Language of document : ECLI:EU:T:2023:305

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

7 juin 2023 (*)

« Fonction publique – Agents temporaires – Personnel de l’EUIPO – Contrat à durée déterminée – Non-renouvellement – Autorité compétente – Principe de bonne administration – Droit d’être entendu – Responsabilité – Préjudice moral »

Dans l’affaire T‑650/20,

KD, représentée par Mes S. Pappas, D.-A. Pappa et A. Pappas, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme A. Lukošiūtė, MM. K. Tóth et V. Ruzek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé, lors des délibérations, de M. H. Kanninen (rapporteur), président, Mmes N. Półtorak et M. Stancu, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 15 mars 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE et introduit le 23 octobre 2020, la requérante, KD, demande, d’une part, l’annulation de la décision de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 1er avril 2020 de ne pas renouveler son contrat (ci-après la « décision attaquée ») et, d’autre part, la réparation du préjudice moral qu’elle prétend avoir subi.

 Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

2        Le 16 juillet 2015, la requérante est entrée au service de l’EUIPO en tant qu’agent temporaire pour une période de cinq ans, en vertu de l’article 2, sous f), du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA »). Elle a été affectée au département « Académie » de l’EUIPO.

3        Le 15 février 2016, la requérante a été nommée cheffe d’équipe.

4        À partir de 2015, la requérante a connu des difficultés personnelles et des problèmes de santé. Ces derniers ont nécessité [confidentiel] (1). La requérante a aussi bénéficié d’un [confidentiel].

5        Le 5 février 2020, un dialogue formel s’est tenu entre la requérante, la directrice du département « Académie » et une agente du département des ressources humaines de l’EUIPO. Dans le cadre de cet entretien, il a été indiqué à la requérante que, « compte tenu de sa performance irrégulière au cours de la durée du contrat, des résultats attendus du grade et des questions liées au respect des règles et des procédures sur le temps de travail et [confidentiel] pour certaines périodes du contrat, il y a[vait] des doutes au sujet de la régularité du niveau de performance, de fiabilité et de résilience si le contrat était prolongé pour cinq années supplémentaires ». Au vu de ces faiblesses et des rapports d’évaluation de la requérante, le département « Académie » de l’EUIPO a indiqué ne pas « [se sentir] à l’aise pour recommander le renouvellement » du contrat de la requérante à l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (ci-après l’« AHCC »).

6        Le 7 février 2020, la directrice du département « Ressources humaines » de l’EUIPO a, en qualité d’AHCC, notifié à la requérante la recommandation de son département de ne pas renouveler son contrat et l’a invitée à présenter ses observations à ce sujet le 21 février 2020 au plus tard.

7        Par courriel du 21 février 2020, la requérante a présenté à la directrice du département « Ressources humaines » des observations dans lesquelles elle lui demandait de « reconsidérer [s]on cas et de procéder au renouvellement de [s]on contrat ». Elle invitait l’AHCC à « procéder à un examen minutieux et objectif et [à] prendre en considération ses rapports d’évaluation [pour les exercices] 2015 à 2018 avant d’adopter la décision relative au renouvellement de son contrat ». Elle soulignait que son rapport d’évaluation pour l’exercice 2019 ne serait finalisé que le 1er mars 2019, mais qu’elle avait reçu des commentaires très positifs durant son entretien d’évaluation. À défaut de tenir compte de ce rapport, la directrice du département n’aurait pas pris en considération l’ensemble des circonstances factuelles utiles pour évaluer son cas et exprimer une recommandation quant à son renouvellement.

8        Le 11 mars 2020, la requérante a reçu son rapport d’évaluation pour l’exercice 2019 (ci-après le « rapport d’évaluation 2019 »).

9        Le 1er avril 2020, statuant en qualité d’AHCC, la directrice du département « Ressources humaines » a notifié à la requérante la décision attaquée. Dans cette décision, la directrice du département « Ressources humaines » a précisé avoir eu connaissance du rapport d’évaluation 2019.

10      Le 22 mai 2020, la requérante a introduit devant le Tribunal un recours tendant, d’une part, à l’annulation du rapport d’évaluation 2019 et, d’autre part, à l’indemnisation du préjudice moral qu’elle estimait avoir subi en conséquence de celui-ci. Ce recours a été enregistré sous la référence T‑298/20.

11      Le 25 mai 2020, la requérante a introduit contre la décision attaquée une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »).

12      Par courrier du 10 juin 2020, la requérante a indiqué introduire une demande complémentaire, au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut, tendant à ce que l’AHCC examine la possibilité de reporter l’application de la décision attaquée ou de prolonger son contrat jusqu’à la prise d’une décision définitive. Le directeur exécutif de l’EUIPO a qualifié cette demande de complément à la réclamation du 25 mai 2020.

13      Le 15 juillet 2020, le directeur exécutif de l’EUIPO a adopté une décision rejetant la réclamation introduite par la requérante (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

14      Le 26 octobre 2022, le Tribunal a prononcé l’arrêt KD/EUIPO (T‑298/20, non publié, EU:T:2022:671), par lequel il a annulé le rapport d’évaluation 2019.

15      Par ordonnance du 5 décembre 2022, le Tribunal a décidé, sur le fondement de l’article 113 du règlement de procédure du Tribunal, de rouvrir la phase orale de la procédure dans la présente affaire, afin de charger le juge rapporteur de régler le litige par la voie d’un règlement amiable. Par lettre du même jour, le juge rapporteur a pris contact avec les parties au litige afin d’explorer les possibilités de régler le litige par la voie d’un tel règlement amiable, conformément à l’article 50 bis, paragraphe 2, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 125 bis, paragraphe 2, du règlement de procédure.

16      Par lettre du 17 février 2023, le juge rapporteur a formulé une proposition de règlement amiable du litige à laquelle les parties ont répondu par lettres déposées au greffe du Tribunal le 17 mars 2023.

17      À la suite de ces réponses, le juge rapporteur a constaté l’échec de la tentative de règlement amiable.

 Conclusions des parties

18      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        annuler la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner l’EUIPO à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

19      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation

20      La requérante invoque cinq moyens au soutien de ses conclusions en annulation. Les premier à quatrième moyens sont soulevés au soutien de la demande d’annulation de la décision attaquée et de la demande d’annulation de la décision de rejet de la réclamation, tandis que le cinquième, qui porte spécifiquement sur la régularité de la procédure précontentieuse, l’est uniquement au soutien de la demande d’annulation de la décision de rejet de la réclamation.

21      Lors de l’audience, la requérante a soulevé un nouveau moyen à l’appui de sa demande d’annulation de la décision de rejet de la réclamation, ce dont il a été pris acte au procès-verbal.

22      Aux fins de l’examen des premier à quatrième moyens, il convient de rappeler que la réclamation administrative et son rejet, explicite ou implicite, font partie intégrante d’une procédure complexe et ne constituent qu’une condition préalable à la saisine du juge, sauf dans l’hypothèse où le rejet de la réclamation a une portée différente de celle de l’acte contre lequel cette réclamation a été formée. Tel est le cas lorsque la décision de rejet de la réclamation contient un réexamen de la situation de la partie requérante, en fonction d’éléments de droit et de fait nouveaux, ou lorsqu’elle modifie ou complète la décision initiale. Dans ces hypothèses, le rejet de la réclamation constitue un acte soumis au contrôle du juge, qui le prend en considération dans l’appréciation de la légalité de l’acte contesté, voire le considère comme un acte faisant grief se substituant à ce dernier (voir arrêt du 21 mai 2014, Mocová/Commission, T‑347/12 P, EU:T:2014:268, point 34 et jurisprudence citée).

23      En l’espèce, il y a lieu de constater que la décision de rejet de la réclamation confirme la décision attaquée après avoir rappelé le contexte factuel et juridique pertinent, identifié les éléments que l’AHCC a pris en compte dans le cadre de son examen et répondu à l’ensemble des observations de la requérante. L’AHCC ne s’est pas appuyée sur des éléments de fait ou de droit nouveaux, mais a, comme le reconnaît l’EUIPO devant le Tribunal, complété la motivation de la décision attaquée. Elle s’est ainsi notamment référée à la jurisprudence relative au devoir de sollicitude et à l’obligation qui lui incombait d’opérer une appréciation globale des performances de la requérante.

24      Il est vrai que la décision de rejet de la réclamation prend également position sur le courrier de la requérante du 10 juin 2020, dans lequel la requérante a demandé à l’AHCC d’examiner la possibilité de reporter l’application de la décision de non-renouvellement ou de prolonger son contrat jusqu’à la prise d’une décision définitive.

25      Il y a, cependant, lieu de constater que le refus de l’AHCC de réserver une suite positive à ce courrier ne fait pas l’objet du présent recours.

26      Il s’ensuit que, aux fins de l’examen des premier à quatrième moyens, le présent recours doit être compris comme étant dirigé contre la décision attaquée, dont la légalité sera examinée en tenant compte des motifs du rejet de la réclamation.

27      Parmi ces quatre moyens, le premier est tiré de l’incompétence de la directrice du département « Ressources humaines » de l’EUIPO pour adopter la décision attaquée. Le deuxième moyen est tiré d’une violation des formes substantielles lors du dialogue précédant l’adoption de la décision attaquée. Le troisième moyen, tiré, en substance, de la violation des exigences d’une bonne administration, d’un manquement au devoir de sollicitude ou d’erreurs manifestes d’appréciation, s’articule en trois branches. La première est prise de l’omission de l’EUIPO de tenir suffisamment compte des problèmes de santé de la requérante ainsi que des critères de compétence, de conduite dans le service et des autres composantes du rendement. La deuxième est prise de l’omission de l’AHCC de tenir compte du rapport d’évaluation 2019. La troisième est prise de l’omission de l’AHCC de tenir compte de tous les éléments pertinents pour évaluer la requérante. Le quatrième moyen est tiré d’erreurs manifestes dans l’appréciation du respect, par la requérante, des règles en matière de temps de travail et [confidentiel].

28      Le Tribunal estime qu’il convient d’examiner, tout d’abord, le premier moyen, puis, conjointement, le deuxième moyen et la deuxième branche du troisième moyen, qui se rapportent tous deux au rapport d’évaluation 2019, et, enfin, le cas échéant, les première et troisième branches du troisième moyen et le quatrième moyen. Ce n’est que dans l’hypothèse où la décision attaquée n’aurait pas été annulée au terme de l’examen de ces quatre moyens que le cinquième moyen, tiré du caractère irrégulier de l’examen de la réclamation, et le moyen soulevé lors de l’audience (point 21 ci-dessus), tiré d’un défaut de compétence du directeur exécutif de l’EUIPO pour adopter la décision de rejet de la réclamation, conserveraient leur objet et qu’il conviendrait de statuer à leur sujet (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2020, IR/Commission, T‑131/20, non publié, EU:T:2020:381, point 123).

 Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence de la directrice du département « Ressources humaines » de l’EUIPO

29      La requérante soutient que la directrice du département « Ressources humaines » n’était pas compétente pour adopter la décision attaquée. À titre principal, la requérante fait valoir qu’il ressort de la réglementation applicable que le directeur exécutif de l’EUIPO est l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN »). Or, il ne serait pas prévu que celui-ci puisse subdéléguer les pouvoirs qu’il détient à ce titre et aucun acte explicite de subdélégation n’aurait été adopté en matière de renouvellement des contrats d’agents temporaires.

30      À titre subsidiaire, la requérante avance que, dans l’hypothèse où la décision ADM-17-34 du 8 mai 2017, relative à la structure interne de l’EUIPO, aurait servi de base juridique à la décision attaquée, ce serait à tort que l’EUIPO se serait fondé sur elle. Cette décision ne prévoirait, en effet, aucune délégation en matière de renouvellement de contrats.

31      L’EUIPO répond que le présent moyen est irrecevable pour méconnaissance de la règle de concordance et n’est, en tout état de cause, pas fondé.

32      Il convient d’emblée d’observer, à l’instar de la requérante, qu’est d’ordre public le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte (voir arrêt du 13 juillet 2006, Vounakis/Commission, T‑165/04, EU:T:2006:213, point 30 et jurisprudence citée), y compris lorsqu’il porte, comme le présent moyen, sur l’existence d’une délégation régulière consentie audit auteur (arrêts du 13 décembre 2006, de Brito Sequeira Carvalho/Commission, F‑17/05, EU:F:2006:132, points 51 à 57, et du 18 mai 2009, Meister/OHMI, F‑138/06 et F‑37/08, EU:F:2009:48, points 147 à 150). Il appartient ainsi, en tout état de cause, au Tribunal de relever d’office ce moyen.

33      La fin de non-recevoir de l’EUIPO doit donc être rejetée.

34      Au fond, il convient de rappeler que l’article 2, paragraphe 1, du statut et l’article 6 du RAA prévoient que chaque institution détermine les autorités qui exercent en son sein les pouvoirs dévolus par le statut à l’AIPN et par le RAA à l’AHCC.

35      Au sein de l’EUIPO, l’article 153, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1), organise la délégation par le conseil d’administration au directeur exécutif des compétences conférées à l’AIPN par le statut et à l’AHCC par le RAA. Le deuxième alinéa de cette disposition prévoit que le directeur exécutif est autorisé à subdéléguer ces compétences.

36      C’est sur ce fondement que, le 21 mars 2017, le conseil d’administration a adopté la décision MB-17-01, déléguant au directeur exécutif les compétences conférées à l’AIPN par le statut et à l’AHCC par le RAA. L’article 2, paragraphe 1, de cette décision prévoit que les compétences conférées par le RAA à l’AHCC sont déléguées au directeur exécutif, sous réserve de trois exceptions, dont aucune n’est pertinente en l’espèce. L’article 3 de ladite décision dispose que le directeur exécutif peut subdéléguer ces compétences à une fonctionnaire ou à un agent temporaire désigné en fonction de son poste au sein de l’EUIPO ou ad personam.

37      Le 22 mars 2017, le directeur exécutif a pris, sur la base de la décision MB-17-01, la décision ADM-17-17, relative à l’exercice des compétences de l’AIPN et de l’AHCC qui lui sont déléguées (ci-après la « décision relative à la subdélégation »). L’article 2 de la décision relative à la subdélégation dispose :

« Les compétences relevant de l’[AHCC] en ce qui concerne […] les agents temporaires visés à l’article 2, points b), c) et f), du RAA […] sont décrites dans le tableau annexé à la présente décision, par objet et par autorité compétente. »

38      Il ressort du point 2, première ligne, de ce tableau, qui fait partie intégrante de la décision relative à la subdélégation, que les compétences relatives au « recrutement des agents temporaires et des agents contractuels, y compris la conclusion de contrats et les modifications » sont subdéléguées au directeur du département « Ressources humaines ». La même ligne fait explicitement référence à l’article 8 du RAA, qui constitue la base juridique du renouvellement des contrats d’agents temporaires engagés pour une durée déterminée.

39      Contrairement à ce que soutient la requérante dans la réplique, la décision de consentir à la directrice du département « Ressources humaines » une telle subdélégation reste valable après un changement des personnes ayant agi en qualité de délégataire ou de délégant, quand bien même la réglementation interne à l’EUIPO ne le prévoirait pas expressément. Une telle décision vise à répartir les compétences au sein de l’EUIPO et il ne s’agit pas d’une preuve de confiance qui concerne une personne physique précise (voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2016, Tilly-Sabco/Commission, T‑397/13, EU:T:2016:8, point 203).

40      Il en résulte que le conseil d’administration de l’EUIPO a délégué les compétences relatives au renouvellement des contrats d’agents temporaires engagés pour une durée déterminée au directeur exécutif, qui les a, à son tour, subdéléguées à la directrice du département « Ressources humaines ». C’est donc sur le fondement d’une subdélégation valable que la directrice du département « Ressources humaines » a pris la décision attaquée.

41      L’argument de la requérante tiré de la décision ADM-17-34 ne démontre pas le contraire. Cette décision est, en effet, dépourvue de pertinence aux fins de l’examen du présent moyen. Comme le relève à juste titre l’EUIPO, il ressort de l’article 16 de ladite décision qu’elle porte sur la délégation aux directeurs des pouvoirs administratifs et financiers nécessaires à la gestion des opérations quotidiennes de leurs départements, à l’exception des questions statutaires telles que celle dont il est question en l’espèce.

42      Le présent moyen doit donc être rejeté.

 Sur le deuxième moyen et la deuxième branche du troisième moyen, relatifs au rapport d’évaluation 2019

43      À l’appui du deuxième moyen et de la deuxième branche du troisième moyen, la requérante avance, en substance, trois griefs relatifs à la prise en compte du rapport d’évaluation 2019 dans le cadre de la procédure de renouvellement de son contrat. Le premier, invoqué à titre principal, est tiré de l’omission de l’EUIPO de tenir compte de ce rapport. Les deuxième et troisième, invoqués à titre subsidiaire, portent, en substance, respectivement, sur l’omission de l’EUIPO d’entendre la requérante au sujet dudit rapport dans le cadre de la procédure de renouvellement et sur le fait que les références à ce rapport dans la décision attaquée constituent seulement un prétexte.

–       Sur le premier grief, pris de l’omission de l’EUIPO de tenir compte du rapport d’évaluation 2019

44      La requérante reproche, en substance, à l’EUIPO d’avoir manqué aux exigences d’une bonne administration et d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation ou un manquement au devoir de sollicitude en omettant de tenir compte du rapport d’évaluation 2019, qui aurait pourtant revêtu une importance particulière du fait de sa proximité temporelle avec la décision attaquée. Les seules références à ce rapport qui figureraient dans la décision attaquée et dans la décision de rejet de la réclamation auraient été faites en réponse aux arguments de la requérante tirés de l’absence de prise en considération dudit rapport.

45      L’EUIPO conteste l’argumentation de la requérante.

46      Il convient de constater que la requérante se méprend lorsqu’elle soutient que l’EUIPO n’a pas tenu compte du rapport d’évaluation 2019 dans le cadre de la procédure de renouvellement. Comme la requérante le reconnaît elle-même dans la réplique, la décision attaquée comporte la mention suivante : « l’AHCC a tenu compte du rapport [d’évaluation] 2019 qui a été finalisé entre-temps et partagé avec vous le 11 mars 2020 ».

47      De même, dans la décision de rejet de la réclamation, il est indiqué ce qui suit :

« tous les éléments de vos rapports d’évaluation [pour les exercices] 2015, 2016, 2017, 2018 et 2019 que vous mettez en avant dans votre réclamation ont été dûment pris en considération par l’AHCC dans son appréciation de l’intérêt du service concernant le possible renouvellement de votre contrat.

[…]

Contrairement à vos allégations, votre rapport d’évaluation 2019 a été pris en compte dans la décision [attaquée] après avoir été finalisé le 11 mars 2020. Il en a été dûment tenu compte dans la mesure où vous mentionniez dans vos observations qu’il pourrait contenir certains éléments en faveur du renouvellement de votre contrat ».

48      La requérante n’est donc pas fondée à soutenir que l’EUIPO a omis de tenir compte du rapport d’évaluation 2019 dans la décision attaquée.

49      Le premier grief doit en conséquence être rejeté.

–       Sur le deuxième grief, pris de l’omission de l’EUIPO d’entendre la requérante au sujet du rapport d’évaluation 2019

50      La requérante reproche à l’administration de l’avoir privée de son droit d’être entendue, au titre de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en fondant sa recommandation de non-renouvellement sur les seuls rapports d’évaluation couvrant les exercices d’évaluation 2015, 2016, 2017 et 2018 et sur le dialogue du 5 février 2020, au cours duquel le rapport d’évaluation 2019 n’aurait pas été discuté. La requérante précise ne pas avoir été en mesure de développer ses arguments à la lumière du rapport d’évaluation 2019, ne l’ayant reçu que le 11 mars 2020 alors qu’elle a présenté ses commentaires sur la recommandation de non-renouvellement le 21 février 2020.

51      En application des exigences d’une bonne administration, l’EUIPO aurait pu établir le rapport d’évaluation de 2019 selon le calendrier approprié, afin que la requérante puisse en prendre connaissance en temps utile.

52      La requérante ajoute qu’elle n’a pas eu la possibilité d’exposer son point de vue sur le rapport d’évaluation 2019 dans l’hypothèse où celui-ci aurait été pris en compte dans la décision attaquée.

53      L’EUIPO conteste l’argumentation de la requérante. Selon lui, l’exercice d’évaluation et la procédure de renouvellement sont deux procédures distinctes qui ne doivent pas être confondues. Chacune de ces procédures répondrait à des finalités propres et à un calendrier spécifique, dans le cadre duquel les formes substantielles, dont le droit de la requérante d’être entendue, auraient été respectées.

54      S’agissant de la procédure de renouvellement, l’EUIPO estime qu’une décision de non-renouvellement peut prendre la forme d’une simple annonce de son intention et des motifs qui la fondent, par un échange écrit ou verbal, même bref, qui n’a lieu qu’une fois que l’intéressé a dûment fait valoir son point de vue. Il qualifie la réunion du 5 février 2020 « d’avertissement préalable » ou « d’explication courtoise » visant à informer la requérante sur les éléments à transmettre à l’AHCC. Une audition par voie écrite par l’AHCC a suivi cette étape. Dans ce cadre, la requérante aurait été informée de la décision envisagée de ne pas la renouveler. Elle aurait pu exprimer ses observations à ce sujet le 21 février 2020. La requérante aurait ainsi été entendue, y compris sur ses prestations au cours de l’année 2019.

55      Quant à la prétendue exigence de prise en compte le dernier rapport d’évaluation dans le cadre du dialogue précédant la décision de non-renouvellement, l’EUIPO soutient qu’il n’était pas tenu de s’écarter, spécifiquement pour la requérante, des calendriers de l’exercice d’évaluation de 2019 et de la procédure de renouvellement du contrat. Autrement, il y aurait eu rupture d’égalité entre les membres du personnel de l’EUIPO.

56      L’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux dispose que le droit à une bonne administration comporte, notamment, le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard.

57      Certes, la décision d’une administration de ne pas faire usage, lorsqu’elle détient une telle faculté au titre du RAA, de la possibilité de renouveler le contrat d’engagement à durée déterminée d’un agent n’est pas, formellement, une décision adoptée à l’issue d’une procédure engagée à l’encontre de l’intéressé (arrêt du 24 avril 2017, HF/Parlement, T‑584/16, EU:T:2017:282, point 151).

58      Il n’en demeure pas moins que, la réglementation interne de l’EUIPO prévoyant l’engagement en temps utile, avant l’expiration du contrat d’un agent, d’une procédure particulière portant sur le renouvellement de ce contrat, la décision attaquée doit être qualifiée d’acte faisant grief (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2020, WD/EFSA, T‑320/18, non publié, EU:T:2020:45, point 102, et du 14 juillet 2021, IN/Eismea, T‑119/20, non publié, EU:T:2021:427, point 55).

59      Selon la jurisprudence, une telle décision ne peut être adoptée qu’après que l’intéressé a été mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue, le cas échéant par une simple annonce de l’AHCC de son intention et des raisons de ne pas faire usage de ladite faculté, et ce dans le cadre d’un échange écrit ou oral, même de brève durée. Cet échange doit être engagé par l’AHCC, à qui incombe la charge de la preuve (arrêt du 24 avril 2017, HF/Parlement, T‑584/16, EU:T:2017:282, point 153).

60      Ce droit implique que l’intéressé ait eu la possibilité d’influencer le processus décisionnel dès le stade de l’adoption de la décision initiale et non uniquement lors de l’introduction d’une réclamation en vertu de l’article 90, paragraphe 2, du statut (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, UE/Commission, T‑338/19, EU:T:2020:430, point 54 et jurisprudence citée).

61      En l’espèce, il ressort des points 46 et 47 ci-dessus que le rapport d’évaluation 2019 compte parmi les éléments sur lesquels l’EUIPO s’est fondé dans la décision attaquée.

62      Il est vrai que, comme il a été indiqué au point 14 ci-dessus, ce rapport a été annulé par arrêt du 26 octobre 2022, KD/EUIPO (T‑298/20, non publié, EU:T:2022:671), et qu’il est, en conséquence, éliminé rétroactivement de l’ordre juridique et censé n’avoir jamais existé, conformément à l’article 264, premier alinéa, et à l’article 266, premier alinéa, TFUE (arrêt du 28 mars 2019, River Kwai International Food Industry/AETMD, C‑144/18 P, non publié, EU:C:2019:266, points 45 à 47).

63      Ayant entendu les parties lors de l’audience sur les conséquences à tirer d’une éventuelle annulation de cette décision pour la présente affaire, le Tribunal relève, à l’instar de l’EUIPO, que le rapport d’évaluation 2019 ne constitue pas directement un motif de la décision attaquée et est uniquement un document qui contient notamment des éléments de fait susceptibles d’avoir été pris en considération aux fins d’adopter cette dernière (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, Wahlström/Frontex, T‑591/16, non publié, EU:T:2018:938, point 92).

64      Or, d’une part, comme l’a reconnu l’EUIPO lors de l’audience, l’administration n’a pas entendu la requérante au sujet du rapport d’évaluation 2019 entre la date d’adoption de ce dernier et la date d’adoption de la décision attaquée. D’autre part et surtout, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’administration l’aurait entendue au sujet de l’ensemble des éléments de fait relatés dans ledit rapport.

65      Contrairement à ce que laisse entendre l’EUIPO, le fait qu’il aurait entendu la requérante dans le cadre d’une procédure dont il reconnaît lui-même expressément le caractère distinct, à savoir celle de l’exercice d’évaluation 2019, n’est pas de nature à pallier cette omission. En effet, pour satisfaire au droit d’être entendu, l’administration doit porter à la connaissance de l’intéressé non seulement les divers éléments en cause, mais aussi lui faire savoir avec une précision suffisante quelles conséquences sont susceptibles d’être tirées de ces éléments au stade où il est demandé à l’intéressé de faire part de ses observations [voir arrêt du 3 juillet 2019, PT/BEI, T‑573/16, EU:T:2019:481, point 266 (non publié) et jurisprudence citée].

66      Il s’ensuit que l’EUIPO a méconnu le droit de la requérante d’être entendue.

67      Il convient, néanmoins, de souligner qu’une violation du droit d’être entendu ne peut entraîner l’annulation d’un acte que si, en l’absence de cette irrégularité, la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent (arrêt du 24 avril 2017, HF/Parlement, T‑584/16, EU:T:2017:282, point 157).

68      Pour établir que tel est le cas, la partie requérante doit expliquer quels sont les arguments et les éléments qu’elle aurait fait valoir si ses droits de la défense avaient été respectés et démontrer, le cas échéant, que ces arguments et ces éléments auraient pu conduire dans son cas à un résultat différent [voir arrêt du 3 juillet 2019, PT/BEI, T‑573/16, EU:T:2019:481, point 269 (non publié) et jurisprudence citée].

69      Il ne saurait, cependant, être imposé à une partie requérante qui invoque la violation de son droit d’être entendue de démontrer que la décision de l’institution de l’Union concernée aurait eu un contenu différent, mais uniquement qu’une telle hypothèse n’était pas entièrement exclue (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 106 et jurisprudence citée).

70      En l’espèce, il est vrai que la requérante s’est contentée de soutenir qu’elle aurait été « en mesure de développer ses arguments de manière plus convaincante à la lumière d[u] rapport d’évaluation [2019] », sans identifier avec davantage de précision les arguments et les éléments qu’elle aurait pu faire valoir si elle avait été utilement entendue ni expliquer comment ils auraient pu conduire dans son cas à un résultat différent.

71      Il convient, cependant, d’observer que l’EUIPO n’a pas mis la requérante en mesure de le faire, la décision attaquée ne comportant pas la moindre indication, explicite ou implicite, quant à la manière dont l’administration a pris en compte le rapport d’évaluation 2019. Interrogée à ce sujet lors de l’audience, après avoir indiqué que ce rapport avait été pris en compte dans son intégralité, l’EUIPO a concédé qu’il ne semblait pas possible de déduire du libellé de la décision attaquée quels aspects dudit rapport avaient été pris en compte, ce dont il a été pris acte au procès-verbal.

72      Il n’était, au demeurant, pas non plus possible de déduire la manière dont le rapport d’évaluation 2019 a été pris en compte dans la décision attaquée du contexte dans lequel cette dernière est intervenue.

73      Dans ces conditions, il n’est pas entièrement exclu que la décision attaquée aurait eu un contenu différent si l’EUIPO lui avait permis de faire valoir son point de vue sur les éléments de fait relatés dans le rapport d’évaluation 2019. Il convient par conséquent d’accueillir le deuxième grief.

74      Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il convient d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit besoin d’examiner le troisième grief, ni les première et troisième branches du troisième moyen, et le quatrième moyen. En outre, dès lors que la décision attaquée a été annulée, il n’y a plus lieu d’examiner le cinquième moyen ni le moyen soulevé durant l’audience, ceux-ci étant dirigés contre la décision de rejet de la réclamation dont le requérant n’a plus de bénéfice à obtenir l’annulation.

 Sur les conclusions en indemnité

75      La requérante fait valoir que la décision attaquée lui a causé un préjudice moral, qu’elle évalue à 20 000 euros. Elle attribue, en substance, ce préjudice au manquement au devoir de sollicitude et aux erreurs manifestes d’appréciation dont cette décision serait entachée et qui lui auraient causé un sentiment de détresse, d’anxiété, de stress, d’insécurité, de peur de l’avenir, d’humiliation et d’injustice.

76      La requérante ajoute que son préjudice est, d’une part, aggravé par les difficultés rencontrées dans l’obtention de l’allocation de chômage et par la situation de crise sanitaire et, d’autre part, détachable de la décision attaquée.

77      Dans ses écritures, l’EUIPO a soutenu que la présente demande n’était pas fondée. Lors de l’audience, l’EUIPO a ajouté que cette demande était irrecevable pour n’avoir pas été soulevée lors de la procédure précontentieuse, ce dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience.

78      À titre liminaire, il convient de rappeler que, lorsqu’il existe un lien direct entre un recours en annulation et une action en indemnité, cette dernière est recevable en tant qu’accessoire du recours en annulation, sans qu’elle doive nécessairement avoir été précédée d’une demande invitant l’administration à réparer le préjudice prétendument subi et d’une réclamation contestant le bien-fondé du rejet implicite ou explicite de la demande (voir arrêt du 13 décembre 2012, A/Commission, T‑595/11 P, EU:T:2012:694, point 113 et jurisprudence citée).

79      En l’espèce, la requérante demande réparation du préjudice qu’elle prétend avoir subi du fait d’illégalités qui entachent, selon elle, la décision attaquée, à savoir des erreurs manifestes dans l’appréciation de ses [confidentiel] et un manquement au devoir de sollicitude qu’elle a invoqués au soutien de ses conclusions en annulation.

80      Il s’ensuit que la présente demande présente un lien direct avec la demande en annulation de la décision attaquée. La fin de non-recevoir exposée au point 77 ci-dessus doit, en conséquence, être rejetée.

81      Sur le fond, il y a lieu de rappeler que l’annulation d’un acte entaché d’illégalité peut constituer en elle-même la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé, à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir, en ce sens, ordonnance du 3 septembre 2019, FV/Conseil, C‑188/19 P, non publiée, EU:C:2019:690, point 26, et arrêt du 28 avril 2021, Correia/CESE, T‑843/19, EU:T:2021:221, point 86).

82      Or, en l’espèce, la requérante se borne à soutenir que les préjudices moraux allégués sont distincts de l’illégalité du rapport litigieux et que l’administration n’a pas tenu compte de tous les éléments pertinents. Elle n’explique pas en quoi ces préjudices sont insusceptibles d’être intégralement réparés par l’annulation de la décision attaquée.

83      Il y a donc lieu de considérer que l’annulation de la décision attaquée constitue en elle-même une réparation adéquate et suffisante du préjudice moral invoqué, à supposer que ce dernier soit établi et que les illégalités qui l’auraient causé soient avérées.

84      Il s’ensuit que les conclusions indemnitaires doivent être rejetées.

 Sur les dépens

85      Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

86      En l’espèce, la demande en annulation ayant été accueillie et la demande en indemnité rejetée, il y a lieu de décider que l’EUIPO supportera, outre ses propres dépens, les trois quarts de ceux de la requérante et que celle-ci supportera un quart de ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 1er avril 2020 de ne pas renouveler le contrat de KD est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      L’EUIPO supportera, outre ses propres dépens, trois quarts des dépens exposés par KD.

4)      KD supportera le quart de ses propres dépens.

Kanninen

Półtorak

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 juin 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Données confidentielles occultées.