d’exceptions autorisant la BCE à refuser l’accès à un document dans le cas où la divulgation de ce dernier porterait atteinte à l’un des intérêts protégés par les paragraphes 1 et 2 de cet article.

68      En particulier, l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 prévoit que « la BCE refuse l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection […] de la confidentialité des informations qui sont protégées en tant que tel[les] en vertu du droit de l’Union ».

69      C’est à la lumière de ces éléments qu’il convient d’examiner, tout d’abord, le troisième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de l’application erronée d’une présomption générale de confidentialité fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258

70      La requérante reproche à la BCE d’avoir appliqué, dans la décision attaquée, une présomption générale de confidentialité couvrant la décision litigieuse, fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c) de la décision 2004/258.

71      La BCE conteste l’argumentation de la requérante.

72      Il y a lieu de relever d’emblée que, lors de l’audience, la BCE a admis qu’une partie de la décision litigieuse n’était pas confidentielle, à la suite du dépôt, par ses soins, d’une version non-confidentielle de ladite décision auprès de la chambre de commerce de Gênes (Italie) et de la publication de son communiqué de presse du 2 janvier 2019 annonçant l’adoption de cette décision. Elle a notamment concédé que les informations qu’elle avait publiées dans ce communiqué se trouvaient dans la même décision. Par ailleurs, la requérante a fait valoir, sans que cela ne soit contesté par la BCE, que la version non confidentielle de la décision en cause déposée par cette dernière auprès de la chambre de commerce de Gênes, en application du droit italien, avait été mise à disposition du public à compter du 2 mai 2019, soit près d’un mois avant l’adoption de la décision attaquée.

73      Pour autant, la BCE a appliqué, dans la décision attaquée, une présomption générale fondée sur l’exception au droit d’accès prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 couvrant l’intégralité de la décision litigieuse.

74      Dans l’arrêt Aeris Invest, à propos duquel les parties au présent recours ont pu déposer des observations, le Tribunal s’est prononcé pour la première fois sur l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 et sur la question de l’existence d’une présomption générale fondée sur cette disposition, que la BCE avait invoquée dans cette affaire pour refuser l’accès à plusieurs documents relatifs à la surveillance prudentielle d’un établissement de crédit et au dispositif de résolution de ce dernier.

75      Selon la jurisprudence, l’objectif des présomptions générales fondées sur une exception au droit d’accès réside dans la possibilité, pour l’institution de l’Union concernée, de considérer que la divulgation de certaines catégories de documents porte, en principe, atteinte à l’intérêt protégé par cette exception, en se fondant sur des considérations d’ordre général similaires qui sont susceptibles de s’appliquer à des demandes de divulgation portant sur des documents de même nature, sans que l’institution concernée ne soit tenue d’examiner concrètement et individuellement chacun des documents demandés (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 52).

76      Dans l’arrêt Aeris Invest (points 186 à 199), le Tribunal a considéré qu’aucune présomption de cette nature ne pouvait être fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258.

77      Comme rappelé au point 51 ci-dessus, dans les observations du 15 novembre 2021, la BCE a pris acte de l’arrêt Aeris Invest, mais n’a pas retiré la décision attaquée.

78      Dans ce contexte, il convient d’examiner si les raisons qui ont conduit le Tribunal, dans l’arrêt Aeris Invest, à écarter l’existence d’une présomption générale de confidentialité fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258, peuvent être retenues en l’espèce. Il s’agit des trois raisons suivantes.

–       Sur l’incompatibilité d’une présomption générale de confidentialité fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 avec le principe de sécurité juridique

79      La première raison retenue par le Tribunal, dans l’arrêt Aeris Invest, tient au fait qu’une présomption générale de confidentialité fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 enfreint les exigences de la sécurité juridique, car elle repose sur une disposition dont le champ d’application n’est pas circonscrit de manière claire et précise (points 187 à 190 dudit arrêt).

80      Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que la sécurité juridique fait partie des principes généraux du droit de l’Union et exige que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union. Ce principe exige, notamment, qu’une réglementation de l’Union permette aux intéressés de connaître avec exactitude et sans ambiguïté l’étendue des obligations qu’elle leur impose, les droits qu’elle leur confère et qu’ils puissent prendre leurs dispositions en conséquence (voir, en ce sens, arrêt Aeris Invest, point 190 et jurisprudence citée).

81      Or, s’agissant du caractère confidentiel des informations qui méritent d’être protégées en tant que telles en vertu du droit de l’Union, visé à l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258, le Tribunal a constaté, dans l’arrêt Aeris Invest, que cette disposition :

–        n’a pas de contenu précis et dépend, pour son application, du renvoi à d’autres règles du droit de l’Union applicables au contexte dans lequel les documents auxquels l’accès est demandé ont été établis (point 188 dudit arrêt) ;

–        établit ainsi un lien entre le régime d’accès du public aux documents de la BCE et les régimes de secret professionnel auxquels la BCE est assujettie en vertu du droit de l’Union, visant ainsi à assurer que la BCE respecte ses obligations de secret professionnel également dans le contexte des demandes d’accès à ses documents (point 189 de cet arrêt).

82      Dans le même sens, la BCE a estimé, dans la décision attaquée, que, dans le domaine de la surveillance prudentielle, l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 renvoyait aux trois dispositions suivantes :

–        l’article 27 du règlement n° 1024/2013 ;

–        l’article 53, paragraphe 1, de la directive 2013/36 ;

–        l’article 84 de la directive 2014/59.

83      Parmi ces dispositions, la première, à savoir l’article 27, paragraphe 1, du règlement n° 1024/2013, impose aux membres du personnel de la BCE une obligation de secret professionnel pour les informations obtenues par eux dans le cadre de la surveillance prudentielle. Cette obligation comporte, notamment, le devoir de respecter les obligations de confidentialité imposées par tous les actes pertinents du droit de l’Union.

84      De son côté, la deuxième disposition susvisée, à savoir l’article 53, paragraphe 1, de la directive 2013/36, soumet au secret professionnel les autorités compétentes en matière de surveillance prudentielle. En vertu de cette disposition, le secret professionnel interdit, en principe, à ces autorités, de divulguer les informations confidentielles qu’elles reçoivent, autrement que sous une forme résumée ou agrégée, de façon à ce que les établissements de crédit ne puissent pas être identifiés. Ce principe est assorti de deux dérogations permettant la divulgation d’informations confidentielles :

–        dans les cas relevant du droit pénal, et

–        dans ceux ayant trait à des procédures civiles ou commerciales à la double condition, dans le cas de ces procédures civiles et commerciales, d’une part, que l’établissement de crédit concerné par les informations confidentielles ait été déclaré en faillite ou fasse l’objet d’une liquidation forcée et, d’autre part, que les informations confidentielles ne concernent pas des tiers impliqués dans les tentatives de sauvetage de cet établissement.

85      Quant à la troisième disposition, à savoir l’article 84 de la directive 2014/59, elle s’applique dans le contexte du redressement et de la résolution bancaires, et non dans le domaine de l’intervention précoce en cause dans le présent litige. Il s’ensuit que, comme l’a reconnu la BCE dans le mémoire en défense et lors de l’audience, cette disposition n’est pas applicable en l’espèce.

86      De la décision attaquée, il ressort ainsi que l’identification des dispositions du droit de l’Union protégeant la confidentialité des informations visées à l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 est laissée à l’appréciation de la BCE, lorsqu’elle examine les demandes individuelles d’accès qui lui sont adressées, en fonction du contexte de ces demandes. Partant, au moment où ils introduisent leur demande d’accès, les demandeurs sont dans l’impossibilité de prévoir avec certitude les règles censées protéger la confidentialité des informations demandées que la BCE pourrait leur opposer pour rejeter leur demande. Du reste, cette incertitude se manifeste dans la décision attaquée elle-même, puisqu’une disposition, à savoir l’article 84 de la directive 2014/59, s’y trouve mentionnée par la BCE comme étant à prendre en compte pour déterminer son obligation de confidentialité, alors que, selon les indications fournies par la BCE elle-même, cette disposition n’est pas applicable, en définitive, dans la matière concernée par le litige.

87      Dans ces conditions, il convient de considérer que l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 constitue une disposition qui n’est pas suffisamment claire, précise et prévisible dans ses effets pour constituer le fondement d’une présomption générale réputant confidentiel et, à ce titre, non susceptible d’être divulgué, l’ensemble des informations figurant dans une décision de placement sous administration temporaire d’un établissement de crédit soumis à la surveillance prudentielle de la BCE.

–       Sur l’incompatibilité d’une présomption générale de confidentialité fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 avec l’appréciation de la notion d’information confidentielle exigée par l’arrêt Baumeister

88      La deuxième raison retenue par le Tribunal, dans l’arrêt Aeris Invest (points 192 à 196), pour écarter l’application d’une présomption générale de confidentialité, tient au fait que, fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258, une telle présomption est inconciliable avec l’approche préconisée par la Cour dans l’arrêt Baumeister pour déterminer si une information est confidentielle. En effet, cet arrêt requiert une appréciation concrète et individuelle du caractère confidentiel de chaque information concernée qui ne saurait être contournée par l’application d’une présomption générale de confidentialité.

89      Dans l’arrêt Baumeister, la Cour a interprété la notion d’informations confidentielles contenue dans l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil (JO 2004, L 145, p. 1). Elle a retenu à cet égard que :

–        cette disposition posait un principe général d’interdiction de divulgation des informations confidentielles détenues par les autorités compétentes et énonçait de manière exhaustive les cas spécifiques dans lesquels cette interdiction générale ne faisait exceptionnellement pas obstacle à leur transmission ou à leur utilisation (arrêt Baumeister, point 38 ; voir arrêt Aeris Invest, point 193) ;

–        toutes les informations relatives à une entreprise surveillée et communiquées par celle-ci à l’autorité compétente, ainsi que toutes les déclarations de cette autorité de surveillance figurant dans son dossier de surveillance, y compris sa correspondance avec d’autres services, ne constituaient pas, de manière inconditionnelle, des informations confidentielles, couvertes par le secret professionnel prévu à ladite disposition (arrêt Baumeister, points 34 et 46 ; voir arrêt Aeris Invest, point 194) ;

–        relevaient de cette qualification les informations détenues par les autorités de surveillance compétentes qui, premièrement, n’avaient pas un caractère public et dont, deuxièmement, la divulgation risquait de porter atteinte aux intérêts de la personne physique ou morale qui les avait fournies ou de tiers, ou encore au bon fonctionnement du système de de contrôle de l’activité des entreprises d’investissement (arrêt Baumeister, points 35 et 46 ; voir arrêt Aeris Invest, point 194).

90      Or, l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39 interprété dans l’arrêt Baumeister était libellé de manière très similaire à la disposition en cause, à la fois, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Aeris Invest et dans la présente affaire, à savoir l’article 53, paragraphe 1, de la directive 2013/36 (voir, respectivement, arrêt Aeris Invest, points 24, 31 et 195 et point 82 ci-dessus).

91      Sur cette base, l’interprétation retenue dans l’arrêt Baumeister a été considérée comme applicable dans l’arrêt Aeris Invest pour définir ce qu’était une information confidentielle au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258, qui est en cause dans la présente affaire.

92      À toutes fins utiles, il y a lieu de noter que l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39/CE a été remplacé par l’article 76, paragraphe 1, de la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE (JO 2014, L 173, p. 349).

93      Les termes utilisés dans cette nouvelle disposition sont toutefois similaires à ceux utilisés à l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39, en manière telle que l’enseignement à tirer de l’arrêt Baumeister conserve toute sa pertinence pour le raisonnement développé dans l’arrêt Aeris Invest ainsi que, par voie de conséquence, pour la solution à dégager en l’espèce.

94      De cette analyse, il résulte que, si la BCE entend refuser l’accès à des documents en raison de la confidentialité des informations en cause, elle doit vérifier que les deux critères énoncés dans l’arrêt Baumeister sont satisfaits pour chaque information concernée, cet exercice requérant une appréciation concrète de chacune de ces informations qui ne saurait être contournée par l’application d’une présomption générale de confidentialité (voir, en ce sens, arrêt Aeris Invest, point 196).

95      Dans ces conditions, la BCE ne pouvait pas recourir, dans la décision attaquée, à une présomption générale de confidentialité qui lui aurait épargné de vérifier, de manière concrète, le caractère confidentiel de la décision litigieuse et des informations qui y figurent en application des deux critères énoncés dans l’arrêt Baumeister.

–       Sur l’absence de caractère réfragable d’une présomption générale de confidentialité fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258

96      La troisième raison retenue par le Tribunal, dans l’arrêt Aeris Invest (point 198), pour écarter l’application d’une présomption générale de confidentialité fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258, tient au fait que, selon une jurisprudence constante, l’application d’une présomption d’une telle nature ne pouvait exclure la possibilité de démontrer qu’un document donné, dont la divulgation est demandée, n’est pas couvert par cette présomption ou qu’il existe un intérêt public supérieur justifiant la divulgation de ce document (arrêts du 29 juin 2010, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑139/07 P, EU:C:2010:376, point 62, et du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob, C‑404/10 P, EU:C:2012:393, point 126).

97      Or, l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 constitue une exception dite « absolue » au droit d’accès, dont l’application revêt un caractère obligatoire, dès lors que la divulgation au public du document demandé est de nature à porter atteinte à l’intérêt protégé par cette disposition.

98      À ce titre, et contrairement aux exceptions visées à l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la décision 2004/258, non invoquées en l’espèce, l’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous c), de ladite décision ne présuppose pas de mise en balance de l’intérêt protégé avec un intérêt public supérieur susceptible de justifier la divulgation du document demandé (voir, en ce sens, arrêt Aeris Invest, point 197).

99      Ainsi, si une présomption générale de confidentialité devait être inférée de l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258, le caractère obligatoire de l’exception visée par cette disposition interdirait tout renversement d’une telle présomption, ce qui irait à l’encontre des exigences de la jurisprudence rappelées au point 96 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt Aeris Invest, point 199).

100    En l’espèce, la BCE s’est fondée, dans la décision attaquée, sur l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous c) de la décision 2004/58 pour refuser l’accès à la décision litigieuse.

101    Par conséquent, pour la raison rappelée au point 97 ci-dessus, et conformément à la jurisprudence rappelée aux points 96, 98 et 99 ci-dessus, elle ne pouvait appliquer une présomption générale de confidentialité dérivée de cette disposition, laquelle empêchait la requérante de démontrer l’existence d’un intérêt public supérieur susceptible de justifier la divulgation de la décision litigieuse et, partant, de renverser ladite présomption (voir, en ce sens, arrêt Aeris Invest, point 199).

102    De ce qui précède, il ressort que les trois raisons retenues par le Tribunal dans l’arrêt Aeris Invest, pour écarter l’existence d’une présomption générale de confidentialité fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 trouvent également à s’appliquer en l’espèce.

103    Il résulte de ce qui précède que le troisième moyen est fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 1, de la décision 2004/258, ainsi que d’un défaut de motivation de la décision attaquée

104    Au cours de la procédure, la BCE a expliqué que la décision attaquée devait être interprétée comme reposant sur deux fondements distincts et autonomes, à savoir, d’une part, une présomption générale de confidentialité fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 et, d’autre part, une appréciation concrète du caractère confidentiel de la décision litigieuse conformément aux deux critères de l’arrêt Baumeister visés aux points 29 et 89 ci-dessus.

105    Dans ces conditions, il convient, pour compléter l’analyse, d’examiner le quatrième moyen, dans lequel la requérante soutient que, la présomption générale de confidentialité susvisée n’étant pas applicable, la décision attaquée n’est pas suffisamment motivée en ce qui concerne l’atteinte pouvant résulter de la divulgation de la décision litigieuse. Selon la requérante, la décision attaquée est dépourvue d’éléments concrets indiquant les risques que présenterait cette divulgation. Ladite décision se limiterait à relever que « la divulgation [...] pourrait être préjudiciable non seulement à l’établissement de crédit directement concerné, mais également au système bancaire en général, dans la mesure où les banques ne pourraient pas avoir la certitude que les informations fournies à la BCE à des fins de surveillance restent confidentielles ».

106    La requérante invoque à cet égard une violation de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 1, de la décision 2004/258.

107    La BCE conteste l’argumentation de la requérante.

108    D’emblée, il convient d’écarter l’application, en l’espèce, de l’article 7, paragraphe 1, de la décision 2004/258. Cette disposition concerne, en effet, l’obligation pour la BCE de motiver le rejet d’une demande initiale d’accès, un tel rejet n’étant pas concerné par le présent recours.

109    Quant à l’article 8, paragraphe 1, de la décision 2004/258, il impose à la BCE, lorsqu’elle rejette une demande confirmative d’accès, de communiquer, par écrit, au demandeur les motifs de son refus de lui accorder l’accès au document demandé.

110    Dans la deuxième section de la décision attaquée, consacrée à l’examen de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258 sur laquelle la BCE a fondé son refus de donner accès à la décision litigieuse, cette dernière a fait valoir que :

–        la décision litigieuse était couverte par les obligations de secret professionnel susvisées lui interdisant de divulguer des informations confidentielles (voir points 82 et suivant ci-dessus) ;

–        la notion d’information confidentielle devait, à cet égard, être définie à partir des deux critères énoncés par l’arrêt Baumeister rappelés au point 29 ci-dessus ;

–        faisant application du second critère, il conviendrait de considérer, en l’espèce, que la divulgation des informations prudentielles pourrait avoir des conséquences dommageables pour l’établissement de crédit concerné et pour le système bancaire en général et que la divulgation de la décision litigieuse nuirait à l’intérêt public lié au bon fonctionnement du système de surveillance prudentielle.

111    Ce sont ces derniers éléments cités dans la décision attaquée qui se trouvent mis en cause par la requérante et qu’il convient d’analyser à présent.

112    Selon la jurisprudence, lorsque la BCE décide de refuser l’accès à un document en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2004/258, il lui incombe, en l’absence d’application d’une présomption générale de confidentialité, de fournir des explications quant à la question de savoir comment l’accès au document demandé pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par l’exception qu’elle invoque, le risque d’une telle atteinte devant être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique (voir, en ce sens, arrêts du 29 novembre 2012, Thesing et Bloomberg Finance/BCE, T‑590/10, non publié, EU:T:2012:635, point 42 et jurisprudence citée, et Aeris Invest, point 181).

113    Par ailleurs, une motivation pour être suffisante doit se caractériser notamment par une indication pertinente des éléments pris en considération. Aussi, dans le domaine de l’accès aux documents, une motivation sans lien avec l’objet de la demande ne permet pas de comprendre et de vérifier en quoi le document demandé relève de l’exception en cause (arrêt du 26 janvier 2022, Kedrion/EMA, T-570/20, EU:T:2022:20, points 65 et 66 et jurisprudence citée), en l’espèce celle visée à l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258.

–       Sur le risque allégué d’atteinte à l’établissement de crédit concerné

114    La BCE indique, dans la décision attaquée, que, de manière générale, la divulgation d’informations confidentielles issues de la surveillance prudentielle pourrait nuire à l’établissement de crédit concerné.

115    Cette allégation est toutefois formulée en des termes très généraux et n’est assortie d’aucune indication quant aux motifs pour lesquels la décision litigieuse ne pourrait pas être divulguée. La décision attaquée n’apporte, en effet, aucune précision quant au type de risque auquel aurait pu faire face Banca Carige si l’accès à la décision litigieuse avait été accordé.

116    Or, il est d’autant plus difficile de comprendre en quoi aurait pu consister un tel risque, que, selon les éléments du dossier, la BCE elle-même a rendu publics l’existence et une partie du contenu de la décision litigieuse, à travers son communiqué de presse du 2 janvier 2019 (voir points 5 et 72 ci-dessus) et la version non confidentielle de cette décision qu’elle a déposée auprès de la chambre de commerce de Gênes et qui a été rendue publiquement accessible le 2 mai 2019, soit près d’un mois avant l’adoption de la décision attaquée (voir point 72 ci-dessus).

117    En particulier, dans son communiqué de presse du 2 janvier 2019, la BCE a rendu publics la nature de la mesure d’administration temporaire prise à l’encontre de Banca Carige, y compris le nom de cette dernière, qui n’est pas occulté, le nom des trois administrateurs temporaires nommés par la BCE, tout comme celui des trois membres du conseil de surveillance de Banca Carige également nommés par la BCE, ainsi que des précisions sur l’objectif et le contenu de la mission assignée à ces trois administrateurs temporaires. Le communiqué précise aussi le contexte dans lequel la décision litigieuse a été prise, à savoir, à la suite de la démission de la majorité du conseil d’administration de Banca Carige, ainsi que les conséquences de cette décision, à savoir la suppression des organes de gestion et de contrôle de Banca Carige.

118    Or, Banca Carige a, elle aussi, publié un communiqué le 2 janvier 2019 annonçant publiquement l’adoption de la décision litigieuse et précisant la nature de la mesure prise à son encontre par la BCE, le contexte dans lequel cette mesure a été prise, soit à la suite de la démission de la majorité de son conseil d’administration, le nom de ses trois administrateurs temporaires et des trois membres de son comité de surveillance nommés par la BCE, la mission assignée à ces trois administrateurs temporaires, couvrant notamment les mesures à prendre concernant le renforcement de ses fonds propres et les dispositions conformément auxquelles ces administrateurs devaient exercer leur mission.

119    Il ressort également du dossier que, antérieurement à la décision attaquée, Banca Carige avait déjà publiquement diffusé des informations à propos des difficultés qu’elle rencontrait et de la surveillance prudentielle dont elle faisait l’objet de la part de la BCE, soit des éléments qui étaient, à tout le moins, directement liés au contexte dans lequel la décision litigieuse a été adoptée. Ces informations ressortent notamment des communiqués de Banca Carige des 3 août, 24 septembre, 10 octobre, 12 novembre, 29 novembre, 30 novembre, 21 décembre et 23 décembre 2018 ainsi que du 2 janvier 2019.

120    Dans ce contexte, les éléments figurant dans la décision attaquée, mentionnés au point 110 ci-dessus, n’étaient pas suffisants pour mettre la requérante en mesure de comprendre en quoi l’accès à la décision litigieuse aurait pu nuire à Banca Carige et le Tribunal est dans l’incapacité d’exercer son contrôle sur cette question.

–       Sur le risque allégué d’atteinte au système bancaire en général

121    La BCE soutient, dans la décision attaquée, que la divulgation d’informations confidentielles issues de la surveillance prudentielle pourrait nuire au système bancaire en général. Elle se contente d’indiquer à cet égard que les banques ne pourraient plus se fier à ce que les informations qu’elles lui ont fournies dans le cadre de la surveillance prudentielle conservent leur caractère confidentiel.

122    Or, il ressort de la décision attaquée que ce même motif est invoqué pour justifier, à la fois, l’existence d’un risque d’atteinte au système bancaire en général, au sens du second critère énoncé par l’arrêt Baumeister, mais aussi l’application de la présomption générale de confidentialité à la décision litigieuse et, ainsi, échapper à l’obligation de procéder à une analyse concrète du caractère confidentiel de ladite décision.

123    En outre, aucune précision n’est apportée s’agissant du risque spécifique allégué d’atteinte au système bancaire qui aurait résulté de la divulgation de la décision litigieuse. Là encore, le silence de la décision attaquée est problématique au regard des informations sur la décision litigieuse déjà rendues publiques, par la BCE elle-même, dans son communiqué de presse du 2 janvier 2019 (voir point 117 ci-dessus) et dans la version non confidentielle de ladite décision déposée auprès de la chambre de commerce de Gênes (voir points 72 et 116 ci-dessus).

124    Dans ce contexte, le motif de la décision attaquée rappelé au point 121 ci-dessus n’était pas suffisant pour mettre la requérante en mesure de comprendre en quoi l’accès à la décision litigieuse aurait pu nuire au système bancaire en général et le Tribunal est dans l’incapacité d’exercer son contrôle sur cette question.

–       Sur le risque allégué d’atteinte à l’intérêt public lié au bon fonctionnement du système de surveillance prudentielle

125    Dans la décision attaquée, la BCE affirme que la divulgation de la décision litigieuse aurait pu nuire à l’intérêt public lié au bon fonctionnement du système de surveillance prudentielle. Toutefois, cette allégation n’est assortie d’aucune explication.

126    Or, il importe de relever que, là encore, le même motif est invoqué par la BCE pour justifier l’application de la présomption fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258. En effet, la BCE indique qu’une telle présomption répond à la nécessité d’assurer le bon fonctionnement de ses procédures de surveillance prudentielle en limitant l’intervention des tiers dans ces procédures et de réserver l’accès à ses dossiers de surveillance aux parties auxdites procédures.

127    Dans ce contexte, et en tenant compte, là aussi, des informations sur la décision litigieuse que la BCE avait déjà rendu publiques avant l’adoption de la décision attaquée (voir points 72, 116 et 117 ci-dessus), le motif de la décision attaquée rappelé au point 125 ci-dessus n’était pas suffisant pour mettre la requérante en mesure de comprendre en quoi la divulgation de la décision litigieuse aurait pu emporter un risque spécifique pour le fonctionnement du système de surveillance prudentielle et le Tribunal est, quant à lui, empêché d’exercer son contrôle sur ce point.

128    Il résulte de ce qui précède que les motifs invoqués dans la décision attaquée à propos des risques allégués liés à la divulgation de la décision litigieuse sont formulés en des termes qui, étant trop généraux, ne satisfont pas aux exigences de la jurisprudence rappelée aux points 112 et 113 ci-dessus.

129    Cette conclusion est confortée par le fait qu’il ressort des deux premières sections de la décision attaquée que :

–        la BCE fait référence aux mêmes dispositions sur le secret professionnel lui interdisant la divulgation des informations confidentielles, à savoir l’article 27 du règlement n° 1024/2013 et l’article 53, paragraphe 1, de la directive 2013/36, d’une part, pour justifier l’existence de la présomption générale de confidentialité, fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258, appliquée à la décision litigieuse et, d’autre part, pour alléguer que cette décision revêtait un caractère confidentiel au sens des deux critères énoncés dans l’arrêt Baumeister ;

–        le même motif tiré, en substance, de la nécessité de renforcer la protection des informations confidentielles que les établissements de crédit surveillés par la BCE sont tenus de lui communiquer, est invoqué pour justifier, à la fois, l’existence d’un risque d’atteinte au système bancaire en général, au sens du second critère énoncé par l’arrêt Baumeister, et l’application à la décision litigieuse de la présomption susvisée (voir point 122 ci-dessus).

130    Dans ce contexte, la décision attaquée doit être interprétée comme étant essentiellement fondée sur l’application de la présomption générale de confidentialité fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2004/258, développée dans la première section de la décision attaquée, les développements figurant dans la deuxième section de cette décision ne visant qu’à conforter cette présomption.

–       Sur les motifs invoqués par la BCE postérieurement à la décision attaquée

131    Dans le mémoire en défense et lors de l’audience, la BCE a fourni des explications complémentaires sur son refus de donner accès à la décision litigieuse, en invoquant les spéculations qui auraient pu avoir cours, en cas de divulgation de ladite décision, du fait des éléments suivants :

–        la nature extrêmement sensible des informations et des intérêts en jeu ainsi que des objectifs poursuivis par la BCE dans le contexte des mesures d’intervention précoce, ces mesures visant à prévenir ou à atténuer des risques très graves de nouvelle dégradation de la situation de l’établissement de crédit concerné ;

–        la décision litigieuse a été adoptée à un moment où les marchés financiers portaient une attention particulière aux difficultés que traversait Banca Carige et doutaient de la capacité de cette dernière à poursuivre ses opérations en respectant les règles prudentielles applicables ; à cette période, la situation de Banca Carige restait extrêmement fragile, les mesures de placement sous administration temporaire de cette banque étaient donc encore en vigueur et il n’était pas évident que ces mesures seraient couronnées de succès ;

–        la décision litigieuse décrivait de manière détaillée l’analyse de la BCE ; elle contenait des appréciations négatives de la BCE sur la situation financière de Banca Carige, notamment concernant son plan de conservation du capital, la faiblesse de sa gouvernance, sa situation dégradée concernant ses liquidités et ses fonds propres ; la divulgation de ces éléments aurait pu donner une image globale de Banca Carige susceptible d’entraîner des spéculations du marché quant au caractère réaliste et efficace des mesures que la banque devait prendre pour faire face à la situation difficile dans laquelle elle se trouvait en janvier 2019, ce qui risquait de mettre en péril la réussite de ces mesures et de conduire à une aggravation de la situation de ladite banque.

132    Toutefois, la motivation doit en principe être communiquée à l’intéressé en même temps que l’acte lui faisant grief, son absence ne pouvant pas être régularisée par le fait que l’intéressé apprend les motifs de l’acte au cours de la procédure devant le juge de l’Union [arrêts du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, EU:C:1981:284, point 22 ; du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 463, et du 26 avril 2016, Strack/Commission, T‑221/08, EU:T:2016:242, point 101 (non publié)].

133    Or, aucun des motifs susvisés avancés par la BCE dans le mémoire en défense ou lors de l’audience n’a été invoqué dans la décision attaquée. Les motifs figurant dans cette décision sont formulés d’une manière trop générique pour pouvoir être valablement complétés en cours d’instance. Ils n’expliquent pas de manière suffisamment concrète et précise comment l’accès au document demandé pourrait porter concrètement et effectivement atteinte aux intérêts protégés pouvant résulter de la divulgation de la décision litigieuse (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2012, Thesing et Bloomberg Finance/BCE, T‑590/10, non publié, EU:T:2012:635, point 42 et jurisprudence citée ; arrêt Aeris Invest, point 181).

134    En outre, s’agissant des motifs rappelés dans les deux premiers tirets du point 131 ci-dessus, il s’agit d’arguments trop généraux pour comprendre les risques allégués d’une divulgation de la décision litigieuse.

135    Quant aux arguments de la BCE rappelés dans le troisième tiret du point 131 ci-dessus, ils apportent, certes, des explications sur le type d’informations dont la divulgation aurait pu, selon elle, être problématique et en quoi il était utile d’en maintenir la confidentialité. Toutefois, ces informations concernaient une banque cotée en bourse qui était, de ce fait, astreinte à des obligations de publicité concernant sa situation sur le marché. Or, il ressort du dossier que, antérieurement à la décision attaquée, Banca Carige avait déjà publiquement diffusé des informations sur ses difficultés et la surveillance prudentielle dont elle faisait l’objet de la part de la BCE (voir point 119 ci-dessus).

136    Dans ce contexte, la BCE devait, à tout le moins, vérifier que les informations qu’elle ne voulait pas révéler, à travers la divulgation de la décision litigieuse, n’avaient pas déjà été valablement rendues publiques, notamment par Banca Carige.

137    De ce qui précède, il doit être conclu que, aucune présomption générale de confidentialité fondée sur l’article 4, paragraphe 1, sous c) de la décision 2004/258 n’étant applicable, la décision attaquée n’est pas suffisamment motivée pour permettre à la requérante de comprendre la nature des risques allégués qui auraient été induits par une divulgation de la décision litigieuse et au Tribunal d’exercer son contrôle de légalité sur ce point.

138    Il convient dès lors d’accueillir le quatrième moyen.

 Conclusion

139    Les troisième et quatrième moyens étant fondés, la décision attaquée doit être annulée sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens.

 Sur les dépens

140    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La BCE ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Banque centrale européenne (BCE), du 29 mai 2019, refusant l’accès à sa décision du 1er janvier 2019 plaçant Banca Carige SpA sous administration temporaire, est annulée.

2)      La BCE est condamnée aux dépens.

Gervasoni

Madise

Nihoul

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 juin 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.