Language of document : ECLI:EU:C:2021:662

Affaire C718/18

Commission européenne

contre

République fédérale d’Allemagne

 Arrêt de la Cour(quatrième chambre) du 2 septembre 2021

« Manquement d’État – Marché intérieur de l’électricité et du gaz naturel – Directive 2009/72/CE – Article 2, point 21 – Article 19, paragraphes 3, 5 et 8 – Article 37, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 6, sous a) et b) – Directive 2009/73/CE – Article 2, point 20 – Article 19, paragraphes 3, 5 et 8 – Article 41, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 6, sous a) et b) – Notion d’“entreprise verticalement intégrée” – Découplage effectif entre les réseaux et les activités de production et de fourniture d’électricité et de gaz naturel – Gestionnaire de réseau de transport indépendant – Indépendance du personnel et des dirigeants de ce gestionnaire – Périodes transitoires – Participations détenues dans le capital de l’entreprise verticalement intégrée – Autorités de régulation nationales – Indépendance – Compétences exclusives – Article 45 TFUE – Libre circulation des travailleurs – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 15 – Droit de travailler et d’exercer une profession – Article 17 – Droit de propriété – Article 52, paragraphe 1 – Limitations – Principe de démocratie »

1.        Rapprochement des législations – Mesures de rapprochement – Règles communes pour le marché intérieur de l’électricité – Directive 2009/72 – Règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel – Directive 2009/73 – Entreprise verticalement intégrée – Notion – Séparation effective entre gestion des réseaux de transport et de distribution et activités de génération, production et fourniture – Interprétation incluant des activités exercées en dehors de l’Union

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2009/72, art. 2, point 21 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2009/73, art. 2, point 20)

(voir points 32-40, 44)

2.        Rapprochement des législations – Mesures de rapprochement – Règles communes pour le marché intérieur de l’électricité – Directive 2009/72 – Règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel – Directive 2009/73 – Indépendance du personnel et de la direction du gestionnaire de réseau de transport – Personnes ayant exercé une activité professionnelle dans une entreprise verticalement intégrée – Périodes transitoires applicables – Libre circulation des travailleurs – Libre choix de la profession – Limitations

(Article 45 TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 15, § 1, et 52, § 1 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2009/72, art. 19, § 3 et 8 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2009/73, art. 19, § 3 et 8)

(voir points 53, 54, 56, 59-68)

3.        Rapprochement des législations – Mesures de rapprochement – Règles communes pour le marché intérieur de l’électricité – Directive 2009/72 – Règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel – Directive 2009/73 – Indépendance du personnel et de la direction du gestionnaire de réseau de transport – Employés du gestionnaire du réseau de transport – Interdiction de posséder des intérêts ou de recevoir des avantages financiers d’une entreprise verticalement intégrée – Droit de propriété – Limitations

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 17, § 1, et 52, § 1 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2009/72, art. 19, § 5 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2009/73, art. 19, § 5)

(voir points 76, 77, 79, 81-84)

4.        Rapprochement des législations – Mesures de rapprochement – Règles communes pour le marché intérieur de l’électricité – Directive 2009/72 – Règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel – Directive 2009/73 – Autorités de régulation – Réglementation nationale attribuant au pouvoir exécutif de l’État membre certaines compétences exclusives des autorités de régulation – Autonomie procédurale des États membres – Respect du droit de l’Union – Principe de démocratie de l’Union – Pouvoirs d’exécution

[Directive du Parlement européen et du Conseil 2009/72, art. 37, § 1, a), et § 6, a) et b) ; directive du Parlement européen et du Conseil 2009/73, art. 41, § 1, a), et § 6, a) et b)]

(voir points 105, 112, 113, 115, 116, 119, 123-126, 130-133)

Résumé

Les directives 2009/72 (1) et 2009/73 (2) ont pour finalité d’offrir une liberté de choix à tous les consommateurs de l’Union européenne dans des marchés intérieurs de l’électricité et du gaz naturel. Afin d’éviter les discriminations, une séparation effective des réseaux de transport par rapport aux activités de production et de fourniture (« découplage effectif ») a été déterminée par les directives. Le respect des dispositions des directives est assuré par la création d’autorités de régulation nationales (ci-après les « ARN ») indépendantes, impartiales et transparentes (3).

Par son arrêt, la Cour accueille, dans son intégralité, le recours en manquement introduit par la Commission européenne à l’encontre de l’Allemagne. Les quatre griefs invoqués par la Commission au soutien de son recours portent tous sur la transposition incorrecte, par l’Allemagne, de plusieurs dispositions des directives 2009/72 et 2009/73 dans la loi sur la gestion de l’énergie (4).

Appréciation de la Cour

La Cour accueille le premier grief, par lequel la Commission reprochait à l’Allemagne de ne pas avoir transposé correctement la notion d’« entreprise verticalement intégrée » (ci-après l’« EVI »), en limitant cette notion aux entreprises exerçant leurs activités dans l’Union (5). Elle souligne que la notion d’« EVI » est une notion autonome du droit de l’Union, qui ne prévoit pas de limitation territoriale et doit être interprétée à la lumière de la notion de « découplage effectif », afin d’éviter un risque de discrimination dans l’accès aux réseaux. En effet, il pourrait exister des conflits d’intérêts entre un gestionnaire de réseau de transport situé dans l’Union et des producteurs ou des fournisseurs de l’électricité ou du gaz naturel exerçant des activités dans ces domaines en dehors de celle-ci. L’interprétation large de la notion d’« EVI » permet d’inclure, le cas échéant, des activités exercées en dehors de l’Union. Cela n’implique pas une extension de la compétence réglementaire de l’Union. Par conséquent, l’interprétation restrictive, par l’Allemagne, de la notion d’« EVI » n’est pas conforme aux objectifs poursuivis par les dispositions des directives.

Dans le cadre de l’indépendance du personnel et des dirigeants du gestionnaire de réseau de transport, la Cour accueille le deuxième grief, par lequel la Commission reproche le fait que, selon la législation allemande, l’application des dispositions des directives en matière de périodes transitoires, relatives au changement de fonction au sein de l’EVI, a été limitée aux parties de l’EVI qui exercent leurs activités dans le domaine de l’énergie (6). La Cour souligne que ces dispositions des directives ne contiennent pas une telle limitation, laquelle irait à l’encontre de l’objectif du « découplage effectif », qui s’avère nécessaire pour assurer le fonctionnement du marché intérieur de l’énergie, ainsi que la sécurité de l’approvisionnement énergétique. Selon les dispositions des directives, les « périodes transitoires » trouvent à s’appliquer aux responsables de la direction et/ou aux membres des organes administratifs du gestionnaire de réseau de transport ayant exercé, avant leur engagement, une activité au sein de l’EVI, ou dans une entreprise actionnaire majoritaire d’une des entreprises de l’EVI, même si ces activités n’étaient pas exercées dans le secteur énergétique de l’EVI ou dans une entreprise actionnaire majoritaire d’une des entreprises du secteur énergétique de l’EVI.

En réponse à un argument de l’Allemagne relatif à la libre circulation des travailleurs et au droit fondamental du libre choix de la profession, la Cour relève que les libertés ne sont pas des prérogatives absolues mais peuvent être limitées sous certaines conditions, comme c’est le cas en l’espèce. La Cour conclut que le champ d’application subjectif de la loi allemande est contraire aux dispositions en cause des directives.

La Cour accueille le troisième grief, par lequel la Commission soutient que les dispositions des directives qui interdisent de posséder certains intérêts ou de recevoir certains avantages financiers d’une partie de l’EVI n’ont été transposées que de manière limitée dans la législation allemande, sans s’appliquer aux participations détenues par les employés du gestionnaire du réseau de transport (7), alors qu’il ressort du libellé des dispositions que ces interdictions s’appliquent également aux employés. Une telle interprétation de ces dispositions est confortée par l’objectif du « découplage effectif » ainsi que par le risque que des employés ne participant pas à la gestion courante du gestionnaire de réseau de transport soient en mesure d’influencer les activités de leur employeur, si bien que des situations de conflit d’intérêts pourraient se créer si ces employés détiennent des participations dans l’EVI ou dans des parties de celle‑ci. En réponse à un argument de l’Allemagne relatif au droit de propriété des employés, garanti par l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Cour relève que les interdictions des dispositions pertinentes n’y portent pas atteinte de manière démesurée et intolérable, au point d’affecter la substance même de ce droit.

La Cour accueille le quatrième grief, par lequel la Commission reproche à l’Allemagne d’avoir violé les compétences exclusives de l’ARN telles qu’elles sont prévues par les directives, en attribuant au gouvernement fédéral, par la législation allemande, la détermination des méthodes pour calculer ou établir les conditions de raccordement et d’accès aux réseaux nationaux, y compris les tarifs applicables (8). La Cour souligne que la pleine indépendance des ARN est nécessaire pour garantir qu’elles soient impartiales et non discriminatoires à l’égard des entités économiques et des entités publiques. Elle relève que l’autonomie procédurale des États membres doit respecter les objectifs et les obligations fixés par les directives. Notamment, les tarifs et méthodes de calcul pour les échanges internes et transfrontaliers doivent être déterminés sur la base de critères uniformes, tels que ceux prévus par les directives et déterminés par d’autres actes normatifs de l’Union.

En réponse à l’argument de l’Allemagne selon lequel l’article 24 de la loi sur la gestion de l’énergie est de nature législative, la Cour souligne que le fonctionnement de l’Union est fondé sur le principe de démocratie représentative et que, notamment, les directives sont adoptées par la procédure législative. La Cour fait valoir, en outre, que le principe de démocratie ne s’oppose pas à l’existence d’autorités publiques situées en dehors de l’administration hiérarchique classique et plus ou moins indépendantes du gouvernement. Le statut indépendant des ARN n’est pas en soi de nature à priver ces autorités de leur légitimité démocratique, dans la mesure où elle ne sont pas soustraites à toute influence parlementaire (9).

La Cour souligne que les compétences qui sont réservées aux ARN relèvent du domaine de l’exécution, sur la base d’une appréciation technique spécialisée, et ne confèrent pas à ces autorités une marge d’appréciation susceptible d’impliquer des choix de nature politique. La Cour relève que, en l’espèce, les ARN sont subordonnées à des principes et des règles établis par un cadre normatif détaillé à l’échelle de l’Union.


1      Directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55). Cette directive a été abrogée avec effet au 1er janvier 2021 par la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (JO 2019, L 158, p. 125). Elle demeure cependant applicable ratione temporis au présent litige.


2      Directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE (JO 2009, L 211, p. 94).


3      Article 35, paragraphe 4, de la directive 2009/72 et article 39, paragraphe 4, de la directive 2009/73.


4      Energiewirtschaftsgesetz (loi sur la gestion de l’énergie), du 7 juillet 2005 (BGBl. I, p. 1970 et 3621), telle que modifiée par l’article 2, paragraphe 6, de la loi du 20 juillet 2017 (BGBl. I, p. 2808, 2018 I p. 472).


5      Violation de l’article 2, point 21, de la directive 2009/72 et de l’article 2, point 20, de la directive 2009/73.


6      Violation de l’article 19, paragraphes 3 et 8, des directives 2009/72 et 2009/73.


7      Violation de l’article 19, paragraphe 5, des directives 2009/72 et 2009/73.


8      Violation de l’article 37, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 6, sous a) et b), de la directive 2009/72 et l’article 41, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 6, sous a) et b), de la directive 2009/73.


9      En ce sens, arrêt du 9 mars 2010, Commission/Allemagne (C‑518/07, EU:C:2010:125, points 42, 43 et 46) ; en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Prezident Slovenskej republiky (C‑378/19, EU:C:2020:462, points 36 à 39).