Language of document : ECLI:EU:C:1997:368

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

17 juillet 1997 (1)

«Transports maritimes — Taxe sur les marchandises —

Supplément à l'importation»

Dans l'affaire C-90/94,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par l'Østre Landsret (Danemark) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Haahr Petroleum Ltd

et

Åbenrå Havn,

Ålborg Havn,

Horsens Havn,

Kastrup Havn NKE A/S,

Næstved Havn,

Odense Havn,

Struer Havn,

Vejle Havn,

en présence de: Trafikministeriet,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 9 à 13, 84 et 95 du traité CEE,

LA COUR (sixième chambre),

composée de MM. G. F. Mancini, président de chambre, J. L. Murray et P. J. G. Kapteyn (rapporteur), juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,


greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

—    pour Haahr Petroleum Ltd, par Me Lars N. Vistesen, avocat à Copenhague,

—    pour Åbenrå Havn, Ålborg Havn, Horsens Havn, Kastrup Havn NKE A/S, Næstved Havn, Odense Havn, Struer Havn et Vejle Havn, par Mes Per Magid et Jeppe Skadhauge, avocats à Copenhague,

—    pour le Trafikministeriet (ministère des Transports danois), par Me Karsten Hagel-Sørensen, avocat à Copenhague,

—    pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme Lucinda Hudson, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, assistée de MM. Stephen Richards et Rhodri Thompson, barristers,

—    pour la Commission des Communautés européennes, par MM. Anders Christian Jessen et Enrico Traversa, membres du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Haahr Petroleum Ltd, représentée par Mes Isi Foighel, avocat à Copenhague, et Lars N. Vistesen, de Åbenrå Havn, Ålborg Havn, Horsens Havn, Kastrup Havn NKE A/S, Næstved Havn, Odense Havn, Struer Havn et Vejle Havn, représentés par Mes Per Magid et Jeppe Skadhauge, du Trafikministeriet, représenté par Me Karsten Hagel-Sørensen, et de la

Commission, représentée par MM. Anders Christian Jessen, Enrico Traversa et Richard Lyal, membre du service juridique, en qualité d'agent, à l'audience du 9 janvier 1997,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 27 février 1997,

rend le présent

Arrêt

1.
    Par ordonnance du 8 mars 1994, parvenue à la Cour le 15 mars suivant, l'Østre Landsret a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 9 à 13, 84 et 95 du traité CEE.

2.
    Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Haahr Petroleum Ltd (ci-après «Haahr Petroleum»), une société qui commercialise de l'essence et d'autres produits pétroliers, aux ports de commerce d'Åbenrå, d'Ålborg, d'Horsens, de Kastrup, de Næstved, d'Odense, de Struer et de Vejle (ci-après les «ports de commerce défendeurs») au sujet de la perception, par ces derniers, d'un supplément à l'importation de 40 %, dont était majorée, à charge des marchandises importées de l'étranger, jusqu'au 31 mars 1990, la taxe sur les marchandises, qui, au Danemark, est perçue sur toutes les marchandises chargées, déchargées, ou mises en mer ou à terre d'une autre manière dans les ports de commerce danois ou dans le chenal aménagé pour l'accès à ces ports.

3.
    Au Danemark, l'autorisation de créer un port de commerce, c'est-à-dire un port utilisé pour le transport commercial de marchandises, de véhicules et de personnes, est accordée par le ministre des Transports. Selon le système de propriété et de contrôle, une distinction peut être opérée entre les ports sous contrôle communal, qui sont des entités administratives autonomes relevant de la commune, le port de Copenhague, qui bénéficie d'un régime juridique particulier, les ports d'État, qui relèvent du ministère des Transports, et les ports privés, qui sont exploités par leurs propriétaires conformément aux conditions fixées dans l'autorisation correspondante.

4.
    Une partie des ressources des ports provient des taxes que versent les usagers pour leur utilisation. C'est ainsi que des taxes sur des navires et sur des marchandises doivent être payées pour l'entrée dans le port, ainsi que pour l'embarquement et le débarquement de marchandises, de véhicules ou de personnes. Des taxes spéciales sont exigées pour l'utilisation de grues, d'entrepôts ou d'emplacements.

5.
    Sous l'empire de la loi n° 239, du 12 mai 1976, sur les ports de commerce (Lovtidende A de 1976, p. 587), applicable jusqu'au 31 décembre 1990, il incombait

au ministre compétent, désormais le ministre des Transports, de fixer les taux des taxes sur les navires et les marchandises après les avoir négociés avec la direction des ports de commerce. Selon la pratique ministérielle, les taux des taxes étaient calculés sur la base de la situation économique des 22 ports de commerce provinciaux les plus importants en termes de volume de trafic commercial et étaient fixés de manière à permettre aux ports de couvrir leurs dépenses de fonctionnement et d'entretien ainsi que d'assurer, dans une mesure raisonnable, l'autofinancement des extensions et des modernisations nécessaires.

6.
    Les taxes sur les navires et sur les marchandises étaient reprises dans un règlement pour chaque port, qui était établi conformément à un règlement commun élaboré par le ministre compétent pour l'ensemble des ports de commerce.

7.
    En vertu de la réglementation applicable à l'époque des faits au principal, la taxe sur les navires était due pour tous les navires et embarcations ainsi que pour tout matériel flottant séjournant dans le port ou dans le chenal aménagé pour l'accès au port. Elle était calculée selon un montant fixe par tonne de port en lourd (TPL) ou tonne brute (TB) soit pour chaque entrée au port, soit sous la forme d'une taxe mensuelle. Les navires de moins de 100 TPL/TB étaient exonérés du paiement de la taxe sur les navires.

8.
    La taxe sur les marchandises était due pour toutes les marchandises chargées, déchargées, ou mises en mer ou à terre d'une autre manière dans le port ou les chenaux aménagés vers le port. Elle représentait un certain montant par tonne. Des exonérations ou tarifs spéciaux étaient prévus pour certaines marchandises. Aux termes de cette réglementation, la taxe sur les marchandises devait être payée par le navire ou son agent local avant l'appareillage, mais était respectivement due par le destinataire et l'expéditeur des marchandises, sur lesquels elle pouvait être répercutée.

9.
    Au cours de la période pertinente dans l'affaire au principal, la taxe sur les marchandises perçue sur les marchandises importées de l'étranger était majorée de 40 %. Il résulte de l'ordonnance de renvoi que ce supplément à l'importation de 40 % a été introduit dans le cadre d'un ajustement général du niveau des tarifs des ports entrepris en 1956 sur la base d'un rapport de la commission des tarifs des ports et ponts constituée en 1954 par le ministère des Travaux publics.

10.
    Selon cette commission, l'augmentation jugée nécessaire des tarifs devait concerner les taxes tant sur les marchandises que sur les navires, mais devait «être effectuée de telle sorte que son objectif — l'augmentation des revenus des ports — ne soit pas compromis par une perte totale ou partielle du trafic des ports, la marchandise venant à être expédiée par route ou par voie ferrée». Aussi la commission des tarifs des ports et ponts a-t-elle proposé, en ce qui concerne les taxes sur les marchandises, «de se concentrer sur le commerce extérieur, car la plus grande partie des marchandises qui viennent de l'extérieur ou sont exportées sont naturellement transportées par mer et qu'on peut donc dans une certaine mesure

négliger le risque que ce trafic échappe aux ports pour la seule raison d'une augmentation de la taxe sur les marchandises». Ladite commission a en outre considéré que «le moyen le plus approprié d'obtenir le supplément de revenus par le biais des taxes sur les marchandises [était d'augmenter] ces taxes seulement en ce qui concerne les marchandises importées», étant donné que la taxe frappant les produits importés, par exemple les engrais et fourrages pour le secteur agricole et les matières premières pour le secteur industriel, serait moins élevée que celle frappant les produits finis et qu'une augmentation de la taxe sur les importations aurait, dès lors, une influence bien plus limitée sur les secteurs d'activité concernés qu'une augmentation des taxes sur les exportations. Enfin, le risque que le trafic interne pourrait échapper aux ports au profit du transport par voie terrestre a conduit la commission des tarifs des ports et ponts à proposer, d'une part, d'exonérer les petits bateaux de l'augmentation envisagée des taxes sur les navires et, d'autre part, de faire bénéficier les bateaux jusqu'à 100 tonnes des taux inférieurs accordés normalement aux bateaux de moins de 100 tonnes.

11.
    Le supplément à l'importation de 40 % a été supprimé par le ministre des Transports avec effet au 1er avril 1990.

12.
    Entre l'année 1984 et le 31 mars 1990, date de la suppression du supplément à l'importation, Haahr Petroleum a importé au Danemark du pétrole brut et de l'essence en provenance d'autres États membres et de pays tiers, en passant par les ports de commerce défendeurs, en vue de les raffiner et de les revendre. Tous ces ports sont sous contrôle communal, à l'exception de celui de Kastrup, qui est un port privé.

13.
    Par requête déposée le 5 novembre 1991 auprès de l'Østre Landsret, Haahr Petroleum a demandé que les ports de commerce défendeurs soient condamnés à lui rembourser les suppléments à l'importation perçus du 1er janvier 1984 au 31 mars 1990, et ce pour un montant total de 9,6 millions de DKR.

14.
    A l'appui de sa demande, Haahr Petroleum a fait valoir, en invoquant les articles 9 et 12 du traité, que le supplément à l'importation litigieux correspondait à une taxe d'effet équivalant à un droit de douane et que, à partir du 1er janvier 1973, le royaume de Danemark ne pouvait percevoir ni droits de douane ni taxes d'effet équivalent. Se référant à l'arrêt du 13 décembre 1973, Sociaal Fonds voor de Diamantarbeiders (37/73 et 38/73, Rec. p. 1609), relatif aux articles 18 à 28 et 113 du traité CEE, Haahr Petroleum a en outre soutenu «qu'à partir de la mise en place du tarif douanier commun il est interdit à tout État membre d'introduire unilatéralement de nouvelles taxes ou de relever le niveau de celles déjà en vigueur». Enfin, Haahr Petroleum s'est opposée à la prescription de son action en vertu des règles nationales en la matière (qui prévoient un délai de cinq ans), au motif qu'une prétention fondée sur le droit communautaire ne saurait être prescrite non seulement lorsque le retard pour faire valoir cette prétention est dû à une transposition tardive d'une disposition de droit communautaire dans l'ordre

juridique national (arrêt du 25 juillet 1991, Emmott, C-208/90, Rec. p. I-4269), mais également lorsque la prétention est fondée sur la suppression tardive d'une règle nationale incompatible avec le droit communautaire.

15.
    Les ports de commerce défendeurs ont estimé que le supplément à l'importation devait être apprécié au regard soit du titre IV du traité relatif aux transports, comme le prétendait le ministère des Transports intervenu à l'appui de leurs conclusions, soit de l'article 95 du traité, le supplément de 40 % ayant fait partie de la taxe sur les marchandises, qui, à son tour, constituait un élément d'un système général d'impositions intérieures dont la différenciation des taux était compatibleavec les dispositions du traité. Ils ont en outre soutenu que la demande de Haahr Petroleum était prescrite en ce qui concerne les taxes payées antérieurement au 5 novembre 1986 (soit cinq ans avant l'introduction du recours devant l'Østre Landsret) et que les circonstances de l'espèce ne présentaient aucun élément susceptible de justifier une exception aux règles générales du droit national en la matière.

16.
    Le ministère des Transports a fait valoir que les taxes en question poursuivaient un objectif de politique des transports dans la mesure où, d'une part, l'uniformité des taxes visait à maintenir la concurrence entre les ports et les transports routiers à l'intérieur du Danemark et à assurer que les ports ne se fassent pas concurrence entre eux au moyen de ces taxes et, d'autre part, le supplément à l'importation était destiné à garantir le financement des ports, sans que le transport des marchandises revienne à la route ou aux chemins de fer. Pour preuve que le supplément à l'importation n'avait pas pour objectif de frapper l'importation de marchandises, mais aurait concerné les moyens de transports, il a relevé que le port le plus important en matière de commerce international, celui de Copenhague, n'imposait pas cette taxe.

17.
    C'est dans ces conditions que l'Østre Landsret a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)    Le supplément spécial à l'importation de 40 % de la taxe générale perçue sur les marchandises doit-il être considéré comme relevant des règles du traité CEE relatives à l'union douanière, dont les articles 9 à 13, ou de l'article 95 de ce traité?

2)    Convient-il d'interpréter les règles du traité CEE relatives à l'union douanière, dont les articles 9 à 13, ou l'article 95, en ce sens qu'il est incompatible avec ces dispositions d'exiger un supplément spécial à l'importation de 40 % de la taxe générale perçue sur les marchandises, lorsque ce supplément à l'importation n'est exigé que pour les marchandises qui viennent de l'étranger?

3)    En cas de réponse affirmative à la deuxième question, dans quelles conditions une telle taxe peut-elle être justifiée par des considérations de

rémunération d'un service ou de politique des transports (voir l'article 84, paragraphe 2)?

4)    Une éventuelle incompatibilité avec le traité CEE affecte-t-elle la totalité du supplément spécial à l'importation perçu après l'adhésion du Danemark au traité CEE, ou uniquement l'augmentation de ce supplément après cette date?

5)    En cas de constatation de l'incompatibilité du supplément à l'importation avec le droit communautaire, une demande éventuelle de remboursement pourra-t-elle être prescrite au titre des règles nationales en la matière, avec pour effet d'exclure totalement ou partiellement le remboursement du supplément à l'importation?»

Sur les première, deuxième, troisième et quatrième questions

18.
    Par ses quatre premières questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction nationale demande à être éclairée sur la notion de taxe d'effet équivalant à des droits de douane visée aux articles 9 à 13 du traité, ainsi que sur celle d'imposition intérieure discriminatoire visée à l'article 95 du traité, au regard de l'imposition par un État membre d'un supplément à l'importation de 40 % dont est majorée, en cas d'importation de marchandises par bateau en provenance d'un autre État membre, la taxe générale sur les marchandises perçue sur les marchandises chargées, déchargées, ou mises en mer ou à terre d'une autre manière dans les ports du premier État membre ou dans le chenal aménagé pour l'accès à ces ports.

19.
    Il convient de rappeler, à cet égard, que, selon une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt du 2 août 1993, Celbi, C-266/91, Rec. p. I-4337, point 9), les dispositions relatives aux taxes d'effet équivalent et celles relatives aux impositions intérieures discriminatoires ne sont pas applicables cumulativement, de sorte qu'une même imposition ne saurait, dans le système du traité, appartenir simultanément à ces deux catégories.

20.
    Il résulte également d'une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt du 7 décembre 1995, Ayuntamiento de Ceuta, C-45/94, Rec. p. I-4385, point 28) que toute charge pécuniaire, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, et frappant les marchandises en raison du fait qu'elles franchissent la frontière, lorsqu'elle n'est pas un droit de douane proprement dit, constitue une taxe d'effet équivalent au sens des articles 9, 12, 13 et 16 du traité CEE. Une telle charge échappe toutefois à cette qualification si elle relève d'un système général de redevances intérieures appréhendant systématiquement des catégories de produits selon des critères objectifs appliqués indépendamment de l'origine des produits, auquel cas elle tombe dans le champ d'application de l'article 95 du traité.

21.
    A cet égard, il y a de lieu de constater, en premier lieu, qu'une taxe, telle la taxe générale sur les marchandises en cause dans l'affaire au principal, fait partie, ensemble avec notamment la taxe sur les navires, d'un système général de taxes internes devant être acquittées pour l'utilisation des ports de commerce et de leurs facilités.

22.
    Il échet de souligner, en second lieu, que, à l'exception de certaines catégories de marchandises exonérées, cette taxe frappe toutes les marchandises chargées, déchargées, ou mises en mer ou à terre d'une autre manière dans les ports de commerce, que ces marchandises arrivent au port en provenance d'un autre État membre ou d'un autre port de commerce du même État membre.

23.
    Il convient d'observer, en troisième lieu, qu'elle frappe les marchandises, tant nationales qu'importées, au même moment et selon les mêmes critères objectifs, à savoir lors de l'embarquement ou du débarquement et en fonction du type des marchandises et de leur poids.

24.
    Il importe de relever, en quatrième lieu, qu'un supplément à l'importation, tel celui en cause dans l'affaire au principal, dont la taxe générale sur les marchandises est majorée lorsqu'elle frappe des marchandises importées, fait partie intégrante de la taxe elle-même et ne constitue pas une taxe distincte, dès lors que le montant du supplément est exprimé en pourcentage de la taxe et que le supplément et la taxe sont perçus sur le fondement de la même base juridique, au même moment, selon les mêmes critères et par les mêmes services et que les recettes en provenant sont versées aux mêmes destinataires.

25.
    Dans ces conditions, le fait que le supplément à l'importation frappe, par définition, exclusivement les marchandises importées et que l'origine des marchandises est dès lors déterminante pour le montant de la taxe à percevoir ne saurait faire échapper ni la taxe en général ni le supplément en particulier au champ d'application de l'article 95 du traité, de sorte que leur compatibilité avec le droit communautaire doit être appréciée dans le cadre de cette disposition et non pas dans celui des articles 9 à 13 du traité.

26.
    A cet égard, il y a d'abord lieu de préciser qu'il est de jurisprudence constante que l'article 95 du traité n'est applicable qu'aux marchandises en provenance des États membres et, le cas échéant, aux marchandises originaires de pays tiers qui se trouvent en libre pratique dans les États membres. Il s'ensuit que cette disposition est inapplicable aux produits importés directement des pays tiers (voir, notamment, arrêt du 13 juillet 1994, OTO, C-130/92, Rec. p. I-3281, point 18).

27.
    Il convient ensuite de rappeler que l'article 95 du traité interdit qu'un État membre frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d'impositions intérieures supérieures à celles qui frappent les produits nationaux similaires ou de nature à protéger d'autres productions nationales. Il est, dès lors, incontestable que l'application d'une taxe d'un montant plus élevé aux produits

importés qu'aux produits nationaux ou l'application, aux seuls produits importés, d'un supplément majorant la taxe applicable aux produits nationaux et importés est contraire à cette interdiction de discrimination qu'énonce l'article 95.

28.
    Les ports de commerce défendeurs font cependant valoir que le supplément à l'importation correspond à une différenciation de la taxe sur les marchandises, qui serait compatible avec l'article 95 du traité, tel qu'il a été interprété par la Cour, dans la mesure où cette différenciation serait fondée sur des critères objectifs. Ils soutiennent en particulier que cette différenciation est justifiée au regard de la double considération que, dans un contexte de concurrence avec d'autres moyens de transports, le transport maritime international serait mieux à même de supporter la charge que représente le supplément et que ce transport est généralement effectué par des bateaux d'une taille plus importante sollicitant plus fortement les installations portuaires que les bateaux à dimension plus réduite utilisés dans le transport national. Dans cette même perspective, le ministère des Transports estime que le supplément ne constitue pas une discrimination illicite, car il représenterait la rémunération des dépenses supplémentaires générales liées, pour les ports, aux prestations fournies aux bateaux à dimension plus importante utilisés pour les importations.

29.
    Il est certes vrai que, en vertu d'une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt du 7 avril 1987, Commission/France, 196/85, Rec. p. 1597, point 6), le droit communautaire ne restreint pas, en l'état actuel de son évolution, la liberté de chaque État membre d'établir un système de taxation différenciée pour certains produits, même similaires au sens de l'article 95, premier alinéa, du traité, en fonction de critères objectifs, tels que la nature des matières premières utilisées ou les procédés de production appliqués. De telles différenciations ne sont toutefois compatibles avec le droit communautaire que si elles poursuivent des objectifs de politique économique compatibles, eux aussi, avec les exigences du traité et du droit dérivé et si leurs modalités sont de nature à éviter toute forme de discrimination, directe ou indirecte, à l'égard des importations en provenance des autres États membres, ou de protection en faveur de productions nationales concurrentes.

30.
    Aussi la Cour a-t-elle déjà jugé que l'on ne saurait considérer comme compatible avec l'interdiction de discrimination inscrite à l'article 95 du traité un critère d'imposition majorée qui, par définition, ne saurait, en aucun cas, être applicable aux produits nationaux similaires. Un tel régime a ainsi pour effet d'exclure d'avance les produits nationaux du régime de taxation le plus lourd (voir arrêt du 15 mars 1983, Commission/Italie, 319/81, Rec. p. 601, point 17). De même a-t-elle déjà jugé qu'une taxation différenciée n'est pas compatible avec le droit communautaire si les produits les plus lourdement taxés sont, par leur nature, des produits importés (voir arrêt 4 mars 1986, Commission/Danemark, 106/84, Rec. p. 833, point 21).

31.
    Il en va ainsi, à plus forte raison, d'une taxation différenciée dont le critère d'imposition majorée est l'importation elle-même et qui, dès lors, exclut, par définition, tous les produits nationaux de la taxation la plus lourde.

32.
    En tout état de cause, le caractère discriminatoire d'une taxation différenciée ne saurait être justifié par des considérations d'ordre général liées aux différences existant entre les transports internationaux et les transports nationaux quant à leur capacité respective de supporter une charge fiscale déterminée sans que le transport maritime soit détourné vers d'autres moyens de transport et quant aux dimensions des bateaux utilisés selon que le transport est national ou international.

33.
    En effet, à supposer même que de telles considérations puissent être de nature àjustifier une différence de taxation, force est de constater que, dans un régime tel celui qui était en cause dans l'affaire au principal, elles ne sont pas appliquées de façon objective dans la mesure où ledit régime exclut d'avance que les transports nationaux, effectués dans les mêmes conditions que des transports internationaux, soient assujettis à la même taxation que ceux-ci, et inversement.

34.
    Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 26 juin 1991, Commission/Luxembourg, C-152/89, Rec. p. I-3141, points 20 à 25) qu'un système de taxation ne peut être considéré comme compatible avec l'article 95 du traité que s'il est établi qu'il est aménagé de façon à exclure en toute hypothèse que les produits importés soient taxés plus lourdement que les produits nationaux et, dès lors, qu'il ne comporte, en aucun cas, des effets discriminatoires.

35.
    En ce qui concerne la question de savoir si une taxe discriminatoire, telle que celle en cause dans l'affaire au principal, peut échapper à l'interdiction de l'article 95 du traité pour des considérations de rémunération d'un service, il suffit de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour, invoquée par les ports de commerce défendeurs et le ministère des Transports (voir, notamment, arrêts du 25 janvier 1977, Bauhuis, 46/76, Rec. p. 5, point 11, et du 21 mars 1991, Commission/Italie, C-209/89, Rec. p. I-1575, point 9), le fait qu'une charge pécuniaire constitue la rémunération d'un service effectivement rendu à l'opérateur économique, d'un montant proportionné audit service, n'est de nature à la faire échapper qu'à la qualification de taxe d'effet équivalant à un droit de douane au sens des articles 9 et suivants du traité, et non à l'interdiction de toute imposition intérieure discriminatoire énoncée à l'article 95.

36.
    Les ports de commerce défendeurs et le ministère des Transports font également valoir qu'une taxe telle que celle en cause dans l'affaire au principal échappe à l'application et à l'interdiction de l'article 95 du traité dès lors qu'elle poursuit des objectifs légitimes de politique des transports, à savoir, d'une part, financer les ports de commerce et, d'autre part, frapper les transports par mer à longue distance plus lourdement, proportionnellement, que le trafic à courte distance. Ils ajoutent qu'il résulte notamment de l'arrêt de la Cour du 13 décembre 1989, Corsica Ferries France (C-49/89, Rec. p. 4441), que des taxes poursuivant un

objectif de politique des transports doivent être appréciées à la lumière des règles du traité en matière de transport, notamment l'article 84, paragraphe 2, et du règlement (CEE) n° 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers (JO L 378, p. 1).

37.
    A cet égard, il convient d'abord de relever que la circonstance qu'une imposition ou redevance constitue une taxe spéciale ou affectée à une destination particulière ne saurait la faire échapper au champ d'application de l'article 95 du traité (voir arrêt du 22 mars 1977, Iannelli et Volpi, 74/76, Rec. p. 557, point 19) ni, le cas échéant, à l'interdiction énoncée à cette disposition.

38.
    Il importe ensuite de souligner qu'une taxe, telle la taxe litigieuse dans l'affaire au principal, frappe les produits et est à charge du destinataire ou de l'expéditeur des marchandises, même si elle est perçue à l'occasion de leur transport ou de l'utilisation de ports de commerce et est payée, dans un premier temps, par le navire ou son agent local.

39.
    Il en résulte que ni l'arrêt Corsica Ferries France, précité, qui concernait des taxes perçues sur les passagers débarqués, embarqués ou transbordés dans certains ports maritimes et qui étaient mises à la charge de l'armateur, ni le règlement n° 4055/86, qui régit la libre prestation des services de transport maritime entre États membres et entre États membres et pays tiers, ne sont de nature à s'opposer à l'application de l'article 95 du traité.

40.
    La Cour a d'ailleurs déjà dit pour droit qu'une taxe qui est perçue sur les transports en fonction, notamment, du poids des marchandises transportées relève de l'article 95 du traité et, dans la mesure où elle se répercute immédiatement sur le coût du produit national et importé, doit être appliquée d'une manière non discriminatoire sur les produits importés (voir arrêt du 16 février 1977, Schöttle et Söhne, 20/76, Rec. p. 247, points 15 et 16).

41.
    Quant à la question de savoir si l'incompatibilité de la taxe litigieuse avec l'article 95 du traité affecte la totalité du supplément à l'importation ou uniquement l'augmentation que ce supplément a connue depuis l'adhésion du royaume de Danemark aux Communautés européennes, il convient de constater d'abord que l'acte relatif aux conditions d'adhésion et aux adaptations des traités (JO 1972, L 73, p. 14) ne prévoit aucune disposition transitoire ou dérogatoire concernant l'application de l'article 95 du traité. Cette disposition était dès lors applicable au Danemark dès l'adhésion de cet État aux Communautés européennes.

42.
    Il y a lieu de rappeler ensuite qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour que, si une taxe est incompatible avec l'article 95 du traité, elle est interdite dans la mesure où elle est discriminatoire au détriment du produit importé (voir, en ce

sens, arrêts du 27 février 1980, Just, 68/79, Rec. p. 501, point 14, et du 27 octobre 1993, Scharbatke, C-72/92, Rec. p. I-5509, point 10).

43.
    Il en découle qu'une taxe telle que celle en cause dans l'affaire au principal ne doit être considérée comme étant incompatible avec l'article 95 et interdite par cette disposition qu'à concurrence du supplément frappant les marchandises importées.

44.
    Dans ces conditions, il y a lieu de répondre aux quatre premières questions que l'article 95 du traité s'oppose à l'imposition par un État membre d'un supplément à l'importation de 40 % dont est majorée, en cas d'importation de marchandises par bateau en provenance d'un autre État membre, la taxe générale sur les marchandises perçue sur les marchandises chargées, déchargées, ou mises en mer ou à terre d'une autre manière dans les ports du premier État membre ou dans le chenal aménagé pour l'accès à ces ports.

Sur la cinquième question préjudicielle

45.
    Par cette question, la juridiction nationale s'interroge en substance sur la licéité, au regard du droit communautaire, de l'application, à une demande de remboursement fondée sur la violation de l'article 95 du traité, d'une règle nationale en vertu de laquelle l'action judiciaire tendant à la restitution de taxes indûment payées est prescrite après l'écoulement d'un délai de cinq ans, même si cette règle a ainsi pour effet d'empêcher, en totalité ou en partie, le remboursement desdites taxes.

46.
    A cet égard, il y a lieu d'abord de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante, en l'absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales de l'action en répétition de l'indu, étant toutefois entendu que ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant les recours similaires de nature interne et qu'en aucun cas elles ne sauraient être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par le droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312/93, Rec. p. I-4599, point 12, et du 8 février 1996, FMC e.a., C-212/94, Rec. p. I-389, point 71).

47.
    Cette jurisprudence s'applique également aux délais de recours nationaux fixés à peine de forclusion (voir, outre les arrêts FMC e.a. et Emmott, précités, notamment les arrêts du 16 décembre 1976, Rewe, 33/76, Rec. p. 1989, ainsi que Comet, 45/76, Rec. p. 2043).

48.
    Il importe ensuite de relever qu'il résulte de la jurisprudence et notamment des arrêts Rewe et Comet, précités, que la fixation de délais de recours raisonnables à peine de forclusion, qui constitue l'application du principe fondamental de sécurité juridique, satisfait aux deux conditions susvisées et ne saurait notamment être considérée comme rendant en pratique impossible ou excessivement difficile

l'exercice des droits conférés par le droit communautaire, même si, par définition, l'écoulement de ces délais entraîne le rejet, total ou partiel, de l'action intentée.

49.
    Il convient enfin de constater qu'un délai de prescription de cinq ans, tel que celui en cause dans l'affaire au principal, doit être qualifié de raisonnable.

50.
    Il résulte des considérations qui précèdent que l'application d'un tel délai à des demandes de remboursement fondées sur la violation de l'article 95 du traité n'est, en l'état actuel du droit communautaire, pas contraire à celui-ci, même si elle a pour effet d'empêcher, en totalité ou en partie, le remboursement demandé.

51.
    Contrairement à ce que Haahr Petroleum a fait valoir devant la juridiction nationale ainsi que dans ses observations devant la Cour, l'arrêt Emmott, précité, n'est pas de nature à infirmer cette conclusion.

52.
    En effet, au point 17 de cet arrêt, la Cour a expressément rappelé le principe selon lequel la fixation d'un délai de recours raisonnable à peine de forclusion satisfait aux conditions posées par la jurisprudence précitée. Ce n'est qu'en raison du caractère particulier des directives et eu égard aux circonstances propres à cette affaire qu'elle a jugé, au point 23, que, jusqu'au moment de leur transposition correcte en droit national, l'État membre défaillant ne peut pas exciper de la tardiveté d'une action judiciaire introduite à son encontre par un particulier en vue de la protection des droits que lui reconnaissent les dispositions d'une directive, de sorte qu'un délai de recours de droit national ne peut commencer à courir qu'à partir de ce moment.

53.
    La demande de remboursement visée par la cinquième question préjudicielle n'étant pas fondée sur l'effet direct d'une disposition d'une directive incorrectement transposée en droit national, mais sur celui d'une disposition du traité, il convient de répondre à cette question que le droit communautaire ne s'oppose pas à l'application, à une demande de remboursement fondée sur la violation de l'article 95 du traité, d'une règle nationale, en vertu de laquelle l'action judiciaire tendant à la restitution de taxes indûment payées est prescrite après l'écoulement d'un délai de cinq ans, même si cette règle a ainsi pour effet d'empêcher, en totalité ou en partie, le remboursement desdites taxes.

Sur les dépens

54.
    Les frais exposés par le gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au

principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par l'Østre Landsret, par ordonnance du 8 mars 1994, dit pour droit:

1)    L'article 95 du traité CEE s'oppose à l'imposition par un État membre d'un supplément à l'importation de 40 % dont est majorée, en cas d'importation de marchandises par bateau en provenance d'un autre État membre, la taxe générale sur les marchandises perçue sur les marchandises chargées, déchargées, ou mises en mer ou à terre d'une autre manière dans les ports du premier État membre ou dans le chenal aménagé pour l'accès à ces ports.

2)    Le droit communautaire ne s'oppose pas à l'application, à une demande deremboursement fondée sur la violation de l'article 95 du traité, d'une règle nationale, en vertu de laquelle l'action judiciaire tendant à la restitution de taxes indûment payées est prescrite après l'écoulement d'un délai de cinq ans, même si cette règle a ainsi pour effet d'empêcher, en totalité ou en partie, le remboursement desdites taxes.

Mancini Murray Kapteyn

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 juillet 1997.

Le greffier

Le président de la sixième chambre

R. Grass

G. F. Mancini


1: Langue de procédure: le danois.