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Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 11 juillet 2024 (1)

Affaires C767/22, C49/23 et C161/23

1Dream OÜ,

DS,

DL,

VS,

JG (C767/22)

AZ,

1Dream OÜ,

Produktech Engineering AG,

BBP,

Polaris Consulting Ltd (C49/23)

VL,

ZS,

Lireva Investments Limited,

VI,

FORTRESS FINANCE Inc. (C161/23)

en présence de

Latvijas Republikas Saeima

[demande de décision préjudicielle formée par la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle, Lettonie)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2014/42/UE – Gel et confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne – Champ d’application – Confiscation de biens illégalement acquis – Procédure pénale nationale de confiscation de biens non fondée sur une condamnation – Article 4 – Accès au dossier des personnes ayant un lien avec les biens – Régime de la preuve de l’origine des biens – Recours effectif – Article 8 – Directive 2012/13/UE – Directive (UE) 2016/343 – Articles 17, 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »






1.        Dans un rapport daté du 2 juin 2020 concernant la confiscation des avoirs criminels et se fondant sur les données fournies par Europol, la Commission européenne a indiqué que les produits de la criminalité organisée au sein de l’Union européenne sont estimés à environ 110 milliards d’euros par an et que seulement 2 % environ des produits du crime font l’objet d’un gel et 1 % d’une confiscation (2). C’est dans ce contexte, pour le moins inquiétant, que s’inscrivent les présentes affaires préjudicielles, lesquelles donnent l’occasion à la Cour de se prononcer pour la première fois sur l’applicabilité de la directive 2014/42/UE (3) à une réglementation nationale prévoyant une procédure pénale de confiscation des biens illégalement acquis non fondée sur une condamnation et diligentée parallèlement à une procédure visant à établir la culpabilité de l’auteur présumé de l’infraction. Une réponse positive de la Cour quant à sa compétence conduirait celle-ci à devoir examiner la compatibilité des règles nationales quant à l’accès au dossier de la procédure de confiscation par les personnes ayant un lien avec les biens, au régime de la preuve de l’origine des biens et au contrôle juridictionnel de la décision de confiscation.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

2.        Sont pertinents, dans le cadre des présentes affaires, les articles 2 à 4 et 8 de la directive 2014/42 ainsi que les articles 17, 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

B.      Le droit letton

3.        L’article 626, premier paragraphe, du Kriminālprocesa likums (loi sur la procédure pénale), du 21 avril 2005 (Latvijas Vēstnesis, 2005, no 74), dans sa version en vigueur du 1er septembre 2018 au 2 novembre 2022, prévoyait :

« (1)      L’enquêteur, avec l’accord du procureur en charge de la direction de l’enquête, ou le procureur peut, dans l’intérêt du règlement rapide des questions patrimoniales soulevées au cours de la phase préliminaire de la procédure pénale et dans l’intérêt de l’économie de procédure, séparer du dossier pénal les éléments relatifs aux biens illégalement acquis et engager des poursuites si les conditions suivantes sont réunies :

1)      l’ensemble des éléments de preuve porte à croire que les biens retirés ou saisis ont été illégalement acquis ou sont liés à une infraction pénale ;

2)      porter l’affaire pénale devant les tribunaux dans un avenir prévisible (dans un délai raisonnable) est, pour des raisons objectives, impossible ou peut entraîner des coûts importants injustifiés.

(2)      Avec l’accord du procureur en charge de la direction de l’enquête, l’enquêteur peut, lorsqu’il met fin à une procédure pénale pour des raisons autres que la mise hors de cause d’une personne, séparer du dossier pénal les éléments relatifs aux biens illégalement acquis et engager des poursuites si l’ensemble des éléments de preuve porte à croire que les biens retirés ou saisis sont des biens illégalement acquis (4).

(3)      Le procureur peut, lorsqu’il met fin à une procédure pénale pour des raisons autres que la mise hors de cause d’une personne, séparer du dossier pénal les éléments relatifs à la qualification d’un bien en tant que bien illégalement acquis, dont les droits sont inscrits au registre public et y ont été modifiés à la suite de l’infraction pénale, et engager des poursuites. »

4.        L’article 627, paragraphes 1 à 5, de la loi sur la procédure pénale, dans sa version en vigueur du 1er septembre 2018 au 2 novembre 2022, disposait :

« (1)      Dans les conditions visées à l’article 626 de la présente loi, le responsable de la procédure prend la décision d’engager des poursuites pour acquisition illégale de biens et de transmettre au tribunal les éléments concernant les biens illégalement acquis.

(2)      Dans sa décision, le responsable de la procédure indique :

1)      les informations sur les faits de nature à établir le lien entre les biens et l’infraction pénale ou l’origine illicite des biens, ainsi que sur les éléments qui ont été séparés du dossier dans une affaire pénale en cours d’instruction portant sur l’acquisition illégale des biens ;

2)      les personnes ayant un lien avec les biens ;

3)      les mesures qu’il propose en ce qui concerne les biens illégalement acquis ;

4)      la victime, le cas échéant.

(3)      La décision et les pièces jointes sont transmises à la rajona (pilsētas) tiesa [tribunal de district (cour municipale)].

(4)      Les éléments du dossier en matière de biens illégalement acquis sont couverts par le secret de l’instruction et peuvent être consultés par le responsable de la procédure, le procureur et la juridiction saisie de l’affaire. Les personnes visées à l’article 628 de la présente loi peuvent prendre connaissance des éléments du dossier avec l’autorisation du responsable de la procédure et dans la mesure qu’il détermine.

(5)      La décision du responsable de la procédure de rejeter la demande d’accès aux éléments du dossier peut faire l’objet d’un recours devant la rajona (pilsētas) tiesa [tribunal de district (cour municipale)] qui est appelée à statuer dans une affaire en matière de biens illégalement acquis. Le juge décide d’accueillir ou de rejeter le recours en tout ou en partie. La décision n’est pas susceptible d’appel. Pour que le juge puisse décider si l’accès aux éléments du dossier porte atteinte aux droits fondamentaux des individus, à l’intérêt public ou à la réalisation de l’objectif de la procédure pénale, il peut demander et consulter le dossier pénal. »

II.    Les litiges au principal et les questions préjudicielles

5.        Entre 2012 et 2020, des poursuites pénales ont été engagées en Lettonie à l’encontre de diverses sociétés immatriculées dans des États tiers et, pour l’une d’entre elles, en Estonie, et de plusieurs personnes physiques, ressortissants de pays tiers, pour blanchiment à grande échelle des produits d’un crime commis à l’aide de leurs comptes bancaires lettons. Dans le cadre de ces procédures pénales, qui sont toujours au stade de l’instruction, des fonds déposés sur ces comptes et des biens immobiliers ont été saisis.

6.        Postérieurement aux mesures de saisies et parallèlement aux procédures susmentionnées, l’autorité poursuivante a décidé d’engager, en vertu des articles 626 et 627 de la loi sur la procédure pénale, des poursuites pour acquisition illégale de biens et de saisir, à cette fin, la juridiction de première instance compétente. Si certaines de ces procédures sont actuellement suspendues, d’autres ont donné lieu à des décisions soit de confiscation au profit de l’État des biens saisis, considérés comme illégalement acquis, soit de clôture de la procédure, sans confiscation, pour les biens dont cette juridiction a estimé que l’origine illégale n’était pas établie. À la suite de recours introduits par l’autorité poursuivante, les décisions de première instance ayant mis fin à la procédure ont été annulées par la juridiction du deuxième degré, laquelle, après un nouvel examen des éléments de preuve produits, a ordonné la confiscation des biens concernés au motif qu’ils avaient été illégalement acquis.

7.        La Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle, Lettonie), juridiction de renvoi, a été saisie par les personnes ayant un lien avec les biens, objet des procédures et mesures susmentionnées, de recours portant sur la conformité avec la Constitution nationale de plusieurs dispositions de la loi sur la procédure pénale régissant la procédure de confiscation des biens illégalement acquis.

8.        Dans le cadre de l’appréciation qu’elle doit mener et, à cette fin, de la prise en considération du droit de l’Union, la juridiction de renvoi se demande, en premier lieu, si la réglementation nationale incriminée relève du champ d’application de la directive 2014/42 et de la décision-cadre 2005/212/JAI (5) (affaires C‑767/22, C‑49/23 et C‑161/23). Elle observe, à cet égard, que la procédure de confiscation des biens mise en œuvre présente une spécificité, en ce sens qu’elle est de nature pénale et que la confiscation ordonnée ne fait pas suite à une condamnation de la personne reconnue préalablement coupable d’une infraction pénale, situation non encore examinée par la Cour dans les affaires portant sur l’interprétation des normes précitées.

9.        Dans l’hypothèse où l’une ou l’autre de ces normes devait être considérée comme applicable en l’espèce, la juridiction de renvoi considère que se pose, en deuxième lieu, la question de la compatibilité des règles nationales quant à l’accès au dossier de la procédure par les personnes ayant un lien avec les biens avec le droit à un recours effectif et à un procès équitable reconnu au profit de ces personnes par l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte (affaire C‑767/22). Elle souligne que ces personnes ne peuvent prendre connaissance des éléments du dossier, eux-mêmes issus de la procédure pénale principale visant à établir une responsabilité individuelle, que sur autorisation de l’autorité poursuivante et dans la mesure qu’elle détermine, la décision de cette dernière pouvant être soumise à un contrôle juridictionnel.

10.      La juridiction de renvoi s’interroge également, en troisième lieu, sur la conformité des règles nationales définissant le régime de la preuve de l’origine des biens avec le droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence garanti à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42, lu à la lumière des articles 47 et 48 de la Charte (affaire C‑161/23). Elle indique que, selon ce régime de preuve, l’autorité poursuivante de la procédure n’est pas tenue de prouver l’origine illicite des biens au-delà de tout doute raisonnable et il revient à la personne ayant un lien avec les biens de prouver la licéité de l’origine de ces biens.

11.      La Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle) se demande, en quatrième lieu, si un droit de recours doit être accordé contre la décision de confiscation d’un bien qui est adoptée, pour la première fois, au stade du jugement d’appel d’une décision de première instance ayant mis fin à la procédure sans ordonner une telle mesure, ce que ne prévoit pas la réglementation nationale. Elle souligne que la décision adoptée à l’issue de la procédure de confiscation règle définitivement la question patrimoniale. La juridiction de renvoi considère que la réponse à cette interrogation implique une interprétation de l’article 8, paragraphe 6, seconde phrase, de la directive 2014/42, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte (affaire C‑49/23).

12.      En cinquième lieu et dans l’hypothèse où les dispositions nationales en cause devraient être considérées comme incompatibles avec la Constitution lettone et le droit de l’Union à la suite de l’arrêt de la Cour, la juridiction de renvoi précise qu’elles devraient être déclarées nulles et non avenues, ce qui aurait des répercussions négatives sur la stabilité du budget de l’État et la sécurité juridique en cas d’effet rétroactif attaché à cette nullité. Elle s’interroge, en conséquence, sur la possibilité de fixer elle-même, dans son arrêt à venir, la date à laquelle ces dispositions cesseront de produire leurs effets, date pouvant correspondre à celle de l’expiration de leur validité lorsque lesdites dispositions ne sont plus en vigueur.

13.      Dans ces conditions, la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle) a décidé de surseoir à statuer dans chacune des trois affaires concernées et de poser à la Cour, dans l’affaire C‑767/22, les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une réglementation nationale en vertu de laquelle une juridiction nationale statue sur la confiscation de biens illégalement acquis dans le cadre d’une procédure distincte portant sur de tels biens, qui est séparée de la procédure pénale principale avant que l’existence d’une infraction pénale ne soit établie et qu’une personne ne soit reconnue coupable de l’infraction, et qui prévoit également la confiscation sur la base d’éléments séparés du dossier pénal, relève-t-elle du champ d’application de la directive 2014/42, en particulier de son article 4, et de la décision-cadre 2005/212, en particulier de son article 2 ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, les dispositions régissant l’accès au dossier dans les procédures en matière de biens illégalement acquis doivent-elles être considérées comme étant compatibles avec le droit à un procès équitable consacré à l’article 47 de la Charte et à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42 ?

3)      Le principe de primauté du droit de l’Union doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le juge constitutionnel d’un État membre, saisi d’un recours constitutionnel contre une législation nationale qui se révèle incompatible avec le droit de l’Union, décide d’appliquer le principe de sécurité juridique et de maintenir les effets juridiques de cette législation pendant la durée de validité de cette dernière ? »

14.      Outre les première et troisième questions préjudicielles déjà soulevées dans l’affaire C‑767/22, la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle) a posé à la Cour, dans l’affaire C‑161/23, la question préjudicielle suivante :

« 2)      En cas de réponse affirmative à la première question, une réglementation nationale régissant la preuve de l’origine illicite d’un bien dans les procédures en matière de biens illégalement acquis, telle que celle instituée par les dispositions attaquées, doit-elle être considérée comme étant compatible avec le droit à un procès équitable consacré aux articles 47 et 48 de la Charte et à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42 ? »

15.      Outre les première et troisième questions préjudicielles déjà soulevées dans l’affaire C‑767/22, la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle) a posé à la Cour, dans l’affaire C‑49/23, les questions préjudicielles suivantes :

« 2) En cas de réponse affirmative à la première question, par “décision de confiscation” au sens de la directive 2014/42, en particulier de son article 8, paragraphe 6, seconde phrase, faut-il entendre non seulement une décision de justice par laquelle des biens ont été jugés illégalement acquis et confisqués, mais également une décision de justice mettant fin à une procédure en matière de biens illégalement acquis ?

3)      En cas de réponse négative à la deuxième question, une réglementation qui ne prévoit pas la possibilité pour une personne ayant un lien avec les biens de former un recours contre une décision de confiscation est-elle compatible avec l’article 47 de la Charte et l’article 8, paragraphe 6, seconde phrase, de la directive 2014/42 ? »

III. La procédure devant la Cour

16.      Certaines parties demanderesses au principal, les gouvernements letton et tchèque ainsi que la Commission ont déposé des observations écrites. Les parties demanderesses au principal, le gouvernement letton et la Commission ont présenté des observations orales lors de l’audience du 15 avril 2024.

IV.    Analyse

17.      Ainsi qu’il ressort des demandes de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi estime devoir obtenir de la Cour une interprétation de la directive 2014/42 et de la décision-cadre 2005/212 ainsi que des articles 47 et 48 de la Charte au regard des doutes qu’elle nourrit quant à la conformité de dispositions de la réglementation nationale de confiscation des biens illégalement acquis concernant l’accès au dossier, les règles de preuve de l’origine des biens et l’exercice d’un recours contre la décision de confiscation. Préalablement à ce débat de fond, la juridiction de renvoi s’interroge quant à l’applicabilité de ces normes dans le cas présent, ce qui doit nous conduire à examiner la question de la compétence de la Cour.

A.      Sur la compétence de la Cour

18.      Selon une jurisprudence bien établie, la Cour n’est pas compétente pour répondre à une question posée à titre préjudiciel lorsqu’il est manifeste que la disposition du droit de l’Union soumise à l’interprétation de la Cour ne peut trouver à s’appliquer (6). Lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître, et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence (7). La Commission et le gouvernement tchèque considèrent que, au vu de la jurisprudence de la Cour relative au champ d’application de la directive 2014/42 et de la décision-cadre 2005/212, ces normes ne peuvent trouver à s’appliquer à la réglementation nationale en cause.

1.      Sur l’applicabilité de la directive 2014/42 et de la décision-cadre 2005/212

a)      Sur le caractère pénal de la procédure de confiscation mise en œuvre dans les affaires au principal

19.      Compte tenu des objectifs et du libellé des dispositions de la directive 2014/42 ainsi que du contexte dans lequel celle-ci a été adoptée, il y a lieu de considérer que cette directive, tout comme la décision-cadre 2005/212 dont elle vise, conformément à son considérant 9, à étendre les dispositions, est un acte visant à obliger les États membres à mettre en place des règles minimales communes de confiscation des instruments et des produits en rapport avec des infractions pénales, en vue, notamment, de faciliter la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires de confiscation adoptées dans le cadre de procédures pénales (8).

20.      S’agissant du champ d’application matériel de la directive 2014/42 et de la décision-cadre 2005/212, la Cour a jugé que ces actes ne s’appliquent pas à une réglementation d’un État membre qui prévoit que la confiscation de biens acquis illégalement est ordonnée par une juridiction nationale « dans le cadre » ou à la suite d’une procédure qui ne porte pas sur la constatation d’une ou de plusieurs infractions pénales (9). Il convient, à cet égard, de rappeler que, aux termes de l’article 2, point 4, de la directive 2014/42 (10), constitue une confiscation la privation permanente d’un bien ordonnée par une juridiction « en lien avec une infraction pénale ». La Cour a ainsi considéré que ne relevait pas du champ d’application matériel de la directive 2014/42 et de la décision-cadre 2005/212 une procédure de confiscation de nature administrative (11) ou civile. À l’appui de cette conclusion, la Cour a relevé que cette dernière coexistait, en droit interne, avec un régime de confiscation de droit pénal, se concentrait exclusivement sur les biens prétendument acquis illégalement et était menée de manière indépendante d’une éventuelle procédure pénale engagée contre l’auteur présumé des infractions ainsi que de l’issue d’une telle procédure, en particulier de l’éventuelle condamnation dudit auteur (12).

21.      Force est de constater que la réglementation lettone présente une évidente spécificité par rapport aux législations nationales évoquées dans la jurisprudence susmentionnée en ce que la procédure de confiscation des biens illégalement acquis en cause n’est ni administrative ni civile, mais pénale. Les règles régissant cette procédure figurent toutes dans la loi sur la procédure pénale et principalement aux articles 626 à 631 de cette dernière. Il en ressort que le déclenchement de la procédure spéciale de confiscation s’effectue nécessairement au cours de la phase préliminaire d’une enquête pénale visant à établir une responsabilité pénale individuelle, sur décision de l’enquêteur responsable, avec l’accord du procureur en charge de la direction de l’enquête ou du procureur lui-même. Cette décision de « poursuites pour acquisition illégale de biens » porte sur les biens retirés ou saisis dont l’ensemble des éléments de preuve porte à croire qu’ils ont été illégalement acquis ou sont liés à une infraction pénale (13), ces éléments provenant du dossier de la procédure pénale dite principale visant à établir la culpabilité de la personne concernée. Ces éléments sont couverts par le secret de l’instruction, et les personnes ayant un lien avec les biens concernés ne peuvent prendre connaissance de ces éléments que sur autorisation du responsable et dans la mesure qu’il détermine, un refus étant susceptible d’un recours juridictionnel dont l’appréciation du bien-fondé implique une prise en compte de la réalisation de l’objectif de la procédure pénale principale, diligentée concomitamment et parallèlement à la procédure de confiscation. En outre, le régime de la preuve de l’origine des biens est défini dans plusieurs dispositions de la loi sur la procédure pénale. Enfin, la décision de confiscation est prise par le juge pénal qui statuera ensuite sur le fond de l’affaire en déterminant les responsabilités pénales (14), cette décision étant susceptible d’un recours devant une juridiction pénale du deuxième degré pourvue des mêmes compétences que la juridiction de première instance (15).

22.      Si la procédure spéciale de confiscation des biens en cause est formellement distincte de la procédure pénale principale visant à déterminer la culpabilité de la personne poursuivie, elle est incontestablement et étroitement liée, par plusieurs éléments, à cette dernière, dont elle constitue un appendice. Ce sont les mêmes faits qui en sont à l’origine et c’est la même personne qui fait l’objet de poursuites pénales en lien avec une infraction donnée et dont les biens sont saisis avant que ne soient engagées contre elle des « poursuites » pour acquisition illégale de biens. Ainsi que le souligne le gouvernement letton, la première ne peut être engagée que dans le cadre de la seconde, elle n’est donc pas totalement indépendante d’une « éventuelle » procédure pénale diligentée contre l’auteur présumé des infractions.

23.      Il convient, enfin, de relever que l’infraction reprochée aux personnes dont la responsabilité pénale est recherchée et qui font, parallèlement, l’objet des procédures de confiscation spéciale des biens, en l’occurrence le blanchiment d’argent, correspond à l’une des infractions couvertes par les instruments juridiques énumérés de manière exhaustive à l’article 3 de la directive 2014/42, et plus précisément à son point d), de sorte que l’objet de la procédure nationale de confiscation relève, à ce titre, du champ d’application matériel de cette directive.

24.      Reste qu’il est constant que le juge pénal compétent, saisi par l’enquêteur ou le procureur sur le fondement des articles 626 et suivants de la loi sur la procédure pénale, ne se prononce que sur l’origine des biens, avant qu’il ne soit statué sur la culpabilité de la personne concernée et donc indépendamment de toute décision de condamnation de celle-ci dans le cadre de la procédure principale menée parallèlement. Cette situation exclut l’application de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/42, mais pose la question de celle de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, lu en combinaison avec l’article 2, point 4, de cette dernière. Il s’agit d’une question juridique inédite à laquelle la jurisprudence de la Cour, rappelée ci-dessus, ne permet pas de fournir une réponse claire, l’article 4, paragraphe 2, de cet acte n’ayant jamais été mentionné et donc intégré dans un raisonnement ayant pour objet l’interprétation de la notion de « confiscation » (16).

b)      Sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42

25.      Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également revêtir des éléments pertinents pour son interprétation (17).

1)      Interprétation littérale

26.      L’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 dispose que, lorsqu’il n’est pas possible de procéder à la confiscation sur la base du paragraphe 1 de cet article, à tout le moins lorsque cette impossibilité résulte d’une maladie ou de la fuite du suspect ou de la personne poursuivie, les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation des instruments ou produits dans le cas où une procédure pénale a été engagée concernant une infraction pénale qui est susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique et où cette procédure aurait été susceptible de déboucher sur une condamnation pénale si le suspect ou la personne poursuivie avait été en mesure de comparaître en justice.

27.      S’agissant, tout d’abord, de l’interprétation littérale, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 définit sous une forme négative un des deux types de confiscation prévus à cet article, puisque visant, par opposition, une confiscation impossible « sur la base du paragraphe 1 » dudit article, lequel concerne une confiscation effectuée sous réserve d’une condamnation définitive de l’auteur présumé d’une infraction pénale. Les États membres doivent donc prévoir un régime de confiscation des biens illégalement acquis qui n’implique pas une telle condamnation.

28.      Faut-il entendre ce régime comme nécessairement limité aux seules situations de maladie ou de fuite de la personne concernée, l’expression « à tout le moins » traduisant le caractère minimal des règles d’harmonisation ? N’est-il pas, au contraire, plus approprié de comprendre cette expression comme la simple indication d’un exemple d’impossibilité dépourvu de tout caractère d’exhaustivité, l’harmonisation minimale instaurée par l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 se traduisant par l’exigence d’un régime national de confiscation des biens sans condamnation reposant sur la constatation d’une impossibilité de mise en œuvre d’une telle condamnation dans des conditions normales (18) ? La formulation de la disposition en cause n’est donc pas dénuée d’une certaine ambiguïté, ce qui rend délicate la compréhension de sa portée et de l’articulation entre les deux paragraphes de l’article 4 de la directive 2014/42(19).

29.      Cela étant, je relève que la procédure spéciale de confiscation en cause coexiste en droit letton avec celle, plus classique, liée à la condamnation de l’auteur de l’infraction et que son engagement suppose, notamment, que « porter l’affaire pénale devant les tribunaux dans un avenir prévisible (dans un délai raisonnable) est, pour des raisons objectives, impossible ou peut entraîner des coûts importants injustifiés »(20). On retrouve dans cette formulation l’idée d’impossibilité pratique de mise en œuvre de la procédure classique de confiscation envisagée  sous le même angle temporel que celui retenu par l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 (21).

30.      Une telle situation peut avoir pour origine la maladie ou la fuite du suspect ou de la personne poursuivie, mais aussi une procédure pénale caractérisée par sa très grande complexité liée à la multitude de personnes concernées, sociétés et personnes physiques, leur résidence dans un État autre que celui des autorités en charge de la procédure, le caractère international et organisé des agissements criminels et les difficultés subséquentes de l’entraide policière et judiciaire, la nature intrinsèquement compliquée de la ou des infractions reprochées, le tout devant être rapporté à la dimension de l’appareil répressif national et à sa capacité à gérer une telle procédure dans le respect des règles strictes de prescription tout en traitant la délinquance habituelle de droit commun. Cette configuration me paraît correspondre à celle décrite par la juridiction de renvoi d’une procédure pénale nationale relative à un blanchiment à grande échelle des produits du crime à l’aide de comptes ouverts auprès de différents établissements bancaires lettons par des sociétés enregistrées en Estonie, en Suisse et au Belize et des ressortissants de la République d’Ukraine, d’Ouzbékistan, de la République populaire de Chine et de la Fédération de Russie. Le déclenchement de la procédure de confiscation en cause obéit à une situation dans laquelle ces personnes font l’objet d’une procédure pénale concernant une infraction, en l’occurrence le blanchiment d’argent, qui est susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique et où cette procédure aurait été susceptible de déboucher sur une condamnation pénale si lesdites personnes avaient été en mesure de comparaître devant la juridiction de fond dans des conditions normales.

31.      Il importe de souligner que la proposition de directive (22) comportait une disposition spécifique intitulée « confiscation en l’absence de condamnation » énonçant explicitement et exhaustivement les cas dans lesquels une telle mesure pouvait intervenir. Il est constant que les colégislateurs ont exprimé des points de vue divergents sur cette disposition, le souhait du Parlement européen d’une disposition à caractère général sur la confiscation non fondée sur une condamnation se heurtant à l’opposition du Conseil, ce qui s’est traduit par la formulation de compromis, moins précise, de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 et l’emploi de l’expression « à tout le moins » précédant la mention des cas d’impossibilité liés à la maladie et à la fuite de la personne en cause (23).

2)      Interprétation contextuelle

32.      L’interprétation contextuelle implique, en premier lieu, une mise en relation de la décision de confiscation prévue à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 avec la mesure de gel des biens, la possibilité de confisquer les avoirs des tiers et les garanties procédurales effectives accordées par cette directive aux personnes concernées par ces mesures de gel et de confiscation.

33.      Il importe de souligner que les droits fondamentaux visés à l’article 47 de la Charte sont réaffirmés par la directive 2014/42 elle-même, dont l’article 8, paragraphe 1, dispose que les États membres prennent les mesures nécessaires pour faire en sorte que les personnes concernées par les mesures prévues par cette directive aient droit à un recours effectif et à un procès équitable pour préserver leurs droits (24). La Cour a souligné à plusieurs reprises le caractère général du libellé de cette disposition qui ne se réfère pas aux suspects ou aux personnes poursuivies ni à celles reconnues coupables d’une infraction. C’est au regard de cette formulation de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42 et de celle du considérant 33 de celle-ci que la Cour a jugé que les personnes auxquelles les États membres doivent garantir des voies de recours effectives et un procès équitable sont non seulement celles reconnues coupables d’une infraction, mais également les tiers dont les biens sont concernés par la décision de gel ou de confiscation (25).

34.      Cette interprétation englobante, fondée sur la protection juridictionnelle effective de toute personne dont les droits sont sensiblement atteints par la mise en œuvre d’une mesure de gel ou de confiscation, est pleinement compatible avec un champ d’application rationae materiae de la directive 2014/42 intégrant la procédure pénale de confiscation des biens en cause au principal. La jurisprudence susmentionnée de la Cour peut et même doit, à mon sens, pouvoir bénéficier aux personnes faisant l’objet de cette procédure, tout résultat contraire aboutissant à des situations pour le moins paradoxales, non souhaitables.

35.      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que des fonds se trouvant sur des comptes bancaires lettons ainsi que des biens immobiliers détenus par des personnes morales et physiques, auteurs présumés de l’infraction de blanchiment d’argent, ont fait l’objet de saisies dans le cadre de la procédure pénale engagée contre eux de ce chef, préalablement au déclenchement de la procédure de confiscation des biens. Les sommes et immeubles saisis étant devenus indisponibles, car placés sous le contrôle des autorités publiques, il convient de considérer que les saisies en cause au principal constituent des mesures de « gel », au sens de l’article 2, point 5, de la directive 2014/42. En outre, dans la mesure où les biens de ces personnes pouvaient, au moment du gel, faire l’objet d’une confiscation ultérieure selon le droit letton, la situation desdites personnes entre dans le champ d’application de l’article 7 de cette directive. Par conséquent, elles sont concernées par une mesure prévue par ladite directive, au sens de l’article 8, paragraphe 1, de celle-ci, lequel impose aux États membres de garantir un droit à un recours effectif et à un procès équitable afin que les personnes concernées puissent préserver leurs droits (26).

36.      Une interprétation de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 excluant de son champ d’application la procédure de confiscation en cause au principal conduirait à une situation d’application distributive de la protection juridictionnelle prévue par cette directive, en ce sens que cette protection bénéficierait aux personnes concernées par une mesure de gel qui en seraient ensuite privées lors de l’engagement de la procédure susmentionnée. Une telle situation est d’autant plus incohérente que les mesures de gel et de confiscation sont étroitement liées, comme le souligne le considérant 27 de la directive 2014/42, car participant d’un même mécanisme visant à la neutralisation des produits du crime.

37.      Il est aussi intéressant de relever que, compte tenu de la formulation particulièrement large de l’article 626 de la loi sur la procédure pénale quant au champ d’application de la procédure de confiscation des biens (27), la personne concernée par cette dernière n’est pas seulement l’auteur présumé de l’infraction pénale poursuivie dans le cadre d’une procédure distincte, mais elle peut aussi être celle relevant de la catégorie des tiers au sens de la directive 2014/42 dont les avoirs peuvent faire l’objet d’une confiscation dans les conditions prévues à l’article 6 de la directive 2014/42 (28), l’une et l’autre pouvant se retrouver concernées par la même procédure. Là encore, une interprétation restrictive de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 aboutirait à une dichotomie choquante opposant, dans le cadre d’une même procédure, les tiers devant bénéficier de la protection juridictionnelle effective comme étant des personnes concernées par la mesure de confiscation prévue par cette directive, au sens de l’article 8, paragraphe 1, de celle-ci, aux auteurs présumés de l’infraction qui en seraient dépourvus, alors même que ces deux catégories d’individus sont placées sur un même plan par la directive 2014/42 au regard de l’atteinte portée à leurs droits du fait de la mise en œuvre de cette mesure.

38.      Il me semble pertinent, en second lieu, de replacer l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 dans un contexte normatif plus large incluant la convention des Nations unies contre la corruption dont l’article 54, paragraphe 1, sous c), encourage les États parties, afin de faciliter la coopération internationale en matière de confiscation, à envisager de prendre les mesures nécessaires pour permettre la confiscation des produits de la corruption en l’absence de condamnation pénale lorsque l’auteur de l’infraction ne peut être poursuivi pour cause de décès, de fuite ou d’absence ou « dans d’autres cas appropriés » (29). Je relève que l’article 1, sous d), de la convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme énonce que le terme « confiscation » désigne une peine ou une mesure ordonnée par un tribunal à la suite d’une procédure « portant sur une ou des infractions pénales, peine ou mesure aboutissant à la privation permanente du bien ». L’article 23, paragraphe 5, de cette convention invite également les parties à une assistance à l’exécution des décisions de confiscation qui ne sont pas fondées sur une condamnation pénale, pour autant, notamment, qu’elles aient été ordonnées « sur la base d’une infraction pénale ».

39.      Il importe aussi de faire état du règlement 2018/1805 dont l’article 2, paragraphe 2, qui définit la « décision de confiscation » (30), doit être lu à la lumière du considérant 13 de celui-ci, selon lequel cet acte doit s’appliquer à tous les types de décisions de gel et de décisions de confiscation en lien avec une infraction pénale, à l’exclusion donc de celles rendues dans le cadre de procédures en matière civile ou administrative. Ainsi, ledit règlement couvre la confiscation fondée, ou non, sur une condamnation, pour autant que les décisions de confiscation soient émises dans le cadre de procédures pénales (31). Je rappelle enfin que, le 24 avril 2024, a été adoptée la directive 2024/1260 remplaçant la directive 2014/42 dont il est souligné, en substance, les insuffisances qui nuisent aux capacités des États membres à, notamment, geler et confisquer des avoirs illicites. Il est intéressant de noter que cette nouvelle norme prévoit deux types de décisions de confiscation sans condamnation, l’une répondant à une liste de situations bien définies (32), l’autre intervenant en cas d’impossibilité de confiscation en vertu d’autres dispositions de cette directive et lorsque la juridiction nationale est convaincue que les biens gelés proviennent d’infractions pénales commises dans le cadre d’une organisation criminelle, en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire, telles que le fait que la valeur des biens est fortement disproportionnée par rapport aux revenus légaux du propriétaire des biens (33).

3)      Interprétation téléologique

40.      Compte tenu des objectifs et du libellé des dispositions de la directive 2014/42 ainsi que du contexte dans lequel celle-ci a été adoptée, il y a lieu de considérer que cette directive, tout comme la décision-cadre 2005/212 dont elle vise, conformément à son considérant 9, à étendre les dispositions, est un acte visant à obliger les États membres à mettre en place des règles minimales communes de confiscation des instruments et des produits en rapport avec des infractions pénales, en vue, notamment, de faciliter la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires de confiscation adoptées dans le cadre de procédures pénales (34). Ainsi qu’il a été exposé, le règlement 2018/1805 couvre toutes les décisions de confiscation, fondées ou non sur une condamnation, dès lors qu’elles sont adoptées dans le cadre de procédures pénales (35), ce qui est le cas, à mon sens, des décisions rendues à l’issue de la procédure nationale en cause. En conséquence, ces dernières relèvent du champ d’application de ce règlement, quand bien même il y aurait lieu de considérer que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 n’est pas applicable dans le cas présent (36).

41.      Cela étant, l’interprétation téléologique de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 doit prendre en compte un autre objectif, mentionné au considérant 41 de celle-ci, lequel indique clairement que cette directive a pour but de « faciliter » la confiscation des biens en matière pénale. Cette mesure, associée à celle du gel, est présentée à juste titre comme l’un des moyens les plus efficaces de lutte contre la criminalité organisée, en ce qu’elle fait échec aux incitations financières qui motivent les actes criminels (37). Ce souci d’efficacité plus que légitime plaide, à mon sens, pour une interprétation dynamique de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 englobant dans son champ d’application une procédure pénale de confiscation du type de celle mise en œuvre dans les affaires au principal, étant rappelé que, selon une jurisprudence constante de la Cour, lorsqu’une disposition du droit de l’Union est susceptible de plusieurs interprétations, il faut donner la priorité à celle qui est de nature à sauvegarder son effet utile (38).

42.      Ainsi que le souligne en substance la Commission dans un document de travail (39), dans le domaine de la criminalité organisée, les services répressifs sont souvent confrontés à des flux financiers complexes visant à dissimuler l’origine illicite des avoirs ainsi qu’à des procédés (sociétés-écrans, gérants de paille, ...) qui éloignent l’auteur de l’infraction. Même si des fonds illicites sont découverts, le fait de les relier à un acte criminel et à un auteur de l’infraction peut poser des problèmes insurmontables. La procédure de confiscation des biens non fondée sur une condamnation constitue la réponse adéquate à ce phénomène.

43.      Une telle procédure permet de résoudre rapidement la question patrimoniale, ce qui correspond également à un objectif de la directive 2014/42 dont l’article 8, paragraphe 3, dispose que la décision de gel ne reste en vigueur que le temps nécessaire pour préserver les biens en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure. Ce souci de célérité a pour origine l’atteinte portée aux droits de la personne concernée (40) et la difficulté objective pour les États membres constituée par l’obligation de gérer les biens gelés en vue de préserver leur valeur économique. Il est évident que la conservation et la sécurisation de biens tels que des villas, des yachts, des avions ou des œuvres d’art représentent un coût important et la monétisation de ces derniers par leurs ventes (41) à des tiers ne constitue pas une solution juridiquement simple et dépourvue de risque. Un régime de confiscation des biens indépendant de la détermination de la responsabilité pénale individuelle apparaît pleinement apte à satisfaire l’objectif susmentionné.

44.      En outre, ainsi qu’il a été exposé, la directive 2014/42 vise à protéger les droits des personnes concernées par les mesures de gel et de confiscation, ce qui revêt une importance singulière dans l’hypothèse de procédure de confiscation des biens sans appréciation de cette responsabilité. Il me paraît souhaitable, aux fins d’homogénéisation du déroulement de ces procédures, qu’elles puissent relever de l’article 8 de la directive 2014/42 qui consacre le droit des personnes concernées par les mesures de gel et de confiscation à un recours effectif et à un procès équitable pour préserver leurs droits (42).

45.      Dans ce contexte, afin d’assurer la cohérence globale de l’ordre juridique de l’Union dans le domaine fondamental de la lutte contre la criminalité organisée ainsi que de celui-ci avec les instruments juridiques internationaux y afférents, il semble pertinent de conclure à l’applicabilité de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 à une procédure pénale de confiscation portant sur des biens illicites saisis au cours d’une enquête relative à une infraction pénale et fondée sur  l’impossibilité de faire juger et, le cas échéant, condamner pénalement, dans un délai raisonnable, les auteurs présumés de cette infraction, dans le cadre d’une procédure distincte menée parallèlement.

46.      Si, à l’inverse, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 venait à être interprété d’une manière faisant échapper la confiscation prévue par la réglementation nationale en cause aux règles minimales que cette directive établit, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de celle-ci, cette réglementation entrerait dans la compétence des États membres, évoquée au considérant 22 de ladite directive, de prévoir des pouvoirs plus étendus dans leur droit national (43). Cette conclusion ne permettrait pas pour autant de clore la discussion sur la compétence de la Cour pour répondre aux présentes demandes de décision préjudicielle. La mission d’assistance de la Cour dévolue à l’avocat général implique d’envisager d’autres approches sur ce point.

2.      Sur la mise en œuvre de la directive 2014/42 par la réglementation nationale en cause

47.      Il y a lieu de rappeler que la Cour s’est, à maintes reprises, déclarée compétente pour statuer sur des demandes de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d’application de ce droit, mais dans lesquelles ces dispositions avaient, sans modification de leur objet ou de leur portée, été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi direct et inconditionnel opéré par ce dernier au contenu de celles-ci. La Cour a, en outre, jugé de manière constante qu’il est, dans ce type de situations, de l’intérêt manifeste de l’ordre juridique de l’Union que, afin d’éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme (44).

48.      En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour qu’une procédure de confiscation des biens illégalement acquis non fondée sur une condamnation a été instaurée dans la réglementation lettone en 2005. Dans le cadre de ses observations écrites et lors de l’audience, le gouvernement letton a indiqué que la directive 2014/42 a été transposée au moyen, notamment, de dispositions législatives modifiant les codes pénal et de procédure pénale. L’exposé des motifs du projet de loi modifiant la loi pénale élaboré par le ministère de la Justice de la République de Lettonie (45) comporte un tableau récapitulant les différents articles de cette directive et l’ensemble des dispositions nationales les mettant en œuvre, ce qui vaut pour l’article 8 de ladite directive intégralement transposé dans le code de procédurale pénale. Il est donc constant que la disposition harmonisée qui fait l’objet de plusieurs questions préjudicielles est rendue applicable à la procédure de confiscation des biens illégalement acquis non fondée sur une condamnation dont il est considéré, à titre de postulat, qu’elle ne relève pas du champ d’application matériel de la directive 2014/42 (46). Le fait que ce renvoi non équivoque figure dans un document relatif à des travaux législatifs préparatoires et non dans le texte même du droit national est dépourvu d’incidence (47) et il ressort clairement de la décision de renvoi que toute interprétation donnée par la Cour des dispositions de cette directive serait contraignante pour la résolution des affaires au principal par la juridiction de renvoi, ce qui permet de caractériser le caractère « inconditionnel » de ce renvoi (48).

49.      Dans ces circonstances, la Cour devrait, après avoir constaté l’inapplicabilité de l’article 4 de la directive 2014/42, se déclarer néanmoins compétente pour répondre aux questions posées dans les affaires C‑767/22, C‑161/23 et C‑49/23 concernant l’accès au dossier, le régime de la preuve de l’origine des biens et les voies de recours, soit autant de problématiques relevant de l’interprétation de l’article 8 de cette directive, lu à la lumière des articles 47 et 48 de la Charte. Compte tenu du fait que l’objet des règles nationales en cause présente un lien étroit avec celui des dispositions du droit de l’Union auxquelles elles renvoient, il existe un intérêt évident à ce que soient traitées de manière identique des situations très voisines régies, l’une, par le droit national, l’autre, par le droit de l’Union.

3.      Sur l’applicabilité des directives 2012/13/UE et (UE) 2016/343

50.      Dans ses observations écrites, la Commission a proposé que les deuxièmes questions dans les affaires C‑767/22 et C‑161/23 soient examinées au regard des directives 2012/13/UE (49) et (UE) 2016/343 (50) dont aucune disposition n’est mentionnée dans les questions préjudicielles posées à la Cour. Reste que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les questions préjudicielles doivent être résolues à la lumière de toutes les dispositions du traité et du droit dérivé susceptibles d’avoir une pertinence par rapport au problème posé (51). Dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. En conséquence, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi s’est référée uniquement à la décision-cadre 2005/212 et à la directive 2014/42, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions (52). Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments dudit droit qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (53).

51.      Si la question devant être examinée, à ce stade, est celle de l’applicabilité exclusive des directives 2012/13 et 2016/343 aux procédures au principal, ces dernières étant, par hypothèse, exclues du champ d’application de la directive 2014/42, je relève que le considérant 40 et l’article 8, paragraphe 7, de cette dernière énoncent, respectivement, qu’elle doit être mise en œuvre en tenant compte des dispositions de la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (JO 2010, L 280, p. 1), de la directive 2012/13 et de la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires (JO 2013, L 294, p. 1), et que, sans préjudice des directives 2012/13 et 2013/48, les personnes dont les biens sont concernés par la décision de confiscation ont le droit d’avoir accès à un avocat pendant toute la procédure de confiscation en ce qui concerne la détermination des produits et instruments afin qu’elles puissent préserver leurs droits, ces personnes étant informées de ce droit. Force est ainsi de constater que le législateur de l’Union a clairement établi un lien entre le déroulement des procédures de confiscation des biens en matière pénale, qu’elles soient ou non fondées sur une condamnation, et le respect des droits procéduraux reconnus aux suspects et aux personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales. Or, ainsi qu’il a été exposé précédemment, la procédure de confiscation des biens en cause est indéniablement de nature pénale.

52.      Les directives 2012/13 et 2016/343 ont toutes deux pour objet commun de définir les règles minimales concernant certains droits des suspects et des personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales. La directive 2012/13 vise plus particulièrement le droit d’être informé de ses droits et la directive 2016/343 se rapporte, s’agissant des mêmes personnes, à la présomption d’innocence et au droit d’assister à son procès. Il ressort de la décision de renvoi que la décision d’engagement des poursuites pour acquisition illégale de biens était, conformément à l’article 628 de la loi sur la procédure pénale, transmise « au suspect ou à la personne poursuivie et à la personne dont les biens ont été retirés ou saisis, si ces personnes font l’objet de la procédure pénale concernée, ou à une autre personne qui dispose du droit de propriété sur les biens en cause » (54).

53.      Les champs d’application respectifs des directives 2012/13 et 2016/343 sont définis dans des termes presque identiques à l’article 2 de chacune de celles-ci. Il ressort, en substance, de ces dispositions que ces directives s’appliquent dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées ou poursuivies pour avoir commis une infraction pénale, et ce jusqu’au terme de la procédure. La précision supplémentaire figurant à l’article 2 de la plus récente desdites directives, à savoir la directive 2016/343, selon laquelle elle s’applique à « tous les stades de la procédure pénale », doit être considérée comme applicable à la directive 2012/13. En l’occurrence, il convient de rappeler que l’ensemble des personnes physiques et morales visées dans les affaires C‑767/22, C‑49/23 et C‑161/23 font l’objet de poursuites pénales au titre de l’infraction de blanchiment et ont vu les fonds placés sur leurs comptes bancaires lettons et, pour certains, leurs biens immobiliers saisis par les autorités de poursuites, ces actes établissant que ces personnes sont soupçonnées par une autorité compétente et informées, à tout le moins implicitement mais nécessairement, de ce soupçon (55).

54.      Alors que ces personnes relèvent, dès lors, du champ d’application des directives 2012/13 et 2016/343, faudrait-il finalement les en exclure en raison du déclenchement à leur égard d’une procédure, connexe à, pour ne pas dire imbriquée avec, celle relative à la détermination de la responsabilité pénale, dont le terme possible est la confiscation de biens ? Une réponse positive à cette interrogation pourrait se heurter à la jurisprudence de la Cour et à son interprétation dynamique des dispositions relatives à ce champ d’application justifiée par le fait que ces directives s’appuient sur les droits énoncés notamment aux articles 47 et 48 de la Charte et tendent à promouvoir ces droits à l’égard des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales (56). C’est ainsi que la Cour a jugé que la notion de « procédure pénale », au sens desdites directives, s’étend également à des procédures d’internement psychiatrique d’une personne qui, au terme d’une procédure pénale antérieure, a été considérée comme l’auteur de faits constitutifs d’une infraction pénale, alors même que ni la directive 2012/13 ni la directive 2016/343 ne contiennent de dispositions expresses indiquant que les procédures pénales qu’elles régissent incluent également celles susceptibles de conduire à une mesure d’internement psychiatrique. Cette absence de dispositions expresses ne signifie pas pour autant qu’une telle procédure d’internement psychiatrique est exclue du champ d’application de ces directives au motif qu’elle ne conduit pas à la « condamnation » à une peine (57).

55.      Une application par analogie de cette solution pourrait être retenue par la Cour en l’espèce par souci de cohérence de l’ordre juridique de l’Union. À cet égard, il importe de rappeler que le règlement 2018/1805 s’applique aux décisions de gel ou aux décisions de confiscation émises dans le cadre de « procédures en matière pénale », notion autonome du droit de l’Union qui couvre tous les types de décisions de gel et de décisions de confiscation émises à l’issue d’une procédure en lien avec une infraction pénale, ce qui est le cas des procédures en cause au principal. Le considérant 18 de ce règlement ajoute que les droits procéduraux énoncés dans les directives 2010/64, 2012/13, 2013/48, 2016/343, ainsi que dans la directive (UE) 2016/800 du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2016, relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 132, p. 1) et dans la directive (UE) 2016/1919 du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2016, concernant l’aide juridictionnelle pour les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales et pour les personnes dont la remise est demandée dans le cadre des procédures relatives au mandat d’arrêt européen (JO 2016, L 297, p. 1), s’appliquent, dans les limites du champ d’application de ces directives, aux procédures pénales relevant dudit règlement en ce qui concerne les États membres liés par ces directives. Il y est précisé ce qui suit : « En tout état de cause, les garanties prévues par la Charte devraient s’appliquer à toutes les procédures relevant du présent règlement. En particulier, les garanties essentielles en matière de procédure pénale qui figurent dans la Charte devraient s’appliquer aux procédures en matière pénale qui ne sont pas des procédures pénales mais qui relèvent du présent règlement. » Quant à la directive 2024/1260, son considérant 51 énonce que la mise en œuvre de cette directive s’effectue sans préjudice de l’ensemble des directives susmentionnées relatives aux droits procéduraux. La reconnaissance de l’applicabilité de ces normes, et plus particulièrement des directives 2012/13 et 2016/343, à la procédure de confiscation lettone non fondée sur une condamnation implique la compétence de la Cour pour en interpréter les dispositions, à tout le moins pertinentes, à la lumière de la Charte.

B.      Sur le fond

1.      Observations liminaires

56.      Les développements qui suivent, relatifs à l’appréciation quant au fond des questions préjudicielles soumises à la Cour, reposent sur le postulat selon lequel la réglementation nationale en cause au principal relève du champ d’application de la directive 2014/42, ce qui dicte l’applicabilité de la Charte. En l’occurrence, la juridiction de renvoi cherche à obtenir une interprétation de l’article 8, paragraphes 1 et 6, de cette directive, lu à la lumière des articles 47 et 48 de la Charte, au regard des doutes qu’elle nourrit quant à la conformité de cette réglementation régissant la procédure de confiscation des biens illégalement acquis, s’agissant plus particulièrement des règles concernant l’accès au dossier, le régime de preuve de l’origine des biens et le recours contre la décision de confiscation.

57.      Il me semble nécessaire, en premier lieu, d’apprécier la nature juridique de la mesure de confiscation des biens. Ainsi qu’il a été exposé, selon l’article 70.10 de la loi pénale, la confiscation spéciale des biens, qui est l’aliénation forcée au profit de l’État, sans indemnisation, d’un bien illégalement acquis ou d’un objet d’une infraction pénale, ou encore d’un bien acquis en rapport avec une infraction pénale, ne constitue pas une peine. La teneur du dossier soumis à la Cour ne permet pas d’écarter ou de retenir la qualification, en droit letton, de mesure de sûreté. En tout état de cause, l’application des dispositions pertinentes de la Charte, notamment l’article 48, ne se limite pas aux seules poursuites et sanctions qui sont qualifiées de « pénales » par le droit national, mais s’étend – indépendamment d’une telle qualification en droit interne – à des poursuites et à des sanctions qui doivent être considérées comme présentant un caractère pénal en raison de la nature même de l’infraction et du degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. S’agissant du critère relatif à la nature même de l’infraction, il implique de vérifier si la mesure en cause poursuit, notamment, une finalité répressive, sans que la seule circonstance qu’elle poursuit également une finalité préventive soit de nature à lui ôter sa qualification de sanction pénale (58).

58.      S’il revient, en définitive, à la juridiction de renvoi d’apprécier si les mesures de confiscation en cause au principal sont susceptibles d’être qualifiées de « sanctions de nature pénale », il pourrait être observé que ces mesures sont prises à l’encontre de l’avoir, et non de l’être, et visent au retrait des circuits économiques et financiers officiels de « l’argent sale » ou des biens immobiliers et mobiliers illégalement acquis, l’objectif étant de prévenir les activités criminelles en les privant de fonds et d’assurer la solidité ainsi que l’intégrité du système économique et financier. Ces éléments ne permettent pas, toutefois, d’écarter clairement la qualification susmentionnée.

59.      Je rappelle que les mesures de confiscation ont été ordonnées à la suite de poursuites engagées, en vertu de l’article 627, paragraphe 1, de la loi sur la procédure pénale, devant une juridiction pénale pour « acquisition illégale de biens » à l’encontre de personnes morales et physiques faisant, parallèlement, l’objet de procédures distinctes visant à établir leur responsabilité pénale du chef de l’infraction de blanchiment. Or, les procédures associées à l’adoption de la mesure en cause constituent un élément indiscutablement pertinent aux fins de la qualification de celle-ci (59). De surcroît, les termes mêmes de la disposition précitée renvoient de manière univoque à un comportement individuel qu’il apparaît nécessaire de réprimer, ce qui traduit le caractère punitif de la mesure de confiscation à l’égard des personnes en possession des biens qui s’ajoute au but préventif. En revanche, la confiscation des biens illégalement acquis, qui se traduit par un transfert de ceux-ci vers le patrimoine de l’État, ne paraît pas recouvrir la poursuite spécifique d’un objectif de réparation, caractéristique d’une mesure de nature civile. En tout état de cause, les objectifs de prévention et de réparation peuvent se concilier avec celui de répression et être considérés comme des éléments constitutifs de la notion même de peine. Enfin, force est de constater que la réglementation lettone prévoit, sous certaines conditions, une présomption d’origine illicite des biens et offre un ample pouvoir de confiscation aux juridictions pénales fondé sur un degré de conviction traduisant une simple mise en balance des probabilités (60). S’agissant de la sévérité de la sanction de confiscation, elle est susceptible de conforter l’analyse selon laquelle cette mesure est de nature pénale, s’agissant de la privation totale et définitive de ces biens au profit de l’État, sans indemnisation (61). La mesure de confiscation doit, dans ces circonstances, être considérée comme une sanction de nature pénale.

60.      Il importe de souligner, en second lieu, que, en vertu du considérant 33 de la directive 2014/42, cette dernière porte sensiblement atteinte aux droits des personnes, non seulement des suspects ou des personnes poursuivies, mais aussi des tiers qui ne font pas l’objet de poursuites et il est donc nécessaire de prévoir des garanties spécifiques et des voies de recours judiciaires afin de garantir la sauvegarde des droits fondamentaux de ces personnes lors de la mise en œuvre de cette directive. Le considérant 38 de ladite directive indique qu’elle respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par la Charte et la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), selon l’interprétation qui en est faite dans la jurisprudence de la Cour EDH, la directive devant être mise en œuvre conformément à ces droits et principes.

61.      S’agissant des droits fondamentaux pertinents dans le cadre des présentes affaires, il convient de tenir compte de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, qui prévoit, notamment, que toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser et d’en disposer. En outre, il résulte de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42 que le législateur de l’Union a attribué aux personnes concernées, à l’instar des parties dans les procédures au principal, par les mesures prévues notamment à l’article 2, paragraphe 4, de cette directive, un statut procédural protecteur, la première disposition prévoyant une obligation générale à la charge de chaque État membre de prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que ces personnes aient droit à un recours effectif et à un procès équitable pour préserver leurs droits. Outre donc l’article 47 de la Charte, l’article 48, paragraphes 1 et 2, de celle-ci qui consacre la présomption d’innocence et le principe du respect des droits de la défense, apparaît également pertinent aux fins de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi.

62.      En sus de l’obligation générale susmentionnée, il convient de constater que l’article 8 de la directive 2014/42 comporte des dispositions spécifiques visant à assurer que l’adoption d’une décision de confiscation est entourée de garanties propres à l’adoption des décisions judiciaires, en particulier de celles relatives au respect des droits fondamentaux de la personne concernée et, notamment, du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, selon l’article 8, paragraphes 6 et 7, de cette directive, toute décision de confiscation doit être dûment motivée et communiquée à la personne concernée, laquelle est informée de son droit d’avoir accès à un avocat pendant toute la procédure de confiscation en ce qui concerne la détermination des produits et instruments, et dispose du droit d’introduire un recours juridictionnel contre cette décision. Reste que ladite directive n’énonce pas de règles déterminant le régime de la preuve de l’origine du bien objet de la procédure de confiscation sans condamnation, pas plus que l’accès au dossier de celle-ci par les personnes ayant un lien avec ce bien, laissant ainsi aux États membres une marge d’appréciation pour déterminer les procédures spécifiques qui seront applicables à cet égard.

63.      Bien que l’article 8 de la directive 2014/42 laisse aux États membres une marge d’appréciation dans l’adoption des mesures nécessaires aux fins de cette disposition, il n’en reste pas moins que, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte et ainsi qu’il ressort du considérant 38 de cette directive, le niveau de protection offert par les États membres ne devrait jamais être inférieur aux normes prévues par la Charte et la CEDH (62). La procédure de confiscation des biens illégalement acquis sans condamnation doit être organisée de telle sorte que les personnes ayant un lien avec ces biens aient pu faire valoir leurs droits fondamentaux au cours de cette procédure, ce qui est d’autant plus important dans un système où, comme en l’espèce, la décision adoptée par la juridiction compétente à l’issue de ladite procédure, le cas échéant de confiscation des biens, règle définitivement la question patrimoniale.

64.      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort des explications relatives à la charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17), l’article 47, premier et deuxième alinéas, de la Charte, qui consacre le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, correspond au droit à un procès équitable tel qu’il découle notamment de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, tandis que l’article 48, paragraphes 1 et 2, de la Charte relatif à la présomption d’innocence et au respect des droits de la défense correspond à l’article 6, paragraphes 2 et 3, de la CEDH. Il s’ensuit, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, qu’il convient de prendre en considération l’article 6 de la CEDH aux fins de l’interprétation des articles 47 et 48 de la Charte, en tant que seuil de protection minimale (63). En outre, toute limitation apportée à l’exercice de ces droits, ainsi qu’à celui du droit de propriété (64), par le fait d’une mesure ordonnée conformément à la directive 2014/42, doit respecter les exigences prévues à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, ce qui suppose, notamment, que la limitation en cause réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constitue pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (65).

2.      Sur l’accès au dossier

65.      Dans le cadre de l’affaire C‑767/22 et par sa deuxième question, la juridiction de renvoi exprime des doutes quant à la compatibilité d’une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit de la personne ayant un lien avec les biens, objets de la procédure de confiscation, de prendre connaissance du dossier peut être limité dans l’hypothèse où sa divulgation constituerait une menace pour les droits fondamentaux d’individus tiers, l’intérêt public ou la possibilité de réaliser l’objectif de la procédure pénale.

66.      Il convient de rappeler que la procédure de confiscation nationale des biens en cause ne peut être engagée en l’absence de poursuites pénales visant à établir la culpabilité de l’auteur présumé de l’infraction. Une procédure ayant pour objet la responsabilité pénale individuelle doit donc toujours être ouverte, cette procédure se poursuivant le plus souvent, comme c’est le cas dans les procédures ayant conduit à la saisine de la juridiction de renvoi, après la clôture de la procédure relative aux biens, y compris lorsqu’il a été procédé à une confiscation de ceux-ci.

67.      Selon l’article 627, paragraphe 4, de la loi sur la procédure pénale, les éléments du dossier en matière de biens illégalement acquis sont couverts par le secret de l’instruction et peuvent être consultés par le responsable de la procédure, le procureur et la juridiction saisie de l’affaire, les personnes ayant un lien avec les biens concernés ne pouvant prendre connaissance de ces éléments que sur autorisation dudit responsable et dans la mesure qu’il détermine. Le paragraphe 5 de cette disposition prévoit que la décision de ce dernier portant rejet de la demande d’accès aux éléments du dossier peut faire l’objet d’un recours juridictionnel, le juge compétent pouvant demander et consulter le dossier pénal aux fins de déterminer si l’accès aux éléments du dossier porte atteinte aux droits fondamentaux des individus, à l’intérêt public ou à la réalisation de l’objectif de la procédure pénale.

68.      Il convient, à cet égard, de rappeler que, dans le cadre d’affaires portant sur des procédures juridictionnelles administratives, la Cour a jugé que le principe d’égalité des armes, qui fait partie intégrante du principe de la protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, consacré à l’article 47 de la Charte, en ce qu’il est un corollaire, comme, notamment, le principe du contradictoire, de la notion même de procès équitable, implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire. Ce principe a pour but d’assurer l’équilibre procédural entre les parties à une procédure judiciaire, en garantissant l’égalité des droits et des obligations de ces parties en ce qui concerne, notamment, les règles régissant l’administration des preuves et le débat contradictoire devant le juge ainsi que les droits de recours de ces parties. Pour satisfaire aux exigences liées au droit à un procès équitable, il importe que les parties aient connaissance et puissent débattre contradictoirement tant des éléments de fait que des éléments de droit qui sont décisifs pour l’issue de la procédure (66). La Cour a considéré que l’existence d’une violation des droits de la défense, y compris le droit d’accès au dossier, doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque espèce, notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (67).

69.      Le principe d’égalité des armes a également été pris en compte par la Cour dans le cadre de l’interprétation de dispositions de la directive 2012/13 dont il convient de tenir compte lors de la mise en œuvre de la directive 2014/42 conformément au considérant 40 de cette dernière. Elle a ainsi indiqué que les articles 6 et 7 de cette directive ont précisément pour objectif d’assurer l’exercice effectif des droits de la défense ainsi que l’équité de la procédure. Or, cet objectif commande que la personne poursuivie reçoive des informations détaillées sur l’accusation et ait la possibilité de prendre connaissance des pièces en temps utile, à un moment qui lui permette de préparer efficacement sa défense. C’est par cette même communication et par cet accès que la personne poursuivie, ou son avocat, est précisément informée des faits retenus contre elle et de la qualification juridique de ceux-ci ainsi que des éléments de preuve sur lesquels ces faits reposent. La possibilité de prendre connaissance de ces informations et de ces éléments au plus tard dès le début des débats est essentielle en vue de permettre à cette personne, ou à son avocat, de participer utilement à ceux-ci dans le respect du principe du contradictoire et de l’égalité des armes, de façon à faire valoir sa position de manière effective (68).

70.      Il importe, toutefois, de souligner que l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2012/13 prévoit une dérogation à l’accès des suspects ou des personnes poursuivies, ou de leurs avocats, aux preuves matérielles à charge ou à décharge, dans le respect du caractère équitable de la procédure et des droits de la défense, tel que défini aux paragraphes 2 et 3 de cette disposition. Ainsi, et pour autant que le droit à un procès équitable ne s’en trouve pas affecté, l’accès à certaines pièces peut être refusé lorsque cet accès peut constituer une menace grave pour la vie ou les droits fondamentaux d’un tiers, ou lorsque le refus d’accès est strictement nécessaire en vue de préserver un intérêt public important, comme dans les cas où ledit accès risque de compromettre une enquête en cours ou de porter gravement atteinte à la sécurité nationale de l’État membre dans lequel la procédure pénale est engagée. En outre, les États membres doivent veiller à ce que, conformément aux procédures de droit national, une décision de refuser l’accès à certaines pièces en vertu du présent paragraphe soit prise par une autorité judiciaire ou soit au moins soumise à un contrôle juridictionnel.

71.      Je relève, à cet égard, que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2014/42 traduit la même préoccupation de protection d’un intérêt public lié au bon déroulement d’une enquête en cours. La décision de gel doit être communiquée à la personne concernée le plus rapidement possible après son exécution avec indication de ses motifs, mais ces derniers peuvent être succincts et la communication reportée lorsque cela est nécessaire pour éviter de compromettre une enquête pénale (69).

72.      En l’occurrence et s’agissant de la mesure de confiscation, il doit être observé, premièrement, qu’une copie de la décision d’engager des poursuites pour acquisition illégale de biens est immédiatement notifiée aux personnes ayant un lien avec les biens, cette décision devant indiquer les informations sur les faits de nature à établir le lien entre les biens et l’infraction pénale ou l’origine illicite des biens, ainsi que sur les éléments qui ont été séparés du dossier dans une affaire pénale en cours d’instruction portant sur l’acquisition illégale des biens (70). Ces personnes bénéficient ainsi clairement d’un droit à l’information sur la teneur du dossier leur permettant une prise de connaissance de la base factuelle et concrète des poursuites concernant les biens en leur possession.

73.      Cette information doit, deuxièmement, être mise en relation avec les prérogatives reconnues au profit desdites personnes, à savoir le droit de participer à la procédure concernant les biens illégalement acquis (71), d’exprimer devant la juridiction, oralement ou par écrit, leur position à l’égard de la décision prise et de leur soumettre des demandes (72). Les intéressées disposent donc des moyens d’interroger la teneur des informations fournies, leur complétude et leur fiabilité, et d’amener la juridiction à prendre connaissance des éléments du dossier en matière de biens illégalement acquis couverts par le secret de l’instruction.

74.      Troisièmement, l’appréciation des autorités poursuivantes quant à l’accès au dossier est soumise à un contrôle juridictionnel en vertu de l’article 627, paragraphe 5, de la loi sur la procédure pénale dans sa version applicable aux procédures au principal selon les décisions de renvoi. Le gouvernement letton a précisé que, lors de la mise en œuvre de l’article 627, paragraphes 4 et 5, de la loi sur la procédure pénale, le responsable de la procédure et le tribunal compétent sont tenus de mettre en balance les intérêts des parties et ceux de la procédure pénale et de la sécurité publique lorsqu’ils se prononcent sur le droit d’une personne à consulter le dossier.

75.      Dans ces circonstances, il est possible, selon moi, de considérer que l’article 8 de la directive 2014/42, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2012/13, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale ne mettant pas à la charge des autorités à l’origine des poursuites pour acquisition illégale de biens une obligation générale de fournir un accès intégral au dossier de la procédure aux personnes affectées par la mesure de confiscation envisagée, mais soumettant celui-ci à une demande de ces personnes et à l’appréciation de ces autorités. Ces personnes doivent avoir la possibilité de se voir communiquer, à leur demande, les informations et les documents se trouvant dans le dossier de la procédure de confiscation et pris en considération par les autorités publiques en vue de l’adoption éventuelle par la juridiction compétente de la décision de confiscation, à moins que des objectifs tenant notamment à la protection de la vie ou des droits fondamentaux d’un tiers ou à la préservation du bon déroulement d’une enquête pénale en cours ne justifient de restreindre l’accès à ces informations et à ces documents.

76.      Dans le cadre du contrôle juridictionnel d’un refus total ou partiel d’accès, il appartient au juge d’assurer un juste équilibre entre, d’un côté, le respect des droits de la défense et à un procès équitable, et, de l’autre, la nécessité de protéger les droits fondamentaux des personnes mentionnés dans les éléments de preuve et de garantir l’effectivité des enquêtes pénales en cours et la répression des infractions. Cette pondération ne saurait toutefois conduire, compte tenu de l’importance des droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte, à priver de toute effectivité la protection juridictionnelle de la personne concernée et à vider de son contenu le droit de recours prévu à l’article 8, paragraphe 6, de la directive 2014/42 en cas d’adoption d’une décision de confiscation, notamment en ne communiquant pas à celle-ci, ou le cas échéant à son conseiller, à tout le moins, les éléments essentiels du dossier, y compris ceux issus de l’affaire pénale en cours, indiquant un lien entre les biens détenus par cette personne et l’infraction pénale en cause (73).

77.      Cette approche me paraît correspondre au seuil de protection minimale retenu dans la jurisprudence de la Cour EDH. Cette dernière considère que tout procès pénal, y compris ses aspects procéduraux, doit revêtir un caractère contradictoire et garantir l’égalité des armes entre l’accusation et la défense. Le droit à un procès pénal contradictoire implique, pour l’accusation comme pour la défense, la faculté de prendre connaissance des observations ou éléments de preuve produits par l’autre partie. Toutefois, le droit à une divulgation des preuves pertinentes n’est pas, selon la Cour EDH, absolu et, dans une procédure pénale donnée, il peut être nécessaire de dissimuler certaines preuves à la défense, de façon à préserver les droits fondamentaux d’un autre individu ou à sauvegarder un intérêt public important et il peut être attendu de l’accusé qu’il motive spécifiquement sa demande d’accès. Néanmoins, seules sont légitimes au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH les mesures restreignant les droits de la défense qui sont absolument nécessaires (74). S’agissant de la sauvegarde d’un intérêt public important, la Cour EDH reconnaît la nécessité de mener des enquêtes pénales de manière efficace, ce qui peut impliquer qu’une partie des informations recueillies au cours de ces enquêtes soit tenue secrète afin d’empêcher les suspects d’altérer les preuves et d’entraver le cours de la justice (75).

3.      Sur le régime probatoire de l’origine des biens

78.      Dans le cadre de l’affaire C‑161/23 et par sa deuxième question, la juridiction de renvoi exprime des doutes quant à la compatibilité d’une réglementation nationale (76) prévoyant une présomption de fait quant à l’origine illicite des biens et mettant à la charge de la personne ayant un lien avec ces biens la preuve de la licéité de leur origine avec l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42, lu à la lumière des articles 47 et 48 de la Charte, cette dernière disposition consacrant le principe de la présomption d’innocence.

79.      Il résulte du dossier soumis à la Cour que la réglementation en cause au principal prévoit effectivement une présomption d’origine illicite des biens concernés dans le cas où la personne qui en est détentrice n’est pas en mesure de démontrer la licéité de cette origine au regard des éléments de preuve apportés par l’autorité poursuivante révélant que ces biens ont, selon toute vraisemblance, une origine illicite, ce qui correspond à un niveau de preuve moins élevé que celui requis pour l’établissement de la culpabilité d’un individu, soit « au-delà de tout doute raisonnable ».

80.      Concernant la question de la preuve de l’origine illicite des biens, à la lumière du principe de la présomption d’innocence, il convient de tenir compte de la directive 2016/343, au même titre que la directive 2012/13, lors de la mise en œuvre de la directive 2014/42 (77). L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2016/343 prévoit que les États membres veillent à ce que l’accusation supporte la charge de la preuve visant à établir la culpabilité des suspects et des personnes poursuivies conformément au principe de la présomption d’innocence énoncé à l’article 3 de cette directive qui impose à ces États de veiller « à ce que les suspects et les personnes poursuivies soient présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité ait été légalement établie ». La Cour a jugé que la référence à l’établissement de la « culpabilité » figurant à cet article 6 doit être comprise comme impliquant que cette disposition a pour objet de régir la répartition de la charge de la preuve uniquement lors de l’adoption de décisions judiciaires statuant sur la culpabilité (78). Or, il est constant qu’une procédure telle que celle en cause au principal a pour finalité non pas de déterminer la culpabilité de l’intéressé, mais de décider de la confiscation ou non de biens en considération du caractère illicite ou non de leur origine, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2016/343 ne paraissant pas, dès lors, s’appliquer à la réglementation nationale incriminée (79).

81.      Cela étant, la Cour considère que le principe de la présomption d’innocence, énoncé à l’article 48 de la Charte, trouve à s’appliquer lorsqu’il s’agit de déterminer des éléments objectifs constitutifs d’une infraction susceptible de conduire à l’infliction de sanctions administratives revêtant un caractère pénal. Il en va de même du droit au silence, garantie qui découle de l’article 47, deuxième alinéa, et de l’article 48 de la Charte (80). Sous réserve de l’appréciation définitive, par la juridiction de renvoi, du caractère pénal de la mesure de confiscation sans condamnation, une application par analogie de cette jurisprudence devrait nous conduire à la conclusion selon laquelle la présomption d’innocence et le droit de garder le silence trouvent à s’appliquer dans les affaires ayant conduit à la saisie de cette juridiction.

82.      Intégrant la jurisprudence de la Cour EDH relative à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH, qui correspond à l’article 48 de la Charte, la Cour estime que le droit de toute personne accusée d’une infraction en matière pénale à être présumée innocente et à faire supporter à l’accusation la charge de prouver les allégations formulées contre elle n’est pas absolu, tout système juridique connaissant des présomptions de fait ou de droit. S’il est vrai que l’article 48 de la Charte ne s’oppose pas à ce qu’un État membre rende punissable un fait matériel ou objectif considéré en soi et institue des présomptions de fait ou de droit, il oblige les États membres à ne pas dépasser, en matière pénale, un certain seuil. Plus concrètement, le principe de la présomption d’innocence, consacré à cette disposition, impose à cet État membre d’enserrer les présomptions qui figurent dans ses lois répressives dans des limites raisonnables, en prenant en compte la gravité de l’enjeu et en préservant les droits de la défense, sous peine de porter une atteinte disproportionnée à ce principe. Ce seuil se trouve dépassé quand une présomption a pour effet de priver une personne de toute possibilité de se disculper par rapport aux faits mis à sa charge, la privant ainsi du bénéfice dudit principe (81).

83.      S’appuyant sur cette même jurisprudence, la Cour a indiqué que le droit au silence constitue une norme internationale généralement reconnue, qui est au cœur de la notion de procès équitable. En mettant le prévenu à l’abri d’une coercition abusive de la part des autorités, ce droit concourt à éviter des erreurs judiciaires et à garantir le résultat d’un tel procès. La protection du droit au silence visant à assurer que, dans une affaire pénale, l’accusation fonde son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou la pression, au mépris de la volonté de l’accusé, ce droit est violé, notamment, dans la situation d’un suspect qui, menacé de subir des sanctions s’il ne témoigne pas, soit témoigne, soit est puni pour avoir refusé de le faire. Le droit au silence ne saurait raisonnablement se limiter aux aveux de méfaits ou aux remarques mettant directement en cause la personne interrogée, mais couvre également des informations sur des questions de fait susceptibles d’être ultérieurement utilisées à l’appui de l’accusation et d’avoir ainsi un impact sur la condamnation ou la sanction infligée à cette personne. Cela étant, le droit au silence ne saurait justifier tout défaut de coopération avec les autorités compétentes et ne constitue donc pas une prérogative absolue (82).

84.      C’est à la lumière des considérations qui précédent qu’il convient d’apprécier la conformité de la réglementation nationale, étant rappelé que la Cour peut fournir des indications sur les éléments à prendre en considération dans le cadre de l’appréciation du caractère proportionné de l’atteinte au principe de présomption d’innocence, ainsi qu’au droit de garder le silence, qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer. À cet égard, il importe de souligner, en premier lieu, que la juridiction nationale compétente doit être convaincue de l’origine illicite des biens et que c’est à l’autorité poursuivante d’apporter au juge, initialement, des éléments de preuve à ce titre (83). Ces éléments sont réputés établis s’il y a des raisons de considérer que ces biens ont, selon toute vraisemblance, une origine criminelle (84).

85.      Il est constant, en deuxième lieu, que la personne détentrice des biens a la possibilité de réfuter la présomption susmentionnée. Selon la réglementation lettone, si cette personne prétend que les biens ne sauraient être considérés comme ayant été illégalement acquis, il lui incombe de démontrer la licéité de leur origine en fournissant une explication crédible à ce sujet (85). Cette réfutation est offerte à ladite personne avant même le déclenchement de la procédure de confiscation sur le fondement de l’article 626 de la loi sur la procédure pénale. En effet, lorsque le bien est saisi lors de l’enquête préliminaire en raison de la conviction de l’autorité poursuivante de son origine criminelle, cette autorité a l’obligation, conformément à l’article 356, paragraphe 5, de la loi sur la procédure pénale, de notifier à l’intéressé « la possibilité » de présenter des informations sur la licéité de cette origine, dans un délai de 45 jours à compter de la notification, et l’informe des conséquences de l’absence de présentation de telles informations. En outre, ainsi qu’il a été exposé, la personne concernée dispose du droit de participer à la procédure de confiscation, laquelle comprend une audience qui doit avoir lieu dans les dix jours suivant la réception de la décision d’engager cette procédure et au cours de laquelle les personnes impliquées dans la procédure ont le même droit de formuler des objections ou des demandes, de présenter des preuves et de soumettre des observations écrites au tribunal (86).

86.      À mon sens, la réglementation lettone ne crée pas une situation de probatio diabolica de nature à porter une atteinte manifestement disproportionnée au principe de présomption d’innocence ainsi qu’aux droits de la défense. Il est parfaitement logique et raisonnable de demander à la personne en possession du bien concerné d’apporter la preuve d’un fait positif et du caractère erroné des conclusions de l’autorité poursuivante. Pour reprendre les termes du considérant 34 de la directive 2024/1260, lorsque les juridictions déterminent si les biens doivent ou non être confisqués, elles doivent tenir compte notamment de l’absence de source licite plausible du bien, « étant donné que la provenance d’un bien légalement acquis peut normalement être expliquée ». La personne susmentionnée n’est-elle pas la mieux placée pour fournir des explications permettant, par exemple, d’appréhender le montage juridique et financier entourant le bien et de justifier sa rationalité économique ?

87.      Il convient de relever, en troisième lieu, que le tribunal appelé à rendre une décision de confiscation doit s’assurer qu’il s’agit de biens illégalement acquis et procéder, à cette fin, à un examen de l’ensemble des éléments les concernant conformément à l’article 630, paragraphe 1, de la loi sur la procédure pénale. Le paragraphe 2 de cette disposition prévoit que, « si le tribunal constate que le lien entre les biens et l’infraction pénale n’a pas été établi ou que les biens ne sont pas d’origine illicite, il prend une décision mettant fin à la procédure ». Cette formulation vise explicitement l’établissement de l’illicéité de l’origine des biens et confirme les indications du gouvernement letton (87) sur la charge de la preuve incompressible pesant sur l’autorité poursuivante, quand bien même celle-ci peut être considérée comme allégée. Le régime probatoire en cause n’apparaît donc pas, en tant que tel, de nature à entraîner un véritable renversement de la charge de la preuve, puisque ce régime laisse, de la sorte, à l’autorité poursuivante la charge d’établir les différents indices dont la conjonction permettra, le cas échéant, au juge saisi d’asseoir sa conviction quant à l’existence d’une origine illégale des biens (88). Cette constatation révèle que le silence de la personne ayant un lien avec les biens, en réponse à la notification de l’autorité poursuivante sur la possibilité de présenter des informations sur la licéité de l’origine des biens, ne peut conduire, à lui seul, à une décision de confiscation (89). Il peut, en revanche, être considéré comme une preuve de la crédibilité d’autres éléments de preuve rapportés par l’autorité poursuivante (90).

88.      L’appréciation de la juridiction nationale compétente de l’origine des biens en question s’effectue sur la base d’une mise en balance des probabilités, ce qui correspond au degré de conviction prévu à l’article 5 de la directive 2014/42, lu à la lumière du considérant 21 de celle-ci, concernant la confiscation élargie des biens d’une personne reconnue coupable d’une infraction. En effet, cette mesure peut être prononcée par une juridiction lorsqu’elle est convaincue que ces biens proviennent d’activités criminelles sur la base des circonstances de l’affaire, ce qui ne signifie pas qu’il doit être établi que lesdits biens proviennent d’activités criminelles, mais que la juridiction estime selon le critère de la plus grande probabilité ou suppose raisonnablement qu’il est nettement plus probable que les biens aient été obtenus par des activités criminelles plutôt que par d’autres activités.

89.      En quatrième lieu, la juridiction de renvoi souligne que l’appréciation de l’éventuelle origine illicite des biens est étroitement liée à la question de savoir si ces biens ont fait l’objet d’un blanchiment et pourrait conduire à la constatation de la réunion des éléments constitutifs d’une telle infraction, imposant à la personne ayant un lien avec lesdits biens de renverser une présomption de culpabilité de l’infraction de blanchiment. Outre le fait que les décisions de renvoi ne comportent pas la définition de l’infraction de blanchiment en droit letton, je rappelle qu’il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre du système de coopération judiciaire établi par l’article 267 TFUE, d’interpréter des dispositions législatives ou réglementaires nationales (91). Reste que, de manière générale, le blanchiment désigne un processus visant à réintroduire dans l’économie légale des produits d’une activité criminelle et donc à doter d’une apparence de provenance licite des fonds, des biens immobiliers ou mobiliers générés par ces activités. Dans la mesure où le blanchiment en tant qu’infraction ne peut exister si les biens concernés ne sont pas d’origine illicite, on comprend aisément le lien opéré par la juridiction de renvoi avec la procédure de confiscation telle que celle en cause au principal.

90.      Dans ce contexte, il peut être précisé, aux fins de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, que, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2016/343, il incombe aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que, notamment, les décisions judiciaires, autres que celles statuant sur la culpabilité, ne présentent pas un suspect ou une personne poursuivie comme étant coupable aussi longtemps que sa culpabilité n’a pas été légalement établie. Il résulte du considérant 16 de la directive 2016/343 que cette disposition vise à garantir le respect de la présomption d’innocence. Dès lors, de telles décisions judiciaires ne devraient pas, selon ce considérant, refléter le sentiment que cette personne est coupable (92). Les décisions judiciaires visées peuvent, à mon sens, recouvrir celles prononçant, au terme de la procédure en cause au principal, la confiscation des biens en possession d’une personne faisant l’objet, parallèlement, d’une procédure visant à établir sa responsabilité pour la commission d’une infraction.

91.      Aux fins d’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343, la Cour s’est expressément référée à la jurisprudence de la Cour EDH, laquelle considère que le principe de la présomption d’innocence se trouve méconnu si une décision judiciaire ou une déclaration officielle concernant un prévenu contient une déclaration claire, faite en l’absence de condamnation définitive, selon laquelle la personne concernée a commis l’infraction en question. Dans ce contexte, la Cour EDH a souligné l’importance du choix des termes employés par les autorités judiciaires ainsi que des circonstances particulières dans lesquelles ceux-ci ont été formulés, et de la nature et du contexte de la procédure en question. En conséquence, il y a lieu de considérer que, si la juridiction nationale compétente doit motiver, dans la décision de confiscation, sa conviction que les biens en question ont selon toute probabilité une origine illicite, cette motivation doit être formulée en des termes qui sont de nature à éviter un jugement prématuré potentiel relatif à la culpabilité des personnes en possession de ces biens, susceptible de compromettre l’examen équitable des charges retenues contre celles-ci dans le cadre d’une procédure distincte concernant l’infraction préalable qui a généré les biens ou celle de blanchiment (93).

92.      Eu égard aux considérations qui précèdent ainsi qu’au caractère fondamental de l’enjeu lié à la lutte contre la criminalité organisée (94), il convient de considérer que le régime probatoire de l’origine des biens, objet de la procédure de confiscation, n’est pas de nature à porter une atteinte manifestement disproportionnée au principe de la présomption d’innocence et au droit au silence, ainsi qu’aux droits de la défense, qui sont garantis à la personne détentrice de ces biens en vertu de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343 et à la lumière des articles 47 et 48 de la Charte.

4.      Sur le recours effectif

93.      Par ses deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑49/23, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 6, de la directive 2014/42, lu à la lumière des articles 17 et 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui ne prévoit pas de droit de recours contre une décision de confiscation de biens rendue par une juridiction du deuxième degré, après que le tribunal a décidé, en première instance, de mettre fin à la procédure pour acquisition illégale de biens en constatant l’absence de preuve suffisante d’un lien entre ces biens et l’infraction pénale ou l’origine illicite de ceux-ci (95).

94.      En vertu des articles 630 et 631 de la loi sur la procédure pénale, le tribunal saisi des poursuites pour acquisition illégale de biens peut, en fonction de son appréciation des éléments de preuve produits devant lui, ordonner une confiscation des biens considérés comme illégalement acquis et, dans le cas contraire, mettre fin à la procédure sans adopter de mesures restrictives. Cette décision du tribunal peut faire l’objet d’un appel, par la personne ayant un lien avec les biens ou l’autorité poursuivante, devant une cour régionale, laquelle statue à nouveau sur les poursuites compte tenu de l’effet dévolutif de l’appel et prend, si elle annule la décision déférée, une nouvelle décision, avec les mêmes pouvoirs que les premiers juges. Cette dernière décision n’est pas susceptible de recours.

95.      L’article 8, paragraphe 6, seconde phrase, de la directive 2014/42 dispose, pour sa part, que les États membres prévoient la possibilité effective pour une personne à l’égard de laquelle une confiscation est ordonnée d’attaquer la décision devant un tribunal. S’attachant et s’arrêtant à une stricte interprétation littérale de cette disposition, les parties au principal estiment, en substance, que cette dernière impose aux États membres d’instituer une procédure comportant nécessairement une instance juridictionnelle permettant l’examen de la régularité d’une décision de confiscation, quel que soit le stade où celle-ci a été adoptée.

96.      Cette interprétation ne peut, à mon sens, être retenue. La portée de ladite disposition doit être déterminée en la replaçant dans son contexte, à savoir qu’elle s’inscrit dans l’obligation générale, définie à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42, des États membres de garantir aux personnes concernées par les mesures prévues par cette directive un droit à un recours effectif et à un procès équitable. Il ne ressort nullement des considérants ou d’autres dispositions de ladite directive que celle-ci vise à obliger les États membres à instaurer un deuxième degré de juridiction, c’est-à-dire la possibilité d’interjeter appel de la décision statuant sur le recours exercé contre celle adoptée, en première instance, par le tribunal. À cet égard, je relève que, s’agissant d’une décision de gel, l’article 8, paragraphe 4, de la directive 2014/42 ne prévoit qu’une possibilité d’attaquer celle-ci devant un tribunal, conformément aux procédures prévues dans le droit national, sans imposer l’existence d’un double degré de juridiction. Une telle exigence serait, en outre, contraire aux objectifs d’efficacité et de célérité de cette directive.

97.      Cette conclusion me paraît confortée par la jurisprudence de la Cour concernant d’autres dispositions de droit dérivé imposant un recours effectif, telles que, notamment, l’article 46, paragraphe 1, de la directive 2013/32/UE (96), l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115/CE (97) et l’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE) nº 604/2013 (98). Ces dispositions ont en commun, avec l’article 8, paragraphe 6, seconde phrase, de la directive 2014/42, une formulation similaire, en ce sens qu’elles exigent l’instauration d’une voie de recours effective contre des actes faisant grief et au profit de personnes spécifiquement dénommées. Interprétant lesdites dispositions à la lumière de l’article 47 de la Charte, la Cour a considéré que la protection conférée par celles-ci se limite à l’existence d’une voie de recours juridictionnelle et n’exige pas l’instauration de plusieurs degrés de juridiction. Il apparaît ainsi que seule importe l’existence d’un recours devant une instance juridictionnelle, en l’occurrence garantie par l’article 8, paragraphe 6, seconde phrase, de la directive 2014/42, le principe de protection juridictionnelle effective ouvrant au particulier un droit d’accès à un tribunal et non à plusieurs degrés de juridiction (99). Par conséquent, le fait que la décision de l’instance de recours par laquelle des biens ont été jugés illégalement acquis et confisqués, à la suite d’un nouvel examen au fond des éléments de preuve quant à l’origine de ces biens, n’est pas susceptible de recours, conformément à l’article 631 de la loi sur la procédure pénale, ne porte pas atteinte au droit des personnes en possession desdits biens à un procès équitable. Ainsi que le souligne le gouvernement letton, la réglementation nationale a été conçue de telle manière que la question de savoir si des biens ont été illégalement acquis et sont susceptibles de confiscation peut être examinée par deux juridictions, chacune d’entre elles examinant de manière indépendante l’origine des biens.

98.      Cette interprétation ne me paraît pas entrer en contradiction avec la jurisprudence de la Cour EDH. Il découle, en effet, de celle-ci que ni l’article 6, paragraphe 1, ni l’article 13 de la CEDH ne garantissent le droit à un appel ou à un second degré de juridictionnel, ce dernier étant reconnu par l’article 2 du protocole no 7 qu’à l’égard des personnes condamnées pour une infraction pénale, et n’exigent pas non plus qu’il y ait plusieurs niveaux de juridiction (100). En outre, la Cour EDH considère que l’article 13 de la CEDH n’est pas, en règle générale, applicable lorsque la violation alléguée de la CEDH a eu lieu dans le cadre d’une procédure judiciaire sauf si les griefs tirés de cet article portent sur un manquement à l’exigence du « délai raisonnable » (101).

99.      Compte tenu du caractère pénal de la procédure de confiscation des biens illégalement acquis et de la sanction que constitue cette confiscation, il y a lieu de rappeler la teneur de l’article 2 du protocole no 7 de la CEDH, étant précisé que ce dernier a été ratifié par l’ensemble des États membres, avec des réserves et des déclarations pour certains d’entre eux. Le paragraphe 1 de cet article prévoit que « [t]oute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation ». À supposer que cette disposition soit applicable dans le cas de la procédure susmentionnée, et cela me paraît devoir être le cas compte tenu de la nature de sanction pénale de la mesure de confiscation, il importe de souligner que, selon l’article 2, paragraphe 2, de ce protocole, ce droit peut faire l’objet d’exceptions. Parmi ces dernières, figure la situation dans laquelle l’intéressé a été déclaré coupable et condamné à la suite d’un recours contre son acquittement, situation s’apparentant précisément à celle visée par la juridiction de renvoi dans ses deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑49/23.

100. Je considère, dès lors, que l’article 8, paragraphe 6, de la directive 2014/42, lu à la lumière des articles 17 et 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui ne prévoit pas de droit de recours contre une décision de confiscation de biens qualifiés d’illégalement acquis rendue par une juridiction du deuxième degré saisie d’un recours contre une décision d’un tribunal de première instance portant rejet de la demande de l’autorité poursuivante visant à faire constater que ces biens avaient une telle origine.

101. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question préjudicielle dans les affaires C‑767/22 et C‑161/23 ainsi qu’à la quatrième question préjudicielle dans l’affaire C‑49/23 relatives à l’interprétation du principe de primauté.

V.      Conclusion

102. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle, Lettonie) :

L’article 8, paragraphes 1 et 6, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales et l’article 4, paragraphe 1, de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales, ainsi qu’à la lumière des articles 17, 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à une réglementation nationale instituant une procédure de confiscation de biens illégalement acquis ou liés à une infraction pénale sans condamnation préalable, ouverte au cours d’une procédure visant à établir la culpabilité de l’auteur présumé d’une infraction pénale dont les biens ont été gelés et menée parallèlement à cette procédure, et prévoyant :

–        une possibilité de refus d’accès au dossier opposé à la personne en possession des biens, motivé par la protection de la vie ou des droits fondamentaux d’un tiers ou la préservation du bon déroulement d’une enquête pénale en cours, pour autant que ce refus soit soumis à un contrôle juridictionnel dans le cadre duquel le juge veille à ce que la non-divulgation, par l’autorité nationale compétente, des éléments de preuve précis et complets soit limitée au strict nécessaire afin de garantir le respect des droits de la défense et l’équité de la procédure ;

–        l’adoption d’une décision de confiscation des biens fondée sur une présomption légale d’origine illicite de ceux-ci reposant sur un ensemble d’éléments de preuve rapportés par l’autorité poursuivante rendant vraisemblable une telle origine, à condition, d’une part, que les personnes en possession de ces biens aient eu la possibilité effective d’en démontrer leur origine plausiblement licite et, d’autre part, que cette décision ne présente pas ces personnes comme étant coupables d’une infraction, objet d’une procédure pénale distincte menée parallèlement à celle visant à la confiscation desdits biens ;

–        un recours juridictionnel contre la décision de confiscation des biens, sans qu’une telle décision, lorsqu’elle est rendue par la juridiction du deuxième degré, après que le tribunal a décidé en première instance de rejeter la demande de confiscation, puisse être judiciairement contestée.



1      Langue originale : le français.


2      Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil intitulé « Recouvrement et confiscation d’avoirs : garantir que le crime ne paie pas » [COM (2020) 217 final].


3      Directive du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne (JO 2014, L 127, p. 39). Cette norme vient d’être remplacée par la directive (UE) 2024/1260 du Parlement européen et du Conseil, du 24 avril 2024, relative au recouvrement et à la confiscation des avoirs (JO L, 2024/1260), laquelle est entrée en vigueur le 22 mai 2024.


4      Le 25 octobre 2018, la phrase « l’ensemble des éléments de preuve porte à croire que les biens retirés ou saisis ont été illégalement acquis » a été supprimée de l’article 626, paragraphe 2, de la loi sur la procédure pénale.


5      Décision-cadre du Conseil du 24 février 2005 relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime (JO 2005, L 68, p. 49). Cette norme a également été remplacée par la directive 2024/1260.


6      Arrêt du 24 février 2022, Viva Telecom Bulgaria (C‑257/20, EU:C:2022:125, point 123).


7      Ordonnance du 18 avril 2023, Vantage Logistics (C‑200/22, EU:C:2023:337, point 27).


8      Arrêt du 28 octobre 2021, Komisia za protivodeystvie na koruptsiyata i za otnemane na nezakonno pridobitoto imushtestvo (C‑319/19, EU:C:2021:883, point 36).


9      Arrêts du 19 mars 2020, « Agro In 2001 » (C‑234/18, EU:C:2020:221, point 61), et du 28 octobre 2021, Komisia za protivodeystvie na koruptsiyata i za otnemane na nezakonno pridobitoto imushtestvo (C‑319/19, EU:C:2021:883, point 41).


10      S’agissant de la notion de « confiscation », il convient de se référer exclusivement à celle figurant à l’article 2, point 4, de la directive 2014/42, puisque cette directive a, en vertu de son article 14, paragraphe 1, remplacé, notamment, les quatre premiers tirets de l’article 1er de la décision-cadre 2005/212, dont celui consacré à la définition de cette notion [arrêt du 10 novembre 2022, DELTA STROY 2003 (C‑203/21, EU:C:2022:865, point 30)].


11      Arrêt du 9 mars 2023, Otdel « Mitnichesko razsledvane i razuznavane » (C‑752/21, EU:C:2023:179, point 44).


12      Arrêts du 19 mars 2020, « Agro In 2001 » (C‑234/18, EU:C:2020:221, point 60), et du 28 octobre 2021, Komisia za protivodeystvie na koruptsiyata i za otnemane na nezakonno pridobitoto imushtestvo (C‑319/19, EU:C:2021:883, point 38).


13      Il convient de préciser que la procédure de confiscation des biens illégalement acquis mise en œuvre dans les affaires au principal correspond à celle prévue à l’article 626, paragraphe 1, de la loi sur la procédure pénale, situation qui se distingue de celle visée aux deux paragraphes suivants de cet article prévoyant la possibilité pour l’enquêteur ou le procureur d’engager une procédure de confiscation lorsqu’il met fin à une procédure pénale pour des raisons autres que la mise hors de cause de la personne concernée.


14      Voir point 13.1 de la décision de renvoi dans l’affaire C‑767/22.


15      Selon l’article 70.10 du Krimināllikums (loi pénale), la confiscation spéciale des biens, qui est l’aliénation forcée au profit de l’État, sans indemnisation, d’un bien illégalement acquis ou d’un objet d’une infraction pénale, ou encore d’un bien acquis en rapport avec une infraction pénale, ne constitue pas une peine. Cette définition correspond à la notion de « confiscation » de l’article 2, point 4, de la directive 2014/42. Il résulte du libellé de cette disposition que, dans ce cadre, il importe peu que la confiscation constitue ou non une peine en droit pénal. Ainsi, une mesure, telle que celle en cause au principal, qui donne lieu à une privation permanente du bien saisi, ordonnée par une juridiction en lien avec une infraction pénale, relève de cette notion de « confiscation » [voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2021, Okrazhna prokuratura – Haskovo et Apelativna prokuratura – Plovdiv (C‑393/19, EU:C:2021:8, points 47 et 48)].


16      Seul l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/42 a fait l’objet d’une interprétation de la Cour dans les arrêts du 21 octobre 2021, Okrazhna prokuratura – Varna (C‑845/19 et C‑863/19, EU:C:2021:864, points 49 à 57), et du 28 octobre 2021, Komisia za protivodeystvie na koruptsiyata i za otnemane na nezakonno pridobitoto imushtestvo (C‑319/19, EU:C:2021:883, point 35).


17      Arrêt du 19 septembre 2019, Gesamtverband Autoteile-Handel (C‑527/18, EU:C:2019:762, point 30).


18      Je renvoie, à cet égard, au libellé du considérant 15 de la directive 2014/42 selon lequel « [l]orsque la confiscation sur la base d’une condamnation définitive n’est pas possible, il devrait toutefois être toujours possible, dans certaines circonstances, de confisquer des instruments et produits, au moins en cas de maladie ou de fuite du suspect ou de la personne poursuivie » (mise en italique par mes soins). De même, le considérant 7 du règlement (UE) 2018/1805 du Parlement européen et du Conseil, du 14 novembre 2018, concernant la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et des décisions de confiscation (JO 2018, L 303, p. 1) mentionne que les règles minimales de la directive 2014/42 concernent la confiscation des instruments et des produits du crime, « notamment » en cas de maladie ou de fuite du suspect ou de la personne poursuivie, « lorsqu’une procédure pénale a déjà été engagée concernant une infraction pénale », la confiscation élargie et la confiscation des avoirs de tiers.


19      Ainsi, le paragraphe 2 de cet article permet une confiscation dans l’hypothèse où la procédure pénale n’est pas susceptible de déboucher sur une condamnation pénale en raison de l’absence de comparution en justice du suspect ou de la personne poursuivie, malade ou en fuite, situations correspondant dans différents États membres à celles de la procédure de condamnation par défaut expressément visée au paragraphe 1 dudit article, ainsi que le souligne le considérant 15 de la directive 2014/42. Cette dernière observation soulève ainsi la question de la détermination d’un champ d’application propre et utile de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive.


20      Article 626, paragraphe 1, de la loi sur la procédure pénale.


21      Le considérant 16 de cette dernière précise ainsi qu’il convient d’entendre par « maladie » l’incapacité du suspect ou de la personne poursuivie d’être présent(e) « pendant une période prolongée » lors de la procédure pénale, ce qui empêche le déroulement de cette dernière dans des conditions normales.


22      Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le gel et la confiscation des produits du crime dans l’Union européenne [COM/2012/085 final – 2012/0036 (COD)].


23      Document de la Commission « Analyse des mesures de confiscation non fondées sur une condamnation dans l’Union européenne » [SWD (2019) 1050 final du 12 avril 2019, p. 4].


24      Arrêt du 21 octobre 2021, Okrazhna prokuratura – Varna (C‑845/19 et C‑863/19, EU:C:2021:864, point 75).


25      Voir, en ce sens, arrêts du 21 octobre 2021, Okrazhna prokuratura – Varna (C‑845/19 et C‑863/19, EU:C:2021:864, points 76 et 77), ainsi que du 12 mai 2022, RR et JG (Gel des biens de tiers) (C‑505/20, EU:C:2022:376, point 34).


26      Voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, RR et JG (Gel des biens de tiers) (C‑505/20, EU:C:2022:376, points 25 à 33). Le gel des biens est défini à l’article 2, point 5, de la directive 2014/42 comme étant « l’interdiction temporaire du transfert, de la destruction, de la conversion, de l’aliénation ou du déplacement d’un bien, ou le fait d’en assumer temporairement la garde ou le contrôle ». S’agissant des situations dans lesquelles la directive 2014/42 permet de recourir à un gel de biens, l’article 7 de celle-ci prévoit que les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre le gel de biens en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure.


27      La juridiction de renvoi fait régulièrement état, dans les demandes de décision préjudicielle, du droit « de la personne ayant un lien avec les biens ».


28      L’article 6 de la directive 2014/42, relatif à la confiscation des avoirs de tiers, appelle les États membres à adopter les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de produits ou de biens dont la valeur correspond à celle des produits qui ont été transférés, directement ou indirectement, à des tiers par un suspect ou une personne poursuivie ou qui ont été acquis par des tiers auprès d’un suspect ou d’une personne poursuivie, au moins dans les cas où ces tiers savaient ou auraient dû savoir que la finalité du transfert ou de l’acquisition était d’éviter la confiscation.


29      Cette disposition était expressément visée dans la proposition de directive [COM/2012/085 final – 2012/0036 (COD)] comme source d’inspiration de l’article 5 de cette dernière consacré à la confiscation sans condamnation. Étaient également cités à ce titre des avis exprimés par le groupe de travail Lyon/Rome du G8 dans un rapport soulignant que, si la confiscation doit en principe continuer de se fonder sur une condamnation, il existe des cas dans lesquels les poursuites pénales ne sont pas possibles à cause du décès ou de la fuite du défendeur, ou faute de preuves suffisantes pour engager des poursuites pénales, ou « pour d’autres raisons techniques ». Il est enfin mentionné que l’introduction de dispositions prévoyant la confiscation en l’absence de condamnation pénale a également reçu le soutien de praticiens réunis au sein du réseau Camden Asset Recovery Inter-Agency Network (CARIN), regroupant les autorités compétentes en matière de recouvrement d’avoirs, et de la plateforme des bureaux de recouvrement d’avoirs.


30      La décision de confiscation est une peine ou une mesure définitive ordonnée par une juridiction à la suite d’une procédure en lien avec une infraction pénale, aboutissant à priver de biens une personne physique ou morale de façon définitive.


31      Voir p. 5 du document de la Commission intitulé « Analyse des mesures de confiscation non fondées sur une condamnation dans l’Union européenne » [SWD (2019) 1050 final du 12 avril 2019].


32      La formulation de l’article 15 de la directive 2024/1260 est plus explicite que celle de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/42 en ce sens que l’énumération des circonstances en cause est manifestement exhaustive. Un autre élément de distinction tient au fait que ce type de confiscation sans condamnation est limitée à la situation dans laquelle une procédure pénale a été engagée, mais n’a pu être poursuivie en raison d’une de ces circonstances, alors qu’il aurait été possible que cette procédure aboutisse à une condamnation pénale sans la survenance d’une telle circonstance (je note cependant que la teneur du considérant 31 de la directive 2024/1260, définissant l’hypothèse de la maladie de la personne concernée, vient contredire sur ce point les termes de l’article 15 de celle-ci).


33      Le considérant 34 de la proposition de directive énonce que les États membres devraient pouvoir décider que la confiscation d’une fortune inexpliquée soit ordonnée « séparément de la procédure pénale portant sur l’infraction », ce qui correspond à la situation au principal.


34      Arrêt du 14 janvier 2021, Okrazhna prokuratura – Haskovo et Apelativna prokuratura – Plovdiv (C‑393/19, EU:C:2021:8, point 36).


35      Voir p. 5 du document de la Commission intitulé « Analyse des mesures de confiscation non fondées sur une condamnation dans l’Union européenne » [SWD (2019) 1050 final du 12 avril 2019].


36      Les saisies opérées par les autorités compétentes lettones dans le cadre de l’enquête pénale pour blanchiment concernent des biens immobiliers et des fonds placés sur des comptes dans des établissements bancaires situés en Lettonie. Les décisions de confiscation les concernant n’intéressent donc pas directement le règlement 2018/1805 et la question de la reconnaissance mutuelle de ces décisions.


37      Voir considérant 3 de la directive 2014/42 et du règlement 2018/1805 ainsi que le considérant 16 de la directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal (JO 2018, L 284, p. 22).


38      Arrêt du 25 octobre 2007, Fortum Project Finance (C‑240/06, EU:C:2007:636, point 36).


39      Voir p. 2 du document de la Commission intitulé « Analyse des mesures de confiscation non fondées sur une condamnation dans l’Union européenne » [SWD (2019) 1050 final du 12 avril 2019].


40      Le considérant 31 de la directive 2014/42 énonce que, compte tenu de la limitation du droit de propriété qu’entraînent les décisions de gel, ces mesures provisoires ne devraient pas être appliquées plus longtemps que nécessaire pour sauvegarder les biens en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure.


41      L’article 10, paragraphe 2, de la directive 2014/42 oblige les États membres à prévoir la possibilité de vendre ou de transférer des biens saisis, si nécessaire.


42      Dans le rapport [COM (2020) 217 final], il est mentionné, en substance, que cette exigence a été transposée diversement par des mesures insérées dans les codes de procédure pénale des États membres, notamment, s’agissant de l’assistance par un avocat des personnes impliquées dans des procédures de confiscation sans condamnation. Il est, en outre, précisé que les normes en matière de preuve varient selon les États membres.


43      Arrêt du 28 octobre 2021, Komisia za protivodeystvie na koruptsiyata i za otnemane na nezakonno pridobitoto imushtestvo (C‑319/19, EU:C:2021:883, point 37).


44      Arrêt du 12 juillet 2012, SC Volksbank România (C‑602/10, EU:C:2012:443, points 86 et 87 ainsi que jurisprudence citée).


45      Disponible à l’adresse suivante : https://titania.saeima.lv/LIVS12/SaeimaLIVS12.nsf/0/AB2871419A747C7FC2258011002DD2FA?OpenDocument.


46      Selon les indications du gouvernement letton, il a toujours été estimé que la procédure de confiscation sans condamnation préalable en vigueur en Lettonie faisait partie du champ d’application de la directive 2014/42.


47      Voir, en ce sens, arrêts du 7 janvier 2003, BIAO (C‑306/99, EU:C:2003:3, point 92), et du 21 novembre 2019, Deutsche Post e.a. (C‑203/18 et C‑374/18, EU:C:2019:999, point 40).


48      Voir, en ce sens, ordonnance du 9 septembre 2014, Parva Investitsionna Banka e.a. (C‑488/13, EU:C:2014:2191, point 29 et jurisprudence citée).


49      Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO 2012, L 142, p. 1).


50      Directive du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 65, p. 1).


51      Arrêt du 29 octobre 2015, Nagy (C‑583/14, EU:C:2015:737, point 21).


52      J’observe, au demeurant, que, dans la demande de décision préjudicielle relative à l’affaire C‑767/22, la juridiction de renvoi estime qu’il y a lieu de tenir compte de l’article 7 de la directive 2012/13 relatif au droit d’accès aux pièces du dossier.


53      Arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, points 32 à 37).


54      À compter du 2 novembre 2021, la mention « suspect ou personne poursuivie » a été supprimée, modification législative sans conséquence, dans la mesure où l’absence d’emploi, dans la réglementation nationale concernée, des qualificatifs de « suspect » ou de « personne poursuivie » est dépourvue de pertinence aux fins de l’application des directives 2012/13 et 2016/343 [voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2023, Rayonna prokuratura Lovech, teritorialno otdelenie Lukovit (Fouille corporelle) (C‑209/22, EU:C:2023:634, points 43 et 44)].


55      Voir, par analogie, arrêt du 7 septembre 2023, Rayonna prokuratura Lovech, teritorialno otdelenie Lukovit (Fouille corporelle) (C‑209/22, EU:C:2023:634, points 38 et 43).


56      Voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom (C‑467/18, EU:C:2019:765, point 37).


57      Voir arrêt du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom (C‑467/18, EU:C:2019:765) dont la solution est de nature à relativiser le point 70 de l’arrêt du 16 décembre 2021, AB e.a. (Révocation d’une amnistie) (C‑203/20, EU:C:2021:1016) selon lequel une procédure qui n’a pas pour objet la détermination de la responsabilité pénale d’une personne ne saurait relever du champ d’application de la directive 2012/13.


58      Voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2023, Dual Prod (C‑412/21, EU:C:2023:234, points 27 à 30).


59      Voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2023, Dual Prod (C 412/21, EU:C:2023:234, point 31).


60      Sur la prise en compte de l’ensemble de ces éléments par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), voir arrêt du 9 février 1995, Welch c. Royaume-Uni (CE:ECHR:1995:0209JUD001744090, § 28, 30 et 33).


61      À titre d’exemple, les fonds appartenant à Lireva Investments Limited pour un montant de 1 682 356 dollars américains (USD) ont été confisqués et transférés au budget de l’État letton (voir point 14 des observations de cette partie dans l’affaire C‑161/23).


62      Voir, par analogie, arrêt du 5 septembre 2019, AH e.a. (Présomption d’innocence) (C‑377/18, EU:C:2019:670, point 40).


63      Voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 51), et du 30 mars 2023, IP e.a. (Établissement de la matérialité des faits au principal – II) (C‑269/22, EU:C:2023:275, point 19).


64      Le droit à une protection juridictionnelle effective et le droit de propriété ne constituent pas des prérogatives absolues [voir, respectivement, arrêts du 26 janvier 2023, Ministerstvo na vatreshnite raboti (Enregistrement de données biométriques et génétiques par la police) (C‑205/21, EU:C:2023:49, point 89), et du 14 janvier 2021, Okrazhna prokuratura – Haskovo et Apelativna prokuratura – Plovdiv (C‑393/19, EU:C:2021:8, point 53)].


65      Voir, par analogie, arrêt du 14 janvier 2021, Okrazhna prokuratura – Haskovo et Apelativna prokuratura – Plovdiv (C‑393/19, EU:C:2021:8, point 53).


66      Arrêt du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary (C‑189/18, EU:C:2019:861, points 61 et 62).


67      Arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund (C‑682/15, EU:C:2017:373, point 97).


68      Arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392, points 89, 90 et 93).


69      Voir également considérants 33 et 34 de la directive 2014/42.


70      Article 627, paragraphe 2, de la loi sur la procédure pénale.


71      Les personnes concernées peuvent être assistées ou représentées par un avocat, ce qui satisfait aux exigences de l’article 8, paragraphe 7, de la directive 2014/42.


72      Article 628 de la loi sur la procédure pénale. Il convient d’ajouter que, conformément à l’article 629, paragraphes 2 et 4, de cette loi, une audience doit avoir lieu dans les 10 jours suivant la réception de la décision d’engager des poursuites pour acquisition illégale de biens, au cours de laquelle les personnes impliquées dans la procédure ont le même droit de formuler des objections ou des demandes, de présenter des preuves, de soumettre des observations écrites au tribunal, ainsi que de participer à l’examen d’autres questions soulevées au cours de la procédure.


73      Voir, par analogie, arrêt du 22 septembre 2022, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság e.a. (C‑159/21, EU:C:2022:708, point 51).


74      Cour EDH, 16 février 2000, Rowe et Davis c. Royaume-Uni (CE:ECHR:2000:0216JUD002890195, § 60 et 61), et Cour EDH, 6 mars 2012, Leas c. Estonie (CE:ECHR:2012:0306JUD005957708, § 81).


75      Cour EDH, 13 février 2001, Garcia Alva c. Allemagne (CE:ECHR:2001:0213JUD002354194, § 42).


76      Il ressort du dossier soumis à la Cour que les règles régissant l’administration de la preuve dans la procédure de confiscation en cause sont principalement contenues à l’article 124, paragraphe 6, à l’article 125, paragraphe 3, et à l’article 126, paragraphe 31 de la loi sur la procédure pénale, cette deuxième disposition pouvant être qualifiée de lex spécialis comme se rapportant spécifiquement à l’hypothèse de l’infraction de blanchiment. Ces règles se combinent avec d’autres dispositions de cette loi relatives au déroulement de la procédure pénale depuis la saisie des biens jusqu’à l’éventuelle décision de confiscation.


77      Son absence de mention dans la directive 2014/42 s’explique simplement par le caractère postérieur de son adoption par rapport à cette dernière.


78      Arrêt du 28 novembre 2019, Spetsializirana prokuratura (C‑653/19 PPU, EU:C:2019:1024, point 33).


79      Il est vrai que dans l’arrêt du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom (C‑467/18, EU:C:2019:765), la Cour a jugé qu’une procédure ayant pour objet l’internement psychiatrique forcé d’un individu entrait dans le champ d’application de la directive 2016/343 en raison de sa finalité pénale et qu’il appartenait au ministère public de supporter, en vertu de l’article 6 de cette directive, la charge de prouver la réunion des conditions autorisant cet internement. Cette solution me semble motivée par le fait que ce dernier constitue une mesure privative de liberté d’une personne dont il a été préalablement établi qu’elle avait commis, en état de démence, des faits constitutifs d’une infraction pénale. Une telle situation ne me paraît pas pleinement comparable à celle qui nous occupe, soit une procédure dont l’issue possible est axée sur les biens détenus par une personne et ne pouvant conduire à une privation de liberté de celle-ci.


80      Voir, en ce sens, arrêts du 10 novembre 2022, DELTA STROY 2003 (C‑203/21, EU:C:2022:865, point 51) ; du 9 septembre 2021, Adler Real Estate e.a. (C‑546/18, EU:C:2021:711, points 44 et 55), ainsi que du 2 février 2021, Consob (C‑481/19, EU:C:2021:84, point 42).


81      Voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 2021, Adler Real Estate e.a. (C‑546/18, EU:C:2021:711, point 46) ; du 5 décembre 2019, Centraal Justitieel Incassobureau (Reconnaissance et exécution des sanctions pécuniaires) (C‑671/18, EU:C:2019:1054, point 54), et du 10 novembre 2022, DELTA STROY 2003 (C‑203/21, EU:C:2022:865, points 60 et 61).


82      Arrêt du 2 février 2021, Consob (C‑481/19, EU:C:2021:84, points 38 à 41), et Cour EDH, 21 décembre 2000, Heaney et McGuinness c. Irlande (CE:ECHR:2000:1221JUD003472097, § 47).


83      Conformément à l’article 626, paragraphe 1, point 1, de la loi sur la procédure pénale, l’autorité compétente ne peut engager des poursuites pour acquisition illégale de biens que si l’ensemble des éléments de preuve porte à croire que les biens retirés ou saisis ont été illégalement acquis ou sont liés à une infraction pénale, la décision d’engagement de ces poursuites devant contenir, en vertu de l’article 627 de cette loi, les informations sur les faits de nature à établir le lien entre les biens et l’infraction pénale ou l’origine illicite des biens, ainsi que sur les éléments qui ont été séparés du dossier dans une affaire pénale en cours d’instruction portant sur l’acquisition illégale des biens.


84      Voir article 124, paragraphe 6, et article 125, paragraphe 3, de la loi sur la procédure pénale.


85      Voir article 125, paragraphe 3, et article 126, paragraphe 31, de la loi sur la procédure pénale.


86      Ce délai de 45 jours et la tenue de l’audience dans un délai de dix jours, dont le report peut être demandé par les personnes en possession des biens, contredisent, à mon sens, l’allégation des parties au principal selon laquelle la procédure de confiscation ne les met pas en mesure d’apporter la preuve de l’origine licite de ces biens.


87      Ainsi que l’indique le gouvernement letton, pour qu’un bien soit considéré comme illégalement acquis, un faisceau pertinent de preuves doit, en tout état de cause, être réuni par l’autorité poursuivante établissant que l’origine du bien est plus probablement criminelle que légale. Il en découle qu’il n’existe pas de présomption en faveur de l’existence des raisons invoquées par une autorité nationale dans la décision d’engagement des poursuites pour acquisition illégale d’un bien, pas plus que de leur bien-fondé [voir, par analogie, arrêt du 4 juin 2013, ZZ (C‑300/11, EU:C:2013:363, point 61)].


88      L’expression de « preuve partagée » devrait, à mon sens, être préférée à celle de « renversement de la charge de la preuve » pour caractériser le régime probatoire national en cause. Ce rôle actif de la personne détentrice du bien est, au demeurant, clairement retenu à l’article 12, paragraphe 7, de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, à laquelle l’Union a adhéré, qui prévoit que les « États Parties peuvent envisager d’exiger que l’auteur d’une infraction établisse l’origine licite du produit présumé du crime ou d’autres biens pouvant faire l’objet d’une confiscation, dans la mesure où cette exigence est conforme aux principes de leur droit interne et à la nature de la procédure judiciaire et des autres procédures ».


89      L’article 126, paragraphe 3.1, de la loi sur la procédure pénale prévoit que, à défaut de fournir des informations fiables sur la licéité de l’origine des biens dans le délai imparti, la personne concernée se voit uniquement refuser « la possibilité d’obtenir réparation du préjudice causé par les restrictions imposées à l’utilisation de ces biens dans le cadre de la procédure pénale ». Par ailleurs, il ne ressort pas des décisions de renvoi que le refus par le détenteur des biens de fournir des explications quant à leur origine constituerait une infraction pénale en soi.


90      À la suite d’une procédure nationale ayant abouti à la condamnation du prévenu pour blanchiment de capitaux et la confiscation des sommes tirées de l’infraction, la Cour EDH a, dans un arrêt du 2 mai 2017, Zschuschen c. Belgique (CE:ECHR:2017:0502DEC00235720713), rappelé qu’il n’était pas incompatible avec la notion de procès équitable en matière pénale d’imposer aux requérants l’obligation de donner des explications crédibles sur leur situation patrimoniale. Selon cette juridiction, la CEDH n’interdit pas de prendre en compte le silence d’un accusé pour conclure à sa culpabilité, sauf si sa condamnation se fonde exclusivement ou essentiellement sur son silence. Elle a constaté que tel n’était manifestement pas le cas en l’espèce, les juridictions nationales ayant établi de manière convaincante un faisceau d’indices concordants pour conclure à la culpabilité du requérant, et son refus de fournir des explications quant à l’origine de l’argent, alors que la situation appelait une explication de sa part, ne venait que conforter ces indices.


91      Arrêt du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary (C‑189/18, EU:C:2019:861, point 31). Je relève, en outre, que, au point 48 de ses observations dans l’affaire C‑161/23, le gouvernement letton a précisé que, lorsqu’une personne est trouvée en possession de biens potentiellement illégalement acquis, cela ne signifie pas pour autant qu’elle a, a priori, commis des actes de blanchiment ou une quelconque autre infraction pénale. En d’autres termes, il est juridiquement possible qu’une personne soit en possession d’un bien potentiellement illégalement acquis, mais qu’elle n’ait pas commis d’infraction pénale ou que celle-ci ne puisse pas être constatée.


92      Arrêt du 5 septembre 2019, AH e.a. (Présomption d’innocence) (C‑377/18, EU:C:2019:670, points 36 et 37).


93      Voir, par analogie, arrêt du 5 septembre 2019, AH e.a. (Présomption d’innocence) (C‑377/18, EU:C:2019:670, point 43).


94      La Cour EDH a, dans un arrêt du 2 mai 2017, Zschuschen c. Belgique (CE:ECHR:2017:0502DEC00235720713, § 23), indiqué prendre en compte l’importance que revêt pour les États membres la lutte contre le blanchiment de capitaux issus d’activités illicites, susceptibles de servir à financer des activités criminelles, notamment dans le domaine du trafic de stupéfiants ou du terrorisme international. Elle a rappelé que la confiscation de biens ou d’avantages patrimoniaux tirés d’une infraction poursuit un but d’intérêt général, puisque celle-ci tend à empêcher un usage illicite et dangereux pour la société de biens dont la provenance légitime n’a pas été démontrée.


95      La juridiction de renvoi relève que l’affaire au principal concerne cinq procédures dans lesquelles le tribunal a rejeté en première instance, en tout ou en partie, la demande de l’autorité poursuivante visant à faire constater que les biens en cause avaient été illégalement acquis. À la suite d’un recours de cette autorité, la cour régionale a déclaré que les biens avaient été illégalement acquis et a ordonné, dans une décision définitive, leur confiscation.


96      Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60).


97      Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98).


98      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31).


99      Voir, en ce sens, arrêts du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en justitie (Effet suspensif de l’appel) (C‑180/17, EU:C:2018:775, point 30) ; du 30 mars 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Suspension du délai de transfert en appel) (C‑556/21, EU:C:2023:272, point 30), et du 28 juillet 2011, Samba Diouf (C‑69/10, EU:C:2011:524, point 69).


100      Cour EDH, 1er juillet 1998, Kopczynski c. Pologne (CE:ECHR:1998:0701DEC002886395).


101      Cour EDH, 13 octobre 2009, Ferre Gisbert c. Espagne (CE:ECHR:2009:1013JUD003959005, § 39).