Language of document : ECLI:EU:T:2020:317

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

8 juillet 2020 (*) (1)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑186/19,

Khaled Zubedi, demeurant à Damas (Syrie), représenté par Mme M. Lester, QC, et M. M. O’Kane, solicitor,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. V. Piessevaux et A. Limonet, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision d’exécution (PESC) 2019/87 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 13), et du règlement d’exécution (UE) 2019/85 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 4), en tant que ces actes visent le requérant,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise et J. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Khaled Zubedi, est un homme d’affaires de nationalité syrienne qui développe une activité commerciale dans le secteur immobilier.

2        Condamnant fermement la répression violente des manifestations pacifiques en Syrie et lançant un appel aux autorités syriennes pour qu’elles s’abstiennent de recourir à la force, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2011/273/PESC, du 9 mai 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2011, L 121, p. 11). Compte tenu de la gravité de la situation, le Conseil a institué un embargo sur les armes, une interdiction des exportations de matériel susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne, des restrictions à l’admission dans l’Union européenne ainsi que le gel des fonds et des ressources économiques de certaines personnes et entités responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne.

3        Les noms des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie ainsi que ceux des personnes, physiques ou morales, et des entités qui leur sont liées sont mentionnés dans l’annexe de la décision 2011/273. En vertu de l’article 5, paragraphe 1, de cette décision, le Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, peut modifier ladite annexe. Le nom du requérant n’y figurait pas lors de l’adoption de ladite décision.

4        Étant donné que certaines des mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne entrent dans le champ d’application du traité FUE, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 442/2011, du 9 mai 2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2011, L 121, p. 1). Ce règlement est, pour l’essentiel, identique à la décision 2011/273, mais il prévoit des possibilités de déblocage des fonds gelés. La liste des personnes, des entités et des organismes reconnus comme étant soit responsables de la répression en cause, soit associés auxdits responsables, figurant à l’annexe II dudit règlement, est identique à celle figurant à l’annexe de la décision 2011/273. En vertu de l’article 14, paragraphes 1 et 4, du règlement no 442/2011, lorsque le Conseil décide d’appliquer à une personne, physique ou morale, à une entité ou à un organisme les mesures restrictives visées, il modifie l’annexe II en conséquence et, par ailleurs, examine la liste qui y figure à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois.

5        Par la décision 2011/782/PESC, du 1er décembre 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/273 (JO 2011, L 319, p. 56), le Conseil a estimé, compte tenu de la gravité de la situation en Syrie, qu’il était nécessaire d’instituer des mesures restrictives supplémentaires. Par souci de clarté, les mesures imposées par la décision 2011/273 et les mesures supplémentaires ont été regroupées dans un instrument juridique unique. La décision 2011/782 prévoit, à son article 18, des restrictions en matière d’admission sur le territoire de l’Union et, à son article 19, le gel des fonds et des ressources économiques des personnes et des entités dont le nom figure à l’annexe I.

6        Le règlement no 442/2011 a été remplacé par le règlement (UE) no 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement no 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1).

7        La décision 2011/782 a été remplacée par la décision 2012/739/PESC du Conseil, du 29 novembre 2012, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/782 (JO 2012, L 330, p. 21), elle-même remplacée par la décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14).

8        Le 12 octobre 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/1836 modifiant la décision 2013/255 (JO 2015, L 266, p. 75). Le même jour, il a adopté le règlement (UE) 2015/1828 modifiant le règlement no 36/2012 (JO 2015, L 266, p. 1).

9        Aux termes du considérant 6 de la décision 2015/1836, « [l]e Conseil a estimé que, en raison du contrôle étroit exercé sur l’économie par le régime syrien, un cercle restreint de femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie n’est en mesure de maintenir son statut que grâce à des liens étroits avec le régime et au soutien de celui-ci, ainsi qu’à l’influence exercée en son sein », et « le Conseil estime qu’il devrait prévoir des mesures restrictives pour imposer des restrictions à l’admission des femmes et des hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie, identifiés par le Conseil et dont la liste figure à l’annexe I, ainsi que pour geler tous les fonds et ressources économiques qui leur appartiennent, qui sont en leur possession, ou qui sont détenus ou contrôlés par eux, afin de [les] empêcher de fournir un soutien matériel ou financier au régime et, par l’influence qu’ils exercent, d’accroître la pression sur le régime lui-même afin qu’il modifie sa politique de répression ».

10      La rédaction des articles 27 et 28 de la décision 2013/255 a été modifiée par la décision 2015/1836. Ces articles prévoient désormais des restrictions à l’entrée ou au passage en transit sur le territoire des États membres ainsi que le gel des fonds des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie », sauf « informations suffisantes indiquant [que ces personnes] ne sont pas, ou ne sont plus, lié[e]s au régime ou qu’[elles] n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’[elles] ne sont pas associé[e]s à un risque réel de contournement ».

11      Par la décision d’exécution (PESC) 2019/87 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre la décision 2013/255 (JO 2019, L 18 I, p. 13), et par le règlement d’exécution (UE) 2019/85, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2019, L 18 I, p. 4) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), le nom du requérant a été inséré à la ligne 271 du tableau A des listes des personnes, entités et organismes visés par les mesures restrictives qui figurent à l’annexe I de la décision 2013/255 et à l’annexe II du règlement no 36/2012 (ci-après, prises ensemble, les « listes en cause »).

12      Dans les actes attaqués, le Conseil a justifié l’adoption des mesures restrictives visant le requérant en l’identifiant comme le « copropriétaire de Zub[e]di et [Kalai] LLC, [le] directeur d’Agar Investment Company, [le] directeur général d’Al Zub[e]di company et d’Al Zub[e]di & Al Taweet Contracting Company, [le] directeur et propriétaire de Zub[e]di Development Company, et [le] copropriétaire d’Enjaz Investment Company » et par la mention des motifs suivants :

« Homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, ayant réalisé d’importants investissements dans l’industrie du bâtiment, y compris une participation de 50 % dans Zub[e]di et [Kalai] LLC, qui construit la cité touristique de luxe “Grand Town” et avec qui le régime a passé une convention sur 45 ans en échange de 19-21 % de ses recettes. Il a, à ce titre, des liens avec Nader [Kalai]. Khaled al-Zub[e]di tire avantage du régime et/ou le soutient, par ses activités commerciales, notamment sa participation à la construction de Grand Town. »

13      Le 22 janvier 2019, le Conseil a procédé à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de l’avis à l’attention des personnes qui faisaient l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2013/255 et par le règlement no 36/2012 (JO 2019, C 27, p. 3).

14      Par lettre du 1er mars 2019, les représentants du requérant se sont opposés à l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause et ont demandé au Conseil de leur communiquer les documents étayant ladite inscription.

15      Par lettre du 21 mars 2019, d’une part, le Conseil a indiqué aux représentants du requérant que, en substance, leurs observations n’étaient pas en mesure de remettre en cause la décision d’inscrire le nom du requérant sur les listes en cause. D’autre part, il leur a communiqué le document portant la référence WK 51/2019 INIT, du 10 janvier 2019, comprenant les éléments de preuve venant au soutien des motifs de ladite inscription.

 Procédure et conclusions des parties

16      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 mars 2019, le requérant a introduit le présent recours.

17      Le 4 juillet 2019, le Conseil a déposé au greffe du Tribunal le mémoire en défense.

18      Par courrier du 8 juillet 2019, le requérant s’est vu notifier le mémoire en défense et fixer un délai au 21 août 2019 pour le dépôt de la réplique. Par lettre du 16 août 2019, le requérant a demandé une prorogation du délai pour le dépôt de la réplique, demande qui lui a été refusée par courrier du 19 août 2019. Le requérant n’a pas déposé de réplique dans le délai imparti.

19      Par courrier du 4 septembre 2019, les parties ont été informées de la clôture de la phase écrite de la procédure et de la possibilité, pour elles, de demander la tenue d’une audience dans les conditions prévues à l’article 106 du règlement de procédure du Tribunal. Les parties n’ont pas présenté une telle demande dans le délai qui leur était imparti en application de ces dispositions et qui expirait le 7 octobre 2019.

20      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, sous a) et d), du règlement de procédure, le Tribunal a, le 24 janvier 2020, demandé au Conseil de répondre à une série de questions et de produire une version lisible de certains documents. Ce dernier a répondu aux questions et a déféré à la demande de production de documents dans le délai imparti.

21      Invité à déposer ses observations sur les réponses du Conseil, le requérant n’a pas répondu dans le délai qui lui a été imparti.

22      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués pour autant qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

23      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans son intégralité ;

–        condamner le requérant aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les actes attaqués en ce qu’ils visent le requérant, ordonner le maintien des effets de la décision d’exécution 2019/87 à l’égard du requérant jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2019/85 prenne effet.

 En droit

24      À l’appui du recours, le requérant invoque un moyen unique tiré d’une erreur d’appréciation. Ce moyen comprend trois griefs.

25      Dans le cadre du premier grief, le requérant ne conteste pas être un homme d’affaires exerçant ses activités en Syrie, mais estime qu’il n’est pas un homme d’affaires « influent » dans la mesure où il ne réalise pas de bénéfices importants. En tout état de cause, il soutient que le simple fait d’être un homme d’affaires ne constitue pas un motif suffisant pour justifier l’inscription de son nom sur les listes en cause et que le Conseil aurait dû démontrer qu’il était associé aux dirigeants du régime syrien, ce qui ne serait pas le cas.

26      Dans le cadre du deuxième grief, si le requérant reconnaît être lié à M. Nader Kalai en raison de leur participation en tant qu’actionnaires dans la société Zubedi et Kalai LLC, il fait valoir que le Conseil n’a pas expliqué en quoi ce lien serait pertinent pour justifier l’inscription de son nom sur les listes en cause. En tout état de cause, selon lui, ce lien n’est pas susceptible de justifier une telle inscription.

27      Dans le cadre du troisième grief, le requérant nie, en substance, avoir des liens avec le régime syrien et considère que le Conseil n’a apporté aucun commencement de preuve afin d’en démontrer l’existence.

28      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

29      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

30      Il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée).

31      C’est en effet à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernées, et non à ces dernières d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121).

32      À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernées (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122).

33      Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernées à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

34      Conformément à la jurisprudence de la Cour, l’appréciation du bien-fondé d’une inscription doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:247, point 51, et du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 50).

35      Enfin, en l’espèce, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’enjeu, qui fait partie du contrôle de la proportionnalité des mesures restrictives en cause, il peut être tenu compte du contexte dans lequel s’inscrivent ces mesures, du fait qu’il était urgent d’adopter de telles mesures ayant pour objet de faire pression sur le régime syrien afin qu’il arrête la répression violente dirigée contre la population et de la difficulté d’obtenir des preuves plus précises dans un État en situation de guerre civile doté d’un régime de nature autoritaire (arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 46).

36      Il convient de rappeler que les critères généraux d’inscription énoncés à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, repris, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement no 36/2012, prévoient que les personnes et les entités bénéficiant des politiques menées par le régime syrien ou soutenant celui-ci font l’objet de mesures restrictives. De même, l’article 27, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, et l’article 28, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, de ladite décision, repris, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), et paragraphe 1 ter, dudit règlement, disposent que la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » fait l’objet de mesures restrictives, sauf s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’ils ne sont pas, ou ne sont plus, liés au régime ou qu’ils n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’ils ne sont pas associés à un risque réel de contournement.

37      Par ailleurs, ainsi qu’il a été mentionné au point 12 ci-dessus, les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause sont rédigés dans les termes suivants :

« Homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, ayant réalisé d’importants investissements dans l’industrie du bâtiment, y compris une participation de 50 % dans Zub[e]di et [Kalai] LLC, qui construit la cité touristique de luxe “Grand Town” et avec qui le régime a passé une convention sur 45 ans en échange de 19-21 % de ses recettes. Il a, à ce titre, des liens avec Nader [Kalai]. Khaled al-Zub[e]di tire avantage du régime et/ou le soutient, par ses activités commerciales, notamment sa participation à la construction de Grand Town. »

38      Il y a lieu d’en déduire que le requérant a vu son nom être inscrit sur les listes en cause en raison, premièrement, de son statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et, deuxièmement, de son lien avec le régime syrien.

39      Autrement dit, l’inscription du nom du requérant est fondée, d’une part, sur le critère défini au paragraphe 2, sous a), de l’article 27 et de l’article 28 de la décision 2013/255 et au paragraphe 1 bis, sous a), de l’article 15 du règlement no 36/2012 (critère d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie) et, d’autre part, sur le critère défini au paragraphe 1 de l’article 27 et de l’article 28 de ladite décision et au paragraphe 1, sous a), de l’article 15 dudit règlement (critère d’association avec le régime).

40      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le moyen unique soulevé par le requérant et, tout d’abord, le premier grief, qui vise, en substance, à remettre en cause le premier motif d’inscription, à savoir celui selon lequel le requérant est un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie.

41      À cet égard, il y a lieu de relever que le requérant admet être un homme d’affaires, mais conteste être un homme d’affaires « influent » et, à ce titre, appartenir à un « cercle restreint de femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie ».

42      Ainsi qu’il a été rappelé au point 12 ci-dessus, le Conseil a identifié le requérant dans les actes attaqués comme étant le « copropriétaire de Zub[e]di et [Kalai] LLC, [le] directeur d’Agar Investment Company, [le] directeur général d’Al Zub[e]di company et d’Al Zub[e]di & Al Taweet Contracting Company, [le] directeur et propriétaire de Zub[e]di Development Company, et [le] copropriétaire d’Enjaz Investment Company ».

43      Pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, le Conseil a fourni le document portant la référence WK 51/2019 INIT, du 10 janvier 2019, comportant des éléments d’information publiquement accessibles, à savoir des liens vers des sites Internet, des articles de presse et des captures d’écran provenant :

–        du site Internet « aliqtisadi News », qui décrit, sur une page consultée le 8 octobre 2018, le requérant comme étant le directeur et propriétaire de l’entreprise Zubedi Development Company, le directeur et actionnaire à 50 % de Enjaz Investment Company, le directeur d’Agar Investment Company, le directeur général de Al Zubedi company et de Al Zubedi & Al Taweet Contracting Company et qui expose, dans un article du 31 mai 2018, que le requérant va mettre en œuvre le projet « Grand Town », décrit comme une cité touristique comprenant des villas, des immeubles résidentiels et des centres commerciaux, et va également préparer la construction d’une ville résidentielle, et qu’il est le propriétaire de Agar Investment Company, dont l’entreprise Zubedi Development Company fournit 65 % du capital ;

–        du site Internet « Al-Rustom Law Office », qui décrit, sur une page consultée le 8 octobre 2018, le requérant comme le fondateur de l’entreprise Zubedi Development Company ;

–        du site Internet « The Syria Report », qui mentionne, premièrement, sur une page consultée le 4 octobre 2018, que le requérant détient 50 % de la société Zubedi et Kalai, deuxièmement, dans un article du 7 mars 2017, que cette société détient 40 % d’une coentreprise publique-privée de promotion immobilière dotée d’un capital de 50 milliards de livres syriennes, soit 92 millions de dollars des États-Unis, les autres partenaires étant l’entreprise étatique General Housing Establishment et Real Estate Bank, société du secteur public, et, troisièmement, dans un article du 21 mars 2017, que la société Zubedi et Kalai gérera l’hôtel Ebla en vertu d’un accord approuvé par le régime syrien, impliquant un investissement de 25 millions de dollars des États-Unis, et que cette société a signé un accord avec le gouvernement pour exploiter une zone de 800 000 mètres carrés autour dudit hôtel afin d’y construire des villas et d’autres installations, cet accord ayant vocation à durer 45 ans et devant permettre au régime de percevoir 19 % des recettes les cinq premières années et 21 % desdites recettes ensuite ;

–        du site Internet « Eqstad News », qui relate, dans un article du 9 septembre 2018, que le requérant est impliqué avec le régime syrien dans le projet « Grand Town », décrit comme un projet de développement touristique, incluant des villas et des immeubles résidentiels ainsi que des centres commerciaux, et que le requérant a organisé un dîner avec le Premier ministre et d’autres ministres syriens ;

–        du site Internet « ATHR Press News », qui mentionne, dans un article du 27 septembre 2018, le projet « Grand Town », auquel le requérant et le ministère du Tourisme prennent part, et le fait que le requérant est le directeur général de la société Ibdaa Co. LLC et de l’entreprise Zubedi Development Company ;

–        du site Internet de la société Zubedi et Kalai, consulté les 5 et 8 octobre 2018, qui présente les différents aspects du projet immobilier entourant l’hôtel Ebla, à savoir la construction de villas de luxe, d’hôtels trois et quatre étoiles, d’un parc aquatique et d’un centre commercial ; ce site précise également l’envergure du projet « Grand Town » ainsi que le projet résidentiel « EBDA’A Al Ghasula », décrit comme comportant aussi différentes structures de services telles qu’un hôpital, une école et un centre commercial ;

–        de la chaîne Youtube de « ZK Grand Town », consultée le 5 octobre 2018, qui diffuse des vidéos détaillant les nombreuses installations du projet « Grand Town » telles qu’un terrain de golf, des villas de luxe, de multiples hôtels, un centre commercial ou encore un parc d’attractions ;

–        du site Internet « Shaam Times News », qui décrit, dans un article daté de la fin du mois de septembre 2018, le requérant comme le directeur général de la société Ibdaa Co., qui emploie 650 personnes, et de l’entreprise Zubedi Development Company et indique que le projet « Grand Town » va débuter en octobre 2018. Selon cet article, le requérant a notamment déclaré que le projet « Grand Town » était un partenariat avec l’État syrien, représenté par les ministères de l’Économie et du Tourisme ainsi que par la Cité des expositions, que ce projet s’inscrivait dans la stratégie de reconstruction de l’État syrien et n’était pas un projet personnel, mais le projet de tout un pays, et qu’il était important d’être soutenu par le gouvernement pour gagner la confiance des investisseurs ;

–        du site Internet « Open Democracy », qui, dans un article du 5 septembre 2017, fait référence aux liens existant entre le requérant et le régime ;

–        du site Internet « 11.11.11 », qui, dans un rapport intitulé « Syria: Reconstruction Calling? » (Syrie : l’appel de la reconstruction ?), du 28 mars 2018, évoque la stratégie de reconstruction du gouvernement syrien impliquant quelques hommes d’affaires, dont le requérant ;

–        du site Internet « Brookings Institution », qui a publié un rapport de juin 2018, intitulé « Beyond Fragility: Syria and the challenges of reconstruction in fierce states » (Au-delà de la fragilité : la Syrie et les défis de la reconstruction dans les États violents), qui mentionne les actes législatifs adoptés par le régime syrien afin de faire profiter certains hommes d’affaires de terrains expropriés. Le requérant est mentionné comme un proche du « régime Assad » et comme participant au projet « Marouta City ».

44      En premier lieu, le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir identifié quelle partie des éléments de preuve qu’il a produits est supposée étayer chacun des motifs avancés pour justifier l’inscription de son nom sur les listes en cause.

45      À cet égard, il suffit de constater que la seule obligation qui incombe au Conseil est celle de garantir le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective en communiquant à la personne concernée les éléments dont il dispose à son égard pour fonder sa décision, afin que cette personne puisse défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 111, et du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, EU:T:2006:384, point 93).

46      Partant, il n’est nullement prévu et il ne saurait être exigé du Conseil qu’il procède à l’identification voulue par le requérant. En tout état de cause, le requérant ne fait nullement valoir qu’il lui aurait été impossible de procéder lui-même à une telle identification en raison, par exemple, de difficultés matérielles insurmontables rencontrées lors de la lecture des preuves qui lui ont été communiquées par le Conseil et que les droits de la défense auraient, de ce fait, été méconnus.

47      En deuxième lieu, le requérant soutient que les éléments de preuve soumis par le Conseil consistent essentiellement en des rapports fondés sur des rumeurs provenant de tiers non indépendants et d’articles de presse.

48      Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’activité de la Cour et du Tribunal est régie par le principe de libre appréciation des preuves et que le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. En outre, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire, et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2012, Shell Petroleum e.a./Commission, T‑343/06, EU:T:2012:478, point 161 et jurisprudence citée).

49      En l’espèce, d’une part, il y a lieu de constater que le requérant n’identifie ni les rapports concernés, ni les rumeurs sur la base desquelles ils se fonderaient, ni les tiers non indépendants qui les auraient rédigés et qui constitueraient l’essentiel des éléments de preuve soumis par le Conseil.

50      D’autre part, s’agissant des articles de presse, les éléments dont la force probante est contestée par le requérant émanent de sources d’information numériques d’origines variées, non seulement locales, comme « The Syria Report », première source d’informations économiques, d’affaires et financières sur la Syrie, « aliqtisadi News », un des dix principaux sites Internet consacrés à la vie des affaires du Moyen-Orient, « Al-Rustom Law Office », « Shaam Times News », média d’opposition syrien dont les articles sont repris par un grand nombre de médias internationaux, mais également étrangères, comme « Open Democracy », site Internet politique établi au Royaume-Uni qui cherche à encourager le débat démocratique à travers le monde, « 11.11.11 » et « Brookings Institution », groupe de réflexion réputé aux États-Unis. En outre, le Conseil a produit des pages provenant du site Internet de la société Zubedi et Kalai, détenue notamment par le requérant. Or, ces différentes sources relayent des éléments d’information qui se corroborent de sorte que, en l’absence d’élément dans le dossier susceptible de remettre en cause la fiabilité desdites sources, le Tribunal estime qu’il convient de leur reconnaître un caractère sensé et fiable, au sens de la jurisprudence rappelée au point 48 ci-dessus.

51      En troisième lieu, il convient de vérifier si l’ensemble des éléments de preuve soumis par le Conseil constitue un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour étayer le premier motif d’inscription.

52      Premièrement, il ressort des éléments d’information provenant des sites Internet « aliqtisadi News », « Al-Rustom Law Office », « The Syria Report », « ATHR Press News » et « Shaam Times News » que le requérant est le copropriétaire de la société Zubedi et Kalai, le directeur d’Agar Investment Company, le directeur et propriétaire de l’entreprise Zubedi Development Company et le copropriétaire d’Enjaz Investment Company, ce que soit le requérant ne conteste pas, soit confirme tant dans la requête qu’au moyen des preuves qu’il produit. Ainsi, le requérant fournit un certificat délivré par le registre du commerce du ministère du Commerce intérieur et de la Protection des consommateurs syrien, du 7 février 2019, attestant que la société Zubedi et Kalai est enregistrée depuis le 8 février 2016 et qu’il en est le copropriétaire.

53      Deuxièmement, il ressort des éléments de preuve produits par le Conseil et provenant des sites Internet « ATHR Press News » et « Shaam Times News » que le requérant est un associé dans la société Ibdaa Co. et ces mêmes éléments suggèrent l’implication de cette société dans le projet « Grand Town », construit sur un terrain appartenant au ministère du Tourisme syrien. Or, ces éléments d’information ont été confirmés par les propres affirmations du requérant dans le cadre de la requête ainsi que par des documents qu’il a fournis. En ce sens, le requérant a produit un certificat délivré par le registre du commerce du ministère du Commerce intérieur et de la Protection des consommateurs syrien, du 20 février 2019, attestant que ladite société est enregistrée depuis le 27 décembre 2009 et qu’il en est un associé par l’intermédiaire de la société Zubedi et Kalai. Il a également produit deux lettres d’informations du vice-ministre du Tourisme syrien, datées des 24 février et 25 mars 2019, confirmant que ces sociétés collaborent dans ledit projet, dont la réalisation se situe sur un terrain appartenant au ministère du Tourisme syrien.

54      Troisièmement, il découle des pages extraites des sites Internet « aliqtisadi News », « The Syria Report », « Eqstad News », « ATHR Press News » et « Shaam Times News », mais également du site Internet de la société Zubedi et Kalai et de sa chaîne Youtube, que le requérant est impliqué dans d’importants projets de constructions résidentielles, dans la région de Damas, comme en témoignent non seulement le projet « EBDA’A Al Ghasula », la participation à 40 % dans une coentreprise publique-privée de promotion immobilière, mais surtout le projet « Grand Town ».

55      Or, s’agissant plus précisément du projet « Grand Town », mentionné dans les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, il ressort des éléments de preuve produits par le Conseil que ce projet, auquel participe le requérant notamment par l’intermédiaire de la société Zubedi et Kalai dont il est copropriétaire, est de grande ampleur, puisque visant, notamment, la construction de complexes hôteliers, de bâtiments résidentiels, de parcs d’attractions et aquatique, d’un parcours de golf et d’un centre commercial.

56      Le requérant ne conteste aucune de ces informations. À cet égard, il indique participer à la réalisation du projet « Grand Town », qu’il qualifie de « rêve de toute une vie », et vient même confirmer son implication dans ledit projet au travers de ses arguments, mais également des documents qu’il produit. Ainsi, il précise avoir fait l’acquisition de nombreux terrains dans la région, ce qui est corroboré par une déclaration du ministère de l’Administration locale et de l’Environnement syrien, du 10 février 2019, dont il se prévaut, afin d’aménager cette zone. De plus, il produit lui-même le contrat ayant été conclu, le 16 mars 2017, entre la société Zubedi et Kalai et le ministère du Tourisme syrien pour, notamment, l’exploitation de l’hôtel Ebla, qui s’inscrit dans le cadre de ce projet. Enfin, il affirme avoir financé, grâce à ses fonds propres, divers projets de construction, dont le projet en question.

57      En revanche, le requérant affirme que le régime ne détient aucune participation dans le projet « Grand Town » et qu’il n’existe aucun contrat de 45 ans en ce qui concerne ce projet. Bien que cet argument soit soulevé dans le cadre du troisième grief du requérant, il y a lieu de l’examiner dans le cadre du premier grief. En effet, il vise, en substance, à remettre en cause les termes du premier motif d’inscription, qui se fonde notamment sur le fait que le requérant, par l’intermédiaire de la société Zubedi et Kalai, participe audit projet.

58      Néanmoins, cette affirmation est contredite par le requérant lui-même, puisqu’il rappelle que la réalisation d’une partie du projet « Grand Town » est située sur des terrains qui appartiennent au ministère du Tourisme syrien et que cette partie a fait l’objet de la conclusion du contrat du 16 mars 2017 avec ledit ministère afin qu’il perçoive une partie des revenus engrangés grâce, notamment, à l’exploitation de l’hôtel Ebla. Ainsi, même à admettre que le régime syrien ne serait, par l’intermédiaire de ce ministère, susceptible de percevoir des recettes que pour une partie dudit projet et non pour la totalité de celui-ci, cela confirme toutefois que ledit régime participe, d’une manière significative, à ce projet. Quant à la durée estimée dudit contrat, il y a lieu de relever que le requérant soutient qu’elle sera, en toute hypothèse, de 30 ans, de sorte que, même à supposer que le Conseil ait erronément retenu une durée de 45 ans, il n’en demeure pas moins que le projet en question a vocation à durer dans le temps. En tout état de cause, il ressort des articles de ce contrat, en particulier de ses articles 13 et 15, que celui-ci a effectivement vocation à s’appliquer pendant 45 ans.

59      Dès lors, il ressort de l’ensemble des preuves produites par le Conseil que le requérant est effectivement engagé dans divers projets de construction de grande ampleur, détient d’importantes participations et joue un rôle au sein de plusieurs sociétés. En particulier, la justification avancée au soutien du premier motif d’inscription, à savoir que le requérant est un homme d’affaires influent dans la mesure où il a réalisé d’importants investissements dans l’industrie du bâtiment, y compris une participation de 50 % dans la société Zubedi et Kalai, qui construit la cité touristique de luxe « Grand Town » et avec qui le régime a passé une convention sur 45 ans en échange de 19 à 21 % de ses recettes, est corroborée dans son intégralité par les preuves soumises par le Conseil.

60      Or, loin de remettre en cause les différents constats dressés à la lumière des éléments de preuve produits par le Conseil, le requérant, par ses observations et ses documents, les a en grande partie confirmés, ainsi qu’il ressort des points 53 à 58 ci-dessus. À cet égard, il convient encore de préciser que la mention du lien entre le requérant et M. Nader Kalai n’est pas un motif d’inscription autonome, contrairement à ce qu’a indiqué le requérant dans le cadre du deuxième grief, mais une précision apportée dans le cadre du premier motif qui non seulement ressort des preuves produites par le Conseil, mais qui a, en outre, été confirmée par le requérant.

61      Dès lors, il convient de conclure que le Conseil a apporté un faisceau d’indices, précis et concordants, susceptible de mettre en évidence le fait que le requérant est un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie.

62      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments du requérant.

63      Tout d’abord, le requérant conteste être le directeur général d’Al Zubedi company et d’Al Zubedi & Al Taweet Contracting Company, dont il affirme ignorer l’existence. Il est vrai que la mention de l’existence de ces entités ne ressort que d’un seul des documents produits par le Conseil, qui n’est pas suffisant pour confirmer ce fait. Néanmoins, même à supposer que ce soit à tort que le Conseil a considéré que le requérant était le directeur général de ces entités, les autres éléments de preuve sont suffisants pour maintenir la conclusion selon laquelle le requérant est un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie.

64      Ensuite, le requérant fait valoir qu’il ne saurait être considéré comme un homme d’affaires influent dans la mesure où il ne réaliserait pas de bénéfices importants. Cet argument doit être rejeté. En effet, il y a lieu de noter, à l’instar du Conseil, que ni les article 27 et 28 de la décision 2013/255 ni l’article 15 du règlement no 36/2012 ne requièrent que la personne concernée réalise des bénéfices importants pour répondre au critère d’inscription de la « femme ou homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie ». La mention faite au considérant 1 de la décision d’exécution 2019/87 et au considérant 2 du règlement d’exécution 2019/85 relative aux « bénéfices importants » réalisés par des hommes d’affaires éminents ne saurait être considérée comme instaurant une condition que le Conseil doit démontrer comme étant remplie pour faire application du critère d’inscription prévu à l’article 27, paragraphe 2, sous a), et à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de ladite décision ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), dudit règlement.

65      En tout état de cause, non seulement le requérant n’étaye son affirmation d’aucun élément concret, mais, surtout, le seul fait qu’il ait été en mesure, selon ses propres affirmations, de financer grâce à ses fonds propres divers projets de construction, dont le projet « Grand Town », et le fait qu’il emploie plusieurs centaines de salariés dont il paierait lui-même la sécurité sociale impliquent nécessairement que certaines de ses activités lui permettent de dégager des bénéfices suffisants, voire importants, pour financer ses différents projets et rémunérer ses salariés dans le contexte actuel syrien.

66      Enfin, le requérant soutient, en substance, que le Conseil était tenu de démontrer l’existence d’un lien entre lui et le régime syrien.

67      À cet égard, il convient de relever que la jurisprudence sur laquelle se fonde le requérant a été rendue dans un contexte législatif différent de celui existant au moment de l’adoption des actes attaqués. En particulier, l’arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil (C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 52), qui faisait obligation au Conseil d’apporter devant le juge de l’Union un faisceau d’indices, précis et concordants, permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime combattu, s’inscrivait dans un contexte législatif spécifique, à savoir celui résultant de la décision 2013/255 avant sa modification en 2015 par la décision 2015/1836, où les seuls critères qui existaient pour l’inscription du nom d’une personne sur les listes en cause étaient, précisément, les liens étroits entretenus avec le régime syrien, le soutien à ce dernier et/ou le bénéfice tiré de celui-ci.

68      Toutefois, en l’espèce, l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause a eu lieu dans le contexte législatif de la décision 2013/255 telle que modifiée par la décision 2015/1836. À ce titre, la décision 2015/1836 a notamment introduit comme critère d’inscription objectif, autonome et suffisant celui des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie », de sorte que le Conseil n’est plus tenu de démontrer l’existence d’un lien entre cette catégorie de personnes et le régime syrien, ni non plus entre cette catégorie de personnes et le soutien apporté à ce régime ou le bénéfice tiré de ce dernier, étant donné qu’être une femme ou un homme d’affaires influents exerçant ses activités en Syrie suffit pour l’application des mesures restrictives en cause à une personne [voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2019, HX/Conseil, C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, point 38 ; du 4 avril 2019, Sharif/Conseil, T‑5/17, EU:T:2019:216, points 55 et 56 (non publiés), et ordonnance du 11 septembre 2019, Haswani/Conseil, T‑231/15 RENV, non publiée, EU:T:2019:589, point 56].

69      En ce sens, le Tribunal a considéré qu’il pouvait être déduit du critère relatif à la qualité de « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » une présomption réfragable de lien avec le régime syrien (voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2019, Sharif/Conseil, T‑5/17, EU:T:2019:216, point 106, et ordonnance du 11 septembre 2019, Haswani/Conseil, T‑231/15 RENV, non publiée, EU:T:2019:589, point 60). Cette présomption trouve à s’appliquer dès lors que le Conseil est en mesure de démontrer que la personne est non seulement une femme ou un homme d’affaires exerçant ses activités en Syrie, mais aussi qu’elle peut être qualifiée d’influente. En effet, ainsi qu’il ressort des termes du considérant 6 de la décision 2015/1836, tels que rappelés au point 9 ci-dessus, c’est l’influence que cette catégorie de personnes est susceptible d’exercer sur le régime syrien que le Conseil vise à exploiter en les poussant, par l’intermédiaire des mesures restrictives qu’il adopte à leur égard, à faire pression sur le régime syrien pour qu’il modifie sa politique de répression. Ainsi, dès lors que le Conseil est parvenu à démontrer l’influence qu’une femme ou un homme d’affaires peut exercer sur ledit régime, le lien entre ladite personne et le régime syrien est présumé.

70      En outre, il y a lieu de rappeler que le respect des règles relatives à la charge et à l’administration de la preuve en matière de mesures restrictives par le Tribunal implique que ce dernier respecte le principe énoncé par la jurisprudence mentionnée au point 31 ci-dessus et rappelé par la Cour dans l’arrêt du 11 septembre 2019, HX/Conseil (C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, points 48 à 50), selon lequel, en substance, la charge de la preuve incombe à l’institution en cas de contestation du bien-fondé des motifs d’inscription. La Cour a ainsi jugé que la charge de la preuve de l’existence d’informations suffisantes, au sens de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, indiquant que la partie requérante n’était pas, ou n’était plus, liée au régime syrien, qu’elle n’exerçait aucune influence sur celui-ci et qu’elle n’était pas associée à un risque réel de contournement des mesures restrictives adoptées à l’égard de ce régime n’incombait pas à la partie requérante (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2018, Makhlouf/Conseil, C‑458/17 P, non publié, EU:C:2018:441, point 86, et du 11 septembre 2019, HX/Conseil, C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, points 50 et 51).

71      Par conséquent, il ne saurait être imposé au requérant un niveau de preuve excessif aux fins de renverser la présomption de lien avec le régime syrien. Ainsi, le requérant doit être considéré comme ayant réussi à renverser ladite présomption s’il fait valoir des arguments ou des éléments susceptibles de remettre sérieusement en cause la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil ou leur appréciation, notamment au regard des conditions posées par l’article 27, paragraphe 3, et l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, ou s’il produit devant le juge de l’Union un faisceau d’indices de l’inexistence ou de la disparition du lien avec ledit régime, de l’absence d’influence sur ledit régime ou de l’absence d’association avec un risque réel de contournement des mesures restrictives, conformément à l’article 27, paragraphe 3, et à l’article 28, paragraphe 3, de cette décision.

72      En l’espèce, le requérant n’est toutefois pas parvenu à renverser la présomption de lien avec le régime syrien. En effet, d’une part, il convient de relever que, dans le cadre du premier grief, le requérant n’a présenté aucun argument ou élément permettant de douter de la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil ou de l’appréciation qu’il convenait d’en faire, ni n’a fait état d’aucun indice concret permettant au Tribunal de considérer qu’il n’existait pas, ou plus, de lien entre lui et ledit régime, qu’il n’exerçait aucune influence sur ce régime ni qu’il était étranger à tout risque réel de contournement des mesures restrictives. D’autre part, même en prenant en considération les arguments avancés par le requérant dans le cadre du troisième grief et visant à remettre en cause le deuxième motif d’inscription, relatif à l’association avec le régime en question tel que visé par l’article 27, paragraphe 1, et l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, le requérant ne saurait être considéré comme ayant apporté des indices de nature à renverser ladite présomption.

73      En effet, force est de constater que le requérant nie l’existence de son lien avec le régime syrien et son influence sur celui-ci, mais confirme participer au projet « Grand Town », dans lequel le ministère du Tourisme syrien est associé.

74      Au vu de tout ce qui précède, il convient de constater que le motif d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause fondé sur le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie est suffisamment étayé, de sorte que, au regard de ce critère, ladite inscription est bien fondée. Le premier grief doit donc être rejeté.

75      Or, selon la jurisprudence, eu égard à la nature préventive des décisions adoptant des mesures restrictives, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée). Dès lors, il y a lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner le troisième grief visant à remettre en cause le second motif d’inscription, de rejeter le moyen unique et, partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

76      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Khaled Zubedi est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

Gervasoni

Madise

Martín y Pérez de Nanclares

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 juillet 2020.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.