Language of document : ECLI:EU:T:2021:592

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

15 septembre 2021 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne figurative représentant une nuance de couleur orange – Motif absolu de refus – Article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 40/94 [devenu article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001] – Examen d’office des faits – Article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 – Nature de la marque – Marque de couleur – Droit d’être entendu – Article 94 du règlement 2017/1001  »

Dans l’affaire T‑274/20,

MHCS, établie à Épernay (France), représentée par Mes O. Vrins et B. Raus, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme A. Söder et M. V. Ruzek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Lidl Stiftung & Co. KG, établie à Neckarsulm (Allemagne), représentée par Mes M. Kefferpütz et K. Wagner, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’EUIPO du 24 février 2020 (affaire R 2392/2018-1), relative à une procédure de nullité entre Lidl Stiftung & Co. et MHCS,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie),

composé de MM. D. Spielmann (rapporteur), président, U. Öberg, Mme O. Spineanu‑Matei, MM. R. Mastroianni et R. Norkus, juges,

greffier : Mme J. Pichon, administratrice,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 11 mai 2020,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 23 juillet 2020,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 15 juillet 2020,

vu les questions écrites du Tribunal aux parties et leurs réponses à ces questions déposées au greffe du Tribunal le 22 février 2021,

à la suite de l’audience du 27 avril 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 12 février 1998, SA Veuve Cliquot Ponsardin, prédécesseur en droit de la requérante, MHCS, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié, lui-même remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé était désignée comme une marque figurative dans le formulaire de demande, dans lequel était mentionné, dans la rubrique « Couleur revendiquée », que « la protection [était] revendiquée pour la couleur orange dont la définition scientifique sui[vait]t : coordonnées trichromatiques/caractéristiques colorimétriques : x 0,520, y 0,428 - facteur de réflexion diffuse 42,3 % - Longueur d’onde dominante 586,5 mm - Pureté d’excitation 0,860 - Pureté colorimétrique : 0,894 ». Cette marque était représentée comme suit :

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3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent notamment de la classe 33 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Vins de champagne ».

4        Par lettre du 30 juillet 1998, l’examinatrice a informé SA Veuve Cliquot Ponsardin que la marque ne semblait pas remplir les conditions requises pour être enregistrée, dès lors que des couleurs monochromes, de conception simple, étaient dépourvues de tout caractère distinctif. Le 5 août 1998, SA Veuve Cliquot Ponsardin a présenté ses observations en réponse, soulignant notamment qu’une couleur était susceptible d’être représentée graphiquement et d’avoir un caractère distinctif et que tel était le cas en l’espèce, au vu des produits en cause et du fait que la demande indiquait clairement que la protection était recherchée pour la nuance de couleur décrite.

5        Par décision du 20 janvier 2000, l’examinatrice a rejeté la demande de marque de l’Union européenne, au motif qu’elle était dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94 [devenu article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001]. L’examinatrice a précisé que la marque était non pas une marque de couleur per se, mais une marque figurative en couleur et que, si la demande visait une couleur, au lieu de la case « marque figurative », la case « autres » aurait dû être cochée dans le formulaire de demande.

6        Par décision du 20 novembre 2002 (affaire R 246/2000-2), la deuxième chambre de recours a indiqué que le formulaire standard de demande devait être interprété comme faisant référence à une demande de protection pour une marque de couleur, même si la case correspondant à une marque figurative avait été cochée. Elle a annulé la décision de l’examinatrice et a renvoyé l’affaire à cette dernière afin de déterminer si la marque avait acquis un caractère distinctif par l’usage au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 40/94 (devenu article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001).

7        Par décision du 19 décembre 2003, l’examinatrice, qui a désigné la marque dont l’enregistrement était demandé comme étant déposée « sous forme de couleur per se », a rejeté la demande au motif qu’aucun caractère distinctif acquis par l’usage au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 40/94 n’avait été établi.

8        Par décision du 26 avril 2006 (affaire R 148/2004-2), la deuxième chambre de recours a annulé cette seconde décision de l’examinatrice et a conclu qu’un caractère distinctif acquis par l’usage avait été démontré pour les vins de champagne.

9        La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 37/2006 le 11 septembre 2006 et enregistrée le 23 mars 2007 sous le numéro 747949. Dans la base de données « eSearch Plus » de l’EUIPO et dans le registre électronique de ce dernier, le type de marque indiqué est « marque figurative ».

10      Le 16 mars 2010, la marque a été transférée à la requérante.

11      Le 3 novembre 2015, l’intervenante, Lidl Stiftung & Co. KG, a déposé une demande en nullité de la marque contestée sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 [devenu article 59, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001], lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement 2017/1001].

12      La demande en nullité était fondée sur une violation de l’article 4 du règlement no 40/94 (devenu article 4 du règlement 2017/1001), au motif que la spécification de la nuance de couleur revendiquée par une définition scientifique n’était pas suffisante, et sur l’absence de caractère distinctif de cette marque.

13      Par décision du 12 novembre 2018, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité. Premièrement, elle a considéré que, en dépit du fait que la marque eut été déposée et enregistrée en tant que « marque figurative », les parties n’avaient pas contesté qu’il s’agissait d’une marque de couleur en tant que telle, comme la chambre de recours l’avait reconnu dans ses décisions du 20 novembre 2002 et du 26 avril 2006. Deuxièmement, elle a considéré qu’il avait été satisfait aux exigences de l’article 4 du règlement no 40/94, aux motifs que la représentation de la marque était immédiatement intelligible et que la description permettait à des tiers d’acquérir une connaissance précise du signe pour lequel la protection était demandée. Troisièmement, elle a estimé qu’un caractère distinctif acquis par l’usage avait été établi à la date de dépôt de la demande d’enregistrement dans les quinze États membres pertinents (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Royaume-Uni, Irlande, Allemagne, France, Espagne, Italie, Grèce, Danemark, Portugal, Autriche, Finlande et Suède).

14      Le 6 décembre 2018, l’intervenante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’annulation.

15      Par décision du 24 février 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la première chambre de recours a annulé la décision de la division d’annulation et lui a renvoyé l’affaire.

16      En premier lieu, la chambre de recours a examiné le type de la marque contestée. Elle a indiqué à cet égard qu’il n’était pas susceptible de faire l’objet d’un accord entre les parties et que l’indication du type de marque dans le formulaire de demande n’était pas ambiguë. Elle a souligné que, premièrement, la case « marque figurative » avait été cochée dans le formulaire de demande, que, deuxièmement, la requérante avait fait référence à plusieurs reprises à une marque figurative en couleur et que la deuxième chambre de recours avait, de sa propre initiative, interprété la demande comme portant sur une marque de couleur, que, troisièmement, la requérante n’avait jamais demandé la modification de la demande et que la marque avait été enregistrée en tant que marque figurative et que, quatrièmement, la deuxième chambre de recours n’était pas compétente pour requalifier la marque de sa propre initiative. Elle a rappelé que les marques de couleur étaient dénuées de forme, tandis que les marques figuratives présentaient un contour nettement défini, ce qui influençait la perception des consommateurs et avait un effet sur le caractère distinctif de la marque en question. Selon la chambre de recours, le choix de la nature de la marque relevait donc de la requérante et le fait de choisir une qualification plutôt qu’une autre ne saurait être considéré comme une erreur manifeste, dès lors que la marque contestée ne pouvait être considérée, selon sa représentation, que comme une marque figurative revendiquant une couleur spécifique. Elle a ajouté que la requérante n’avait jamais demandé la requalification de la marque contestée dans la base de données de l’EUIPO. En deuxième lieu, la chambre de recours a rappelé que la modification de la qualification d’une marque était de nature à influencer l’analyse de son caractère distinctif. En troisième lieu, après avoir rappelé que les décisions de l’EUIPO ne pouvaient être fondées que sur des motifs ou des preuves au sujet desquels les parties avaient pu prendre position, elle a estimé qu’il convenait d’annuler la décision de la division d’annulation en vue d’un réexamen, pour permettre aux parties de s’adapter à son interprétation et assurer le plein respect de leurs droits de la défense.

 Conclusions des parties

17      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO et l’intervenante à leurs propres dépens et l’EUIPO aux dépens qu’elle a exposés.

18      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner chaque partie à supporter ses propres dépens.

19      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le présent recours ;

–        à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire à la chambre de recours en vue d’un réexamen ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

20      À titre liminaire, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales du règlement no 207/2009 pour ce qui concerne la procédure de nullité engagée le 3 novembre 2015 (point 11 ci-dessus) et par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001 pour ce qui concerne le recours formé le 6 décembre 2018 contre la décision de la division d’annulation ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée.

 Sur la recevabilité du recours

21      L’intervenante fait valoir que le recours est irrecevable, dès lors que la demande de nullité n’a pas été accueillie par la chambre de recours et que, partant, il ne saurait être affirmé que, en se contentant de renvoyer l’affaire devant la division d’annulation, la chambre de recours n’a pas fait droit aux prétentions de la requérante.

22      La requérante et l’EUIPO contestent cette argumentation.

23      Il convient de rappeler que selon l’article 72, paragraphe 4, du règlement 2017/1001, « le recours est ouvert à toute partie à la procédure devant la chambre de recours pour autant que la décision de celle-ci n’a pas fait droit à ses prétentions ». Selon la jurisprudence, pour autant qu’une décision d’une chambre de recours fait entièrement droit aux prétentions d’une partie concernée, cette dernière n’a pas la qualité pour former un recours devant le Tribunal [voir arrêt du 5 février 2020, Globalia Corporación Empresarial/EUIPO – Touring Club Italiano (TC Touring Club), T‑44/19, non publié, EU:T:2020:31, point 28 et jurisprudence citée].

24      En l’espèce, la décision de la division d’annulation du 12 novembre 2018 a rejeté la demande en nullité. Or, la chambre de recours a annulé cette décision et renvoyé l’affaire à la division d’annulation. En cela, elle n’a pas fait droit aux prétentions de la requérante, qui demandait à la chambre de recours de déclarer le recours manifestement non fondé en raison du caractère distinctif de sa marque.

25      Dès lors, le présent recours est recevable.

 Sur le fond

26      À l’appui de son recours, la requérante avance quatre moyens. Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, au motif que la chambre de recours aurait été au-delà de la portée des observations factuelles formulées par les parties. Le deuxième moyen est fondé sur la violation de l’article 26, paragraphe 1, du règlement no 40/94 combiné avec la règle 1, paragraphe 1, sous d), et la règle 3, paragraphes 2, 3 et 5, du règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d'application du règlement no 40/94 (JO 1995, L 303, p. 1), au motif que la première chambre de recours aurait erronément requalifié la marque de couleur en cause en marque figurative. Le troisième moyen est tiré de la violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique. Le quatrième moyen est tiré de la violation de l’article 94 du règlement 2017/1001 et de l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), en ce que la décision attaquée enfreindrait le principe de bonne administration, comportant l’obligation de motivation, ainsi que les droits de la défense.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001

27      Dans le cadre de son premier moyen, tiré de la violation de l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, la requérante soutient que, en l’absence de toute contestation entre les parties concernant la nature de la marque contestée, la chambre de recours a interprété de sa propre initiative la demande de marque déposée le 12 février 1998 comme portant sur une marque figurative composée d’un contour nettement défini et, ce faisant, a outrepassé la limite des observations factuelles formulées par les parties.

28      L’EUIPO soutient que, contrairement à ce qu’avance la requérante, la chambre de recours était en droit d’examiner la nature de la marque contestée bien que la question n’ait pas été discutée devant elle par les parties, dès lors qu’il s’agissait d’une condition à prendre en considération pour déterminer l’étendue de la protection recherchée. Cette question de la nature de la marque relèverait nécessairement de la portée du recours. En réponse à une question posée dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, l’EUIPO indique notamment que la chambre de recours était compétente, dans le cadre de la procédure de nullité, pour examiner la nature de la marque et n’était pas liée par la décision de la deuxième chambre de recours du 20 novembre 2002, mais ajoute qu’elle aurait dû motiver sa décision de se départir de cette dernière décision et donner la possibilité aux parties d’être entendues à cet égard.

29      L’intervenante soutient que la chambre de recours était compétente pour interpréter comme elle l’a fait la nature de la marque contestée au regard du formulaire de demande qui constitue un élément produit par les parties. Dans sa réponse aux questions posées dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, elle ajoute que la chambre de recours était aussi compétente pour déclarer nulle la marque contestée en cas de contradiction entre le choix clair de marque figurative et une spécification complémentaire au formulaire.

30      L’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 dispose ce qui suit :

« Au cours de la procédure, l’Office procède à l’examen d’office des faits […] Dans les procédures de nullité engagées en vertu de l’article 59, l’Office limite son examen aux moyens et arguments soumis par les parties. »

31      En outre, l’article 27, paragraphe 2, du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001 et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1) dispose ce qui suit :

« Dans les procédures inter partes, l’examen du recours et, le cas échéant, du recours incident est limité aux moyens invoqués dans le mémoire exposant les motifs et, le cas échéant, dans le recours incident. Les questions de droit non soulevées par les parties sont examinées par la chambre de recours uniquement dans la mesure où elles concernent des exigences procédurales essentielles ou lorsqu’il est nécessaire de résoudre ces questions afin de garantir une application correcte du règlement (UE) 2017/1001 eu égard aux faits, preuves et arguments soumis par les parties. »

32      Selon la jurisprudence, conformément à l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, lors de l’examen des motifs absolus de refus, les examinateurs de l’EUIPO et, sur recours, les chambres de recours de l’EUIPO doivent procéder à l’examen d’office des faits afin de déterminer si la marque dont l’enregistrement est demandé relève ou non d’un des motifs de refus d’enregistrement énoncés à l’article 7 du même règlement. Il s’ensuit que les organes compétents de l’EUIPO peuvent être amenés à fonder leurs décisions sur des faits qui n’auraient pas été invoqués par le demandeur. L’EUIPO est tenu d’examiner d’office les faits pertinents qui pourraient l’amener à appliquer un motif absolu de refus [arrêt du 13 février 2019, Nemius Group/EUIPO (DENTALDISK), T‑278/18, non publié, EU:T:2019:86, point 30 ; voir également, par analogie, arrêts du 22 juin 2006, Storck/OHMI, C‑25/05 P, EU:C:2006:422, point 50, et du 19 avril 2007, OHMI/Celltech, C‑273/05 P, EU:C:2007:224, point 38].

33      Cela étant, dans le cadre d’une demande en nullité, la présomption de validité de la marque enregistrée limite l’obligation de l’EUIPO, figurant à l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, d’examiner d’office les faits pertinents qui pourraient l’amener à appliquer les motifs absolus de refus à l’examen de la demande d’une marque de l’Union européenne mené par les examinateurs et, sur recours, par les chambres de recours lors de la procédure d’enregistrement de ladite marque. En effet, la marque de l’Union européenne enregistrée étant présumée valide, il appartient à la personne ayant présenté la demande en nullité de cette marque d’invoquer devant l’EUIPO les éléments concrets qui mettraient en cause sa validité [voir, par analogie, arrêts du 13 septembre 2013, Fürstlich Castell’sches Domänenamt/OHMI – Castel Frères (CASTEL), T‑320/10, EU:T:2013:424, point 28 ; du 28 septembre 2016, European Food/EUIPO – Société des produits Nestlé (FITNESS), T‑476/15, EU:T:2016:568, point 48, et du 29 mars 2019, All Star/EUIPO – Carrefour Hypermarchés (Forme d’une semelle de chaussure), T‑611/17, non publié, EU:T:2019:210, point 45 et jurisprudence citée].

34      En l’espèce, force est de constater que la question de la nature de la marque contestée ne constituait pas un argument ou moyen soumis par les parties devant la première chambre de recours au sens de l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001.

35      En effet, cette question de la nature de la marque contestée avait été discutée dans le cadre de la procédure d’enregistrement de ladite marque. L’examinatrice avait considéré qu’il s’agissait d’une marque figurative et, dans la décision du 20 novembre 2002 (R 246/2000‑2) (point 6 ci-dessus), la deuxième chambre de recours avait estimé qu’il s’agissait au contraire d’une marque de couleur. La décision de la deuxième chambre de recours du 26 avril 2006 (R 148/2004-2) a ensuite conclu la procédure d’enregistrement en considérant que le caractère distinctif acquis par l’usage de la marque contestée avait été démontré pour les vins de champagne.

36      Comme l’EUIPO l’a admis dans le cadre de ses réponses aux questions écrites du Tribunal, c’est à tort que son département chargé du registre a omis de rectifier l’enregistrement de la marque contestée en tant qu’« autre marque » ou en tant que « marque de couleur » au lieu de « marque figurative ».

37      Dans ce contexte, au stade de la procédure inter partes de la demande de nullité en cause en l’espèce, la question de la nature de la marque contestée ne constituait pas un élément, de fait ou de droit, soulevé par les parties. De plus, cette question ne concernait pas davantage un fait pertinent ou des exigences procédurales essentielles. Enfin, contrairement à ce que l’EUIPO et l’intervenante soutiennent, il n’était pas nécessaire de la résoudre afin de garantir une application correcte du règlement 2017/1001. En effet, la deuxième chambre de recours avait pris en compte cette question de la nature de la marque contestée et l’avait déjà tranchée dans le cadre de la procédure d’enregistrement.

38      Certes, il découle de la jurisprudence que la présomption de validité de l’enregistrement ne saurait empêcher l’EUIPO, notamment au vu des éléments invoqués par la partie qui remet en cause la validité de la marque contestée, de se fonder non seulement sur ses arguments ainsi que sur les éventuels éléments de preuve joints par cette partie à sa demande en nullité, mais également sur les faits notoires relevés par l’EUIPO dans le cadre de la procédure de nullité [arrêts du 24 octobre 2019, Rubik’s Brand/EUIPO – Simba Toys (Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille), T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765, point 82, et du 15 octobre 2020, smart things solutions/EUIPO – Samsung Electronics (smart:)things), T‑48/19, non publié, EU:T:2020:483, point 69].

39      Toutefois, en l’espèce, aucun élément de preuve ou fait notoire n’a été produit ou invoqué devant la première chambre de recours.

40      Il résulte de tout ce qui précède que la première chambre de recours est allée au-delà des moyens et arguments soumis par les parties, en violation de la dernière phrase de l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, lu ensemble avec l’article 27, paragraphe 2, du règlement délégué 2018/625. Ce faisant, elle a excédé sa compétence.

41      Le premier moyen doit donc être accueilli.

42      Le Tribunal estime opportun d’examiner, à titre surabondant, le quatrième moyen soulevé par la requérante.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 94 du règlement 2017/1001 et de l’article 41, paragraphe 2, de la Charte

43      La requérante soutient, en substance, que la décision attaquée viole l’article 94 du règlement 2017/1001 et l’article 41, paragraphe 2, de la Charte. Il ressort de ses réponses aux questions posées dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure qu’elle fait valoir notamment que la première chambre de recours a enfreint ses droits de la défense.

44      L’EUIPO soutient également que la première chambre de recours aurait dû donner aux parties l’occasion de faire valoir leurs observations sur la qualification de la marque contestée.

45      L’intervenante conteste l’argumentation de la requérante aux motifs que la nature de la marque contestée n’était pas un aspect déterminant du litige et que la décision attaquée renvoie l’affaire à la division d’annulation en vue d’un réexamen pour permettre aux parties de s’adapter à la présente interprétation et assurer le plein respect de leurs droits de la défense.

46      L’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001, prévoit que les décisions de l’Office « ne peuvent être fondées que sur des motifs ou des preuves au sujet desquels les parties ont pu prendre position ». Il consacre ainsi, dans sa deuxième phrase, le principe général de protection des droits de la défense. En vertu de ce principe général du droit de l’Union européenne, également consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, les destinataires des décisions des autorités publiques qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue [arrêts du 19 avril 2005, Success-Marketing/OHMI – Chipita (PAN & CO), T‑380/02 et T‑128/03, EU:T:2005:133, point 94, et du 12 décembre 2019, Refan Bulgaria/EUIPO (Forme d’une fleur), T‑747/18, non publié, EU:T:2019:849, points 24 et 25].

47      En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que la première chambre de recours n’a pas interrogé les parties, et en particulier la requérante, sur la question de la nature de la marque contestée qu’elle a soulevée d’office.

48      Ce faisant, elle a enfreint les droits de la défense de la requérante, garantis par l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001.

49      Contrairement à ce que l’intervenante soutient en substance, la question de la nature de la marque contestée a été un fondement de la décision attaquée. La chambre de recours a en effet considéré que cette question constituait un aspect déterminant du litige, dès lors que c’était une condition à prendre en considération pour déterminer l’étendue de la protection recherchée, eu égard au fait que la qualification de la marque contestée était de nature à influencer l’analyse de son caractère distinctif ainsi qu’au fait que la différence d’interprétation de la nature de la marque était également susceptible d’affecter les conditions de dépôt.

50      De même, l’argument de l’intervenante, selon lequel la première chambre de recours a décidé de renvoyer l’affaire à la division d’annulation en vue d’assurer le respect des droits de la défense des parties, doit également être écarté. En effet, il y a lieu de rappeler que l’interprétation de la première chambre de recours s’impose à la division d’annulation à laquelle l’affaire est renvoyée en vertu de l’article 71, paragraphe 2, du règlement 2017/1001. Or, en l’espèce, compte tenu de la motivation de la décision attaquée, cette interprétation aboutit nécessairement à qualifier la marque contestée de marque figurative. En particulier, aux points 25 à 35 de la décision attaquée, la première chambre de recours s’est fondée sur un ensemble de considérations, au terme desquelles elle indique que la marque contestée ne pouvait être considérée que comme une marque figurative revendiquant une couleur spécifique.

51      Il s’ensuit que le quatrième moyen de la requérante est fondé en tant qu’il est tiré de la violation de son droit d’être entendu, au sens de l’article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 et de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte.

52      Par conséquent, il y a lieu d’accueillir le premier moyen ainsi que, à titre surabondant, le quatrième moyen et, partant, d’annuler la décision attaquée.

 Sur les dépens

53      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Par ailleurs, aux termes de l’article 134, paragraphe 2, du règlement de procédure, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.

54      L’EUIPO et l’intervenante ayant succombé, dans la mesure où la décision attaquée est annulée, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que, à parts égales, ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 24 février 2020 (R 2392/2018-1) est annulée.

2)      L’EUIPO supportera ses propres dépens ainsi que la moitié de ceux exposés par MHCS.

3)      Lidl Stiftung & Co. KG supportera ses propres dépens ainsi que la moitié de ceux exposés par MHCS.

Spielmann

Öberg

Spineanu-Matei

Mastroianni

 

      Norkus

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 septembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.