Language of document : ECLI:EU:T:2018:400

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

3 juillet 2018 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché français des installations sanitaires pour salles de bains – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE – Participation à l’entente de certaines entités – Réévaluation des éléments de preuve »

Dans les affaires jointes T‑379/10 RENV et T‑381/10 RENV,

Keramag Keramische Werke GmbH, anciennement Keramag Keramische Werke AG, établie à Ratingen (Allemagne), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe,

parties requérantes dans l’affaire T‑379/10 RENV,

Sanitec Europe Oy, établie à Helsinki (Finlande),

partie requérante dans l’affaire T‑381/10 RENV,

représentées par Mes P. Lindfelt, K. Struckmann, avocats, et M. J. Killick, barrister,

contre

Commission européenne, représentée par MM. F. Castillo de la Torre, F. Ronkes Agerbeek et Mme J. Norris-Usher, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant, d’une part, à l’annulation partielle de la décision C(2010) 4185 final de la Commission, du 23 juin 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39092 – Installations sanitaires pour salles de bains), et, d’autre part, à la réduction du montant de l’amende infligée aux requérantes dans cette décision,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de Mme I. Pelikánová (rapporteur), président, MM. P. Nihoul et J. Svenningsen, juges,

greffier : Mme K. Guzdek, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 27 février 2018,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige et décision attaquée

1        Par la décision C(2010) 4185 final, du 23 juin 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39092 – Installations sanitaires pour salles de bains) (ci-après la « décision attaquée »), la Commission européenne a constaté l’existence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) dans le secteur des installations sanitaires pour salles de bains. Cette infraction, à laquelle 17 entreprises auraient participé, se serait déroulée au cours de différentes périodes comprises entre le 16 octobre 1992 et le 9 novembre 2004 et aurait pris la forme d’un ensemble d’accords anticoncurrentiels ou de pratiques concertées sur les territoires belge, allemand, français, italien, néerlandais et autrichien.

2        Le 15 juillet 2004, la Commission a été informée de l’existence d’une entente dans le secteur des installations sanitaires pour salles de bains, dans le cadre d’une demande au titre de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).

3        Les 9 et 10 novembre 2004, la Commission a procédé à des inspections inopinées dans les locaux de plusieurs sociétés et associations professionnelles opérant dans le secteur des installations sanitaires pour salles de bains. Ayant adressé, entre le 15 novembre 2005 et le 16 mai 2006, des demandes de renseignements auxdites sociétés et associations, y compris à certaines requérantes dans l’affaire T‑379/10 RENV, la Commission a, le 26 mars 2007, adopté une communication des griefs, laquelle a également été notifiée à ces dernières. Au cours de la période du 15 novembre 2004 au 20 janvier 2006, un certain nombre d’entreprises ont demandé à bénéficier de l’immunité d’amendes ou de la réduction de leur montant.

4        À la suite d’une audition organisée du 12 au 14 novembre 2007, à laquelle la requérante dans l’affaire T‑381/10 RENV, Sanitec Europe Oy, a participé, de l’envoi, le 9 juillet 2009, à plusieurs sociétés, parmi lesquelles certaines des requérantes dans l’affaire T‑379/10 RENV et la requérante dans l’affaire T‑381/10 RENV, d’une lettre d’exposé des faits, attirant leur attention sur certaines preuves sur lesquelles la Commission envisageait de se fonder dans le cadre de l’adoption d’une décision finale, et de la transmission, entre le 19 juin 2009 et le 8 mars 2010, à plusieurs sociétés, parmi lesquelles certaines des requérantes dans l’affaire T‑379/10 RENV et la requérante dans l’affaire T‑381/10 RENV, des demandes d’informations supplémentaires, la Commission a, le 23 juin 2010, adopté la décision attaquée.

5        Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que l’infraction constatée consistait, premièrement et principalement, en la coordination, par les fabricants d’installations sanitaires pour salles de bains, de hausses de prix annuelles et d’autres éléments de tarification dans le cadre de réunions régulières au sein d’associations nationales professionnelles, deuxièmement, en la fixation ou en la coordination des prix à l’occasion d’événements spécifiques tels que l’augmentation du coût des matières premières, l’introduction de l’euro ainsi que l’instauration de péages routiers et, troisièmement, en la divulgation et en l’échange d’informations commerciales sensibles. Ces pratiques auraient été conformes à un modèle récurrent qui s’était révélé être le même dans les six États membres couverts par l’enquête de la Commission. La fixation des prix dans le secteur des installations sanitaires pour salles de bains aurait suivi un cycle annuel ; plus précisément, les fabricants auraient fixé leurs barèmes de prix, qui restaient généralement en vigueur pendant un an et servaient de base aux relations commerciales avec les grossistes.

6        Les requérantes dans l’affaire T‑379/10 RENV, Keramag Keramische Werke GmbH, Koninklijke Sphinx BV, Allia SAS et sa filiale Produits Céramiques de Touraine SA (PCT) et Pozzi Ginori SpA, fabriquaient des articles en céramique. Koralle Sanitärprodukte GmbH, également requérante dans l’affaire T-379/10 RENV, fabriquait quant à elle des enceintes de douche. À l’époque des faits reprochés, les requérantes dans l’affaire T‑379/10 RENV étaient toutes des filiales de Sanitec Europe, la requérante dans l’affaire T‑381/10 RENV, qui est également destinataire de la décision attaquée. Dans cette décision, la Commission a collectivement désigné sous le nom de « Sanitec » Sanitec Europe et ses filiales. Tout au long de la participation à l’infraction qui leur est reprochée, Allia était membre de l’Association française des industries de céramique sanitaire (ci-après l’« AFICS »), une association nationale professionnelle de fabricants d’installations sanitaires pour salles de bains en France.

7        S’agissant de la participation des requérantes à l’infraction constatée, la Commission a considéré qu’elles faisaient partie du groupe central d’entreprises et étaient conscientes, ou auraient dû raisonnablement être conscientes, que l’infraction constatée, d’une part, concernait au moins trois sous-groupes de produits, à savoir les articles de robinetterie, les enceintes de douche et les accessoires ainsi que les articles en céramique et, d’autre part, avait une portée géographique étendue, dans la mesure où elle couvrait le territoire de six États membres.

8        Aux fins du calcul de l’amende infligée à chaque entreprise, la Commission s’est fondée sur les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2). Elle a déterminé le montant de base de l’amende en précisant que ledit calcul était fondé, pour chaque entreprise, sur ses ventes par État membre concerné, multipliées par le nombre d’années de participation à l’infraction constatée dans chaque État membre et pour le sous-groupe de produits concerné, de telle sorte qu’il avait été tenu compte de ce que certaines entreprises exerçaient leurs activités uniquement dans certains États membres ou uniquement dans l’un des trois sous-groupes de produits.

9        S’agissant de la gravité de l’infraction, la Commission a fixé le coefficient à 15 %, en tenant compte de quatre critères d’appréciation de ladite infraction, à savoir la nature des agissements reprochés, les parts de marché combinées, la portée géographique de l’infraction et la mise en œuvre de celle-ci. En outre, elle a fixé le coefficient multiplicateur à appliquer, au titre de la durée de l’infraction, notamment, à 0,66 pour Allia et PCT, correspondant à une participation à l’infraction de huit mois, entre le 25 février et le 9 novembre 2004. Enfin, afin de dissuader les sociétés en cause de participer aux pratiques collusoires faisant l’objet de la décision attaquée, elle a décidé d’augmenter le montant de base de l’amende en appliquant un montant additionnel de 15 %.

10      Un montant de base s’élevant, notamment, à 10 500 000 euros pour Allia et 5 800 000 euros pour PCT en a résulté.

11      Après avoir déterminé le montant de base, la Commission a examiné l’existence de circonstances aggravantes ou atténuantes susceptibles de justifier un ajustement du montant de base. Elle n’a retenu aucune circonstance aggravante ou atténuante à l’égard des requérantes et, après l’application du plafond de 10 % du chiffre d’affaires, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), le montant de l’amende infligée aux requérantes, à l’article 2 de la décision attaquée, était de 57 690 000 euros correspondant, notamment, à un montant de 9 873 060 euros pour Sanitec Europe, à un montant de 4 579 610 euros solidairement pour Allia et Sanitec Europe et à un montant de 2 529 689 euros solidairement pour PCT, Allia et Sanitec Europe.

 Procédure devant le Tribunal et la Cour

12      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 8 septembre 2010, les requérantes ont formé deux recours tendant à l’annulation de la décision attaquée.

13      Le Tribunal a décidé de joindre lesdites affaires le 16 décembre 2010 aux fins de la phase écrite de la procédure et le 23 mars 2012 aux fins de la phase orale de la procédure et de l’arrêt.

14      À l’appui de leurs recours, les requérantes ont en substance soulevé neuf moyens.

15      Par arrêt du 16 septembre 2013, Keramag Keramische Werke e.a./Commission (T‑379/10 et T‑381/10, non publié, ci-après l’« arrêt initial », EU:T:2013:457), le Tribunal a écarté la majorité des moyens des requérantes en première instance, mais a accueilli les première et troisième branches du troisième moyen des requérantes en première instance, tirées d’erreurs d’appréciation commises par la Commission au stade de l’analyse des éléments de preuve concernant leur participation à l’infraction constatée en France et en Italie. Ayant estimé que la Commission avait erronément considéré, d’une part, qu’Allia et PCT avaient participé à l’infraction en cause et, d’autre part, que Pozzi Ginori avait participé à cette infraction entre le 10 mars 1996 et le 14 septembre 2001 dès lors que la participation de cette dernière n’a été établie à suffisance de droit qu’entre le 14 mai 1996 et le 9 mars 2001, le Tribunal a annulé la partie concernée de l’article 1er, paragraphe 1, point 6, de la décision attaquée.

16      En ce qui concerne la réduction du montant des amendes, le Tribunal, prenant en compte l’accueil partiel du troisième moyen soulevé par les requérantes, a annulé l’article 2, paragraphe 7, de la décision attaquée fixant le montant de l’amende infligée aux requérantes en première instance, pour autant qu’il dépassait 50 580 701 euros.

17      Par requête déposée au greffe de la Cour le 26 novembre 2013, la Commission a formé un pourvoi contre l’arrêt initial, en demandant à la Cour, notamment, d’annuler le point 1 du dispositif de l’arrêt initial « en ce qu’il a annulé l’article 1er de la décision attaquée relativement aux événements survenus au sein de l’AFICS et à la responsabilité d’Allia, [de] PCT et de Sanitec Europe dans lesdits événements » et le point 2 du même dispositif.

18      Les requérantes ont formé un pourvoi incident contre l’arrêt initial.

19      Par arrêt du 26 janvier 2017, Commission/Keramag Keramische Werke e.a. (C‑613/13 P, ci-après l’« arrêt sur pourvoi », EU:C:2017:49), la Cour a annulé le point 1 du dispositif de l’arrêt initial. La Cour a également annulé le point 2 de l’arrêt initial, en ce qu’il avait annulé l’article 2, paragraphe 7, de la décision attaquée, relatif au montant de l’amende imposée aux requérantes.

20      La Cour a rejeté le pourvoi pour le surplus, ainsi que le pourvoi incident, et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal.

 Procédure et conclusions après renvoi

21      À la suite de l’arrêt sur pourvoi, et conformément à l’article 217 du règlement de procédure du Tribunal, les requérantes et la Commission ont déposé des mémoires d’observations écrites au greffe du Tribunal, respectivement le 31 mars et le 4 avril 2017.

22      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure au titre de l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a adressé des questions écrites aux parties, auxquelles celles-ci ont répondu dans le délai imparti.

23      Par décision du président de la première chambre du Tribunal du 17 janvier 2018, les parties entendues, les affaires T‑379/10 RENV et T‑381/10 RENV ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure ainsi que de la décision mettant fin à l’instance, conformément à l’article 68 du règlement de procédure.

24      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er, paragraphe 1, point 6, de la décision attaquée en ce qu’il constate qu’Allia et PCT ont participé à une infraction liée à une entente sur le marché français entre le 25 février et le 9 novembre 2004 ;

–        annuler l’article 2, paragraphe 7, de la décision attaquée en ce que le montant total de l’amende qui leur est imposée dépasse 50 580 701 euros ;

–        condamner la Commission aux dépens exposés par elles dans le cadre du pourvoi et de la présente procédure ;

–        maintenir la condamnation aux dépens ordonnée aux points 4 et 5 du dispositif de l’arrêt initial.

25      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter comme non fondée la première branche du troisième moyen avancé par les requérantes, relative aux éléments de preuve concernant l’infraction commise en France ;

–        confirmer l’amende infligée aux requérantes ;

–        condamner les requérantes aux dépens relatifs, d’une part, aux procédures engagées devant le Tribunal et, d’autre part, à la procédure de pourvoi devant la Cour.

 En droit

 Sur l’objet du litige après son renvoi

26      Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé et que l’affaire est renvoyée devant le Tribunal pour qu’il statue sur le litige, celui-ci est lié par les points de droit tranchés par la décision de la Cour. Ainsi, à la suite de l’annulation par la Cour et du renvoi de l’affaire devant le Tribunal, celui-ci est saisi, en application de l’article 215 du règlement de procédure, par l’arrêt de la Cour et doit se prononcer une nouvelle fois sur l’ensemble des moyens d’annulation soulevés par la partie requérante, à l’exclusion des éléments du dispositif non annulés par la Cour ainsi que des considérations qui constituent le fondement nécessaire desdits éléments, ceux-ci étant passés en force de chose jugée (arrêt du 14 septembre 2011, Marcuccio/Commission, T‑236/02, EU:T:2011:465, point 83).

27      En l’espèce, l’arrêt sur pourvoi ayant rejeté le pourvoi incident introduit par les requérantes, l’arrêt initial est devenu définitif dans la mesure où il portait rejet des demandes et des moyens des requérantes.

28      Il incombe donc au Tribunal de prendre une nouvelle décision sur la partie de l’arrêt initial annulée en pourvoi, à savoir la question de savoir si Allia et PCT ont participé à l’infraction constatée par la décision attaquée.

29      Par ailleurs, dans la mesure où le point 1 du dispositif de l’arrêt sur pourvoi annule sans restriction le point 1 du dispositif de l’arrêt initial, il convient, au regard, d’une part, des conclusions formulées par la Commission en pourvoi (voir point 17 ci-dessus) et, d’autre part, du principe ne ultra petita, d’interpréter cette annulation comme ne portant que sur la partie du point 1 du dispositif de l’arrêt initial relatif à la participation à l’infraction d’Allia et de PCT. Dans leurs réponses aux questions écrites du Tribunal, les parties se sont ralliées à cette interprétation.

30      Partant, l’objet du litige ne porte plus que sur l’analyse par le Tribunal, dans le cadre du troisième moyen soulevé par les requérantes, tiré d’erreurs de droit et d’appréciation, des éléments de preuve relatifs à la participation à l’infraction d’Allia et de PCT concernant les accords sur les prix des articles de céramique, au sein de l’AFICS, manifestée en particulier par la réunion de l’AFICS du 25 février 2004. Ensuite, le Tribunal devra tirer les éventuelles conséquences de ses constatations, s’agissant du montant de l’amende infligée à Allia, à PCT et à Sanitec Europe.

31      Enfin, il y a lieu de relever que, par son chef de conclusions tendant à obtenir la confirmation de l’amende infligée aux requérantes, la Commission cherche à obtenir le rejet des recours, ainsi qu’elle l’avait conclu dans le cadre de ces derniers [voir, par analogie, arrêt du 22 janvier 2013, Budějovický Budvar/OHMI – Anheuser-Busch (BUD), T‑225/06 RENV, T‑255/06 RENV, T‑257/06 RENV et T‑309/06 RENV, EU:T:2013:31, point 37].

 Sur le fond

32      Il ressort des considérants 572, 587 et 588 de la décision attaquée que, pour constater le caractère anticoncurrentiel de la réunion de l’AFICS du 25 février 2004, la Commission s’est en particulier fondée sur la déclaration du groupe Ideal Standard au titre de sa demande de clémence (ci-après la « déclaration d’Ideal Standard »), complétée, d’une part, par un tableau créé par son représentant à la suite de ladite réunion (ci-après le « tableau d’Ideal Standard ») et, d’autre part, par des statistiques, établies par l’AFICS aux mois de juillet et d’août 2004, rendant compte de l’évolution des ventes et des prix réalisés par chacun de ses membres (ci-après les « statistiques de l’AFICS »), ainsi que sur la déclaration du groupe Roca au titre de sa demande de clémence (ci-après la « déclaration de Roca »).

33      À propos de ces éléments de preuve, la Cour a relevé des erreurs commises par le Tribunal portant sur, premièrement, l’appréciation de la déclaration de Roca, deuxièmement, l’appréciation du tableau d’Ideal Standard, troisièmement, l’appréciation des statistiques de l’AFICS et, quatrièmement, la vérification du fait que les éléments de preuve, examinés de façon globale, pouvaient se renforcer mutuellement. Il appartient donc au Tribunal de réexaminer la force probante desdits éléments de preuve, individuellement et de manière globale, afin de déterminer si c’est à juste titre que la Commission a conclu à la participation d’Allia et de PCT à une infraction en France entre le 25 février et le 9 novembre 2004.

34      Les requérantes soutiennent que, à la suite d’un tel réexamen, statuant sur renvoi, le Tribunal doit réitérer les constatations faites dans l’arrêt initial au sujet de l’absence de preuve suffisante d’une infraction commise en France, si besoin est en complétant sa motivation. En effet, selon elles, les critiques exprimées par la Cour ne concernent que le caractère succinct de la motivation de l’arrêt initial et non son bien-fondé.

35      La Commission est d’avis que l’examen du Tribunal devra confirmer les conclusions formulées aux considérants 556 à 590 de la décision attaquée. En outre, et en tout état de cause, la Commission estime que les principes d’égalité de traitement et d’autorité de la chose jugée imposent que la solution du présent litige soit conforme aux arrêts du 16 septembre 2013, Roca/Commission (T‑412/10, EU:T:2013:444), du 16 septembre 2013, Villeroy & Boch Austria/Commission (T‑373/10 et T‑374/10, non publié, EU:T:2013:455), et du 16 septembre 2013, Duravit e.a./Commission (T‑364/10, non publié, EU:T:2013:477), dans lesquels le Tribunal, sur le fondement des mêmes éléments de preuve, aurait conclu que des discussions collusoires avaient eu lieu lors de la réunion de l’AFICS du 25 février 2004.

 Sur la déclaration d’Ideal Standard et sur le tableau d’Ideal Standard

36      Il ressort du considérant 572 de la décision attaquée qu’Ideal Standard a expliqué, notamment, que, lors de la réunion de l’AFICS du 25 février 2004, les participants avaient examiné un graphique élaboré par l’AFICS et montrant les prix minimaux et maximaux appliqués sur le marché pour six produits standard. Les participants, dont Allia, auraient examiné ces chiffres et auraient convenu, après discussion, d’appliquer une hausse de 3 % sur les prix « catalogue » de tous les produits.

37      La Cour a reproché au Tribunal, aux points 53 à 55 de l’arrêt sur pourvoi, d’avoir soumis le tableau d’Ideal Standard à des exigences telles que, si elles étaient remplies, ce tableau aurait, à lui seul, constitué un élément de preuve suffisant pour démontrer la fixation de prix et d’avoir omis d’examiner si les éléments de preuve, examinés de façon globale, pouvaient se renforcer mutuellement.

38      Les requérantes font valoir que c’est à bon droit que, dans l’arrêt initial, le Tribunal a exigé un lien entre le tableau d’Ideal Standard et la réunion du 25 février 2004 pour que ce tableau puisse corroborer l’affirmation d’Ideal Standard concernant les discussions qui ont eu lieu au cours de cette réunion. Les éléments énumérés au point 119 de l’arrêt initial seraient des raisons valables pour lesquelles ce tableau ne suffit pas à corroborer la déclaration d’Ideal Standard. Par ailleurs, ce tableau ayant été élaboré « ultérieurement », selon la déclaration d’Ideal Standard, il n’aurait pas de valeur probante dépassant celle de ladite déclaration.

39      La Commission soutient que le tableau d’Ideal Standard, ajouté aux explications fournies, constitue un élément de preuve corroboratif pouvant venir à l’appui d’autres éléments de preuve, compte tenu notamment des explications très claires et précises fournies par Ideal Standard sur les circonstances entourant sa rédaction, son auteur et sa date.

40      Il convient de relever, à cet égard, que le tableau d’Ideal Standard porte l’intitulé « COMPARAZIONE PREZZI (fourchette mini-maxi) » et comprend quatre colonnes intitulées respectivement « mini », « maxi », « IS » et « Porcher », étant entendu que le sigle IS est celui d’Ideal Standard et que le signe Porcher est enregistré en tant que marque dont le titulaire est Ideal Standard. Il ressort des considérants 714 à 726 de la décision attaquée qui portent sur les faits constatés par la Commission sur le territoire de la France que la marque Porcher était distribuée par Ideal Standard sur le marché français. Par ailleurs, le tableau comporte six lignes correspondant à différentes catégories de produits en céramique, indiquées en langue italienne.

41      Ainsi que le Tribunal l’a constaté au point 119 de l’arrêt initial, le tableau d’Ideal Standard n’est pas daté, ne comprend aucune indication susceptible de le relier à la réunion de l’AFICS du 25 février 2004 ou à des discussions anticoncurrentielles et ne mentionne pas de noms de concurrents ou de prix minimaux ou maximaux que ces concurrents devraient appliquer. La seule information qui découle avec certitude du document lui-même est que les prix des marques Ideal Standard et Porcher, commercialisées par Ideal Standard, se situaient à des niveaux différents, à l’intérieur d’une fourchette. En revanche, il n’est pas précisé à quelle époque ces chiffres se réfèrent, ni s’il s’agit de statistiques sur les ventes passées ou d’une ligne directrice pour le futur.

42      Ce ne sont que les renseignements fournis dans la déclaration d’Ideal Standard qui permettent de mettre en contexte le tableau avec les violations du droit de la concurrence alléguées par Ideal Standard, à savoir le fait que le tableau a été établi à la suite de la réunion du 25 février 2004 par le représentant d’Ideal Standard présent lors de cette réunion et par son supérieur et qu’il reprend pour usage interne les décisions prises lors de ladite réunion, s’agissant des lignes de produits commercialisées par Ideal Standard.

43      En réalité, le tableau d’Ideal Standard puise donc sa valeur indicative dans la déclaration d’Ideal Standard et sa valeur probante procède de ladite déclaration. Dans ces circonstances, ainsi que le font valoir les requérantes, la valeur probante du tableau ne dépasse pas celle de la déclaration d’Ideal Standard et il doit donc être considéré comme faisant partie de cette déclaration et non comme un élément la corroborant.

 Sur la qualité corroborative de la déclaration de Roca

44      La Cour a reproché au Tribunal, aux points 41 et 42 de l’arrêt sur pourvoi, d’avoir dénié toute valeur probante à la déclaration de Roca, en se fondant exclusivement sur le considérant 586 de la décision attaquée, qui résume une autre pièce, sans examiner le considérant 556 de la décision attaquée qui se rapporte à cette déclaration, ni même le contenu de celle-ci.

45      Les requérantes soutiennent que la déclaration d’Ideal Standard ne pouvait pas à elle seule fonder la constatation d’une infraction et considèrent qu’un degré élevé de corroboration était nécessaire étant donné que cette déclaration contenait des incohérences. Les requérantes soutiennent également que le Tribunal avait eu raison de ne pas prendre en considération la déclaration de Roca pour corroborer la déclaration d’Ideal Standard, puisque Roca avait renié sa déclaration de clémence au cours de la procédure.

46      La Commission fait valoir que la déclaration de Roca est suffisamment précise pour corroborer les informations données par Ideal Standard concernant la nature anticoncurrentielle de la réunion de l’AFICS du 25 février 2004.

47      En premier lieu, à cet égard, ainsi que le Tribunal l’a constaté aux points 117 et 118 de l’arrêt initial, confirmé en cela par la Cour aux points 29 et 30 de l’arrêt sur pourvoi, la déclaration d’Ideal Standard, contestée par d’autres entreprises, devait être confirmée par d’autres éléments de preuve, afin que le caractère anticoncurrentiel de la réunion du 25 février 2004 puisse être démontré.

48      À cet égard, il convient de rejeter l’allégation des requérantes, formulée lors de l’audience, selon laquelle la corroboration doit porter concrètement sur le caractère anticoncurrentiel de la réunion de l’AFICS du 25 février 2004. En effet, l’infraction qui est reprochée aux requérantes, pour autant qu’elle fait l’objet du présent recours, consiste en la coordination des prix des produits en céramique bas de gamme entre le 25 février et le 9 novembre 2004, dans le cadre de l’AFICS.

49      En tant qu’élément de preuve de cette infraction, la déclaration d’Ideal Standard, qui rapporte les discussions et décisions sur les prix intervenues lors de la réunion du 25 février 2004, peut donc être corroborée par tout élément de preuve indiquant ou crédibilisant l’existence d’une coordination sur les prix entre le 25 février le 9 novembre 2004.

50      En deuxième lieu, s’agissant de la déclaration de Roca, il ressort du considérant 556 de la décision attaquée que cette entreprise a indiqué, notamment, que les fabricants d’articles en céramique avaient régulièrement discuté des prix ou des hausses de prix pendant plusieurs années, les réunions ayant lieu au moins deux ou trois fois par an. En outre, il ressort du considérant 573 de la décision attaquée que Roca a indiqué que les membres de l’AFICS avaient cherché à enrayer la tendance à la baisse des prix des produits bas de gamme, soit au moyen d’une augmentation des prix de 3 %, soit en introduisant des prix planchers, par exemple un prix minimal de 15 euros pour un lavabo à un moment donné. L’exactitude de ce résumé, par la Commission, de la déclaration de Roca n’a pas été contestée par les requérantes.

51      En troisième lieu, il convient de constater, à cet égard, que, si la déclaration de Roca ne contient aucune référence à la réunion de l’AFICS du 25 février 2004, elle confirme néanmoins, de manière générale, que des discussions sur les prix ont régulièrement eu lieu au sein de l’AFICS. De plus, elle mentionne l’instrument des prix planchers ainsi qu’une décision sur une augmentation des prix de 3 %, pour les produits bas de gamme, ce qui recoupe au moins une partie des indications données par Ideal Standard (qui concernaient l’ensemble des produits). Or, précisément, dans sa conclusion sur la coordination des prix en France, figurant au considérant 590 de la décision attaquée, la Commission a constaté une coordination des prix, dans le secteur des articles en céramique, uniquement pour les produits bas de gamme.

52      Dans ces conditions, il convient de considérer que la déclaration de Roca, bien qu’elle soit, à certains égards, moins précise que celle d’Ideal Standard, ne contredit pas cette dernière et, au contraire, la confirme sur des points importants. Dès lors, sur ces points et, en particulier, sur le fait que des discussions sur les prix des produits et, notamment, ceux des produits bas de gamme ont régulièrement eu lieu pendant plusieurs années ainsi que sur le fait qu’une augmentation de 3 % a pu être décidée lors des réunions, elle peut servir d’élément corroborant la déclaration d’Ideal Standard.

 Sur les statistiques de l’AFICS

53      La Cour a reproché au Tribunal, au point 64 de l’arrêt sur pourvoi, de ne pas avoir examiné si les statistiques de l’AFICS permettaient, comme le soutenait expressément la Commission, de corroborer les déclarations d’Ideal Standard et de Roca.

54      Les requérantes font valoir que les statistiques de l’AFICS ne prouvent pas qu’une discussion sur les prix aurait eu lieu lors de la réunion du 25 février 2004, étant donné, notamment, qu’elles datent du 1er octobre 2004 et qu’elles contiennent des données des mois de juillet et d’août 2004 qui ne présentent pas de caractère anticoncurrentiel.

55      La Commission soutient que les statistiques de l’AFICS constituent des preuves concordantes importantes qui justifient les constatations de la décision attaquée.

56      À cet égard, il convient de relever que, sous forme de tableaux, datés du 1er octobre 2004, les statistiques de l’AFICS contiennent, pour chacun des membres de l’AFICS, ainsi que de manière agrégée pour l’ensemble des membres, des données, pour les mois de juillet et d’août 2004 et de manière cumulée pour l’année 2004, relatives à deux sous-groupes de produits, à savoir, d’une part, le « Grès Incluant Receveurs et éviers » et, d’autre part, la « Porc. G.F. » (Porcelaine Grès fin). Selon les indications concordantes des parties, ces deux sous-groupes couvraient, respectivement, les produits en céramique plutôt grands (receveurs de douche, éviers de cuisine, plateaux en céramique pour meubles de salle de bains) et les produits sanitaires plus petits (cuvettes de toilettes, lavabos et socles), qui étaient généralement fabriqués dans des usines différentes. Pour chacun de ces sous-groupes de produits, sont indiqués les quantités de production, les quantités et la valeur des livraisons sur le marché français et l’exportation hors de France, les prix unitaires pratiqués et l’évolution de ces données par rapport aux mêmes mois de l’année 2003. En diagonale de chaque page figure la mention « CONFIDENTIEL À NE PAS DIFFUSER HORS AFICS ».

57      Il y a lieu de constater que le fait que ces données aient pu être rassemblées et diffusées au sein de l’AFICS, en tant qu’organisation nationale professionnelle, démontre l’existence, sur une période prolongée, d’un échange régulier de données commerciales sensibles, permettant à chacun des membres de l’AFICS de se rendre compte des quantités produites et vendues par ses concurrents, lui permettant de calculer sa propre part de marché globale, de suivre le chiffre d’affaires réalisé par ses concurrents et de surveiller, de manière agrégée, mais précise, l’évolution des ventes et des prix sur le marché. Force est de constater qu’un tel échange de données commerciales sensibles, sans raison légitime apparente, dépasse les limites d’un comportement concurrentiel normal.

58      Dans ces circonstances, et même s’il est vrai que, ainsi que la Commission l’admet, les statistiques de l’AFICS ne prouvent pas qu’une discussion sur les prix ait eu lieu lors de la réunion du 25 février 2004, elles démontrent qu’une coordination des prix a eu lieu au cours de l’année 2004 et doivent donc être considérées comme un élément corroborant les déclarations d’Ideal Standard en ce sens.

 Sur l’appréciation globale des éléments de preuve

59      La Cour a reproché au Tribunal, au point 69 de l’arrêt sur pourvoi, d’avoir omis de vérifier si les éléments de preuve, examinés de façon globale, pouvaient se renforcer mutuellement.

60      Les requérantes réaffirment que les critiques exprimées par la Cour concernaient l’étendue du raisonnement exposé dans l’arrêt initial. Selon elles, les conclusions du Tribunal, dans l’arrêt initial, sur les éléments de preuve figurant dans le dossier étaient fondées. Ces éléments étant restés les mêmes, le Tribunal devrait maintenant aboutir à la même conclusion, si besoin est en complétant sa motivation.

61      La Commission soutient que la réunion des différents éléments de preuve démontre l’existence d’une discussion sur les prix lors de la réunion de l’AFICS du 25 février 2004.

62      Dans le cadre de l’appréciation globale des éléments de preuve, il convient d’examiner si ces éléments, pris dans leur ensemble, justifiaient la conclusion de la Commission, découlant des considérants 556, 590, 1149 et 1170 de la décision attaquée, selon laquelle les fabricants d’articles en céramique dans le secteur des installations sanitaires pour salles de bains en France – dont Allia et sa filiale PCT – ont, entre le 15 février et le 9 novembre 2004, coordonné leurs prix minimaux pour les produits bas de gamme dans le cadre de l’AFICS.

63      Il convient de relever, à cet égard, que la déclaration d’Ideal Standard, selon laquelle, notamment, la réunion de l’AFICS du 25 février 2004 a donné lieu à une discussion sur les prix et à une décision d’augmenter ces derniers de 3 %, a été corroborée par la déclaration de Roca, qui a affirmé, de manière plus générale, que des discussions sur les prix et, notamment, ceux des produits bas de gamme avaient régulièrement eu lieu pendant plusieurs années au sein de l’AFICS. En particulier, Roca a fait référence, à titre d’exemple, à l’augmentation de 3 % des prix minimaux pour certains produits et à l’application de prix planchers. En outre, les statistiques de l’AFICS démontrent qu’une coordination des prix, au sein de l’AFICS, a eu lieu au moins au cours de l’année 2004 et corroborent donc également les déclarations d’Ideal Standard à cet égard. Il y a lieu de souligner, eu outre, que ces statistiques constituent des documents contemporains, datés et dont l’auteur (l’AFICS) est connu, et qu’elles présentent donc une valeur probante élevée.

64      Il s’ensuit que les éléments susvisés, dans leur ensemble, confirment la conclusion tirée par la Commission dans la décision attaquée, résumée au point 61 ci-dessus.

65      Partant, il convient de rejeter le troisième moyen soulevé par les requérantes.

66      Par conséquent, il y a lieu de rejeter le recours, pour autant qu’il subsiste dans le cadre de la présente procédure sur renvoi, dans son intégralité.

 Sur les dépens

67      Selon l’article 219 du règlement de procédure, dans les décisions du Tribunal rendues après annulation et renvoi, celui-ci statue sur les dépens relatifs, d’une part, aux procédures engagées devant le Tribunal et, d’autre part, à la procédure de pourvoi devant la Cour. Toutefois, en l’espèce, l’arrêt sur pourvoi n’ayant pas annulé l’arrêt initial en ce qui concerne la décision sur les dépens, la présente procédure ne porte plus sur les dépens relatifs à la procédure dans les affaires T‑379/10 et T‑381/10.

68      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie succombe, elle est condamnée aux dépens. Conformément à l’article 134, paragraphe 3, du même règlement, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre.

69      Eu égard aux circonstances de l’espèce, les requérantes ayant succombé pour l’essentiel en pourvoi et dans le cadre de la procédure sur renvoi, il y a lieu de décider qu’elles supporteront l’intégralité de leurs propres dépens ainsi que l’intégralité des dépens de la Commission exposés devant la Cour et le Tribunal dans les affaires C‑613/13 P, T‑379/10 RENV et T‑381/10 RENV.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Keramag Keramische Werke GmbHet les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe supporteront, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne dans les affaires C613/13 P, T379/10 RENV et T381/10 RENV.

Pelikánová

Nihoul

Svenningsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 juillet 2018.

Signatures



*      Langue de procédure : l’anglais.