Language of document : ECLI:EU:T:1997:103

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

9 juillet 1997(1)

«Fonctionnaires — Maladie professionnelle — Commission médicale — Base de calcul de l'indemnité prévue à l'article 73, paragraphe 2, du statut»

Dans l'affaire T-4/96,

S,

partie requérante,

contre

Cour de justice des Communautés européennes, représentée par M. Timothy Millett, conseiller juridique pour les affaires administratives, en qualité d'agent, ayant élu domicile auprès de ce dernier, au siège de la Cour de justice, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, en premier lieu, une demande d'annulation de la décision de la Cour de justice du 11 avril 1995, dans la mesure où elle retient un taux d'invalidité de 6 % pour le calcul de l'indemnité prévue à l'article 73 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, en second lieu, une demande de reconnaissance du droit de la requérante à ladite indemnité calculée sur la base d'un taux d'invalidité de 30 % et, en troisième lieu, une demande d'intérêts compensatoires,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),



composé de M. K. Lenaerts, président, Mme P. Lindh, M. J. D. Cooke, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 5 mars 1997,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

  1. La requérante est entrée au service de la Cour de justice en (...).
    (2)

  2. Peu de temps après son entrée en fonctions, elle est tombée malade et a été contrainte de suspendre son service. Le (...), la commission d'invalidité prévue par l'article 13 de l'annexe VIII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut») a reconnu qu'elle était atteinte d'une invalidité permanente totale la mettant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de sa carrière. Le (...), l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») a décidé de la mettre d'office à la retraite et de l'admettre au bénéfice d'une pension d'invalidité au titre de l'article 78 du statut.

  3. Suite à un rapport favorable établi par la commission d'invalidité le (...), la requérante a repris ses fonctions auprès de la Cour de justice le (...). Néanmoins, le (...), elle est à nouveau tombée malade et a définitivement cessé ses activités.

  4. Ensuite, deux procédures ont été mises en oeuvre, parallèlement et indépendamment, au sein de la Cour de justice.

  5. La première procédure a été déclenchée à l'initiative de la Cour de justice sur la base des articles 53, 59 et 78 du statut. Le (...), le président de la Cour a décidé de soumettre le cas de la requérante à l'examen d'une commission d'invalidité, qui, une nouvelle fois, a reconnu qu'elle était atteinte d'une invalidité permanente et totale au sens de l'article 78. Le (...), l'AIPN a décidé de la remettre d'office à la retraite et de l'admettre, à nouveau, au bénéfice d'une pension d'invalidité au titre de l'article 78. Il ressort du dossier que, dans le cadre de cette procédure, la commission d'invalidité ne s'est pas prononcée sur la question de l'origine professionnelle de la maladie de la requérante (annexe 2 à la réplique).

  6. Cette procédure n'est pas en cause dans le présent litige.

  7. La seconde procédure a été déclenchée à l'initiative de la requérante sur la base de l'article 73 du statut. Estimant que les troubles physiques et psychologiques dont elle souffrait résultaient de ses conditions de travail, elle a introduit, par une lettre du 18 décembre 1989, une demande de reconnaissance de l'origine professionnelle de sa maladie.

  8. Suite à cette demande, le médecin désigné par la Cour de justice, le Dr De Meersman, a conclu, dans un rapport médical du 4 décembre 1990, que la maladie de la requérante ne constituait pas une «maladie professionnelle [...] ou [...] l'aggravation professionnelle d'une maladie préexistante». Sur la base de ce rapport et en application de l'article 21, premier alinéa, de la réglementation relative à la couverture des risques d'accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «réglementation»), l'AIPN a notifié à la requérante, le 20 février 1991, un projet de décision rejetant sa demande de reconnaissance de l'origine professionnelle de sa maladie.

  9. Par lettre du 17 avril 1991, la requérante a demandé la saisine d'une commission médicale conformément à l'article 21, second alinéa, de la réglementation. Cette commission médicale a rendu deux rapports.

  10. Dans son premier rapport, du 3 mars 1993, elle a conclu que «l'état anxio-dépressif présenté par Mme S s'[était] développé à l'occasion de son travail; mais que sa personnalité pathologique [était] à 50 % à l'origine de sa pathologie médicale, 30 % [étaient] dus aux événements de vie et 20 % [étaient] dus à son travail». Cette commission a précisé que «[l]'exercice de la profession n'[était] pas la cause essentielle, ni prépondérante de la maladie dont souffr[ait] Mme S».

  11. Estimant ne pas être en mesure de prendre sa décision sur la base de ce rapport, l'AIPN a demandé, par lettre du 20 juin 1994, que la commission médicale réponde à cinq questions complémentaires, à savoir:

    «1)    fixer le taux d'invalidité permanente dont reste atteinte Mme S;

    2)    préciser si l'intéressée était atteinte d'une maladie préexistante à son entrée en fonctions dans les Communautés européennes;

    3)    dans la négative, dire s'il est suffisamment établi qu'il existe un rapport direct entre la maladie et l'exercice de l'activité professionnelle de Mme S auprès des Communautés;

    4)    dans l'affirmative, dire s'il est suffisamment établi que la maladie a été aggravée et qu'il existe un rapport direct entre cette aggravation éventuelle et l'exercice de l'activité professionnelle de l'intéressée auprès des Communautés;

    5)    fixer, s'il y a lieu, le taux d'invalidité résultant de cette éventuelle aggravation.»

  12. Dans un second rapport, du 12 janvier 1995, la Commission médicale a répondu aux cinq questions complémentaires de l'AIPN de la manière suivante:

    «1)    à la première question: le taux d'invalidité permanente dont reste atteinte Mme S s'élève à 30 %;

    2)    à la deuxième question: Mme S n'était pas atteinte d'une maladie préexistante à son entrée en fonction dans les Communautés européennes;

    3)    à la troisième question: le rapport direct entre l'exercice de l'activité professionnelle de Mme S auprès des Communautés et la maladie est évalué à 20 %. C'est-à-dire que sur une échelle de 100, l'exercice des activités professionnelles est en cause pour 20 %, la personnalité pathologique pour 50 % et les événements de vie pour 30 %;

    4) et 5) aux quatrième et cinquième questions: eu égard à la réponse

         donnée à la troisième question, il n'y a pas lieu de répondre.»

  13. Sur la base de ce second rapport, l'AIPN a adopté, le 11 avril 1995, la décision suivante:

    «1)    Conformément aux dispositions de l'article 3, paragraphe 2, de la [réglementation], il est reconnu à Mme S une invalidité permanente partielle de 30 % qui trouve son origine à l'occasion de l'exercice des fonctions au service de la Cour de justice des Communautés européennes à raison de 20 %.

    2)    Mme S percevra une indemnité de 1 094 745 [BFR], calculée sur la base de 6 % (30 % x 20 %) et tenant compte du total des traitements de base des douze mois précédant la date du certificat médical du (...) faisant état d'une maladie due à des conditions de travail, soit: traitement de base mensuel, 190 060 [BFR] x 12 mois x 8 x 6 %.»

  14. Cette décision constitue la décision attaquée.

  15. Le 5 juillet 1995, la requérante a introduit une réclamation au titre de l'article 90 du statut contre cette décision. Sa réclamation a été rejetée par une décision du comité chargé des réclamations de la Cour de justice du 2 octobre 1995, notifiée à la requérante le 16 octobre 1995.

    Procédure et conclusions des parties

  16. C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 janvier 1996, la requérante a introduit le présent recours. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

  17. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 5 mars 1997.

  18. Dans sa requête, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

    • annuler la décision de la Cour de justice, en sa qualité d'AIPN, du 11 avril 1995 dans la mesure où elle retient un taux d'invalidité de 6 % pour le calcul de l'indemnité visée par l'article 73 du statut;

    • reconnaître le droit de la requérante à l'indemnité prévue à l'article 73 du statut calculée sur la base d'un taux d'invalidité de 30 %;

    • pour autant que de besoin, annuler la décision de rejet de la réclamation de la requérante du 2 octobre 1995 et

    • condamner la défenderesse à l'ensemble des dépens.



  19. Dans son mémoire en réplique, la requérante conclut, en outre, à ce qu'il plaise au Tribunal:

    • condamner la défenderesse au paiement d'une somme évaluée, sous toutes réserves, à 1 973 541 BFR à titre d'intérêts, calculés à un taux de 8 %, sur l'indemnité à laquelle la requérante peut prétendre en vertu de l'article 73 du statut, pour la période du 18 décembre 1989 au 20 juin 1994.



  20. Dans son mémoire en défense, la défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

    • rejeter le recours comme non fondé et

    • condamner la requérante à supporter ses propres dépens.



  21. Dans son mémoire en duplique, la défenderesse conclut, en outre, à ce qu'il plaise au Tribunal:

    • rejeter comme irrecevable la demande, introduite pour la première fois par la requérante dans son mémoire en réplique, visant à obtenir la condamnation de la défenderesse au paiement d'une somme évaluée à 1 973 541 BFR à titre d'intérêts et

    • en tout état de cause, rejeter le recours comme non fondé.

    Sur la demande visant à faire reconnaître le droit de la requérante à l'indemnité prévue à l'article 73 du statut, calculée sur la base d'un taux d'invalidité de 30 %

  22. Dans ses conclusions, la requérante demande au Tribunal de reconnaître son droit à l'indemnité d'invalidité prévue par l'article 73 du statut, calculée sur la base d'un taux d'invalidité de 30 %. Il y a lieu de constater que cette demande revient à inviter le Tribunal à enjoindre à la défenderesse de calculer l'indemnité précitée sur la base d'un taux déterminé. Or, le juge communautaire, sous peine d'empiéter sur les prérogatives de l'AIPN, n'a pas compétence pour adresser des injonctions à une institution communautaire (arrêts du Tribunal du 13 juillet 1993, Moat/Commission, T-20/92, Rec. p. II-799, point 36, et du 8 juin 1995, Allo/Commission, T-496/93, RecFP p. II-405, points 32 et 33).

  23. Il s'ensuit que cette demande est irrecevable.

    Sur la demande visant à faire écarter partiellement une pièce des débats

  24. La requérante fait observer que, en annexe 4 à sa défense, la défenderesse a produit l'intégralité du rapport médical établi le 4 décembre 1990 par le Dr De Meersman (voir point ci-dessus). Ce rapport serait protégé par le secret médical, de sorte que la défenderesse n'aurait pu le produire sans son autorisation préalable. Par ailleurs, seules les conclusions de ce rapport, à l'exclusion du texte intégral, présenteraient un intérêt pour le présent litige. En conséquence, larequérante demande que ce rapport soit écarté des débats, à l'exception de ses conclusions.

  25. Le Tribunal estime que, en l'espèce, il y a lieu de réserver sa décision sur cette demande tant que l'examen des moyens et arguments des parties n'implique pas la prise en considération de ce rapport.

    Sur les conclusions en annulation

  26. A l'appui de son recours, la requérante invoque quatre moyens:

    • illégalité des rapports de la commission médicale;

    • violation de l'obligation de motivation;

    • violation de l'article 73 du statut, des articles 3, paragraphe 2, et 12, paragraphe 2, de la réglementation et du barème des taux d'invalidité annexé à la réglementation (ci-après «barème des taux d'invalidité»);

    • violation du principe d'égalité.



  27. Avant de présenter l'argumentation développée par les parties, il convient de rappeler les dispositions qui constituent le cadre juridique du présent litige.

  28. L'article 73 du statut fait partie des dispositions relatives à la sécurité sociale. Son paragraphe 1er dispose, notamment, que le fonctionnaire est couvert, dès le jour de son entrée en service, contre les risques de maladie professionnelle. Son paragraphe 2 garantit certaines prestations en cas de décès, d'invalidité permanente totale et d'invalidité permanente partielle causés par une maladie professionnelle.

  29. Selon l'article 73, paragraphe 2, sous b), le fonctionnaire a droit, en cas d'invalidité permanente totale, au paiement d'un capital égal à huit fois son traitement de base annuel calculé sur la base des traitements mensuels alloués pour les douze mois précédant l'accident. Selon l'article 73, paragraphe 2, sous c), le fonctionnaire a droit, en cas d'invalidité permanente partielle, au paiement d'une partie de l'indemnité prévue sous b), calculée sur la base du barème des taux d'invalidité.

  30. Les conditions d'application de l'article 73 du statut sont fixées par la réglementation.

  31. L'article 3 de la réglementation définit la notion de maladie professionnelle de la manière suivante:

    «1. Sont considérées comme maladies professionnelles les maladies qui figurent à la 'liste européenne des maladies professionnelles‘ annexée à la recommandation de la Commission du 22 mai 1990 [JO L 160, p. 39] et à ses compléments éventuels, dans la mesure où le fonctionnaire a été exposé, dans son activité professionnelle auprès des Communautés européennes, aux risques de contracter ces maladies.

    2. Est également considérée comme maladie professionnelle toute maladie ou aggravation d'une maladie préexistante ne figurant pas à la liste visée au paragraphe 1, lorsqu'il est suffisamment établi qu'elle trouve son origine dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des fonctions au service des Communautés.»

  32. L'article 12 confirme les prestations garanties par l'article 73, paragraphe 2, sous b) et c), du statut dans les termes suivants:

    «1. En cas d'invalidité permanente totale du fonctionnaire résultant [...] d'une maladie professionnelle, le capital prévu à l'article 73 paragraphe 2, [sous] b), du statut lui est versé.

    2. En cas d'invalidité permanente partielle du fonctionnaire résultant [...] d'une maladie professionnelle, le capital déterminé en fonction des taux prévus au barème [des taux] d'invalidité figurant en annexe lui est versé.»

  33. Le barème des taux d'invalidité fixe, en pourcentage précis, le taux de différents types d'invalidités permanentes dont peuvent être atteints les fonctionnaires. Il dispose également que, pour les cas d'invalidité non prévus par le barème, le degré d'invalidité du fonctionnaire est déterminé par analogie avec les taux qu'il prévoit.

  34. L'article 19 de la réglementation dispose que les décisions relatives à la reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie ainsi qu'à la fixation du degré d'invalidité permanente sont prises par l'AIPN sur la base des conclusions émises par le ou les médecins désignés par les institutions et, si le fonctionnaire le requiert, après consultation de la commission médicale. L'article 23, paragraphe 1, prévoit que cette commission est composée de trois médecins: le premier est désigné par l'AIPN, le deuxième, par le fonctionnaire concerné, et le troisième, du commun accord des deux premiers. Au terme de ses travaux, la commission médicale consigne ses conclusions dans un rapport qui est adressé à l'AIPN et au fonctionnaire.

    Sur le premier moyen, tiré de l'illégalité des rapports de la commission médicale

    Arguments des parties

  35. La requérante fait valoir que les rapports de la commission médicale des 3 mars 1993 et 12 janvier 1995 sont entachés d'une double illégalité.

  36. D'une part, en procédant à la ventilation, en pourcentage précis, de l'importance des différentes causes de sa maladie, la commission médicale aurait outrepassé les limites du mandat que l'AIPN lui avait confié. En effet, par la troisième question de sa lettre du 20 juin 1994, l'AIPN lui avait demandé de «dire s'il [était] suffisamment établi qu'il existe un rapport direct entre la maladie et l'exercice de l'activité professionnelle de Mme S auprès des Communautés». En répondant à cette question par l'affirmative dans son rapport du 12 janvier 1995, la commission médicale aurait épuisé sa mission, de sorte qu'il ne lui appartenait pas de procéder à une ventilation que l'AIPN n'avait pas sollicitée.

  37. D'autre part, cette ventilation ne serait ni prévue ni requise par l'article 73 du statut, les articles 3, paragraphe 2, et 12, paragraphe 2, de la réglementation et le barème des taux d'invalidité. A cet égard, la requérante se réfère aux arguments invoqués à l'appui de son troisième moyen. La commission médicale aurait ainsi méconnu les notions de maladie professionnelle et de taux d'invalidité prévues par ces dispositions, de sorte que ses conclusions seraient illégales (arrêts de la Cour du 26 janvier 1984, Seiler e.a./Conseil, 189/82, Rec. p. 229, et du 10 décembre 1987, Jänsch/Commission, 277/84, Rec. p. 4923).

  38. La défenderesse fait notamment valoir que la requérante adopte une conception trop rigide et formaliste de la notion de «mandat» de la commission médicale.

    Appréciation du Tribunal

  39. Le Tribunal estime que le contenu de la mission de la commission médicale doit être examiné à la lumière des articles 19 et 23 de la réglementation.

  40. Selon une jurisprudence constante, ces dispositions ont pour but de confier à des experts médicaux l'appréciation de l'ensemble des questions médicales présentant une pertinence dans le fonctionnement du régime d'assurance organisé par la réglementation. Elles traduisent l'intention d'aboutir, en cas de litige, à un arbitrage définitif de toutes les questions d'ordre médical (voir, par exemple, les arrêts de la Cour du 21 mai 1981, Morbelli/Commission, 156/80, Rec. p. 1357, points 18 et 20, du 29 novembre 1984, Suss/Commission, 265/83, Rec. p. 4029, point 11, et du 4 octobre 1991, Commission/Gill, C-185/90 P, Rec. p. I-4779, point 24).

  41. Il résulte de cette jurisprudence que la commission médicale est investie d'une large mission, consistant à fournir à l'AIPN toutes les appréciations médicales nécessaires à l'adoption de sa décision relative à la reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie du fonctionnaire ainsi qu'à la fixation du degré de son invalidité permanente.

  42. Dans un souci d'efficacité, il est toutefois souhaitable que, lorsqu'elle saisit la commission médicale, l'AIPN indique, par un mandat clair et précis, les points sur lesquels elle cherche à obtenir des appréciations médicales définitives. Par ailleurs, lorsqu'elle reçoit un rapport de la commission médicale, l'AIPN peut, par un mandat complémentaire, préciser ses questions ou en soulever de nouvelles afin d'obtenir toutes les appréciations souhaitées (voir, en ce sens, l'arrêt du Tribunal du 23 novembre 1995, Benecos/Commission, T-64/94, RecFP p. II-769, points 46 et 58). Dans ces cas, la commission médicale est évidemment tenue de répondre, de manière claire et précise, aux questions posées par l'AIPN. Toutefois, ces mandats ne sauraient avoir pour effet d'empêcher la commission médicale de communiquer à l'AIPN des constatations médicales supplémentaires, susceptibles d'éclairer sa décision.

  43. En l'espèce, la commission médicale a conclu, dans ses rapports des 3 mars 1993 et 12 janvier 1995, que trois facteurs avaient contribué à l'émergence de la maladie de la requérante. Elle a également procédé à une évaluation, en pourcentage précis, de l'importance de ces facteurs.

  44. Le Tribunal estime que, même en l'absence d'un mandat requérant expressément une telle évaluation, la commission médicale était habilitée, conformément à la mission qui lui incombe en vertu des articles 19 et 23 de la réglementation, à informer l'AIPN de cette constatation.

  45. Quant à l'argument selon lequel la ventilation litigieuse ne serait ni prévue ni requise par l'article 73 du statut, les articles 3, paragraphe 2, et 12, paragraphe 2, de la réglementation et le barème des taux d'invalidité, le Tribunal considère qu'il concerne le troisième moyen de la requérante. Il sera donc examiné dans le cadre dudit moyen.

  46. Il s'ensuit que le premier moyen de la requérante n'est pas fondé.

    Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation

    Arguments des parties

  47. La requérante fait valoir que les rapports de la commission médicale des 3 mars 1993 et 12 janvier 1995 sont entachés de défauts de motivation. Ils n'établiraient pas de lien compréhensible entre les constatations médicales qu'ils contiennent et les conclusions auxquelles ils arrivent (arrêt du Tribunal du 12 juillet 1990, Vidrányi/Commission, T-154/89, Rec. p. II-445, point 48).

  48. En effet, ces rapports ne préciseraient pas les raisons pour lesquelles, après avoir constaté l'existence d'un rapport suffisamment direct entre les activités professionnelles et la maladie de la requérante — constatation suffisante pour conclure à l'existence d'une maladie professionnelle (voir point ci-après) — la commission médicale a poursuivi ses travaux et a conclu que ladite maladie était due, pour 20 %, aux activités professionnelles de la requérante, pour 30 %, à ses événements de vie et, pour 50 %, à sa personnalité pathologique. En outre, les constatations contenues dans ces rapports n'expliqueraient ni la méthode sur la base de laquelle la commission médicale a procédé à la ventilation susvisée, ni la quantification des trois causes de sa maladie, ni la signification des termes «événements de vie» et «personnalité pathologique».

  49. Dans la mesure où elle se fonderait sur des rapports médicaux qui sont entachés de défauts de motivation, la décision de l'AIPN du 11 avril 1995 serait entachée des mêmes illégalités et devrait, par suite, être annulée.

  50. La défenderesse conteste la recevabilité du présent moyen au motif que la requérante ne l'a pas invoqué dans sa réclamation (arrêts du Tribunal du 27 novembre 1990, Kobor/Commission, T-7/90, Rec. p. II-721, points 34 à 36, du 12 mars 1996, Weir/Commission, T-361/94, RecFP p. II-381, points 27 à 34, du 6 juin 1996, Baiwir/Commission, T-262/94, RecFP p. II-739, points 40, 41 et 42, et du 11 juin 1996, Anacoreta Correia/Commission, T-118/95, RecFP p. II-835, point 43).

  51. En tout état de cause, les rapports des 3 mars 1993 et 12 janvier 1995 seraient suffisamment motivés.

    Appréciation du Tribunal

    • Sur la recevabilité du moyen



  52. Sans qu'il soit nécessaire de déterminer si, dans sa réclamation, la requérante a invoqué le moyen tiré d'une violation de l'obligation de motivation, le Tribunal estime que celui-ci doit, en tout état de cause, être déclaré recevable.

  53. En effet, selon une jurisprudence constante, le moyen tiré du défaut de motivation d'un acte d'une institution constitue un moyen d'ordre public qui, en tant que tel, peut, en tout état de cause, être examiné d'office par le juge communautaire (voir notamment les arrêts de la Cour du 20 mars 1959, Nold/Haute Autorité, 18/57, Rec. p. 89, du 1er juillet 1986, Usinor/Commission, 185/85, Rec. p. 2079, point 19, et du 20 février 1997, Commission/Daffix, C-166/95 P, non encore publié au Recueil, point 24, ainsi que l'arrêt du Tribunal du 27 février 1997, FFSA e.a./Commission, T-106/95, non encore publié au Recueil, point 62). Il s'ensuit qu'aucun requérant ne saurait être forclos à se prévaloir de ce moyen au seul motif qu'il ne l'a pas soulevé dans sa réclamation (arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Grynberg et Hall/Commission, T-534/93, RecFP p. II-595, point 59, et arrêt de la Cour Commission/Daffix, précité, point 25).

    • Sur le bien-fondé du moyen



  54. Il y a lieu de rappeler que les appréciations médicales proprement dites formulées par la commission médicale doivent être considérées comme définitives lorsqu'elles ont été émises dans des conditions régulières (arrêts de la Cour Suss/Commission,précité, points 9 à 15, et du 19 janvier 1988, Biedermann/Cour des comptes, 2/87, Rec. p. 143, point 8; arrêts du Tribunal Vidrányi/Commission, précité, point 48, du 26 septembre 1990, F./Commission, T-122/89, Rec. p. II-517, point 16, et du 14 janvier 1993, F./Commission, T-88/91, Rec. p. II-13, point 39) et que le contrôle juridictionnel ne peut s'exercer que sur la régularité de la constitution et du fonctionnement d'une telle commission (arrêts Morbelli/Commission, précité, points 18 et 20, Suss/Commission, précité, point 11, Biedermann/Cour des comptes, précité, point 8, et Commission/Gill, précité, point 24) ainsi que sur la régularité des avis qu'elle émet. Il s'ensuit que le Tribunal est compétent pour examiner si l'avis contient une motivation permettant d'apprécier les considérations sur lesquelles sont basées les conclusions qu'il contient (arrêt de la Cour du 12 janvier 1983, K./Conseil, 257/81, Rec. p. 1, point 17) et s'il a établi un lien compréhensible entre les constatations médicales qu'il comporte et les conclusions auxquelles arrive la commission médicale (arrêt Jänsch/Commission, précité, point 15, et arrêts du Tribunal du 27 février 1992, Plug/Commission, T-165/89, Rec. p. II-367, point 75, et du 30 mai 1995, Saby/Commission, T-556/93, RecFP p. II-375, point 35).

  55. C'est à la lumière de ces principes qu'il convient d'examiner s'il existe, en l'espèce, un «lien compréhensible» entre les constatations médicales émises par la commission médicale et les conclusions auxquelles celle-ci est parvenue.

  56. Le Tribunal constate que le rapport de la commission médicale du 3 mars 1993 décrit, de manière détaillée, les nombreux examens médicaux subis par la requérante. La commission médicale a interrogé la requérante à diverses reprises et a tenu compte de ses notes, remarques et commentaires. Elle a étudié l'ensemble de son dossier ainsi que ses antécédents médicaux. Ainsi, elle a pu constater, entre autres, que la requérante avait déjà connu deux épisodes dépressifs en (...) et en (...); qu'elle était d'un «naturel scrupuleux et perfectionniste»; qu'elle «ne [...] support[ait pas] la sommation de stress à son travail»; qu'elle était en état de «sevrage médicamenteux total»; et que son anxiété résultait d'une «anticipation créative (voire catastrophique) de l'avenir».

  57. Le Tribunal estime que l'ensemble de ces éléments indique à suffisance les raisons pour lesquelles la commission médicale a pu identifier et évaluer l'importance des différentes causes de la maladie de la requérante. A cet égard, il convient de préciser que, pour émettre leurs conclusions, les experts composant la commission médicale se fondent non seulement sur des éléments objectifs, tels que ceux précités, mais également sur l'expérience qu'ils ont acquise dans le domaine concerné. Or, malgré l'importance que revêt cette expérience, elle ne saurait constituer un élément susceptible d'être motivé.

  58. En conséquence, il y a lieu de rejeter l'argument selon lequel les rapports litigieux n'expliqueraient ni les raisons ni la méthode relatives à la ventilation des trois causes de la maladie de la requérante.

  59. S'agissant de la signification précise des termes «événements de vie» et «personnalité pathologique», le Tribunal rappelle que la tâche de la commission médicale se limite à émettre des avis de nature purement scientifique, à l'exclusion de toute appréciation d'ordre juridique (voir, par exemple, l'arrêt de la Cour du 21 janvier 1987, Rienzi/Commission, 76/84, Rec. p. 315, points 9 à 12, et l'arrêt du 26 septembre 1990, F./Commission, précité, point 15). En l'espèce, le Tribunal estime que la signification des termes «événements de vie» et «personnalité pathologique» ressort non seulement du sens commun des mots mais également des constatations médicales relatives, entre autres, à la personnalité et aux antécédents de la requérante.

  60. En conséquence, il y a lieu de constater que les rapports de la commission médicale établissent un lien compréhensible entre les constatations médicales qu'ils comportent et les conclusions auxquelles ils arrivent.

  61. Il s'ensuit que le deuxième moyen de la requérante n'est pas fondé.

    Sur le troisième moyen, tiré d'une violation de l'article 73 du statut, des articles 3, paragraphe 2, et 12, paragraphe 2, de la réglementation et du barème des taux d'invalidité

    Arguments des parties

  62. La requérante expose que la procédure prévue par l'article 73 du statut, les articles 3, paragraphe 2, et 12, paragraphe 2, de la réglementation et le barème des taux d'invalidité comporte deux étapes distinctes.

  63. La première étape consisterait à déterminer si la maladie du fonctionnaire constitue une maladie professionnelle au sens de l'article 3, paragraphe 2, de la réglementation. Pour ce faire, l'AIPN et, le cas échéant, la commission médicale devraient vérifier s'il est suffisamment établi que la maladie du fonctionnaire trouve son origine dans, ou à l'occasion de, l'exercice de ses fonctions au service des Communautés européennes. Dès que le lien de causalité entre sa maladie et ses activités professionnelles est établi, le fonctionnaire aurait droit à l'indemnité d'invalidité prévue par l'article 73, paragraphe 2, du statut.

  64. Pour établir ce lien de causalité, aucune disposition n'exigerait que l'exercice des fonctions soit la cause unique, essentielle ou prépondérante de la maladie du fonctionnaire. Au contraire, selon l'arrêt Plug/Commission, précité (point 81), ce lien de causalité serait établi dès que l'état pathologique du fonctionnaire présente un rapport suffisamment direct avec les fonctions qu'il a exercées. A cet égard, l'arrêt Seiler e.a./Conseil, précité, invoqué par la défenderesse au point ci-après, ne serait pas pertinent. D'une part, il serait strictement limité à l'interprétation de la notion de maladie professionnelle dans le cas de l'aggravation d'une maladie préexistante. D'autre part, il aurait été rendu antérieurement à, et donc rejeté par, l'arrêt Plug/Commission.

  65. En tout état de cause, il serait suffisamment établi, en l'espèce, que la maladie de la requérante constitue une maladie professionnelle. Tant dans son rapport du 3 mars 1993 que dans celui du 12 janvier 1995, la commission médicale aurait constaté l'existence d'un rapport direct entre sa maladie et l'exercice de ses fonctions auprès des Communautés.

  66. La seconde étape de la procédure consisterait à déterminer le taux d'invalidité permanente dont est atteint le fonctionnaire et à calculer, sur la base de ce taux, le montant de l'indemnité d'invalidité qui lui sera versée au titre de l'article 73, paragraphe 2, du statut.

  67. A cet égard, la requérante rappelle que, aux termes de l'article 73, paragraphe 2, sous c), le fonctionnaire atteint d'une invalidité permanente partielle a droit au paiement d'une fraction de l'indemnité d'invalidité prévue en cas d'invalidité permanente totale, que, selon, l'article 12, paragraphe 2, de la réglementation, cette fraction est déterminée en fonction du taux d'invalidité du fonctionnaire et que ce taux est fixé sur la base du, ou par analogie avec, le barème des taux d'invalidité (arrêt de la Cour du 2 octobre 1979, B./Commission, 152/77, Rec. p. 2819).

  68. Il résulterait de cette procédure que le facteur relatif à l'exercice des activités professionnelles interviendrait uniquement dans la première étape, pour vérifier l'existence d'un rapport suffisamment direct entre la maladie du fonctionnaire et l'exercice de ses fonctions au service des Communautés. En revanche, ce facteur n'aurait aucune incidence dans la seconde étape. En effet, en cas d'invalidité permanente partielle, la fraction du montant de l'indemnité prévue par l'article 73, paragraphe 2, sous c), du statut devrait impérativement correspondre au taux d'invalidité dont est atteint le fonctionnaire.

  69. En conséquence, le montant de l'indemnité d'invalidité de la requérante aurait dû être calculé sur la base de l'entièreté de son taux d'invalidité, à savoir 30 %. Ce montant devrait donc représenter 30 % de l'indemnité prévue en cas d'invalidité permanente totale.

  70. Or, en l'espèce, l'AIPN aurait illégalement tenu compte du facteur professionnel dans la seconde étape de la procédure. En effet, pour calculer le montant de son indemnité d'invalidité, elle a multiplié son taux d'invalidité (30 %) par la seule fraction correspondant aux causes professionnelles de sa maladie (20 %), en excluant la fraction correspondant aux causes extra-professionnelles de cette maladie, à savoir sa personnalité pathologique (50 %) et ses événements de vie (30 %).

  71. La défenderesse aurait ainsi méconnu la procédure décrite ci-dessus et, partant, violé les dispositions invoquées dans le présent moyen.

  72. En réponse aux arguments de la requérante, la défenderesse développe une thèse principale et une thèse subsidiaire.

  73. A titre principal, elle fait valoir que le but du régime d'assurance prévu par l'article 73 du statut et la réglementation consisterait à indemniser les fonctionnaires dans la mesure où leur maladie résulte de l'exercice de leurs fonctions au service des Communautés. Dès lors, le montant maximal de l'indemnité qu'elle pouvait accorder à la requérante en l'espèce devrait correspondre à la partie de son invalidité permanente partielle (30 %) qui trouvait son origine dans l'exercice de ses fonctions (20 %). Ce montant équivaudrait donc à 6 % (30 % x 20 %) de l'indemnité prévue en cas d'invalidité permanente totale.

  74. A titre subsidiaire, pour le cas où les dispositions statutaires ne lui permettraient pas de fractionner le montant de l'indemnité à verser à la requérante, la défenderesse estime que celle-ci ne pourrait prétendre à aucune indemnité au titre de l'article 73 du statut. En effet, dans cette hypothèse, la maladie de la requérante ne constituerait pas une maladie professionnelle au sens de l'article 3, paragraphe 2, de la réglementation. A cet égard, elle se réfère à l'arrêt Seiler e.a./Conseil, précité (point 19), dans lequel la Cour, selon elle, a jugé que, lorsque la maladie d'un fonctionnaire trouve sa cause dans plusieurs facteurs tant professionnels qu'extra-professionnels, l'AIPN et, le cas échéant, la commission médicale ne peuvent conclure à l'existence d'une maladie professionnelle qu'à la condition que l'exercice des fonctions au service des Communautés présente le «lien le plus étroit» avec la maladie du fonctionnaire. Or, ce critère ne serait pas rempli en l'espèce.

    Appréciation du Tribunal

  75. A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre du régime d'assurance contre les risques de maladie professionnelle institué par le statut, le droit au bénéfice des prestations garanties par l'article 73, paragraphe 2, du statut n'est ouvert aux fonctionnaires que s'il est préalablement établi que leur maladie constitue une «maladie professionnelle» au sens de l'article 3 de la réglementation.

  76. Eu égard aux arguments avancés par les parties, le Tribunal estime opportun de rappeler, tout d'abord, le contenu de la notion de «maladie professionnelle» visée à l'article 3 de cette réglementation.

  77. Son paragraphe 1er dispose que les maladies figurant à la «liste européenne des maladies professionnelles», citée au point ci-dessus, constituent des maladies professionnelles «dans la mesure où le fonctionnaire a été exposé, dans son activité professionnelle auprès des Communautés européennes, aux risques de contracter ces maladies». Son paragraphe 2 prévoit qu'une maladie ne figurant pas à la liste précitée constitue également une maladie professionnelle «lorsqu'il est suffisamment établi qu'elle trouve son origine dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des fonctions au service des Communautés».

  78. Il ressort de cette disposition, ainsi que de la liste des invalidités visées par le barème des taux d'invalidité, que la notion de maladie professionnelle vise à couvrir un très large éventail de situations médicales.

  79. Ainsi, si la maladie du fonctionnaire trouve sa cause unique, essentielle, prépondérante ou prédominante dans l'exercice de ses fonctions, elle constitue une maladie professionnelle au sens de l'article 3, paragraphe 2, précité (voir, en ce sens, arrêts Seiler e.a./Conseil, précité, point 19, et Benecos/Commission, précité, point 46).

  80. Toutefois, cette disposition serait privée de son effet utile si la reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie d'un fonctionnaire devait être limitée à cette seule hypothèse. En effet, il existe des situations, plus complexes, où la maladie d'un fonctionnaire trouve son origine dans plusieurs causes, professionnelles et extra-professionnelles, physiques ou psychiques, qui ont, chacune, contribué à son émergence. Dans ce cas, il appartient à la commission médicale de déterminer si l'exercice des fonctions au service des Communautés — quelque pourrait être, parailleurs, l'évaluation de l'importance de ce facteur par rapport aux facteurs extra-professionnels — présente un rapport direct avec la maladie du fonctionnaire, par exemple, en qualité d'élément déclencheur de cette maladie (voir, en ce sens, arrêts K./Conseil, précité, point 20, Rienzi/Commission, précité, point 10, et Plug/Commission, précité, point 81).

  81. En l'espèce, le Tribunal constate que, en décidant d'accorder à la requérante une indemnité au titre de l'article 73, paragraphe 2, sous c), du statut, l'AIPN a reconnu qu'elle était atteinte d'une maladie professionnelle au sens de l'article 3, paragraphe 2, de la réglementation.

  82. En conséquence, il convient d'examiner si la méthode utilisée par l'AIPN pour calculer le montant de cette indemnité est conforme à l'article 73, paragraphe 2, du statut, à l'article 12 de la réglementation et au barème des taux d'invalidité.

  83. A cet égard, il y a lieu de tenir compte de la finalité et de la nature de ces dispositions.

  84. D'une part, la couverture prévue par l'article 73 repose sur un régime général d'assurance (arrêt de la Cour du 8 octobre 1986, Leussink-Brummelhuis/Commission, 169/83 et 136/84, Rec. p. 2801, point 11). Comme l'a souligné à juste titre la défenderesse, le but de ce régime consiste, notamment, à indemniser les fonctionnaires dans la mesure où la maladie qui a causé leur invalidité permanente résulte de l'exercice de leurs fonctions au service des Communautés.

  85. D'autre part, l'article 73, paragraphe 2, du statut, l'article 12 de la réglementation et le barème des taux d'invalidité doivent, sous peine d'être privés de leur effet utile, permettre de refléter, sur le plan de l'indemnisation des fonctionnaires, l'éventail des différentes situations médicales couvertes par l'article 3, paragraphe 2.

  86. Par ailleurs, le Tribunal relève que cette appréciation est confirmée par le libellé de l'article 3 de la réglementation et, en particulier, de son paragraphe 1er. En effet, il ressort de cette disposition que la notion de «maladie professionnelle» est fondée sur l'existence d'un lien entre, d'une part, l'état pathologique du fonctionnaire et, d'autre part, l'exercice de ses fonctions au service des Communautés. D'ailleurs, c'est uniquement «dans la mesure où» ce lien existe que la maladie peut être considérée comme une maladie professionnelle.

  87. Il en résulte que, lorsque la commission médicale constate que plusieurs causes, professionnelles et extra-professionnelles, ont, chacune, de manière directe, contribué à l'émergence de la maladie d'un fonctionnaire, l'AIPN est tenue de prendre en considération cette constatation médicale pour le calcul du montant de l'indemnité prévue par l'article 73, paragraphe 2, du statut.

  88. En outre, il ne saurait être exclu que, sur la base des différents examens auxquels elle a procédé ou de son expérience dans le domaine concerné, la commission médicale estime qu'il lui est possible d'évaluer ou de quantifier, sous une forme ou une autre, l'importance du rôle joué par l'exercice des fonctions dans l'émergence de la maladie du fonctionnaire. Lorsqu'une telle évaluation ressort clairement et précisément des conclusions de la commission médicale, l'AIPN est habilitée à la refléter dans le calcul de l'indemnité précitée.

  89. En conséquence, c'est à bon droit que, sur la base de l'article 73 du statut et de la réglementation, l'AIPN a décidé d'accorder à la requérante une indemnité équivalente à 6 % de l'indemnité prévue en cas d'invalidité permanente totale.

  90. Il s'ensuit que le troisième moyen de la requérante n'est pas fondé.

    Sur le quatrième moyen, tiré d'une violation du principe d'égalité

    Arguments des parties

  91. La défenderesse conteste la recevabilité du présent moyen au motif que la requérante ne l'a pas invoqué dans sa réclamation du 5 juillet 1995.

  92. En réponse à cet argument, la requérante, citant, notamment, les arrêts de la Cour du 30 octobre 1974, Grassi/Conseil (188/73, Rec. p. 1099), et du 1er juillet 1976, Sergy/Commission (58/75, Rec. p. 1139), fait valoir que le présent moyen ne modifie ni la cause ni l'objet de sa réclamation. En effet, il viserait à mettre en cause la validité de la ventilation, par la commission médicale, des trois causes de sa maladie. Or, dans sa réclamation, elle aurait déjà expressément critiqué cette ventilation. Dans le présent recours, elle aurait simplement organisé cette critique de manière différente, par la présentation d'un moyen spécifique, mais étroitement lié au troisième moyen.

  93. Quant au fond, la requérante fait valoir que la méthode utilisée par l'AIPN pour calculer le montant de son indemnité est contraire au principe d'égalité. Elle invoque quatre arguments à l'appui de sa thèse.

  94. Premièrement, cette méthode aurait pour effet de rendre le montant de l'indemnité prévue par l'article 73, paragraphe 2, sous c), du statut inversement proportionnel à l'importance des causes extra-professionnelles de la maladie des fonctionnaires. En effet, en cas de maladie professionnelle, les fonctionnaires qui auraient été rendus plus vulnérables à certaines conditions de travail au sein des Communautés par leur personnalité et leurs événements de vie ne percevraient, en raison de l'exclusion des causes extra-professionnelles de leur maladie, qu'une indemnité inférieure à celle que pourraient percevoir les fonctionnaires qui ne présentent pas le même type de personnalité ou qui ne connaissent pas les mêmes expériences de vie. Cette différence de traitement serait injustifiée. En effet, l'article 73 du statut et la réglementation viseraient à accorder à tous les fonctionnaires une couverture identique contre les risques de maladie professionnelle, sans égard à leur personnalité ou à leurs expériences de vie.

  95. Deuxièmement, la méthode critiquée conduirait à faire varier, sans justification objective, le montant de l'indemnité prévue par l'article 73, paragraphe 2, sous c), du statut selon qu'il s'agit d'une maladie professionnelle ou de l'aggravation «professionnelle» d'une maladie préexistante. En effet, dans le cas d'un fonctionnaire qui, comme la requérante, serait atteint d'une maladie professionnelle après son entrée en fonctions aux Communautés, le montant de l'indemnité ne serait déterminé que sur la base de la seule partie du taux d'invalidité permanente partielle qui trouverait son origine dans l'exercice de ses fonctions au service des Communautés. En revanche, dans le cas d'un fonctionnaire qui, avant son entrée en fonctions aux Communautés, serait atteint d'une maladie en raison de sa personnalité pathologique et de ses événements de vie, et qui verrait sa maladie préexistante s'aggraver à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le montant de son indemnité serait calculé sur la base de l'entièreté du taux de son invalidité permanente partielle, en ce compris la partie relative aux causes extra-professionnelles de cette invalidité (personnalité pathologique et événements de vie).

  96. Troisièmement, ni le statut, ni la réglementation, ni l'AIPN, ni même la commission médicale ne définirait la méthode selon laquelle la commission médicale doit procéder à l'identification et à la ventilation des différents facteurs ayant contribué à l'émergence de la maladie professionnelle dont peut être atteint un fonctionnaire. Or, seule une détermination préalable de cette méthode permettrait d'éviter que la commission médicale ne traite différemment des situations identiques ou similaires.

  97. Quatrièmement, la ventilation, en pourcentage précis, des trois causes de la maladie de la requérante présenterait un caractère particulièrement théorique. Cette maladie constituerait le résultat d'une combinaison de facteurs intimement liés, de sorte qu'il serait impossible de déterminer si, en l'absence d'un de ces facteurs, la maladie de la requérante se serait développée.

    Appréciation du Tribunal

  98. Le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, la règle de la concordance entre la réclamation et le recours exige, sous peine d'irrecevabilité, qu'un moyen soulevé devant le juge communautaire l'ait déjà été dans le cadre de la procédure précontentieuse, afin que l'AIPN ait été en mesure de connaître d'une façon suffisamment précise les critiques que l'intéressé formule à l'encontre de la décision contestée. Il ressort également de la jurisprudence que, si les conclusions présentées devant le juge communautaire ne peuvent contenir que des «chefs de contestation» reposant sur la même cause que ceux invoqués dans la réclamation, ces chefs de contestation peuvent cependant, devant le juge communautaire, être développés par la présentation de moyens et arguments ne figurant pas nécessairement dans la réclamation, mais s'y rattachant étroitement (voir, notamment, l'arrêt de la Cour du 14 mars 1989, Del Amo Martinez/Parlement, 133/88, Rec. p. 689, points 9 et 10, et les arrêts du Tribunal du 29 mars 1990, Alexandrakis/Commission, T-57/89, Rec. p. II-143, points 8 et 9, et Allo/Commission, précité, point 26).

  99. Il y a lieu également de rappeler que, puisque la procédure précontentieuse a un caractère informel et que les intéressés agissent, en général, à ce stade, sans le concours d'un avocat, l'administration ne doit pas examiner les réclamations de façon restrictive, mais doit, au contraire, les examiner dans un esprit d'ouverture (arrêt Del Amo Martinez/Parlement, précité, point 11).

  100. En l'espèce, le Tribunal constate que la réclamation de la requérante du 5 juillet 1995 non seulement ne se réfère pas au moyen tiré d'une violation du principe d'égalité mais ne contient aucun élément dont la défenderesse aurait pu déduire, même en s'efforçant d'interpréter la réclamation dans un esprit d'ouverture, que la requérante entendait invoquer ce principe.

  101. Dans ces conditions, le quatrième moyen de la requérante doit être déclaré irrecevable.

  102. Il ressort de l'ensemble des considérations qui précèdent qu'il y a lieu de rejeter la demande de la requérante visant à l'annulation de la décision de la défenderesse du 11 avril 1995, dans la mesure où elle retient un taux d'invalidité de 6 % pour le calcul de l'indemnité visée par l'article 73 du statut.

    Sur la demande visant à la condamnation de la défenderesse au paiement d'un montant de 1 973 541 BFR

  103. Dans sa réplique, la requérante demande également la condamnation de la défenderesse au paiement d'un montant de 1 973 541 BFR (voir point ci-dessus). Cette demande tend à la réparation du préjudice qui lui a prétendument été causé par différentes fautes et omissions de la défenderesse dans le traitement de son dossier.

  104. A cet égard, le Tribunal rappelle que, selon l'article 44 de son règlement de procédure, les parties ont l'obligation de définir l'objet du litige dans l'acte introductif d'instance. Même si les dispositions de l'article 48, paragraphe 2, du même règlement permettent, dans certaines circonstances, la production de moyens nouveaux en cours d'instance, ces dispositions ne peuvent, en aucun cas, être interprétées comme autorisant une partie requérante à saisir le juge communautaire de conclusions nouvelles et à modifier ainsi l'objet du litige (voir, par exemple, arrêts de la Cour du 25 septembre 1979, Commission/France, 232/78, Rec. p. 2729, point 3, et du 18 octobre 1979, Gema/Commission, 125/78, Rec. p. 3173, point 26, et arrêts du Tribunal du 18 septembre 1992, Asia Motor France e.a./Commission, T-28/90, Rec. p. II-2285, point 43, et du 5 juin 1996, Kahn Scheepvaart/Commission, T-398/94, Rec. p. II-477, point 20).

  105. Or, en l'espèce, la requérante a, en cours d'instance, ajouté à ses conclusions en annulation une demande aux fins d'indemnité, de sorte que la nature du litige original se trouve modifiée (arrêt du Tribunal du 21 mars 1996, Chehab/Commission, T-10/95, RecFP p. II-419, point 66).

  106. En outre, il y lieu de constater que la demande susvisée ne présente pas de lien étroit avec les conclusions en annulation. S'agissant d'un litige relevant de la fonction publique communautaire, sa recevabilité est donc subordonnée au déroulement régulier de la procédure administrative préalable prévue par les articles 90 et 91 du statut. Cette procédure aurait dû impérativement débuter par une demande de la requérante invitant l'AIPN à réparer le préjudice subi et se poursuivre, le cas échéant, par une réclamation dirigée contre la décision de rejet de la demande (arrêts du Tribunal du 25 septembre 1991, Marcato/Commission, T-5/90, Rec. p. II-731, points 49 et 50, du 16 juillet 1992, Della Pietra/Commission, T-1/91, Rec. p. II-2145, point 34, du 8 juin 1993, Fiorani/Parlement, T-50/92, Rec. p. II-555, points 45 et 46, Weir/Commission, précité, point 48, et Chehab/Commission, précité, point 67).

  107. Or, une telle procédure précontentieuse fait défaut en l'espèce.

  108. Il s'ensuit que la demande de la requérante visant à la condamnation de ladéfenderesse au paiement d'un montant de 1 973 541 BFR est irrecevable.

  109. Enfin, s'agissant de sa demande visant à faire écarter des débats le texte du rapport médical établi du Dr De Meersman du 4 décembre 1990 (voir point ci-dessus), le présent arrêt n'étant pas fondé sur cette pièce, il n'y a pas lieu de statuer sur cette demande.

  110. Il résulte des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

    Sur les dépens

  111. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. En conséquence, chaque partie supportera ses propres dépens.

    Par ces motifs,

    LE TRIBUNAL (quatrième chambre)



    déclare et arrête:

    1. Le recours est rejeté.

    2. Chaque partie supportera ses propres dépens.



LenaertsLindh
Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juillet 1997.

Le greffier

Le président

H. Jung

K. Lenaerts


1: Langue de procédure: le français.


2: Certaines dates sont occultées afin de respecter l'anonymat de la requérante.