Language of document : ECLI:EU:T:2023:321

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

7 juin 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie – Gel des fonds – Listes des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent le gel des fonds et des ressources économiques ainsi que l’interdiction d’entrée ou de transit sur le territoire de l’Union – Inscription du nom du requérant sur les listes – Caractère collectif d’une sanction – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑581/21,

Siarheï Skryba, demeurant à Marialivo (Biélorussie), représenté par Me D. Litvinski, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Limonet et V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. L. Truchot, président, H. Kanninen (rapporteur) et Mme R. Frendo, juges,

greffier : Mme P. Nuñez Ruiz, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 9 décembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Siarheï Skryba, demande l’annulation de la décision d’exécution (PESC) 2021/1002 du Conseil, du 21 juin 2021, mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2021, L 219 I, p. 70), et du règlement d’exécution (UE) 2021/997 du Conseil, du 21 juin 2021, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2021, L 219 I, p. 3), en tant que ces deux actes (ci-après les « actes attaqués ») le concernent.

 Antécédents du litige

2        Le requérant est vice-recteur de l’Université économique d’État de Biélorussie.

3        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis 2004 en raison de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme.

4        Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 18 mai 2006, sur le fondement des articles [75 et 215 TFUE], le règlement (CE) no 765/2006, concernant des mesures restrictives à l’encontre du président Loukachenko et de certains fonctionnaires de Biélorussie (JO 2006, L 134, p. 1), dont l’intitulé a été remplacé, aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement (UE) no 588/2011 du Conseil, du 20 juin 2011, modifiant le règlement n° 765/2006 (JO 2011, L 161, p. 1), par celui-ci : « [R]èglement (CE) no 765/2006 du Conseil du 18 mai 2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie ».

5        Le 15 octobre 2012, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2012/642/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 285, p. 1).

6        L’article 3, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642 prévoit que les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire, notamment, des personnes qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie, ainsi que des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes soutenant le régime de Loukachenko.

7        Selon l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642 et l’article 2, paragraphes 4 et 5, du règlement no 765/2006, tel que modifié par le règlement (UE) no 1014/2012 du Conseil, du 6 novembre 2012 (JO 2012, L 307, p. 1), la dernière disposition renvoyant à la première, sont gelés tous les fonds et les ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par, notamment, des personnes, des entités ou des organismes responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie, ainsi que des personnes soutenant le régime de Loukachenko.

8        Le 21 juin 2021, le Conseil a adopté les actes attaqués.

9        Il ressort du considérant 2 des actes attaqués que, « [l]e 9 août 2020, la Biélorussie a organisé des élections présidentielles qui ont été jugées incompatibles avec les normes internationales et ternies par l’oppression visant les candidats indépendants et la répression exercée de manière brutale contre des manifestants pacifiques à la suite de ce scrutin [ ; l]e 11 août 2020, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a fait une déclaration au nom de l’Union, dans laquelle il était estimé que les élections n’avaient été ni libres ni régulières [ ; i]l a également été précisé que des mesures pourraient être prises à l’encontre des responsables de la violence observée, des arrestations injustifiées et de la falsification des résultats de l’élection ».

10      Aux termes des considérants 6 et 8 de la décision d’exécution 2021/1002 et des considérants 3 et 5 du règlement d’exécution 2021/997, « [é]tant donné l’escalade des violations graves des droits de l’homme en Biélorussie, et de la violente répression qui s’abat sur la société civile, l’opposition démocratique et les journalistes ainsi que sur les personnes appartenant à des minorités nationales, il convient que des désignations de personnes et d’entités supplémentaires soient adoptées [ ; i]l convient dès lors d’ajouter soixante-dix-huit personnes et sept entités à la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives […] ».

11      Par les actes attaqués, le nom du requérant a été inséré à la ligne 115 du tableau A de la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes visés à l’article 3, paragraphe 1, et à l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2012/642 figurant à l’annexe de ladite décision ainsi qu’à la ligne 115 du tableau A de la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes visés à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 765/2006 figurant à l’annexe I dudit règlement (lesdites insertions étant ci‑après dénommées ensemble l’« inscription litigieuse »).

12      Dans les actes attaqués, le Conseil a identifié le requérant comme étant le « [v]ice-recteur de l’Université économique d’État de Biélorussie chargé du travail pédagogique » et a justifié l’adoption des mesures restrictives à son endroit par la mention des motifs suivants :

« En tant que vice-recteur de l’Université économique d’État de Biélorussie chargé du travail pédagogique, [le requérant] est responsable des sanctions prises à l’encontre d’étudiants pour leur participation à des manifestations pacifiques, notamment de leur renvoi de l’université.

Certaines de ces sanctions ont été prises à la suite de l’appel de Loukachenk[o], le 27 octobre 2020, à exclure des universités des étudiants prenant part aux manifestations et aux grèves.

[Le requérant] est donc responsable de la répression de la société civile et il soutient le régime de Loukachenk[o]. »

13      Le 22 juin 2021, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par [les actes attaqués] (JO 2021, C 244, p. 15). Par cet avis, les personnes concernées ont notamment été informées du fait qu’elles pouvaient soumettre au Conseil une demande de réexamen de l’inscription de leurs noms sur les listes figurant à l’annexe à la décision 2012/642 et à l’annexe I du règlement no 765/2006.

 Conclusions des parties

14      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, en tant qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

15      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

16      À l’appui de son recours, le requérant invoque trois moyens, tirés, le premier, d’une violation du principe de responsabilité personnelle et de l’obligation de motivation, le deuxième, d’erreurs d’appréciation et, le troisième, d’une violation du principe de proportionnalité.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation du principe de responsabilité personnelle et de l’obligation de motivation

17      À titre liminaire, il convient d’observer que, ainsi que le relève le requérant, les motifs de l’inscription litigieuse exposés au point 12 ci-dessus et ceux justifiant les mesures restrictives prises à l’encontre de trois recteurs d’universités biélorusses dont les noms figurent aux lignes no 116, n° 117 et n° 118 du tableau A de l’annexe I du règlement n° 765/2006 et de l’annexe de la décision 2012/642 présentent d’importantes similarités.

18      Partant de ce constat, le requérant soutient, d’une part, qu’il appartient à l’autorité de l’Union adoptant une sanction individuelle d’imputer des faits à la personne intéressée en apportant des preuves pertinentes. Or, en l’espèce, le Conseil n’aurait pas établi la responsabilité personnelle du requérant. L’inscription litigieuse ainsi que les trois autres inscriptions susmentionnées seraient des sanctions collectives décidées du fait des seules fonctions qu’exercent les personnes concernées. D’autre part, le Conseil aurait violé l’obligation de motivation.

19      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

20      En premier lieu, s’agissant du grief tiré de la violation de l’obligation de motivation, le requérant se plaint, en substance, du caractère stéréotypé des motifs de l’inscription litigieuse.

21      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE et l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être adaptée à la nature de l’acte attaqué et au contexte dans lequel celui-ci a été adopté. Elle doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce (voir arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 77 et jurisprudence citée).

22      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Ainsi, d’une part, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. D’autre part, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 78 et jurisprudence citée).

23      En particulier, la motivation d’une mesure restrictive ne saurait, en principe, consister seulement en une formulation générale et stéréotypée. Sous les réserves énoncées au point 22 ci-dessus, une telle mesure doit, au contraire, indiquer les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère que la réglementation pertinente est applicable à l’intéressé (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 79 et jurisprudence citée).

24      En l’espèce, il convient de relever que les motifs rappelés au point 12 ci-dessus énoncent les éléments qui constituent le fondement de l’inscription litigieuse, à savoir, en substance, que le requérant est responsable des sanctions prises à l’encontre d’étudiants pour leur participation à des manifestations pacifiques, notamment de leur renvoi de l’université.

25      Cette motivation ne révèle pas un caractère stéréotypé des motifs d’inscription. Dès lors, il y a lieu de relever que, si les considérations figurant dans ces motifs présentent d’importantes similarités avec celles sur le fondement desquelles d’autres personnes physiques mentionnées dans les listes ont été soumises à des mesures restrictives, elles visent néanmoins à décrire la situation concrète du requérant qui, au même titre que d’autres personnes, a, d’après le Conseil, participé à la répression de la société civile et soutenu le régime de Loukachenko (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 82).

26      Le grief tiré d’une violation de l’obligation de motivation doit donc être écarté.

27      En second lieu, s’agissant du grief tiré de la violation du principe de responsabilité personnelle, il ressort de la jurisprudence que, en vertu du principe d’individualité des peines et des sanctions, une personne, physique ou morale, ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés (arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 112).

28      Toutefois, il convient de rappeler que les mesures prises à l’encontre d’une personne ou d’une entité, sur la base des dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), constituent des mesures préventives ciblées, qui visent notamment à consolider et à soutenir la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme et dont l’adoption s’inscrit dans le cadre strict des conditions légales définies par une décision adoptée sur la base de l’article 29 TUE et par un règlement fondé sur l’article 215, paragraphe 2, TFUE mettant en œuvre cette décision dans le champ d’application du traité FUE. Par leur nature conservatoire ainsi que par leur finalité préventive, ces mesures se distinguent de sanctions pénales ou administratives (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 113).

29      Partant, le requérant ne saurait se prévaloir du principe d’individualité des peines et des sanctions pour contester l’inscription litigieuse.

30      Il n’en reste pas moins qu’il ressort de l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642 et de l’article 2, paragraphes 4 à 5, du règlement no 765/2006 que les mesures prévues à ces dispositions sont prises au regard de circonstances factuelles concrètes qui sont propres à la situation des personnes et entités concernées.

31      À cet égard, il ne saurait être déduit du seul fait que les motifs de l’inscription litigieuse et ceux retenus à l’encontre de tierces personnes présentent d’importantes similarités que le Conseil n’a pas apprécié les circonstances factuelles concrètes qui sont propres à la situation du requérant. En outre, le requérant ne saurait valablement soutenir avoir été inscrit sur les listes litigieuses en raison de son seul statut de vice-recteur d’université, dès lors que, comme il ressort des motifs litigieux, son inscription a été justifiée par sa responsabilité dans l’adoption de sanctions prises à l’encontre d’étudiants, considérée par le Conseil comme un acte de répression de la société civile et de soutien au régime de Loukachenko.

32      Quant à la question de savoir si le Conseil dispose effectivement de preuves relatives à de telles circonstances factuelles pour justifier l’inscription litigieuse, elle a trait à la détermination de l’existence d’une erreur d’appréciation et sera donc examinée ci-après dans le cadre du deuxième moyen, l’appréciation sur le fond des preuves n’étant pas nécessaire pour répondre au grief tiré de la violation du principe de responsabilité personnelle.

33      Dans ces conditions, ledit grief et, par conséquent, le premier moyen dans son ensemble doivent être rejetés comme non fondés.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs d’appréciation du Conseil

34      Le requérant soutient que les motifs de l’inscription litigieuse sont entachés d’erreurs d’appréciation. Il relève qu’il lui est reproché d’avoir décidé du renvoi d’étudiants de l’Université économique d’État de Biélorussie. Or, son implication personnelle dans l’adoption et la mise en œuvre de ces décisions de renvoi d’étudiants ne serait aucunement démontrée. En outre, la teneur des décisions qui lui sont imputées demeurant inconnue, il ne serait pas possible d’établir un rapport entre celles-ci et la participation des intéressés à des manifestations, dont le caractère pacifique n’est pas non plus démontré par le Conseil.

35      Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.

36      Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

37      À cette fin, il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée).

38      C’est, en effet, à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à ces dernières d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121).

39      Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

40      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne ou l’entité sujette à une mesure restrictive et le régime ou, en général, les situations combattues (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Kanyama/Conseil, T‑167/18, non publié, EU:T:2020:49, point 93 et jurisprudence citée).

41      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le deuxième moyen.

42      En l’espèce, il convient d’emblée d’écarter comme inopérant l’argument du requérant selon lequel c’est à tort que le Conseil évoque, dans les actes attaqués, l’atterrissage forcé du vol Ryanair à Minsk, en Biélorussie, le 23 mai 2021, car il ne serait aucunement impliqué dans cet évènement.

43      En effet, comme le relève à juste titre le Conseil, l’atterrissage forcé susmentionné est évoqué au considérant 7 de la décision d’exécution 2021/1002 et au considérant 4 du règlement d’exécution 2021/997 et non dans les motifs individuels de l’inscription litigieuse. Partant, il ne s’agit pas d’un élément dont il conviendrait de vérifier le bien-fondé dans le cadre du présent recours, qui est uniquement dirigé contre ladite inscription.

44      Dans le cadre du présent recours, il convient d’examiner, d’abord, si les éléments factuels fondant les motifs individuels relatifs au requérant sont établis, puis si le Conseil a commis une erreur d’appréciation en retenant que le requérant est responsable de la répression de la société civile et soutient le régime de Loukachenko.

 Sur les éléments factuels fondant les motifs litigieux

45      Premièrement, en ce qui concerne l’adoption, par le requérant, de sanctions à l’encontre d’étudiants ayant participé à des manifestations, le Conseil produit des articles publiés sur les sites Internet « people.onliner.by » et « euroradio.fm » le 10 décembre 2020 contenant la photographie d’un document présenté comme une demande du requérant adressée au directeur des services de police du district de Zavodski, à Minsk.

46      Il ressort dudit document daté du 15 octobre 2020, dont le Conseil a produit, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, une version traduite dans la langue de la procédure, que la demande en cause, signée par le requérant, vise à l’adoption de sanctions administratives à l’encontre d’étudiants de l’Université économique d’État de Biélorussie ayant organisé des « événements de masse non-autorisés par le règlement interne » le 13 octobre 2020. Ladite demande mentionne une liste des étudiants concernés ainsi qu’un disque contenant des enregistrements photographiques et vidéographiques qui y sont annexés. Par ailleurs, l’article publié sur le site Internet « people.onliner.by » dans lequel figure ce même document photographié ajoute que, à la suite de la demande du requérant, deux étudiants ont été privés de leur liberté et d’autres se sont vu infliger une amende.

47      Lors de l’audience, le requérant a confirmé que sa signature figure dans cette demande adressée au directeur des services de police du district de Zavodski.

48      Compte tenu de ces éléments, le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en retenant que le requérant a eu un rôle actif dans l’adoption de sanctions contre des étudiants ayant participé à des manifestations au sein de l’Université économique d’État de Biélorussie.

49      Deuxièmement, il ressort également des motifs de l’inscription litigieuse que certaines des sanctions dont le requérant est responsable ont été prises à la suite de l’appel de Loukachenko, le 27 octobre 2020, à exclure des universités les étudiants prenant part aux manifestations et aux grèves.

50      À cet égard, le Conseil fournit un article publié sur le site Internet « news.tut.by » le 27 octobre 2020 qui fait état des déclarations publiques que le président Loukachenko a effectuées ce même jour, dans les termes suivants :

« Étudiants, êtes-vous venus pour étudier ? Étudiez. Celui qui veut, laissez-le étudier. Celui qui est allé en violation de la loi à une action non-autorisée, il est privé du droit d’être un étudiant. Envoyez-les, comme je l’ai dit, certains à l’armée et d’autres dans la rue – laissez-les marcher dans la rue. Mais ils doivent être exclus de l’université ».

51      L’existence de l’appel de Loukachenko invoqué par le Conseil est donc établie.

52      En outre, le Conseil produit un article publié sur le site Internet « euroradio.fm », daté du 30 octobre 2020, qui évoque le renvoi de l’Université économique d’État de Biélorussie de quatre étudiants ayant participé à une manifestation ou organisé des grèves et contient une photographie de la décision de renvoi, signée par le requérant et par certains doyens.

53      Le document photographié en cause, dont le Conseil a produit, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, une version traduite dans la langue de la procédure, est un arrêté de l’Université économique d’État de Biélorussie, daté du 30 octobre 2020, portant décision d’exclure quatre étudiants ayant « frappé des mains, crié divers slogans [et] affiché des symboles non réglementaires », les 26, 27 et 28 octobre 2020.

54      Lors de l’audience, le requérant a admis que sa signature figurait, parmi celles d’autres représentants de l’Université économique d’État de Biélorussie, au bas de l’arrêté de renvoi d’étudiants.

55      Néanmoins, d’une part, il a ajouté que, si une décision de renvoi, telle que celle en question, doit être signée par le recteur ou vice-recteur de l’Université, celui-ci ne faisait que suivre les suggestions formulées par des équipes pédagogiques. Or, cette allégation, qui n’est étayée par aucune preuve, ne saurait suffire à contredire la responsabilité du requérant quant à la décision de renvoi d’étudiants, même s’il s’agit d’une décision collective, ainsi qu’il ressort de l’arrêté en cause.

56      D’autre part, le requérant a fait valoir que les autres membres de la direction de l’Université qui ont signé l’ordre de renvoi n’ont pas fait l’objet de mesures restrictives.

57      À cet égard, le fait que la responsabilité d’autres membres de l’Université ait dû ou pu être recherchée n’exclut pas en soi que la responsabilité du requérant puisse être recherchée en tant que telle (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 116).

58      Dès lors que des éléments de nature à justifier l’adoption de mesures restrictives à l’égard du requérant sont réunis, la simple constatation de ce que des mesures identiques n’ont pas été adoptées à l’égard d’autres personnes dont il est soutenu qu’elles se trouvent dans la même situation ne peut suffire à caractériser l’existence d’une illégalité de la décision attaquée.

59      Au vu de tout ce qui précède, les preuves présentées par le Conseil sont suffisantes pour établir la responsabilité du requérant dans l’adoption de mesures à l’encontre d’étudiants ayant participé à des manifestations et à des grèves, en particulier de décisions de renvoi d’étudiants prises à la suite d’un appel en ce sens du président Loukachenko le 27 octobre 2020.

60      Il ressort de ce qui précède que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en retenant, dans les motifs de l’inscription litigieuse, que le requérant est responsable des sanctions prises à l’encontre d’étudiants ayant participé à des manifestations, notamment de leur renvoi de l’Université.

 Sur la question de savoir si le requérant est responsable de la répression de la société civile et soutient le régime de Loukachenko

61      Lors de l’audience, le requérant fait valoir que les vice-recteurs d’universités biélorusses doivent maintenir l’ordre et garantir la continuité du service d’enseignement au sein des établissements qu’ils dirigent. Or, le Conseil ne démontrerait pas que la lettre adressée à la police, d’une part, et la décision de renvoi du 30 octobre 2020, d’autre part, aient été prises par le requérant pour sanctionner des étudiants participant à des manifestations pacifiques, alors qu’elles pourraient être justifiées par des buts légitimes. Le requérant ajoute que, selon les éléments versés au dossier par le Conseil, les manifestations d’étudiants n’étaient pas autorisées, perturbaient gravement le fonctionnement de l’Université et auraient pu donner lieu à des atteintes aux biens et aux personnes.

62      Tout d’abord, en ce qui concerne le document dont le contenu est exposé aux points 45 et 46 ci-dessus, le requérant a fait valoir, lors de l’audience, qu’il s’agissait d’une plainte, et non d’une dénonciation comme le prétend le Conseil. Ainsi, bien qu’il ait fourni un enregistrement vidéographique à l’appui de ladite plainte, il n’aurait porté aucune appréciation juridique sur les faits qu’il a rapportés.

63      À cet égard, il convient de relever que ledit document photographié a pour objet l’adoption de sanctions administratives sur le fondement du Code des infractions administratives de la République de Biélorussie « à l’encontre des étudiants de l’[Université économique d’État de Biélorussie] ayant organisé des événements de masse non autorisés par le règlement interne ». Il serait donc possible, à première vue, que cette lettre ait été adressée au directeur des services de police du district de Zavodski dans un but légitime de maintien de l’ordre au sein de l’Université.

64      Néanmoins, comme le Conseil l’a relevé lors de l’audience, cette demande ne contient aucune référence précise à des comportements violents ni n’appelle à un rétablissement de l’ordre dans l’Université, mais fait seulement allusion à des « événements de masse non-autorisés ».

65      Ensuite, la décision de renvoi du 30 octobre 2020 signée par le requérant fonde le renvoi des quatre étudiants concernés sur le fait que ceux-ci ont violé diverses dispositions d’une règlementation interne de l’Université économique d’État de Biélorussie.

66      Cependant, comme il ressort des points 52 et 53 ci-dessus, il est reproché aux étudiants renvoyés d’avoir « frappé des mains, criés divers slogans [et] affiché des symboles non réglementaires » dans les sites universitaires. Or, de tels actes n’apparaissent pas susceptibles, à défaut d’éléments descriptifs supplémentaires et à eux seuls, d’être assimilés à des actes violents.

67      Il convient également d’observer que le Conseil s’appuie sur un article publié sur le site Internet « tut.by » le 6 novembre 2020, qui évoque l’existence d’une lettre adressée au « recteur de l’Université », signée par 150 enseignants et employés de l’Université économique d’État de Biélorussie, s’opposant aux renvois d’étudiants et aux licenciements d’enseignants ayant exprimé des opinions « civiques ». Dans cette lettre, les enseignants et les employés demandent que la direction de l’Université cesse ses représailles qui leur semblent être illégales et constituer une « violation flagrante du principe de la liberté académique ».

68      Ainsi que le Conseil l’a relevé lors de l’audience, la lettre susmentionnée accrédite la thèse que les décisions de renvoi d’étudiants découlent de ce que ces derniers ont exprimé des opinions politiques au sein de l’Université économique d’État de Biélorussie, et non qu’ils ont commis des faits violents.

69      Partant, contrairement à ce que soutient le requérant, sur le fondement de ces éléments, pris ensemble, le Conseil pouvait, à bon droit, estimer que la décision de renvoi constituait une sanction prise contre des étudiants ayant pris part à des manifestations pacifiques.

70      Enfin, il convient également de tenir compte du contexte dans lequel ces éléments de preuve et d’information s’insèrent.

71      À cet égard, comme il a été relevé au point 53 ci-dessus, les décisions de renvoi en cause ont été adoptées le 30 octobre 2020, soit trois jours après l’appel du président Loukachenko à exclure des universités des étudiants prenant part aux manifestations et aux grèves. Une telle coïncidence temporelle accrédite la thèse du Conseil selon laquelle le requérant a agi dans le prolongement de cet appel et en conformité avec celui-ci.

72      Compte tenu de tout ce qui précède et alors que le requérant ne verse aucune preuve au dossier, il convient de considérer que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que le requérant, en raison de son implication dans l’adoption de sanctions prises à l’encontre d’étudiants ayant participé à des manifestations pacifiques au sein de l’Université économique d’État de Biélorussie, est responsable de la répression de la société civile et soutient le régime de Loukachenko.

73      Partant, le deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

74      Le requérant soutient que l’inscription litigieuse est disproportionnée.

75      D’une part, une université aurait l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’ordre public en son sein et il ne serait pas établi en l’espèce que cet objectif ait été détourné par le requérant pour réprimer la société civile. En outre, le renvoi d’étudiants demeurerait un acte isolé et la responsabilité personnelle du requérant dans l’adoption de cette mesure ne serait pas démontrée.

76      D’autre part, l’inscription litigieuse porterait atteinte à la réputation du requérant et à celle de l’université qu’il dirige. Au demeurant, interdire au requérant de se déplacer dans l’Union le priverait de la possibilité de prendre connaissance et de s’imprégner des valeurs démocratiques véhiculées par celle-ci.

77      Le Conseil conteste ces arguments.

78      Il résulte d’une jurisprudence constante que le principe de proportionnalité fait partie des principes généraux du droit de l’Union et exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs (voir arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 173 et jurisprudence citée).

79      En l’espèce, il convient de relever, tout d’abord, que les actes attaqués ont été adoptés par le Conseil aux fins de réaliser l’objectif d’intérêt général de consolider et de soutenir la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme, qui est prévu à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, visant les dispositions de l’action extérieure de l’Union, et qui est, par conséquent, légitime.

80      Ensuite, il résulte de l’examen du deuxième moyen que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que le requérant soutient le régime de Loukachenko et est responsable de la répression de la société civile, et ce quand bien même les faits retenus à l’encontre du requérant resteraient des actes isolés. Il peut donc en être déduit que l’inscription litigieuse est de nature à permettre de réaliser l’objectif légitime susmentionné.

81      Enfin, il est vrai que l’inscription litigieuse porte atteinte au droit du requérant d’entrer et de circuler sur le territoire des États membres, à sa réputation et à celle de l’université qu’il dirige.

82      Toutefois, tout d’abord, en vertu de l’article 8 bis, paragraphe 4, du règlement no 765/2006, la liste de l’annexe I est examinée à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois. Quant à la décision 2012/642, il ressort de son article 8, paragraphe 2, qu’elle fait l’objet d’un suivi constant et est prorogée ou modifiée, selon le cas, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints. Du reste, au jour de l’adoption de la décision d’exécution 2021/1002, la décision 2012/642 n’était applicable, aux termes de son article 8, paragraphe 1, que jusqu’au 28 février 2022.

83      Enfin, il convient de rappeler que l’importance de l’objectif poursuivi par les actes attaqués est de nature à justifier que ceux-ci aient pu avoir des conséquences négatives, même considérables, pour le requérant sans que cela affecte leur légalité (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 180).

84      Par conséquent, l’inscription litigieuse n’est pas disproportionnée au regard des buts visés par le Conseil.

85      Il s’ensuit que le troisième moyen doit être écarté comme non fondé et, partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

86      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Siarheï Skryba est condamné aux dépens.

Truchot

Kanninen

Frendo

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 juin 2023.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.