ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
9 juillet 1997(1)
[234s«Agriculture Organisation commune des marchés dans le secteur des viandes
ovine et caprine Prime variable à l'abattage des ovins Conditions de
remboursement du clawback Principe de sécurité juridique Principe de
protection de la confiance légitime Principe de proportionnalité»[s
Dans l'affaire T-455/93,
Hedley Lomas (Ireland) Ltd, société de droit irlandais, établie à Dublin,
Sharpbond Trading Ltd, société de droit anglais, établie à Stratford-sur-Avon
(Royaume-Uni),
J. & S. A. Wood (Livestock Exports) Ltd, société de droit anglais, établie à
Redditch, (Royaume-Uni),
J. & S. A. Wood, établie à Redditch,
Lesley Dorothy Joan Mills, domiciliée à Framlingham (Royaume-Uni),
Live Sheep Traders Ltd, société de droit anglais, établie à Framlingham,
Livestock Sales Transport Ltd, société de droit anglais, établie à Framlingham,
Peter Ziokowski, domicilié à Folkestone (Royaume-Uni),
Brigstock Farms Ltd, société de droit anglais, établie à Londres,
K. A. & S. B. M. Feakins, établie à Llancloudy (Royaume-Uni),
Deaconvale Ltd, société de droit anglais, établie à Gloucester (Royaume-Uni),
représentés par M. Conor Quigley, barrister, du barreau d'Angleterre et du pays
de Galles, mandaté par M. A. M. Burstow, solicitor à Crawley, ayant élu domicile
à Luxembourg en l'étude de Me Jean-Marie Bauler, 42, Grand-rue,
parties requérantes,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Thomas Van
Rijn et Christopher Docksey, membres du service juridique, en qualité d'agents,
assistés de Mme Philippa Watson, barrister, du barreau d'Angleterre et du pays de
Galles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz,
membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
soutenue par
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté par M. J. E.
Collins, du Treasury Solicitor's Department, assisté de M. Gerald Barling, QC, du
barreau d'Angleterre et du pays de Galles, ayant élu domicile à Luxembourg au
siège de l'ambassade du Royaume-Uni, 14, boulevard Roosevelt,
partie intervenante,
ayant pour objet une demande d'annulation de l'article 2 du règlement (CEE)
n° 1922/92 de la Commission, du 13 juillet 1992, modifiant le règlement (CEE)
n° 1633/84 portant modalités d'application de la prime variable à l'abattage des
ovins et abrogeant le règlement (CEE) n° 2661/80 et déterminant les conditions du
remboursement du clawback à la suite de l'arrêt rendu par la Cour de justice dans
les affaires jointes C-38/90 et C-151/90 (JO L 195, p. 10),
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),
composé de M. K. Lenaerts, président, Mme P. Lindh et M. J. D. Cooke, juges,
greffier: M. J. Palacio González, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 21 novembre 1996,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique et faits à l'origine du litige
- L'organisation commune des marchés dans le secteur des viandes ovine et caprine
a été instituée par le règlement (CEE) n° 1837/80 du Conseil, du 27 juin 1980
(JO L 183, p. 1, ci-après «règlement n° 1837/80»).
- L'article 9 de ce règlement, dans sa rédaction résultant du règlement (CEE)
n° 871/84 du Conseil, du 31 mars 1984 (JO L 90, p. 35), habilitait le Royaume-Uni
à octroyer une prime variable à l'abattage des ovins.
- Pour empêcher que le paiement de cette prime ne perturbât le commerce
interétatique et ne faussât la concurrence entre les producteurs des différentes
régions, le paragraphe 3 de cet article prévoyait, en cas de paiement de la prime
pour de tels produits, l'adoption de mesures permettant de percevoir un montant
équivalent communément désigné par le terme «clawback» à l'exportation des
produits à partir de l'État membre concerné.
- Le règlement (CEE) n° 1633/84 de la Commission, du 8 juin 1984, portant
modalités d'application de la prime variable à l'abattage des ovins et abrogeant le
règlement (CEE) n° 2661/80 (JO L 154, p. 27, ci-après «règlement n° 1633/84») a
fixé les modalités de calcul et de perception du clawback.
- L'article 4, paragraphes 1 et 2, de ce règlement disposait:
«1. Pour le Royaume-Uni, le montant à percevoir à la sortie de la région 5,
lorsque la prime est octroyée, des produits visés à l'article 1er, [sous] a) et c), du
règlement (CEE) n° 1837/80, conformément à l'article 9, paragraphe 3, de ce même
règlement, est fixé chaque semaine par la Commission. Ce montant est équivalent
à celui de la prime fixée conformément à l'article 3, paragraphe 1, pour la semaine
au cours de laquelle la sortie des produits concernés a lieu.
2. Lors de la sortie du territoire de la région 5 des produits visés à l'article 1er,
[sous] a) et c), du règlement (CEE) n° 1837/80, une caution est constituée. Cette
caution est fixée par le Royaume-Uni à un niveau suffisant pour couvrir le montant
dû conformément au paragraphe 1 et au moins égal au montant prévisible de la
prime pour la semaine précédant celle au cours de laquelle la sortie a lieu. Cette
caution est libérée dès que le montant visé au paragraphe 1 a été payé.»
- Le règlement (CEE) n° 3013/89 du Conseil, du 25 septembre 1989, portant
organisation commune des marchés dans le secteur des viandes ovine et caprine
(JO L 289, p. 1, ci-après «règlement n° 3013/89», applicable à compter du 1er
janvier 1990, a abrogé le règlement n° 1837/80 et institué une nouvelle organisation
commune. Ce règlement établissait un marché unique, sous réserve de certaines
dispositions transitoires. Celles-ci comportaient en particulier une habilitation du
Royaume-Uni à accorder une prime d'abattage variable jusqu'à la fin de la
campagne de commercialisation 1992. L'article 9, paragraphe 3, du règlement
n° 1837/80, dans sa version modifiée, était remplacé, dans des termes identiques en
substance, par l'article 24, paragraphe 5, du règlement n° 3013/89. En cas de
paiement de la prime, le clawback devait être perçu sur la viande quittant le
Royaume-Uni.
- Auparavant, le règlement (CEE) n° 3246/91 de la Commission, du 7 novembre
1991, autorisant le Royaume-Uni à ne plus octroyer en Grande-Bretagne une prime
variable à l'abattage des ovins et dérogeant au règlement n° 1633/84 (JO L 307,
p. 16), avait permis la suppression de la prime à compter du début de la campagne
de commercialisation 1992.
- En 1990, la Cour a été saisie de questions préjudicielles concernant la validité de
l'article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1633/84.
- Dans son arrêt du 10 mars 1992, Lomas e.a. (C-38/90 et C-151/90, Rec. p. I-1781,
ci-après «arrêt Lomas»), elle a dit pour droit:
«1) L'article 4, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1633/84 de la Commission,
du 8 juin 1984, portant modalités d'application de la prime variable à
l'abattage des ovins et abrogeant le règlement (CEE) n° 2661/80, est
invalide en ce que, en prévoyant la perception, au titre du clawback, d'un
montant qui, dans la généralité des cas, ne correspond pas exactement à
celui de la prime à l'abattage effectivement octroyée, la Commission a
excédé les pouvoirs qui lui ont été conférés par l'article 9, paragraphe 3, du
règlement (CEE) n° 1837/80 du Conseil, du 27 juin 1980, portant
organisation commune des marchés dans le secteur des viandes ovine et
caprine, tel que modifié par le règlement (CEE) n° 871/84 du Conseil, du
31 mars 1984. L'article 4, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1633/84 est
dès lors également invalide, en ce qu'il impose la constitution d'une caution
destinée à garantir la perception du montant dû au titre du paragraphe 1
de cette disposition.
2) La constatation d'invalidité de l'article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement
(CEE) n° 1633/84 ne peut être invoquée avec effet à une date antérieure
à celle du présent arrêt, exception faite pour les opérateurs économiques
ou leurs ayants droit qui ont, avant cette date, engagé une action en justice
ou soulevé une réclamation équivalente selon le droit national applicable.
3) Le Royaume-Uni est obligé par le droit communautaire d'exiger la
production de documents relatifs aux opérations d'exportation d'ovins ou de
viande ovine soumises au paiement du clawback et d'appliquer des sanctions
effectives aux opérateurs qui feraient des déclarations fausses dans de tels
documents.»
- La Commission a alors adopté le règlement (CEE) n° 1922/92, du 13 juillet 1992,
modifiant le règlement n° 1633/84 et déterminant les conditions du remboursement
du clawback, à la suite de l'arrêt rendu par la Cour de justice dans les affaires
jointes C-38/90 et C-151/90 (JO L 195, p. 10, ci-après «règlement n° 1922/92» ou
«règlement litigieux»).
- L'article 1er, point 1, de ce règlement a remplacé l'article 4, paragraphe 1, du
règlement n° 1633/84 par le texte suivant:
«1. Pour le Royaume-Uni, le montant du clawback à percevoir à la sortie de la
région 1 des produits visés à l'article 1er, [sous] a) et c), du règlement (CEE)
n° 3013/89, conformément à l'article 24, paragraphe 5, de ce même règlement, est
équivalent à celui de la prime fixée conformément à l'article 3, paragraphe 1, du
présent règlement et effectivement accordée pour les mêmes produits soumis au
clawback précité.
A la demande du négociant, le clawback est fixé à un montant égal à la moyenne
des primes fixées pour la semaine de sortie des produits et les trois semaines
précédentes.
Les négociants indiquent, dans les vingt-huit jours suivant la notification par les
autorités compétentes du Royaume-Uni, l'option sur la base de laquelle ils ont
l'intention de procéder. L'option retenue s'applique à l'intégralité du clawback
auquel le négociant est assujetti.
Dans le cas de la première option, le négociant fournit simultanément des preuves
satisfaisantes pour les autorités compétentes du Royaume-Uni du montant de la
prime effectivement accordée pour les produits soumis audit clawback. Le délai
d'administration de la preuve est étendu de soixante jours par lesdites autorités.
Dans le cas de la seconde option, les autorités compétentes du Royaume-Uni
notifient aux négociants le montant du clawback calculé conformément au
deuxième alinéa.
Si l'option retenue n'est pas indiquée dans les vingt-huit jours ou si, dans le cas de
la première option, les preuves ne sont pas administrées dans le délai
supplémentaire de soixante jours, la caution reste acquise dans son intégralité.»
- L'article 2, qui est la disposition contestée dans la présente procédure (ci-après
«article litigieux»), est rédigé dans les termes suivants:
«1. Les autorités nationales compétentes remboursent, dans les délais et selon
la procédure prévus par la législation nationale en la matière, la différence entre
le clawback payé et le montant de la prime fixée conformément aux dispositions
de l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1633/84 effectivement reçu
pour les mêmes produits, aux négociants ou à leurs mandataires qui, avant l'arrêt
rendu le 10 mars 1992 par la Cour de justice dans les affaires jointes C-38/90 et C-151/90, avaient entamé une procédure ou déposé une plainte équivalente,
conformément aux dispositions de la législation nationale applicable, contre la
méthode de calcul du montant du clawback visée à l'article 4, paragraphe 1, du
règlement précité.
A la demande du négociant, le remboursement peut également porter sur la
différence entre le clawback effectivement payé et le montant moyen des primes
fixées pour la semaine de sortie des produits et les trois semaines précédentes.
2. Avant le 30 novembre 1992, les personnes visées au paragraphe 1
communiquent aux autorités compétentes du Royaume-Uni:
la date à partir de laquelle leur demande est faite,
le montant du clawback payé à compter de cette date jusqu'au 10 mars
1992
et
à moins qu'ils aient émis une demande au titre du paragraphe 1, deuxième
alinéa, le montant de la prime effectivement reçu pour les mêmes produitssoumis audit clawback,
et produisent des preuves satisfaisantes pour les autorités compétentes du
Royaume-Uni étayant les informations précitées.
3. Avant le 31 décembre 1992, les autorités compétentes du Royaume-Uni
communiquent à la Commission le nombre de demandes de remboursement
présentées en vertu du paragraphe 1 et fournissent pour chaque cas des
informations détaillées sur la période concernée et le montant du remboursement
demandé.»
- L'activité des requérants dans la présente affaire consiste à exporter de la viande
ovine à partir du Royaume-Uni et, en particulier, du bétail sur pied. A différentes
dates entre 1980 et 1992, ils ont versé certains montants à l'autorité compétente au
Royaume-Uni pour gérer le régime des primes variables à l'abattage, à savoir
l'Intervention Board for Agricultural Produce (organisme d'intervention pour les
produits agricoles, ci-après «organisme d'intervention»). Ces versements ont été
effectués sur la base de factures représentant des montants du clawback calculés
par l'organisme d'intervention et fondés sur les déclarations en douane des
requérants portant sur les quantités et les catégories d'ovins exportées. En raison
de l'arrêt Lomas, les factures encore en instance au 10 mars 1992 n'ont pas été
acquittées par les requérants. Ceux-ci avaient entamé un recours avant le 10 mars
1992, date dudit arrêt, demandant le remboursement des sommes payées en
application de l'article 4 du règlement n° 1633/84.
- En 1994, la Cour a été saisie d'une nouvelle série de questions préjudicielles au
titre de l'article 177 du traité CE, en ce qui concerne la validité et l'interprétation
de l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1633/84, tel que modifié par le
règlement n° 1922/92.
- Par arrêt du 8 février 1996, FMC e.a. (C-212/94, Rec. p. I-389, ci-après «arrêt
FMC»), elle a dit pour droit:
«1) L'examen des questions n'a fait apparaître aucun élément de nature à
affecter la validité de l'article 4, paragraphe 1, du règlement (CEE)
n° 1633/84 de la Commission, du 8 juin 1984, portant modalités
d'application de la prime variable à l'abattage des ovins et abrogeant le
règlement (CEE) n° 2661/80, tel que modifié par l'article 1er du règlement
(CEE) n° 1922/92 de la Commission, du 13 juillet 1992, modifiant le
règlement n° 1633/84 et déterminant les conditions du remboursement du
clawback à la suite de l'arrêt rendu par la Cour de justice dans les affaires
jointes C-38/90 et C-151/90, ainsi que de l'article 2 du règlement n° 1922/92.
2) L'exigence de preuve énoncée à l'article 4, paragraphe 1, du règlement
n° 1633/84, précité, tel que modifié par l'article 1er du règlement n° 1922/92,
précité, et à l'article 2 de ce dernier règlement doit être interprétée en ce
sens que les négociants sont tenus de prouver à la satisfaction des autorités
compétentes du Royaume-Uni, conformément au droit national et dans le
délai spécifié par le règlement n° 1922/92, le montant de la prime
effectivement octroyée pour les produits soumis au clawback, à condition
que les règles nationales applicables n'affectent pas la portée et l'efficacité
du droit communautaire.
3) S'agissant des demandes de remboursement du clawback indûment versé
avant le 10 mars 1992, le point 30 de l'arrêt du 10 mars 1992, Lomas e.a.
(C-38/90 et C-151/90), doit être interprété en ce sens qu'il permet aux
opérateurs ou à leurs ayants droit qui ont, avant cette date, engagé une
action en justice ou soulevé une réclamation équivalente selon le droit
national applicable, d'invoquer l'invalidité de l'article 4, paragraphes 1 et 2,
du règlement n° 1633/84, précité, à compter de son entrée en vigueur, sous
réserve de l'application, dans les limites imposées par le droit
communautaire, d'éventuelles dispositions nationales limitant la période
préalable à l'introduction de la demande, pour laquelle le remboursement
de l'indu peut être obtenu.
4) Pour les points non réglés par l'article 2 du règlement n° 1922/92, précité,
les juridictions nationales appelées à se prononcer sur une demande de
remboursement du clawback indûment perçu doivent faire application de
leur droit national, pour autant que les modalités prévues par celui-ci ne
sont pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de
nature interne et qu'elles ne sont pas aménagées de manière à rendre en
pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés
par l'ordre juridique communautaire.»
Procédure et conclusions des parties
- Le présent recours a été enregistré au greffe de la Cour le 11 septembre 1992 sous
le numéro C-356/92 et la procédure écrite s'est déroulée devant la Cour. Deux
autres recours ont été enregistrés au greffe de la Cour le 11 septembre 1992, sous
les numéros C-355/92 et C-357/92. Une quatrième affaire l'a été le 24 septembre
1992 sous le numéro C-370/92.
- Par ordonnance du 3 novembre 1992, les quatre affaires ont été jointes aux fins de
la procédure et de l'arrêt.
- Par ordonnance du président de la Cour du 18 mars 1993, le Royaume-Uni a été
autorisé à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission.
- Par suite de l'entrée en vigueur, le 1er août 1993, de la décision 93/350/Euratom,
CECA, CEE, du 8 juin 1993, modifiant la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom,
instituant le Tribunal de première instance des Communautés européennes
(JO L 144, p. 21), les affaires jointes ont été transférées au Tribunal par
ordonnance de la Cour du 27 septembre 1993. Elles ont été enregistrées au greffe
du Tribunal respectivement sous les numéros T-455/93, T-454/93, T-456/93 et
T-457/93.
- Par lettre du 6 juin 1994, les parties requérantes dans les affaires T-455/93, T-456/93 et T-457/93 ont demandé que la procédure fût suspendue dans l'attente de
l'arrêt de la Cour à intervenir sur la demande de décision préjudicielle C-212/94
(arrêt FMC). Les procédures dans les quatre affaires ont été suspendues par
ordonnance du Tribunal du 25 octobre 1994.
- A la suite du prononcé de l'arrêt FMC, le 8 février 1996, le Tribunal a demandé,
par lettre du 26 mars 1996, que les parties présentent leurs observations sur la
reprise de la procédure.
- Le 24 avril 1996, la Commission a présenté ses observations, faisant valoir que les
requérants n'avaient pas d'intérêt à la poursuite de la procédure, puisque leurs
arguments avaient été examinés dans l'arrêt FMC. Par lettres des 3 et 17 mai 1996,
les requérants ont souligné, dans la présente affaire, que leur situation était
différente en tant qu'ils exportaient des ovins sur pied et ils ont fait valoir que
l'arrêt FMC ne concernait que les intérêts des opérateurs exportant de la viande.
- Par lettres des 4 septembre, 8 juillet et 27 août 1996, les requérants dans les
affaires T-454/93, T-456/93 et T-457/93 ont informé le Tribunal qu'elles souhaitaient
se désister. Ces affaires ont été rayées du registre en vertu d'une ordonnance du
président de la quatrième chambre du 2 octobre 1996.
- Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale
sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Il a toutefois décidé de poser
un certain nombre de questions à la Commission, laquelle a répondu le 30 août
1996. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries lors de l'audience publique
qui s'est déroulée le 21 novembre 1996.
- Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
- déclarer le recours recevable;
- annuler l'article 2 du règlement n° 1922/92;
- condamner la défenderesse aux dépens.
- La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner les requérants aux dépens.
- Le Royaume-Uni conclut à ce qu'il plaise au Tribunal rejeter le recours.
En droit
- En l'espèce, il n'est pas contesté par la défenderesse et la partie intervenante et il
est d'ailleurs avéré que les requérants sont directement et individuellement
concernés par l'article litigieux, au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité
CE. Le recours est donc recevable.
Sur la recevabilité du moyen tiré de l'invalidité de l'article 2 du règlement n° 1922/92
en ce qui concerne le commerce de bétail sur pied
Argumentation des parties
- Dans les lettres visées au point 22 ci-dessus et, plus précisément, lors de l'audience,
les requérants ont cherché à distinguer la situation du commerce de bétail sur pied
de celle du commerce de viande ovine, en prétendant que ce dernier commerce
était le seul en cause dans l'arrêt FMC. Ils font valoir que l'arrêt FMC, bien que
constatant la validité de l'article litigieux, ne portait que sur le commerce de viande
ovine, dans la mesure où, selon les règles applicables, les produits devaient être
exportés dans un délai de 21 jours suivant la réception de la prime par l'opérateur,
qui était normalement le producteur. Dans de tels cas, en effet, le calcul du
clawback par référence au taux moyen de la prime sur une période de quatre
semaines avait toutes les chances de produire un résultat assez voisin du montant
des primes effectivement payées. En revanche, en ce qui concerne le commerce de
bétail sur pied, les moutons devant être placés en quarantaine pendant 30 jours
avant l'exportation, la date de mise en quarantaine serait censée être la date
d'exportation pour l'application de la règle des 21 jours, mais le clawback serait
calculé à la date réelle de l'exportation, de sorte que son montant serait
radicalement différent de celui de la prime effectivement accordée. En outre, les
moutons continuant à engraisser pendant la période de quarantaine, le clawback
porterait sur un poids supérieur à celui pour lequel la prime a été calculée. A
l'audience, les requérants ont demandé à produire le rapport de l'expertise qu'elles
ont fait réaliser sur cette question.
- Tant la Commission que le Royaume-Uni ont présenté une objection à la
présentation de l'expertise après la clôture de la procédure écrite, au motif qu'ils
n'avaient pas eu l'occasion d'en prendre connaissance avant l'audience. En tout état
de cause, ils ont fait valoir que ce moyen allait au-delà de l'objet du recours défini
à l'origine et qu'il était irrecevable en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du
règlement de procédure du Tribunal.
Appréciation du Tribunal
- L'article 38, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable
lorsque la procédure a été engagée et dont les termes correspondent exactement
à l'article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, dispose qu'une
requête doit contenir, notamment, l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens
invoqués. L'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,
correspondant à l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal,
interdit la production de moyens nouveaux en cours d'instance, à moins que ces
moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés
pendant la procédure.
- Étant donné que les règles régissant la mise en oeuvre du régime de la prime
variable à l'abattage étaient applicables, à toute époque pertinente, aussi bien au
commerce de bétail sur pied qu'au commerce de viande ovine, la situation
spécifique des opérateurs exerçant le commerce de bétail sur pied était forcément
connue des requérants dès l'origine et aurait pu être invoquée à l'appui d'un moyen
distinct dans la requête. Le prononcé de l'arrêt FMC ne constitue pas un nouvel
élément de droit ni de fait permettant aux requérants de se prévaloir de l'exception
à la règle contenue à l'article 48, paragraphe 2, susvisé. Ce moyen est donc
irrecevable, raison pour laquelle le Tribunal a déjà refusé à l'audience d'admettre
à titre de preuve l'expertise que les requérants souhaitaient produire.
- En toute hypothèse, la procédure engagée par les requérants devant le juge
national est toujours pendante, de sorte que l'irrecevabilité de ce moyen
supplémentaire ne les prive pas de la possibilité d'invoquer celui-ci dans le cadre
de ladite procédure nationale. Le juge national reste, en effet, compétent pour
vérifier si la situation des requérants leur donne droit à une solution différente de
celle de l'arrêt FMC et, s'il l'estime nécessaire, pour déférer toute question
pertinente de droit communautaire à la Cour, au titre de l'article 177 du traité CE.
- Les requérants font valoir également deux autres moyens à l'appui de leur
demande d'annulation, tirés respectivement d'une violation des principes de
sécurité juridique et de protection de la confiance légitime et d'une violation duprincipe de proportionnalité.
Sur le premier moyen tiré d'une violation des principes de sécurité juridique et de
protection de la confiance légitime
Argumentation des requérants
- Le premier moyen se subdivise en deux branches. La première est tirée des règles
du droit anglais en matière de répétition de montants illégalement perçus par une
autorité publique. La seconde est liée aux conditions de remboursement fixées par
l'article litigieux.
- Première branche du moyen, tirée du droit anglais en matière de répétition de
l'indu
- Les requérants font valoir que la disposition en cause enfreint les principes de
sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, car, à l'époque où ils
ont engagé leurs actions, ils pouvaient légitimement espérer recouvrer les sommes
qui leur étaient dues conformément aux principes du droit anglais. Ils expliquent
qu'ils ont saisi la High Court anglaise de leur demande de remboursement des
montants payés au titre du clawback avant le prononcé de l'arrêt Lomas. Dans le
cadre desdites actions, ils font valoir à titre principal leur droit au remboursement
du montant total des sommes qu'ils ont payées, motif pris de l'absence de pouvoir
légal permettant aux autorités nationales d'imposer le clawback. A titre subsidiaire,
ils font valoir que, même si l'organisme d'intervention avait le pouvoir d'imposer
le clawback, il n'y a pas eu de demande de paiement légale, puisque toutes les
demandes formées étaient fondées, en ce qui concerne le calcul du montant dû, sur
une disposition non valide, à savoir l'article 4 du règlement n° 1633/84. A titre
encore plus subsidiaire, les requérants prétendent qu'ils ont le droit de récupérer
la différence entre le clawback qui leur a été imposé et les montants qu'ils auraient
payés si un système légal de calcul avait été appliqué.
- Selon eux, la Cour a expressément admis dans l'arrêt Lomas que c'est au juge
national qu'il appartient de déterminer le droit au remboursement. Ils
reconnaissent que la Cour semblait d'avis que le remboursement ne pouvait porter
que sur la différence entre le clawback et la prime. Ils estiment toutefois que la
Cour ne s'est pas prononcée de manière définitive sur ce point, car elle n'a à aucun
moment déterminé les règles qui devaient s'appliquer au remboursement. Au
contraire, il apparaîtrait qu'elle a laissé aux juges nationaux le soin de déterminer
les règles applicables, puisque le point 30 de l'arrêt vise tous ceux qui ont engagé
des procédures «selon le droit national applicable». En conséquence, ce serait au
juge national qu'il incomberait de déterminer si le droit au remboursement est
limité uniquement à la différence entre le clawback et la prime réellement
accordée, ou bien si les requérants ont, prima facie, le droit de récupérer la totalité
des montants payés, sous réserve d'arguments valables en sens contraire de
l'organisme d'intervention, tel que celui fondé sur l'enrichissement sans cause.
- De l'avis des requérants, il découlerait des principes énoncés par la House of Lords
dans l'affaire Woolwich Equitable Building Society/Inland Revenue Commissioners
(1993, AC 70, ci-après «affaire Woolwich E B S »), qu'ils ont prima facie le droit
au remboursement de la totalité du clawback payé, sous réserve d'arguments
valables éventuellement présentés en sens contraire par la défenderesse. L'article
litigieux, qui remplace les règles nationales en matière de répétition de l'indu,
affecterait la confiance légitime des requérants en la matière ainsi que le principe
de sécurité juridique, car il rendrait plus difficile la procédure de recouvrement des
sommes en cause. Alors que, en droit anglais, les montants payés seraient en
principe remboursables totalement, sous réserve de tout argument en sens contraire
correctement fondé, l'article litigieux dispenserait l'organisme d'intervention de
présenter des arguments en sens contraire et obligerait les requérants à limiter
leurs prétentions à la différence entre le montant payé et le montant qui aurait dû
être payé.
- Enfin, les requérants estiment que la Commission n'était pas tenue, en application
de l'article 176 du traité CE, d'adopter la disposition en cause.
- Seconde branche du moyen, tirée des conditions de remboursement fixées par
l'article litigieux
- Les requérants font valoir que la méthode de remboursement prévue au second
alinéa du paragraphe 1 de l'article litigieux souffre du même vice que la méthode
de calcul établie à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1633/84, dont la Cour
a constaté l'invalidité dans l'arrêt Lomas. En effet, les deux méthodes seraient très
proches, puisque la méthode litigieuse prévoit le remboursement de la différence
entre le clawback réellement payé et le montant moyen des primes fixées pour la
semaine de départ des produits et les trois semaines précédentes, alors que l'article
4, paragraphe 1, fixait le clawback au montant de la prime pour la semaine au
cours de laquelle les produits concernés étaient sortis du Royaume-Uni.
- Quant à la méthode alternative prévue au premier alinéa du paragraphe 1 de
l'article litigieux, qui permet aux opérateurs d'obtenir le remboursement de la
différence entre le montant payé au titre du clawback et la prime effectivement
accordée pour les mêmes produits, les requérants estiment qu'elle leur impose la
charge d'une preuve impossible à fournir, pour la simple raison que les primes en
question ont été payées aux éleveurs et non aux exportateurs et que ces derniers
ne peuvent donc établir avec la moindre précision le montant des primes
accordées.
Argumentation de la Commission et du Royaume-Uni
- En réponse à la première branche du moyen, la Commission déclare que de
nombreuses raisons excluent que les requérants aient pu légitimement espérer
récupérer le montant total du clawback payé. En premier lieu, l'arrêt Lomas
montrerait que les requérants n'avaient pas droit au remboursement de la totalité
du montant du clawback payé, mais uniquement à la différence entre la prime
octroyée et le montant du clawback payé, dans l'hypothèse où ce dernier aurait été
supérieur à ladite prime. En second lieu, au moment où les requérants ont entamé
leur procédure devant la High Court, il n'aurait même pas été clair que la méthode
de calcul du clawback n'était pas valide, puisque la Cour de justice n'avait pas
encore prononcé l'arrêt Lomas. De même, étant donné que l'arrêt de la House of
Lords sur lequel se fondent les requérants n'a été prononcé que le 20 juillet 1992,
après l'adoption de l'article litigieux, la Commission éprouve des difficultés à
comprendre comment il pouvait engendrer de quelconques espoirs légitimes de la
part des requérants. Il serait clair que, avant le prononcé de l'arrêt, il n'existait pas
de droit au recouvrement au titre de la common law dans des situations telles que
celles de la présente espèce. Qui plus est, les requérants auraient dû prévoir que,
si la Cour devait annuler, dans son arrêt Lomas, la méthode de calcul fixée à
l'article 4 du règlement n° 1633/84, la Commission n'aurait eu d'autre choix que
d'adopter une disposition telle que celle en cause pour satisfaire à l'obligation que
lui imposait l'article 176 du traité CE. Enfin, l'interprétation donnée par les
requérantes des termes apparaissant au point 30 de l'arrêt Lomas en ce qui
concerne les procédures engagées «selon le droit national applicable» serait tout
à fait erronée.
- La Commission rétorque à la seconde branche du moyen qu'il ne devrait pas être
impossible pour un exportateur de déterminer le montant de la prime payée pour
des produits pour lesquels le clawback a ensuite été versé. Elle admet toutefois que
cela pourrait présenter des difficultés et que c'est pour cette raison que l'article
litigieux prévoit une deuxième méthode de remboursement. Cette deuxième
méthode constituerait une solution équitable pour les personnes ayant subi un
préjudice du fait de l'illégalité de la méthode fixée à l'article 4 du règlement
n° 1633/84.
- Le Royaume-Uni estime que le premier moyen est fondé sur une prémisse erronée,
en ce qu'il part de l'hypothèse que les requérants ont le droit de recouvrer toutes
les sommes payées au titre du clawback, alors qu'il résulterait de l'arrêt Lomas que
leur droit au remboursement est strictement limité à tous les paiements en excès.
Il serait clair que, même si l'article litigieux n'avait pas été adopté, les requérants
auraient dû établir, conformément aux règles nationales relatives à la charge de la
preuve, le montant des paiements prétendument payés en trop par eux. L'arrêt de
la House of Lords invoqué par les requérants ne comporterait aucun élément
susceptible de modifier cette charge de la preuve. La seule conséquence découlant
de l'adoption de l'article contesté serait l'existence d'une deuxième méthode de
recouvrement visant à atténuer les difficultés que les requérants pourraient
rencontrer en s'acquittant de la charge de la preuve.
Appréciation du Tribunal
- Sur la première branche du moyen, tirée du droit anglais en matière de répétition
de l'indu
- Antérieurement à l'arrêt Lomas, les demandes de paiement du clawback n'étaient
pas totalement dénuées de base juridique, malgré la constatation, dans cet arrêt,
de l'invalidité de l'article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1633/84 (voir point
9 ci-dessus).
- En déclarant l'article 4, paragraphes 1 et 2, non valide, la Cour a souligné que, si
toute perception d'une somme d'argent à l'exportation vers un autre État membre
constitue, en principe, une entrave à la libre circulation des produits dans le
marché commun, une telle perception peut néanmoins trouver une justification
dans le cadre d'une organisation de marché non encore intégralement unifiée,
lorsqu'elle est destinée à compenser des inégalités résultant de l'état de réalisation
imparfaite de cette organisation, dans le but de permettre aux produits couverts par
celle-ci de circuler à des conditions égales, sans que la concurrence entre les
producteurs des différentes régions soit artificiellement faussée (point 15). Il en
résultait que les modalités de perception du clawback devaient être aménagées de
telle façon que ce dernier neutralisât l'effet de la prime lors de la sortie hors de la
région concernée des produits qui avaient bénéficié de cette mesure de soutien,
sans que ce système pût constituer un avantage pour les producteurs de cette
région, ce qui aurait été le cas si le montant perçu au titre du clawback avait été
moins élevé que celui de la prime octroyée, ni affecter leur position concurrentielle,
ce qui aurait été le cas si le clawback avait dépassé la prime (point 17).
- Ainsi, la décision de la Cour ne visait pas le principe de l'imposition du clawback
en tant que tel, mais le fait que l'article 4, paragraphe 1, ne garantissait pas que la
méthode de calcul du clawback atteindrait son but, à savoir neutraliser la prime
lors de l'exportation des produits. C'est ce qu'a confirmé la Cour dans l'arrêt FMC
où elle a constaté que la perception du clawback est valide, en principe (point 28).
L'absence totale de perception de tout clawback aurait d'ailleurs entraîné une
distorsion de concurrence encore plus flagrante entre les producteurs et elle aurait
été incompatible avec le principe fondant la perception du clawback. Un État
membre utilisant la possibilité de payer une prime variable à l'abattage était donc
tenu, au titre du droit communautaire, de garantir la mise en oeuvre de ce système
de manière à ne pas enfreindre ce principe.
- Il convient également d'observer que l'obligation de l'autorité nationale compétente
au Royaume-Uni d'exiger le paiement du clawback lors de l'exportation des
produits ayant bénéficié d'une prime découlait non pas de l'article 4 du règlement
n° 1633/84, mais de l'article 9, paragraphe 3, du règlement n° 1837/80, modifié
ensuite par le règlement n° 871/84, puis de l'article 24, paragraphe 5, du règlement
n° 3013/89, qui précisait qu'un montant équivalent à la prime serait perçu lors de
la sortie des produits de l'État membre concerné. Malgré l'arrêt Lomas, un État
membre ayant utilisé la possibilité de payer une prime variable à l'abattage au titre
de l'article 9, paragraphe 1, du règlement n° 1837/80, tel que modifié par la suite,
était dans l'obligation de s'assurer qu'un montant équivalent à la prime payée serait
perçu pour les produits quittant son territoire. Il en résulte que le fait, pour une
autorité nationale, d'exiger le clawback sur la base de l'article 4 du
règlement n° 1633/84 n'était pas totalement dépourvu de base juridique, malgré la
constatation ultérieure de l'invalidité des paragraphes 1 et 2 de cet article.
- En outre, les primes payées aux opérateurs avant l'arrêt Lomas ont été reçues par
eux en pleine connaissance des conditions fixées par le droit communautaire pourun tel régime. Il convient de partir de la prémisse que les opérateurs acceptaient
qu'un montant équivalent à la prime serait perçu sur les produits en cas
d'exportation. Cette obligation de remboursement de la prime faisait partie
intégrante de la mise en oeuvre du régime des primes variables en droit
communautaire. Il en résulte que les opérateurs ayant bénéficié d'une prime pour
certains produits ne pouvaient nourrir une confiance légitime quant à leur droit de
conserver le bénéfice de cette prime s'ils exportaient lesdits produits. Les
requérants admettent dans leurs mémoires qu'ils ont payé avant l'arrêt Lomas les
montants exigés d'eux au titre du clawback, en croyant qu'ils étaient légalement
obligés de les payer. En d'autres termes, à l'époque où ils ont acquis les produits
des opérateurs ayant bénéficié de la prime, ils s'attendaient à ce que la prime fût
récupérée si les produits étaient exportés.
- Pour autant qu'ils invoquent des principes de droit anglais à l'appui de leur moyen,
il convient de souligner que la mise en oeuvre du régime au titre de la loi anglaise
dérive elle-même des mesures instituées aux fins du droit communautaire. Compte
tenu de l'exigence fondamentale de fonctionnement du régime de la prime variable,
à savoir la nécessité d'éliminer toute distorsion artificielle de concurrence entre les
producteurs de différentes régions, les requérants ne pouvaient pas espérer éviter
de payer le clawback. Contrairement à ce qu'ils affirment, les demandes de
remboursement ne pouvaient donc être tranchées conformément au droit national,
à la suite de l'arrêt Lomas, dans le sens d'un remboursement aux opérateurs du
montant total du clawback perçu et non pas seulement de la différence entre le
clawback payé en excès et le montant de la prime effectivement accordée.
- S'il est vrai que l'interprétation et l'application du droit national relèvent
exclusivement des juridictions nationales, une partie qui invoque le principe de
protection de la confiance légitime devant le Tribunal de céans, sur la base d'un
droit spécifique tiré de règles nationales, doit apporter une preuve suffisante de
l'existence de ce droit. Or, en l'espèce, les requérants, qui affirment que le droit de
se voir rembourser le clawback illégalement perçu avant le 10 mars 1992 doit être
déterminé par référence au droit anglais, n'ont pas établi que le droit anglais
permettait effectivement, à partir de cette date, de nourrir des espoirs légitimes de
la nature alléguée par eux-mêmes.
- Il est évident que la décision de la House of Lords dans l'affaire Woolwich E B S
(voir point 38 ci-dessus), lorsqu'elle a été rendue le 20 juillet 1992, représentait un
changement important dans le droit existant quant aux demandes de recouvrement
de sommes payées sous réserve à une autorité publique sur la base d'une
imposition ultérieurement jugée abusive. Cela ressort clairement de la lecture des
discours de tous les membres de la House of Lords, y compris, par exemple, celui
de Lord Browne-Wilkinson qui, s'exprimant dans le sens de l'opinion majoritaire,
a déclaré que tous les membres étaient d'accord que «dans l'état actuel du droit,
des taxes payées sous réserve en réponse à une imposition abusive ne pouvaient
être remboursées au titre de la common law [...] Le point sur lequel il n'y a pas
unanimité est de savoir s'il convient de donner une nouvelle interprétation aux
principes ayant fondé cette solution, de manière à accorder un droit au
remboursement dans de telles circonstances. Sur ce point, je partage l'avis de [...]
Lord Goff en ce sens que, pour les raisons qu'il expose, c'est ce qu'il convient de
faire».
- S'agissant des conditions d'ouverture d'un droit au remboursement et, en
particulier, de la possibilité d'invoquer l'enrichissement sans cause d'un requérant
pour ne pas lui permettre de récupérer des sommes indûment exigées par une
autorité publique et payées à celle-ci, la House of Lords s'est elle-même référée à
l'arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, Rec. p. 3595). Dans
cet arrêt, la Cour a estimé que le droit communautaire ne faisait pas obstacle à ce
qu'un système juridique national interdise le remboursement d'impositions, lorsque
ce remboursement impliquerait un enrichissement sans cause du bénéficiaire, même
si les impositions en cause avaient été mises en oeuvre par une autorité nationale
en infraction au droit communautaire. Comme les requérants l'ont reconnu eux-mêmes dans leurs mémoires, c'est au juge national saisi de leurs demandes encore
en instance qu'il appartient de déterminer si des considérations d'enrichissement
sans cause pourraient les empêcher de recouvrer tout ou partie des montants qu'ils
réclament.
- A la lumière des considérations qui précèdent, les requérants n'ont pas démontré
qu'ils pouvaient légitimement nourrir le moindre espoir, fondé sur des faits ou sur
le droit national, de récupérer dans sa totalité le clawback payé avant le prononcé
de l'arrêt Lomas. Ils n'ont pas non plus établi que le principe de sécurité juridique
(qui a également été pris en considération par la Cour dans l'arrêt FMC voir le
point 26 de cet arrêt, citant la première question de la juridiction nationale) a été
enfreint.
- Il convient donc de rejeter la première branche du moyen.
- Sur la seconde branche du moyen, tirée des conditions de remboursement fixées
par l'article litigieux
- Il y a lieu d'observer que le paragraphe 1 de l'article litigieux donne précisément
effet à la déclaration de non-validité de l'arrêt Lomas, en confirmant le droit des
opérateurs au remboursement de la différence entre le clawback qu'ils ont versé
et le montant de la prime effectivement attribuée pour les mêmes produits,
méthode de calcul qui a été considérée comme valide par la Cour dans l'arrêt FMC
(points 34 à 36 et 45).
- La méthode alternative de calcul du montant à rembourser est fondée sur le
montant moyen des primes pendant une période de quatre semaines. Cette
alternative a été offerte pour tenir compte des difficultés rencontrées par au moins
quelques opérateurs pour apporter la preuve des primes effectivement attribuées
aux opérateurs auprès desquels ils avaient acquis les produits en cause. Le fait
qu'elle ait été offerte n'affecte pas la validité d'une règle adoptée en application
de l'article 9, paragraphe 3, du règlement n° 1837/80 et de l'article 24, paragraphe
5, du règlement n° 3013/89, règle dont la Cour a constaté la validité dans l'arrêt
FMC (points 37 à 45).
- Il convient donc de rejeter le premier moyen des requérants.
Sur le second moyen tiré d'une violation du principe de proportionnalité
Argumentation des parties
- Les requérants estiment que l'article 2 du règlement n° 1922/92 est contraire au
principe de proportionnalité en ce qu'il met à leur charge, afin d'obtenir le
remboursement auquel ils ont droit, une preuve impossible à fournir. Cet article
aurait également pour effet de leur refuser des voies de recours efficaces, que leur
ouvrirait le droit communautaire (voir arrêts de la Cour San Giorgio, précité, et du
19 novembre 1991, Francovich e.a., C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357), et il
constituerait une infraction, de la part de la Commission, au devoir de coopération
que lui impose l'article 5 du traité CE.
- La Commission et le Royaume-Uni rétorquent que les méthodes de
remboursement fixées par l'article litigieux sont compatibles avec son objectif, qui
consiste à garantir l'application du principe du clawback défini à l'article 9,
paragraphe 3, du règlement n° 1837/80 et à donner son plein effet à l'arrêt Lomas,
et que ces méthodes sont également nécessaires pour atteindre cet objectif.
- Selon la Commission, le fait d'ordonner le remboursement du montant total du
clawback payé par les requérants serait même contraire au principe de
proportionnalité. Une telle mesure aurait pour effet de prélever sur les fonds
communautaires, en faveur des requérants, des montants importants auxquels ceux-ci n'auraient aucun droit légal, ce qui leur donnerait un avantage injustifié sur leurs
concurrents.
- Le Royaume-Uni fait observer que la mesure en cause est conforme à l'arrêt
Lomas et qu'elle ne saurait donc constituer une atteinte au principe de
proportionnalité. A son avis, il serait tout à fait normal qu'une personne demandant
le remboursement de certaines sommes indûment versées soit tenue d'établir
l'existence et le montant du paiement en excès.
Appréciation du Tribunal
- Il convient de rappeler que l'article litigieux s'applique à des opérateurs ou à leurs
ayants droit qui avaient déjà entamé au niveau national, avant le 10 mars 1992, des
procédures appropriées pour demander le remboursement du clawback payé avant
cette date. En introduisant de telles procédures, ces opérateurs s'étaient déjà
engagés à s'acquitter de la charge de la preuve qui incombe à toute partie
demandant à recouvrer de l'argent qui lui est dû dans le cadre d'une procédure
civile, c'est-à-dire à établir au regard de la loi nationale le montant précis du
paiement qu'elle prétend avoir effectué en excès. L'article litigieux n'affecte en rien
cette situation, mais se limite à confirmer le droit de tels opérateurs au
remboursement de la différence entre le clawback qu'ils ont payé et le montant de
la prime effectivement attribuée pour les produits en question. Les délais impartis
pour former de telles demandes, sous réserve de certaines dispositions de l'article
litigieux, ainsi que le niveau de preuve exigé pour déterminer le montant de cette
différence dans chaque cas concret continuent d'être régis par les règles de
procédure nationales pertinentes (voir à cet égard arrêt FMC, points 46 à 77).
- Les difficultés de preuve avancées par les requérants ne résultent pas des
dispositions de l'article litigieux en tant que tel, mais de la manière dont ils ont
conduit leur activité économique à l'époque pertinente et, spécialement, du fait
qu'ils n'ont pas demandé aux opérateurs auxquels ils ont acheté le bétail de leur
fournir des documents appropriés en ce qui concerne toutes les primes leur ayant
été attribuées. Comme l'a jugé la Cour dans l'arrêt FMC, le fait d'imposer la
charge de la preuve aux exportateurs n'était pas manifestement inapproprié, et tant
l'article 9, paragraphe 3, du règlement n° 1837/80 que l'article 24, paragraphe 5, du
règlement n° 3013/89 ont prévu que le montant du clawback devait équivaloir à
celui de la prime. Ainsi, un commerçant avisé, sachant qu'il devrait payer le
clawback à l'exportation des produits, aurait dû prendre les dispositions nécessaires
pour obtenir les preuves qui seraient exigées à un certain stade pour établir les
montants en question (point 36).
- Le second moyen des requérants ne saurait donc être retenu.
- Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
- Conformément à l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute
partie qui succombe doit être condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Les
requérants ayant succombé et la Commission ayant conclu à ce qu'ils soient
condamnés aux dépens, il convient de les condamner aux dépens. Le Royaume-Uni,
qui est intervenu à l'appui de la Commission, devra supporter ses propres dépens,
en application de l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure.
Par ces motifs,LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête:
- Le recours est rejeté.
- Les parties requérantes sont condamnées solidairement aux dépens.
- Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord supportera ses
propres dépens.
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juillet 1997.
Le greffier
Le président
H. Jung
K. Lenaerts
1: Langue de procédure: l'anglais.