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Affaire T-341/07

Jose Maria Sison

contre

Conseil de l'Union européenne

« Politique étrangère et de sécurité commune — Mesures restrictives prises à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme — Position commune 2001/931/PESC et règlement (CE) nº 2580/2001 — Annulation d’une mesure de gel des fonds par un arrêt du Tribunal — Responsabilité non contractuelle — Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers »

Sommaire de l'arrêt

1.      Procédure — Autorité de la chose jugée — Portée

(Art. 235 CE et 288 CE)

2.      Responsabilité non contractuelle — Conditions — Violation suffisamment caractérisée d'une règle de droit conférant des droits aux particuliers — Marge d'appréciation de l'institution communautaire réduite ou inexistante lors de l'adoption de l'acte — Nécessité de prise en compte d'éléments contextuels

(Art. 288, al. 2, CE)

3.      Responsabilité non contractuelle — Conditions — Violation suffisamment caractérisée d'une règle de droit conférant des droits aux particuliers — Règle de droit conférant des droits aux particuliers — Notion

(Art. 288, al. 2, CE; position commune du Conseil 2001/931, art. 1er, § 4; règlement du Conseil nº 2580/2001, art. 2, § 3)

4.      Union européenne — Politique étrangère et de sécurité commune — Mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme — Décision de gel des fonds

(Position commune du Conseil 2001/931, art. 1er, § 4; règlement du Conseil nº 2580/2001, art. 2, § 3)

1.      Dans le cadre d'un recours visant à établir la responsabilité non contractuelle de l'Union, lorsque le Tribunal a considéré, dans un premier arrêt, qu'une demande en indemnité devait être rejetée, dès lors que ni la réalité et l’étendue des préjudices allégués par le requérant, ni l’existence d’un lien de causalité entre ces préjudices et les illégalités de fond invoquées au soutien de cette demande n’étaient établies à suffisance de droit, l’autorité de la chose jugée qui s’attache à cet arrêt s’oppose à ce que le requérant puisse demander à nouveau, au titre des articles 235 CE et 288 CE, la réparation d’un préjudice correspondant à celui dont la demande de réparation au même titre a déjà été rejetée par ledit arrêt.

Des considérations relatives à l’absence de preuve de la réalité et de l’étendue des préjudices allégués ainsi que de l’existence d’un lien de causalité entre ces préjudices et les illégalités de fond invoquées ne sauraient être qualifiées d’ « incidentes » ou de « non nécessaires » dans l’appréciation du Tribunal.

(cf. points 22-24)

2.      Pour admettre qu’il est satisfait à la condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté relative à l’illégalité du comportement reproché aux institutions, il faut que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit « ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers ».

Le critère décisif permettant de considérer que cette exigence est respectée est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Ce qui est donc déterminant pour établir si l’on se trouve en présence d’une telle violation, c’est la marge d’appréciation dont disposait l’institution en cause. Ainsi, lorsque l’institution concernée ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée.

Toutefois, il n'existe aucun lien automatique entre, d’une part, l’absence de pouvoir d’appréciation de l’institution concernée et, d’autre part, la qualification de l’infraction de violation suffisamment caractérisée du droit communautaire. En effet, bien qu’elle présente un caractère déterminant, l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’institution concernée ne constitue pas un critère exclusif. À cet égard, le régime dégagé au titre de l’article 288, deuxième alinéa, CE prend, en outre, notamment en compte la complexité des situations à régler et les difficultés d’application ou d’interprétation des textes. Il s’ensuit que seule la constatation d’une irrégularité que n’aurait pas commise, dans des circonstances analogues, une administration normalement prudente et diligente permet d’engager la responsabilité de la Communauté.

Il appartient dès lors au juge de l’Union, après avoir déterminé, d’abord, si l’institution concernée disposait d’une marge d’appréciation, de prendre en considération, ensuite, la complexité de la situation à régler, les difficultés d’application ou d’interprétation des textes, le degré de clarté et de précision de la règle violée et le caractère intentionnel ou inexcusable de l’erreur commise. En tout état de cause, une violation du droit communautaire est manifestement caractérisée lorsqu’elle a perduré malgré le prononcé d’un arrêt constatant le manquement reproché, d’un arrêt préjudiciel ou d’une jurisprudence bien établie en la matière, desquels résulte le caractère infractionnel du comportement en cause.

(cf. points 33, 35-37, 39-40)

3.      En matière de responsabilité non contractuelle de la Communauté, la condition selon laquelle la règle de droit violée doit avoir pour objet de conférer des droits aux particuliers est remplie lorsque cette règle, tout en visant par essence des intérêts de caractère général, assure également la protection des intérêts individuels des personnes concernées.

À cet égard, l’article 2, paragraphe 3, du règlement nº 2580/2001, concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, relative à l'application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, assurent la protection des intérêts individuels des personnes susceptibles d’être concernées et elles sont, dès lors, à considérer comme des règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Si les conditions de fond énoncées à l’article 2, paragraphe 3, de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, de cette position commune, ne sont pas réunies, le particulier concerné a en effet le droit de ne pas se voir imposer les mesures en question. Un tel droit implique nécessairement que le particulier auquel des mesures restrictives sont imposées dans des conditions non prévues par les dispositions en question puisse demander à être indemnisé des conséquences dommageables de ces mesures, s’il s’avère que leur imposition repose sur une violation suffisamment caractérisée des règles de fond appliquées par le Conseil.

(cf. points 47, 52)

4.      Le Conseil ne dispose d’aucune marge discrétionnaire lorsqu’il apprécie si les éléments de fait et de droit susceptibles de conditionner l’application d’une mesure de gel des fonds à une personne, à un groupe ou à une entité, tels qu’ils sont définis par l’article 2, paragraphe 3, du règlement nº 2580/2001, concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, relative à l'application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, sont réunis dans un cas d’espèce. Il en va ainsi, tout particulièrement, de la vérification de l’existence d’informations précises ou d’éléments de dossier qui montrent qu’une décision d’une autorité nationale répondant à la définition de l’article 1er, paragraphe 4, de ladite position commune, a été prise à l’égard de l’intéressé et, ultérieurement, de la vérification des suites réservées à cette décision au niveau national.

Toutefois, cette seule circonstance ne suffit pas pour considérer que la violation de ces dispositions est suffisamment caractérisée pour engager la responsabilité de la Communauté lorsque le Conseil a adopté une décision de gel des fonds sur la base d'une décision nationale d'ouverture d'enquête ou de poursuites pour acte de terrorisme. En effet, il incombe au juge de prendre également en considération notamment la complexité en droit et en fait de la situation à régler ainsi que les difficultés d'application ou d'interprétation des textes, en tenant compte, en particulier, de l’importance des objectifs d’intérêt général poursuivis, afin d’établir si l’erreur de droit qu’a commise le Conseil constitue une irrégularité que n’aurait pas commise une administration normalement prudente et diligente placée dans des circonstances analogues.

(cf. points 57-58, 61)