Language of document : ECLI:EU:T:2021:191

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

14 avril 2021 (*)

« Aides d’État – Marché de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelable – Aide au fonctionnement – Décision déclarant le régime d’aide compatible avec le marché intérieur au terme de la phase préliminaire d’examen – Article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE – Violation des droits procéduraux – Lignes directrices de 2008 concernant les aides d’État à la protection de l’environnement – Lignes directrices de 2014 concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020 – Article 30 TFUE – Article 110 TFUE – Faisceau d’indices concordants »

Dans l’affaire T‑300/19,

Achema AB, établie à Jonava (Lituanie),

Lifosa AB, établie à Kedainiai (Lituanie),

représentées par Mes E. Righini et N. Solárová, avocates,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes K. Herrmann et P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République de Lituanie, représentée par MM. K. Dieninis et R. Dzikovič, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2018) 9209 final de la Commission, du 8 janvier 2019, relative à l’aide d’État SA.45765 (2018/NN), concernant un régime d’aide mis en œuvre par la République de Lituanie au bénéfice des producteurs d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable (JO 2019, C 61, p. 1),

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de MM. A. Kornezov (rapporteur), président, E. Buttigieg et Mme K. Kowalik‑Bańczyk, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 9 octobre 2020,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        Le 27 janvier 2016, les requérantes dans la présente affaire, Achema AB et Lifosa AB, ainsi que Orlen Lietuva AB et la confédération lituanienne des industriels ont adressé une plainte formelle à la Commission européenne (ci-après la « plainte de 2016 ») concernant, notamment, une aide présumée illégale que la République de Lituanie aurait accordé aux producteurs d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables (ci-après les « SER »). La Commission a transmis la plainte de 2016 aux autorités lituaniennes et ces dernières ont soumis leurs observations à cet égard le 25 juillet 2016.

2        Le 27 juin 2016, la République de Lituanie a prénotifié à la Commission une mesure de soutien aux centrales électriques produisant de l’électricité à partir de SER en Lituanie. Cet État membre a soumis des informations supplémentaires à cet égard le 21 novembre 2016.

3        Le 3 mars 2017, les requérantes et Orlen Lietuva (ci-après, prises ensemble, les « plaignantes ») ont adressé à la Commission une plainte visant à compléter la plainte de 2016 et ayant pour objet plusieurs mesures adoptées par la République de Lituanie dans le secteur de l’électricité (ci-après la « plainte complémentaire de 2017 »). La Commission a transmis la plainte complémentaire de 2017 aux autorités lituaniennes et ces dernières ont soumis leurs observations le 27 avril 2017.

4        Le 15 mai 2017, une réunion a eu lieu entre les plaignantes et la Commission au sujet des propositions que la République de Lituanie avait entre-temps communiquées à la Commission dans le but de répondre à certaines questions soulevées dans la plainte de 2016 et la plainte complémentaire de 2017 (ci-après, prises ensemble, les « plaintes »). Les plaignantes ont présenté à la Commission leur position écrite à l’égard desdites propositions dans un mémorandum du 30 mai 2017.

5        Le 15 janvier 2018, les plaignantes ont présenté à la Commission des informations complémentaires concernant certains nouveaux développements dans le secteur de l’électricité en Lituanie.

6        Le 21 février 2018, une nouvelle réunion entre les plaignantes et la Commission a eu lieu.

7        La Commission a demandé des renseignements complémentaires aux autorités lituaniennes par lettres des 15 mars, 8 mai, 10 juillet et 24 octobre 2018, auxquelles ces dernières ont répondu par lettres respectivement du 10 avril, du 31 mai, du 24 août et du 12 novembre 2018.

8        Le 20 novembre 2018, la République de Lituanie a notifié à la Commission, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, une mesure de soutien aux centrales électriques produisant de l’électricité à partir de SER en Lituanie.

9        Le 22 novembre 2018, la Commission a informé les plaignantes qu’elle allait examiner les arguments soulevés dans les plaintes dans le cadre de la procédure SA.45765 (2018/NN) relative à la mesure notifiée par la République de Lituanie le 20 novembre 2018.

10      Le 8 janvier 2019, la Commission a adopté la décision C(2018) 9209 final, relative à l’aide d’État SA.45765 (2018/NN), concernant un régime d’aides mis en œuvre par la République de Lituanie au bénéfice des producteurs d’électricité à partir de SER, dont un résumé a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2019, C 61, p. 1, ci-après la « décision attaquée »). La décision attaquée est une décision de ne pas soulever d’objections au sens de l’article 4, paragraphe 3, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9).

11      En premier lieu, aux paragraphes 9 à 56 de la décision attaquée, la Commission a procédé à la description du régime de soutien aux producteurs d’électricité à partir de SER (ci-après le « régime d’aide SER »).

12      Premièrement, en 2011, la République de Lituanie a adopté la Lietuvos Respublikos atsinaujinančių išteklių energetikos įstatymo Nr. XI–1375 (loi n° XI–1375 relative aux sources d’énergie renouvelables), du 12 mai 2011 (Žin., 2011, no 62-2936, ci-après la « loi relative aux SER »), entrée en vigueur le 31 décembre 2011 et en vertu de laquelle le régime d’aide SER, concernant les producteurs d’énergie éolienne, solaire, hydroélectrique, de biomasse et de biogaz (ci-après, pris ensemble, les « producteurs SER »), a été instauré. L’objectif du soutien était d’augmenter la part d’énergie produite à partir de SER dans la consommation d’énergie finale brute en Lituanie jusqu’à 23 % en 2020, conformément aux objectifs fixés par la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE (JO 2009, L 140, p. 16).

13      Le régime d’aide SER prévoyait les trois mesures suivantes :

–        un supplément sur le prix d’achat de l’électricité consistant soit en une prime d’achat égale à la différence entre le niveau maximum de soutien pour chaque technologie SER, arrêté par voie d’enchères organisées par la commission nationale de contrôle des prix et de l’énergie (ci-après la « CNCPE »), et le prix du marché de l’électricité, fixé par la CNCPE (ci-après la « prime d’achat »), soit, pour les centrales de petite taille, à savoir les producteurs dont la puissance installée était inférieure à 30 kW, et, depuis 2013, inférieure à 10 kW, en un tarif d’achat fixé par la CNCPE (ci-après le « tarif d’achat ») ;

–        une compensation des coûts de connexion au réseau pour les producteurs ayant remporté des procédures d’enchères (éligibles à percevoir la prime d’achat) et les centrales de petite taille (bénéficiant du tarif d’achat), égale à 60 % desdits coûts si la puissance du producteur est supérieure à 350 kW et à 100 % desdits coûts si elle est inférieure ou égale à 30 kW. Depuis 2013, la compensation des centrales d’une puissance inférieure à 350 kW est de 80 % desdits coûts ;

–        la levée de l’obligation d’équilibrage de l’électricité des producteurs SER, obligation désormais assumée par le gestionnaire du réseau de transport ou par le gestionnaire du réseau de distribution (ci-après, respectivement, l’« ORT » et l’« ORD »), en fonction de la connexion du producteur SER en cause.

14      Les bénéficiaires du régime d’aide SER sont des producteurs SER ayant remporté des procédures d’enchères organisées séparément pour chaque type de technologie SER. Les participants aux enchères ayant présenté l’offre la plus basse de la prime d’achat sont ceux qui ont remporté les enchères. Ces producteurs SER bénéficieront des trois mesures mentionnées au point 13 ci-dessus. Toutefois, les montants correspondant à la compensation des coûts de connexion et à la levée de l’obligation d’équilibrage sont déduits du montant correspondant à la prime d’achat ou au tarif d’achat afin d’éviter toute surcompensation.

15      L’aide en cause est versée aux producteurs SER pour une durée de douze ans.

16      Deuxièmement, conformément au Lietuvos Respublikos Vyriausybės nutarimas Nr. 916 « Dėl viešuosius interesus atitinkančių paslaugų elektros energetikos sektoriuje teikimo tvarkos aprašo patvirtinimo » (décret gouvernemental no 916 portant approbation de la description du régime de prestation des services d’intérêt public dans le secteur de l’électricité), du 18 juillet 2012 (ci-après le « décret 916 relatif aux SIPE »), le régime d’aide SER est financé par le biais d’un prélèvement imposé aux consommateurs finals d’électricité sur la base de leur consommation d’électricité (ci-après le « prélèvement SIPE »). Ce prélèvement est versé dans des fonds consacrés au financement de diverses politiques dans le secteur de l’énergie (ci-après les « fonds destinés aux SIPE »), dont le soutien aux producteurs SER. À l’origine, le prélèvement SIPE était perçu par les ORT et les ORD et les sommes récoltées par eux étaient ensuite transférées aux fonds destinés aux SIPE, alors administrés par un ORT, une entreprise contrôlée par l’État. À partir du 1er janvier 2013, c’est une autre entreprise, UAB Baltpool, également contrôlée par l’État, qui a été désignée comme administrateur des fonds destinés aux SIPE.

17      Conformément au Vyriausybės nutarimas Nr. 1157 « Dėl viešuosius interesus atitinkančių paslaugų elektros energetikos sektoriuje lėšų administravimo tvarkos aprašo patvirtinimo » (décret gouvernemental no 1157 portant approbation de la description des modalités de gestion des fonds destinés aux SIPE), du 19 septembre 2012 (ci-après le « décret 1157 relatif aux fonds destinés aux SIPE »), l’administrateur des fonds destinés aux SIPE envoie aux consommateurs finals les factures établies sur la base de leur consommation d’électricité. Les consommateurs versent le prélèvement SIPE à UAB Baltpool (s’ils sont reliés au réseau de transport) ou à l’ORD (s’ils sont reliés au réseau de distribution). Les sommes perçues par UAB Baltpool et par les ORD sont ensuite transférées aux fonds destinés aux SIPE. Les ORT et les ORD reçoivent une compensation du fonds pour les coûts d’équilibrage qu’ils encourent du fait de l’augmentation de la quantité d’électricité produite à partir de SER.

18      La section V du décret 1157 relatif aux fonds destinés aux SIPE met en place un mécanisme d’attribution des primes d’achat aux producteurs SER, dont le fonctionnement est le suivant. Les producteurs SER émettent une facture, sur une base mensuelle, à l’acheteur concerné (initialement un ORT, puis une autre entreprise contrôlée par l’État, ou l’ORD), indiquant le prix à payer pour l’électricité achetée qui comprend le montant de la prime d’achat ou le tarif d’achat. L’acheteur concerné, après s’être acquitté de cette facture, envoie une facture à l’administrateur des fonds destinés aux SIPE, indiquant le prix de l’électricité achetée qui comprend la prime d’achat ou le tarif d’achat. En s’acquittant de cette facture, l’administrateur des fonds destinés aux SIPE compense pour l’acheteur le surcoût afférent à la prime d’achat ou au tarif d’achat. Quant aux producteurs SER qui vendent de l’électricité directement sur le marché, ils envoient leurs factures directement à UAB Baltpool, qui, en réglant la facture, compense pour eux l’électricité qu’ils ont produite et vendue.

19      Troisièmement, si, en règle générale, tous les consommateurs d’électricité sont assujettis au prélèvement SIPE pour l’électricité qu’ils consomment, le décret 916 relatif aux SIPE établit néanmoins, dans sa section V, une liste d’exemptions (ci-après les « exemptions au prélèvement SIPE »), qui concerne, premièrement, le volume d’électricité produite par les installations utilisant des SER et consommée pour leurs propres besoins (c’est-à-dire les autoproducteurs SER), deuxièmement, le volume d’électricité nécessaire pour garantir un processus technologique de production d’électricité, y compris la production combinée de chaleur et d’électricité, troisièmement, le volume d’électricité achetée par les ORT et les ORD pour compenser les pertes naturelles d’électricité à travers le réseau, quatrièmement, le volume d’électricité produite par des producteurs SER de petite taille (d’une capacité inférieure à 10 kW pour les foyers et à 100 kW pour les personnes morales) qui est placée dans le réseau électrique et ultérieurement retirée du réseau au cours de la même année civile pour la propre consommation desdits producteurs (ci-après le « volume mis en stockage virtuel ») et, cinquièmement, le volume d’électricité consommée aux fins de services de traitement de données et de serveurs Internet (hébergement) et des activités connexes.

20      En deuxième lieu, aux paragraphes 57 à 81 de la décision attaquée, d’une part, la Commission a relevé, après avoir examiné les quatre conditions cumulatives relatives à l’existence d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, que le régime d’aide SER en cause constituait une aide d’État.

21      D’autre part, la Commission a considéré que les quatre premières exemptions mentionnées au point 19 ci-dessus étaient prima facie sélectives, mais qu’elles étaient justifiées par la logique et la nature du système et qu’elles ne constituaient donc pas des aides d’État, tandis que la cinquième exemption mentionnée au point 19 ci-dessus constituait une aide d’État compatible avec le marché intérieur.

22      En troisième lieu, au paragraphe 82 de la décision attaquée, la Commission a constaté que le régime d’aide SER constituait une aide illégale au motif qu’elle avait été mise en place, en méconnaissance de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, avant décision de la Commission quant à sa compatibilité avec le marché intérieur.

23      En quatrième lieu, aux paragraphes 83 à 122 de la décision attaquée, la Commission a conclu à la compatibilité avec le marché intérieur du régime d’aide SER, au regard de son objectif environnemental, conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

24      En conclusion, tout en regrettant que la République de Lituanie ait déjà mis en œuvre le régime d’aide SER, en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à l’encontre de ce régime au motif qu’il était compatible avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

II.    Procédure et conclusions des parties

25      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2019, les requérantes ont introduit le présent recours.

26      Le 31 juillet 2019, la Commission a déposé le mémoire en défense.

27      Le 23 octobre 2019, les requérantes ont déposé la réplique.

28      Le 24 octobre 2019, le Tribunal a admis la République de Lituanie à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

29      Le 10 décembre 2019, la Commission a déposé la duplique et la République de Lituanie son mémoire en intervention.

30      Le 24 janvier 2020, la Commission a informé le Tribunal qu’elle n’avait pas d’observations sur le mémoire en intervention de la République de Lituanie.

31      Le 27 janvier 2020, les requérantes ont fait parvenir leurs observations sur le mémoire en intervention de la République de Lituanie.

32      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience du 9 octobre 2020.

33      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission et « toute partie intervenante » aux dépens.

34      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

35      La République de Lituanie déclare soutenir les conclusions de la Commission tendant au rejet du recours.

III. En droit

A.      Sur la recevabilité du recours

36      À l’appui du recours, les requérantes avancent un moyen unique, tiré d’une violation de leurs droits procéduraux au motif que la Commission aurait dû, selon elles, nourrir des doutes quant à la compatibilité du régime d’aide SER avec le droit de l’Union européenne et ouvrir, en conséquence, la procédure formelle d’examen prévue par l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

37      Selon la jurisprudence, si la qualité particulière de « partie intéressée » au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, liée à l’objet spécifique du recours, est reconnue à une partie requérante, elle suffit à l’individualiser, selon l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, lorsque ledit recours tend, comme en l’espèce, à faire sauvegarder les droits procéduraux qu’elle tire de l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex, C‑83/09 P, EU:C:2011:341, point 48, et du 27 octobre 2011, Autriche/Scheucher-Fleisch e.a., C‑47/10 P, EU:C:2011:698, point 44).

38      En l’occurrence, il n’est pas contesté que les requérantes sont des « parties intéressées » au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, « dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide », qui ont ainsi par définition un « intérêt » à l’ouverture de la procédure formelle d’examen devant conduire à l’adoption d’une décision par la Commission et, corrélativement, compte tenu du rejet de leur plainte par la décision attaquée, un intérêt à former un recours contre cette décision qui ne leur est pas favorable. Il importe de souligner, en effet, que les requérantes sont les parties intéressées qui ont déposé la plainte à l’origine de l’enquête de la Commission et avec lesquelles cette dernière s’est entretenue à plusieurs reprises au cours de ladite enquête. De même, la décision attaquée prend position explicitement, en les rejetant, sur certains aspects du soutien aux producteurs SER dénoncés dans les plaintes (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑207/10, EU:T:2018:786, point 28). Par ailleurs, les requérantes sont des entreprises industrielles assujetties au paiement du prélèvement finançant le régime d’aide SER, mais aussi des producteurs d’électricité et de chaleur.

39      Il s’ensuit que les requérantes sont recevables à contester la décision attaquée en leur qualité de parties intéressées au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, en soulevant un moyen unique, tiré d’une violation de leurs droits procéduraux.

40      Par ailleurs, la Commission soulève des fins de non-recevoir à l’encontre de certains arguments présentés par les requérantes. Celles-ci sont examinées dans le cadre de l’analyse desdits arguments ci-après.

B.      Sur le fond

1.      Principes applicables

41      Selon la jurisprudence, la phase préliminaire prévue par l’article 108, paragraphe 3, TFUE a seulement pour objet de ménager à la Commission un délai de réflexion et d’investigation suffisant pour se former une première opinion sur les projets d’aides qui lui ont été notifiés afin de conclure, sans qu’un examen approfondi soit nécessaire, qu’ils sont compatibles avec le traité FUE ou, au contraire, de constater que leur contenu soulève des doutes quant à cette compatibilité (voir arrêt du 3 mai 2001, Portugal/Commission, C‑204/97, EU:C:2001:233, point 34).

42      À cet égard, lorsqu’une partie requérante demande l’annulation d’une décision de ne pas soulever d’objections sur le fondement de l’article 263 TFUE, elle met en cause essentiellement le fait que la décision prise par la Commission à l’égard de la mesure litigieuse a été adoptée sans que cette institution ouvre la procédure formelle d’examen, violant ce faisant ses droits procéduraux. Dans le cadre de ce type de recours, ladite partie peut invoquer, aux fins de la préservation des droits procéduraux dont elle bénéficie dans le cadre de la procédure formelle d’examen, uniquement des moyens de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait ou pouvait disposer, lors de la phase d’examen préliminaire de la mesure notifiée, aurait dû susciter des doutes quant à la compatibilité de cette dernière avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 81 ; du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C‑319/07 P, EU:C:2009:435, point 35, et du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex, C‑83/09 P, EU:C:2011:341, point 59), étant rappelé à cet égard que les éléments d’information dont la Commission « pouvait disposer » sont ceux qui apparaissaient pertinents pour l’appréciation à effectuer et dont elle aurait pu, sur sa demande, obtenir la production au cours de la phase préliminaire d’examen (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, EU:C:2017:706, point 71).

43      L’existence de doutes de nature à justifier l’ouverture de la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE se traduit par l’existence objective de difficultés sérieuses que la Commission a rencontrées lors de l’examen de la qualification d’aide de la mesure en cause ou de sa compatibilité avec le marché intérieur. Il ressort, en effet, à cet égard, de la jurisprudence que la notion de difficultés sérieuses revêt un caractère objectif (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C‑131/15 P, EU:C:2016:989, point 31).

44      L’existence de telles difficultés doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de l’acte attaqué que dans son contenu, d’une manière objective, en mettant en rapport les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission disposait et pouvait disposer lorsqu’elle s’est prononcée sur la compatibilité des aides litigieuses avec le marché intérieur. Il en découle que le contrôle de légalité effectué par le Tribunal sur l’existence de difficultés sérieuses, par nature, ne peut se limiter à la recherche de l’erreur manifeste d’appréciation. En effet, une décision adoptée par la Commission sans ouverture de la phase formelle d’examen peut être annulée pour ce seul motif, en raison de l’omission de l’examen contradictoire et approfondi prévu par le traité FUE, même s’il n’est pas établi que les appréciations portées sur le fond par la Commission étaient erronées en droit ou en fait (voir arrêt du 6 mai 2019, Scor/Commission, T‑135/17, non publié, EU:T:2019:287, point 100 et jurisprudence citée).

45      Par ailleurs, conformément à la finalité de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et au devoir de bonne administration qui lui incombe, la Commission peut, notamment, engager un dialogue avec l’État notifiant ou des tiers afin de surmonter, au cours de l’examen préliminaire, des difficultés éventuellement rencontrées. Cette faculté présuppose que la Commission puisse adapter sa position en fonction des résultats du dialogue engagé, sans que cette adaptation doive être a priori interprétée comme établissant l’existence de difficultés sérieuses (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C‑131/15 P, EU:C:2016:989, point 35). Ce n’est que si ces difficultés n’ont pu être surmontées qu’elles se révèlent être sérieuses et qu’elles doivent conduire la Commission à avoir des doutes, l’amenant ainsi à ouvrir la procédure formelle d’examen (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C‑431/07 P, EU:C:2009:223, point 61, et du 27 octobre 2011, Autriche/Scheucher‑Fleisch e.a., C‑47/10 P, EU:C:2011:698, point 70).

46      Il appartient à la partie requérante de prouver l’existence de doutes, preuve qu’elle peut fournir à partir d’un faisceau d’indices concordants, relatifs, d’une part, aux circonstances et à la durée de la procédure d’examen préliminaire et, d’autre part, au contenu de la décision attaquée (arrêts du 27 septembre 2011, 3F/Commission, T‑30/03 RENV, EU:T:2011:534, point 55 ; du 8 janvier 2015, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, T‑58/13, non publié, EU:T:2015:1, point 40, et du 6 mai 2019, Scor/Commission, T‑135/17, non publié, EU:T:2019:287, points 102 et 104).

47      Selon la jurisprudence, le contenu partiellement incomplet et insuffisant de la décision attaquée peut attester que la Commission a pris cette décision malgré l’existence de difficultés sérieuses (voir, en ce sens, arrêt du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission, T‑388/03, EU:T:2009:30, point 118).

48      C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient d’examiner le faisceau d’indices avancé par les requérantes.

2.      Sur les indices relatifs à la durée de la procédure et aux circonstances entourant l’adoption de la décision attaquée

49      Les requérantes soutiennent, en substance, que la durée extrêmement longue de la procédure dans son ensemble met en évidence la complexité du régime d’aide en cause et constitue un indice de l’existence de doutes quant à la compatibilité de ce régime avec le marché intérieur. En outre, les requérantes font valoir certaines circonstances entourant l’adoption de la décision attaquée qui démontreraient également que la Commission devait éprouver des doutes quant à la compatibilité du régime d’aide en cause avec le marché intérieur.

50      La Commission objecte que les arguments des requérantes tirés de la durée du traitement de leurs plaintes sont irrecevables, car invoqués pour la première fois dans la réplique, et donc tardivement.

51      Quant au fond, la Commission soutient, en substance, que la durée des échanges préalables à la notification ne constitue pas un indice de l’existence de doutes quant à la compatibilité du régime de l’aide en cause avec le marché intérieur. La seule durée pertinente à cet égard serait celle de l’examen préliminaire qui commence à courir dès la réception d’une notification complète.

52      En outre, en l’espèce, l’examen mené par la Commission aurait porté sur un régime d’aide déjà mis en place, de sorte que, conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, elle n’était pas liée par le délai de deux mois fixé à l’article 4, paragraphe 5, dudit règlement. Par ailleurs, la Commission se serait limitée, lors de la phase de prénotification, à apprécier l’exhaustivité de la notification envisagée et à demander les informations nécessaires pour la compléter.

53      Il y a lieu de rejeter d’emblée la fin de non-recevoir soulevée par la Commission relative à l’invocation tardive, au stade de la réplique, de l’argument des requérantes tiré de la durée totale de la procédure administrative, c’est-à-dire à compter de la présentation de la plainte de 2016, comme manquant en fait. En effet, les requérantes ont critiqué dans la requête la durée « extrêmement longue du processus dans son ensemble », en faisant valoir que celle-ci, calculée à partir du dépôt de la plainte de 2016, a duré « trois ans exactement ».

54      Quant au fond, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée au point 46 ci-dessus, l’existence de doutes que la Commission aurait dû nourrir quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur peut être démontrée à partir d’un faisceau d’indices concordants, relatifs notamment à la durée de la procédure d’examen préliminaire et aux circonstances entourant l’adoption de la décision attaquée.

55      En premier lieu, s’agissant de la durée de la procédure administrative, il ressort de la décision attaquée et des réponses des parties lors de l’audience que, en l’espèce, la Commission a décidé de fusionner, dans une seule et même procédure, l’examen, d’une part, de la plainte de 2016, déposée le 27 janvier 2016, et de la plainte complémentaire de 2017, dans la mesure où celles-ci concernaient le soutien étatique aux producteurs SER, avec l’examen, d’autre part, du régime d’aide SER tel que prénotifié par les autorités lituaniennes le 27 juin 2016.

56      Il est, en outre, constant que, lors de la notification formelle du régime d’aide SER, le 20 novembre 2018, ce régime avait déjà été mis à exécution depuis 2011 sans l’autorisation préalable de la Commission. Il s’agit donc, en l’espèce, d’une aide illégale au sens de l’article 1er, sous f), du règlement 2015/1589, ainsi que l’a constaté la Commission au paragraphe 82 de la décision attaquée.

57      Or, en ce qui concerne la procédure en matière d’aides illégales, le règlement 2015/1589 n’oblige pas la Commission à procéder à un examen préliminaire de ces mesures dans un délai déterminé, ainsi qu’il ressort de l’article 15, paragraphe 2, de ce règlement. Cependant, dans la mesure où la Commission possède une compétence exclusive pour apprécier la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, elle est tenue, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité FUE relatives aux aides d’État, de procéder à un examen diligent et impartial d’une plainte dénonçant l’existence d’une aide incompatible avec le marché intérieur. Il s’ensuit, notamment, que la Commission ne peut prolonger indéfiniment l’examen préliminaire de mesures étatiques ayant fait l’objet d’une plainte, dès lors qu’elle a, comme en l’espèce, accepté d’entamer un tel examen en demandant des renseignements à l’État membre concerné. Le seul objet de cet examen est, en effet, de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la qualification des mesures soumises à son appréciation et sur leur compatibilité avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2018, Naviera Armas/Commission, T‑108/16, EU:T:2018:145, point 60 et jurisprudence citée).

58      À cette fin, l’article 12, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement 2015/1589 oblige la Commission à examiner « sans délai » toute plainte déposée par une partie intéressée.

59      À cet égard, la Commission s’est engagée à respecter certains délais pour l’examen des plaintes, par le biais de l’adoption d’un code de bonnes pratiques. En effet, le code de bonnes pratiques pour la conduite des procédures de contrôle des aides d’État (JO 2009, C 136, p. 13, ci-après le « code de bonnes pratiques de 2009 »), applicable rationae temporis lors du dépôt des plaintes, a mis en place un dispositif procédural ayant pour objectif de rendre les procédures dans le domaine des aides d’État plus efficaces, plus faciles à appliquer et plus prévisibles. Ainsi, si, comme l’énonce d’ailleurs le paragraphe 8 du code de bonnes pratiques de 2009, celui-ci n’altère aucun droit ni aucune obligation énoncée dans le traité FUE et les différents règlements qui encadrent les procédures relatives aux aides d’État, la Commission ne saurait se départir de ses propres règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que les principes d’égalité de traitement ou de protection de la confiance légitime (voir arrêt du 3 septembre 2020, Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland e.a./Commission, C‑817/18 P, EU:C:2020:637, point 100 et jurisprudence citée).

60      Conformément au paragraphe 47 du code de bonnes pratiques de 2009, la Commission s’est engagée à « mettr[e] tout en œuvre pour examiner une plainte dans un délai indicatif de douze mois à compter de sa réception ».

61      En l’occurrence, premièrement, force est de constater que la procédure administrative, à compter du dépôt de la plainte de 2016, le 27 janvier 2016, jusqu’à l’adoption de la décision attaquée, le 8 janvier 2019, par laquelle la Commission a pris position sur certains aspects de ladite plainte, a duré, au total, presque trois ans.

62      La durée de l’examen des plaintes a donc dépassé très largement le délai indicatif de douze mois prévu par le code de bonnes pratiques de 2009.

63      Certes, comme l’indique le paragraphe 47 dudit code, « [e]n fonction des circonstances du cas d’espèce, l’éventuelle nécessité de demander des renseignements complémentaires au plaignant, à l’État membre ou à des parties intéressées, peut prolonger l’examen de la plainte ».

64      Toutefois, il convient de relever que la question en l’espèce n’est pas celle du caractère raisonnable ou non de la durée de l’examen préliminaire, mais celle de savoir si cette durée est révélatrice de difficultés sérieuses (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2011, 3F/Commission, T‑30/03 RENV, EU:T:2011:534, point 69). Il n’appartient donc pas au Tribunal d’examiner, dans le cadre du présent litige, si la longueur de la procédure peut être justifiée et si, en conséquence, la Commission a enfreint ou non son obligation de statuer dans un délai raisonnable, mais uniquement si la longueur de la procédure peut objectivement constituer un indice de l’existence de difficultés sérieuses lors de l’examen de la mesure d’aide en cause. En effet, l’éventuelle nécessité de demander des renseignements complémentaires aux plaignantes, à l’État membre ou à des parties intéressées, mentionnée au paragraphe 47 du code de bonnes pratiques de 2009, peut elle-même constituer un indice de difficultés sérieuses se rapportant aux circonstances entourant l’adoption de la décision attaquée. Cet indice fait d’ailleurs l’objet d’un examen ci-après.

65      En tout état de cause, si la nécessité de demander des renseignements complémentaires aux plaignantes ou à l’État membre concerné peut effectivement expliquer un certain allongement du délai indicatif de douze mois, il convient de constater que, en l’espèce, l’examen de la plainte de 2016 a duré trois fois plus longtemps que ledit délai indicatif. Un dépassement si significatif ne saurait être attribué à la seule nécessité de recueillir des informations supplémentaires.

66      Cette constatation reste inchangée à l’égard de la plainte complémentaire de 2017. En effet, la Commission a adopté la décision attaquée 24 mois après la réception de cette plainte complémentaire, c’est-à-dire dans un délai toujours très supérieur à celui prévu dans le code de bonnes pratiques de 2009.

67      Il est vrai que, aux termes du paragraphe 48 du code de bonnes pratiques de 2009, la Commission peut accorder des degrés de priorité différents aux plaintes dont elle est saisie. Selon ce même paragraphe, en principe, dans un délai de douze mois, la Commission s’efforce soit d’adopter une décision pour les cas prioritaires, conformément à l’article 4 du règlement 2015/1589, soit, dans les cas non prioritaires, d’adresser une première lettre administrative aux plaignantes pour leur exposer ses conclusions préliminaires.

68      Or, à supposer que le cas d’espèce n’eût pas été considéré comme prioritaire par la Commission, cette dernière n’a pas non plus adressé une première lettre administrative aux plaignantes pour leur exposer ses conclusions préliminaires dans le délai indicatif de douze mois prévu au paragraphe 48 du code de bonnes pratiques de 2009.

69      La Commission a fait cependant valoir, notamment lors de l’audience, que la durée de la procédure pouvait s’expliquer par le fait qu’elle avait reçu de nouvelles informations de la part des requérantes dans la plainte complémentaire de 2017 et dans la lettre du 15 janvier 2018. Cet argument de la Commission ne saurait prospérer. En effet, d’une part, ainsi qu’il a été constaté au point 66 ci-dessus, même en prenant comme point de départ la date du dépôt de la plainte complémentaire de 2017, la durée de la procédure demeure toujours très supérieure à celle prévue dans le code de bonnes pratiques de 2009. D’autre part, la Commission reste en défaut de préciser quelles informations concrètes, portées à sa connaissance dans la lettre du 15 janvier 2018, auraient eu pour conséquence, en raison notamment de leur volume, de leur nouveauté ou de leur complexité, de rallonger de façon si significative la durée de la procédure.

70      Partant, force est de constater que la durée de l’examen des plaintes a largement dépassé les délais indicatifs que la Commission s’était engagée à respecter en vertu du code de bonnes pratiques de 2009.

71      Deuxièmement, cette conclusion se trouve renforcée par la durée de la phase de prénotification, engagée par les autorités lituaniennes le 27 juin 2016.

72      Il convient de rappeler à cet égard que la phase de prénotification, non prévue, en tant que telle, dans le règlement 2015/1589, est une phase informelle issue de l’expérience acquise par la Commission dans la conduite des procédures de contrôle des aides d’État, qui a été formalisée dans le code de bonnes pratiques de 2009 (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2018, Tempus Energy et Tempus Energy Technology/Commission, T‑793/14, sous pourvoi, EU:T:2018:790, point 86).

73      Le code de bonnes pratiques de 2009 prévoit, à son point 3 (Phase de prénotification), que la phase de prénotification a pour objet de faciliter la notification du projet envisagé, et ce afin de permettre à la Commission de procéder de manière optimale, dès la réception de cette notification, à son examen préliminaire. En effet, en application de l’article 2, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, la notification doit fournir tous les renseignements nécessaires pour permettre à la Commission de prendre une décision conformément à l’article 4 (décisions sur l’examen préliminaire de la notification) et à l’article 9 (décisions de clore la procédure formelle d’examen) de ce règlement.

74      L’objectif essentiel de la phase de prénotification consiste ainsi à réduire le risque que la notification puisse être considérée comme étant incomplète, ce qui retarderait d’autant la procédure d’examen du projet notifié.

75      La Commission ne peut donc confondre la phase, éventuellement préalable, de mise en état de la notification avec celle de son examen, préliminaire initialement et, le cas échéant, formel par la suite, s’il s’avère nécessaire de lui permettre de recueillir toutes les informations dont elle a besoin pour évaluer la compatibilité de l’aide et de recueillir, à cet effet, les observations des parties intéressées (arrêt du 15 novembre 2018, Tempus Energy et Tempus Energy Technology/Commission, T‑793/14, sous pourvoi, EU:T:2018:790, point 91).

76      S’agissant de la durée de la phase informelle dite de prénotification, il ressort du paragraphe 14 du code de bonnes pratiques de 2009 que, en règle générale, les contacts de prénotification ne devraient pas durer plus de deux mois et devraient aboutir à une notification complète. Si ces contacts ne débouchent pas sur les résultats escomptés, les services de la Commission peuvent déclarer que la phase de prénotification est close. Toutefois, ledit code indique que, du fait de la complexité du cas d’espèce, il peut arriver que les contacts durent plusieurs mois.

77      En l’espèce, la phase de prénotification, déclenchée le 27 juin 2016, a duré deux ans et cinq mois jusqu’à la notification formelle, intervenue le 20 novembre 2018.

78      Il s’ensuit que les délais indicatifs dans lesquels la phase de prénotification devrait généralement être achevée ont été très largement dépassés, ce qui constitue un indice, ainsi qu’il ressort du libellé même des dispositions susvisées du code de bonnes pratiques de 2009, de la complexité du cas d’espèce.

79      En outre, il y a lieu de constater que, à la suite de la prénotification du 27 juin 2016, la Commission n’a adressé sa première demande de renseignements aux autorités lituaniennes que le 15 mars 2018, soit plus de 20 mois après la date de la prénotification. Cela démontre que la Commission a pris une longue période de temps pour mener son examen initial du régime tel que prénotifié, ce qui démontre également, de manière objective, que le régime d’aide en cause était caractérisé par une certaine complexité.

80      La Commission fait cependant valoir que la durée des échanges entre elle et l’État membre concerné préalablement à la notification de la mesure en cause est dénuée de pertinence et ne constitue pas un indice de l’existence de doutes quant à la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur. Selon elle, seule la durée de la procédure prise à partir de la notification formelle peut constituer un tel indice.

81      Cet argument ne peut toutefois prospérer. En effet, les délais indicatifs susmentionnés que la Commission s’est imposés en vertu du code de bonnes pratiques de 2009 s’appliquent précisément à la durée de la phase de prénotification, c’est-à-dire avant la notification formelle, et à l’examen des plaintes, ces dernières pouvant être déposées en dehors et indépendamment de toute notification formelle. Or, la durée des échanges de prénotification ou celle de l’examen d’une plainte peut, tout comme la durée de la procédure à compter de la notification formelle jusqu’à l’adoption de la décision attaquée, révéler, de manière objective, que la Commission rencontrait certaines difficultés au sujet de la mesure dénoncée ou prénotifiée, ne lui permettant pas de mener à terme cette phase de la procédure dans les délais qu’elle s’est elle-même imposés.

82      Cette conclusion est confirmée par une jurisprudence de longue date, dont il ressort que la durée de l’examen préliminaire de mesures étatiques ayant fait l’objet d’une plainte ou celle de la phase de prénotification peut également être pertinente à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2013, 3F/Commission, C‑646/11 P, non publié, EU:C:2013:36, point 32 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêts du 10 mai 2000, SIC/Commission, T‑46/97, EU:T:2000:123, points 102 à 108 ; du 12 décembre 2006, Asociación de Estaciones de Servicio de Madrid et Federación Catalana de Estaciones de Servicio/Commission, T‑95/03, EU:T:2006:385, points 121 à 129 et 135 ; du 27 septembre 2011, 3F/Commission, T‑30/03 RENV, EU:T:2011:534, points 58 à 69 ; du 9 décembre 2014, Netherlands Maritime Technology Association/Commission, T‑140/13, non publié, EU:T:2014:1029, points 68 et 69 ; du 9 juin 2016, Magic Mountain Kletterhallen e.a./Commission, T‑162/13, non publié, EU:T:2016:341, points 145 à 148, et du 15 novembre 2018, Tempus Energy et Tempus Energy Technology/Commission, T‑793/14, sous pourvoi, EU:T:2018:790, points 85, 92 et 106).

83      C’est à tort que la Commission invoque à l’appui de sa thèse, résumée au point 80 ci-dessus, la jurisprudence du Tribunal (arrêts du 15 mars 2001, Prayon-Rupel/Commission, T‑73/98, EU:T:2001:94, points 93 à 98 ; du 20 septembre 2007, Fachvereinigung Mineralfaserindustrie/Commission, T‑375/03, non publié, EU:T:2007:293, points 117 à 119 ; du 10 juillet 2012, TF1 e.a./Commission, T‑520/09, non publié, EU:T:2012:352, points 54 à 63 ; du 16 septembre 2013, Colt Télécommunications France/Commission, T‑79/10, non publié, EU:T:2013:463, points 43 à 51 ; du 16 septembre 2013, Orange/Commission, T‑258/10, non publié, EU:T:2013:471, points 44 à 53 ; du 16 septembre 2013, Iliad e.a./Commission, T‑325/10, non publié, EU:T:2013:472, points 45 à 53, et du 3 décembre 2014, Castelnou Energía/Commission, T‑57/11, EU:T:2014:1021, points 59 à 67). En effet, les arrêts en cause concernent, en substance, le respect du délai de deux mois, prévu à l’article 4, paragraphe 5, du règlement 2015/1589, et notamment la question de savoir à partir de quel moment la notification d’un projet d’aide doit être considérée comme complète pour que ledit délai soit déclenché. C’est dans ce cadre que le Tribunal a jugé que le temps écoulé antérieurement à la notification initiale n’entre pas dans le calcul du délai prévu à l’article 4, paragraphe 5, du règlement 2015/1589 (arrêts du 16 septembre 2013, Iliad e.a./Commission, T‑325/10, non publié, EU:T:2013:472, point 52, et du 3 décembre 2014, Castelnou Energía/Commission, T‑57/11, EU:T:2014:1021, point 66). Or, la question du respect du délai prévu à l’article 4, paragraphe 5, du règlement 2015/1589 ne se pose pas dans la présente affaire. En effet, la mesure d’aide en cause ayant été mise en œuvre dès 2011, la notification de celle-ci ne portait pas sur un projet d’aide, de sorte que l’article 4, paragraphe 5, du règlement 2015/1589 ne trouvait pas à s’appliquer, conformément à l’article 15, paragraphe 2, de ce règlement, ainsi qu’il a été rappelé au point 57 ci-dessus.

84      La Commission ne saurait non plus tirer arguments des arrêts du 11 novembre 2004, Demesa et Territorio Histórico de Álava/Commission (C‑183/02 P et C‑187/02 P, EU:C:2004:701, point 52), et du 9 juin 2011, Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission (C‑465/09 P à C‑470/09 P, non publié, EU:C:2011:372, point 102), dans lesquels la Cour a jugé, dans le cadre de l’examen d’un moyen tiré du principe de protection de la confiance légitime, que, lorsqu’une aide d’État n’a pas été notifiée à la Commission, l’inaction de celle-ci à l’égard de cette aide est dépourvue de signification. En effet, dans la présente affaire, les requérantes ne soulèvent aucun argument tiré du principe de protection de la confiance légitime et ne font pas non plus valoir une « inaction » de la Commission.

85      La Commission considère, en outre, que la durée de la phase de prénotification pourrait s’expliquer par la réticence de l’État membre à fournir une prénotification aussi complète que possible. Toutefois, d’une part, cet argument n’est pas étayé. En effet, la Commission ne prétend pas, preuves à l’appui, que les autorités lituaniennes auraient été réticentes à coopérer pendant cette phase et aucun élément en ce sens ne ressort du dossier. D’autre part, et en tout état de cause, si des contacts de prénotification étaient considérés comme infructueux, le paragraphe 14 du code de bonnes pratiques de 2009 autorise la Commission à déclarer que la phase de prénotification est close. Or, la Commission n’a pas procédé de la sorte, ce qui démontre qu’elle n’a pas considéré que l’État membre concerné ne coopérait pas ou que les contacts étaient infructueux.

86      Il s’ensuit que la durée particulièrement longue de la procédure administrative, qu’elle soit prise en compte à partir du dépôt de la plainte de 2016 jusqu’à l’adoption de la décision attaquée, ou qu’elle soit limitée à la seule phase de prénotification, constitue un indice objectif des difficultés sérieuses que la Commission a rencontrées lors de l’examen du régime en cause.

87      Cela étant, il convient de rappeler que, si la durée de l’examen préliminaire peut constituer un indice de l’existence de difficultés sérieuses, elle ne suffit pas en soi à démontrer l’existence de telles difficultés (arrêt du 24 janvier 2013, 3F/Commission, C‑646/11 P, non publié, EU:C:2013:36, point 32). Ce n’est que s’il est conforté par d’autres éléments que l’écoulement d’un délai peut conduire à constater que la Commission a rencontré des difficultés sérieuses exigeant que soit ouverte la procédure prévue par l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2014, Ryanair/Commission, T‑512/11, non publié, EU:T:2014:989, point 75).

88      En second lieu, il convient donc d’examiner si les circonstances entourant l’adoption de la décision attaquée constituent également un indice de l’existence de doutes quant à la compatibilité du régime d’aide SER avec le marché intérieur.

89      Selon les requérantes, ces circonstances tiendraient, premièrement, au fait que la Commission ait reçu deux plaintes, lesquelles étaient « le moteur et le catalyseur » de la procédure d’examen dudit régime, deuxièmement, au nombre significatif d’échanges et de réunions entre la Commission, les plaignantes et les autorités lituaniennes et, troisièmement, à la teneur des échanges entre la Commission et lesdites autorités, lesquels démontreraient que la Commission éprouvait des doutes à plusieurs égards quant à la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur.

90      La Commission rétorque que les circonstances invoquées par les requérantes ne permettent pas de prouver l’existence de doutes justifiant l’ouverture d’une procédure formelle d’examen. D’une part, le simple fait que la Commission ait été saisie de plaintes ne signifie pas automatiquement qu’elle doit avoir de doutes. D’autre part, l’objectif des renseignements demandés par la Commission serait de s’assurer qu’elle dispose de toutes les informations nécessaires pour effectuer son examen. En l’espèce, les demandes de renseignements, au nombre de quatre, ne sauraient être considérées comme excessives. Par ailleurs, la réunion entre la Commission et le ministre lituanien chargé de l’énergie aurait eu pour objectif de clarifier le contexte plus large dans lequel s’inscrivait le régime d’aide en cause.

91      La République de Lituanie soutient l’ensemble des arguments de la Commission. Elle fait valoir, en particulier, que, en vertu du principe de coopération loyale, les contacts informels entre la Commission et les États membres ne peuvent pas être limités. L’objectif de tels contacts informels serait que la Commission et l’État membre s’entraident dans l’exécution de l’obligation, imposée par l’article 108, paragraphe 3, TFUE, de rendre compatible la mesure d’aide. Cette coopération permettrait de discuter de manière informelle d’aspects juridiques et économiques de l’aide et d’améliorer ainsi la qualité et l’exhaustivité des notifications. Tant l’État membre que la Commission auraient un intérêt à ce que la notification initiale soit exhaustive et de qualité.

92      À cet égard, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, quand bien même des plaintes provenant de parties tierces peuvent constituer des indices de l’existence de difficultés sérieuses, leur pertinence dépend étroitement des éléments de preuves contenus dans ces plaintes, et non du simple fait que des observations aient été transmises (voir arrêt du 9 décembre 2014, Netherlands Maritime Technology Association/Commission, T‑140/13, non publié, EU:T:2014:1029, point 58 et jurisprudence citée).

93      En outre, le seul fait que des discussions se soient instaurées entre la Commission et l’État membre intéressé durant la phase d’examen préliminaire et que, dans ce cadre, des informations complémentaires aient pu être demandées par la Commission sur les mesures soumises à son contrôle ne peut pas, en soi, être considéré comme un indice de ce que cette institution se trouvait face à des difficultés sérieuses d’appréciation. Toutefois, il ne saurait être exclu que la teneur des discussions engagées entre la Commission et l’État membre notifiant durant cette phase de la procédure puisse, dans certaines circonstances, révéler l’existence de telles difficultés. De plus, un nombre élevé de demandes d’information adressées à l’État membre notifiant par la Commission peut, associé à la durée de l’examen préliminaire, constituer un indice de difficultés sérieuses (voir, en ce sens, arrêts du 9 décembre 2014, Netherlands Maritime Technology Association/Commission, T‑140/13, non publié, EU:T:2014:1029, points 73 et 74, et du 8 janvier 2015, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, T‑58/13, non publié, EU:T:2015:1, point 47).

94      Compte tenu de la jurisprudence rappelée aux points 92 et 93 ci-dessus, il convient d’examiner si, d’une part, la teneur des plaintes ainsi que celle des échanges consécutifs entre les plaignantes et la Commission et, d’autre part, le nombre de demandes d’information adressées aux autorités lituaniennes et la teneur des discussions engagées entre ces dernières et la Commission révèlent l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû amener la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen.

95      Premièrement, s’agissant de la teneur des plaintes et des échanges entre les plaignantes et la Commission, force est de constater que ceux-ci font apparaître une certaine complexité du cadre juridique régissant le soutien étatique au secteur de l’électricité en Lituanie, caractérisé par diverses mesures et par différentes catégories de bénéficiaires, dont le régime d’aide SER ne constitue que l’une des facettes.

96      Ainsi, la plainte de 2016 dénonçait plusieurs mesures instaurées sous l’empire de la Lietuvos Respublikos Elektros energetikos įstatymas Nr. VIII-1881 (loi no VIII-1881 sur l’électricité), du 20 juillet 2000 (Žin., 2004, no 66-1984, ci-après la « loi sur l’électricité »), pour soutenir des SIPE, tels que définis par le cadre juridique national. Les plaignantes avaient répertorié dans cette plainte dix activités différentes relevant du secteur de l’électricité, financées en tant que SIPE par le biais du prélèvement SIPE. En outre, elles ont indiqué que la liste des bénéficiaires de l’aide en cause était extensive, de sorte qu’elles n’étaient pas en mesure de fournir une liste exhaustive de ceux-ci, tout en indiquant qu’il existait, selon elles, huit catégories de bénéficiaires, dont l’une était constituée des producteurs SER.

97      Dans la plainte complémentaire de 2017, les plaignantes ont présenté des informations relatives à des aides supposément accordées par la République de Lituanie sous la forme, tout d’abord, d’une compensation pour les prestataires des SIPE conformément à l’article 74 de la loi sur l’électricité, dont notamment une prime d’achat ou un tarif d’achat pour les producteurs SER, ensuite, d’exemptions à l’obligation de payer le prélèvement SIPE en faveur de certains opérateurs du marché de l’énergie conformément aux articles 20 et 21 du décret 916 relatif aux SIPE et, enfin, d’une aide accordée aux producteurs SER en vertu des articles 40 à 42 de la loi relative aux SER. Il ressort ainsi d’une lecture globale de cette plainte que les plaignantes dénonçaient des formes parallèles d’aide octroyées notamment aux producteurs SER : d’une part, l’article 74 de la loi sur l’électricité et l’article 20 de la loi relative aux SER instauraient une prime d’achat et un tarif d’achat au profit des producteurs SER, en tant que prestataires de SIPE, et, d’autre part, les articles 41 et suivants de la loi relative aux SER établissaient les modalités de financement des projets en matière d’énergies renouvelables dans le cadre du programme national pour le développement des SER et des programmes municipaux.

98      Il ressort du dossier devant le Tribunal que, à la suite de la communication desdites plaintes aux autorités lituaniennes, ces dernières ont porté à l’attention de la Commission des propositions de modifications dans le but de répondre à certaines préoccupations soulevées dans les plaintes. En outre, le 15 mai 2017, une réunion entre la Commission et les plaignantes (voir point 4 ci-dessus) a eu lieu au sujet desdites propositions. Une des propositions visait, selon un mémorandum daté du 30 mai 2017, établi par les plaignantes à la suite de cette réunion et dont la véracité n’est pas contestée, à « abolir le soutien étatique actuellement envisagé pour les SER », à ne pas accorder de soutien supplémentaire à la prime d’achat et au tarif d’achat pour les producteurs SER et à remplacer ce régime en mettant en œuvre un « nouveau régime qui serait en conformité avec le droit de l’Union ». Les plaignantes ont néanmoins émis des réserves quant à ces propositions, ainsi qu’il ressort du même mémorandum.

99      Le 15 janvier 2018, les plaignantes ont adressé une nouvelle lettre à la Commission dans laquelle elles exprimaient leurs préoccupations quant à l’absence de communication concernant le traitement de leurs plaintes et présentaient des informations complémentaires concernant certains développements dans le secteur de l’électricité en Lituanie. À la suite de cette lettre, une nouvelle réunion a été organisée entre les plaignantes et la Commission, le 21 février 2018, lors de laquelle les plaignantes ont fait valoir, en outre, que le mode de financement du régime d’aide SER était discriminatoire, ainsi qu’il ressort du compte rendu de cette réunion, dressé par les services de la Commission.

100    Il ressort dudit compte rendu, en outre, que l’instruction des plaintes était toujours en cours à ce moment-là et que la Commission ne pouvait pas donner de retour d’information à leur égard avant l’été de l’année en cause. La Commission a également indiqué aux plaignantes que, « en ce qui concern[ait] le financement de ces différentes [SIPE], [son] enquête n’[étai]t pas encore très avancée et [qu’elle] en discuter[ait] plus avant avec [la République de Lituanie] ».

101    Ainsi, le nombre et la teneur des questions soulevées dans les plaintes et des échanges subséquents entre la Commission et les plaignantes, la circonstance que celles-ci ont amené les autorités lituaniennes à envisager certaines propositions visant à modifier les mesures en cause afin de répondre aux préoccupations soulevées, le fait, d’une part, que ces propositions étaient communiquées pour avis aux plaignantes et, d’autre part, que deux réunions ont été organisées avec elles suggère que la compatibilité du régime d’aide SER avec le marché intérieur soulevait des interrogations pouvant être considérées comme des sources de difficultés.

102    Deuxièmement, en ce qui concerne les demandes d’information adressées par la Commission aux autorités lituaniennes avant la notification du régime d’aide SER, il y a lieu de relever que la Commission a envoyé quatre demandes d’information auxdites autorités, les 15 mars, 8 mai, 10 juillet et 24 octobre 2018, auxquelles ces dernières ont répondu par lettres respectivement du 10 avril, du 31 mai, du 24 août et du 12 novembre 2018. La Commission a, en outre, tenu plusieurs réunions avec elles, à savoir les 3 mai et 4 juillet 2018. Il ressort également du dossier que, le 20 avril 2017, le ministre chargé de l’énergie de la République de Lituanie a envoyé une lettre au membre de la Commission chargé de la concurrence, faisant suite à une réunion entre la Commission et la République de Lituanie du 9 mars 2017, au sujet des « services d’intérêt public dans le secteur de l’électricité en Lituanie », au cours de laquelle des questions liées à la « prénotification » avaient été discutées.

103    Quant à la teneur des discussions engagées entre la Commission et les autorités lituaniennes au cours de la phase de prénotification, si de tels contacts ne sont pas interdits notamment afin de clarifier des questions techniques concernant un projet de notification, mais plutôt encouragés par la Commission, ils présentent toutefois, en l’espèce, certaines caractéristiques qui mettent en exergue la complexité du régime d’aide SER et les difficultés que la Commission a rencontrées lors de l’examen de ce régime.

104    Tout d’abord, les demandes de renseignements (voir point 102 ci‑dessus) exposent une longue liste de questions, certaines complexes, concernant plusieurs aspects du régime d’aide en cause, comme le calcul des montants de l’aide et la possibilité de cumuler le soutien faisant l’objet du régime d’aide SER avec d’autres mesures d’aide, une série de questions relatives à l’application des exemptions au prélèvement SIPE et le fonctionnement des fonds destinés aux SIPE.

105    De surcroît, ainsi que le font valoir à juste titre les requérantes, la Commission a réitéré certaines desdites questions dans ses demandes de renseignements ultérieures, ce qui est également révélateur des difficultés auxquelles elle a pu faire face pour appréhender le cadre juridique national applicable. Les exemples suivants en témoignent. Ainsi, les exemptions au prélèvement SIPE, prévues par le décret 916 relatif aux SIPE, ont fait l’objet de plusieurs questions et de plusieurs demandes d’information concernant leur champ d’application et la possibilité de cumul avec d’autres types de soutien (questions 5 et 6 à la page 10 de la demande du 15 mars 2018, questions 4 et 6 à la page 14 de la demande du 8 mai 2018 et question 2.c. à la page 18 de la demande du 10 juillet 2018). Dans sa quatrième demande d’information, du 24 octobre 2018, soit quelques jours avant la date de la notification formelle, la Commission a indiqué que demeurait ouverte la question de l’application des exemptions au prélèvement SIPE au profit des producteurs SER, ce qui l’a amenée à interroger, une nouvelle fois, les autorités lituaniennes à cet égard en leur demandant des données concrètes sur les producteurs SER qui avaient reçu une aide en vertu du régime d’aide SER et avaient simultanément bénéficié de certaines de ces exemptions.

106    Ensuite, dans sa demande de renseignements du 10 juillet 2018, la Commission a soulevé la question d’une « discrimination potentielle » à l’encontre de l’électricité importée dont la consommation en Lituanie était également visée par le prélèvement SIPE et, dès lors, de la conformité de cet aspect du régime d’aide SER avec les articles 30 et 110 TFUE. La Commission a demandé, en outre, aux autorités lituaniennes d’expliquer quelle mesure elles envisageaient de mettre en place pour remédier à cette discrimination potentielle. Dans sa dernière demande de renseignements, du 24 octobre 2018, la Commission indiquait notamment que, « [a]u terme d’une analyse préliminaire, […] la principale question qui demeur[ait] [étai]t la conformité [du régime d’aide SER avec les] articles 30 et 110 TFUE ». Elle y a exprimé des doutes quant à la méthode du calcul du volume de l’électricité discriminée proposée par les autorités lituaniennes et quant à la mesure envisagée par ces dernières pour remédier à cette discrimination.

107    D’une part, ces circonstances indiquent que les échanges en cause ne portaient pas exclusivement sur des informations d’ordre factuel ou technique, ayant pour but de permettre à l’État membre de préparer une notification complète, mais contenaient des éléments d’appréciation du régime d’aide en cause qui faisaient apparaître certains doutes que la Commission éprouvait à cet égard.

108    D’autre part, ces circonstances suggèrent que certains des doutes que la Commission éprouvait au début de l’examen préliminaire de la mesure d’aide en cause n’ont pas pu être dissipés à la suite des réponses fournies par les autorités lituaniennes, mais persistaient à la fin de la phase de prénotification.

109    Certes, n’est pas considéré par la jurisprudence comme étant révélateur de difficultés sérieuses le fait que plusieurs questions posées dans les demandes d’information laissent entrevoir les doutes que semblait éprouver la Commission à l’égard de la mesure notifiée au regard des dispositions relatives aux aides d’État, dès lors que ces doutes ont pu être dissipés à la suite des réponses de l’État membre auxdites demandes (voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 2013, Orange/Commission, T‑258/10, non publié, EU:T:2013:471, point 78).

110    Toutefois, en l’espèce, il y a lieu de constater que, le 24 octobre 2018, soit moins d’un mois avant la notification du régime d’aide SER par la République de Lituanie, la Commission entretenait encore des doutes notamment en ce qui concernait les exemptions au prélèvement SIPE et la compatibilité dudit régime avec les articles 30 et 110 TFUE. Or, à la suite de la notification formelle de ce régime, la Commission n’a adressé aucune autre demande de renseignements aux autorités lituaniennes. Aucun élément du dossier ne suggère non plus que, à la suite de cette notification, la Commission et les autorités lituaniennes se soient entretenues au sujet dudit régime afin de surmonter les doutes qui persistaient avant la notification formelle.

111    Cela étant, conformément à la jurisprudence citée au point 46 ci‑dessus, la question de savoir si ces doutes auraient pu être objectivement dissipés à la suite de la notification formelle du régime d’aide SER ne peut être analysée qu’à l’aune des indices se rapportant au contenu de la décision attaquée, lesquels sont examinés ci-après.

112    Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal considère que le nombre d’échanges entre les services de la Commission, les plaignantes et les autorités lituaniennes ainsi que la teneur de ces échanges font apparaître des difficultés sérieuses rencontrées par la Commission lors de l’examen du régime d’aide SER.

113    Pris conjointement avec la durée particulièrement longue de la procédure administrative, ces circonstances constituent des indices objectifs et concordants des doutes que la Commission aurait dû éprouver lors de l’examen du régime d’aide SER.

114    Cela étant, il appartient au Tribunal d’apprécier dans son ensemble le faisceau d’indices avancé par les requérantes afin d’établir si ces indices sont confortés ou infirmés par d’autres éléments se rapportant au contenu de la décision attaquée.

3.      Sur les indices relatifs au contenu de la décision attaquée  

115    Les requérantes font valoir cinq indices relatifs au contenu de la décision attaquée démontrant, selon elles, un examen incomplet du régime d’aide SER et l’existence de difficultés sérieuses quant à la compatibilité de ce régime avec le marché intérieur.

a)      Sur l’indice relatif à l’examen incomplet et erroné du cadre juridique national pertinent et à l’identification erronée d’« un régime d’aide SER » et d’un « prélèvement SER » autonomes

116    Selon les requérantes, la Commission a considéré à tort que le régime d’aide SER était financé par un soi-disant « prélèvement SER » et que ce régime constituait un régime de soutien autonome. Contrairement à ce qu’aurait constaté la Commission dans la décision attaquée, un « prélèvement SER » n’existerait pas, pas plus qu’un régime d’aide SER autonome. En effet, ledit régime ne serait qu’un fragment du « régime des SIPE », financé par un prélèvement SIPE, plus large que le « prélèvement SER », ce dernier n’existant pas en tant que tel. Le régime d’aide SER aurait été établi sous la forme d’une compensation pour des obligations de service public en vertu de la loi sur l’électricité, cette dernière n’étant même pas mentionnée par la Commission dans la décision attaquée. Sur cette base, le décret 916 relatif aux SIPE et le décret 1157 relatif aux fonds destinés aux SIPE mettraient en œuvre le mécanisme de financement de ce régime par le biais d’un prélèvement SIPE récolté dans les fonds destinés aux SIPE, lequel vise le soutien de tous les prestataires de SIPE identifiés dans la loi sur l’électricité. Or, la Commission aurait ignoré le lien intrinsèque entre le régime d’aide SER et le « régime des SIPE ».

117    La Commission, soutenue par la République de Lituanie, souligne que la notification portait sur le régime d’aide SER. Ce régime aurait été fondé sur la loi relative aux SER, suivant laquelle les producteurs SER bénéficient d’une prime d’achat ou du tarif d’achat. Ainsi, la Commission aurait décidé d’examiner le régime d’aide en cause de façon autonome, sans préjudice de l’appréciation des autres mesures d’aide financées par les fonds destinés aux SIPE. Selon la Commission, la décision attaquée ne présenterait pas le « prélèvement SER » comme une méthode de financement distincte du régime d’aide SER, mais se concentrerait sur ce prélèvement dans le cadre du prélèvement SIPE, qui finance également d’autres mesures d’aide dans le secteur énergétique en Lituanie. Or, la décision attaquée n’examinant que le régime d’aide SER, la partie du prélèvement SIPE destinée, en définitive, au financement de la prime d’achat et des tarifs d’achat aurait été « rebaptisée », dans la décision attaquée, « prélèvement SER ».

118    Premièrement, il y a lieu de relever que le régime d’aide SER fait partie d’un régime plus large ayant pour objet le soutien des SIPE (ci-après le « régime SIPE »). Le régime SIPE englobe plusieurs mécanismes de soutien étatique de différentes activités dans le secteur énergétique lituanien, poursuivant des objectifs différents et au profit de bénéficiaires différents.

119    Le régime SIPE (dans ses différentes facettes) est amplement décrit dans l’arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a. (C‑706/17, EU:C:2019:407), et ses caractéristiques principales peuvent être résumées comme suit.

120    La loi sur l’électricité définit l’« intérêt public dans le secteur de l’électricité » comme une action ou une omission dans ce secteur directement ou indirectement liée à la sécurité de l’État dans le domaine de l’énergie ou de la sécurité publique, à la sécurité du fonctionnement du réseau électrique, à la réduction de l’impact négatif dudit secteur sur l’environnement, à la diversification des sources d’énergie et aux autres objectifs de développement durable du même secteur prévus par cette loi. Le gouvernement lituanien, ou l’autorité que celui-ci habilite, dresse la liste des SIPE et définit les prestataires et les modalités de prestation desdits services. Le décret 916 relatif aux SIPE, adopté en application de cette loi, dispose, aux points 7 à 7.6 de la description annexée à celui-ci, que figurent au nombre des SIPE les activités économiques relevant du secteur énergétique suivantes : 

« 7.1      la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables et son équilibrage ;

7.2      la production d’électricité par cogénération dans des centrales à cycle combiné d’électricité et de chaleur, lorsque ces centrales fournissent la chaleur dans les systèmes de chauffage et que la quantité d’énergie primaire que la cogénération de chaleur et d’électricité économise est réputée efficace ;

7.3      la production de centrales électriques désignées, destinée à assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité ;

7.4      le maintien des réserves de capacité de centrales électriques désignées, dont l’activité est nécessaire pour assurer la sécurité énergétique nationale ;

7.5      le développement de capacités de production d’électricité revêtant une importance stratégique pour garantir la sécurité et la fiabilité du réseau énergétique ou l’indépendance énergétique de l’État ;

7.6      la mise en œuvre de projets stratégiques du secteur de l’électricité visant à accroître la sécurité énergétique en créant des interconnexions avec les réseaux électriques d’autres États et (ou) en raccordant le réseau électrique lituanien à ceux d’autres États membres. »

121    Selon les points 8 à 8.3 de la description annexée au décret 916 relatif aux SIPE, les SIPE sont fournis notamment par les producteurs SER, « les producteurs chargés par l’État de fournir les services d’intérêt public visés aux points 7.2 à 7.4 de la [description annexée et] les personnes désignées dans la stratégie nationale d’indépendance énergétique, son plan ou ses programmes de mise en œuvre et (ou) des décisions gouvernementales, afin qu’elles fournissent les services d’intérêt public visés aux points 7.5 et 7.6 de la [description annexée] ».

122    Les caractéristiques du régime SIPE sont les suivantes. Les consommateurs finals se voient imposer l’obligation de payer aux ORT et aux ORD une contribution, qui est intégrée au tarif de l’électricité et qui augmente le prix de celle-ci, et dont la CNCPE fixe le montant au kilowattheure consommé. Les sommes ainsi collectées par les ORT et les ORD sont versées au gestionnaire des fonds destinés aux SIPE. À partir de ces sommes, le gestionnaire des fonds destinés aux SIPE est tenu de calculer les fonds destinés aux SIPE et de les répartir entre les différents prestataires de SIPE, après déduction d’un montant couvrant ses frais de fonctionnement.

123    Quant aux bénéficiaires du régime SIPE, la Cour a identifié plusieurs catégories, à savoir l’entreprise qui réalise le projet d’importance stratégique NordBalt, des entreprises auxquelles est confiée la sécurité d’approvisionnement en électricité pour une période spécifique, des exploitants de centrales à énergie solaire concernés par le refus de l’État d’exécuter ses engagements, qui sont indemnisés des pertes réellement encourues et correspondant aux conditions de marché, et des ORT et des ORD, en raison de la compensation des pertes réellement subies lors de l’exécution de l’obligation d’acheter l’électricité auprès des producteurs d’électricité fournissant les SIPE à un tarif fixe et d’équilibrer celle-ci.

124    Les fonds destinés aux SIPE sont ensuite répartis parmi les différents prestataires de SIPE, dont les producteurs SER, qui en sont des « bénéficiaires indirects » (voir, en ce sens, arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 77).

125    Il s’ensuit, en substance, qu’une partie de ces fonds est consacrée, en définitive, au paiement de la différence entre la prime d’achat ou le tarif d’achat et le prix de marché, au profit des prestataires des SER, tandis que d’autres parties de ces fonds sont destinées aux autres prestataires de SIPE.

126    Il ressort donc de ce qui précède que, comme le soutiennent à juste titre les requérantes, il n’existe pas, selon le droit national applicable, de « prélèvement SER », contrairement à ce qu’a constaté la Commission dans la décision attaquée (paragraphes 28, 29, 33, 34, 44, point 3.1.1.1, paragraphes 63 à 67, 70 à 72, note en bas de page 25, paragraphes 77, 78, 81, 113, 114 et 121), mais uniquement un prélèvement SIPE, imposé sur la consommation d’électricité, versé aux fonds destinés aux SIPE. C’est donc le prélèvement SIPE, et non le « prélèvement SER » mentionné dans la décision attaquée, qui est régi par le décret 916 relatif aux SIPE et le décret 1157 relatif aux fonds destinés aux SIPE.

127    Ce que la Commission décrit, dans la décision attaquée, comme un « prélèvement SER » se rapporte, en réalité, à la partie du prélèvement SIPE attribuée, en définitive, aux producteurs SER, en tant que prestataires de SIPE au sens du droit national, et correspondant à la prime d’achat ou au tarif d’achat.

128    De même, les requérantes ont raison de soutenir que le régime d’aide SER s’inscrit dans le contexte du régime plus vaste des SIPE, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a. (C‑706/17, EU:C:2019:407).

129    La Commission a reconnu que cette description du droit national applicable était correcte tant dans la duplique que dans ses réponses aux questions qui lui ont été posées à cet égard lors de l’audience. Elle explique cependant qu’elle aurait « rebaptisé », aux fins de la décision attaquée, « prélèvement SER » la partie du prélèvement SIPE destinée, en définitive, au financement de la prime d’achat et du tarif d’achat.

130    Toutefois, il y a lieu de relever que la décision attaquée ne fait mention ni du prélèvement SIPE, tel qu’il existe en droit national, ni du rapport entre ce prélèvement et la partie de celui-ci que la Commission aurait qualifié de « prélèvement SER ». En effet, dans la décision attaquée, la Commission se réfère exclusivement à un « prélèvement SER », lequel n’existe pourtant pas en droit national.

131    Or, en expliquant, pour la première fois devant le Tribunal, le rapport entre ce qu’elle appelle, dans la décision attaquée, le « prélèvement SER » et le prélèvement SIPE, la Commission cherche, en réalité, à compléter la motivation de la décision attaquée en cours d’instance. Pourtant, conformément à une jurisprudence constante, la motivation d’une décision doit figurer dans le corps même de celle-ci et des explications postérieures fournies par la Commission ne sauraient, sauf circonstances exceptionnelles, être prises en compte. Il s’ensuit que la décision doit se suffire à elle-même et sa motivation ne saurait résulter des explications écrites ou orales données ultérieurement, alors que la décision en question fait déjà l’objet d’un recours devant le juge de l’Union (voir arrêt du 28 janvier 2016, Slovénie/Commission, T‑507/12, non publié, EU:T:2016:35, point 53 et jurisprudence citée).

132    Deuxièmement, la décision attaquée ne fait pas non plus état, de façon complète et suffisante, du cadre juridique national sur lequel se fonde le régime d’aide SER. Ainsi, la décision attaquée ne fait aucune référence aux liens existant entre le régime d’aide SER et le régime SIPE, dont ce premier fait partie. L’unique allusion à cet égard figure au paragraphe 28 de la décision attaquée, auquel la Commission se borne à indiquer que le « prélèvement SER est collecté dans un fonds dédié au financement de diverses politiques énergétiques ». De même, la loi sur l’électricité, sur le fondement de laquelle la production d’électricité à partir de SER est définie en tant que SIPE (voir point 120 ci-dessus), n’est pas non plus mentionnée dans la décision attaquée. Or, l’ensemble de ces éléments a été porté à l’attention de la Commission, ainsi qu’il ressort notamment de la teneur des plaintes.

133    Troisièmement, l’analyse incomplète et insuffisante du cadre juridique national sur lequel se fondent le régime d’aide SER et le mode de financement de celui-ci, par le biais du prélèvement SIPE, est susceptible d’avoir des répercussions sur plusieurs aspects de la décision attaquée. Ainsi, à titre d’exemple, les exemptions examinées dans la décision attaquée, que la Commission a décrites comme des exemptions « au prélèvement SER », sont, en réalité, des exemptions au prélèvement SIPE. De telles incohérences sont susceptibles de fausser le fondement même de l’analyse effectuée, dans la mesure où la compréhension correcte du régime d’aide en cause, tel qu’instauré selon le droit national applicable, constitue une prémisse indispensable à tout examen de la compatibilité de ce régime avec le marché intérieur.

134    Certes, rien n’oblige la Commission à examiner, dans une seule et même décision, les diverses mesures de soutien étatique au secteur énergétique lituanien. La Commission peut ainsi, le cas échéant, décider d’examiner séparément l’une de ces mesures, à condition toutefois qu’un tel examen repose sur une compréhension correcte et complète du cadre juridique national qui la régit, pour la raison exposée au point 133 ci-dessus. Or, il résulte de ce qui précède que la décision attaquée ne répond pas à cette condition.

135    Par conséquent, la décision attaquée repose, en partie, sur un examen incomplet et insuffisant du cadre juridique national pertinent. Or, selon la jurisprudence, le contenu partiellement incomplet et insuffisant de la décision attaquée peut attester que la Commission a pris la décision attaquée malgré l’existence de difficultés sérieuses (voir, en ce sens, arrêt du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission, T‑388/03, EU:T:2009:30, point 118).

b)      Sur l’indice relatif à l’absence d’examen d’une éventuelle aide à l’investissement aux producteurs SER

136    Les requérantes maintiennent que la Commission a omis d’examiner l’existence d’une aide à l’investissement accordée aux producteurs SER en vertu des articles 41 et suivants de la loi relative aux SER, bien que ladite aide eût été dénoncée dans la plainte complémentaire de 2017. La Commission aurait ainsi indûment limité son examen à l’aide au fonctionnement des producteurs SER, ne mentionnant l’aide à l’investissement que pour exclure la possibilité de cumul entre les deux types d’aide, sans examiner si une telle aide à l’investissement existait ni si elle était légale et compatible avec le marché intérieur .

137    La Commission, soutenue par la République de Lituanie, fait valoir que les requérantes ne décrivent pas l’aide à l’investissement à laquelle elles se réfèrent et n’ont fourni dans la plainte complémentaire de 2017 aucun élément lui permettant d’effectuer une appréciation à cet égard. En outre, aucune aide à l’investissement au profit des producteurs SER n’aurait été notifiée à la Commission. Dans ces circonstances, il aurait suffi de vérifier, dans la décision attaquée, s’il était possible de cumuler le régime d’aide SER examiné, en tant qu’aide au fonctionnement, avec une éventuelle aide à l’investissement destinée aux mêmes producteurs.

138    En premier lieu, il convient de relever, ainsi qu’il a été constaté au point 97 ci-dessus, que, dans la plainte complémentaire de 2017, les requérantes avaient dénoncé plusieurs formes d’aide potentiellement applicables aux producteurs SER. Ainsi, elles ont notamment dénoncé, premièrement, une mesure d’aide sous forme d’une prime d’achat ou d’un tarif d’achat, octroyée aux producteurs SER en vertu de l’article 74 de la loi sur l’électricité et de l’article 20 de la loi relative aux SER, deuxièmement, des mesures d’aide sous forme d’exemptions, dont certaines ne profitaient qu’aux producteurs-consommateurs SER et, troisièmement, des mesures d’aide accordées conformément aux articles 40 à 42 de la loi relative aux SER, ayant pour objet le financement de projets en matière d’énergies renouvelables dans le cadre du programme national pour le développement des SER et des programmes municipaux. À ce dernier égard, les requérantes ont fait valoir que les bénéficiaires des mesures prévues par ledit programme étaient des producteurs SER qui réalisaient des projets énergétiques inclus dans les catégories établies par l’article 42 de la loi relative aux SER. Les requérantes ont explicitement fait référence à cette troisième forme d’aide aux producteurs SER à maintes reprises dans la plainte complémentaire de 2017.

139    S’agissant du reproche que fait la Commission aux requérantes de ne pas avoir décrit en détail, dans ladite plainte, les mesures instituées en vertu des articles 40 à 42 de la loi relative aux SER, d’une part, il suffit de relever que les requérantes y ont clairement dénoncé l’existence desdites mesures, en indiquant leur base juridique, et ce à plusieurs reprises. D’autre part, si la Commission estimait ne pas disposer de toutes les informations nécessaires à cet égard, elle était habilitée à demander de telles informations auprès des autorités lituaniennes, conformément à la jurisprudence citée au point 45 ci-dessus.

140    Il ressort également du dossier que la Commission était consciente de l’existence d’une éventuelle aide à l’investissement instituée en vertu des articles 40 à 42 de la loi relative aux SER au bénéfice des producteurs SER et a interrogé plusieurs fois à cet égard les autorités lituaniennes au cours de la procédure administrative. Ainsi, elle a posé, de manière répétée, des questions sur l’existence d’une éventuelle aide à l’investissement et sur le possible cumul entre celle-ci et l’aide au fonctionnement, dans le cadre de ses demandes de renseignement des 15 mars, 8 mai et 24 octobre 2018.

141    Il s’ensuit que les éventuelles aides instituées en vertu des articles 40 à 42 de la loi relative aux SER en faveur des producteurs SER ont été clairement dénoncées par les plaignantes, que la Commission en était consciente et qu’elle a interrogé à cet égard les autorités lituaniennes à plusieurs reprises.

142    En deuxième lieu, le fait, souligné par la Commission, que les mesures notifiées par les autorités lituaniennes ne comprenaient pas celles instituées en vertu des articles 40 à 42 de la loi relative aux SER ne dispensait pas la Commission de son obligation d’examiner celles-ci de manière diligente et impartiale, étant donné qu’elles avaient été portées à sa connaissance et qu’elles étaient expressément prévues dans le libellé même de la loi relative aux SER. En effet, la Commission est tenue, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité FUE relatives aux aides d’État, de conduire la procédure d’examen de manière diligente et impartiale, afin qu’elle dispose, lors de l’adoption de la décision finale, des éléments les plus complets et fiables possibles pour ce faire (arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 90).

143    Or, en troisième lieu, le Tribunal constate que la Commission n’a aucunement examiné l’existence et la compatibilité avec le marché intérieur d’une éventuelle aide à l’investissement au titre des articles 40 à 42 de la loi relative aux SER. D’une part, elle s’est bornée à constater à cet égard, aux paragraphes 51 et 52 de la décision attaquée, que, selon les explications des autorités lituaniennes, lesdits articles de la loi relative aux SER prévoyaient la « simple possibilité » d’accorder un soutien pour les énergies renouvelables. Elle n’a pourtant pas examiné si cette « possibilité », prévue par la loi, avait été mise en œuvre, si elle était susceptible de constituer une aide d’État et, dans l’affirmative, si elle était compatible avec le marché intérieur.

144    D’autre part, la Commission ne se réfère aux articles 40 à 42 de la loi relative aux SER que pour affirmer, au paragraphe 122 de la décision attaquée, que, selon les autorités lituaniennes, les producteurs SER bénéficiant d’une aide « au titre du régime notifié » ne pouvaient pas recevoir d’aide par le biais des autres mesures prévues dans le « programme national pour le développement des sources d’énergie renouvelables ». Toutefois, comme le font valoir les requérantes, le fait, à le supposer avéré, que le cumul entre l’aide au fonctionnement et l’aide à l’investissement ne soit pas possible selon le droit national applicable n’est qu’un aspect de l’examen de la compatibilité avec le marché intérieur des mesures de soutien étatique aux producteurs SER que la Commission devait effectuer. Or, aucun élément de la décision attaquée ne fait apparaître que la Commission se soit penchée sur la question de savoir si une telle aide à l’investissement était octroyée à certains producteurs SER, si celle-ci constituait une aide d’État et si elle était compatible avec le marché intérieur.

145    En quatrième lieu, étant donné que la Commission a décidé de fusionner, dans une seule et même procédure, l’examen des plaintes avec celui de la mesure d’aide telle que notifiée par les autorités lituaniennes, il appartenait à la Commission de distinguer clairement, dans la décision attaquée, les aspects des plaintes qui font l’objet de ladite décision de ceux qui n’en font pas partie et qui seraient examinés à un stade ultérieur.

146    Or, la décision attaquée est ambiguë à cet égard. En effet, au paragraphe 40 de la décision attaquée, la Commission indique que ladite décision ne traite que les aspects des plaintes concernant le « soutien accordé aux producteurs SER » et que « les autres aspects de[s] plainte[s] seront présentés et examinés à un stade ultérieur ». Une telle formulation n’indique pas clairement si la Commission a considéré que les éventuelles aides à l’investissement en faveur des producteurs SER au titre des articles 40 à 42 de la loi relative au SER se rattachaient aux « autres aspects » des plaintes qui seraient examinés ultérieurement. Le fait que la Commission a mentionné les éventuelles aides au titre des articles 40 à 42 de la loi relative aux SER à plusieurs endroits de la décision attaquée (paragraphes 46, 51, 52, 89, 104 et 122), en tant qu’aide à l’investissement, y compris au point 3.5 de cette décision, consacré à la réponse de la Commission aux plaintes, pourrait suggérer qu’elle a également pris position sur l’aide à l’investissement dénoncée dans ces plaintes.

147    Interrogée à cet égard lors de l’audience, la Commission a indiqué que les éventuelles aides à l’investissement en faveur des producteurs SER ne faisaient actuellement l’objet d’aucune autre procédure, ce qui confirme que les « autres aspects » des plaintes, lesquels seraient examinés, selon la décision attaquée, « à un stade ultérieur », ne concernaient pas les éventuelles aides à l’investissement dénoncées dans ces plaintes. En effet, dans le cas contraire, les plaignantes pourraient s’attendre à ce que ces aides fassent l’objet d’une enquête séparée, ce qui n’est apparemment pas le cas. Il pourrait en être déduit que, par la décision attaquée, la Commission a considéré avoir épuisé son examen du soutien étatique accordé aux producteurs SER.

148    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas délimité de manière précise et non ambiguë l’étendue de son examen dans la décision attaquée, par laquelle elle a pris position tant sur les aspects des plaintes relatives au soutien étatique aux producteurs SER que sur la notification des autorités lituaniennes du régime d’aide SER. Cette circonstance ne peut que traduire un examen incomplet et insuffisant des mesures de soutien aux producteurs SER.

c)      Sur l’indice relatif aux exemptions au prélèvement finançant le régime d’aide SER

149    Les requérantes font valoir que la décision attaquée est entachée de contradictions et d’erreurs dans la mesure où, tout en limitant la portée de son examen à l’aide au fonctionnement accordée aux producteurs SER, la Commission aurait néanmoins examiné, en réalité, si toutes les exemptions au prélèvement SIPE, prévues dans le décret 916 relatif aux SIPE, constituaient des aides d’État, alors même que ces exemptions bénéficiaient à divers opérateurs sur le marché de l’électricité en Lituanie, et non uniquement aux producteurs SER. Cet examen serait incohérent. Tout d’abord, la Commission aurait méconnu le fait que, pour certaines exemptions, les bénéficiaires étaient exclusivement les producteurs SER, tandis que, pour d’autres, tel n’était pas le cas, la Commission avançant chaque fois des objectifs différents afin de justifier lesdites exemptions par la nature et l’économie du système. Ensuite, la Commission n’aurait pas non plus examiné les raisons de l’exclusion des producteurs SER « de grande taille » de la quatrième exemption décrite au point 19 ci-dessus. Enfin, la Commission aurait tenté de justifier certaines exemptions en faisant valoir qu’il n’y avait pas de cumul entre celles-ci et le soutien aux producteurs SER. Or, cette question ne serait pas pertinente aux fins de l’examen du caractère sélectif desdites exemptions.

150    La Commission, soutenue par la République de Lituanie, rétorque que, les exemptions prévues par le décret 916 relatif aux SIPE se rapportant au prélèvement qui finance les primes d’achat et le tarif d’achat, il était logique de les examiner dans la même décision que celle examinant le régime d’aide SER. Selon la Commission, la décision attaquée porte uniquement sur les exemptions de la « partie du prélèvement SIPE destinée à financer, au final, le soutien aux producteurs SER ». Ainsi, les autres exemptions qui pourraient se rapporter à d’autres parties du prélèvement SIPE, finançant d’autres mesures en vigueur, ne relèveraient pas du champ d’application de la décision attaquée. En outre, les exemptions en cause ne seraient pas sélectives, puisqu’elles seraient justifiées par la logique et l’économie du système de référence, défini comme le « prélèvement SER ».

151    Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les producteurs SER bénéficiaient d’un avantage correspondant à la prime d’achat ou au tarif d’achat et que cet avantage était sélectif, puisque, en tant que producteurs d’électricité, ceux-ci se trouvaient dans une situation factuelle et juridique comparable à celle d’autres producteurs d’électricité (paragraphe 60 de la décision attaquée).

152    Après avoir conclu au caractère sélectif du régime d’aide SER, la Commission a examiné les exemptions au « prélèvement SER » mentionnées au point 19 ci-dessus, en concluant que les quatre premières de ces exemptions ne constituaient pas des aides d’État, au motif qu’elles n’étaient pas sélectives, car elles étaient justifiées par la nature et l’économie du système de référence.

153    À cet égard, tout d’abord, la Commission a observé, au paragraphe 63 de la décision attaquée, que, selon le décret 916 relatif aux SIPE, le « prélèvement SER » était imposé aux consommateurs finals d’électricité sur la base de leur consommation d’électricité, y compris d’électricité produite à partir de SER. La Commission a conclu que le système de référence aux fins de l’examen de la sélectivité des exemptions en cause était « la collecte du “prélèvement SER” », dont l’objectif était le « soutien à la production d’électricité [SER]» (voir, notamment, paragraphes 11, 63 et 65 de la décision attaquée). Ensuite, la Commission a relevé que les exemptions en cause étaient prima facie sélectives, puisqu’elles prévoyaient des dérogations, au profit de « certains consommateurs d’électricité », à l’obligation de s’acquitter du « prélèvement SER », à l’exclusion d’autres, alors que tous les consommateurs d’électricité en Lituanie se trouveraient dans une situation comparable (paragraphes 63, 65 à 67 de la décision attaquée). Enfin, selon la Commission, lesdites exemptions étaient néanmoins justifiées par « la nature ou l’économie du système ». Par conséquent, les quatre premières exemptions énumérées au point 19 ci-dessus ne constituaient pas des aides d’État (paragraphes 81 et 121 de la décision attaquée). Quant à la cinquième exemption décrite au point 19 ci-dessus, la Commission a précisé que celle-ci a été considérée comme constituant une aide d’État compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE.

154    Selon une jurisprudence constante, la notion d’« aide » est plus générale que celle de « subvention », étant donné qu’elle comprend non seulement des prestations positives, telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions d’État qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, de ce fait, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity, C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:990, point 40 et jurisprudence citée).

155    Il en découle qu’une mesure par laquelle les autorités publiques accordent à certaines entreprises un traitement fiscal avantageux qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation financière plus favorable que les autres contribuables constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En revanche, des avantages résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques qui, partant, n’est pas sélective ne constituent pas des aides d’État au sens de l’article 107 TFUE (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity, C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:990, point 41).

156    Plus précisément, selon la méthode d’analyse consacrée dans la jurisprudence, la qualification d’une mesure fiscale avantageuse de « sélective » demande, dans un premier temps, l’identification et l’examen préalable du régime fiscal commun ou « normal » applicable [voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 57, et du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission, C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 88 et jurisprudence citée].

157    C’est eu égard à ce régime fiscal qu’il convient, dans un second temps, d’apprécier et, le cas échéant, d’établir l’éventuel caractère sélectif de l’avantage octroyé par la mesure fiscale en cause en démontrant que celle-ci déroge audit système « normal » en introduisant des différenciations entre opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif assigné au régime fiscal commun ou « normal » applicable, dans une situation factuelle et juridique comparable (voir, en ce sens, arrêts du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 49, et du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 57). En revanche, s’il apparaît que l’avantage fiscal, autrement dit la différenciation, se justifie par la nature et l’économie du système dans lequel il s’inscrit, il ne saurait constituer un avantage sélectif (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 52 ; du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 83, et du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, points 58 et 60).

158    Lorsqu’est mentionnée la nature du système « normal », c’est l’objectif assigné à celui-ci qui est visé, tandis que, lorsqu’est mentionnée l’économie du système « normal », ce sont ses règles d’imposition qui sont visées (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 81, et du 7 mars 2012, British Aggregates/Commission, T‑210/02 RENV, EU:T:2012:110, point 84).

159    En l’espèce, il n’est pas contesté que les exemptions en cause sont prima facie sélectives dans la mesure où elles exemptent de l’obligation du paiement du prélèvement SIPE certaines catégories de consommateurs et pas d’autres. Dans ces circonstances, selon la jurisprudence, il y a lieu d’examiner si ces exemptions résultent de « la nature et de l’économie du système de charges en cause ».

160    À cette fin, comme cela est relevé au point 153 ci-dessus, la Commission a défini le système de référence, au regard duquel la sélectivité desdites exemptions devait être appréciée, comme étant l’imposition du « prélèvement SER », dont l’objectif serait le « soutien de la production d’électricité [SER]».

161    Or, en premier lieu, ainsi qu’il a été constaté aux points 118 et 130 à 132 ci-dessus, il n’existe pas de « prélèvement SER » en droit national. Il existe un prélèvement SIPE, destiné au financement de toute une série de mesures de soutien aux divers investisseurs et opérateurs sur le marché de l’électricité en Lituanie. Les exemptions prévues par le décret 916 relatif aux SIPE sont ainsi des exemptions au profit de différentes catégories de consommateurs de l’obligation de s’acquitter du prélèvement SIPE. Certaines exemptions n’ont ainsi aucun rapport avec la consommation d’énergie SER et ne visent aucunement à la promotion ou au soutien de la production d’électricité à partir de SER.

162    Partant, force est de relever que la définition retenue par la Commission du système de référence au regard duquel il convenait d’examiner la sélectivité des exemptions en cause ne correspond pas au cadre réglementaire national instituant le prélèvement SIPE.

163    En deuxième lieu, lorsqu’elle a examiné la question de savoir si la différenciation introduite par lesdites exemptions résultait de la nature et de l’économie du système de référence, la Commission a défini de façon incohérente la nature et l’économie dudit système.

164    En effet, premièrement, en ce qui concerne l’exemption concernant la consommation d’électricité utilisée pour la production d’électricité [voir deuxième exemption mentionnée au point 19 ci-dessus et paragraphe 68 de la décision attaquée], il est constant que celle-ci bénéficie aux producteurs de tout type d’électricité, sans limitation, de sorte qu’elle ne vise pas la promotion de la consommation ou de la production d’énergie SER. La Commission ne pouvait donc pas conclure, sans éprouver des doutes, que cette exemption était justifiée par la nature et l’économie du système de référence, tel qu’elle l’a défini, dont l’objectif serait, selon la décision attaquée, le soutien à la production d’énergie SER.

165    Le fait, invoqué au paragraphe 68 de la décision attaquée, que cette exemption s’applique de façon non discriminatoire à « tous les producteurs d’électricité » corrobore ce qui précède.

166    En effet, il en ressort que la Commission a considéré que cette exemption, jugée par elle comme étant prima facie sélective, était justifiée, car elle n’opérait pas de discrimination entre les producteurs d’électricité, alors même que l’objectif du système de référence, tel que retenu par la Commission, vise uniquement la promotion d’électricité produite à partir de SER. Or, cette exemption profite également à la production d’énergie polluante, de sorte qu’elle ne peut pas être justifiée par la nature et l’économie du système de référence, défini par la Commission comme étant le soutien à la production d’énergie SER uniquement.

167    Par ailleurs, l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO 2003, L 283, p. 51), auquel fait référence la Commission au paragraphe 68 de la décision attaquée, prévoit, certes, que les États membres exonèrent de la taxation les produits énergétiques et l’électricité utilisés pour produire de l’électricité et l’électricité utilisée pour maintenir la capacité de produire de l’électricité. Toutefois, cette même disposition précise également que les États membres peuvent taxer ces produits « pour des raisons ayant trait à la protection de l’environnement ». Ainsi, si la nature et l’économie du système de référence défini par la Commission résident dans la promotion de l’énergie SER, cette exemption aurait dû être limitée logiquement à la consommation d’électricité utilisée pour la production d’électricité SER, en excluant ainsi les sources d’électricité polluantes.

168    Deuxièmement, il en va de même en ce qui concerne l’exemption concernant le volume d’électricité achetée par les ORT et les ORD pour compenser les pertes naturelles d’électricité à travers le réseau [voir troisième exemption mentionnée au point 19 ci-dessus et paragraphe 69 de la décision attaquée], laquelle n’a pas non plus de lien avec le soutien à la production d’électricité SER.

169    Troisièmement, s’agissant de l’exemption concernant spécifiquement l’électricité produite et consommée par les producteurs SER, il convient de relever qu’il s’agit, en réalité, de deux exemptions distinctes, comme l’a d’ailleurs admis la Commission lors de l’audience, à savoir, d’une part, l’exemption relative au volume d’électricité produite par les installations utilisant des SER et consommée pour les propres besoins de ces installations (c’est-à-dire les autoproducteurs SER) et, d’autre part, l’exemption relative au volume d’électricité mis en stockage virtuel par des producteurs SER de petite taille.

170    La Commission a considéré que ces deux exemptions étaient justifiées par la nature et l’économie du système, au motif qu’elles contribuaient à augmenter la consommation d’électricité produite à partir de SER, à la différence des autres consommateurs d’électricité (paragraphe 72 de la décision attaquée).

171    Si cette affirmation tend à démontrer que ces exemptions s’inscrivent effectivement dans la nature et l’économie du système de référence, tel que défini dans la décision attaquée, il n’en reste pas moins que l’examen de celles-ci n’est pas non plus dépourvu de difficultés, pour d’autres raisons.

172    En effet, d’une part, la Commission a observé, au paragraphe 71 de la décision attaquée, que l’avantage découlant de ces exemptions n’avait pas été cumulé « en réalité » avec la prime d’achat ou le tarif d’achat. Toutefois, comme le font valoir à juste titre les requérantes, la question d’un éventuel cumul est une question pertinente pour examiner la compatibilité de cette exemption avec le marché intérieur, et non aux fins de l’examen de la question de savoir si ces exemptions sont sélectives et constitutives, dès lors, d’une aide d’État.

173    D’autre part, les requérantes soulignent le fait que l’exemption des volumes mis en stockage virtuel ne bénéficie qu’aux petites installations SER, en excluant ainsi les autres installations SER, pour lesquelles le stockage virtuel pourrait également être pertinent, alors même que ces dernières contribuent, elles aussi, à la réalisation de l’objectif de promotion d’énergie produite à partir de SER.

174    À cet égard, la décision attaquée se limite à indiquer que cette exemption ne serait applicable qu’aux « foyers » et aux « entités publiques », lesquels ne bénéficieraient pas de la prime d’achat ou du tarif d’achat. Outre le fait que cette motivation vise, elle aussi, l’éventuel cumul entre ces deux types d’avantages, et donc la compatibilité de l’exemption avec le marché intérieur, et non sa sélectivité, force est de constater que ladite affirmation est révélatrice d’un examen incomplet et insuffisant de ladite exemption. En effet, d’une part, selon le paragraphe 16, sous a), de la décision attaquée, les « petites installations», définies comme des installations ayant une capacité inférieure à 30 kW (jusqu’en 2013) ou à 10 kW (après 2013), bénéficient du tarif d’achat. D’autre part, selon le paragraphe 34, sous d), et la note en bas de page 14, de la décision attaquée, les « petites installations SER » bénéficiant de l’exemption en cause sont définies comme celles ayant une capacité installée inférieure à 10 kW pour les foyers et à 100 kW pour les « personnes morales ». Or, la simple juxtaposition de ces informations suggère qu’un cumul entre le tarif d’achat et le bénéfice de l’exemption en cause ne pourrait a priori être exclu en tant que tel.

175    De surcroît, la Cour a déjà eu l’occasion de souligner que le fait de faire bénéficier certaines entreprises d’un avantage en fonction de leur taille, à l’exclusion d’autres qui se trouvent dans une situation juridique et factuelle comparable, peut satisfaire au critère de sélectivité (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas, C‑279/08 P, EU:C:2011:551, points 63 à 67). Or, la Commission n’a pas examiné si la différenciation créée par l’exemption en cause entre « petites installations SER » et les installations SER de taille différente était pertinente aux fins de l’analyse de la sélectivité de cette exemption.

176    En troisième lieu, la Commission fait valoir, dans la duplique, que « les exemptions qui pourraient se rapporter à d’autres parties du [prélèvement SIPE] finançant d’autres mesures en vigueur en Lituanie, mais pas le régime [d’aide] SER, ne relèveraient pas du champ d’application de la décision attaquée ». Il y a toutefois lieu de constater que cette limitation du champ d’application de la décision attaquée, avancée par la Commission devant le Tribunal, non seulement ne figure pas dans la décision attaquée, mais est même contredite par les motifs de celle-ci. En effet, aux paragraphes 81 et 121 de la décision attaquée, la Commission conclut que les quatre premières exemptions mentionnées au point 19 ci-dessus ne sont pas sélectives et ne constituent donc pas des aides d’État, sans opérer de distinction entre les exemptions liées au régime d’aide SER et celles dépourvues d’un tel lien.

177    En quatrième lieu, il a été relevé aux points 104 et 105 ci-dessus qu’il ressortait de la teneur des demandes de renseignements adressées aux autorités lituaniennes que l’examen des exonérations en cause avait soulevé des difficultés sérieuses au cours de la phase de prénotification. Or, l’analyse du contenu de la décision attaquée qui précède révèle que ces difficultés n’ont pas pu être surmontées à la suite de la notification formelle du régime d’aide SER.

178    Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission a procédé à un examen incohérent, incomplet et insuffisant des exemptions en cause.

d)      Sur l’indice concernant l’examen inadéquat et erroné de la compatibilité du régime d’aide SER avec les lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement

179    Selon les requérantes, la Commission a conclu à tort que le régime d’aide SER était compatible avec les lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement (JO 2008, C 82, p.1, ci-après les « lignes directrices de 2008 ») et les lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020 (JO 2014, C 200, p. 1, ci-après les « lignes directrices de 2014 »), en consacrant uniquement sept paragraphes à l’examen de la compatibilité dudit régime avec les lignes directrices de 2008 et seize paragraphes à l’examen de sa compatibilité avec les lignes directrices de 2014, ce qui mettrait en évidence un défaut d’examen approfondi à cet égard. La Commission n’aurait pas examiné suffisamment les effets négatifs du régime en cause sur la concurrence et les échanges entre les États membres et elle n’aurait pas évalué l’effet global de ce régime sur l’environnement comme l’exigerait le paragraphe 90 des lignes directrices de 2014. En particulier, elle n’aurait pas évalué les répercussions dudit régime sur les échanges, notamment dans la région balte, et n’aurait pas tenu compte du fait que seuls les producteurs SER lituaniens bénéficiaient du régime d’aide SER, alors même que le prélèvement SIPE était imposé sur la consommation d’électricité, y compris importée, cette dernière représentant 68 % de la consommation totale d’électricité en Lituanie en 2016 et 95,2 % en 2017.

180    La Commission, soutenue par la République de Lituanie, rétorque, en substance, que, conformément au paragraphe 116 des lignes directrices de 2014, les régimes d’aide visant à accroître la production d’électricité produite à partir de SER pourraient raisonnablement être présumés avoir des effets négatifs limités sur les échanges et la concurrence, si toutes les autres conditions étaient remplies. En tout état de cause, les requérantes ne mentionneraient ni ne démontreraient l’existence d’un effet négatif significatif occasionné par le régime d’aide SER qui n’aurait pas pu être compensé par sa contribution positive à une augmentation de la consommation d’électricité produite à partir de SER. En outre, les données relatives aux parts d’électricité importée en Lituanie en 2016 et en 2017 invoquées par les requérantes ne feraient que confirmer l’absence d’effets négatifs sur les échanges et la concurrence.

181    En premier lieu, en ce qui concerne notamment les aides en faveur de l’énergie issue de SER, le paragraphe 116 des lignes directrices de 2014, à la lumière desquelles la Commission a examiné le régime d’aide SER pour la période allant du 29 juin 2014 au 31 juillet 2015 (voir paragraphe 84 de la décision attaquée), prévoit que, afin de permettre aux États membres de réaliser les objectifs qu’ils se sont fixés dans le cadre de la stratégie Europe 2020, « la Commission suppose qu’une aide est appropriée et que ses effets de distorsion sont limités si toutes les autres conditions sont remplies ».

182    En l’espèce, aux paragraphes 105 à 108 de la décision attaquée, la Commission a considéré que le régime d’aide SER promouvait, du fait de sa nature même, les technologies énergétiques respectueuses de l’environnement au détriment de l’énergie produite à partir de sources conventionnelles et ne pouvait, dès lors, être considéré en principe comme une distorsion injustifiée de la concurrence, dès lors qu’il était intrinsèquement lié à cet objectif. Elle a donc considéré, conformément au paragraphe 116 des lignes directrices de 2014, et étant donné que l’ensemble des autres conditions prévues dans celles-ci étaient remplies, qu’elle pouvait présumer que le régime d’aide SER avait des effets anticoncurrentiels limités, lesquels seraient compensés par l’impact positif de l’aide sur l’environnement.

183    Le Tribunal considère, à l’instar de la Commission, que le paragraphe 116 des lignes directrices 2014 établit ainsi une présomption réfragable permettant à la Commission de supposer, sans mener un examen détaillé, qu’une mesure d’aide en faveur de l’électricité produite à partir de SER est appropriée et que ses effets de distorsion sont limités si toutes les autres conditions sont remplies. En l’espèce, les requérantes ne contestent pas la légalité du paragraphe 116 des lignes directrices de 2014. La Commission pouvait donc faire application de cette présomption, sans examiner en détail les effets négatifs de l’aide sur la concurrence et les échanges et sans procéder à une mise en balance détaillée des effets négatifs et positifs de l’aide.

184    Or, en l’espèce, les requérantes ne font valoir aucun indice concret susceptible de jeter un doute sur l’application de cette présomption dans le cas d’espèce. Elles se limitent à citer quelques données relatives à la part d’électricité importée en Lituanie en 2016 et en 2017. Toutefois, d’une part, étant donné que le régime d’aide en cause a été mis en œuvre en 2011, les données relatives aux années 2016 et 2017 ne permettent pas d’apprécier l’incidence de l’aide sur les flux d’importation avant et après l’institution de celui-ci, de sorte qu’aucune conclusion utile ne peut être tirée de ces données. D’autre part, dans la mesure où les requérantes soutiennent que les effets négatifs du régime d’aide SER procèdent du caractère discriminatoire de ce régime au regard de l’électricité produite à partir de SER importée, cet argument se recoupe avec celui relatif au caractère discriminatoire du mode de financement du régime d’aide en cause, lequel sera examiné aux points 209 et suivants ci-après.

185    En deuxième lieu, l’argument tiré de la brièveté de l’analyse de la compatibilité du régime d’aide SER avec les lignes directrices de 2008 et avec celles de 2014 ne peut qu’être rejeté, car la brièveté de la décision attaquée à cet égard ne peut présenter en soi un indice d’un examen insuffisant et, par-là, de l’existence de doutes.

186    En troisième lieu, quant à la violation alléguée des lignes directrices de 2008, à la lumière desquelles la Commission a examiné le régime d’aide SER pour la période allant de l’institution de celui-ci en 2011 jusqu’au 28 juin 2014 (voir paragraphe 84 de la décision attaquée), il y a lieu de relever que les requérantes ne font référence à aucun point précis de ces lignes directrices que la Commission aurait enfreint. Elles ne critiquent pas non plus les paragraphes 85 à 91 de la décision attaquée, auxquels la Commission a examiné le caractère incitatif et proportionné de l’aide en cause, l’absence de surcompensation et de cumul entre celle-ci et d’autres aides au regard des exigences desdites lignes directrices.

187    Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que les requérantes ne démontrent pas l’existence de doutes quant à la compatibilité du régime d’aide SER avec les lignes directrices de 2008 et de 2014.

e)      Sur l’indice relatif à l’examen erroné et insuffisant de la conformité du mode de financement du régime d’aide SER avec les articles 30 et 110 TFUE

188    Les requérantes font valoir, en substance, que le mode de financement du régime d’aide SER constitue une discrimination à l’encontre des producteurs d’électricité SER établis dans les autres États membres, dans la mesure où ils ne bénéficient pas de la prime d’achat ou du tarif d’achat, à la différence des producteurs d’électricité SER établis en Lituanie, alors même que la consommation de l’électricité importée, y compris celle produite à partir de SER, serait imposée par le même prélèvement, décrit par la Commission comme « prélèvement SER ».

189    La Commission, soutenue par la République de Lituanie, conteste tant la recevabilité des arguments soulevés par les requérantes que le bien-fondé de ceux-ci.

190    S’agissant de la recevabilité des arguments des requérantes, la Commission soulève trois fins de non-recevoir, comme elle l’a confirmé lors de l’audience, qu’il convient d’examiner d’abord.

1)      Sur la recevabilité

191    En premier lieu, la Commission fait valoir que, la question de la discrimination potentielle de l’électricité produite à partir de SER importée n’ayant pas été soulevée par les requérantes dans la plainte complémentaire de 2017, ces dernières ne sont pas recevables à soulever de tels arguments pour la première fois devant le Tribunal.

192    Cette fin de non-recevoir doit être rejetée. En effet, bien que, dans les plaintes, les requérantes n’aient pas soulevé d’arguments particuliers relatifs à une éventuelle discrimination à l’encontre de l’électricité produite à partir de SER importée, il ressort du dossier qu’elles ont fait valoir, lors d’une réunion avec la Commission, le 21 février 2018, que le mode de financement du régime d’aide SER était discriminatoire et que la Commission avait indiqué, lors de cette réunion, que son enquête sur ce point n’était pas très avancée et qu’elle avait l’intention de soulever cette problématique auprès des autorités lituaniennes.

193    En outre, il ressort du dossier que cette question a été discutée à plusieurs reprises entre la Commission et les autorités lituaniennes lors de la phase de prénotification (voir point 106 ci-dessus).

194    Selon la jurisprudence rappelée au point 42 ci-dessus, la légalité d’une décision en matière d’aides doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée, étant précisé que les éléments d’information dont la Commission « pouvait disposer » sont ceux qui apparaissaient pertinents pour l’appréciation à effectuer et dont elle aurait pu, sur sa demande, obtenir la production au cours de la phase préliminaire d’examen. Or, en l’espèce, il est constant que la Commission disposait des éléments d’information lui permettant d’apprécier la compatibilité de l’aide avec les articles 30 et 110 TFUE au moment de l’adoption de la décision attaquée.

195    De même, il incombe à la Commission, le cas échéant, d’instruire une plainte en allant au-delà du seul examen des éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par le plaignant. En effet, la Commission est tenue, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité FUE relatives aux aides d’État, de procéder à un examen diligent et impartial de la plainte, ce qui peut rendre nécessaire qu’elle procède à l’examen d’éléments qui n’ont pas été expressément évoqués par le plaignant (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 62).

196    Partant, il y a lieu de rejeter la première fin de non-recevoir.

197    En deuxième lieu, la Commission fait valoir que les requérantes n’ont pas un « intérêt légitime » à contester la discrimination instaurée par le régime d’aide SER au motif qu’elles n’en seraient pas affectées, n’étant pas elles-mêmes des producteurs SER établis dans un autre État membre.

198    Cette fin de non-recevoir ne peut, elle aussi, qu’être rejetée. Contrairement à ce qu’allègue la Commission, les requérantes disposent d’un intérêt à voir annuler la décision attaquée. En effet, une telle annulation serait susceptible, par elle-même, de leur procurer un bénéfice (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 55 et jurisprudence citée), puisqu’elle obligerait la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen et leur permettrait ainsi d’exercer leurs droits procéduraux.

199    Ainsi, dans l’hypothèse où le Tribunal considérerait qu’il existait des doutes quant à la compatibilité du régime d’aide en cause avec le marché intérieur et que, dès lors, la Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen, puis, en conséquence, annulerait la décision attaquée, la Commission devrait adopter une décision au titre de l’article 4, paragraphe 4, du règlement 2015/1589, ayant le contenu prévu à l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement, et les requérantes auraient la possibilité de formuler leurs observations après avoir analysé cette décision. Les requérantes seraient donc en mesure d’exercer leurs droits procéduraux de manière bien plus pertinente et éclairée que pendant la procédure d’examen préliminaire (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2019, a&o hostel and hotel Berlin/Commission, T‑578/17, non publié, EU:T:2019:437, point 52).

200    Cette conclusion n’est pas remise en cause par la jurisprudence citée par la Commission selon laquelle une partie requérante doit démontrer un intérêt à agir au regard de chaque moyen invoqué. Selon cette jurisprudence, en substance, un moyen d’annulation est irrecevable, au motif que l’intérêt à agir de la partie requérante à cet égard fait défaut, lorsque, à supposer qu’il soit fondé, l’annulation de l’acte attaqué sur la base de ce moyen ne serait pas de nature à lui donner satisfaction (voir arrêt du 9 juin 2011, Evropaïki Dynamiki/BCE, C‑401/09 P, EU:C:2011:370, point 49 et jurisprudence citée ; arrêts du 27 mars 2019, Canadian Solar Emea e.a./Conseil, C‑236/17 P, EU:C:2019:258, point 93, et du 27 mars 2019, Canadian Solar Emea e.a./Conseil, C‑237/17 P, EU:C:2019:259, point 77). Toutefois, tel n’est pas le cas de l’espèce. En effet, si l’indice invoqué par les requérantes devait révéler, seul ou en combinaison avec d’autres indices, l’existence de difficultés sérieuses, la décision attaquée devrait être annulée, en donnant ainsi satisfaction aux requérantes, lesquelles seraient, par voie de conséquence, en mesure d’exercer leurs droits procéduraux.

201    En troisième lieu, la Commission fait valoir que les arguments des requérantes présentés dans le cadre du présent indice concernent le fond et que, dès lors, ceux-ci seraient irrecevables, faute pour les requérantes d’être individuellement et directement concernées, au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, (25/62, EU:C:1963:17), par le point 3.4. de la décision attaquée, lequel examine la question d’une éventuelle discrimination.

202    Toutefois, premièrement, il ressort de la requête que le présent indice s’inscrit dans un faisceau d‘indices mis en avant dans le cadre d’un moyen unique tiré de la violation des droits procéduraux des requérantes. Les requérantes ont précisé à plusieurs reprises, dans leurs écritures devant le Tribunal ainsi que lors de l’audience, que le présent indice est révélateur de l’existence de doutes quant à la compatibilité du mode de financement du régime d’aide SER avec les articles 30 et 110 TFUE. Les requérantes ne tendent donc pas à faire constater une violation de ces dispositions du traité FUE, mais à démontrer que cette problématique aurait dû susciter des doutes dans l’esprit de la Commission.

203    Par ailleurs, selon la jurisprudence, les requérantes demeurent en droit, pour démontrer la violation de leurs droits procéduraux en raison des doutes que la mesure litigieuse aurait dû susciter quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, d’invoquer des arguments tendant à démontrer que le constat de la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur auquel la Commission était parvenue était erroné, ce qui, a fortiori, est de nature à établir que la Commission aurait dû éprouver des doutes lors de son appréciation de la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur. Partant, le Tribunal est habilité à examiner les arguments de fond présentés par les requérantes, afin de vérifier s’ils sont de nature à conforter le moyen tiré de l’existence de doutes justifiant l’ouverture de la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 13 juin 2013, Ryanair/Commission, C‑287/12 P, non publié, EU:C:2013:395, points 57 à 60, et du 20 juin 2019, a&o hostel and hotel Berlin/Commission, T‑578/17, non publié, EU:T:2019:437, point 47).

204    Deuxièmement, dans la mesure où la Commission argue que la qualité de « parties intéressées » des requérantes à l’égard de la mesure d’aide doit être « dissociée » de leur qualité pour contester la compatibilité du mode de financement de cette mesure avec les articles 30 et 110 TFUE, question que la Commission aurait examinée « séparément » dans la décision attaquée, force est de constater que le point 3.4. de la décision attaquée, auquel la Commission a examiné la compatibilité du mode de financement du régime d’aide SER avec les articles 30 et 110 TFUE, n’est pas détachable du reste de cette décision, mais en constitue une partie intégrante. La Commission a confirmé, lors de l’audience, qu’elle ne contestait pas que le mode de financement du régime d’aide SER faisait partie intégrante de ce dernier, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience. Il ressort, en outre, du paragraphe 29 des lignes directrices de 2014 que toute taxe dont l’objectif est de financer une mesure d’aide d’État doit être conforme notamment aux articles 30 et 110 TFUE, de sorte que la Commission ne peut pas approuver une aide d’État sans s’assurer qu’elle est compatible avec lesdits articles.

205    Partant, dans la mesure où les requérantes invoquent, à l’appui de leur recours, un moyen unique tiré de la violation de leurs droits procéduraux, dans lequel s’inscrit le présent indice, relatif au contenu du point 3.4 de la décision attaquée, ce point faisant partie intégrante de celle-ci, il ne saurait être exigé qu’elles démontrent qu’elles sont individuellement et directement concernées par ce point de la décision attaquée.

206    Partant, il y a lieu de rejeter les fins de non-recevoir avancées par la Commission.

2)      Sur le fond

207    Les requérantes font valoir, en substance, qu’un prélèvement grevant l’électricité importée qui est utilisé pour financer exclusivement la production nationale d’électricité est, en principe, incompatible avec le marché intérieur. En l’espèce, le régime d’aide SER aurait un effet discriminatoire à l’égard de l’électricité produite à partir de SER importée. En outre, la mesure que la République de Lituanie s’est engagée à mettre en place afin de remédier à cette discrimination, à savoir investir 104,2 millions d’euros dans des projets soutenant le marché européen de l’électricité, en renforçant potentiellement les flux d’électricité entre les États européens continentaux et ceux de la Baltique (ci-après l’« engagement d’investissement des autorités lituaniennes »), ne serait pas suffisante, car elle ne compenserait pas les importateurs d’électricité produite à partir de SER, lesquels demeureraient discriminés, et ne serait donc pas une justification adéquate et suffisante de la discrimination en cause.

208    Tout en reconnaissant que le régime d’aide SER institue une discrimination potentielle au détriment de l’électricité produite à partir de SER importée, la Commission estime que l’engagement d’investissement des autorités lituaniennes, dans la mesure où il concerne des investissements d’un montant au moins équivalent, voire supérieur, à celui du prélèvement SIPE, imposé à la consommation d’électricité produite à partir de SER importée, dans des projets favorisant le marché européen de l’électricité, constitue une mesure corrective suffisante pour y remédier. Ainsi, l’interconnexion accrue entre le réseau électrique lituanien et les réseaux électriques des États membres voisins permettrait une plus grande pénétration de l’électricité importée sur le marché lituanien et faciliterait l’achèvement du marché intérieur de l’électricité. Cette approche serait conforme avec la pratique décisionnelle de la Commission. Par ailleurs, les requérantes ne démontreraient pas que, selon la réglementation nationale, il existe un lien direct d’affectation contraignant entre le prélèvement SIPE en tant que tel et le montant du soutien destiné aux producteurs SER.

209    Aux paragraphes 110 et 111 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que le régime d’aide SER avait pour objectif de soutenir la production d’électricité SER et qu’il était financé par un prélèvement imposé sur la consommation intérieure d’électricité et que, dès lors, conformément au paragraphe 29 des lignes directrices de 2014, elle devait examiner sa conformité avec les articles 30 et 110 TFUE.

210    Par ailleurs, aux paragraphes 112 à 114 de la décision attaquée, la Commission a fait observer que le régime d’aide en cause était potentiellement discriminatoire à l’égard des producteurs SER établis dans d’autres États membres qui exportaient de l’électricité produite à partir de SER en Lituanie, dans la mesure où le prélèvement en cause, imposé indistinctement sur la consommation d’électricité nationale ou importée, ne profitait qu’aux producteurs nationaux d’électricité SER. La Commission a également effectué une estimation de la valeur de l’électricité produite à partir de SER importée faisant l’objet d’une discrimination potentielle.

211    La Commission a cependant conclu, aux paragraphes 56, 115 et 116 de la décision attaquée, que l’engagement d’investissement des autorités lituaniennes pouvait remédier à la « violation potentielle des articles 30 et 110 TFUE ».

212    En premier lieu, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, toute taxe dont l’objectif est de financer une mesure d’aide d’État doit être conforme notamment aux articles 30 et 110 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a., C‑206/06, EU:C:2008:413, points 40 à 57, et du 1er mars 2018, Petrotel-Lukoil et Georgescu, C‑76/17, EU:C:2018:139, points 21 à 30).

213    Ainsi, le mode de financement d’une aide peut rendre l’ensemble du régime étatique en cause incompatible avec le marché intérieur, obligeant, dans un tel cas, la Commission à examiner l’aide en prenant également en considération les effets économiques et juridiques que son financement est susceptible de produire (voir, en ce sens, arrêts du 21 octobre 2003, van Calster e.a., C‑261/01 et C‑262/01, EU:C:2003:571, point 49 ; du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 89, et du 21 juillet 2011, Alcoa Trasformazioni/Commission, C‑194/09 P, EU:C:2011:497, point 48).

214    Une taxe qui frappe les produits nationaux et importés sur la base de critères identiques peut néanmoins être interdite par le traité FUE lorsque le produit de cette imposition est destiné à alimenter des activités qui profitent spécialement aux produits nationaux imposés. Si les avantages dont bénéficient ces produits compensent intégralement la taxe qui les frappe, les effets de cette dernière ne se manifestent qu’à l’égard des produits importés et celle-ci constitue une taxe d’effet équivalent au sens de l’article 30 TFUE. En revanche, si ces avantages ne compensent qu’une partie de la charge supportée par les produits nationaux, la taxe en question constitue une imposition discriminatoire au sens de l’article 110 TFUE, dont la perception est interdite pour la fraction de son montant affectée à la compensation dont bénéficient les produits nationaux (arrêts du 11 mars 1992, Compagnie commerciale de l’Ouest e.a., C‑78/90 à C‑83/90, EU:C:1992:118, point 27, et du 27 octobre 1993, Scharbatke, C‑72/92, EU:C:1993:858, point 10 ; voir également, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a., C‑206/06, EU:C:2008:413, points 40 à 57).

215    Lorsque la taxe destinée à financer l’aide se révèle contraire aux articles 30 et 110 TFUE, la Commission ne peut pas déclarer le régime d’aide dont la taxe fait partie compatible avec le marché intérieur (arrêt du 21 octobre 2003, van Calster e.a., C‑261/01 et C‑262/01, EU:C:2003:571, point 48).

216    En l’espèce, il est constant que le prélèvement SIPE finançant le régime d’aide SER est imposé indistinctement sur la consommation d’électricité tant nationale qu’importée. Il est également constant que les revenus de ce prélèvement ou une partie de celui-ci sont affectés, en définitive, au soutien des producteurs SER nationaux, notamment par le paiement de la prime d’achat ou du tarif d’achat. Il s’ensuit que le régime d’aide SER ne profite qu’aux producteurs nationaux, alors même que le mode de financement de celui-ci provient d’une charge qui grève la consommation d’électricité, y compris d’électricité produite à partir de SER, tant importée que domestique.

217    Il s’ensuit que, en application de la jurisprudence citée aux points 214 et 215 ci-dessus, une charge parafiscale, telle que le prélèvement SIPE, est susceptible de constituer soit une taxe d’effet équivalent interdite par l’article 30 TFUE, soit une imposition discriminatoire interdite par l’article 110 TFUE.

218    En deuxième lieu, il convient de rappeler que les articles 30 et 110 TFUE ne prévoient pas de dérogations.

219    En effet, s’agissant de l’article 30 TFUE, il est de jurisprudence constante que l’interdiction contenue à cette disposition revêt un caractère général et absolu (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2000, Michaïlidis, C‑441/98 et C‑442/98, EU:C:2000:479, point 14 et jurisprudence citée). Il résulte de la clarté, du caractère impératif et de l’étendue sans réserve des dispositions du droit primaire applicables que l’interdiction des droits de douane constitue une règle essentielle et que, en conséquence, toute éventuelle exception doit être clairement prévue (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 1962, Commission/Luxembourg et Belgique, 2/62 et 3/62, EU:C:1962:45, p. 827). La Cour a refusé d’étendre, par analogie, aux droits de douane et aux taxes d’effet équivalent les dérogations aux articles 34 et 35 TFUE contenues à l’article 36 TFUE (arrêt du 6 décembre 2018, FENS, C‑305/17, EU:C:2018:986, point 54), en indiquant que les exceptions à une règle à ce point fondamentale sont d’interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 1968, Commission/Italie, 7/68, EU:C:1968:51, p. 628).

220    S’agissant de l’article 110 TFUE, la Cour a jugé que les différenciations en matière de taxation interne n’étaient compatibles avec le droit de l’Union que si, notamment, leurs modalités étaient de nature à éviter toute forme de discrimination, directe ou indirecte, à l’égard des importations en provenance des autres États membres, ou de protection en faveur de productions nationales concurrentes (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 1998, Outokumpu, C‑213/96, EU:C:1998:155, point 30). De même, dans son arrêt du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a. (C‑206/06, EU:C:2008:413, point 42), la Cour a jugé que la perception d’une imposition discriminatoire au sens de l’article 110 TFUE était interdite pour la fraction de son montant affectée à la compensation dont bénéficiaient les produits nationaux.

221    Dans ses conclusions dans l’affaire Visnapuu (C‑198/14, EU:C:2015:463, points 56 et 57), M. l’avocat général Bot a rappelé que l’article 110 TFUE interdisait non l’imposition intérieure en tant que telle, mais son effet discriminatoire ou protecteur, si bien qu’il suffisait d’éliminer cet effet discriminatoire ou protecteur pour être en conformité avec l’article 110 TFUE. Il a également rappelé qu’une possibilité de justification, telle que celle prévue à l’article 36 TFUE, n’était pas prévue dans le contexte de l’application de l’article 110 TFUE.

222    Il s’ensuit qu’une taxe parafiscale tombant sous le coup de l’article 30 TFUE ou de l’article 110 TFUE ne peut faire l’objet d’aucune exception ou justification.

223    Au demeurant, lors de l’audience, les parties ont confirmé ne pas contester cette interprétation des articles 30 et 110 TFUE.

224    En troisième lieu, en l’espèce, la Commission a néanmoins considéré qu’il pouvait être remédié à la « discrimination potentielle » instituée par le régime d’aide SER par l’engagement d’investissement des autorités lituaniennes.

225    Il est vrai, comme le souligne à juste titre la Commission, que cet engagement vise à faciliter l’interconnexion entre les réseaux énergétiques de la Lituanie et de certains États membres voisins et, de ce fait, à améliorer l’accès au marché lituanien des producteurs d’électricité, y compris SER, établis dans d’autres États membres.

226    Toutefois, comme le soulignent les requérantes, l’engagement d’investissement des autorités lituaniennes n’est pas susceptible de mettre un terme, ni pour le passé ni pour l’avenir, à la discrimination dont font l’objet les producteurs SER établis dans d’autres États membres et exportant leur électricité en Lituanie, dans la mesure où l’engagement en cause laisse inchangés tant l’aspect discriminatoire du mode de financement du régime d’aide SER que la limitation du bénéfice de ce dernier aux seuls producteurs SER nationaux. Ces caractéristiques du régime d’aide SER ne sont pas affectées par l’engagement d’investissement des autorités lituaniennes.

227    En quatrième lieu, contrairement à ce que soutient la Commission, celle-ci ne pouvait pas non plus estimer, sur la base de sa pratique décisionnelle antérieure, que le caractère discriminatoire du mode de financement du régime d’aide en cause ne soulevait aucune difficulté sérieuse.

228    En effet, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne lie pas le juge de l’Union, et n’est donc pas déterminante quant à la question de savoir si la Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen dans une affaire donnée.

229    En tout état de cause, force est de constater que ladite pratique est divergente. Ainsi, si, dans certains cas cités par la Commission, celle-ci a estimé qu’un engagement d’investissement équivalent ou supérieur à la valeur d’électricité discriminée pouvait remédier à la discrimination potentielle en cause [décisions du 6 décembre 2017, SA.47354 (2017/NN) – Estonie (JO 2018, C 121, p. 1) ; du 24 avril 2017, SA.43140 (2015/NN) – Lettonie (JO 2017, C 176, p. 1) ; du 12 décembre 2016, SA.46655 (2016/NN) – France (JO 2016, C 51, p. 1), et du 28 octobre 2014, SA.36023 (2014/NN) – Estonie (JO 2014, C 44, p. 1)], dans d’autres cas, dont certains cités par les requérantes, la Commission a considéré, en revanche, que le régime d’aide sous examen pouvait être considéré comme étant conforme aux articles 30 et 110 TFUE si la réglementation nationale ouvrait l’accès aux procédures d’appels d’offres pour les primes d’achat également aux producteurs d’électricité SER établis dans d’autres États membres [décisions du 23 avril 2019, SA.50199 (2019/N) – Lituanie (JO 2020, C 84, p. 1) ; du 29 mars 2019, SA.48601 (2018/N) – Luxembourg (JO 2019, C 194, p. 1), et du 24 octobre 2014, SA.36204 (2013/N) – Danemark (JO 2015, C 94, p. 1)], ou encore si la réglementation nationale prévoyait le remboursement aux producteurs étrangers de la somme concernée par ladite discrimination [voir décisions de la Commission du 17 septembre 2009, C(2009) 7085, N 437/2009 – Roumanie (JO 2010, C 31, p. 8) ; décisions du 23 juillet 2014, SA.36196 (2014/N-2) – Royaume-Uni (JO 2014, C 393, p. 1), et du 11 juin 2014, SA.35177 (2014/NN) – République tchèque (JO 2014,C 280, p. 1)]. 

230    En cinquième lieu, il a été relevé aux points 106 et 110 ci-dessus que, à la fin de la phase de prénotification, la Commission éprouvait des doutes quant à la conformité avec les articles 30 et 110 TFUE du prélèvement SIPE et quant à l’engagement d’investissement des autorités lituaniennes. Or, il découle de l’examen du présent indice que ces doutes n’ont pas pu être objectivement dissipés à la suite de la notification formelle du régime d’aide en cause.

231    Enfin, la Commission soutient que les requérantes ne démontrent pas qu’il existe un lien d’affectation contraignant entre le « prélèvement SER » et le montant du soutien aux producteurs SER au titre du régime d’aide en cause, ni que ce prélèvement fasse partie intégrante dudit régime.

232    Cet argument de la Commission se fonde sur la jurisprudence selon laquelle, si une aide d’État ou les modalités dont elle est assortie, notamment son mode de financement, lorsqu’il fait partie intégrante de l’aide, entraînent de manière indissociable une violation du droit de l’Union, elle ne saurait être déclarée compatible avec le marché intérieur (arrêt du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, EU:C:2000:467, point 78 ; voir également, en ce sens, arrêts du 14 avril 2005, AEM et AEM Torino, C‑128/03 et C‑129/03, EU:C:2005:224, points 38 à 51, et du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, points 94 à 116). La Commission cherche ainsi, en substance, à contester que le mode de financement du régime d’aide SER fasse partie intégrante de l’aide.

233    Or, il convient de constater que, en soulevant cet argument, la Commission se contredit. En effet, dans la décision attaquée, la Commission n’a nullement considéré que le prélèvement SIPE, dont une partie finance le régime d’aide SER, ne faisait pas partie intégrante de ce régime. Au contraire, la Commission a fait expressément référence au paragraphe 29 des lignes directrices de 2014 (paragraphe 110 de la décision attaquée), aux termes duquel une aide d’État ne saurait être déclarée compatible avec le marché intérieur « [si celle-ci] ou les modalités dont elle est assortie, notamment son mode de financement, lorsqu’il fait partie intégrante de l’aide, entraînent de manière indissociable une violation du droit de l’Union » et, « [à] titre d’exemple, dans le domaine de l’énergie, toute taxe dont l’objectif est de financer une mesure d’aide d’État doit être conforme notamment aux articles 30 et 110 [TFUE] ». Elle a examiné, par la suite, si ledit prélèvement était conforme aux articles 30 et 110 TFUE. Il est donc clair que, dans la décision attaquée, la Commission a considéré ledit prélèvement comme faisant partie intégrante du régime d’aide SER.

234    De surcroît, la Commission a invoqué ledit prélèvement à maintes reprises dans la décision attaquée, sans aucunement laisser entendre que celui-ci ne ferait pas partie intégrante du régime d’aide SER qu’il finance. Parmi les maints exemples, il suffit de citer le fait que la Commission a examiné le caractère d’aide des exemptions audit prélèvement, ce qui démontre également que la Commission a estimé que ledit prélèvement, en tant que mode de financement de la prime d’achat ou du tarif d’achat, faisait partie intégrante du régime en cause.

235    Par ailleurs, comme il est relevé au point 204 ci-dessus, la Commission a indiqué lors de l’audience qu’elle ne contestait pas que le mode de financement du régime d’aide SER faisait partie intégrante dudit régime, ce dont le Tribunal a pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

236    Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que l’indice concernant la compatibilité du mode de financement du régime d’aide SER avec les articles 30 ou 110 TFUE est susceptible de démontrer l’existence objective de difficultés sérieuses qui auraient dû amener la Commission à éprouver des doutes quant à la compatibilité de ce régime avec le marché intérieur.

C.      Conclusion

237    Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que certains des indices invoqués par les requérantes sont révélateurs de doutes que la Commission aurait dû éprouver quant à la compatibilité du régime d’aide SER avec le marché intérieur. Ces indices se rapportent, premièrement, à la durée particulièrement longue de la procédure administrative, qu’elle soit calculée à partir du dépôt de la plainte de 2016 jusqu’à l’adoption de la décision attaquée ou qu’elle soit limitée à la seule phase de prénotification (points 54 à 86 ci-dessus), deuxièmement, aux circonstances entourant l’adoption de la décision attaquée, à savoir le nombre d’échanges entre les services de la Commission, les plaignantes et les autorités lituaniennes ainsi que la teneur de ces échanges (points 92 à 112 ci-dessus), troisièmement, à l’examen incomplet et insuffisant du cadre juridique national pertinent (points 116 à 135 ci-dessus), quatrièmement, à l’examen incomplet et insuffisant des mesures de soutien aux producteurs SER, notamment en ce qui concerne les éventuelles aides à l’investissement (points 138 à 148 ci-dessus), cinquièmement, à l’examen incohérent, incomplet et insuffisant des exemptions au prélèvement SIPE (points 151 à 178 ci‑dessus) et, sixièmement, à l’examen insuffisant et incomplet de la compatibilité du mode de financement du régime d’aide SER avec les articles 30 ou 110 TFUE (points 209 à 236 ci-dessus).

238    Ces indices objectifs et concordants, pris dans leur ensemble, tendent à démontrer que la Commission n’était pas en mesure, à la date d’adoption de la décision attaquée, de surmonter toutes les difficultés sérieuses rencontrées lors de la procédure préliminaire d’examen de l’aide d’État litigieuse.

239    Partant, il convient de conclure que l’appréciation de la compatibilité de la mesure d’aide en cause avec le marché intérieur soulevait des doutes au sens de l’article 4 du règlement 2015/1589 qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

240    Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’accueillir le moyen unique soulevé par les requérantes et d’annuler la décision attaquée.

IV.    Sur les dépens

241    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux des requérantes, conformément aux conclusions de ces dernières.

242    En application de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, il convient de décider que la République de Lituanie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,


LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C(2018) 9209 final de la Commission, du 8 janvier 2019, relative à l’aide d’État SA.45765 (2018/NN), concernant un régime d’aide mis en œuvre par la République de Lituanie au bénéfice des producteurs d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable, est annulée.

2)      La Commission européenne est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Achema AB et Lifosa AB.

3)      La République de Lituanie supportera ses propres dépens.

Kornezov

Buttigieg

Kowalik-Bańczyk

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 avril 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.