Language of document : ECLI:EU:T:1999:26

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

11 février 1999 (1)

«Fonctionnaires — Concours — Inscription sur une liste d'aptitude — Vice de procédure — Principe de non-discrimination — Erreur manifeste d'appréciation»

Dans l'affaire T-200/97,

Carmen Jiménez, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Alicante (Espagne), représentée par Me Georges Vandersanden, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,

partie requérante,

contre

Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par MM. Fernando López de Rego et Antonio Grilli, membres du département juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique de la Commission des Communautés européennes, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision du comité de sélection de l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et

modèles) du 30 octobre 1996 de ne pas inscrire la requérante sur la liste établie dans le cadre du «concours pour l'établissement d'une liste d'aptitude d'agents temporaires des deux sexes de la catégorie C (référence AT/C)»,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. M. Jaeger, président, K. Lenaerts et J. Azizi, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 19 novembre 1998,

rend le présent

Arrêt

Cadre réglementaire

1.
    L'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (ci-après «Office») est un organisme de la Communauté européenne jouissant d'une personnalité juridique propre, régi par le titre XII du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1, ci-après «règlement n° 40/94»).

2.
    En vertu de l'article 112, paragraphe 1, du règlement n° 40/94, le statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»), le régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après «RAA») et les réglementations d'exécution de ces dispositions, arrêtées d'un commun accord par les institutions des Communautés européennes s'appliquent au personnel de l'Office. L'article 112, paragraphe 2, du même règlement prévoit que les pouvoirs dévolus à chaque institution par le statut et par le RAA sont exercés par l'Office à l'égard de son personnel.

3.
    L'article 12, paragraphe 1, du RAA dispose que «[l]'engagement des agents temporaires doit viser à assurer à l'institution le concours de personnes possédant les plus hautes qualités de compétence, de rendement et d'intégrité, recrutées sur une base géographique aussi large que possible parmi les ressortissants des États membres des Communautés».

4.
    Le 20 octobre 1994, le président de l'Office a, par une décision «ADM-94-22» défini les modalités de déroulement de la procédure de sélection d'agents

temporaires. Cette décision prévoyait, en son point 9, intitulé «Examen des candidatures», ce qui suit:

«Après examen des candidatures et le cas échéant entretien avec les candidats, le comité statuant à la majorité simple, établit la liste, par ordre décroissant de mérite, des candidats présélectionnés [...] Dès signature par les membres du comité, le président adresse cette liste, accompagnée du rapport motivé du comité, à l'[autorité investie du pouvoir de nomination]. Le rapport en question décrit le déroulement de la procédure; dans le cas d'entretiens (épreuves orales) le rapport comprend par domaine la liste des questions posées avec indication de la cote maximale pour chacune d'elles, de même que la note obtenue par chaque candidat. Le rapport du comité ainsi que le déroulement des réunions, des épreuves ou entretiens avec les candidats, sont confidentiels.»

Faits à l'origine du litige

5.
    La requérante, de nationalité espagnole, est fonctionnaire de grade C 3 à la Commission, en poste à Luxembourg. Elle bénéficie, depuis le 15 septembre 1997, d'un congé de convenance personnelle au titre de l'article 40 du statut. Son mari est membre de la première chambre de recours de l'Office.

6.
    Au mois de novembre 1995, l'Office a annoncé, dans le quotidien espagnol El Pais, l'organisation d'un «concours pour l'établissement d'une liste d'aptitude d'agents temporaires des deux sexes de la catégorie C (référence AT/C)». Selon cette annonce, les fonctions des postes visés impliquaient l'exécution de travaux de bureau (vérification, encodage et dactylographie sur logiciels) ainsi que la gestion administrative de certains dossiers dans le cadre de l'examen de demandes de marques communautaires. Il était, par ailleurs, indiqué que le personnel pourrait être affecté (en fonction des besoins) à d'autres divisions de l'Office.

7.
    Répondant à une demande d'information de la requérante, l'Office lui a adressé le 20 novembre 1995 un formulaire de candidature accompagné de deux documents.

8.
    Le premier document, intitulé «Sélection d'agents temporaires de catégorie C, tâches d'exécution de travaux de bureau», détaillait les qualifications requises pour occuper le poste visé. Parmi les qualifications générales figuraient les conditions d'avoir accompli des études du niveau de l'enseignement secondaire ou professionnel du niveau secondaire sanctionnées par un diplôme, de posséder une connaissance approfondie d'une des langues officielles des Communautés européennes, qui pouvait être la langue maternelle, et une connaissance satisfaisante d'une autre de ces langues, la connaissance d'autres langues communautaires, notamment d'une des cinq langues de l'Office et de l'informatique constituant un avantage. Les candidats devaient, en outre, faire preuve d'une expérience professionnelle post-scolaire d'au moins douze ans dans l'exécution de

travaux de bureau comportant l'utilisation de l'outil informatique. Enfin, ce document précisait:

«Le choix de la personne à recruter parmi les lauréats est effectué par l'Office en tenant compte essentiellement de l'adéquation du profil professionnel de l'intéressé(e) [...] aux exigences opérationnelles du service.»

9.
    Le second document, intitulé «Les agents temporaires à l'Office [...], statut et modalités de recrutement», indiquait que les candidatures seraient soumises à un comité de sélection (ci-après «comité»), composé de personnes hautement qualifiées dans le domaine faisant l'objet de la procédure. Après avoir vérifié le respect des conditions générales d'admission (âge, nationalité d'un des États membres, diplômes, langues requises, expérience professionnelle), le comité effectuerait un examen comparatif des qualifications professionnelles des candidats par rapport à celles exigées par la nature des fonctions prévues. A l'issue de cet examen, les candidats jugés les plus qualifiés seraient convoqués à un entretien. Les candidats considérés comme aptes à exercer les fonctions du poste à la suite de cet entretien seraient inscrits sur une liste d'aptitude.

10.
    Par télécopie du 11 décembre 1995, la requérante a fait acte de candidature sous son nom de jeune fille.

11.
    Le 5 mars 1996, le président du comité, M. Copine, a adressé une note au président de l'Office, M. Combaldieu, l'informant des noms et nationalités des candidats appelés à figurer sur la liste de réserve, sur laquelle la requérante ne figurait pas. Ce rapport ne comporte ni la liste des questions posées, par domaine, avec indication de la cote maximale pour chacune d'elles, ni la note obtenue par chaque candidat.

12.
    Par lettre du 11 mars 1996, le président du comité a informé la requérante qu'il n'avait pu être réservé une suite favorable à sa candidature.

13.
    Estimant satisfaire à toutes les conditions requises et posséder une expérience et des qualifications supérieures à celles exigées, la requérante a, par lettre du 11 juin 1996, intitulée «Réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut», adressé un nouveau curriculum vitae au comité, en lui demandant expressément de bien vouloir le réexaminer et, dans l'hypothèse où la lettre du 11 mars 1996 ne lui aurait pas été envoyée par erreur, de lui communiquer les critères objectifs qu'il avait appliqués.

14.
    Par lettre du 28 juin 1996, le président du comité a informé la requérante qu'il avait été décidé de faire droit à sa demande de réexamen et que, à cette fin, elle serait convoquée pour un entretien.

15.
    Au cours de cet entretien, qui a eu lieu le 27 septembre 1996, le comité, composé de trois membres titulaires, de plusieurs suppléants et d'un observateur du comité

du personnel, lui a posé des questions, en différentes langues, sur son expérience professionnelle et sur ses connaissances concernant les activités des Communautés européennes et la marque communautaire en particulier. Un membre du comité lui a demandé, en outre, si son mari lui avait fourni des renseignements concernant le règlement sur la marque communautaire.

16.
    Par note du 1er octobre 1996, M. Copine a informé M. Combaldieu du résultat négatif des entretiens avec la requérante et trois autres candidats ayant déposé une réclamation. De même que le rapport du 5 mars 1996 (voir point 11 ci-dessus) ce rapport ne comportait ni la liste des questions posées, par domaine, avec indication de la cote maximale pour chacune d'elles, ni la note obtenue par chaque candidat.

17.
    Par lettre du 3 octobre 1996, le président du comité a informé la requérante que, «pour le moment», l'Office ne pouvait retenir sa candidature.

18.
    Par lettre du 17 octobre 1996, la requérante a demandé à l'Office de lui confirmer que la lettre du 3 octobre 1996 ne devait pas être interprétée comme un rejet définitif de sa candidature, mais comme l'indication qu'elle avait été inscrite sur la liste de réserve/liste d'aptitude mentionnée dans l'avis de vacance et dans le document intitulé «statut et modalités de recrutement».

19.
    Par lettre du 30 octobre 1996, le président du comité a confirmé à la requérante que, à la suite de l'entretien du 27 septembre 1996, qui avait pour objet, notamment, d'examiner l'adéquation de sa candidature au profil recherché, sa candidature n'avait pas été retenue.

20.
    Par lettre du 29 novembre 1996, la requérante a demandé au président du comité de lui expliquer les raisons du rejet de sa candidature, en soulignant qu'elle soupçonnait avoir été victime d'une discrimination, du fait qu'elle était l'épouse d'un membre d'une chambre de recours de l'Office.

21.
    Par lettre du 27 décembre 1996, la requérante a indiqué au président du comité que sa lettre du 29 novembre 1996 devait être qualifiée de réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut, en précisant qu'elle contestait la validité des lettres des 3 et 30 octobre 1996 pour défaut de motivation et a demandé les raisons de son exclusion.

22.
    Par lettre du 26 mars 1997, M. Combaldieu a confirmé à la requérante que sacandidature n'avait pas été retenue et a rejeté sa réclamation. Il a, d'abord, contesté l'allégation de la requérante selon laquelle l'identité de son mari avait été relevée au cours de son entretien avec le comité. Il a ensuite précisé que ce comité avait évalué ses qualifications et aptitudes professionnelles non seulement sur la base de son dossier de candidature mais aussi sur la base de ses réponses aux questions posées au cours de l'entretien. Cette lettre indiquait également ce qui suit:

«[...] vous avez obtenu une note inférieure à 4/10 points en rubrique 6, consacrée à l'évaluation de l'adéquation au profil recherché. Dans le cadre de la procédure de sélection AT/C, les membres du comité sont convenus que ce motif suffisait à entraîner le rejet définitif d'une candidature.»

Procédure et conclusion des parties

23.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 juillet 1997, la requérante a introduit le présent recours.

24.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Le Tribunal a, toutefois, invité le défendeur à déposer les travaux du comité, notamment les fiches d'évaluation ainsi que le rapport final dudit comité dans le cadre du «concours pour l'établissement d'une liste d'aptitude d'agents temporaires des deux sexes de la catégorie C (référence AT/C)» pertinents dans cette affaire, documents que le défendeur a produit par lettre du 29 octobre 1998.

25.
    Les parties ont été entendues en leur plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 19 novembre 1998.

26.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision du comité du 30 octobre 1996 de ne pas l'inscrire sur la liste établie dans le cadre du «concours pour l'établissement d'une liste d'aptitude d'agents temporaires des deux sexes de la catégorie C (référence AT/C)»;

—    condamner l'Office à l'ensemble des dépens.

27.
    L'Office conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    condamner la partie requérante aux dépens de l'instance.

Sur le fond

28.
    La requérante invoque quatre moyens, tirés, respectivement, d'une violation du principe de non-discrimination, d'une erreur manifeste d'appréciation, d'une violation de l'obligation de motivation et d'un vice de procédure, en ce que le membre du comité désigné par le comité du personnel n'avait pas de droit de vote.

29.
    Le moyen tiré d'un vice de procédure n'ayant pas été soulevé au cours de la procédure précontentieuse, il doit être déclaré irrecevable (arrêt de la Cour du 14

mars 1989, Del Amo Martinez/Parlement, 133/88, Rec. p. 689, points 9 à 11; arrêt du Tribunal du 28 mai 1998, W/Commission, T-78/96 et T-170/96, RecFP p. II-745, points 61 et 64).

30.
    L'argumentation développée par la requérante dans le cadre des moyens tirés d'une violation du principe de non-discrimination et d'une erreur manifeste d'appréciation se recoupant largement, il y a lieu de les examiner ensemble. Par ailleurs, à la suite du dépôt de documents dont la production avait été demandée par le Tribunal (voir point 22 ci-dessus), la requérante a présenté, à l'audience, des arguments tirés d'irrégularités dans la procédure de sélection qui se rattachent également à ces deux moyens. Le Tribunal estime opportun d'examiner conjointement ces moyens et arguments en premier lieu.

Sur les moyens tirés respectivement d'une violation du principe de non-discrimination et d'une erreur manifeste d'appréciation

Argumentation des parties

31.
    La requérante se demande, en substance, si sa candidature n'a pas été écartée pour des raisons qui sont étrangères à ses mérites.

32.
    Elle se plaint de la discrimination dont elle aurait été victime et qui résulterait de l'application de critères plus rigoureux aux conjoints de fonctionnaires de l'Office, et ce afin de faire face aux accusations de népotisme, ou d'un traitement défavorable lié à un différend entre l'Office et son mari. A titre d'indice d'une telle discrimination, elle fait état d'une question posée par M. Copine, lors de l'entretien du 27 septembre 1996, révélant qu'elle était l'épouse d'un membre d'une chambre de recours de l'Office (voir point 15 ci-dessus). La formulation de cette question aurait conduit la requérante à douter de l'objectivité de la procédure de recrutement en cause.

33.
    Commentant les documents produits par le défendeur sur demande du Tribunal, la requérante a également relevé des irrégularités dans la procédure de sélection, qui confirmeraient ses doutes sur l'objectivité de celle-ci.

34.
    Elle fait également grief au défendeur d'avoir commis une erreur manifeste d'appréciation, en ce que sa décision serait fondée sur une note d'exclusion de 4/10 concernant l'adéquation de son profil professionnel au profil recherché. Le comité l'aurait considérée comme surqualifiée par rapport aux exigences des fonctions concernées. Pareille appréciation aurait été condamnée par le Tribunal dans son arrêt du 28 mars 1996, Noonan/Commission (T-60/92, Rec. p. II-215).

35.
    Selon le défendeur, la requérante n'apporte aucune preuve de l'existence de la discrimination qu'elle allègue pour se contenter d'invoquer sa conviction intime.

36.
    La seule circonstance que l'un des membres du comité ait demandé à la requérante si elle avait lu la réglementation sur la marque communautaire ou si son mari lui avait fourni des renseignements à cet égard ne constituerait pas la preuve d'une discrimination. Le défendeur conteste, d'ailleurs, que cette question ait révélé à des membres du comité la relation matrimoniale existant entre la requérante et un membre d'une chambre de recours de l'Office. Il estime que cette question ne démontre pas qu'elle ait fait l'objet d'un traitement discriminatoire. La référence au pays natal et aux raisons familiales ayant déterminé la candidature de cette dernière concernerait des éléments de fait et ne traduirait pas des velléités de lui réserver un traitement discriminatoire.

37.
    Toutefois, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, le comité aurait, à juste titre, pris en considération l'ensemble des éléments lui permettant de prévoir les performances professionnelles des candidats, en accordant la primauté au critère de la motivation professionnelle sur celui des convenances personnelles. C'est dans le contexte spécifique de l'appréciation du profil professionnel de la requérante, eu égard à la nature du poste à pourvoir et aux particularités de sa candidature, que le comité se serait référé à son désir d'être affectée dans son pays natal pour des raisons essentiellement familiales, sans que l'on puisse en déduire une volonté de réserver un traitement discriminatoire aux candidats espagnols dont le conjoint travaille à Alicante.

38.
    Par ailleurs, le défendeur rappelle que le comité dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans l'évaluation du niveau de qualification des candidats par rapport aux exigences du poste concerné. Dans ce contexte, il conteste non seulement que la requérante soit surqualifiée, eu égard au poste à pourvoir, mais encore que le comité ait écarté sa candidature pour ce motif. A cet égard, il souligne que le comité a considéré à juste titre que la requérante n'avait pas de qualifications spécifiques pour l'encodage de données, activités principales du poste à pourvoir.

39.
    A l'audience, le défendeur a reconnu que plusieurs fiches d'évaluation étaient entachées d'irrégularités, mais il a nié que celles-ci aient pu avoir une quelconque incidence sur la décision attaquée, dès lors que la sélection a été opérée sur la base des actes de candidature écrits, l'entretien oral ayant eu pour seul but de vérifier la véracité des informations qu'ils contenaient (procès-verbal d'audience, p. 2). Il a également indiqué que le rapport final établi dans la procédure de sélection litigieuse, en application de la décision ADM-94-22, était la note de M. Copine du 5 mars 1996 (voir point 11 ci-dessus). Enfin, il a confirmé que, bien que possédant un diplôme universitaire, certains candidats avaient été retenus, mais l'un d'eux, à la différence de la requérante, aurait été sans emploi rémunéré avant son recrutement.

Appréciation du Tribunal

40.
    Dans l'évaluation des épreuves, les jurys de concours disposent d'un large pouvoir d'appréciation. Ce pouvoir, qui doit s'exercer sur la base de critères objectifs (voir arrêt de la Cour du 14 juillet 1983, Detti/Cour de justice, 144/82, Rec. p. 2421, points 27 et 28), n'échappe cependant pas au contrôle juridictionnel qui doit permettre de vérifier si l'exercice du pouvoir d'appréciation n'est pas entaché d'une erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ou si les limites du pouvoir d'appréciation n'ont pas été manifestement dépassées (arrêt de la Cour du 16 juin 1987, Kolivas/Commission, 40/86, Rec. p. 2643, point 11).

41.
    En outre, les institutions sont tenues au respect des procédures internes qu'elles ont volontairement édictées par une mesure d'ordre interne sous peine d'enfreindre le principe de l'égalité de traitement (arrêts de la Cour du 30 janvier 1974, Louwage/Commission, 148/73, Rec. p. 81, point 12, et du 21 avril 1983, Ragusa/Commission, 282/81, Rec. p. 1245, point 18; arrêt du Tribunal du 28 janvier 1992, Speybrouck/Parlement, T-45/90, Rec. p. II-33, point 69).

42.
    Le principe d'égalité de traitement, qui constitue un principe fondamental lors du déroulement d'un concours (voir en ce sens, arrêt de la Cour du 27 octobre 1976, Prais/Conseil, 130/75, Rec. p. 1589), interdit notamment de traiter différemment deux catégories de personnes dont les situations juridiques et factuelles ne présentent pas de différence essentielle (voir arrêt Noonan/Commission, cité au point 34 ci-dessus, point 32).

43.
    En l'espèce, il convient d'examiner si, ainsi que le fait valoir la requérante, la décision de rejet de sa candidature a été prise pour des raisons étrangères à ses mérites.

44.
    Dans ce contexte, le Tribunal relève un ensemble de circonstances troublantes constituant un faisceau d'indices d'un usage illégal du pouvoir d'appréciation du défendeur.

45.
    Il convient de constater, tout d'abord, que, en violation de la décision ADM-94-22, le comité n'a pas adressé à l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») un rapport motivé comprenant, par domaine, la liste des questions posées avec indication de la note obtenue par chaque candidat (voir points 11 et 16 ci-dessus). En l'absence d'un tel rapport, qui doit permettre à l'AIPN de faire un usage judicieux de sa liberté de choix (arrêt de la Cour du 13 juillet 1989, Caturla-Poch et de la Fuente Pascual/Parlement, 361/87 et 362/87, Rec. p. 2471, point 24), le Tribunal n'est pas en mesure de vérifier que le jury a exercé son pouvoir d'appréciation sur la base de critères objectifs.

46.
    Par ailleurs, les explications fournies par le défendeur dans ses écritures sur la fonction de la rubrique 6 concernant l'adéquation au profil recherché conduisent

le Tribunal à la conclusion que les modalités de déroulement de la procédure présentent une autre anomalie. En effet, l'Office a affirmé que cette rubrique était éliminatoire et intégrait les autres rubriques tout en comportant l'appréciation d'éléments non visés dans les autres rubriques. Or, les fiches d'évaluation et leslistes des candidats retenus, établies par le jury en annexe à son rapport à l'AIPN, montrent que certaines rubriques, dont la rubrique 6, n'ont pas, dans tous les cas, fait l'objet d'une appréciation de la part de tous les membres du comité. Si la rubrique 6 a eu l'importance que lui prête le défendeur, il est incompréhensible qu'elle n'ait pas systématiquement donné lieu à une appréciation.

47.
    En outre, tant dans sa duplique qu'à l'audience, le défendeur a expliqué la note obtenue par la requérante sous la rubrique 6 par son insuffisante motivation professionnelle spécifique pour le travail d'encodage lié au poste en cause. A la question de savoir en quoi consistait la motivation spécifique exigée, le défendeur s'est référé aux annotations portées par les membres du comité sur les fiches d'évaluation. Or, ces annotations se limitent à évoquer, tantôt explicitement, tantôt implicitement, la surqualification de la requérante par rapport au profil recherché, un membre du comité ayant ajouté que l'attribution du poste à pourvoir à l'intéressée correspondrait à une régression dans la carrière de celle-ci. Néanmoins, le défendeur a confirmé à l'audience qu'au moins deux candidats titulaires d'un diplôme universitaire avaient été engagés.

48.
    Si aucun élément ne permet d'inférer qu'un candidat ayant accompli antérieurement, de manière satisfaisante, des tâches comparables à celles du poste à pourvoir et exerçant des fonctions de secrétariat de direction serait empêché d'accomplir les tâches liées à l'emploi à pourvoir ou que cette circonstance aurait des effets négatifs sur la qualité de son travail, sur son rendement ou sur sa motivation, alors l'exclusion d'un tel candidat pour la seule raison qu'il est surqualifié fait obstacle au but assigné de manière impérative à toute procédure d'engagement d'un agent temporaire par l'article 12 du RAA, à savoir assurer à l'institution le concours de personnes possédant les plus hautes qualités de compétence, de rendement et d'intégrité (voir, en ce sens, arrêt Noonan/Commission, cité au point 34 ci-dessus).

49.
    Or, en l'espèce, le défendeur n'a avancé aucun élément de nature à établir que la surqualification de la requérante aurait, le cas échéant, des effets négatifs sur la qualité de son travail, sur son rendement ou sur sa motivation. De même, le défendeur n'a fourni aucun élément objectif établissant que la surqualification de la requérante, à la différence de celle des autres candidats titulaires d'un diplôme universitaire, aurait pu avoir de tels effets.

50.
    Le dossier ne contient pas non plus d'élément indiquant que le comité se serait fondé sur d'autres considérations que celles qui ressortent des annotations relatives à la surqualification de la requérante.

51.
    A l'audience, le défendeur a cependant affirmé que la requérante était animée d'une motivation particulière pour le poste à pourvoir, en ce qu'elle souhaitait rejoindre son mari et retourner dans son pays natal. Mais, il n'a pas indiqué en quoi une prétendue démotivation due à la surqualification aurait pu affecter cette motivation particulière pour l'emploi en cause, ni en quoi celle-ci aurait éventuellement pu être nuisible au travail de la requérante dans le cadre de cet emploi.

52.
    Par ailleurs, l'époux de la requérante avait, au moment des faits, un différend avec la direction de l'Office. Or, il est constant que deux membres du comité au moins savaient, lors de l'entretien du 27 septembre 1996, que la requérante était l'épouse d'un membre de la première chambre de recours de l'Office. Il n'est pas non plus contesté qu'un membre du comité a fait allusion, lors de cet entretien, à ces rapports familiaux pour connaître la source de ses connaissances sur le règlement sur la marque communautaire. La référence explicite à la relation matrimoniale de la requérante au cours d'une épreuve de sélection constitue une circonstance insolite qui laisse planer des doutes sur l'absence de prise en compte de cette relation dans l'appréciation du comité.

53.
    Enfin, le défendeur s'est contredit dans ses explications sur la fonction de l'entretien qui, en ce qui concerne la requérante, a eu lieu plus de six mois après la note de M. Copine (mentionnée au point 11 ci-dessus), laquelle constitue, selon lui, le rapport final de la procédure de sélection. En effet, interrogé à l'audience par le Tribunal sur l'irrégularité des fiches d'évaluation, le défendeur a soutenu que ni la situation familiale de la requérante ni les irrégularités relevées n'avaient eu d'incidence sur la décision de rejet de sa candidature, étant donné que la sélection avait exclusivement été opérée sur la base des actes de candidature écrits, l'entretien oral n'ayant eu pour but que de vérifier la véracité des informations qu'ils contenaient (voir point 39 ci-dessus). En revanche, tant dans sa lettre de rejet de la réclamation que dans sa duplique, il a souligné que l'entretien constituait le noyau de la procédure de sélection et que la candidature de la requérante avait été évaluée sur la base non seulement du dossier, mais aussi de ses réponses aux questions du comité.

54.
    Les circonstances dans lesquelles s'est déroulée la procédure de sélection et les irrégularités entachant cette dernière, de même que les explications contradictoires avancées par le défendeur pour justifier la décision attaquée, constituent des indices aussi nombreux qu'importants d'un exercice illégal de son pouvoir d'appréciation par le comité, qui ont pour effet de renverser la présomption de validité de la procédure de sélection (voir, en ce sens, dans le cadre de l'examen d'un moyen pris d'un détournement de pouvoir, arrêt du Tribunal du 19 novembre 1996, Brulant/Parlement, T-272/94, RecFP p. II-1397, point 45).

55.
    Dans ces conditions, il incombe au défendeur de prouver que ces irrégularités n'ont pas faussé le résultat final du concours.

56.
    Or, force est de constater que, en se bornant à invoquer, d'une manière générale, son large pouvoir d'appréciation et la prétendue absence de motivation professionnelle spécifique de la requérante, le défendeur n'a pas prouvé que la candidature de cette dernière avait été écartée sur la base d'éléments objectifs pertinents au regard du poste à pourvoir, autres que ceux que le Tribunal a considéré comme insuffisants aux points 43 à 50 ci-dessus, et que sa candidature n'avait pas été rejetée pour des raisons étrangères à ses mérites. On ne peut d'ailleurs, dans ce contexte, que déplorer le caractère à tout le moins insuffisant de la motivation de la décision attaquée.

57.
    Il résulte de ce qui précède que le défendeur a fait un usage illégal de son pouvoir d'appréciation assurant un traitement discriminatoire à la requérante, de sorte que les moyens examinés ci-dessus doivent être accueillis.

58.
    Il convient dès lors d'annuler la décision du comité du 30 octobre 1996 de ne pas inscrire la requérante sur la liste établie dans le cadre du «concours pour l'établissement d'une liste d'aptitude d'agents temporaires des deux sexes de la catégorie C (référence AT/C)».

     Sur les dépens

59.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. L'Office ayant succombé, il y a lieu, au vu des conclusions de la requérante, de le condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision du comité de sélection de l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) du 30 octobre 1996 de ne pas inscrire la requérante sur la liste établie dans le cadre du «concours pour l'établissement d'une liste d'aptitude d'agents temporaires des deux sexes de la catégorie C (référence AT/C)» est annulée.

2)    L'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) est condamné aux dépens.

Jaeger
Lenaerts
Azizi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 février 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

M. Jaeger


1: Langue de procédure: le français.