Language of document : ECLI:EU:T:2015:927

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (chambre des pourvois)

3 décembre 2015 (*)

« Pourvoi – Fonction publique – Fonctionnaires – Notation – Rapport d’évaluation – Objectifs 2011-2012 – Acte faisant grief – Recevabilité »

Dans l’affaire T‑127/14 P,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l’arrêt du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (troisième chambre) du 11 décembre 2013, Sesma Merino/OHMI (F‑125/12, RecFP, EU:F:2013:192), et tendant à l’annulation de cet arrêt,

Alvaro Sesma Merino, demeurant à El Campello (Espagne), représenté par Me H. Tettenborn, avocat,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par Mme P. Saba et M. D. Botis, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LE TRIBUNAL (chambre des pourvois),

composé de M. M. Jaeger, président, Mme M. E. Martins Ribeiro et M. D. Gratsias (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi introduit au titre de l’article 9 de l’annexe I du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le requérant, M. Alvaro Sesma Merino, demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (troisième chambre) du 11 décembre 2013, Sesma Merino/OHMI (F‑125/12, RecFP, ci‑après l’« arrêt attaqué », EU:F:2013:192), par lequel celui‑ci a rejeté comme irrecevable son recours tendant, d’une part, à l’annulation des objectifs qui lui avaient été fixés par l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) pour la période allant du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012 et, d’autre part, à la condamnation de l’OHMI à lui verser une indemnité en réparation des préjudices moraux et immatériels qu’il aurait subis.

 Faits à l’origine du litige, procédure en première instance et arrêt attaqué

 Faits à l’origine du litige

2        Les faits à l’origine du litige sont exposés aux points 7 à 15 de l’arrêt attaqué, dont les termes sont les suivants :

« 7      Le requérant est fonctionnaire de l’OHMI depuis le 1er octobre 1996. Il est classé dans le groupe de fonctions des administrateurs au grade AD 12.

8      Le 9 janvier 2012, le requérant a reçu le rapport d’évaluation pour la période allant du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2011. Outre l’ajustement des objectifs, lequel était fixé à 48,87 points, il y était indiqué, à la rubrique ‘ Objectifs pour l’avenir’, ligne ‘Individuels’, colonne ‘Critères de réussite ou indicateurs clefs pour l’exécution du travail […]’, que le requérant devait consacrer 15 % de son temps de travail à la qualité interne (formation/cosignature) dans le service et 50 % à la représentation du personnel.

9      En désaccord avec les objectifs fixés pour la période allant du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012, le requérant en a informé son supérieur hiérarchique et a demandé, par courrier électronique du 10 janvier 2012, un entretien de conciliation. Cet entretien a eu lieu le 25 janvier 2012.

10      Par courrier électronique du 2 février 2012, envoyé à 14 h 51, le supérieur hiérarchique du requérant a détaillé les objectifs quantitatifs en indiquant que, du 1er octobre 2011 au 1er février 2012, le requérant aurait consacré 17,5 % de son temps à la qualité interne (formation/cosignature) dans le service et 50 % à la représentation du personnel et que, à partir du 1er février 2012, en raison de son grade élevé, il consacrerait 2,5 % de temps en plus au travail académique et 50 % à la représentation du personnel.

11      Par un second courrier électronique également daté du 2 février 2012, envoyé à 15 h 49, le supérieur hiérarchique du requérant a précisé à celui-ci les modalités de travail attendues et fixé l’objectif quantitatif à 55,55 points (ci-après la ‘décision fixant les objectifs’).

12      Par lettre du 5 février 2012, le requérant a introduit un recours auprès du [comité paritaire d’évaluation et de promotion] contre les objectifs qui lui avaient été fixés pour la période allant du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012.

13      Par lettre du 3 avril 2012, le requérant a introduit une réclamation auprès de l’OHMI. Dans cette lettre, il a demandé que l’examen de sa réclamation soit suspendu jusqu’à ce que le [comité paritaire d’évaluation et de promotion] se soit prononcé sur le recours introduit le 5 février 2012.

14      Par courrier du 14 mai 2012, le [comité paritaire d’évaluation et de promotion] a rejeté comme irrecevable le recours introduit le 5 février 2012.

15      Le requérant en a informé l’OHMI par courrier du 17 mai 2012 et a demandé l’examen de sa réclamation. Par lettre du 23 juillet 2012, l’OHMI a rejeté la réclamation du requérant. »

3        Il y a lieu de rappeler également les termes de la décision ADM-04-18-Rev du président de l’OHMI, du 27 juillet 2005, fixant les dispositions d’exécution de l’article 43 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») et relative au rapport périodique d’évaluation. Cette décision est mentionnée aux points 2 et 3 de l’arrêt attaqué. Son article 12 établit les règles du dialogue de notation, lequel a lieu entre le titulaire du poste et son supérieur hiérarchique ou évaluateur dans les 30 jours ouvrables suivant la date de début de l’exercice d’évaluation. Les troisième et quatrième alinéas de cet article prévoient ce qui suit :

« Lors de ce dialogue annuel, l’évaluateur établit avec le titulaire du poste les objectifs à atteindre et/ou les activités et/ou les projets à mener à bien, qui constituent la base de référence pour l’évaluation du rendement correspondant à l’exercice d’évaluation suivant. Ceux-ci sont mentionnés en annexe du rapport d’évaluation.

En cas de désaccord sur le contenu de cette annexe, la décision définitive est prise par le validateur et des commentaires sont consignés par le titulaire du poste. »

 Recours devant le Tribunal de la fonction publique et arrêt rendu par celui-ci

4        Le 23 octobre 2012, le requérant a introduit un recours devant le Tribunal de la fonction publique, enregistré sous la référence F‑125/12, dans lequel il concluait, d’une part, à l’annulation de son rapport d’évaluation pour 2010-2011, ainsi que des courriers électroniques de l’OHMI du 2 février 2012 envoyés respectivement à 14 h 51 et à 15 h 49, dans la mesure où ces trois actes fixaient les objectifs pour la période allant du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012, et, d’autre part, à la condamnation de l’OHMI à lui verser une indemnité d’un montant approprié, en réparation des préjudices moraux et immatériels qu’il estimait avoir subis.

5        En premier lieu, le Tribunal de la fonction publique s’est prononcé sur les conclusions en annulation, qu’il a rejetées comme étant irrecevables.

6        Les points 21 à 38 de l’arrêt attaqué, qui portent sur cette question de l’irrecevabilité des conclusions en annulation, sont rédigés dans les termes suivants :

« 21      Il est de jurisprudence constante que constituent des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours les seules mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de celui-ci, et qui fixent définitivement la position de l’institution (arrêt du Tribunal du 10 novembre 2009, N/Parlement, F‑71/08, point 27).

22      Lorsqu’il s’agit d’actes ou de décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, notamment au terme d’une procédure interne, ne constituent des actes attaquables dans le cadre d’un recours en annulation que les mesures qui fixent définitivement la position de l’institution au terme de cette procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale. Ainsi, en matière de recours de fonctionnaires, les actes préparatoires d’une décision ne font pas grief au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut (arrêt N/Parlement, précité, point 28).

23      Il y a lieu de rappeler que le rapport d’évaluation a pour fonction d’assurer à l’administration une information périodique aussi complète que possible sur les conditions d’accomplissement de leur service par ses fonctionnaires et ses agents par rapport à l’exercice de notation. Le rapport d’évaluation doit être établi obligatoirement pour la bonne administration des services de l’Union et pour sauvegarder les intérêts des fonctionnaires et des agents. Il constitue un élément indispensable d’appréciation chaque fois que la carrière du fonctionnaire ou de l’agent est prise en considération par le pouvoir hiérarchique et son établissement périodique a pour objet de permettre une vue d’ensemble du développement de la carrière d’un fonctionnaire ou d’un agent (voir, en ce sens, arrêt Tribunal de première instance du 28 mai 1997, Burban/Parlement, T‑59/96, point 73).

24      Il s’ensuit que la décision qui arrête un rapport d’évaluation dans sa version définitive constitue un acte faisant grief, dès lors que le fonctionnaire ou l’agent noté estime avoir fait l’objet d’une notation entachée d’illégalité en raison d’appréciations défavorables injustifiées. Une telle décision peut affecter la situation administrative et la carrière du fonctionnaire ou de l’agent concerné dans la mesure où elle est susceptible d’exercer une influence négative sur ses perspectives d’avenir professionnel. Par conséquent, l’intéressé doit être mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments retenus à sa charge pour fonder ladite décision (voir arrêt du Tribunal de première instance du 12 juillet 2005, De Bry/Commission, T‑157/04, point 81).

25      En revanche, la fixation d’objectifs assignés pour l’année à venir constitue un élément essentiel lors de l’appréciation des prestations du fonctionnaire ou de l’agent l’année suivante et lors de l’élaboration de son rapport d’évaluation relatif à ces objectifs (voir arrêt N/Parlement, précité, point 51).

26      Par conséquent, dans le cadre d’un exercice d’évaluation des mérites, ce n’est qu’au moment de l’élaboration de son rapport d’évaluation relatif à la période pour laquelle les objectifs ont été fixés que la décision fixant ceux-ci est susceptible de produire des effets juridiques de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant, de façon caractérisée sa situation juridique, étant donné que ce n’est qu’à ce moment que l’administration peut adopter sa position définitive quant à la réalisation ou non des objectifs assignés pour cette période et en tirer les conséquences éventuelles pour l’appréciation des prestations du requérant dans son rapport d’évaluation.

27      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument du requérant selon lequel la décision fixant les objectifs aurait pour effet immédiat d’augmenter sa charge de travail.

28      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, pour parvenir à une organisation efficace des travaux et l’adapter à des besoins variables, les institutions et organes de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de leurs services en fonction des missions qui leur sont confiées et dans l’affectation en vue de celles-ci du personnel qui se trouve à leur disposition, à la condition cependant que cette affectation se fasse dans l’intérêt du service et dans le respect de l’équivalence des emplois (voir arrêt du Tribunal de première instance du 11 juillet 1997, Cesaratto/Parlement, T‑108/96, point 47).

29      Il ne saurait en être autrement que si, au moment de l’adoption de la décision fixant les objectifs, celle-ci devait être considérée comme manifestement contraire à l’intérêt du service ou portait atteinte au principe de correspondance entre le grade et l’emploi.

30      Or, ni dans ses écritures, ni dans ses réponses aux questions posées à l’audience à cet égard, le requérant n’a fait valoir que la décision fixant les objectifs aurait eu de tels effets.

31      Il s’ensuit que la fixation d’objectifs assignés ne constitue qu’une mesure préparatoire, préalable et nécessaire à la décision finale adoptée lors de l’exercice d’évaluation suivant.

32      Or, en matière de recours de fonctionnaires, les actes préparatoires d’une décision finale ne font pas grief et ne peuvent donc être attaqués que de façon incidente, lors d’un recours contre des actes annulables (arrêt de la Cour du 7 avril 1965, Weighardt/Commission, 11/64, p. 383). Si certaines mesures purement préparatoires sont susceptibles de faire grief au fonctionnaire dans la mesure où elles peuvent influencer le contenu d’un acte attaquable ultérieur, ces mesures ne peuvent pas faire l’objet d’un recours indépendant et doivent être contestées à l’appui d’un recours dirigé contre cet acte (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 11 juillet 1968, Van Eick/Commission, 35/67, p. 500).

33      Il y a également lieu de rejeter l’argument du requérant selon lequel il n’aurait pas donné son accord aux objectifs qui lui ont été assignés et que, en fixant unilatéralement et contre sa volonté déclarée le nombre de points à obtenir, l’OHMI n’aurait pas agi conformément aux consignes qu’[il] s’est données dans le ʽ[d]ossier 2011 pour les évaluateursʼ et selon lesquelles les objectifs doivent être fixés ensemble avec l’agent ou le fonctionnaire concerné.

34      En effet, s’il est vrai que, selon le ʽ[d]ossier 2011 pour les évaluateursʼ, ʽ[l]es objectifs devraient […] [être convenus] […] entre l’agent ou le fonctionnaire et l’évaluateur afin de stimuler la performance […]ʼ, cette règle ne peut être interprétée en ce sens que, à défaut d’accord de l’intéressé, le rapport d’évaluation serait vicié. Si cette interprétation était retenue, ladite règle aurait pour effet de placer l’administration dans l’obligation de recueillir dans tous les cas l’assentiment des membres du personnel sur la nature des tâches qui leur sont confiées et mettrait ces derniers en position de choisir les objectifs qu’ils doivent poursuivre, ce qui irait manifestement à l’encontre des règles de bonne administration et du principe hiérarchique (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 30 novembre 2009, De Nicola/BEI, F‑55/08, point 131). En tout état de cause, une telle interprétation ne serait pas compatible avec l’article 12 de la décision relative à la procédure de notation selon laquelle la décision finale concernant les objectifs est prise par l’évaluateur.

35      S’agissant de l’argument du requérant selon lequel la décision fixant les objectifs pour l’année suivante ne serait pas détachable du rapport d’évaluation de l’année précédente, il y a lieu d’observer que, selon l’article 12, troisième alinéa, de la décision relative à la procédure de notation, les objectifs sont contenus dans une annexe du rapport d’évaluation et que le quatrième alinéa de cet article prévoit une procédure séparée en cas de divergences entre l’agent et l’évaluateur.

36      Le requérant prétend encore que la décision fixant les objectifs porterait atteinte à son droit fondamental à l’intégrité physique, en ce qu’elle générerait un stress dangereux pour sa santé. Il fait également valoir que ladite décision méconnaît son droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité, à une bonne administration et à l’obligation de diligence.

37      À cet égard, il suffit d’observer que, conformément à la jurisprudence, l’existence d’éventuelles illégalités ne relève pas de l’examen de la recevabilité du recours en annulation, mais de son bien-fondé, et ne saurait conférer à l’acte attaqué le caractère d’acte faisant grief (arrêt du Tribunal de première instance du 20 mai 2010, Commission/Violetti e.a., T‑261/09 P, point 56, et la jurisprudence citée).

38      Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de considérer que la fixation d’objectifs ne constitue pas un acte attaquable au sens de la jurisprudence et, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions en annulation comme étant irrecevables. »

7        En second lieu, le Tribunal de la fonction publique s’est prononcé sur les conclusions en indemnité et a considéré qu’elles devaient également être rejetées, en application de la jurisprudence selon laquelle, si une demande en indemnité présente un lien étroit avec une demande en annulation, le rejet de cette dernière, soit comme étant irrecevable soit comme étant non fondée, entraîne également le rejet de la demande indemnitaire (points 41 à 43 de l’arrêt attaqué). Il a, dès lors, rejeté le recours du requérant dans son ensemble.

 Procédure devant le Tribunal et conclusions des parties

 Procédure devant le Tribunal

8        Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 21 février 2014, le requérant a formé le présent pourvoi. Le 21 mai 2014, l’OHMI a déposé un mémoire en réponse.

9        La phase écrite de la procédure a été close le 9 septembre 2014, après le dépôt d’une réplique du requérant, autorisé par le Tribunal en application de l’article 143, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, ainsi que d’une duplique de l’OHMI.

10      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (chambre des pourvois) a constaté qu’aucune demande de fixation d’une audience n’avait été présentée par les parties et a décidé de statuer sur le pourvoi sans phase orale de la procédure.

 Conclusions des parties

11      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler dans son intégralité l’arrêt attaqué et, statuant sur l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique, faire droit aux conclusions présentées par lui dans cette affaire ;

–        à titre subsidiaire, après l’annulation de l’arrêt attaqué, renvoyer l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique ;

–        condamner l’OHMI aux dépens de l’ensemble de la procédure, tant celle devant le Tribunal de la fonction publique que celle devant le Tribunal.

12      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le pourvoi dans son intégralité ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité des conclusions du requérant

13      L’OHMI conteste la recevabilité des conclusions présentées par le requérant, dans la mesure où elles tendent à ce que le Tribunal statue lui-même sur le recours devant le Tribunal de la fonction publique et fasse droit aux conclusions de ce recours.

14      L’OHMI rappelle que le recours devant le Tribunal de la fonction publique a été rejeté comme irrecevable, sans que le Tribunal de la fonction publique se soit prononcé quant au fond. Il s’ensuit, selon lui, que, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait l’arrêt attaqué, il serait tenu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique. L’OHMI estime que, dès lors que le Tribunal de la fonction publique n’a pas examiné au fond les moyens avancés par le requérant en première instance, le Tribunal ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour statuer, si bien que le litige n’est pas en état d’être jugé.

15      Ces arguments doivent être rejetés. Aux termes de l’article 139, paragraphe 1, du règlement de procédure du 2 mai 1991, applicable au moment de l’introduction du pourvoi, les conclusions du pourvoi tendent, d’une part, à l’annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal de la fonction publique et, d’autre part, à ce qu’il soit fait droit, en tout ou en partie, aux conclusions présentées en première instance, à l’exclusion de toute conclusion nouvelle.

16      Il s’ensuit que le requérant était recevable à présenter des conclusions de son pourvoi tendant à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées en première instance.

17      Il y a lieu de rappeler, à cet égard, qu’il ressort de l’article 13, paragraphe 1, de l’annexe I du statut de la Cour que, lorsque le Tribunal conclut qu’un pourvoi est fondé et qu’il annule la décision du Tribunal de la fonction publique visé par ce pourvoi, il lui appartient d’apprécier si l’affaire est en état d’être jugée, auquel cas, il statue lui-même sur le litige ; dans le cas contraire, il renvoie l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique.

18      Les arguments de l’OHMI tendent à démontrer que, en cas d’annulation de l’arrêt attaqué, l’affaire ne serait pas en état d’être jugée et devrait être renvoyée devant le Tribunal de la fonction publique. Ils concernent, ainsi, la suite qu’il conviendrait de donner à l’affaire en cas d’annulation de l’arrêt attaqué. De tels arguments ne sauraient affecter la recevabilité des conclusions du pourvoi, qui, par conséquent, doivent être jugées recevables.

 Sur le fond du pourvoi

19      À l’appui de son pourvoi, le requérant invoque trois moyens, tirés, respectivement, le premier, de la violation de l’article 90, paragraphe 2, du statut, le deuxième, de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective et, le troisième, de la violation des « règles de la logique ». Toutefois, il présente une argumentation commune à l’appui de ces trois moyens.

20      Dans ce contexte, le requérant fait valoir, notamment, que le Tribunal de la fonction publique a commis une erreur de droit en considérant que les actes visés par la réclamation qu’il avait introduite devant l’OHMI, puis par son recours devant le Tribunal de la fonction publique, ne constituaient pas des actes faisant grief, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut.

21      Il convient d’examiner, en premier lieu, cette question.

22      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 90, paragraphe 2, première phrase, du statut prévoit que toute personne visée au statut peut saisir l’autorité investie du pouvoir de nomination d’une réclamation dirigée contre un acte lui faisant grief, soit que ladite autorité ait pris une décision, soit qu’elle se soit abstenue de prendre une mesure imposée par le statut. En outre, aux termes de l’article 91, paragraphe 1, du statut, la Cour est compétente pour statuer sur tout litige entre l’Union européenne et l’une des personnes visées au statut et portant sur la légalité d’un acte faisant grief à la personne concernée.

23      Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, également rappelée au point 21 de l’arrêt attaqué, seuls peuvent être considérés comme faisant grief des actes produisant des effets juridiques obligatoires affectant directement et immédiatement la situation juridique des intéressés, en modifiant, de façon caractérisée, leur situation juridique (voir arrêts du 21 janvier 1987, Stroghili/Cour des comptes, 204/85, Rec, EU:C:1987:21, point 6 et jurisprudence citée, et du 15 juin 1994, Pérez Jiménez/Commission, T‑6/93, RecFP, EU:T:1994:63, point 34 et jurisprudence citée).

24      Comme l’a également rappelé le Tribunal de la fonction publique au point 22 de l’arrêt attaqué, lorsqu’il s’agit d’actes ou de décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, notamment au terme d’une procédure interne, il résulte de la jurisprudence que, en principe ne constituent un acte attaquable que les mesures qui fixent définitivement la position de l’institution au terme de cette procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires, dont l’objectif est de préparer la décision finale. Les actes préparatoires d’une décision ne font pas grief et ce n’est qu’à l’occasion d’un recours dirigé contre la décision prise au terme de la procédure que le requérant peut faire valoir l’irrégularité des actes antérieurs qui lui sont étroitement liés (voir arrêt du 8 juin 2009, Krcova/Cour de justice, T‑498/07 P, RecFP, EU:T:2009:178, point 55 et jurisprudence citée).

25      Il convient, à cet égard, de préciser que la jurisprudence citée au point 24 ci‑dessus n’introduit pas une exception à la définition de la notion d’acte faisant grief, telle qu’elle résulte de la jurisprudence citée au point 23 ci‑dessus. Elle ne fait qu’énoncer de manière explicite ce qui découle logiquement de cette dernière jurisprudence.

26      En effet, s’agissant d’un acte ou d’une décision dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, les mesures intermédiaires, dont l’objectif n’est que de préparer la décision finale, ne produisent pas elles-mêmes des effets juridiques obligatoires. De tels effets ne découlent que de l’acte qui fixe définitivement la position de l’institution concernée et, tant que cet acte n’a pas encore été adopté, la situation juridique des intéressés n’est pas modifiée directement et immédiatement.

27      Il ressort de ces considérations que, si une mesure produit, par elle-même, des effets juridiques obligatoires affectant directement et immédiatement la situation des intéressés, elle constitue un acte faisant grief, susceptible de faire l’objet d’une réclamation et, ensuite, d’un recours devant le juge de l’Union, conformément, respectivement, à l’article 90, paragraphe 2, et à l’article 91, paragraphe 1, du statut. Le fait que cette mesure est, éventuellement, prise en considération lors de l’adoption ultérieure d’une autre mesure et, de ce fait, peut être regardée comme s’inscrivant dans le cadre d’une procédure interne conduisant à l’adoption de cette autre mesure n’est pas suffisant pour priver la première mesure de la qualité d’acte faisant grief.

28      En l’espèce, il ressort du point 26 de l’arrêt attaqué que le Tribunal de la fonction publique a considéré que la décision portant fixation des objectifs à un fonctionnaire de l’OHMI pour l’année à venir n’était pas susceptible de produire des effets juridiques de nature à affecter les intérêts du fonctionnaire concerné, en l’occurrence du requérant. Il a, ainsi, conclu que cette décision ne constituait pas un acte faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours devant le juge de l’Union.

29      Ainsi qu’il ressort des considérations exposées aux points 25 à 27 ci‑dessus, le fait que, comme le souligne l’OHMI dans son mémoire en réponse, l’adoption d’une décision de fixation d’objectifs pour une période déterminée constitue un préalable nécessaire à l’adoption d’une décision finale lors de l’exercice d’évaluation suivante (voir point 31 de l’arrêt attaqué) n’est pas, à lui seul, suffisant pour conclure que la décision de fixation d’objectifs ne constitue pas un acte faisant grief. Encore faut-il démontrer que cette dernière décision ne produit pas, par elle-même, d’effets juridiques obligatoires affectant directement et immédiatement la situation du fonctionnaire concerné.

30      Comme il ressort des points 19, 27 et 37 de l’arrêt attaqué, et comme le requérant le rappelle, d’ailleurs, dans son argumentation avancée à l’appui de son pourvoi, dans son recours devant le Tribunal de la fonction publique, il avait fait valoir, notamment, que la décision lui fixant des objectifs pour l’année à venir avait eu pour effet immédiat d’augmenter sa charge de travail, au point de générer un stress dangereux pour sa santé. Il y voyait une atteinte à son droit à l’intégrité physique et à des conditions de travail respectueuses de sa santé, de sa sécurité et de sa dignité. Il a également fait valoir, dans le même contexte, que, déjà, les objectifs fixés pour la période précédente n’avaient pu être atteints qu’en travaillant en dehors de ses heures de travail, ce dont il aurait informé l’OHMI en l’indiquant dans son auto-évaluation (voir point 19 de l’arrêt attaqué).

31      En réponse à cette argumentation, le Tribunal de la fonction publique a fait référence, au point 28 de l’arrêt attaqué, au large pouvoir d’appréciation dont disposent, selon la jurisprudence, les institutions et organes de l’Union dans l’organisation de leurs services en fonction des missions qui leur sont confiées et dans l’affectation en vue de celles-ci du personnel qui se trouve à leur disposition, et ce pour parvenir à une organisation efficace des travaux et l’adapter à des besoins variables.

32      Bien que le Tribunal de la fonction publique ne l’ait pas mentionné dans l’arrêt attaqué, selon une jurisprudence constante, il résulte de la considération mentionnée au point 31 ci‑dessus que les simples mesures d’organisation interne des services, et plus particulièrement celles touchant à l’organisation administrative et à la discipline du travail, ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel, dès lors qu’elles n’affectent pas la situation juridique ou matérielle du fonctionnaire concerné par la mesure dont il s’agit (voir ordonnance du 25 octobre 1996, Lopes/Cour de justice, T‑26/96, RecFP, EU:T:1996:157, point 35 et jurisprudence citée).

33      Il apparaît, ainsi, que le Tribunal de la fonction publique a considéré, en application de cette jurisprudence, que la décision de fixation d’objectifs constituait une simple mesure d’organisation interne du service de l’OHMI et, partant, ne saurait être qualifiée d’acte faisant grief.

34      Il convient, à cet égard, de rappeler que, selon la jurisprudence, ne présente pas le caractère d’un acte faisant grief, susceptible, comme tel, de faire l’objet d’un recours juridictionnel, un acte à l’encontre duquel les griefs formulés concernent non la position statutaire de l’agent concerné, mais exclusivement les rapports internes du service et, plus particulièrement, des questions touchant à l’organisation administrative et à la discipline du travail (voir arrêt du 24 juin 1993, Seghers/Conseil, T‑69/92, Rec, EU:T:1993:51, point 29 et jurisprudence citée).

35      C’est dans ce même contexte que s’inscrit la jurisprudence constante selon laquelle, pour qu’une mesure de réorganisation des services porte atteinte aux droits statutaires d’un fonctionnaire, il ne suffit pas qu’elle entraîne un changement et même une diminution quelconque des attributions de celui-ci, mais il faut que, dans leur ensemble, ses attributions résiduelles restent nettement en deçà de celles correspondant à ses grade et emploi, compte tenu de leur nature, de leur importance et de leur ampleur (voir arrêt Seghers/Conseil, point 34 supra, EU:T:1993:51, point 30 et jurisprudence citée).

36      En effet, il résulte des articles 5 et 7 du statut qu’un fonctionnaire a droit à ce que les fonctions qui lui sont attribuées soient, dans leur ensemble, conformes à l’emploi correspondant au grade qu’il détient dans la hiérarchie (arrêt du 23 mars 1988, Hecq/Commission, 19/87, Rec, EU:C:1988:165, point 7).

37      C’est également dans le même contexte que s’inscrit la jurisprudence constante selon laquelle le large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de leurs services et dans l’affectation en vue de celles-ci du personnel qui se trouve à leur disposition, reconnu aux institutions de l’Union (voir point 31 ci‑dessus), se trouve soumis à la condition que cette affectation se fasse dans l’intérêt du service et dans le respect de l’équivalence des emplois (voir arrêt Hecq/Commission, point 36 supra, EU:C:1988:165, point 6 et jurisprudence citée).

38      Il convient d’admettre, sur la base de ces considérations, que, si les attributions d’un fonctionnaire ne doivent pas être en deçà de celles correspondant à ses grade et emploi, elles ne sauraient non plus aller manifestement au-delà de ce qui peut raisonnablement être exigé d’un fonctionnaire du grade concerné, occupant l’emploi en question, et ce d’autant plus qu’une telle exigence serait aussi manifestement contraire à l’intérêt du service.

39      C’est, en substance, ce qu’a relevé le Tribunal de la fonction publique au point 29 de l’arrêt attaqué.

40      Or, au point 30 de l’arrêt attaqué, le Tribunal de la fonction publique a constaté que, « ni dans ses écritures, ni dans ses réponses aux questions posées à l’audience à cet égard, le requérant n’a fait valoir que la décision fixant les objectifs aurait eu de tels effets ».

41      Cette constatation n’a pas été contestée par le requérant dans le cadre de son pourvoi. Celui-ci s’est limité à rappeler son argumentation, présentée en première instance et résumée au point 19 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, à la suite de l’augmentation des objectifs qui lui avaient été fixés, il « pouvait » être exposé à un stress nocif pour sa santé.

42      Or, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal de la fonction publique a, en substance, conclu que ces arguments ne suffisaient pas à démontrer que la mesure d’organisation de service que constituait la fixation, au requérant, de ses objectifs pour l’année à venir impliquait l’attribution à ce dernier des tâches allant manifestement au-delà de ce qu’il pouvait être exigé d’un fonctionnaire de son grade et que cette mesure était manifestement contraire à l’intérêt du service.

43      Compte tenu de cette considération, c’est également sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal de la fonction publique a conclu que ladite mesure ne constituait pas un acte faisant grief et qu’il a, pour ce motif, rejeté le recours comme irrecevable.

44      Les arguments avancés par le requérant dans son pourvoi ne sauraient remettre en cause cette conclusion.

45      Le requérant a avancé plusieurs arguments pour démontrer que le seul fait que l’adoption d’une décision de fixation d’objectifs pour un fonctionnaire de l’OHMI est un préalable nécessaire pour la rédaction de son rapport de notation ne suffit pas pour conclure qu’une telle décision n’est pas un acte faisant grief.

46      Cette considération est correcte, ainsi qu’il ressort du point 29 ci‑dessus. Encore faudrait-il, toutefois, démontrer qu’une décision de fixation d’objectifs va au-delà d’une simple mesure d’organisation de service et produit des effets juridiques obligatoires. C’est précisément cela que le requérant n’est pas parvenu à démontrer.

47      Ne saurait non plus prospérer l’argument du requérant selon lequel le Tribunal de la fonction publique aurait procédé, aux points 29, 30 et 37 de son arrêt, à un examen du bien-fondé de son recours, pour conclure à son irrecevabilité.

48      Au point 30 de l’arrêt attaqué, le Tribunal de la fonction publique a constaté, à juste titre comme il a déjà été relevé, que le requérant n’avait même pas fait valoir que les actes visés par son recours produisaient des effets juridiques de nature à justifier qu’ils soient qualifiés d’actes faisant grief.

49      À défaut de tels effets, les actes en question ne sauraient faire l’objet d’un recours en annulation. Compte tenu de cette conclusion, le bien-fondé des griefs avancés à leur égard par le requérant est sans pertinence pour l’appréciation de la recevabilité du recours et c’est, en substance, cette considération qui a été rappelée par le Tribunal de la fonction publique au point 37 de l’arrêt attaqué.

50      Partant, compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de rejeter le pourvoi dans son ensemble.

 Sur les dépens

51      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, applicable à la procédure ayant pour objet un pourvoi en vertu de l’article 211, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

52      Le requérant ayant succombé en ses conclusions, il convient de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’OHMI.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (chambre des pourvois)

déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      M. Alvaro Sesma Merino est condamné aux dépens.

Jaeger

Martins Ribeiro

Gratsias

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 décembre 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.