Language of document : ECLI:EU:T:2019:652

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

20 septembre 2019 (*)

« Aides d’État – Régime d’exonération de l’impôt des sociétés mis à exécution par la Belgique en faveur de ses ports – Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché intérieur – Notion d’activité économique – Services d’intérêt économique général – Activités non économiques – Caractère dissociable – Caractère sélectif – Demande de période transitoire »

Dans l’affaire T‑696/17,

Havenbedrijf Antwerpen NV, établie à Anvers (Belgique),

Maatschappij van de Brugse Zeehaven NV, établie à Zeebruges (Belgique),

représentées par Mes P. Wytinck, W. Panis et I. Letten, avocats,

parties requérantes,

soutenues par

Royaume de Belgique, représenté par MM. J.-C. Halleux, P. Cottin, Mmes L. Van den Broeck et C. Pochet, en qualité d’agents, assistés de Mes A. Lepièce et H. Baeyens, avocats,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Stromsky et S. Noë, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (UE) 2017/2115 de la Commission, du 27 juillet 2017, concernant le régime d’aides SA.38393 (2016/C, ex 2015/E) mis à exécution par la Belgique – Fiscalité des ports en Belgique (JO 2017, L 332, p. 1),

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie),

composé de M. G. Berardis (rapporteur), président, Mme I. Labucka, MM. D. Spielmann, Z. Csehi et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 4 février 2019,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 Cadre juridique

1        En Belgique, les règles relatives à l’imposition des revenus sont codifiées par le code des impôts sur les revenus de 1992.

2        L’article 1er du code des impôts sur les revenus, tel qu’amendé et mis à jour à la date du 27 juillet 2017 (ci-après le « CIR ») prévoit :

« § 1er Sont établis à titre d’impôts sur les revenus :

1)      un impôt sur le revenu global des habitants du royaume, dénommé impôt des personnes physiques ;

2)      un impôt sur le revenu global des sociétés résidentes, dénommé impôt des sociétés ;

3)      un impôt sur les revenus des personnes morales belges autres que les sociétés, dénommé impôt des personnes morales ;

4)      un impôt sur les revenus des non-résidents, dénommé impôt des non-résidents.

§ 2 Les impôts sont perçus par voie de précomptes dans les limites et aux conditions prévues au titre VI, chapitre premier. »

3        L’article 2 du CIR prévoit, dans ses passages pertinents :

« § 1er Pour l’application du présent Code, des dispositions légales particulières relatives aux impôts sur les revenus et des arrêtés pris pour leur exécution, les termes suivants ont le sens défini dans le présent article.

[…]

5) Sociétés

On entend par :

a)      société : toute société, association, établissement ou organisme quelconque régulièrement constitué qui possède la personnalité juridique et se livre à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif.

Les organismes de droit belge possédant la personnalité juridique qui, pour l’application des impôts sur les revenus, sont censés être dénués de la personnalité juridique, ne sont pas considérés comme des sociétés ;

b)      société résidente : toute société qui a en Belgique son siège social, son principal établissement ou son siège de direction ou d’administration et qui n’est pas exclue du champ d’application de l’impôt des sociétés 

[…] »

4        L’article 179 du CIR prévoit :

« Sont assujetties à l’impôt des sociétés, les sociétés résidentes et les organismes de financement de pensions visés à l’article 8 de la loi du 27 octobre 2006 relative au contrôle des institutions de retraite professionnelle. »

5        L’article 180 du CIR prévoit :

« Ne sont pas assujettis à l’impôt des sociétés :

1)      les intercommunales, les structures de coopération, les associations de projet, les régies communales autonomes et les associations visées à l’alinéa 2 qui, dans le cadre de leur objet social, à titre principal :

–        exploitent un hôpital tel que défini à l’article 2 de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 sur les hôpitaux et autres établissements de soins ; ou

–        exploitent une institution qui assiste des victimes de la guerre, des handicapés, des personnes âgées, des mineurs d’âge protégés ou des indigents ;

2)      la SA “Waterwegen en Zeekanaal”, la SA “De Scheepvaart”, la SCRL Port autonome du Centre et de l’Ouest, la Compagnie des installations maritimes de Bruges, le Port de Bruxelles, la régie portuaire communale autonome d’Ostende, les sociétés anonymes de droit public Havenbedrijf Antwerpen et Havenbedrijf Gent et les ports autonomes de Liège, Charleroi et Namur ;

3)      l’Office national du ducroire ;

4)      la Compagnie belge pour le financement de l’industrie ;

5)      [abrogé] ;

5°bis)      le Fonds de participation, le Fonds de participation – Flandre, le Fonds de participation – Wallonie et le Fonds de participation – Bruxelles ;

6)      la Société régionale wallonne de transport public de personnes et les sociétés d’exploitation qui lui sont liées ;

7)      la Société des transports flamande et les unités d’exploitation autonome existant en son sein ;

8)      la Société des transports intercommunaux de Bruxelles ;

9)      les sociétés d’épuration des eaux régies par la loi du 26 mars 1971 ;

10)      [abrogé]

11)      la société de droit public à finalité sociale Coopération technique belge ;

12)      la société anonyme de droit public Infrabel ;

13)      la société de droit public à finalité sociale Apetra ». 

6        Aux termes de l’article 181 du CIR :

« Ne sont pas non plus assujetties à l’impôt des sociétés, les associations sans but lucratif et les autres personnes morales qui ne poursuivent pas un but lucratif et :

1)      qui ont pour objet exclusif ou principal l’étude, la protection et le développement des intérêts professionnels ou interprofessionnels de leurs membres ;

2)      qui constituent le prolongement ou l’émanation de personnes morales visées au 1°, lorsqu’elles ont pour objet exclusif ou principal, soit d’accomplir, au nom et pour compte de leurs affiliés, tout ou partie des obligations ou formalités imposées à ceux-ci en raison de l’occupation de personnel ou en exécution de la législation fiscale ou de la législation sociale, soit d’aider leurs affiliés dans l’accomplissement de ces obligations ou formalités ;

3)      qui, en application de la législation sociale, sont chargées de recueillir, de centraliser, de capitaliser ou de distribuer les fonds destinés à l’octroi des avantages prévus par cette législation ;

4)      qui ont pour objet exclusif ou principal de dispenser ou de soutenir l’enseignement ;

5)      qui ont pour objet exclusif ou principal d’organiser des foires ou expositions ;

6)      qui sont agréées en qualité de service d’aide aux familles et aux personnes âgées par les organes compétents des communautés ;

7)      qui sont agréées pour l’application de l’article 145, § 1er, alinéa 1er, 1°, b, d, e, h à l, 2° et 3°, ou qui le seraient, soit si elles en faisaient la demande, soit si elles répondaient à toutes les conditions auxquelles l’agrément est subordonné, autres que celle d’avoir, suivant le cas, une activité à caractère national ou une zone d’influence s’étendant à l’une des communautés ou régions ou au pays tout entier ;

8)      qui sont constituées en application de la loi du 27 juin 1921 sur les associations sans but lucratif, les associations internationales sans but lucratif et les fondations pour autant qu’elles exercent exclusivement une activité de certification au sens de la loi du 15 juillet 1998 relative à la certification des titres émis par des sociétés commerciales et que les certificats qu’elles émettent soient assimilés aux titres auxquels ils se rapportent pour l’application du Code des impôts sur les revenus 1992, en vertu de l’article 13, § 1er, alinéa 1er de la même loi. »

7        Selon l’article 182 du CIR :

« Dans le chef des associations sans but lucratif et des autres personnes morales qui ne poursuivent pas un but lucratif, ne sont pas considérées comme des opérations de caractère lucratif :

1)      les opérations isolées ou exceptionnelles ;

2)      les opérations qui consistent dans le placement des fonds récoltés dans l’exercice de leur mission statutaire ;

3)      les opérations qui constituent une activité ne comportant qu’accessoirement des opérations industrielles, commerciales ou agricoles ou ne mettant pas en œuvre des méthodes industrielles ou commerciales. »

8        S’agissant spécifiquement de l’assiette de l’impôt des sociétés (ci-après l’« ISoc »), l’article 185, paragraphe 1, du CIR prévoit que les sociétés sont imposables sur le montant total de leurs bénéfices, y compris les dividendes distribués.

9        L’article 220 du CIR prévoit :

« Sont assujettis à l’impôt des personnes morales :

1)      l’État, les communautés, les régions, les provinces, les agglomérations, les fédérations de communes, les communes, les centres publics d’aide sociale, [...] ainsi que les établissements cultuels publics, les zones de secours, les zones de police, ainsi que les polders et wateringues ;

2)      les personnes morales qui, en vertu de l’article 180, ne sont pas assujetties à l’impôt des sociétés ; 

3)      les personnes morales qui ont en Belgique leur siège social, leur principal établissement ou leur siège de direction ou d’administration, qui ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif ou qui ne sont pas assujetties à l’impôt des sociétés conformément [aux] articles 181 et 182. »

10      Aux termes de l’article 221 du CIR :

« Les personnes morales assujetties à l’impôt des personnes morales sont imposables uniquement à raison :

1)      du revenu cadastral de leurs biens immobiliers sis en Belgique, lorsque ce revenu cadastral n’est pas exonéré du précompte immobilier en vertu de l’article 253 ou de dispositions légales particulières ;

2)      des revenus et produits de capitaux et biens mobiliers […] »

 Procédure administrative et décision attaquée

11      Le 3 juillet 2013, les services de la Commission européenne ont envoyé à tous les États membres un questionnaire sur le fonctionnement et la fiscalité de leurs ports afin d’obtenir une vue d’ensemble de la matière et de clarifier la situation des ports au regard des règles de l’Union européenne sur les aides d’État. Par la suite, les services de la Commission ont échangé plusieurs courriers relatifs à cette question avec les autorités belges.

12      Par lettre du 9 juillet 2014, en application de l’article 17 du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), la Commission a informé les autorités belges de son appréciation préliminaire, selon laquelle l’exonération de l’ISoc prévue pour certains ports belges constituait une aide d’État incompatible avec le marché intérieur et cette aide constituait une aide existante au sens de l’article 1er, sous b), dudit règlement. Une réunion a eu lieu avec les autorités belges le 23 septembre 2014. La Région wallonne et le Port de Bruxelles (Belgique) ont présenté chacun leurs observations par lettres du 30 septembre 2014, tandis que le Vlaams gewest (Région flamande) a fait part de ses observations par lettre du 1er octobre 2014.

13      Par courrier du 1er juin 2015, la Commission a fait savoir au Royaume de Belgique qu’elle avait pris acte de tous les arguments soumis par ce dernier et qu’elle considérait toujours que l’exonération de l’ISoc en faveur d’une série de ports constituait une aide incompatible avec le marché intérieur, si et dans la mesure où ces ports avaient des activités économiques. Un recours a été introduit contre cette lettre et a été rejeté comme irrecevable par ordonnance du 9 mars 2016, Port autonome du Centre et de l’Ouest e.a./Commission (T‑438/15, EU:T:2016:142).

14      Par lettre du 21 janvier 2016, la Commission a confirmé sa position et proposé aux autorités belges, conformément à l’article 108, paragraphe 1, TFUE et à l’article 22 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), à titre de mesures utiles, de supprimer l’exonération de l’ISoc prévue pour les ports belges, dans la mesure où ceux-ci se livraient à des activités économiques.

15      Les autorités belges étaient invitées à adapter la législation dans un délai de dix mois, cette modification devant s’appliquer au plus tard aux revenus résultant des activités économiques à partir du début de l’année fiscale 2017. Les autorités belges étaient invitées à informer la Commission par écrit qu’elles acceptaient, conformément à l’article 23, paragraphe 1, du règlement 2015/1589, inconditionnellement et sans équivoque, ces mesures utiles dans leur intégralité dans les deux mois à compter de la date de réception de la proposition de ces mesures. Un recours a été introduit contre cette proposition de mesures utiles et rejeté comme irrecevable par ordonnance du 27 octobre 2016, Port autonome du Centre et de l’Ouest e.a./Commission (T‑116/16, non publiée, EU:T:2016:656).

16      Par lettre du 21 mars 2016, les autorités belges ont transmis à la Commission des observations sur les mesures utiles proposées. À la suite de ces observations, la Commission a, par lettre du 8 juillet 2016, décidé d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, en application de l’article 23, paragraphe 2, du règlement 2015/1589 (JO 2016, C 302, p. 5).

17      La Commission a invité les parties intéressées à présenter leurs observations sur la mesure en cause. Une réunion a été organisée le 24 août 2016 avec des représentants de certains ports belges visés par la mesure. Le Royaume de Belgique a présenté ses observations par lettres du 9 septembre 2016, en ce qui concerne le ministre fédéral des Finances, et du 16 septembre 2016, la Région wallonne et les ports wallons.  La Commission a reçu des observations de la part des parties intéressées suivantes : Sea Invest, utilisateur des ports d’Anvers (Belgique), de Gand (Belgique) et de Zeebruges (Belgique), le port de Rotterdam (Pays-Bas), agissant au nom des cinq ports maritimes publics néerlandais, le port de Bruxelles, la Commission portuaire flamande (Vlaamse Havencommissie, Belgique) et les ports d’Anvers et de Zeebruges.  

18      La Commission a transmis ces observations au Royaume de Belgique en lui donnant la possibilité de les commenter, ce qu’il a fait par lettre du 14 novembre 2016. Une réunion a été organisée entre les autorités belges et la Commission le 19 décembre 2016, à l’occasion de laquelle des observations supplémentaires ont été transmises à la Commission. Une nouvelle réunion a été organisée entre les autorités belges fédérales et régionales, certains bénéficiaires de la mesure et la Commission le 10 janvier 2017.

19      Après avoir examiné les observations présentées par le Royaume de Belgique et les parties intéressées, la Commission a adopté, le 27 juillet 2017, la décision (UE) 2017/2115, concernant le régime d’aides SA.38393 (2016/C, ex 2015/E) mis à exécution par la Belgique – Fiscalité des ports en Belgique (JO 2017, L 332, p. 1, ci-après la « décision attaquée »).

20      Aux termes de la décision attaquée, premièrement, la Commission a constaté que les activités des ports belges visés à l’article 180, point 2, du CIR étaient – au moins partiellement – des activités économiques, de sorte que les ports devaient être qualifiés d’entreprises dans la mesure où ils exerçaient de telles activités (considérants 40 à 67 de la décision attaquée). Deuxièmement, la Commission a fait valoir que, en étant assujettis à l’impôt des personnes morales (ci-après l’« IPM ») plutôt qu’à l’ISoc en vertu de l’article 180, point 2, du CIR, les ports bénéficiaient d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE correspondant à la différence entre l’ISoc qu’ils auraient dû payer pour leurs activités économiques et la part de l’IPM qui pouvait être attribuée à ces activités économiques (considérants 68 à 73 de la décision attaquée). Troisièmement, la Commission a considéré que la mesure en cause constituait un transfert des ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (considérants 74 à 77 de la décision attaquée). Quatrièmement, elle a considéré que la mesure était sélective (considérants 78 à 107 de la décision attaquée). Cinquièmement, elle a estimé que, en renforçant la position des bénéficiaires dans les échanges internationaux, la mesure en cause était susceptible d’affecter les échanges à l’intérieur de l’Union et de fausser la concurrence (considérants 108 à 115 de la décision attaquée). Elle en a conclu que l’exonération fiscale prévue à l’article 180, point 2, du CIR pour les ports belges constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où les revenus exonérés provenaient des activités économiques des ports (considérant 116 de la décision attaquée). Enfin, elle a constaté que la mesure d’aide en cause ne pouvait être déclarée compatible avec le marché intérieur, que ce soit sur la base de l’article 93 ou de l’article 106, paragraphe 2, TFUE (considérants 117 à 120 de la décision attaquée) et elle a refusé d’octroyer une période transitoire pour la mise en œuvre de cette décision (considérants 124 à 130 de la décision attaquée).

21      L’article 1er de la décision attaquée dispose :

« L’exonération d’impôt des sociétés en faveur des ports belges mentionnés à l’article 180, 2°, du [CIR] constitue un régime d’aide d’État existant incompatible avec le marché intérieur. »

22      Aux termes de l’article 2 de la décision attaquée :

« 1. La Belgique est tenue de supprimer l’exonération d’impôt des sociétés visée à l’article premier et de soumettre à l’impôt des sociétés les entités en faveur desquelles cette exonération s’applique.

2. La mesure par laquelle la Belgique exécute ses obligations découlant du paragraphe 1 doit être adoptée avant la fin de l’année civile en cours à la date de notification de cette décision. Cette mesure doit s’appliquer au plus tard aux revenus des activités économiques générés à partir du début de l’année fiscale suivant son adoption. »

 Procédure et conclusions des parties

23      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 octobre 2017, les requérantes, Havenbedrijf Antwerpen NV (le port d’Anvers) et Maatschappij van de Brugse Zeehaven NV (la Compagnie des installations maritimes de Bruges, Belgique), qui sont toutes deux mentionnées à l’article 180, point 2, du CIR, ont introduit le présent recours.

24      Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal les 19 et 23 janvier 2018, respectivement, le Royaume de Belgique et le Vlaams Gewest (la Région flamande) ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions des requérantes.

25      Par décision du 15 mars 2018, le président de la sixième chambre du Tribunal a admis l’intervention du Royaume de Belgique. Le Royaume de Belgique a déposé son mémoire en intervention le 22 mai 2018 et les parties ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

26      Par ordonnance du 25 octobre 2018, Havenbedrijf Antwerpen et Maatschappij van de Brugse Zeehaven/Commission (T‑696/17, non publiée, EU:T:2018:736), le président de la sixième chambre du Tribunal a rejeté la demande d’intervention de la Région flamande.

27      Par décision du 7 novembre 2018, le Tribunal a décidé de renvoyer l’affaire devant la sixième chambre élargie, conformément à l’article 28 de son règlement de procédure.

28      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a posé un certain nombre de questions écrites aux parties, auxquelles ces dernières ont répondu dans le délai imparti.

29      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses posées par le Tribunal lors de l’audience du 4 février 2019.

30      Un membre de la sixième chambre élargie ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal a désigné, en application de l’article 17, paragraphe 2, du règlement de procédure, un autre juge pour compléter la chambre.

31      Les requérantes, soutenues par le Royaume de Belgique, concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, établir une période transitoire courant jusqu’à la clôture, par la Commission, de son enquête sur le régime fiscal des ports des différents États membres de l’Union et, en toute hypothèse, d’une durée d’une année complète ;

–        condamner la Commission aux dépens.

32      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens et condamner le Royaume de Belgique à supporter les dépens consécutifs à son intervention.

 En droit

33      Au soutien de leur recours, les requérantes invoquent quatre moyens. Premièrement, la Commission aurait violé les articles 107 et 296 TFUE en qualifiant les autorités portuaires d’entreprises. Deuxièmement, la Commission aurait violé l’article 107 TFUE en considérant l’exonération de l’ISoc comme étant une mesure sélective. Troisièmement, à titre subsidiaire, la Commission aurait violé l’article 107 TFUE en considérant que la dérogation au système de référence n’était pas justifiée par la nature et par l’économie du système fiscal belge en matière d’impôts sur le revenu. Quatrièmement, à titre infiniment subsidiaire, les requérantes demandent au Tribunal de leur accorder une période transitoire jusqu’à la clôture de l’enquête de la Commission sur le régime fiscal des différents ports de l’Union et, en toute hypothèse, d’une durée d’un an.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation des articles 107 et 296 TFUE en raison de la qualification des autorités portuaires d’entreprises

34      Le premier moyen, en ce qu’il est tiré d’une violation de l’article 107 TFUE, se divise en deux branches. Dans le cadre de la première branche, les requérantes soutiennent qu’il n’existe pas de marché sur lequel elles proposent leurs services. Par la seconde branche, elles allèguent que leurs activités ne revêtent pas un caractère économique.

35      Le Tribunal estime opportun d’examiner en premier lieu la seconde branche, puis la première.

36      À titre liminaire, cependant, il convient d’écarter d’emblée le premier moyen en ce qu’il est tiré d’une violation de l’article 296 TFUE en raison d’un défaut de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne la qualification des ports d’« entreprises » au sens de l’article 107 TFUE.

37      En effet, il convient de rappeler à cet égard que, selon la jurisprudence, le moyen tiré de la violation de l’article 296 TFUE est un moyen distinct de celui tiré du caractère non fondé de la décision attaquée. Alors que le premier, qui vise un défaut ou une insuffisance de motivation, relève de la violation des formes substantielles, au sens de l’article 263 TFUE, et constitue un moyen d’ordre public qui doit être soulevé par le juge de l’Union, le second, qui porte sur la légalité au fond d’une décision, relève de la violation d’une règle de droit relative à l’application du traité, au sens du même article 263 TFUE, et ne peut être examiné par le juge de l’Union que s’il est invoqué par la partie requérante. L’obligation de motivation est dès lors une question distincte de celle du bien-fondé de la motivation (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 67, et du 15 juin 2005, Corsica Ferries France/Commission, T‑349/03, EU:T:2005:221, point 52).

38      Or, en l’espèce, outre que les requérantes n’ont nullement étayé le grief tiré d’une prétendue violation de l’article 296 TFUE dans la requête, force est de constater que la décision attaquée est suffisamment motivée, la Commission ayant consacré pas moins de 28 considérants dans la décision attaquée à la question de la qualification des ports d’« entreprises » exerçant des activités économiques (voir les considérants 40 à 67 de la décision attaquée). En outre, il ressort de l’examen des différents griefs soulevés par les requérantes ci-après que la décision attaquée leur a permis de connaître les justifications de la mesure prise à cet égard et au Tribunal d’exercer son contrôle.

39      Partant, le premier moyen en ce qu’il est tiré d’une violation de l’article 296 TFUE doit être rejeté.

 Sur la seconde branche, tirée de la nature non économique des activités des ports belges

40      Dans le cadre de la seconde branche, les requérantes rappellent, en premier lieu, en se fondant sur le Decreet houdende het beleid en het beheer van de zeehavens (décret sur la politique et la gestion des ports maritimes), du 2 mars 1999 (Belgish Staatsblad du 8 avril 1999), que leurs fonctions essentielles se composent principalement de tâches d’intérêt général non économiques, telles que la gestion administrative du domaine portuaire public et privé, les services d’inspection environnementale ou les services de capitainerie portuaire. Dans le cadre de ces tâches, les autorités portuaires exerceraient des prérogatives de puissance publique exclusives, qui ne peuvent pas être transférées en raison précisément du caractère public de la gestion portuaire et de son unité. En outre, les États membres disposeraient d’un large pouvoir discrétionnaire afin de déterminer ce qu’il y a lieu d’entendre par « services économiques » et « services non économiques » d’intérêt général.  

41      En deuxième lieu, les requérantes soulignent qu’il y a lieu d’établir une distinction entre les tâches essentielles qui leur sont imposées par décret et les services portuaires commerciaux proposés par des tiers. En effet, les autorités portuaires n’investiraient pas dans l’équipement nécessaire à l’exploitation commerciale du port, contrairement aux exploitants d’aéroports par exemple. La seule tâche des autorités portuaires serait de mettre à disposition, de manière non discriminatoire, l’infrastructure portuaire aux usagers telle que les entreprises de manutention ou les entreprises de logistique qui, elles, exercent des activités économiques et pourront construire ultérieurement sur cette infrastructure de base. Les requérantes insistent, à cet égard, sur la distinction entre la gestion et l’exploitation du domaine portuaire en tant qu’infrastructure de base, qui serait de nature non économique, et la gestion et l’exploitation de la superstructure. Une telle distinction serait confirmée par le règlement (UE) 2017/352 du Parlement européen et du Conseil, du 15 février 2017, établissant un cadre pour la fourniture de services portuaires et des règles communes relatives à la transparence financière des ports (JO 2017, L 57, p. 1), et par la pratique décisionnelle antérieure de la Commission. Il ressortirait également de la jurisprudence de la Cour que la mise à disposition d’une infrastructure relevant du domaine public de manière non discriminatoire ne constitue pas une activité économique, d’autant plus lorsque la mise à disposition et l’exploitation commerciale de cette infrastructure ne sont pas fournies par la même entité, comme en l’espèce.

42      En troisième lieu, les requérantes mettent en avant l’absence d’activité économique en raison de la pratique tarifaire des autorités portuaires. Selon elles, l’existence d’une rémunération n’implique pas toujours, a priori, l’existence d’une activité économique. D’une part, les autorités portuaires percevraient des droits de port, qui visent à rémunérer le droit d’accéder à la zone portuaire, de la traverser, d’y être amarrés ou d’y résider et la garantie d’un développement sûr et efficace du domaine portuaire. Ces droits de ports seraient considérés comme des « rétributions », c’est-à-dire la rémunération d’un service accompli par l’autorité au bénéfice du redevable. Ces droits ne seraient pas fixés sur la base de mécanismes de marché, conformément à l’offre et à la demande, mais de manière unilatérale. Ils ne résulteraient pas d’une négociation commerciale et prendraient en compte les impératifs légaux et le contrôle administratif. En outre, l’autonomie dont les requérantes disposent pour fixer les tarifs des droits de port serait restreinte en raison des principes d’égalité, de transparence, et de proportionnalité ainsi que du contrôle administratif auquel elles sont soumises. D’autre part, les autorités portuaires percevraient des redevances de concession pour la concession, à des tiers, des biens domaniaux publics, au terme d’une procédure non discriminatoire et transparente. Les terrains à donner en concession ne seraient pas attribués automatiquement au plus offrant, mais sur la base de critères préétablis, liés à la valeur ajoutée du projet et au bien-être sociétal. Dès lors, les tarifs ne constitueraient pas un instrument de politique commerciale, comme le prétend la Commission, mais un instrument visant à concrétiser des missions de service public des autorités portuaires en vue de garantir l’intérêt général.

43      En quatrième lieu, les requérantes font valoir que les activités économiques des ports présentent un caractère accessoire, de sorte que l’ensemble des activités des ports devraient être considérées comme n’étant pas économiques ou d’intérêt général. Elles rappellent à cet égard que les ports ne s’occupent pas de l’exploitation commerciale de l’infrastructure portuaire, mais bien de mettre à disposition des voies d’eau et des bassins et de donner des terrains en concession, moyennant des droits de port et des redevances de concession. Dès lors, leurs activités d’importance secondaire devraient suivre la qualification des activités essentielles.

44      Par conséquent, la conclusion de la Commission dans la décision attaquée, selon laquelle les autorités portuaires sont des entreprises aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État, serait erronée.

45      La Commission conteste ces arguments.

46      Il convient tout d’abord de rappeler, à l’instar de la Commission au considérant 40 de la décision attaquée, que, selon la jurisprudence, la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. À cet égard, constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (arrêt du 12 septembre 2000, Pavlov e.a., C‑180/98 à C‑184/98, EU:C:2000:428, points 74 et 75 ; voir également, en ce sens, arrêts du 16 juin 1987, Commission/Italie, 118/85, EU:C:1987:283, point 7, et du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C‑41/90, EU:C:1991:161, point 21).

47      La jurisprudence a reconnu, par ailleurs, que l’exploitation commerciale et la construction d’infrastructures portuaires ou aéroportuaires en vue d’une telle exploitation commerciale constituaient des activités économiques (voir, en ce sens, arrêts du 24 octobre 2002, Aéroports de Paris/Commission, C‑82/01 P, EU:C:2002:617, point 78 ; du 19 décembre 2012, Mitteldeutsche Flughafen et Flughafen Leipzig-Halle/Commission, C‑288/11 P, EU:C:2012:821, points 40 à 43, et du 15 mars 2018, Naviera Armas/Commission, T‑108/16, EU:T:2018:145, point 78).

48      En l’espèce, la Commission a énuméré, au considérant 44 de la décision attaquée, une série d’activités économiques susceptibles d’être exercées par les ports. Premièrement, les ports fournissent un service général à leurs usagers (principalement les armateurs, plus généralement tout opérateur d’un navire) en donnant accès aux navires à l’infrastructure portuaire en échange d’une rémunération appelée généralement « droit de port ». Deuxièmement, certains ports fournissent des services particuliers aux navires comme le pilotage, le levage, la manutention ou l’amarrage, également en échange d’une rémunération. Troisièmement, les ports, moyennant rémunération, mettent certaines infrastructures ou certains terrains à disposition d’entreprises qui utilisent ces espaces pour leurs besoins propres ou pour fournir aux navires certains des services particuliers susmentionnés. La Commission a précisé, en outre, au considérant 45 de la décision attaquée, que le fait que des entreprises tierces utilisaient certains terrains et infrastructures portuaires pour offrir des services aux armateurs ou aux navires n’excluait pas que les activités de gestion exercées par les autorités portuaires, consistant notamment à louer lesdits terrains et infrastructures à ces entreprises tierces, soient également de nature économique.

49      Interrogées à cet égard lors de l’audience, les requérantes ont confirmé, premièrement, qu’elles percevaient des redevances, qualifiées de « droits de port », qui étaient perçues – au moins en partie – en contrepartie du droit d’accès des navires à l’infrastructure portuaire. Deuxièmement, si elles contestent qu’elles effectuent elles-mêmes des activités de levage, de chargement ou de déchargement de marchandises au moyen de grues notamment, ou encore de manutention, elles admettent néanmoins effectuer certaines activités de transbordement et de remorquage derrière les écluses. Troisièmement, elles ne contestent pas mettre des terrains à disposition d’entreprises tierces, en échange de redevances de concession.

50      Par conséquent, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la Commission a considéré, au considérant 67 de la décision attaquée, que les activités exercées par les ports étaient – au moins partiellement – des activités économiques.

51      Aucun des arguments soulevés par les requérantes ou par le Royaume de Belgique n’est susceptible de remettre en cause cette conclusion.

52      En premier lieu, les requérantes font valoir que leurs activités ne sont pas des activités économiques, dans la mesure où elles ont des prérogatives de puissance publique et où elles sont chargées de missions d’intérêt général.

53      À cet égard, il convient d’observer, à l’instar de la Commission au considérant 47 de la décision attaquée, qu’en l’espèce il n’est pas contesté que les ports puissent se voir déléguer l’exercice de certaines prérogatives de puissance publique, de nature non économique, comme le contrôle et la sécurité du trafic maritime ou la surveillance antipollution.

54      Cependant, la circonstance qu’une entité dispose, pour l’exercice d’une partie de ses activités, de prérogatives de puissance publique n’empêche pas, à elle seule, de la qualifier d’entreprise. En effet, pour déterminer si les activités en cause sont celles d’une entreprise au sens du traité, il faut rechercher quelle est la nature de ces activités (voir, en ce sens, arrêts du 24 octobre 2002, Aéroports de Paris/Commission, C‑82/01 P, EU:C:2002:617, points 74 et 75, et du 12 juillet 2012, Compass-Datenbank, C‑138/11, EU:C:2012:449, point 37).

55      La circonstance que les requérantes puissent être chargées de services d’intérêt général ne suffit pas, dès lors, à leur retirer la qualification d’« entreprises », si et dans la mesure où elles exercent également des activités économiques, consistant à offrir des biens et des services sur le marché contre rémunération, telles que celles qui ont été identifiées par la Commission au considérant 44 de la décision attaquée (voir point 48 ci-dessus).

56      En outre, il y a lieu de rappeler, à l’instar de la Commission au considérant 48 de la décision attaquée, que, si les autorités nationales disposent d’un large pouvoir discrétionnaire pour fournir, faire exécuter et organiser les services d’intérêt général d’une manière qui réponde, autant que possible, aux besoins des utilisateurs, cela n’exclut pas que ces activités puissent présenter un caractère économique. En effet, selon une jurisprudence constante (voir points 46 et 54 ci-dessus), la notion d’« activité économique » découle d’éléments de fait, notamment l’existence d’un marché pour les services concernés et ne dépend pas des choix ou des appréciations nationales. Ainsi, l’État lui-même ou une entité étatique peut agir en tant qu’entreprise (voir arrêt du 12 juillet 2012, Compass-Datenbank, C‑138/11, EU:C:2012:449, point 35 et jurisprudence citée).

57      À cet égard, c’est en vain que le Royaume de Belgique se prévaut du règlement 2017/352 pour établir que les ports n’exerceraient pas d’activités économiques. En effet, s’il est vrai que ce règlement prévoit que les États membres peuvent décider d’imposer des obligations de service public à des prestataires de services portuaires et confier le droit d’imposer de telles obligations au gestionnaire du port ou à l’autorité compétente, afin de garantir certains objectifs de service public, il n’existe, en l’espèce, aucun lien entre la mesure d’aide en cause – à savoir l’exonération de l’ISoc dont bénéficient les ports – et une quelconque mission de service public. La décision attaquée n’empêche d’ailleurs nullement les requérantes de conclure des conventions de délégation de service public avec la Région flamande.

58      Ensuite, dans la mesure où le Royaume de Belgique invoque la communication (2004) 43 de la Commission – Orientations communautaires sur les aides d’État au transport maritime (JO 2004, C 13, p. 3), afin d’établir le caractère non économique des activités des ports, il convient de relever que le point 2.1 de ces orientations précise que « [l]es investissements en infrastructures ne sont normalement pas considérés comme des aides d’État au sens de l’article [107], paragraphe 1, [TFUE] lorsque l’État offre un accès libre aux infrastructures, égal pour tous les opérateurs concernés ». Tout comme la communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, du traité FUE (JO 2016, C 262, p. 1), ce point se réfère donc uniquement aux aides à l’investissement dans des infrastructures, et non aux aides prenant la forme d’une exonération de l’ISoc, dont le montant dépend directement des bénéfices réalisés, comme en l’espèce.

59      Le Royaume de Belgique se prévaut également du point 59 de l’arrêt du 22 mai 2003, Korhonen e.a. (C‑18/01, EU:C:2003:300), duquel il ressortirait que la gestion de terrains et de bâtiments relevant du domaine public répondrait à un besoin d’intérêt général, à caractère non économique. Force est de constater néanmoins, à l’instar de la Commission au considérant 60 de la décision attaquée, que cet arrêt ne concerne pas la notion d’entreprise en droit des aides d’État, mais la question de savoir si une société anonyme créée, détenue et gérée par une collectivité territoriale répond à un besoin d’intérêt général, au sens de l’article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO 1992, L 209, p. 1).

60      Partant, le grief tiré de l’absence d’activité économique en raison des prérogatives de puissance publique des ports doit être rejeté.

61      En deuxième lieu, les requérantes estiment qu’il y a lieu de distinguer entre les activités de gestion de l’infrastructure portuaire par les ports et les activités commerciales des usagers des ports.

62      À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que la Commission a identifié suffisamment clairement les activités économiques effectuées par les ports au considérant 44 de la décision attaquée (voir point 48 ci-dessus). Ainsi que l’a constaté la Commission audit considérant, les ports donnent, notamment, accès à l’infrastructure portuaire aux navires en échange d’une rémunération et mettent des terrains à disposition contre rémunération. Dès lors, l’argument des requérantes selon lequel les ports faciliteraient uniquement l’offre de services par des tiers utilisateurs des ports manque en fait.

63      Il y a lieu de préciser, en outre, que la Commission n’a pas considéré que les ports assuraient eux-mêmes, dans tous les cas, certains services tels que le levage, la manutention, l’amarrage, le transbordement ou le pilotage, en faveur des navires utilisant leurs infrastructures. Elle a ainsi reconnu que, dans certains cas, ces services pouvaient être fournis par d’autres entreprises. Au considérant 45 de la décision attaquée, la Commission a considéré néanmoins que le fait que des entreprises tierces utilisaient certains terrains et infrastructures portuaires pour offrir des services aux armateurs ou aux navires n’excluait pas que les activités de gestion exercées par les ports en tant qu’autorités portuaires, consistant notamment à louer lesdits terrains et infrastructures à ces entreprises tierces, soient également de nature économique.

64      S’agissant de la situation particulière des requérantes, la Commission a reconnu également, lors de l’audience, que certains des services particuliers mentionnés au considérant 44 de la décision attaquée peuvent ne pas être offerts par celles-ci, sans que cela suffise toutefois pour remettre en cause le reste de son analyse (voir points 48 et 49 ci-dessus).

65      À cet égard, il convient de rappeler en effet que, dans le cas d’une décision portant sur un régime d’aides, comme en l’espèce, la Commission peut se borner à étudier, de manière générale et abstraite, les caractéristiques du régime en cause pour apprécier, dans les motifs de la décision, si, en raison des modalités que ce programme prévoit, celui-ci constitue, en principe, une aide d’État pour ses bénéficiaires. Ainsi, la Commission n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime (voir, en ce sens, arrêts du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 63, et du 26 novembre 2015, Navarra de Servicios y Tecnologías/Commission, T‑487/13, non publié, EU:T:2015:899, point 66).

66      Dès lors, lorsqu’elle examine les caractéristiques générales d’un régime d’aides, comme en l’espèce, la Commission peut également identifier, de manière générale et abstraite, les activités économiques susceptibles d’être exercées par les ports, même si ces activités ne sont pas toutes, dans tous les cas, effectivement exercées par chaque port. Dans l’hypothèse où un port n’exercerait aucune des activités économiques identifiées par la Commission dans la décision attaquée, il ne saurait cependant être qualifié d’entreprise, à laquelle s’appliquent les trègles du traité FUE relatives aux aides d’État. Toutefois tel n’est pas le cas en l’espèce, dans la mesure où les requérantes effectuent la plupart des activités économiques identifiées par la Commission au considérant 44 de la décision attaquée (voir points 48 et 49 ci-dessus).

67      Les requérantes invoquent encore, au soutien de leurs arguments, le considérant 43 du règlement 2017/352, qui prévoit que, « [a]fin de garantir des conditions de concurrence équitables et d’assurer la transparence dans l’octroi et l’utilisation de financements publics et d’éviter les distorsions du marché, il est nécessaire d’imposer au gestionnaire du port bénéficiant de financements publics, lorsqu’il exerce aussi l’activité de prestataire de services, l’obligation de tenir des comptes pour les activités financées par des fonds publics exercées en tant que gestionnaire du port qui soient séparés des comptes pour les activités exercées sur une base concurrentielle ». Les requérantes en déduisent que seule la prestation de services portuaires peut être soumise à la discipline des aides d’État, à la différence des activités de gestion du port. Cependant, comme le fait valoir la Commission, le fait que les services portuaires fournis par des tiers constituent des activités économiques n’empêche pas que les ports puissent eux-mêmes également exercer des activités économiques. La dernière phrase dudit considérant prévoit d’ailleurs que, « [e]n tout état de cause, il y a lieu de veiller au respect des règles relatives aux aides d’État ».

68      Dans la mesure où les requérantes invoquent également la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la pratique décisionnelle de la Commission concernant d’autres affaires ne saurait affecter la validité de la décision qui est attaquée, qui ne peut s’apprécier qu’au regard des règles objectives du traité (arrêts du 16 juillet 2014, Allemagne/Commission, T‑295/12, non publié, EU:T:2014:675, point 181, et du 9 juin 2016, Magic Mountain Kletterhallen e.a./Commission, T‑162/13, non publié, EU:T:2016:341, point 59).

69      En tout état de cause, comme l’a relevé la Commission au considérant 41 de la décision attaquée, sa pratique décisionnelle la plus récente révèle que l’exploitation commerciale et la construction d’infrastructures portuaires constituent des activités économiques. À supposer que la Commission ait pu modifier sa pratique décisionnelle à cet égard, c’était afin de se conformer à la jurisprudence de la Cour, en particulier avec les arrêts du 24 octobre 2002, Aéroports de Paris/Commission (C‑82/01 P, EU:C:2002:617), et du 19 décembre 2012, Mitteldeutsche Flughafen et Flughafen Leipzig-Halle/Commission (C‑288/11 P, EU:C:2012:821).

70      Les requérantes considèrent, cependant, qu’il ne saurait être déduit des arrêts mentionnés au point 69 ci-dessus que la gestion de l’infrastructure portuaire constitue nécessairement une activité économique. Ainsi, d’une part, la situation en cause dans l’arrêt du 19 décembre 2012, Mitteldeutsche Flughafen et Flughafen Leipzig-Halle/Commission (C‑288/11 P, EU:C:2012:821), serait différente dans la mesure où elles n’exploitent pas elles-mêmes l’infrastructure, mais la mettraient à disposition de tiers. D’autre part, dans l’arrêt du 24 octobre 2002, Aéroports de Paris/Commission (C‑82/01 P, EU:C:2002:617), seules les activités prestées en échange d’une redevance commerciale auraient été qualifiées d’économiques par le Tribunal.

71      Comme le fait valoir la Commission, toutefois, le Tribunal et la Cour ont considéré expressément que la mise à disposition d’installations aéroportuaires à des compagnies aériennes, moyennant le paiement d’une redevance, constituaient une activité économique (voir, en ce sens, arrêts du 24 octobre 2002, Aéroports de Paris/Commission, C‑82/01 P, EU:C:2002:617, point 78, et du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission, T‑128/98, EU:T:2000:290, point 121). Or, il n’existe pas de différence fondamentale entre l’octroi de l’accès à l’infrastructure d’un aéroport en échange de redevances aéroportuaires et l’octroi de l’accès à l’infrastructure portuaire en échange de droits de ports.

72      En outre, contrairement à ce que font valoir les requérantes à cet égard, les ports exploitent eux-mêmes l’infrastructure portuaire lorsqu’ils donnent accès à l’infrastructure portuaire aux navires ou donnent des terrains en location en échange d’une rémunération, à l’instar de l’aéroport de Leipzig-Halle dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 décembre 2012, Mitteldeutsche Flughafen et Flughafen Leipzig-Halle/Commission (C‑288/11 P, EU:C:2012:821).

73      Dès lors, c’est à tort que les requérantes prétendent que la Commission aurait opéré une confusion dans la décision attaquée entre les activités des ports et celles de leurs usagers, ainsi qu’entre la gestion de l’infrastructure et l’exploitation commerciale de la superstructure portuaire.

74      En troisième lieu, les requérantes mettent en avant l’absence d’activité économique en raison de la pratique tarifaire des autorités portuaires.

75      À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, constituent des services susceptibles d’être qualifiés d’activités économiques les prestations fournies normalement contre rémunération. La caractéristique essentielle de la rémunération réside dans le fait que celle-ci constitue la contrepartie économique de la prestation en cause (voir arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 47 et jurisprudence citée).

76      Dès lors, contrairement à ce que font valoir les requérantes à cet égard, l’existence d’une rémunération constitue bien un élément pertinent afin d’établir l’existence d’une activité économique (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2012, Mitteldeutsche Flughafen et Flughafen Leipzig-Halle/Commission, C‑288/11 P, EU:C:2012:821, point 40, et du 24 mars 2011, Freistaat Sachsen et Land Sachsen-Anhalt/Commission, T‑443/08 et T‑455/08, EU:T:2011:117, point 93).

77      À cet égard, l’argument des requérantes selon lequel les droits de port auraient été qualifiés de « rétribution » par la Cour constitutionnelle belge, ce qui exclurait la prise en compte de toute composante liée au profit, n’infirme pas la thèse de la Commission selon laquelle ces droits constituent la contrepartie économique à la prestation du service en cause.

78      Certes, comme le font valoir les requérantes, selon la jurisprudence, la circonstance selon laquelle un produit ou un service fourni par une entité publique et se rattachant à l’exercice par celle-ci de prérogatives de puissance publique est fourni contre une rémunération prévue par la loi, et non pas déterminée, directement ou indirectement, par cette entité, ne suffit pas par elle-même à faire qualifier l’activité exercée d’activité économique et l’entité qui l’exerce d’entreprise (voir arrêt du 12 septembre 2013, Allemagne/Commission, T‑347/09, non publié, EU:T:2013:418, point 30 et jurisprudence citée). Toutefois, une telle circonstance ne saurait suffire non plus, à elle seule, à faire échapper l’activité en cause à la qualification d’activité économique.

79      Il convient de relever, en outre, à l’instar de la Commission au considérant 51 de la décision attaquée, que les caractéristiques des tarifs pratiqués par les ports en l’espèce (publicité, non-discrimination, etc.) sont similaires à celles des tarifs pratiqués dans le cadre de services d’intérêt économique général, qui sont bien, en principe, des activités économiques et sont soumis au droit des aides d’État. De même, dans la grande majorité des prestations économiques, les prix sont aussi publics, non discriminatoires et fixés à l’avance unilatéralement par le prestataire.

80      S’agissant, enfin, de l’argument selon lequel les ports ne poursuivraient pas une logique commerciale en fixant leurs tarifs, mais viseraient à concrétiser des missions de service public, il convient de rappeler que la circonstance que l’offre de biens ou de services soit faite sans but lucratif ne fait pas obstacle à ce que l’entité qui effectue ces opérations sur le marché doive être considérée comme une entreprise, dès lors que cette offre se trouve en concurrence avec celle d’autres opérateurs qui poursuivent un but lucratif (arrêts du 1er juillet 2008, MOTOE, C‑49/07, EU:C:2008:376, point 27, et du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 46 ; voir également, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2013, Allemagne/Commission, T‑347/09, non publié, EU:T:2013:418, point 48).

81      En outre, le simple fait que les prix soient fixés unilatéralement par les ports sous le contrôle du commissaire régional de port ne signifie pas que la demande n’est pas prise en compte. Au contraire, comme l’observe la Commission au considérant 56 de la décision attaquée, les ports prennent bien en compte les circonstances du marché lorsqu’ils déterminent leurs tarifs, notamment les droits de ports. À ce titre, les tarifs constituent à l’évidence un instrument important de la politique commerciale mise en œuvre par les ports pour inciter les armateurs et les chargeurs à utiliser les infrastructures du port et les entreprises à s’y installer pour développer leurs activités de production ou de service. S’agissant, en particulier, des ports d’Anvers et de Zeebruges, il ressort de la note en bas de page no 46 de la décision attaquée que, en vertu de l’article 25, paragraphe 3, du décret sur la politique et la gestion des ports maritimes du 2 mars 1999, « le gouvernement flamand et les régies portuaires développent des initiatives en vue de réaliser […] des structures tarifaires harmonieuses dans les ports maritimes flamands afin de garantir une position concurrentielle loyale aux ports maritimes flamands ».

82      Il n’est, du reste, pas contesté que les droits de ports et les redevances de concession perçus par les ports couvrent au moins la majeure partie des coûts supportés par ceux-ci lorsqu’ils offrent leurs services sur le marché, ainsi que l’a constaté la Commission au considérant 53 de la décision attaquée. Dans le cas du port d’Anvers, ces recettes dépassaient même le total des charges courantes en 2015. Le fait que ces recettes puissent également financer certaines activités non économiques n’enlève rien au fait qu’elles sont perçues en contrepartie d’activités économiques telles que la mise à disposition de l’infrastructure portuaire ou l’accès à l’infrastructure portuaire.

83      Partant, le grief tiré de l’absence d’activité économique en raison de la pratique tarifaire des ports doit également être rejeté.

84      En quatrième lieu, les requérantes font valoir que, à supposer que les ports exercent des activités économiques, il s’agirait d’activités purement accessoires qui échapperaient, dès lors, à l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

85      À cet égard, il convient de rappeler que la circonstance qu’une entité dispose, pour l’exercice d’une partie de ses activités, de prérogatives de puissance publique n’empêche pas, à elle seule, de la qualifier d’entreprise au sens du droit de l’Union de la concurrence pour le reste de ses activités économiques (arrêts du 24 octobre 2002, Aéroports de Paris/Commission, C‑82/01 P, EU:C:2002:617, point 74, et du 1er juillet 2008, MOTOE, C‑49/07, EU:C:2008:376, point 25).

86      Certes, comme le font valoir les requérantes, selon la jurisprudence, dans la mesure où une entité publique exerce une activité économique qui peut être dissociée de l’exercice de ses prérogatives de puissance publique, cette entité, pour ce qui est de cette activité, agit en tant qu’entreprise, tandis que, si ladite activité économique est indissociable de l’exercice de ses prérogatives de puissance publique, l’ensemble des activités exercées par ladite entité demeurent des activités se rattachant à l’exercice de ces prérogatives (arrêts du 12 juillet 2012, Compass-Datenbank, C‑138/11, EU:C:2012:449, point 38, et du 12 septembre 2013, Allemagne/Commission, T‑347/09, non publié, EU:T:2013:418, point 29 ; voir également, en ce sens, arrêt du 26 mars 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission, C‑113/07 P, EU:C:2009:191, points 71 à 80).

87      En l’espèce, toutefois, ni les requérantes ni le Royaume de Belgique n’ont apporté d’éléments concrets afin de démontrer que les activités économiques exercées par les ports seraient indissociables de leurs prérogatives de puissance publique, telles que le contrôle et la sécurité du trafic maritime ou la surveillance antipollution. Le seul fait qu’il puisse y avoir un lien économique entre ces activités, en ce que les activités économiques des ports permettent de financer, en tout ou en partie, leurs activités non économiques, ne suffit pas pour constater le caractère indissociable de ces activités, au sens de la jurisprudence.

88      À cet égard, il convient également d’observer que, en l’espèce, les activités économiques des ports ne sont pas rendues obligatoires par leurs activités non économiques d’intérêt général et que, en leur absence, ces activités non économiques ne seraient pas nécessairement privées de leur utilité (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 2012, Compass-Datenbank, C‑138/11, EU:C:2012:449, point 41, et du 12 septembre 2013, Allemagne/Commission, T‑347/09, non publié, EU:T:2013:418, point 41).

89      Force est de constater, dès lors, que les activités économiques des ports ne sont pas indissociables de leurs activités non économiques d’intérêt général, au sens de la jurisprudence (voir point 86 ci-dessus).

90      Du reste, il convient d’observer que ni les requérantes ni le Royaume de Belgique n’ont démontré que les activités économiques des ports seraient secondaires ou accessoires par rapport à leurs activités non économiques d’intérêt général.

91      Au contraire, ainsi qu’il ressort notamment des considérants 53 et 65 de la décision attaquée, les droits de ports et les redevances de concession représentent la très grande majorité du chiffre d’affaires des ports. En réponse à une question écrite du Tribunal, les requérantes ont d’ailleurs confirmé que plus de 75 % de leurs revenus étaient engendrés par trois types d’activités, à savoir les concessions, la navigation et le remorquage. Or, ainsi qu’il ressort de l’examen des autres arguments des requérantes, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la Commission a qualifié ces activités d’économiques dans la décision attaquée.

92      Partant, le grief tiré de ce que les activités économiques des ports ne présenteraient qu’un caractère accessoire par rapport à leurs activités non économiques d’intérêt général doit également être rejeté.

 Sur la première branche, tirée de l’absence de marché sur lequel les autorités portuaires offrent leurs services

93      Dans le cadre de la première branche du premier moyen, les requérantes soutiennent que, à défaut de l’existence d’un marché sur lequel offrir leurs services, les autorités portuaires ne peuvent pas être considérées comme des entreprises. En effet, en vertu du décret sur la politique et la gestion des ports maritimes du 2 mars 1999, un monopole légal aurait été créé, dans le cadre d’une décentralisation des compétences administratives de puissance publique, excluant toute concurrence potentielle en mettant en place un prestataire exclusif du service en question. Il n’existerait donc pas de « marché » en ce qui concerne la gestion des ports d’Anvers et de Bruges, ce qui serait confirmé par un rapport de la Nederlandse Mededingingsautoriteit (autorité néerlandaise de la concurrence).

94      Les requérantes rappellent, à cet égard, que les autorités portuaires ne font que faciliter l’offre de services par des tiers, à savoir des entreprises de transbordement ou des entreprises industrielles, sur le marché sur lequel ces tiers sont actifs, notamment en donnant des terrains en concession, sans pour autant exercer elles-mêmes ces activités économiques.

95      En outre, la gestion des ports devrait être différenciée de la gestion des aéroports, pour laquelle une législation interne confirme l’environnement de marché et, de ce fait, la concurrence, dans laquelle sont exercées les activités de gestion d’un aéroport.

96      Dans la réplique, les requérantes reprochent également à la Commission, d’une part, d’avoir conclu à tort à l’existence d’un marché du fait qu’elles offraient leurs services contre rémunération et, d’autre part, de ne pas avoir examiné si d’autres opérateurs étaient désireux et capables de fournir les services en question sur le marché concerné, conformément au paragraphe 14 de la communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, du traité FUE.

97      La Commission conteste ces arguments.

98      Il convient de relever, à cet égard, qu’une entité disposant d’un monopole légal peut très bien proposer des biens et des services sur un marché et, partant, être une « entreprise » au sens de l’article 107 TFUE. En effet, comme l’a relevé la Commission au considérant 48 de la décision attaquée, la notion d’activité économique est une notion objective, qui découle d’éléments de fait, notamment de l’existence d’un marché pour les services concernés et ne dépend pas des choix ou des appréciations nationales.

99      En l’espèce, ainsi qu’il a été constaté précédemment, les requérantes effectuent bien elles-mêmes la plupart des activités qualifiées d’économiques par la Commission au considérant 44 de la décision attaquée (voir point 49 ci-dessus). Or, à supposer même, comme l’affirment les requérantes, qu’elles bénéficient d’un monopole légal et qu’il n’existe pas, en Belgique, d’opérateurs portuaires privés qui seraient en concurrence avec elles pour ces activités, il convient d’observer que, ainsi que la Commission l’a confirmé lors de l’audience, il existe bien une concurrence au niveau de l’Union entre les différents ports maritimes, en particulier sur l’axe Hambourg-Rotterdam-Anvers, pour attirer des navires ou d’autres prestataires de services, ce que les requérantes ne contestent pas. C’est donc à tort que les requérantes considèrent qu’il n’y aurait aucun marché pour ces activités du seul fait qu’elles bénéficient d’un monopole naturel et légal en Belgique pour les exercer.

100    Les requérantes invoquent également un rapport de l’autorité néerlandaise de la concurrence, duquel il ressortirait qu’il n’existe aucune concurrence entre les gestionnaires portuaires. Il convient de relever toutefois que ce rapport, qui porte spécifiquement sur la situation concurrentielle du port de Rotterdam aux Pays-Bas, dans le cadre d’une enquête portant sur un abus de position dominante, apparaît peu pertinent aux fins d’établir, de manière générale, l’absence d’activité économique des ports. En outre, ce rapport se limite à constater la faible concurrence que se livrent les autorités portuaires entre elles en ce qui concerne la fixation des tarifs portuaires aux Pays-Bas, sans conclure pour autant que la mise à disposition de l’infrastructure portuaire ainsi que l’attribution de terrains industriels ne seraient pas des activités économiques.

101    Au contraire, la jurisprudence a reconnu que l’exploitation commerciale et la construction d’infrastructures portuaires ou aéroportuaires en vue d’une telle exploitation commerciale constituaient des activités économiques (voir, en ce sens, arrêts du 24 octobre 2002, Aéroports de Paris/Commission, C‑82/01 P, EU:C:2002:617, point 78 ; du 19 décembre 2012, Mitteldeutsche Flughafen et Flughafen Leipzig-Halle/Commission, C‑288/11 P, EU:C:2012:821, points 40 à 43, et du 15 mars 2018, Naviera Armas/Commission, T‑108/16, EU:T:2018:145, point 119).

102    À cet égard, c’est à tort que les requérantes font valoir que la gestion des ports devrait être différenciée de celle des aéroports. En effet, comme le fait valoir la Commission, le fait que l’exploitation de certains aéroports se fasse sur la base d’une concession ne signifie pas que l’exploitation d’un aéroport ou d’un port par une entreprise publique ou dotée de prérogatives de puissance publique ne constitue pas une activité économique.

103    En outre, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 mars 2018, Naviera Armas/Commission (T‑108/16, EU:T:2018:145), s’il est vrai qu’il s’agissait principalement d’examiner si une entreprise utilisatrice du port, bénéficiant d’un droit exclusif pour y effectuer des activités commerciales, était, de ce fait, bénéficiaire d’une aide d’État, le Tribunal a néanmoins explicitement constaté au point 119 dudit arrêt que l’activité par laquelle le gestionnaire du port gérait l’infrastructure portuaire et la mettait à disposition d’une compagnie maritime utilisatrice, moyennant le paiement de taxes portuaires, constituait bien une activité « économique ».

104    Enfin, les requérantes invoquent le paragraphe 14 de la communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, du traité FUE afin de soutenir que celle-ci aurait dû examiner si d’autres opérateurs étaient désireux et capables de fournir les services en question sur le marché concerné. Ledit paragraphe prévoit ce qui suit :

« La décision d’une autorité publique de ne pas permettre à des tiers de fournir un service donné (par exemple, parce qu’elle souhaite le fournir elle-même) ne signifie pas qu’aucune activité économique n’est exercée. En dépit d’une telle fermeture du marché, il est possible de conclure à l’existence d’une activité économique lorsque d’autres opérateurs sont désireux et capables de fournir le service en question sur le marché concerné. Plus généralement, le fait qu’un service donné soit fourni par l’autorité elle-même n’a aucune incidence sur la nature économique de l’activité. »

105    La Commission a précisé dans la duplique ainsi que lors de l’audience que le paragraphe 14 de sa communication relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, du traité FUE ne pouvait être utilement invoqué par les requérantes, étant donné qu’en l’espèce elles fournissaient directement certains services elles-mêmes, ce qui, selon ce paragraphe, ne suffisait pas pour considérer qu’il n’y aurait aucune activité économique. En effet, il ne saurait être exclu que d’autres entreprises privées puissent être capables et désireuses d’exercer les activités économiques exercées par les requérantes, si ces activités étaient effectivement ouvertes à la concurrence et ne faisaient pas l’objet d’un monopole légal.

106    Partant, la première branche du premier moyen doit également être rejetée.

107    Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de constater que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la Commission a estimé, au considérant 67 de la décision attaquée, que les activités exercées par les ports belges étaient – au moins partiellement – des activités économiques.

108    Il y a lieu, dès lors, de rejeter le premier moyen.

 Sur les deuxième et troisième moyens, tirés, en substance, d’une violation du critère de sélectivité

109    Par leurs deuxième et troisième moyens, les requérantes invoquent, en substance, une violation du critère de sélectivité prévu à l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

110    Il convient, avant d’examiner les différents griefs des requérantes et du Royaume de Belgique dans le cadre de ces deux moyens, de rappeler la position adoptée par la Commission dans la décision attaquée pour conclure au caractère sélectif de la mesure en cause, ainsi que la jurisprudence pertinente.

 Résumé de l’analyse de la Commission en ce qui concerne la sélectivité de la mesure dans la décision attaquée

111    Au point 5.1.4 de la décision attaquée, dédié à la sélectivité de la mesure, la Commission a fait valoir tout d’abord qu’il n’était pas contesté que les ports belges ne payaient pas l’ISoc. Le fondement de cette absence de paiement d’ISoc pouvait être, d’après les autorités belges, soit l’article 180, point 2, du CIR, soit les articles 1er et 2 du CIR (considérant 81 de la décision attaquée).

112    La Commission a procédé, ensuite, à une analyse en deux temps, selon que les articles 1er et 2 du CIR constituaient la base juridique du non-paiement de l’ISoc par les ports belges (ci-après la « seconde hypothèse »), ou que l’article 180, point 2, du CIR constituait la base juridique du non-paiement de l’ISoc par les ports belges (ci-après la « première hypothèse »).

113    En premier lieu, dans le cadre de la seconde hypothèse, la Commission a analysé l’argument des autorités belges selon lequel l’article 180, point 2, du CIR ne ferait que tirer les conséquences des règles générales figurant aux articles 1er et 2 du CIR et ne constituerait donc pas une dérogation au système de référence (considérants 82 à 91 de la décision attaquée). La Commission a considéré, à cet égard, qu’une telle interprétation reposait essentiellement sur l’hypothèse selon laquelle les activités exercées par les ports excluraient nécessairement qu’ils puissent être qualifiés de « sociétés » pour les besoins de l’impôt sur les revenus (des personnes morales résidentes) alors qu’ils constituent des « entreprises » au sens de l’article 107 TFUE. Or, la Commission a estimé, au contraire, que les ports étaient en principe des « sociétés » pour les besoins de l’impôt sur les revenus à raison de l’essentiel de leurs activités et qu’ils exerçaient des activités économiques de nature à les qualifier d’« entreprises » au sens de l’article 107 TFUE (considérants 84 et 85 de la décision attaquée). Elle a noté, en outre, que l’hypothèse sur laquelle reposait le raisonnement des autorités belges serait en contradiction avec le commentaire officiel du CIR, avec d’autres textes internes ainsi qu’avec des prises de position officielles du gouvernement belge (considérant 86 de la décision attaquée).

114    Ainsi, la Commission a indiqué qu’elle ne partageait pas la position selon laquelle, même si l’article 180, point 2, du CIR était supprimé, les ports ne seraient pas soumis à l’ISoc en application des critères généraux des articles 1er et 2 du CIR. Pour les mêmes raisons, la Commission a contesté que les règles relatives à l’IPM constituaient le système de référence pour la taxation des ports. Au regard de ces éléments, la Commission a considéré que l’application normale des règles générales du droit belge aboutirait à soumettre les ports à l’ISoc en raison des revenus de leurs activités économiques (considérants 87 à 89 de la décision attaquée).

115    La Commission a précisé, au demeurant, que, même si les règles nationales en question – ou leur interprétation par l’administration – étaient susceptibles d’aboutir au non-paiement de l’ISoc par les ports belges, ces règles introduiraient une discrimination entre des « entreprises » ayant des activités économiques au sens de l’article 107 TFUE. Au même titre que l’article 180, point 2, du CIR dans l’analyse exposée ci-après, ces règles, ou le système belge d’imposition des revenus dans son ensemble, seraient donc la source d’avantages accordés à certaines « entreprises », à savoir les ports, alors que ces entreprises se trouvent, en ce qui concerne les bénéfices tirés d’« activités économiques », dans une situation comparable à celle des autres entreprises (personnes morales résidentes) soumises à l’ISoc au regard de l’objectif de l’impôt sur les revenus des personnes morales résidentes – qui est de taxer les bénéfices. La Commission a considéré, par ailleurs, que les ports n’obéissaient pas à « des principes de fonctionnement particuliers qui les distingu[ai]ent nettement des autres opérateurs économiques » soumis à l’ISoc. En particulier, le fait que les ports ne poursuivraient pas de but lucratif n’est pas suffisant pour considérer qu’ils se trouvent dans une situation différente de celle des autres opérateurs soumis à l’ISoc, selon la Commission. Dans cette hypothèse, selon elle, le système belge lui-même serait sélectif (considérant 90 de la décision attaquée).

116    Donc, selon la Commission, même si les articles 1er et 2 du CIR constituaient la base juridique du non-paiement de l’ISoc par les ports belges, ce non-paiement serait une mesure prima facie sélective, en ce qui concerne les activités économiques des ports (considérant 91 de la décision attaquée).

117    En deuxième lieu, la Commission a analysé la première hypothèse, privilégiée par elle, selon laquelle l’article 180, point 2, du CIR constituerait la base juridique du non-paiement de l’ISoc par les ports belges, en tant que dérogation au cadre de référence, composé des articles 1er et 2 du CIR (considérants 92 à 107 de la décision attaquée).

118    À cet égard, la Commission a considéré, premièrement, que le système de référence en l’espèce était constitué par les règles fiscales générales découlant des articles 1er et 2 du CIR, tandis que l’article 180, point 2, du CIR constituerait une dérogation à ces règles fiscales générales. En effet, l’article 1er du CIR établirait, pour les personnes morales résidentes en Belgique, un système dualiste de taxation des revenus : il soumettrait les « sociétés » à l’ISoc et les « personnes morales autres que les sociétés » à l’IPM. L’article 2 du CIR comprendrait les critères permettant de définir les « sociétés » et donc de déterminer les personnes morales qui seront soumises à l’Isoc, et par élimination, celles dont les revenus seront soumis à l’IPM. L’article 179 du CIR confirmerait par ailleurs que les contribuables assujettis à l’ISoc sont les sociétés résidentes. Or, selon la Commission, l’article 180, point 2, du CIR exonère les ports de l’ISoc de manière inconditionnelle, sans appliquer les critères généraux de répartition entre l’ISoc et l’IPM définis aux articles 1er et 2, c’est-à-dire sans tenir compte de la qualité de « sociétés » (ou non) desdits ports (considérants 93 et 94 de la décision attaquée).

119    Deuxièmement, la Commission a estimé que cette dérogation au système de référence introduisait une différenciation entre opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal de référence, dans une situation factuelle et juridique comparable. En effet, quel que soit le système de référence retenu (ISoc ou imposition des revenus des personnes morales résidentes en général), l’objectif de l’impôt sur les revenus serait de taxer les revenus, objectif au regard duquel toutes les entreprises sont, en ce qui concerne les bénéfices de leurs activités économiques, dans la même situation factuelle et légale. Le fait que les ports ne poursuivraient pas de but lucratif ou porteraient une attention moindre au retour sur investissement à court terme ne changerait rien à cette appréciation. Le fait que les ports belges soient détenus et contrôlés par des pouvoirs publics ou qu’ils exercent notamment des activités non économiques, telles que des missions relevant de l’exercice de la puissance publique, n’impliquerait pas qu’ils soient dans une situation juridique et factuelle différente pour ce qui est de l’application de l’ISoc aux revenus entraînés par leurs activités économiques (considérants 97 et 98 de la décision attaquée).

120    La Commission en a conclu, dès lors, que la mesure était prima facie sélective en ce qui concernait les activités économiques des ports (considérant 99 de la décision attaquée).

121    En troisième lieu, quelle que soit l’hypothèse retenue, la Commission a procédé à l’examen d’une possible justification de la mesure par la nature ou l’économie générale du système fiscal. Elle a rappelé, tout d’abord, que la conformité d’une mesure avec le droit interne ne pouvait pas constituer, en tant que telle, une justification par l’économie du système tant qu’il n’était pas démontré que cette justification résultait des caractéristiques inhérentes au système fiscal de référence. En outre, elle a observé que l’absence de discrimination en droit national ne préjugeait pas de l’absence de sélectivité au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (considérants 101 et 102 de la décision attaquée).

122    De même, selon la Commission, puisque le critère déterminant pour l’assujettissement à l’ISoc ou à l’IPM est le fait de se livrer, par l’entité considérée, à une « exploitation » ou à des « opérations de caractère lucratif » (voir article 2 du CIR), les faits allégués que les ports seraient exonérés de l’Isoc, parce qu’ils ne distribuent pas leur profit, mais le réinvestissent, qu’ils poursuivent un objectif dépassant leur intérêt individuel, qu’ils n’ont pas pour objectif statutaire de faire des profits, qu’ils font partie des pouvoirs publics et qu’ils assurent des missions d’intérêt général ne suffisent pas à justifier un traitement fiscal plus favorable que celui des autres sociétés résidentes au regard des principes directeurs du système fiscal. En outre, le fait allégué que les ressources des ports ne couvriraient pas toujours leurs coûts ou le fait que certains coûts non inhérents à l’objet social d’une entreprise ne seraient pas déductibles de l’ISoc, en application de l’article 49 du CIR, ne permettrait pas non plus de justifier l’exonération de l’ISoc en faveur des ports. Ensuite, le fait que l’exonération de l’ISoc en faveur des ports résulterait d’un principe général du droit, voire de la Constitution belge elle-même, à le supposer établi, ne serait pas en tant que tel nécessairement de nature à justifier cette exonération par la nature ou l’économie générale du système, dans la mesure où les éventuelles considérations prises en compte par le constituant ou les juridictions nationales peuvent être extérieures au bon fonctionnement du système fiscal ou à ses principes directeurs (considérants 103 à 106 de la décision attaquée).

123    Enfin, selon la Commission, les arguments des autorités belges et des parties intéressées se rapportant aux critères développés par la jurisprudence nationale pour apprécier si une personne morale est une « société » au sens des articles 1er et 2 du CIR (absence de méthodes industrielles et commerciales notamment) sont inopérants pour démontrer la justification de la mesure par la logique intrinsèque du système fiscal dans la mesure où ils visent en réalité à prouver que les ports ne sont pas des « sociétés », cas dans lequel l’absence d’assujettissement à l’ISoc serait sélective du fait même du choix des critères utilisés pour déterminer les bornes du système de référence et non du fait d’une dérogation à ce système de référence qui pourrait éventuellement être justifiée (considérant 107 de la décision attaquée).

 Rappel de la jurisprudence pertinente

124    L’article 107, paragraphe 1, TFUE prévoit que, « [s]auf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».

125    Selon une jurisprudence constante, la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêts du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 53 ; du 6 mars 2018, Commission/FIH Holding et FIH Erhvervsbank, C‑579/16 P, EU:C:2018:159, point 43, et du 28 juin 2018, Allemagne/Commission, C‑208/16 P, non publié, EU:C:2018:506, point 79).

126    En ce qui concerne la condition relative à la sélectivité de l’avantage qui est constitutive de la notion d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il résulte d’une jurisprudence tout aussi constante que l’appréciation de cette condition impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de discriminatoire (voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 54 et jurisprudence citée).

127    Par ailleurs, lorsque la mesure en cause est envisagée comme un régime d’aide et non comme une aide individuelle, il incombe à la Commission d’établir que cette mesure, bien qu’elle prévoie un avantage de portée générale, en confère le bénéfice exclusif à certaines entreprises ou à certains secteurs d’activité (voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 55 et jurisprudence citée).

128    L’examen de la sélectivité d’une mesure, en particulier en matière fiscale, vise ainsi à établir si celle-ci favorise « certaines entreprises ou certaines productions » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ou si, au contraire, elle constitue une mesure générale de politique fiscale, applicable sans distinction à toutes les entreprises situées sur le territoire national (voir, en ce sens, arrêts du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, C‑143/99, EU:C:2001:598, point 35 ; du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 73, et du 18 juillet 2013, P, C‑6/12, EU:C:2013:525, point 18).

129    Dans ce contexte, aux fins de qualifier une mesure fiscale nationale de « sélective », la Commission doit identifier, dans un premier temps, le régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné et démontrer, dans un second temps, que la mesure fiscale en cause déroge audit régime commun, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime commun, dans une situation factuelle et juridique comparable (voir arrêt du 19 décembre 2018, A-Brauerei, C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 36 et jurisprudence citée).

130    La notion d’« aide d’État » ne vise toutefois pas les mesures introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélectives, lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer que cette différenciation est justifiée dès lors qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elles s’inscrivent (voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 58 et jurisprudence citée).

131    L’examen de la condition relative à la sélectivité implique donc, en principe, de déterminer, dans un premier temps, le cadre de référence dans lequel s’inscrit la mesure concernée, cette détermination revêtant une importance accrue dans le cas de mesures fiscales, puisque l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (voir arrêt du 28 juin 2018, Allemagne/Commission, C‑208/16 P, non publié, EU:C:2018:506, point 85 et jurisprudence citée).

132    Cependant, la qualification d’un système fiscal de « sélectif » n’est pas subordonnée au fait que celui-ci soit conçu de façon à ce que les entreprises bénéficiant éventuellement d’un avantage sélectif soient, en général, soumises aux mêmes charges fiscales que les autres entreprises, mais profitent de règles dérogatoires, de sorte que l’avantage sélectif peut être identifié comme étant la différence entre la charge fiscale normale et celle supportée par ces premières entreprises (arrêts du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 91, et du 28 juin 2018, Allemagne/Commission, C‑208/16 P, non publié, EU:C:2018:506, point 87).

133    En effet, une telle compréhension du critère de sélectivité présupposerait qu’un régime fiscal, afin qu’il puisse être qualifié de « sélectif », soit conçu selon une certaine technique réglementaire, ce qui aurait pour conséquence que des règles fiscales nationales échappent d’emblée au contrôle en matière d’aides d’État en raison du seul fait qu’elles relèvent d’une autre technique réglementaire bien qu’elles produisent en droit ou en fait, par l’ajustement et la combinaison de diverses règles fiscales, les mêmes effets. Elle heurterait ainsi la jurisprudence constante selon laquelle l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne distingue pas selon les causes et les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets, et donc indépendamment des techniques utilisées (voir arrêt du 28 juin 2018, Allemagne/Commission, C‑208/16 P, non publié, EU:C:2018:506, point 88 et jurisprudence citée).

134    Cela étant, il découle en outre de cette même jurisprudence que, si, aux fins d’établir la sélectivité d’une mesure fiscale, la technique réglementaire utilisée n’est pas décisive, de sorte qu’il n’est pas toujours nécessaire que celle-ci ait un caractère dérogatoire par rapport à un régime fiscal commun, la circonstance qu’elle présente un tel caractère en utilisant cette technique réglementaire est pertinente à ces fins lorsqu’il en découle que deux catégories d’opérateurs sont distinguées et font a priori l’objet d’un traitement différencié, à savoir ceux relevant de la mesure dérogatoire et ceux qui continuent de relever du régime fiscal commun, alors même que ces deux catégories se trouvent dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime (arrêts du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 77 ; du 28 juin 2018, Allemagne/Commission, C‑208/16 P, non publié, EU:C:2018:506, point 90, et du 19 décembre 2018, A-Brauerei, C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 33).

135    C’est à l’aune de ces considérations qu’il convient d’examiner les différents griefs des requérantes et du Royaume de Belgique.

136    À cet égard, le Tribunal estime opportun d’examiner la sélectivité de la mesure en cause – à savoir l’exonération de l’ISoc dont bénéficient les ports en vertu de l’article 180, point 2, du CIR – en deux temps, à l’instar de la Commission dans la décision attaquée, selon que l’article 180, point 2, du CIR constitue une dérogation au cadre de référence, constitué des articles 1er et 2 du CIR (voir points 117 à 120 ci-dessus) ou qu’il fasse partie intégrante du cadre de référence (voir points 113 à 116 ci-dessus).

 Sur la sélectivité de la mesure en cause dans l’hypothèse où l’article 180, point 2, du CIR constituerait une dérogation au cadre de référence

–       Sur le grief tiré de l’identification erronée du cadre de référence

137    Dans le cadre de leur deuxième moyen, les requérantes, soutenues par le Royaume de Belgique, font valoir que la Commission a conclu, à tort, que la mesure en cause était sélective en considérant, premièrement, que l’ISoc constituait le système de référence pour des entités comme les requérantes et, deuxièmement, que l’assujettissement des ports à l’IPM constituait une dérogation au système de référence, entraînant une différence de traitement entre des opérateurs qui se trouvaient, au regard de l’objectif du système fiscal concerné, dans une situation factuelle et juridique comparable.  

138    Ainsi, selon les requérantes, l’exonération de l’ISoc accordée aux ports belges en vertu de l’article 180, point 2, du CIR ne serait qu’une simple application des règles générales des articles 1er et 2 du CIR. Les requérantes font valoir également que le commentaire officiel du CIR, sur lequel s’est appuyée la Commission dans la décision attaquée, indique uniquement que les personnes morales qui sont inconditionnellement exonérées de l’ISoc, en application de l’article 180, point 2, du CIR, peuvent, en principe, être considérées comme des contribuables assujettis à l’ISoc. Il ne serait donc pas possible de déduire de ce commentaire que la suppression de l’article 180, point 2, du CIR aboutirait automatiquement à assujettir spécifiquement les ports à l’ISoc. Le fait d’être assujetti à l’IPM ne pourrait en soi être considéré comme une dérogation au cadre de référence.

139    Selon le Royaume de Belgique, les entités assujetties à l’IPM se caractérisent, d’une part, par le fait qu’elles ne se livrent ni à une exploitation ni à des opérations de caractère lucratif et, d’autre part, par le fait qu’elles poursuivent un but qui transcende leur intérêt personnel ou celui de leurs actionnaires. S’agissant des autorités portuaires, même si celles-ci exercent, de manière marginale, des activités économiques, l’absence de but lucratif et la nature d’intérêt général de leurs missions justifieraient leur non-imposition à l’ISoc. En faisant un lien automatique entre activité économique et ISoc, la Commission méconnaîtrait ainsi la notion de société en droit belge, qui se caractériserait par un but de lucre, c’est-à-dire le fait de procurer aux associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect.

140    La Commission conteste ces arguments.

141    À cet égard, il convient de relever tout d’abord que, contrairement à ce que font valoir les requérantes, la Commission n’a pas considéré, dans la décision attaquée, que le système de référence était constitué uniquement de l’ISoc, auquel d’autres systèmes d’imposition dérogeraient. En effet, il ressort des considérants 83 et 93 de la décision attaquée que la Commission a considéré que le système de référence était composé, en l’espèce, des règles fiscales générales découlant des articles 1er et 2 du CIR, qui disposent que les « sociétés » sont soumises à l’ISoc, tandis que les personnes morales résidentes autres que les « sociétés » sont soumises à l’IPM. La Commission a examiné, néanmoins, si, en application de ces règles générales, les ports relevaient, en principe, de la notion de « société », visée à l’article 2, point 5, du CIR, de sorte que l’article 180, point 2, du CIR devrait être interprété comme une dérogation au système de référence en leur faveur, ou si, en application de ces règles générales, ils relevaient naturellement de l’IPM, de sorte que l’article 180, point 2, du CIR aurait un effet purement déclaratoire.

142    L’argument des requérantes selon lequel la Commission aurait erronément défini le système de référence comme étant l’ISoc repose donc sur une lecture erronée de la décision attaquée et doit, de ce fait, être rejeté.

143    Ensuite, il convient de relever que l’approche défendue par les requérantes et le Royaume de Belgique, selon laquelle l’article 180, point 2, du CIR ne constitue pas une dérogation au cadre de référence, correspond à la seconde hypothèse qui a été examinée par la Commission, aux considérants 82 à 97 de la décision attaquée, afin d’établir la sélectivité de la mesure en cause (voir points 113 à 116 ci-dessus).

144    Afin de rejeter cette approche, la Commission s’est fondée essentiellement sur le fait que les ports étaient en principe des « sociétés » pour les besoins de l’impôt sur les revenus à raison de l’essentiel de leurs activités, qui étaient des activités économiques. Elle a ainsi considéré que, en l’absence de l’article 180, point 2, du CIR, les ports seraient normalement soumis à l’ISoc et a rejeté l’idée selon laquelle, en vertu d’une application « normale » des articles 1er et 2 du CIR, les ports seraient soumis à l’IPM et non à l’ISoc.

145    Force est de constater que ce raisonnement n’est entaché d’aucune erreur d’appréciation.

146    En effet, l’article 1er du CIR définit l’ISoc comme étant « un impôt sur le revenu global des sociétés résidentes », tandis que l’IPM y est défini comme étant « un impôt sur les revenus des personnes morales belges autres que les sociétés », sans autres précisions.

147    L’article 2, point 5, du CIR qui, comme le reconnaît la Commission dans la décision attaquée, fait également partie du cadre de référence, définit par ailleurs ce qu’il y a lieu d’entendre par « société » et par « société résidente ». La « société » est ainsi définie à l’article 2, point 5, sous a), du CIR comme étant « toute société, association, établissement ou organisme quelconque régulièrement constitué qui possède la personnalité juridique et se livre à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. La « société résidente » est définie à l’article 2, point 5, sous b), du CIR comme étant « toute société qui a en Belgique son siège social, son principal établissement ou son siège de direction ou d’administration et qui n’est pas exclue du champ d’application de l’impôt des sociétés ».

148    Interrogées à cet égard par le biais d’une mesure d’organisation de la procédure ainsi que lors de l’audience, les parties reconnaissent que le critère déterminant afin d’établir si une personne morale résidente doit être assujettie à l’ISoc ou à l’IPM réside dans le fait de savoir si cette entité se livre ou non à une « exploitation ou à des opérations de caractère lucratif », au sens de l’article 2, point 5, sous a), du CIR.

149    Il convient d’examiner, dès lors, si les ports se livrent à une « exploitation ou à des opérations de caractère lucratif », au sens de l’article 2, point 5, sous a), du CIR et s’ils relèvent, en principe, de la définition de « société » prévue audit article.

150    À cet égard, comme l’ont expliqué les requérantes en réponse à une mesure d’organisation de la procédure, le fait de se livrer à une « exploitation de caractère lucratif » vise, selon le commentaire 179/10 de l’administration fiscale belge, « l’exploitation d’une entreprise industrielle, commerciale ou agricole quelconque », dont les bénéfices constitueraient des revenus professionnels soumis à l’impôt des personnes physiques à ce titre, si cette exploitation était le fait d’une personne physique ou d’une société ne possédant pas la personnalité juridique. Quant à l’expression « se livrer à des opérations de caractère lucratif », elle couvre à la fois les « occupations lucratives », dans le sens d’une occupation à but lucratif, et les occupations de caractère lucratif, mais sans but lucratif, qui sont caractérisées par une activité professionnelle permanente, comportant soit la répétition suffisamment fréquente pour constituer une « occupation » d’opérations de nature industrielle, commerciale ou agricole, soit la mise en œuvre de méthodes industrielles ou commerciales. En outre, selon le commentaire 182/10 du CIR, une personne morale met en œuvre des méthodes industrielles et commerciales lorsqu’elle travaille avec un objectif, une organisation ou une stratégie économique et a recours à des méthodes de gestion inspirées pour l’essentiel des notions de coûts, de revenus et de rentabilité.

151    Dès lors, même si, comme le font valoir les requérantes et le Royaume de Belgique, les notions d’« activité économique » et « d’opérations de caractère lucratif » ne se recoupent pas entièrement, il reste que, en l’espèce, au vu de leurs activités évoquées précédemment (voir point 49 ci-dessus), les ports effectuent des opérations de caractère lucratif, au sens de l’article 2, point 5, sous a), du CIR.

152    Selon le Royaume de Belgique, néanmoins, la « société » se caractériserait principalement, à la différence de toute autre personne morale résidente, par le but de lucre. Il se réfère à cet égard à l’article 1er du code des sociétés belge, qui prévoit qu’« une société est constituée par un contrat aux termes duquel deux ou plusieurs personnes mettent quelque chose en commun, pour exercer une ou plusieurs activités déterminées et dans le but de procurer aux associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect ».

153    Il convient de relever toutefois, à l’instar de la Commission, qu’il ne ressort pas des articles 1er et 2 du CIR – qui forment le cadre de référence pertinent en l’espèce – que le but de lucre serait un critère de distinction déterminant à cet égard, l’article 2, point 5, du CIR ne faisant pas référence au but de lucre, mais au fait de se livrer à « une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif ».

154    Interrogées sur cette question par le biais d’une mesure d’organisation de la procédure, les requérantes et le Royaume de Belgique ont reconnu que la notion d’exploitation ou d’opérations « de caractère lucratif », visée à l’article 2, point 5, sous a), du CIR, ne se recoupait pas nécessairement avec celle de « but lucratif ». Cette interprétation se trouve d’ailleurs confirmée par le commentaire 179/11 de l’administration fiscale belge interprétant cette disposition, selon lequel l’expression « se livrer à des opérations de caractère lucratif » couvre également les opérations à caractère lucratif opérées sans but de lucre, qui s’assimilent à une activité professionnelle permanente, car elles comportent soit la répétition suffisamment fréquente pour constituer une occupation d’opérations de nature industrielle commerciale ou agricole, soit la mise en œuvre de méthodes industrielles ou commerciales.

155    En outre, il ressort du considérant 103 de la décision attaquée que d’autres entreprises réinvestissent également leur profit, poursuivent des objectifs dépassant leur intérêt individuel ou génèrent des effets sur l’économie dépassant leur intérêt individuel sans être exonérées de l’ISoc pour cette raison. En note en bas de page no 83 de la décision attaquée, il est ainsi fait référence au fait que certaines intercommunales, qui assurent également des missions d’intérêt général et qui ont été créées dans un but d’intérêt public, ont été récemment soumises à l’ISoc en Belgique, ce que les requérantes et le Royaume de Belgique ont reconnu dans leurs réponses aux mesures d’organisation de la procédure.  Force est de constater, dès lors, que la réalisation de missions d’intérêt général, l’objectif statutaire de ne pas viser des profits ou le statut public des associés ne sont pas les critères déterminants sur la base desquels repose le régime fiscal en cause.  

156    Contrairement à ce que fait valoir le Royaume de Belgique, dès lors, il ne ressort pas de la logique même des articles 1er et 2 du CIR que l’article 180, point 2, du CIR n’aurait aucune portée juridique et serait purement déclaratif. Au contraire, comme le fait valoir la Commission, il ressort de la logique de ces dispositions que les sociétés résidentes qui se livrent à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif doivent, en principe, être soumises à l’ISoc. L’article 180, point 2, du CIR instaure ainsi une exonération inconditionnelle de l’ISoc en faveur des ports qui y sont visés, dans la mesure où ces derniers effectuent bien des opérations de caractère lucratif, au sens de l’article 2, point 5, sous a), du CIR. Par conséquent, l’article 180, point 2, du CIR ne fait pas partie intégrante ou ne relève pas de la logique même du cadre de référence, comme tentent de le faire valoir les requérantes et le Royaume de Belgique, mais constitue bien une dérogation audit cadre.

157    Cette conclusion est corroborée par les différents éléments de preuve qui ont été avancés de manière convaincante par la Commission dans la décision attaquée ainsi que dans le cadre de la procédure devant le Tribunal tels que, notamment, les commentaires officiels du CIR effectués par l’administration fiscale belge et des prises de position officielles des autorités belges effectuées in tempore non suspecto, qui appréhendent les ports comme relevant, en principe, de la définition du terme « société » prévue à l’article 2, point 5, du CIR.

158    Ainsi, premièrement, il ressort du considérant 86 de la décision attaquée que, selon les commentaires officiels de l’administration fiscale belge, les ports sont des entreprises publiques qui, en l’absence de l’exonération inconditionnelle figurant à l’article 180, point 2, du CIR, seraient soumises à l’ISoc, en application des articles 1er et 2 du CIR. Le commentaire 179/2, cité en note en bas de page no 71 de la décision attaquée, précise, par exemple, que, « bien qu’elles puissent être, en principe, considérées comme contribuables assujettis à l’ISoc, sont exclues de l’ISoc sur base des articles 180 à 182 du CIR : 1) les personnes morales qui sont “inconditionnellement” exclues de l’ISoc ».

159    Deuxièmement, il ressort également du considérant 86 de la décision attaquée que le gouvernement belge a lui-même estimé, devant la Cour constitutionnelle belge, que les ports, parmi d’autres sociétés et personnes morales visées à l’article 180 et à l’article 220, point 2, du CIR étaient effectivement des personnes morales qui se livraient à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif au sens de l’article 2 du CIR. En outre, devant la chambre des représentants, le vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur a également considéré que les ports étaient des entreprises publiques qui, en l’absence de l’exonération inconditionnelle figurant à l’article 180 du CIR, seraient soumises à l’ISoc en application des articles 1er, 2 et 179 du CIR.

160    Troisièmement, il ressort de la loi adoptée par le parlement fédéral belge le 29 mai 2018 – « Loi fixant les conditions du passage à l’assujettissement à l’impôt des sociétés d’entreprises portuaires » (Moniteur Belge du 11 juin 2018, p. 48409) – que, en vue de se conformer à la décision attaquée et de supprimer l’exonération inconditionnelle de l’ISoc dont ont bénéficié les ports, qualifiée d’aide d’État par la Commission, il est prévu, à l’article 2 de cette loi que « l’article 180, alinéa 1er, 2°, du [CIR] est abrogé ». Force est de constater, par conséquent, comme l’a fait valoir la Commission lors de l’audience, que, selon le législateur belge, la simple suppression de l’exonération prévue par l’article 180, point 2, du CIR suffit pour assujettir les ports à l’ISoc, ce qui implique que, en l’absence de cette exonération, les ports seront naturellement ou automatiquement soumis à l’ISoc.

161    Quatrièmement, il ressort du libellé et de la logique des articles 180 à 182 du CIR que l’article 180 prévoit une dérogation inconditionnelle à l’ISoc, dans la mesure où, à la différence des articles 181 et 182, il n’assortit le non-assujettissement à l’ISoc des entités qui y sont visées à aucune autre condition. En effet, d’une part, l’article 181 du CIR prévoit que « ne sont pas assujetties à l’[ISoc], les associations sans but lucratif et les autres personnes morales qui ne poursuivent pas un but lucratif » et qui effectuent certaines activités d’intérêt général qui y sont énumérées, telles que l’aide aux familles ou l’enseignement. D’autre part, l’article 182 du CIR prévoit que, « [d]ans le chef des associations sans but lucratif et des autres personnes morales qui ne poursuivent pas un but lucratif, ne sont pas considérées comme des opérations de caractère lucratif : 1) les opérations isolées ou exceptionnelles ; 2) les opérations qui consistent dans le placement des fonds récoltés dans l’exercice de leur mission statutaire ; 3) les opérations qui constituent une activité ne comportant qu’accessoirement des opérations industrielles, commerciales ou agricoles ou ne mettant pas en œuvre des méthodes industrielles ou commerciales ». L’article 180 du CIR, en revanche, prévoit simplement que « ne sont pas assujetties à l’impôt des sociétés » les entités qui y sont énumérées, sans autre condition liée à l’absence de but lucratif ou au caractère accessoire des opérations de caractère lucratif effectuées par ces entités.

162    Cette logique se retrouve également à l’article 220 du CIR, qui prévoit que « [s]ont assujettis à l’impôt des personnes morales : 1) l’État, les communautés, les régions, les provinces, les agglomérations, les fédérations de communes, les communes, les centres publics d’aide sociale, [...] ainsi que les établissements cultuels publics, les zones de secours, les zones de police, ainsi que les polders et wateringues ; 2) les personnes morales qui, en vertu de l’article 180, ne sont pas assujetties à l’impôt des sociétés ; 3) les personnes morales qui ont en Belgique leur siège social, leur principal établissement ou leur siège de direction ou d’administration, qui ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif ou qui ne sont pas assujetties à l’impôt des sociétés conformément [aux] articles 181 et 182 ». En effet, sauf à priver l’article 220, point 2, du CIR de tout effet utile et à considérer que cette disposition aurait, à l’instar de l’article 180 du CIR, une valeur purement déclarative, il ressort également de cette disposition que, en l’absence de l’exonération prévue à l’article 180, point 2, du CIR, les ports seraient, en principe soumis, à l’ISoc, à moins qu’ils puissent démontrer qu’ils ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, ou qu’ils remplissent les autres conditions des articles 181 et 182 du CIR.

163    Partant, au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de constater que la Commission a considéré, à juste titre, dans la décision attaquée, que le cadre de référence aux fins de l’examen de la sélectivité était constitué, en l’espèce, des articles 1er et 2 du CIR, auquel l’article 180, point 2, du CIR constitue une dérogation, dans la mesure où cette dernière disposition exonère inconditionnellement les ports de l’ISoc, alors même qu’ils se livrent à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, au sens de l’article 2, point 5, sous a), du CIR.

164    Il y a lieu, dès lors, de rejeter le premier grief comme non fondé.

–       Sur le grief tiré de l’absence de comparabilité entre les ports et les entités soumises à l’ISoc

165    Les requérantes font valoir que les autorités portuaires ne se trouvent pas dans la même situation que d’autres entités assujetties à l’ISoc, contrairement à ce qu’a constaté la Commission au considérant 90 de la décision attaquée. Elles seraient soumises à un régime juridique et factuel différent de celui d’autres entités et seraient le prolongement des autorités publiques, chargées d’exécuter des missions de droit public. Par ailleurs, les autorités portuaires ne pourraient pas utiliser librement les fonds dont elles disposent pour optimiser leurs activités, ce que peuvent faire en principe d’autres entités soumises à l’ISoc, comme les associations sans but lucratif lorsqu’elles se livrent à des opérations de caractère lucratif.  

166    Selon les requérantes, ce qui caractérise les personnes morales soumises à l’IPM est, d’une part, le fait qu’elles ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif ou, d’autre part, le fait qu’elles poursuivent un objectif plus large, qui dépasse leur propre intérêt ou celui de leurs actionnaires. Contrairement à ce que prétend la Commission, la forme juridique adoptée par les ports ne serait pas déterminante et l’absence de but lucratif serait donc bien un élément important dans la distinction entre l’ISoc et l’IPM. En effet, les sociétés à finalité sociale qui n’ont pas pour but de répartir les bénéfices pourraient être assujetties à l’IPM. 

167    En outre, les requérantes font valoir qu’elles ne mettent pas en œuvre des méthodes industrielles et commerciales pour exercer leurs activités, au sens de l’article 182, point 3, du CIR. Il conviendrait de tenir compte, à cet égard, de ce que, premièrement, la majorité des revenus perçus par les ports n’est pas déterminée par les principes de l’offre et de la demande, deuxièmement, leurs rétributions ont un caractère rémunérateur et ne visent, en principe, qu’à couvrir le coût de certaines prestations, sans viser la maximisation du profit, troisièmement, elles ne choisissent pas le port qu’elles doivent gérer et ne peuvent non plus restreindre leurs services aux usagers les plus rentables, quatrièmement, leurs revenus ne sont pas nécessairement utilisés pour accroître leur efficacité ou leurs performances propres, cinquièmement, leurs investissements sont guidés par des perspectives macroéconomiques à long terme et non uniquement par le rendement microéconomique à court ou moyen terme et, sixièmement, elles sont seules compétentes pour exercer les compétences administratives portuaires, qui ne sont pas transférables. L’absence de but lucratif, combiné à l’absence de comportement mettant en œuvre des méthodes industrielles ou commerciales, justifierait, dès lors, que les ports soient soumis à l’IPM plutôt qu’à l’Isoc.

168    Le Royaume de Belgique fait valoir également, en s’appuyant sur l’arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a. (C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550), que les ports ne se trouvent pas, au regard des objectifs intrinsèques du régime de l’ISoc, dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des sociétés à but lucratif qui sont soumises à cet impôt. Il observe, à cet égard, que le décret sur la politique et la gestion des ports maritimes du 2 mars 1999 n’indique nulle part que les ports doivent rechercher le profit.

169    La Commission conteste ces arguments.

170    Il convient de rappeler à cet égard que, selon la jurisprudence, aux fins de qualifier une mesure fiscale nationale de « sélective », la Commission doit identifier, dans un premier temps, le régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné et démontrer, dans un second temps, que la mesure fiscale en cause déroge audit régime commun, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime commun, dans une situation factuelle et juridique comparable (arrêts du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 49 ; du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 57, et du 19 décembre 2018, A-Brauerei, C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 36).

171    Il importe dès lors de déterminer si une exonération fiscale telle que celle prévue par l’article 180, point 2, du CIR est de nature à favoriser certaines entreprises par rapport à d’autres qui se trouveraient dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par le régime commun.

172    À cet égard, la Commission a estimé, aux considérants 97 et 98 de la décision attaquée, que, quel que fût le système de référence retenu (ISoc ou imposition des revenus des personnes morales résidentes en général), l’objectif de l’impôt sur les revenus était de taxer les revenus, objectif au regard duquel toutes les entreprises étaient, en ce qui concernait les bénéfices de leurs activités économiques, dans la même situation factuelle et légale.

173    Selon le Royaume de Belgique, en revanche, les ports ne seraient pas dans une situation comparable à celle des sociétés assujetties à l’ISoc, dans la mesure où, à supposer même qu’ils se livrent à des opérations de caractère lucratif, au sens de l’article 2, point 5, du CIR, ils auraient certaines caractéristiques propres, telles que l’absence de but lucratif de leurs activités, leur mode de fonctionnement, leur forme juridique ou encore l’absence de concurrence avec le secteur privé, qui les distingueraient de ces sociétés.

174    À cet égard, il convient de relever que, contrairement à ce que fait valoir la Commission, il ne saurait être considéré que les ports doivent nécessairement présenter les mêmes caractéristiques que celles des coopératives qui étaient en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a. (C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550), telles que le principe de la prééminence de la personne ou la règle « un homme, une voix », pour pouvoir être distingués des sociétés soumises à l’ISoc en l’espèce.

175    En effet, selon la jurisprudence, il appartient à la Commission d’établir le caractère a priori sélectif de la mesure en cause (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas, C‑279/08 P, EU:C:2011:551, point 62), ce qui implique de vérifier en l’espèce si, en dépit de certaines caractéristiques particulières qui leur sont inhérentes, les ports se trouvent dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des sociétés soumises à l’ISoc, au regard des objectifs du cadre de référence.

176    Il y a lieu de préciser, néanmoins, que, à cette fin, le critère de distinction retenu, pour apprécier la comparabilité des situations des ports et des sociétés soumises à l’ISoc, doit être fondé sur des caractéristiques pertinentes et cohérentes par rapport aux objectifs du cadre de référence (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2018, ANGED, C‑233/16, EU:C:2018:280, points 52 à 56).

177    Or, en l’espèce, aucune des caractéristiques des ports invoquées par les requérantes et par le Royaume de Belgique – à les supposer établies – n’est pertinente et cohérente au regard de l’objectif de l’impôt sur les revenus, qui est, comme l’indique son intitulé, de taxer les revenus des personnes morales résidentes et, s’agissant en particulier des « sociétés » qui se livrent à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, d’imposer les bénéfices qu’ils tirent de ces activités.

178    En effet, premièrement, s’agissant du fait que les ports ne poursuivraient pas de but lucratif et réinvestiraient l’ensemble de leurs bénéfices dans l’infrastructure portuaire en vue de l’accomplissement de leurs missions d’intérêt général, il convient de rappeler, à l’instar de la Commission, que les objectifs d’intérêt général invoqués ici se rapportent aux activités économiques des ports et non à leurs activités non économiques d’intérêt général (voir point 53 ci-dessus). Ces objectifs consisteraient essentiellement à favoriser le développement économique et l’emploi des requérantes et de la Région flamande. Or, il convient de constater, à l’instar de la Commission au considérant 103 de la décision attaquée, que d’autres entreprises réinvestissent également leur profit, poursuivent des objectifs dépassant leur intérêt individuel ou génèrent des effets sur l’économie dépassant leur intérêt individuel sans être exonérées de l’ISoc pour ces raisons, ce que ni les requérantes ni le Royaume de Belgique ne contestent.

179    Dès lors, à supposer même que l’absence de but lucratif soit une caractéristique essentielle des ports et qu’un critère de distinction fondé sur cette caractéristique puisse, combiné à d’autres facteurs tels que ceux mentionnés à l’article 182 du CIR, être pertinent afin de déterminer si une personne morale résidente doit être soumise à l’ISoc ou à l’IPM, force est de constater que, en vue d’apprécier la comparabilité des situations des ports et des sociétés soumises à l’ISoc, ce critère n’est, à lui seul, pas pertinent et cohérent au regard de l’objectif de taxation des revenus, visé par le régime en cause.

180    À cet égard, ni les requérantes ni le Royaume de Belgique ne sauraient utilement se prévaloir de l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 21 juin 2006 – Oxfam Magasins du monde, auquel il a été fait référence lors de l’audience ainsi que par le Royaume de Belgique dans ses observations écrites. En effet, dans cette affaire, la cour d’appel de Bruxelles a constaté que l’ASBL Oxfam devait être soumise à l’IPM dans la mesure où ses activités de vente de produits équitables lors de foires ou de marchés ne constituaient pas des opérations de caractère lucratif, celles-ci ne visant pas à mettre en œuvre des méthodes industrielles ou commerciales, au sens de l’article 182, point 3, du CIR.

181    L’article 182, point 3, du CIR prévoit que, « dans le chef des associations sans but lucratif et des autres personnes morales qui ne poursuivent pas un but lucratif, ne sont pas considérées comme des opérations de caractère lucratif […] 3) les opérations qui constituent une activité ne comportant qu’accessoirement des opérations industrielles, commerciales ou agricoles ou ne mettant pas en œuvre des méthodes industrielles ou commerciales ». Cet article prévoit donc deux hypothèses distinctes dans lesquelles les activités des personnes morales ne poursuivant pas de but lucratif sont présumées ne pas constituer des opérations de caractère lucratif, au sens de l’article 2, point 5, du CIR, à savoir, d’une part, le fait de se livrer à des opérations industrielles, commerciales ou agricoles à titre accessoire et, d’autre part, le fait de ne pas mettre en œuvre des méthodes industrielles ou commerciales. Comme l’a fait valoir la Commission à juste titre, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 21 juin 2006 – Oxfam Magasins du monde ne concernait que la seconde hypothèse, à savoir celle de la mise en œuvre des méthodes industrielles ou commerciales par l’association.

182    À cet égard, il convient de rappeler que, selon le commentaire 182/10 du CIR, une personne morale met en œuvre des méthodes industrielles et commerciales lorsqu’elle travaille avec un objectif, une organisation ou une stratégie économique et a recours à des méthodes de gestion inspirées pour l’essentiel des notions de coûts, de revenus et de rentabilité.

183    Or, s’agissant des requérantes, comme l’a observé la Commission lors de l’audience, il ne saurait être considéré qu’elles ne mettent pas en œuvre des méthodes industrielles ou commerciales, au sens de l’article 182, point 3, du CIR, à l’instar d’Oxfam dans l’affaire citée au point 180 ci-dessus. En effet, ainsi que la Commission l’a rappelé lors de l’audience, les ports élaborent un plan d’entreprise, ont une politique d’entreprise structurée et ont également un service du personnel. À supposer même que, comme le font valoir les requérantes, les rétributions qu’elles perçoivent ne visent qu’à couvrir les coûts de certaines prestations, sans prévoir aucune marge de bénéfice, il ressort des termes mêmes du décret sur la politique et la gestion des ports maritimes du 2 mars 1999, mentionné par la Commission au considérant 46 de la décision attaquée, que leurs activités impliquent la mise en œuvre de méthodes industrielles ou commerciales. Enfin, il n’apparaît pas non plus que leurs activités ne comportent qu’accessoirement des opérations industrielles ou commerciales, au sens de cette disposition, de sorte qu’ils ne relèvent pas non plus de la première hypothèse visée à l’article 182, point 3, du CIR.

184    En tout état de cause, à supposer même que les ports ne poursuivent pas de but lucratif, l’exonération dont ils bénéficient en l’espèce n’est pas fondée sur l’article 182, point 3, du CIR, mais sur l’article 180, point 2, du CIR, sans qu’il ressorte d’aucun élément du dossier qu’une évaluation concrète des conditions visées à l’article 182, point 3, du CIR ait été faite par le législateur belge pour les ports. Au contraire, il ressort des points 156 à 163 ci-dessus que, en l’absence de cette exonération, ils devraient normalement être assujettis à l’ISoc, en application des critères prévus aux articles 1er et 2 du CIR.

185    Deuxièmement, s’agissant du critère de distinction fondé sur la forme ou sur le statut juridique des ports, il convient de relever, d’une part, que, selon le commentaire 179/16 de l’administration fiscale belge, cité au considérant 86 de la décision attaquée, la majorité des ports belges devraient, du fait de leur forme juridique (SA, SPRL ou régie communales autonome), également être soumis en principe à l’ISoc, étant donné qu’en règle générale ils se livrent soit à une exploitation industrielle ou commerciale quelconque, soit à une occupation lucrative, soit les deux à la fois, et que tous les bénéfices et profits qu’ils réalisent doivent être considérés comme résultant de cette activité. D’autre part, il ressort du considérant 103 de la décision attaquée – sans que cela ait été contesté par les parties – que des entités ne faisant pas partie des pouvoirs publics (comme les associations sans but lucratif) peuvent être soumises à l’IPM, de sorte que l’appartenance à la sphère publique n’est pas non plus un critère pertinent au regard des règles nationales. En outre, ces associations, malgré leur but statuaire non lucratif, peuvent être soumises à l’ISoc en application des critères généraux si elles exercent une activité d’exploitation ou réalisent des opérations de caractère lucratif.

186    Il convient d’observer, par ailleurs, à cet égard, à l’instar de la Commission au considérant 98 de la décision attaquée, que, selon la jurisprudence, une exonération fiscale accordée en considération de la forme juridique de l’entreprise et des secteurs dans lesquels cette entreprise exerce son activité, qui résulte de l’objectif du législateur de favoriser des organismes considérés comme socialement méritants est, en général, considérée comme sélective (voir, en ce sens, arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C‑222/04, EU:C:2006:8, points 136 à 138).

187    Troisièmement, ne saurait davantage être retenue la thèse du Royaume de Belgique, avancée pour la première fois en réponse à une mesure d’organisation de la procédure, selon laquelle le législateur belge aurait pu, compte tenu du cadre réglementaire organisant les ports dans les différentes régions du pays, légitimement considérer que ces derniers, sur le fondement de leurs réglementations, ne se livraient pas à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif qui entrent en concurrence avec le secteur privé, ce qui aurait justifié de les soumettre, dans leur ensemble, à l’IPM.

188    En effet, il ressort de l’ensemble des éléments de preuve avancés par la Commission au cours de la procédure administrative ainsi que devant le Tribunal que, en l’absence de l’article 180, point 2, du CIR, les ports devraient en principe, être assujettis à l’ISoc (voir points 156 à 163 ci-dessus). Ainsi, dans la mesure où ils se livrent à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, au sens de l’article 2, point 5, du CIR, ils se trouvent dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des sociétés assujetties à l’ISoc, en ce qui concerne les bénéfices qu’ils tirent de ces activités et l’exonération dont ils bénéficient en vertu de l’article 180, point 2, du CIR constitue une différence de traitement pouvant, en substance, être qualifiée de discriminatoire (voir la jurisprudence citée au point 126 ci-dessus).

189    À cet égard, le Royaume de Belgique se fonde néanmoins sur l’arrêt no 151/2016 de la Cour constitutionnelle belge, du 1er décembre 2016, qui reconnaîtrait la légitimité du choix du législateur de continuer à soumettre les ports visés à l’article 180, point 2, du CIR à l’IPM. Dans cet arrêt, saisie d’un recours formé par les intercommunales récemment soumises à l’ISoc, la Cour constitutionnelle a en effet considéré ce qui suit :

« Contrairement aux intercommunales et autres structures de coopération et associations de projet qui peuvent couvrir un vaste champ d’activités pouvant entrer en concurrence avec des entreprises privées, les opérateurs économiques publics particuliers visés par les 2° à 13° de l’article 180 du [CIR] exercent une activité qui n’entre pas en concurrence avec les entreprises privées ou qui relève d’un intérêt public particulier. Le législateur a pu estimer qu’ils devaient dès lors faire l’objet d’un traitement fiscal particulier. La différence de traitement n’est pas sans justification raisonnable. »

190    Cependant, comme l’a fait valoir la Commission au considérant 102 de la décision attaquée, l’arrêt no 151/2016 de la Cour constitutionnelle belge du 1er décembre 2016 ne concerne pas l’exonération de l’ISoc profitant aux ports au regard du droit des aides d’État, mais l’appréciation de l’assujettissement à l’ISoc des intercommunales, des structures de coopération et des associations de projet, au regard des principes d’égalité et de non-discrimination. Or, l’absence de discrimination en droit national ne préjuge pas nécessairement de l’absence de sélectivité au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

191    En tout état de cause, à supposer que la thèse soutenue en dernier lieu par le Royaume de Belgique (voir point 187 ci-dessus) puisse être retenue, cela signifierait que le système fiscal belge est conçu de manière à ce que le législateur puisse, de façon discrétionnaire, considérer que certaines entités ne relèvent pas de l’ISoc, alors même qu’elles sont en principe des « sociétés » se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, au sens de l’article 2, point 5, du CIR. Or, selon la jurisprudence, si les autorités compétentes disposent d’un pouvoir discrétionnaire étendu pour déterminer les bénéficiaires et les conditions de la mesure accordée sur la base de critères étrangers au système fiscal, tels que le maintien de l’emploi ou l’absence de concurrence avec le secteur privé, l’exercice de ce pouvoir doit alors être considéré comme favorisant « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouveraient, au regard de l’objectif poursuivi, dans une situation factuelle et juridique comparable (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, P, C‑6/12, EU:C:2013:525, point 27 et jurisprudence citée).

192    Il y a lieu de conclure, dès lors, que la Commission a constaté, à juste titre, aux considérants 97 à 99 de la décision attaquée que la mesure en cause était prima facie sélective, dans la mesure où elle constituait une dérogation au cadre de référence, constitué des articles 1er et 2 du CIR, et où elle introduisait une différenciation entre les ports et les sociétés assujetties à l’ISoc, alors même que, au regard de l’objectif de ce cadre de référence, ils se trouvent dans une situation factuelle et juridique comparable.

 Sur la sélectivité de la mesure dans l’hypothèse où l’article 180, point 2, du CIR ne constitue pas formellement une dérogation au cadre de référence

193    Il convient, à titre subsidiaire, d’examiner la seconde hypothèse retenue par la Commission dans la décision attaquée pour établir la sélectivité de la mesure en cause. Selon cette hypothèse, les articles 1er et 2 du CIR constitueraient la base juridique du non-paiement de l’ISoc par les ports, en ce sens que l’article 180, point 2, du CIR ne serait pas formellement une dérogation au cadre de référence (voir points 115 et 116 ci-dessus).

194    À cet égard, à supposer même que, comme le font valoir les requérantes et le Royaume de Belgique, l’article 180, point 2, du CIR ne constitue pas une dérogation au cadre de référence, en ce sens que l’IPM serait le cadre de référence pertinent pour les entités, telles que les requérantes, il convient de relever, à l’instar de la Commission au considérant 90 de la décision attaquée, que le système belge d’imposition des revenus serait lui-même sélectif, dans la mesure où il conduirait à favoriser « certaines entreprises », à savoir les ports, alors même que ceux-ci se trouvent dans une situation factuelle et juridique comparable par rapport aux autres entreprises soumises à l’ISoc en ce qui concerne la taxation des bénéfices qu’ils tirent de leurs activités économiques (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 101 à 107, et du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, points 76 à 79).

195    Il convient de rappeler, en effet, que, selon la jurisprudence, il n’est pas toujours nécessaire qu’une mesure ait un caractère dérogatoire par rapport à un régime fiscal commun pour établir qu’elle est sélective, même s’il s’agit, en principe, d’un critère pertinent à cet égard (voir la jurisprudence citée aux points 132 à 134 ci-dessus).

196    Selon une jurisprudence constante, cependant, le fait que seuls les contribuables remplissant les conditions pour l’application d’une mesure peuvent bénéficier de celle-ci ne saurait, en soi, conférer à cette mesure un caractère sélectif (arrêts du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 59, et du 19 décembre 2018, A-Brauerei, C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 24).

197    C’est pourquoi, lorsqu’il n’est pas possible d’identifier une mesure ayant un caractère dérogatoire par rapport à un régime fiscal commun, les critères constituant la base d’imposition retenus par ce régime doivent être, afin de pouvoir être reconnus comme conférant des avantages sélectifs, de nature à caractériser les entreprises bénéficiaires en vertu de propriétés qui leur sont spécifiques en tant que catégorie privilégiée, permettant ainsi la qualification d’un tel régime comme favorisant « certaines » entreprises ou « certaines » productions au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 104).

198    Or, en l’espèce, comme l’a observé la Commission lors de l’audience, à supposer même que l’article 180, point 2, du CIR ne déroge pas au cadre de référence, constitué des articles 1er et 2 du CIR, cette disposition identifie nommément certaines entités, notamment les ports, et les exonère ainsi inconditionnellement de l’ISoc, alors même qu’ils se trouvent, en ce qui concerne les bénéfices tirés d’« activités économiques », dans une situation comparable à celle des autres entreprises (personnes morales résidentes) soumises à l’ISoc. Les ports sont donc identifiés en tant que catégorie privilégiée par ces dispositions, en raison de leurs caractéristiques propres et du secteur d’activité auquel ils appartiennent.

199    Partant, la Commission a pu considérer, à juste titre, aux considérants 90 et 91 de la décision attaquée, que, même si les articles 1er et 2 constituaient la base juridique du non-assujettissement des ports à l’ISoc, ce non-assujettissement serait une mesure a priori sélective en ce qui concernait les activités économiques des ports.

200    Il convient encore de vérifier si, conformément à la jurisprudence rappelée au point 130 ci-dessus, la mesure en cause, bien qu’elle soit prima facie sélective, et quelle que soit l’hypothèse retenue à cet égard concernant le cadre de référence, peut néanmoins être justifiée par la nature ou la logique du système fiscal dans lequel elle s’inscrit, comme le soutiennent les requérantes et le Royaume de Belgique.

 Sur le grief tiré de la justification par la nature ou la logique du système fiscal

201    Dans le cadre de leur troisième moyen, les requérantes font valoir, à titre subsidiaire, que, à supposer que l’assujettissement des autorités portuaires à l’IPM constitue une dérogation au système de référence, elle peut être justifiée par la nature et l’économie du système belge en matière d’impôt sur les revenus.

202    Les requérantes relèvent que la cohérence globale du régime fiscal belge implique que les autorités publiques ne sont pas soumises à l’ISoc, qui est un impôt sur les bénéfices. Les personnes morales mentionnées à l’article 180 du CIR, parmi lesquelles figurent les ports belges, ne seraient pas soumises à l’ISoc dans la mesure où elles ne poursuivent pas de but lucratif et constituent le prolongement de l’autorité de l’État. En outre, elles n’agiraient pas dans un esprit de maximisation du profit, mais devraient réinvestir les éventuels excédents dans les infrastructures publiques.  Ce serait donc en toute logique que les autorités portuaires relèvent de l’IPM et non de l’ISoc.

203    Enfin, selon les requérantes, l’assujettissement des autorités portuaires à l’ISoc aurait un effet pénalisant et discriminatoire, étant donné qu’il ferait augmenter de façon disproportionnée la pression fiscale sur les autorités portuaires. En effet, en raison de l’assujettissement à l’ISoc, les ports ne pourraient déduire que les frais inhérents à l’activité sociale et destinés à acquérir ou à conserver des revenus imposables. Ainsi, les frais encourus par les ports pour des raisons d’intérêt général ne seraient pas déductibles en vertu de l’article 49 du CIR et seraient ajoutés au bénéfice comptable en tant que « dépenses non admises ». Il existerait un risque, en outre, que de tels frais soient imposés en tant qu’« avantages anormaux ou bénévoles » au sens de l’article 26 du CIR. Par conséquent, un assujettissement à l’ISoc des autorités portuaires aboutirait à une discrimination, puisqu’un traitement identique serait imposé à des entités qui se trouvent dans des situations différentes.

204    Le Royaume de Belgique souligne également que, à supposer même que l’article 180, point 2, du CIR instaure une dérogation en faveur des autorités portuaires belges, ce qu’il conteste vivement, elle pourrait être justifiée par la nature et l’économie générale du système belge d’impôt sur les revenus. La logique du système d’impôt belge sur les revenus reposerait en effet sur une distinction entre les entreprises commerciales, ayant un but lucratif, et les entités agissant dans l’intérêt public général. Le non-assujettissement à l’ISoc des autorités portuaires, qui sont des organismes de droit public poursuivant des missions d’intérêt public autrefois confiées aux autorités locales, serait une simple application de ce principe.

205    La Commission conteste ces arguments.

206    À cet égard, il convient d’observer que les arguments présentés par le Royaume de Belgique dans le cadre de ce grief coïncident largement avec ceux qui ont été examinés dans le cadre du grief tiré de l’absence de comparabilité des ports avec les entreprises soumises à l’ISoc (voir points 173 à 190 ci-dessus).

207    Or, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, une mesure portant exception à l’application du système fiscal général peut être justifiée par la nature et l’économie générale du système fiscal si l’État membre concerné peut démontrer que cette mesure résulte directement des principes fondateurs ou directeurs de son système fiscal. À cet égard, une distinction doit être établie entre, d’une part, les objectifs assignés à un régime fiscal particulier et qui lui sont extérieurs et, d’autre part, les mécanismes inhérents au système fiscal lui-même qui sont nécessaires à la réalisation de tels objectifs (arrêts du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 81 ; du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 69, et du 19 décembre 2018, A-Brauerei, C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 48).

208    Ainsi, si la Cour a admis, dans sa jurisprudence, que des objectifs inhérents au système fiscal général concerné, tels que ceux visant à éviter une double imposition ou à prévenir les abus, pouvaient justifier un régime fiscal a priori sélectif (voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 2004, GIL Insurance e.a., C‑308/01, EU:C:2004:252, points 74 à 76 ; du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, points 64 à 76, et du 19 décembre 2018, A-Brauerei, C‑374/17, EU:C:2018:1024, points 50 à 53), elle a constamment refusé d’admettre que des objectifs externes au système fiscal, tels que la volonté de préserver la compétitivité internationale ou de sauvegarder l’emploi dans certains secteurs, ou encore de favoriser des organismes socialement méritants, puissent justifier une mesure a priori sélective et la soustraire, de ce fait, du champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C‑75/97, EU:C:1999:311, points 37 à 39 ; du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, C‑143/99, EU:C:2001:598, point 54, et du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C‑222/04, EU:C:2006:8, points 136 à 138).

209    Or, force est de constater que, en l’espèce, les notions d’intérêt général, d’absence de but lucratif, de même que la nature publique ou privée des entités concernées sont étrangères à la nature et à la logique du système fiscal belge de l’impôt sur les revenus, qui repose, essentiellement, pour ce qui est de la distinction entre l’ISoc et l’IPM, sur la définition du terme « société », telle qu’établie à l’article 2, point 5, du CIR (voir point 148 ci-dessus).

210    Partant, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la Commission a estimé, au considérant 103 de la décision attaquée, que, puisque le critère déterminant pour l’assujettissement à l’ISoc ou à l’IPM était le fait de se livrer, par l’entité considérée, à une « exploitation » ou à des « opérations de caractère lucratif » (voir article 2 du CIR), les faits allégués que les ports seraient exonérés de l’Isoc, parce qu’ils ne distribuaient pas leur profit, mais le réinvestissaient, qu’ils poursuivaient un objectif dépassant leur intérêt individuel, qu’ils n’avaient pas pour objectif statutaire de faire des profits, qu’ils faisaient partie des pouvoirs publics et qu’ils assuraient des missions d’intérêt général ne suffisaient pas à justifier un traitement fiscal plus favorable que celui des autres sociétés résidentes au regard des principes directeurs du système fiscal.

211    En tout état de cause, à supposer même que les objectifs invoqués par le Royaume de Belgique puissent relever de la nature ou de la logique du système fiscal, force est de constater qu’ils ne sont pas poursuivis de façon cohérente par la mesure en cause en l’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 88, et du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, points 73 et 74).

212    En effet, comme la Commission l’a constaté au considérant 103 de la décision attaquée, d’autres entreprises réinvestissent également leur profit, poursuivent des objectifs dépassant leur intérêt individuel ou génèrent des effets sur l’économie dépassant leur intérêt individuel sans être exonérées de l’ISoc pour ces raisons. À l’inverse, des entités ne faisant pas partie des pouvoirs publics, comme les associations sans but lucratif, peuvent être soumises à l’IPM à condition qu’elles respectent le critère général posé à l’article 2 du CIR, de sorte que l’appartenance à la sphère publique n’est pas non plus un critère pertinent au regard des règles nationales.

213    Enfin, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel leur assujettissement à l’ISoc aurait un effet pénalisant et discriminatoire, (voir point 203 ci-dessus), il convient d’observer, à l’instar de la Commission au considérant 105 de la décision attaquée, que l’exonération de l’ISoc dont bénéficient les ports n’est pas liée au fait qu’ils seraient financièrement défavorisés par l’article 49 du CIR, puisque l’exonération en cause concerne tous les profits réalisés et n’est pas limitée aux profits résultant de l’éventuelle absence de déductibilité de certains frais en application de l’article 49 du CIR. L’exonération prévue à l’article 180, point 2, du CIR n’est donc pas justifiée par un principe directeur du système fiscal belge, à supposer même que l’article 49 du CIR constitue un tel principe directeur.

214    Au vu de l’ensemble de ces considérations, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que l’exonération de l’ISoc dont bénéficiaient les ports leur procurait un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

215    Partant, il y a lieu de rejeter les deuxième et troisième moyens.

 Sur le quatrième moyen, tiré, à titre encore plus subsidiaire, d’une demande de période transitoire 

216    À titre encore plus subsidiaire, les requérantes demandent au Tribunal d’accorder une période transitoire courant jusqu’à la clôture par la Commission de son enquête sur le régime fiscal des différents ports de l’Union et, en tout état de cause, d’une durée d’une année complète, afin qu’elles puissent s’adapter à la nouvelle situation. En effet, dans l’affaire concernant la fiscalité des ports aux Pays-Bas, la Commission aurait accordé une année entière au législateur et aux ports néerlandais afin de s’adapter à la nouvelle situation. Par ailleurs, il y aurait des indications selon lesquelles des mesures similaires existeraient dans d’autres États membres, de sorte qu’un traitement différencié nuirait aux conditions de concurrence équitables et renforcerait les inégalités entres les ports des différents États membres.

217    Premièrement, le Royaume de Belgique fait valoir que la Commission, en menant certaines enquêtes de manière sélective dans certains États membres uniquement, aurait ainsi octroyé un avantage concurrentiel aux autorités portuaires de l’Union qui ne sont assujetties à aucune forme ou à d’autres formes d’impôt et qui ne font l’objet d’aucune enquête. Deuxièmement, le Royaume de Belgique, en invoquant des possibilités pratiques d’adaptation de la législation fiscale belge et en se fondant sur l’exemple néerlandais, estime que la Commission n’a pas assuré des conditions de concurrence équitables en refusant d’accorder une période de transition afin de permettre cette adaptation.

218    La Commission conteste ces arguments.

219    À titre liminaire, il convient de constater que, par ce moyen, les requérantes demandent au Tribunal d’accorder une période transitoire, et non d’annuler la décision attaquée en raison d’un vice dont celle-ci serait affectée. Or, il convient de rappeler, à l’instar de la Commission, que le Tribunal n’est pas compétent pour adresser des injonctions aux institutions de l’Union ou se substituer à ces dernières dans le cadre du contrôle de légalité qu’il exerce (voir, en ce sens, arrêts du 22 avril 2016, Italie et Eurallumina/Commission, T‑60/06 RENV II et T‑62/06 RENV II, EU:T:2016:233, point 43, et du 12 mai 2016, Hamr - Sport/Commission, T‑693/14, non publié, EU:T:2016:292, point 91).

220    Dans la réplique, les requérantes font valoir, cependant, que les limites du contrôle du Tribunal ne s’opposent pas à ce qu’une décision de la Commission soit annulée au motif qu’elle ne prévoit pas une mesure provisoire appropriée. Un tel moyen pourrait être compris, dès lors, comme étant tiré, en substance, d’une violation du principe d’égalité de traitement, qui devrait conduire à l’annulation de la décision attaquée à ce titre, en raison de l’absence d’inclusion d’une période transitoire dans ladite décision visant à permettre au Royaume de Belgique de ne pas assujettir les ports belges à l’ISoc jusqu’à ce que la Commission ait clôturé son enquête sur le régime fiscal des différents ports dans tous les États membres de l’Union.

221    À cet égard, premièrement, dans la mesure où les requérantes semblent faire valoir que la Commission aurait dû accorder une période transitoire d’un an, tout comme dans sa décision (UE) 2016/634, du 21 janvier 2016, concernant l’aide d’État SA.25338 (2014/C) (ex E 3/2008 et ex CP 115/2004) mise à exécution par les Pays-Bas – Exonération de l’impôt sur les sociétés accordée aux entreprises publiques (JO 2016, L 113, p. 148), force est de constater qu’il ne ressort pas du dispositif de cette décision que la Commission aurait accordé une période transitoire au Royaume des Pays-Bas. Au contraire, l’article 2 de cette décision prévoit que « [l]es Pays-Bas abolissent l’exonération de l’impôt sur les sociétés accordée aux ports maritimes cités à l’article 1er dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la présente décision et le régime d’imposition des sociétés modifié entre en vigueur au plus tard à partir de l’exercice fiscal suivant l’adoption de la présente décision ». Les obligations imposées au Royaume des Pays-Bas en vertu de cette décision sont donc similaires à celles qui ont été imposées au Royaume de Belgique en vertu de l’article 2 de la décision attaquée en l’espèce (voir point 22 ci-dessus), sans qu’une inégalité de traitement puisse être constatée à cet égard.

222    Deuxièmement, dans la mesure où les requérantes semblent faire valoir également que la Commission aurait dû attendre d’avoir clôturé ses enquêtes relatives à la fiscalité des ports dans l’ensemble des États membres de l’Union, afin de ne pas créer de distorsions de concurrence supplémentaires, il convient de constater qu’un argument similaire a été examiné et rejeté par le Tribunal dans l’arrêt du 31 mai 2018, Groningen Seaports e.a./Commission (T‑160/16, non publié, EU:T:2018:317).

223    Dans cet arrêt, rendu à la suite d’un recours formé par certains ports néerlandais à l’encontre de la décision 2016/634 (voir point 221 ci-dessus), le Tribunal a rejeté l’argument des parties requérantes, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement, en rappelant, tout d’abord, que, selon une jurisprudence constante, le respect du principe d’égalité de traitement devait se concilier avec le principe de légalité, ce qui impliquait que nul ne pouvait invoquer à son profit une illégalité commise en faveur d’autrui (voir arrêt du 31 mai 2018, Groningen Seaports e.a./Commission, T‑160/16, non publié, EU:T:2018:317, point 116 et jurisprudence citée).

224    Ainsi, les requérantes ne sauraient, pour obtenir l’annulation de la décision attaquée, se prévaloir du fait que la Commission n’aurait pas demandé, au même moment, aux autres États membres d’abolir les aides accordées à leurs ports (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2018, Groningen Seaports e.a./Commission, T‑160/16, non publié, EU:T:2018:317, point 117).

225    En tout état de cause, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, le respect du principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Selon une jurisprudence également constante, la violation du principe d’égalité de traitement du fait d’un traitement différencié présuppose que les situations visées soient comparables eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent (voir arrêt du 31 mai 2018, Groningen Seaports e.a./Commission, T‑160/16, non publié, EU:T:2018:317, point 119 et jurisprudence citée).

226    Or, en l’espèce, il existe des différences relatives, d’une part, au stade d’avancement des différentes procédures concernant les régimes fiscaux des États membres et, d’autre part, aux législations fiscales applicables aux ports des différents États membres. De telles différences sont susceptibles de constituer des raisons objectives justifiant que la Commission ait adopté la décision attaquée et ordonné que l’exonération dont bénéficiaient les ports belges en l’espèce fût abolie avant d’avoir clôturé ses enquêtes concernant la fiscalité des ports dans l’ensemble des État membres de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2018, Groningen Seaports e.a./Commission, T‑160/16, non publié, EU:T:2018:317, points 120 à 130).

227    En outre, retenir l’argumentation des requérantes conduirait à ce que la Commission dût attendre de terminer toutes ses enquêtes à l’égard de tous les États membres qui accordent des aides à leurs ports pour prendre ses décisions finales et ordonner la suppression desdites aides, au détriment des États membres qui n’accordent pas d’aides à leurs ports (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2018, Groningen Seaports e.a./Commission, T‑160/16, non publié, EU:T:2018:317, point 132).

228    Enfin, il convient de constater que les arguments du Royaume de Belgique au soutien des requérantes doivent être compris dans le même sens que ceux mentionnés aux points 219 à 227 ci-dessus. À supposer, toutefois, que les arguments présentés par le Royaume de Belgique puissent être compris comme étant tirés d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce qui concerne les notions de distorsion de la concurrence et d’affectation des échanges entre États membres, en raison de l’absence de conditions de concurrence équitables dans l’Union, il convient d’observer, à l’instar de la Commission, qu’un tel moyen n’a pas été soulevé par les requérantes et constitue, dès lors, un moyen nouveau, irrecevable. Il y a lieu de rappeler en effet que, si l’article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, et l’article 142, paragraphe 3, du règlement de procédure ne s’opposent pas à ce qu’une partie intervenante présente des arguments nouveaux ou différents de ceux de la partie qu’il soutient, sous peine de voir son intervention limitée à répéter les arguments avancés dans la requête, il ne saurait être admis que ces dispositions lui permettent de modifier ou de déformer le cadre du litige défini par la requête en soulevant des moyens nouveaux (voir arrêt du 12 décembre 2006, SELEX Sistemi Integrati/Commission, T‑155/04, EU:T:2006:387, point 42 et jurisprudence citée).

229    Partant, le quatrième moyen doit également être rejeté, ainsi que le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

230    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

231    Par ailleurs, aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

232    Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission, à l’exception de ceux encourus par le Royaume de Belgique, qui supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.


2)      Havenbedrijf Antwerpen NV et Maatschappij van de Brugse Zeehaven NV supportent, outre leurs propres dépens, les dépens encourus par la Commission européenne.

3)      Le Royaume de Belgique supporte ses propres dépens.

Berardis

Labucka

Spielmann

Csehi

 

      Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 septembre 2019.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Cadre juridique

Procédure administrative et décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur le premier moyen, tiré de la violation des articles 107 et 296 TFUE en raison de la qualification des autorités portuaires d’entreprises

Sur la seconde branche, tirée de la nature non économique des activités des ports belges

Sur la première branche, tirée de l’absence de marché sur lequel les autorités portuaires offrent leurs services

Sur les deuxième et troisième moyens, tirés, en substance, d’une violation du critère de sélectivité

Résumé de l’analyse de la Commission en ce qui concerne la sélectivité de la mesure dans la décision attaquée

Rappel de la jurisprudence pertinente

Sur la sélectivité de la mesure en cause dans l’hypothèse où l’article 180, point 2, du CIR constituerait une dérogation au cadre de référence

– Sur le grief tiré de l’identification erronée du cadre de référence

– Sur le grief tiré de l’absence de comparabilité entre les ports et les entités soumises à l’ISoc

Sur la sélectivité de la mesure dans l’hypothèse où l’article 180, point 2, du CIR ne constitue pas formellement une dérogation au cadre de référence

Sur le grief tiré de la justification par la nature ou la logique du système fiscal

Sur le quatrième moyen, tiré, à titre encore plus subsidiaire, d’une demande de période transitoire

Sur les dépens


*      Langue de procédure : le néerlandais.