Language of document : ECLI:EU:T:2006:248

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

8 septembre 2006 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Concours financier du FEOGA –Poursuites pénales et sanctions administratives nationales – Refus de la Commission de prendre position et d’engager une procédure en manquement – Recours partiellement manifestement irrecevable et partiellement dépourvu de tout fondement en droit »

Dans l’affaire T‑92/06,

Lademporiki OE, établie à Igoumenitsa (Grèce),

Apostolos Parousis & Sia OE, établie à Igoumenitsa,

représentées par MP. Miliarakis, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme H. Tserepa‑Lacombe et MM. L. Parpala et L. Visaggio, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de réparation du préjudice matériel et moral prétendument subi par les requérantes du fait, d’une part, des poursuites pénales engagées en Grèce à l’encontre de leur gérant ainsi que, d’autre part, de la décision de la Commission de classer la plainte de Lademporiki, déposée le 29 juillet 2004,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. M. Vilaras, président, F. Dehousse et D. Šváby, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits à l’origine du litige

1        Les requérantes sont des sociétés constituées selon le droit hellénique, exerçant leur activité dans le secteur de la commercialisation de l’huile d’olive. M. Apostolos Parousis est leur gérant.

2        À la suite d’une instruction menée par les autorités compétentes helléniques, les requérantes ont été accusées de l’émission de fausses factures aux fins de l’obtention d’un concours financier communautaire, accordé par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) dans le secteur de l’huile d’olive. Les requérantes se sont vu imposer des amendes administratives par les autorités fiscales helléniques. En outre, M. Parousis a été traduit devant le Trimeles Efeteio Kakourgimaton Athinon (chambre criminelle de la Cour d’appel d’Athènes, Grèce), pour complicité de fraude ayant causé un préjudice au FEOGA.

3        Par son arrêt n204/2002, du 24 janvier 2002, le Trimeles Efeteio Kakourgimaton a constaté l’extinction, pour cause de prescription, de l’action publique exercée à l’encontre de M. Parousis en ce qui concerne certains chefs de poursuites et a relaxé ce dernier des autres chefs de poursuites.

4        Le 29 juillet 2004, Lademporiki OE a adressé à la Commission une plainte. Elle y exposait les circonstances factuelles ayant conduit à l’arrêt susvisé du Trimeles Efeteio Kakourgimation, devenu, entre‑temps, irrévocable, et ajoutait que les juridictions administratives helléniques avaient adopté une position contraire, ayant rejeté le recours de la plaignante à l’encontre des décisions des autorités fiscales helléniques lui imposant des amendes sur la base des mêmes circonstances factuelles. Selon la plaignante, cette contradiction entre les positions adoptées par les juridictions helléniques, respectivement, pénales et administratives, constituait une violation, par la République hellénique, des obligations qui lui incombent en vertu des articles 32 CE à 34 CE, 39 CE, 43 CE, 49 CE, 50 CE, 61 CE, 62 CE, 81 CE et 280 CE, pris en combinaison avec l’article 8 du règlement (CEE) n° 729/70 du Conseil, du 21 avril 1970, relatif au financement de la politique agricole commune (JO L 94, p. 13), l’article 1er du règlement (CEE) n° 3183/87 du Conseil, du 19 octobre 1987, instituant des règles particulières relatives au financement de la politique agricole commune (JO L 304, p. 1), et les articles 2 UE et 6 UE. Dans ces conditions, la plaignante demandait à la Commission, d’une part, d’adopter et d’adresser à la République hellénique un règlement, une directive ou une décision individuelle déclarant qu’aucun préjudice n’avait été causé à la Communauté du fait des actes pour lesquels M. Parousis avait été accusé et, d’autre part, de saisir la Cour de justice d’un recours contre la République hellénique pour manquement aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions susvisées.

5        La Commission a répondu à cette plainte par lettre portant la référence D/03966, du 19 mai 2005, de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), informant la plaignante que ses demandes relevaient de l’ordre juridique interne de la Grèce et que leur traitement supposait l’interprétation et l’application des règles de procédure pénales et administratives helléniques. Ces règles étant de la compétence exclusive des autorités administratives et judiciaires helléniques, la Commission indiquait à la plaignante qu’elle pouvait saisir lesdites autorités de la manière qu’elle estimait la plus appropriée et l’assurait que la Commission était disposée à lui fournir toute précision ou assistance éventuelle.

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 mars 2006, les requérantes ont introduit le présent recours. Par acte séparé, daté du même jour, les requérantes ont, sur le fondement de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal, formé une demande de procédure accélérée, laquelle a été rejetée par décision du 11 mai 2006.

7        Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Commission à verser à Lademporiki OE les sommes de 1 000 000 euros et de 2 879 317,41 euros, à titre de réparation, respectivement, des préjudices moral et matériel subis, majorés des intérêts légaux à compter du dépôt du recours jusqu’au paiement intégral ;

–        condamner la Commission à verser à Apostolos Parousis & Sia OE les sommes de 1 000 000 euros et de 631 215,96 euros, à titre de réparation, respectivement, des préjudices moral et matériel subis, majorés des intérêts légaux à compter du dépôt du recours jusqu’au paiement intégral ;

–        condamner la Commission aux dépens.

8        La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme partiellement irrecevable et, en tout état de cause, manifestement non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

9        Aux termes de l’article 111 du règlement de procédure, lorsqu’un recours est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de ne pas poursuivre la procédure.

10      Selon une jurisprudence bien établie, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, pour comportement illicite de ses organes, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16 ; arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T‑175/94, Rec. p. II‑729, point 44 ; du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T‑336/94, Rec. p. II‑1343, point 30, et du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, point 20). Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, points 19 et 81, et arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37).

11      En l’espèce, afin de démontrer le comportement prétendument illicite de la Commission, au regard duquel il convient d’apprécier le présent recours, les requérantes invoquent deux moyens tirés, respectivement, de la participation de la Communauté aux poursuites pénales dirigées contre M. Parousis ainsi que du rejet, par la Commission, de la plainte, du 29 juillet 2004, de Lademporiki.

12      Le premier moyen soulevé par les requérantes se divise en deux branches. Premièrement, les requérantes font valoir que M. Parousis a été traduit devant la justice pénale hellénique par les autorités nationales compétentes lesquelles auraient agi pour le compte de la Commission en vertu de l’article 280 CE, de l’article 8 du règlement n° 729/70 et de l’article 1er du règlement n° 3183/87. Selon les requérantes, en confiant aux États membres l’obligation et la compétence d’exercer des poursuites pénales, la Communauté transfère aux organes de ces États une compétence propre dont l’exercice amène ces derniers à se transformer en organes de la Communauté.

13      Cette argumentation ne saurait être accueillie. Il convient de rappeler qu’en général la législation pénale et les règles de procédure pénales relèvent de la compétence des États membres, bien que le droit communautaire puisse imposer des limites à cette compétence (arrêts de la Cour, du 2 février 1989, Cowan, 186/87, Rec. p. 195, point 19, et du 24 novembre 1998, Bickel et Franz, C‑274/96, Rec. p. I‑7637, point 17). Il ne s’agit donc pas d’une compétence transférée aux organes des États membres par la Communauté.

14      Cette appréciation n’est pas remise en cause par le fait qu’un État membre peut être amené à intenter des poursuites pénales pour se conformer à son obligation, prévue par l’article 280 CE ou l’article 8 du règlement n° 729/70, de combattre la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté, ou par le fait que, pour apprécier les éléments factuels de tels chefs de poursuites, les juridictions nationales doivent, éventuellement, prendre en compte des dispositions du droit communautaire.

15      Il ressort des considérations précédentes que la première branche du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée.

16      Les requérantes font valoir, au titre de la seconde branche du premier moyen, que la Commission s’est constituée partie civile lors du procès de M. Parousis devant le Trimeles Efeteio Kakourgimaton, sans tenir compte des éléments plaidant pour l’innocence de M. Parousis.

17      Indépendamment de la question de savoir si, et dans quelles conditions, l’engagement, par une institution communautaire, des procédures juridictionnelles devant les juridictions compétentes d’un État membre pourrait être qualifié de comportement illégal susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté, force est de constater que cette seconde branche du premier moyen manque en fait.

18      En effet, il ressort du procès‑verbal de l’audience et de l’arrêt n° 204/2002 du Trimeles Efeteio Kakourgimaton, produits par les requérantes, que la Commission n’était pas représentée lors du procès de M. Parousis et ne s’est aucunement constituée partie civile lors dudit procès.

19      Seul l’État hellénique s’est constitué partie civile lors dudit procès sans, toutefois, faire valoir qu’il agissait également pour le compte de la Commission ou de la Communauté. Par sa constitution de partie civile, l’État hellénique a réclamé, notamment, la condamnation de certains accusés à lui rembourser le montant du concours financier en cause, faisant référence aux dispositions des règlements nos 729/70 et 3183/87 pour soutenir la thèse selon laquelle ce montant représentait pour lui un préjudice direct. Toutefois, sans qu’il soit besoin d’examiner davantage les implications de ces prétentions de l’État hellénique, il suffit de constater que M. Parousis n’était pas visé par cette conclusion indemnitaire.

20      Il s’ensuit que la seconde branche du premier moyen n’est pas fondée et doit, également, être rejetée.

21      Il convient, ensuite, d’examiner le second moyen soulevé par les requérantes, relatif au traitement réservé par la Commission à la plainte du 29 juillet 2004.

22      Force est de constater, à titre liminaire, que cette plainte à été adressée à la Commission uniquement par Lademporiki. Par conséquent, Apostolos Parousis & Sia ne saurait s’en prévaloir au soutien de ses conclusions indemnitaires.

23      Par sa plainte du 29 juillet 2004, Lademporiki a présenté, en substance, deux demandes distinctes à la Commission, qu’il convient d’examiner successivement.

24      Premièrement, elle demandait à la Commission de déclarer, sous une forme appropriée, que la Communauté ou l’Union européenne n’a subi aucun préjudice du fait du comportement de M. Parousis ayant donné lieu aux poursuites pénales précédemment évoquées. Une telle prise de position de la Commission serait nécessaire, dès lors que les décisions adoptées par les juridictions, respectivement, administratives et pénales helléniques seraient contradictoires, en ce sens que les premières n’ont pas annulé les actes des autorités nationales compétentes ayant imposé des amendes aux requérantes, bien que M. Parousis ait été relaxé des poursuites pénales pour les mêmes faits par les secondes. Par conséquent, le refus de la Commission de satisfaire à cette demande de la plaignante ne serait pas justifié en droit et serait susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

25      Il convient de relever que, ainsi que les requérantes elles‑mêmes l’admettent, les amendes administratives en question leur ont été infligées par les autorités helléniques compétentes. Or, le contrôle de l’action des États membres, même lorsqu’ils appliquent les dispositions du droit communautaire, appartient, en premier lieu, aux juridictions nationales, sans préjudice de la possibilité pour celles‑ci de poser des questions préjudicielles à la Cour en vertu de l’article 234 CE (arrêt de la Cour du 27 mars 1980, Sucrimex et Westzucker/Commission, 133/79, Rec. p. 1299, point 24). Il s’ensuit que la voie de recours à envisager, dans de pareils cas, est une action devant les juridictions nationales, ce qui a été effectivement le cas en l’espèce.

26      Il ne saurait, certes, être exclu que, même dans un cas relevant de la compétence des États membres, la Commission puisse exprimer son opinion, laquelle, toutefois, est dépourvue d’effets juridiques et ne lie pas les autorités nationales (arrêt Sucrimex et Westzucker/Commission, précité, point 16 ; ordonnance de la Cour du 17 mai 1989, Italie/Commission, 151/88, Rec. p. 1255, point 22 ; arrêt du Tribunal du 29 janvier 2002, Van Parijs et Pacific Fruit Company/Commission, T‑160/98, Rec. p. II‑233, point 65). Sont, par conséquent, irrecevables les conclusions indemnitaires fondées sur le fait que la Commission aurait exprimé une telle opinion (voir, en ce sens, arrêt Sucrimex et Westzucker/Commission, précité, points 22 et 25).

27      En l’espèce, la déclaration de la Commission sollicitée par la plaignante n’aurait en rien modifié la situation juridique des requérantes, résultant des décisions des autorités helléniques ayant infligé aux requérantes les amendes susvisées, dès lors que seules les autorités ou les juridictions administratives helléniques étaient compétentes pour annuler ou modifier ces décisions. L’influence éventuelle qu’une telle déclaration non contraignante aurait pu exercer sur les positions des autorités ou des juridictions helléniques est, de plus, sans pertinence (voir, en ce sens, arrêts Sucrimex et Westzucker/Commission, précité, points 22 et 23, et Van Parijs et Pacific Fruit Company/Commission, précité, point 65).

28      Il s’ensuit que, le présent recours doit être rejeté comme manifestement irrecevable, pour autant qu’il se fonde sur le refus prétendument illégal de la Commission de donner une suite favorable à la première demande présentée dans la plainte de Lademporiki.

29      Deuxièmement, s’agissant du défaut d’engagement d’une procédure en manquement à l’encontre de la République hellénique, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, dans la mesure où la Commission n’est pas tenue d’engager une procédure en manquement au titre de l’article 226 CE, sa décision de ne pas engager une telle procédure n’est, en tout état de cause, pas constitutive d’une illégalité, de sorte qu’elle n’est pas de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté et que le seul comportement pouvant éventuellement être mis en cause comme source de préjudice est le comportement de l’État membre concerné, à savoir, en l’espèce, celui de l’État hellénique (ordonnance de la Cour du 23 mai 1990, Asia Motor France/Commission, C‑72/90, Rec. p. I‑2181, point 13 ; arrêt du Tribunal du 14 septembre 1995, Lefebvre e.a./Commission, T‑571/93, Rec. p. II‑2379, point 61, et ordonnance du Tribunal du 14 janvier 2004, Makedoniko Metro et Michaniki/Commission, T‑202/02, Rec. p. II‑181, point 43).

30      Il en résulte que sont irrecevables les conclusions en indemnité fondées sur l’abstention de la Commission d’engager une procédure en manquement à l’encontre d’un État membre (ordonnances Asia Motor France/Commission, précitée, point 15, et Makedoniko Metro et Michaniki/Commission, précitée, point 44).

31      Par conséquent, le présent recours doit également être rejeté comme manifestement irrecevable, pour autant qu’il est fondé sur le refus de la Commission d’engager une procédure en manquement à l’encontre de la République hellénique.

32      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précédent, le recours doit être rejeté comme étant, partiellement, manifestement irrecevable et, pour le surplus, manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

 Sur les dépens

33      En vertu de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de décider qu’elles supporteront, outre leurs dépens, ceux de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Les requérantes sont condamnées aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 8 septembre 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Vilaras


* Langue de procédure : le grec.