Language of document : ECLI:EU:C:2017:982

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

20 décembre 2017 (*)

« Recours en annulation – Décision d’exécution (UE) 2015/1289 – Infliction d’une amende à un État membre dans le cadre de la surveillance économique et budgétaire de la zone euro – Manipulation de données statistiques relatives au déficit de l’État membre concerné – Compétence juridictionnelle – Règlement (UE) n° 1173/2011 – Article 8, paragraphes 1 et 3 – Décision déléguée 2012/678/UE – Article 2, paragraphes 1 et 3, ainsi que article 14, paragraphe 2 – Règlement (CE) n° 479/2009 – Article 3, paragraphe 1, article 8, paragraphe 1, ainsi que articles 11 et 11 bis – Droits de la défense – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 41, paragraphe 1 – Droit à une bonne administration – Articles 121, 126 et 136 TFUE – Protocole n° 12 sur la procédure concernant les déficits excessifs – Matérialité de l’infraction – Déclarations erronées – Détermination de l’amende – Principe de non-rétroactivité des dispositions pénales »

Dans l’affaire C‑521/15,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 29 septembre 2015,

Royaume d’Espagne, représenté par Mme A. Gavela Llopis ainsi que par MM. A. Rubio González et M. A. Sampol Pucurull, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes E. Dumitriu‑Segnana et A. F. Jensen ainsi que par M. A. de Gregorio Merino, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par :

Commission européenne, représentée par MM. J. Baquero Cruz et J.‑P. Keppenne ainsi que par Mmes M. Clausen et F. Simonetti, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice‑président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič, J. L. da Cruz Vilaça et J. Malenovský (rapporteur), présidents de chambre, MM. E. Juhász, A. Borg Barthet, D. Šváby, Mme A. Prechal, MM. C. Lycourgos, M. Vilaras et E. Regan, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 avril 2017,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 1er juin 2017,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, le Royaume d’Espagne demande l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2015/1289 du Conseil, du 13 juillet 2015, infligeant une amende à l’Espagne en raison de la manipulation des données relatives au déficit dans la Communauté autonome de Valence (JO 2015, L 198, p. 19, et rectificatif JO 2015, L 291, p. 10, ci-après la « décision attaquée »).

 Le cadre juridique

 Le statut de la Cour de justice de l’Union européenne

2        L’article 51 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne est libellé comme suit :

« Par dérogation à la règle énoncée à l’article 256, paragraphe 1, [TFUE], sont réservés à la Cour de justice les recours visés aux articles 263 et 265 [TFUE], qui sont formés par un État membre et dirigés :

a)      contre un acte ou une abstention de statuer du Parlement européen ou du Conseil, ou de ces deux institutions statuant conjointement, à l’exclusion :

–        des décisions prises par le Conseil au titre de l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, [TFUE] ;

–        des actes du Conseil adoptés en vertu d’un règlement du Conseil relatif aux mesures de défense commerciale au sens de l’article 207 [TFUE] ;

–        des actes du Conseil par lesquels ce dernier exerce des compétences d’exécution conformément à l’article 291, paragraphe 2, [TFUE] ;

[...] »

 Les dispositions relatives à la politique économique et monétaire

 Le droit primaire

3        En vertu de l’article 119, paragraphe 1, TFUE, l’action de l’Union européenne et des États membres inclut l’instauration d’une politique économique fondée, entre autres éléments, sur l’étroite coordination des politiques économiques de ces derniers ainsi que sur la définition d’objectifs communs.

4        Dans ce cadre, la Commission européenne se voit notamment confier, par l’article 121, paragraphe 3, et l’article 126, paragraphe 2, TFUE, un rôle consistant à examiner la situation économique et budgétaire des États membres, sur la base des informations transmises par ces derniers, ainsi qu’à assister le Conseil dans la mission de surveillance qui lui est attribuée en ce domaine.

5        De son côté, le Conseil dispose, conformément à l’article 121, paragraphes 3 et 4, TFUE, du pouvoir de surveiller et d’évaluer l’évolution économique des États membres et le respect des grandes orientations de politique économique fixées à chacun d’entre eux, ainsi que de leur adresser les recommandations nécessaires. En outre, il est autorisé, en vertu de l’article 126, paragraphes 6, 7, 9 et 11, TFUE, à considérer qu’un État membre se trouve ou risque de se trouver en situation de déficit excessif et à lui adresser différentes recommandations et décisions, dont des décisions le mettant en demeure de prendre des mesures de réduction de son déficit ainsi que des décisions lui infligeant une amende. Enfin, le Conseil est habilité à adopter, sur la base de l’article 136, paragraphe 1, TFUE, des mesures propres aux États membres dont la monnaie est l’euro, dans le but de renforcer la coordination et la surveillance de leur discipline budgétaire ainsi que d’élaborer, pour ce qui concerne ces États membres, les orientations de politique économique et d’en assurer la surveillance.

6        Ces dispositions sont complétées par le protocole n° 12 sur la procédure concernant les déficits excessifs, annexé aux traités UE et FUE (ci-après le « protocole n° 12 »).

 Le droit dérivé

7        Le 7 juillet 1997, le Conseil a adopté un ensemble d’actes regroupés sous le nom de « pacte de stabilité et de croissance » et comprenant notamment les règlements (CE) n° 1466/97, relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques (JO 1997, L 209, p. 1), et (CE) n° 1467/97, visant à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs (JO 1997, L 209, p. 6, et rectificatif JO 1998, L 46, p. 20).

8        Le 16 novembre 2011, le Parlement et le Conseil ont adopté cinq règlements et une directive visant à réformer en profondeur le pacte de stabilité et de croissance. Deux de ces règlements ont respectivement modifié les règlements nos 1466/97 et 1467/97. Les trois autres ont pour objet de renforcer la surveillance économique et budgétaire opérée par le Conseil et par la Commission en vertu des articles 121 et 126 TFUE.

–       Le règlement (UE) n° 1173/2011

9        Parmi les règlements visés au point précédent figure le règlement (UE) n° 1173/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 novembre 2011, sur la mise en œuvre efficace de la surveillance budgétaire dans la zone euro (JO 2011, L 306, p. 1, et rectificatif JO 2014, L 325, p. 30), qui constitue la base juridique de la décision attaquée et qui est lui-même fondé sur les articles 121 et 136 TFUE.

10      Les considérants 7, 8, 16, 17 et 25 de ce règlement énoncent :

« (7)      La Commission devrait jouer un rôle plus important dans le cadre de la procédure de surveillance renforcée applicable aux évaluations spécifiques à chaque État membre, aux actions de suivi, aux missions sur place, aux recommandations et aux avertissements. [...]

(8)      Afin d’entretenir un dialogue permanent avec les États membres pour la réalisation des objectifs du présent règlement, la Commission devrait effectuer des missions de surveillance.

[...]

(16)      Afin de dissuader de faire des déclarations erronées, intentionnellement ou par grave négligence, au sujet des données relatives au déficit public ou à la dette publique, qui sont des données essentielles de la coordination des politiques économiques dans l’Union, il y a lieu d’infliger des amendes aux États membres responsables.

(17)      Afin de compléter les règles applicables au calcul des amendes sanctionnant les manipulations de statistiques, ainsi que les règles de procédure que doit suivre la Commission pour enquêter sur de tels comportements, il convient de déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter des actes conformément à l’article 290 [TFUE] en ce qui concerne la définition de critères précis en vue de la détermination du montant de l’amende et de la conduite des enquêtes de la Commission. [...]

[...]

(25)      Il convient de conférer au Conseil le pouvoir d’adopter des décisions cas par cas pour l’application des sanctions prévues par le présent règlement. Relevant de la coordination des politiques économiques des États membres menée au sein du Conseil prévue par l’article 121, paragraphe 1, [TFUE], lesdites décisions s’inscrivent entièrement dans la continuité des mesures adoptées par le Conseil conformément aux articles 121 et 126 [TFUE] et aux règlements [nos 1466/97 et 1467/97]. »

11      L’article 8 dudit règlement, intitulé « Sanctions relatives à la manipulation des statistiques », prévoit :

« 1.      Le Conseil, statuant sur recommandation de la Commission, peut décider d’infliger une amende à un État membre qui a, intentionnellement ou par grave négligence, fait des déclarations erronées au sujet des données relatives au déficit et à la dette entrant en ligne de compte pour l’application des articles 121 ou 126 [TFUE] ou du protocole [n° 12] sur la procédure concernant les déficits excessifs annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

2.      Les amendes visées au paragraphe 1 sont efficaces, dissuasives et proportionnées à la nature, à la gravité et à la durée des déclarations erronées. L’amende ne peut pas dépasser 0,2 % du [produit intérieur brut (PIB)] de l’État membre concerné.

3.      La Commission peut mener toutes les enquêtes nécessaires afin d’établir l’existence des déclarations erronées visées au paragraphe 1. Elle peut décider d’engager une enquête lorsqu’elle estime qu’il existe des indices sérieux de l’existence de faits susceptibles de constituer de telles déclarations erronées. La Commission enquête sur les déclarations erronées présumées en tenant compte des observations présentées par l’État membre concerné. [...]

Dès l’achèvement de son enquête et avant de soumettre une proposition au Conseil, la Commission donne à l’État membre concerné la possibilité d’être entendu sur les sujets traités dans l’enquête. La Commission fonde sa proposition au Conseil sur les seuls faits au sujet desquels l’État membre concerné a eu la possibilité de formuler des observations.

La Commission respecte pleinement les droits de la défense de l’État membre concerné durant les enquêtes.

4.      La Commission est habilitée à adopter des actes délégués en conformité avec l’article 11, en ce qui concerne :

a)      les critères précis pour établir le montant de l’amende visée au paragraphe 1 ;

[...]

c)      les modalités régissant la procédure destinée à garantir les droits de la défense, l’accès au dossier, la représentation juridique, la confidentialité et les dispositions temporelles, ainsi que la perception des amendes visées au paragraphe 1.

[...] »

12      Aux termes de l’article 9 du même règlement, intitulé « Nature administrative des sanctions », les sanctions imposées au titre, notamment, de son article 8 sont de nature administrative.

13      Conformément à son article 14, le règlement n° 1173/2011 est entré en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication, le 23 novembre 2011, au Journal officiel de l’Union européenne, soit le 13 décembre 2011.

–       La décision déléguée 2012/678/UE

14      La Commission a adopté, sur la base de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 1173/2011, la décision déléguée 2012/678/UE, du 29 juin 2012, relative aux enquêtes et amendes liées à la manipulation des statistiques visées dans le règlement n° 1173/2011 (JO 2012, L 306, p. 21), qui est entrée en vigueur, conformément à son article 16, le vingtième jour suivant sa publication, le 6 novembre 2012, au Journal officiel de l’Union européenne, soit le 26 novembre 2012.

15      L’article 2 de cette décision déléguée, intitulé « Ouverture des enquêtes », dispose notamment, à ses paragraphes 1 et 3 :

« 1.      La Commission notifie à l’État membre concerné sa décision d’ouvrir une enquête, y compris en lui communiquant les informations sur les indices sérieux de l’existence de faits susceptibles de constituer une déclaration erronée au sujet des données relatives au déficit et à la dette des administrations publiques résultant d’une manipulation de ces données imputable à une intention délibérée ou à une grave négligence.

[...]

3.      La Commission peut choisir de ne pas mener une telle enquête tant qu’une visite méthodologique n’aura pas été effectuée conformément à une décision adoptée par la Commission (Eurostat) en vertu du [règlement (CE) n° 479/2009 du Conseil, du 25 mai 2009, relatif à l’application du protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs annexé au traité instituant la Communauté européenne (JO 2009, L 145, p. 1)]. »

16      L’article 14 de ladite décision déléguée, intitulé « Critères concernant le montant de l’amende », dispose :

« 1.      La Commission veille à ce que l’amende à recommander soit efficace, proportionnée et dissuasive. L’amende est établie sur la base d’un montant de référence pouvant être modulé à la hausse ou à la baisse en fonction des circonstances spécifiques mentionnées au paragraphe 3.

2.      Le montant de référence est égal à 5 % de l’impact plus important des déclarations erronées sur le niveau soit du déficit, soit de la dette des administrations publiques de l’État membre pour les années pertinentes couvertes par la notification dans le cadre de la procédure concernant les déficits excessifs.

3.      Compte tenu du montant maximal fixé à l’article 13, la Commission prend éventuellement en considération, dans chaque cas, les circonstances suivantes :

[...]

c)      le fait que les déclarations erronées sont imputables à l’action isolée d’une seule entité ou, au contraire, à une action concertée d’au moins deux entités ;

[...]

e)      le degré de diligence et de coopération ou, au contraire, le degré d’obstruction dont fait preuve l’État membre concerné dans le cadre de la détection des déclarations erronées et au cours de l’enquête. »

–       Le règlement n° 479/2009

17      Le règlement n° 479/2009, tel que modifié par le règlement (UE) n° 679/2010 du Conseil, du 26 juillet 2010 (JO 2010, L 198, p. 1) (ci-après le « règlement n° 479/2009 »), a été adopté, ainsi que l’énonce son considérant 1, dans le but de codifier le règlement (CE) n° 3605/93 du Conseil, du 22 novembre 1993, relatif à l’application du protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs annexé au traité instituant la Communauté européenne (JO 1993, L 332, p. 7), qui était entré en vigueur le 1er janvier 1994 et qui avait fait l’objet, par la suite, de modifications successives. Le règlement n° 479/2009 est entré en vigueur, conformément à son article 19, le vingtième jour suivant celui de sa publication, le 10 juin 2009, au Journal officiel de l’Union européenne, soit le 30 juin 2009.

18      Les considérants 9 et 10 du règlement n° 479/2009 énoncent :

« (9)      Le rôle de la Commission, en tant qu’autorité statistique dans ce contexte, est spécifiquement exercé par Eurostat, au nom de la Commission. En tant que service de la Commission responsable de l’exécution des tâches dévolues à la Commission en ce qui concerne la production de statistiques communautaires, Eurostat est tenu d’exécuter ses tâches conformément aux principes d’impartialité, de fiabilité, de pertinence, de rapport coût-efficacité, de secret statistique et de transparence [...]. La mise en œuvre, par les autorités statistiques nationales et communautaires, de la recommandation de la Commission du 25 mai 2005 concernant l’indépendance, l’intégrité et la responsabilité des autorités statistiques nationales et communautaires devrait renforcer le principe de l’indépendance professionnelle, l’adéquation des ressources et la qualité des données statistiques.

(10)      Eurostat a la responsabilité, au nom de la Commission, d’évaluer la qualité des données et de fournir les données statistiques à utiliser dans le contexte de la procédure concernant les déficits excessifs [...] »

19      Le chapitre II, intitulé « Règles et champ d’application de la notification », de ce règlement contient notamment ses articles 3 et 6.

20      L’article 3 dudit règlement prévoit notamment, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Les États membres notifient à la Commission (Eurostat) leur déficit public ainsi que le niveau de leur dette publique prévus et effectifs, deux fois par an, la première fois avant le 1er avril de l’année courante (année n) et la deuxième fois avant le 1er octobre de l’année n.

[...]

2.      Avant le 1er avril de l’année n, les États membres :

a)      notifient à la Commission (Eurostat) leur déficit public prévu pour l’année n, l’estimation à jour de leur déficit public effectif pour l’année n-1, et leurs déficits publics effectifs pour les années n-2, n-3 et n-4 ;

[...] »

21      L’article 6, paragraphe 1, du même règlement est libellé comme suit :

« Les États membres informent la Commission (Eurostat) de toute révision importante des chiffres déjà notifiés de leur dette et de leur déficit publics effectifs et prévus, dès que cette révision est disponible. »

22      Le chapitre III, intitulé « Qualité des données », du règlement n° 479/2009 comprend notamment ses articles 8, 11 et 11 bis.

23      L’article 8, paragraphe 1, de ce règlement dispose :

« La Commission (Eurostat) évalue régulièrement la qualité des données effectives notifiées par les États membres et des comptes des secteurs des administrations publiques élaborés selon le SEC 95 [...] sur la base desquels ces données sont établies. La qualité des données effectives s’entend comme la conformité aux règles comptables, l’exhaustivité, la fiabilité, l’actualité et la cohérence des données statistiques. [...] »

24      L’article 11 dudit règlement prévoit :

« 1.      La Commission (Eurostat) entretient un dialogue permanent avec les autorités statistiques des États membres. À cette fin, la Commission (Eurostat) effectue dans tous les États membres des visites de dialogue régulières ainsi que d’éventuelles visites méthodologiques.

2.      Lorsqu’elle organise des visites de dialogue et des visites méthodologiques, la Commission (Eurostat) transmet ses constatations provisoires aux États membres concernés pour observations. »

25      Aux termes de l’article 11 bis du même règlement :

« Les visites de dialogue ont pour objet de passer en revue les données notifiées [...], d’examiner les aspects méthodologiques ainsi que les processus et sources statistiques décrits dans les inventaires et d’évaluer la conformité aux règles comptables. Les visites de dialogue constituent l’occasion d’identifier les risques ou les problèmes potentiels concernant la qualité des données notifiées. »

 Les antécédents du litige et la décision attaquée

26      Le 30 mars 2012, le Royaume d’Espagne a notifié à l’office statistique de l’Union européenne (Eurostat) le montant de ses déficits publics prévus et effectifs pour les années 2008 à 2012, accompagné des données correspondantes (ci-après la « notification du 30 mars 2012 »).

27      Le 17 mai 2012, le Royaume d’Espagne a informé Eurostat qu’il y avait lieu de réviser le montant de ces déficits pour tenir compte du fait que certaines communautés autonomes avaient engagé, au cours des années 2008 à 2011, des dépenses supérieures à celles prises en compte pour établir les montants communiqués dans le cadre de la notification du 30 mars 2012. Ces dépenses non déclarées se montaient à 4,5 milliards d’euros (soit plus de 0,4 % du PIB), dont 1,9 milliard d’euros (soit près de 0,2 % du PIB) pour la seule Comunitat Valenciana (Communauté autonome de Valence, Espagne).

28      Cette information a conduit Eurostat à effectuer une série de visites en Espagne au cours des mois de mai, de juin et de septembre 2012 ainsi que de septembre 2013.

29      Sur le fondement de l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 1173/2011, la Commission a adopté la décision C(2014) 4856, du 11 juillet 2014, relative à l’ouverture d’une enquête concernant la manipulation des statistiques en Espagne (ci-après la « décision d’ouverture de l’enquête »).

30      Le 7 mai 2015, la Commission a adopté un rapport dans lequel elle a conclu que le Royaume d’Espagne avait fait des déclarations erronées au sujet des données relatives à son déficit, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011. Plus précisément, elle a estimé que cet État membre avait fait preuve de grave négligence en transmettant, dans sa notification du 30 mars 2012, des données erronées relatives aux comptes de la Communauté autonome de Valence, alors même que la Sindicatura de Comptes de la Comunitat Valenciana (cour des comptes de la Communauté autonome de Valence, Espagne) signalait chaque année que l’Intervención General de la Generalitat Valenciana (office d’audit de la Communauté autonome de Valence, Espagne) validait des comptes entachés d’irrégularités liées au non-enregistrement de certaines dépenses de santé et au non-respect du principe de la comptabilité d’exercice. Pour ce motif, la Commission a recommandé au Conseil d’adopter une décision infligeant une amende au Royaume d’Espagne.

31      Le 13 juillet 2015, le Conseil a adopté la décision attaquée, dans laquelle il a conclu que le Royaume d’Espagne avait fourni, par grave négligence, des déclarations erronées à Eurostat au mois de mars 2012 (considérant 5) et a fixé le montant de l’amende à imposer à cet État membre (considérants 6 à 13). À cet effet, le Conseil a tout d’abord considéré que, compte tenu de l’impact des déclarations en cause, le montant de référence de l’amende devait être fixé, conformément à l’article 14, paragraphe 2, de la décision déléguée 2012/678, à 94,65 millions d’euros. Il a ensuite estimé qu’il y avait lieu de réduire ce montant pour tenir compte de différentes circonstances atténuantes, liées notamment au fait qu’une seule autorité régionale était à l’origine de ces déclarations et à la circonstance que les autorités en charge des statistiques nationales avaient, pour leur part, coopéré à l’enquête.

32      L’article 1er de la décision attaquée dispose :

« Une amende de 18,93 millions [d’euros] est infligée [au Royaume d]’Espagne pour cause de déclaration erronée des données relatives au déficit public résultant d’une négligence grave, comme le constate le rapport de la [Commission] relatif à l’enquête concernant la manipulation des statistiques en Espagne, visée dans le règlement [n°] 1173/2011. »

33      La décision attaquée a été notifiée au Royaume d’Espagne le 20 juillet 2015 avant d’être publiée au Journal officiel de l’Union européenne, le 28 juillet 2015.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

34      Le Royaume d’Espagne demande à la Cour :

–        à titre principal, d’annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, de réduire le montant de l’amende imposée par la décision attaquée en le limitant à la période postérieure à l’entrée en vigueur du règlement n° 1173/2011, et

–        de condamner le Conseil aux dépens.

35      Le Conseil demande à la Cour :

–        de constater que le recours relève de la compétence du Tribunal de l’Union européenne et de le renvoyer à ce dernier ;

–        à défaut, de rejeter le recours, et

–        de condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

36      Par décision du 26 janvier 2016, le président de la Cour a admis la Commission à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

 Sur la compétence

 Argumentation des parties

37      Le Conseil et la Commission font valoir que le recours est dirigé contre un acte par lequel le Conseil a exercé une compétence d’exécution, conformément à l’article 291, paragraphe 2, TFUE, de telle sorte qu’il relève de la compétence du Tribunal, en application de l’article 51, premier alinéa, sous a), troisième tiret, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. En effet, le pouvoir d’adopter des décisions imposant des amendes aux États membres en cas de manipulation des statistiques, prévu à l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011, ne pourrait être considéré que comme relevant de l’exercice d’une compétence d’exécution, au sens de l’article 291, paragraphe 2, TFUE, dès lors qu’il participe de la mise en œuvre uniforme de ce règlement. En outre, et ainsi que l’énoncerait le considérant 25 dudit règlement, il serait justifié d’attribuer une telle compétence au Conseil et non à la Commission.

38      Le Royaume d’Espagne répond, en substance, qu’il est discutable de présenter la décision attaquée comme une décision d’exécution, au sens de l’article 291, paragraphe 2, TFUE, dans la mesure où le considérant 25 du règlement n° 1173/2011 rattache les décisions individuelles par lesquelles le Conseil impose des sanctions aux États membres en cas de manipulation des statistiques non pas à la nécessité de garantir des conditions uniformes d’exécution de ce règlement, mais aux compétences directement attribuées à cette institution par le traité FUE en matière économique.

 Appréciation de la Cour

39      Aux termes de l’article 51, premier alinéa, sous a), du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, sont réservés à la Cour, par dérogation à la règle énoncée à l’article 256, paragraphe 1, TFUE, les recours en annulation et en carence visés aux articles 263 et 265 TFUE lorsqu’ils sont formés par un État membre, d’une part, et dirigés contre un acte du Parlement, du Conseil ou de ces deux institutions statuant conjointement, d’autre part.

40      En vertu du troisième tiret de la même disposition du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, sont cependant exclus de cette réserve de compétence les actes par lesquels le Conseil exerce des compétences d’exécution conformément à l’article 291, paragraphe 2, TFUE.

41      En l’espèce, est en cause un recours en annulation qui a été formé par un État membre, d’une part, et qui est dirigé contre un acte du Conseil, d’autre part. Ce recours relève donc de la compétence de la Cour, à moins que la décision attaquée ne constitue un acte par lequel le Conseil a exercé une compétence d’exécution, au sens de l’article 291, paragraphe 2, TFUE.

42      Cette dernière disposition prévoit que, lorsque des conditions uniformes d’exécution des actes juridiquement contraignants de l’Union sont nécessaires, ces actes confèrent des compétences d’exécution à la Commission ou, dans des cas spécifiques dûment justifiés ainsi que dans le cadre de la politique extérieure et de sécurité commune (PESC), au Conseil.

43      À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que l’article 291, paragraphe 2, TFUE ne constitue pas la seule disposition de droit de l’Union conférant au Conseil une compétence d’exécution. En effet, d’autres dispositions du droit primaire peuvent lui conférer directement une telle compétence (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2014, Parlement et Commission/Conseil, C‑103/12 et C‑165/12, EU:C:2014:2400, point 50, ainsi que du 7 septembre 2016, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑113/14, EU:C:2016:635, points 55 et 56). Par ailleurs, des actes de droit dérivé peuvent instaurer des compétences d’exécution en dehors du régime prévu à l’article 291 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 22 janvier 2014, Royaume-Uni/Parlement et Conseil, C‑270/12, EU:C:2014:18, points 78 à 86 et 98).

44      Ensuite, la décision attaquée devant, dès lors qu’elle retient l’existence d’une infraction et inflige une sanction à son auteur en application des pouvoirs conférés au Conseil par l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011, être considérée comme un acte pris dans l’exercice d’une compétence d’exécution (voir, par analogie, arrêts du 27 octobre 1992, Allemagne/Commission, C‑240/90, EU:C:1992:408, points 38 et 39, ainsi que du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 36) et l’article 291, paragraphe 2, TFUE ne constituant qu’une possible base juridique parmi d’autres pour l’exercice d’une telle compétence par le Conseil, il doit être déterminé, en l’espèce, si cette compétence relève effectivement de cette disposition.

45      Il convient, à cette fin, de prendre en considération l’article 291 TFUE dans son ensemble, le paragraphe 2 de cet article ne pouvant être lu en faisant abstraction de son paragraphe 1, lequel prévoit que les États membres prennent toutes les mesures de droit interne nécessaires pour la mise en œuvre des actes juridiquement contraignants de l’Union.

46      L’article 291 TFUE figure certes dans la section 1, intitulée « Les actes juridiques de l’Union », du chapitre 2 du titre I de la sixième partie du traité FUE, relative aux dispositions institutionnelles et financières. Toutefois, cet article ne vise, ainsi que cela résulte des termes de ses paragraphes 1 et 2, pas tous les actes juridiques de l’Union, mais seulement une catégorie spécifique d’entre eux, à savoir les « actes juridiquement contraignants ». Cette référence, commune auxdits paragraphes, à la notion d’« actes juridiquement contraignants » commande de déterminer le sens de celle-ci pour l’ensemble de l’article 291 TFUE.

47      À cet égard, tandis que le paragraphe 1 de l’article 291 TFUE énonce le principe selon lequel c’est aux différents États membres qu’il incombe de prendre toutes les mesures de droit interne nécessaires pour la mise en œuvre des actes juridiquement contraignants de l’Union, le paragraphe 2 de cet article prévoit que ces mêmes actes confèrent des compétences d’exécution à la Commission ou au Conseil dans tous les cas où leur exécution uniforme s’impose. En effet, dans une telle situation, l’objectif d’exécution uniforme desdits actes exclut qu’ils puissent être mis en œuvre par les différents États membres au moyen de mesures prises en vertu de leur droit interne respectif, avec pour résultat évident un risque de disparité inhérent à la coexistence, au sein de l’ordre juridique de l’Union, de mesures d’exécution nationales potentiellement disparates.

48      Il en résulte qu’il y a lieu de considérer que l’article 291, paragraphe 2, TFUE vise uniquement les actes juridiquement contraignants de l’Union qui se prêtent en principe à une mise en œuvre par les États membres, à l’instar de ceux auxquels se réfère l’article 291, paragraphe 1, TFUE, mais qui, contrairement à ceux-ci, doivent, pour une raison donnée, être exécutés au moyen de mesures adoptées non pas par chaque État membre concerné, mais par la Commission ou le Conseil, aux fins d’en assurer l’application uniforme au sein de l’Union.

49      Or, tel n’est clairement pas le cas d’un acte qui institue une compétence consistant à infliger une amende à un État membre. En effet, un tel acte ne se prête aucunement à une mise en œuvre par les États membres eux-mêmes, dès lors que pareille mise en œuvre implique l’adoption d’une mesure de contrainte à l’égard de l’un d’entre eux.

50      L’analyse qui précède est, au demeurant, confortée par une lecture conjointe des exceptions à la réserve de compétence de la Cour prévues aux deuxième et troisième tirets de l’article 51, premier alinéa, sous a), du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. À cet égard, une interprétation du troisième tiret de cette disposition qui impliquerait de faire relever de l’exception prévue par celui-ci l’ensemble des actes d’exécution adoptés par le Conseil priverait de tout effet utile l’exception figurant au deuxième tiret de la même disposition. En effet, cette dernière exception vise les actes du Conseil adoptés en vertu d’un règlement relatif aux mesures de défense commerciale au sens de l’article 207 TFUE, et concerne ainsi précisément une situation dans laquelle cette institution exécute un acte de l’Union.

51      Eu égard à ces éléments, une décision telle que la décision attaquée ne saurait être regardée comme ayant été adoptée dans l’exercice d’une compétence d’exécution, conférée au Conseil conformément à l’article 291, paragraphe 2, TFUE.

52      Du reste, il convient de constater que le règlement n° 1173/2011, en vertu duquel la décision attaquée a été adoptée, ne comporte aucune référence à l’article 291, paragraphe 2, TFUE.

53      En outre, ce règlement est fondé sur les articles 121 et 136 TFUE, ainsi qu’indiqué au point 9 du présent arrêt. Or, l’attribution au Conseil, sur la base de ces articles, de la compétence dont cette décision matérialise l’exercice n’est pas justifiée par la nécessité d’assurer l’exécution uniforme dudit règlement, mais, comme l’indiquent les considérants 16 et 25 de celui-ci, par la poursuite d’un objectif consistant à dissuader les États membres de faire des déclarations erronées au sujet de données essentielles à la mise en œuvre des responsabilités que les articles 121 et 126 TFUE confèrent au Conseil en matière de coordination et de surveillance des politiques économiques et budgétaires des États membres.

54      Il s’ensuit que la Cour est compétente pour connaître du présent recours.

 Sur le recours

55      À l’appui de son recours, le Royaume d’Espagne invoque quatre moyens tirés, respectivement, de la violation des droits de la défense, de la violation du droit à une bonne administration, de l’absence d’infraction et du caractère disproportionné de l’amende qui lui a été infligée par le Conseil.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation des droits de la défense

 Argumentation des parties

56      Le Royaume d’Espagne fait valoir que la décision attaquée viole les droits de la défense, tels que garantis par l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 1173/2011 ainsi que par la décision déléguée 2012/678, dans la mesure où cette décision lui impute une infraction en s’appuyant sur des informations qui ont été recueillies à l’occasion d’une série de visites effectuées en Espagne, au cours des mois de mai, de juin et de septembre 2012 ainsi que de septembre 2013.

57      En effet, d’une part, les trois premières visites au cours desquelles ces informations ont été recueillies seraient intervenues à un moment où le respect des droits de la défense n’était pas encore garanti aux États membres faisant l’objet des procédures d’enquête fondées sur l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 1173/2011, puisque la décision déléguée 2012/678 n’était pas encore entrée en vigueur. En outre, l’ensemble de ces informations aurait été recueilli avant même l’ouverture de la procédure d’enquête, au mois de juillet 2014, et donc en marge de la procédure prévue par cette décision déléguée et en méconnaissance du droit d’être informé que ladite décision déléguée garantit à l’État membre concerné. Au demeurant, cette même décision déléguée imposerait à la Commission d’effectuer une visite méthodologique avant l’ouverture d’une procédure d’enquête, une telle visite n’ayant toutefois pas eu lieu en l’occurrence.

58      D’autre part, les conditions dans lesquelles lesdites informations ont été recueillies ne seraient pas conformes aux exigences énoncées par le législateur de l’Union en vue d’assurer le respect des droits de la défense. À cet égard, le Royaume d’Espagne fait valoir que le règlement n° 479/2009 ne constitue pas une base juridique autorisant Eurostat à recueillir des informations relatives à de possibles déclarations erronées, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011, et qu’il n’a pas été informé au préalable de l’objet réel des visites effectuées en l’espèce. Dans ces conditions, les autorités espagnoles auraient coopéré avec la Commission sans envisager que les informations collectées par cette institution puissent ultérieurement être utilisées pour justifier l’ouverture d’une procédure d’enquête.

59      Le Conseil, soutenu par la Commission, répond, en premier lieu, que les visites antérieures à la décision d’ouverture de l’enquête ont été organisées sur la base du règlement n° 479/2009 et dans le but de faire le point sur les données révisées, notifiées par le Royaume d’Espagne au mois de mai 2012, à la suite d’une transmission provisoire au mois d’avril 2012.

60      En second lieu, la Commission aurait respecté les droits de la défense du Royaume d’Espagne à compter de la décision d’ouverture de l’enquête. En particulier, elle aurait communiqué à cet État membre, à l’occasion de la notification de ladite décision, les informations dont elle disposait au sujet de l’existence d’indices sérieux de faits susceptibles de constituer des déclarations erronées, conformément à la décision déléguée 2012/678. Par la suite, la Commission aurait respecté les différents droits garantis au Royaume d’Espagne par l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 1173/2011. En tout état de cause, même si une violation des droits de la défense avait été commise, le Royaume d’Espagne ne démontrerait pas que celle-ci a eu une incidence sur le résultat de la procédure et justifie à ce titre d’annuler la décision attaquée.

 Appréciation de la Cour

61      Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que le respect des droits de la défense, dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte lui faisant grief, constitue un principe fondamental du droit de l’Union qui doit être assuré même en l’absence de dispositions spécifiques à ce sujet, d’une part, et qui exige que la personne contre laquelle une telle procédure a été ouverte soit mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur les faits et la violation du droit de l’Union qui lui sont reprochés avant que ne soit prise une décision affectant de manière sensible ses intérêts, d’autre part (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 40/85, EU:C:1986:305, point 28 ; du 12 février 1992, Pays-Bas e.a./Commission, C‑48/90 et C‑66/90, EU:C:1992:63, points 44 et 45, ainsi que du 14 juin 2016, Marchiani/Parlement, C‑566/14 P, EU:C:2016:437, point 51).

62      En l’espèce, il n’est pas contesté que la décision attaquée s’appuie sur des informations qui ont été recueillies par un service de la Commission, à savoir Eurostat, à l’occasion de visites effectuées en Espagne aux mois de mai, de juin et de septembre 2012 ainsi que de septembre 2013, soit avant l’adoption de la décision d’ouverture de l’enquête, le 11 juillet 2014, et, pour trois d’entre elles, avant l’entrée en vigueur de la décision déléguée 2012/678, le 26 novembre 2012.

63      Il est donc nécessaire d’examiner, en premier lieu, si le fait que ces informations aient été recueillies antérieurement à ces deux événements entache la décision attaquée d’une violation des droits de la défense.

64      À cet égard, il importe de relever que, s’agissant des procédures d’enquête telles que celle à l’origine de la décision attaquée, le Parlement et le Conseil ont adopté des dispositions spécifiques en vue d’assurer le respect des droits de la défense. Celles-ci figurent à l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 1173/2011 et sont applicables depuis son entrée en vigueur, le 13 décembre 2011. Ces dispositions spécifiques prévoient que la Commission a le pouvoir de décider d’engager une enquête lorsqu’elle estime qu’il y a des indices sérieux de l’existence de faits susceptibles de constituer des déclarations erronées. En outre, les mêmes dispositions imposent à cette institution, dans le cas où elle fait usage de ce pouvoir, de respecter pleinement les droits de la défense de l’État membre concerné et plus spécifiquement, de tenir compte des observations présentées par cet État membre pendant l’enquête ainsi que de l’entendre avant de soumettre une proposition de décision au Conseil, de manière à ce que celle-ci ne soit fondée que sur les seuls faits au sujet desquels ledit État membre a pu formuler des observations.

65      Ainsi, la Commission est non seulement habilitée, depuis le 13 décembre 2011, à recueillir des informations relatives à l’existence d’indices sérieux de faits susceptibles de constituer des déclarations erronées, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011, mais a également l’obligation de recueillir de telles informations avant toute ouverture d’une procédure d’enquête au titre de l’article 8, paragraphe 3, de ce règlement, dans le cadre de laquelle le plein respect des droits de la défense garantis à l’État membre concerné devra ensuite être assuré.

66      Dans ces conditions, il convient de considérer que, dès lors que les différentes visites effectuées en l’occurrence en Espagne ont été organisées à partir du mois de mai 2012, et donc postérieurement à l’entrée en vigueur du règlement n° 1173/2011, le 13 décembre 2011, le fait qu’Eurostat a recueilli à leur occasion les informations visées au point 62 du présent arrêt n’entache pas la décision attaquée d’une violation des droits de la défense.

67      S’agissant, en second lieu, des arguments du Royaume d’Espagne tirés de ce que les conditions dans lesquelles lesdites informations ont été recueillies ne seraient pas conformes aux exigences énoncées par le législateur de l’Union en vue d’assurer le respect des droits de la défense, il convient de considérer que c’est en principe, ainsi qu’il ressort du point 64 du présent arrêt, postérieurement à l’ouverture de la procédure d’enquête prévue à l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 1173/2011 que l’État membre concerné peut pleinement faire valoir lesdits droits, dès lors que c’est cette procédure qui, seule, est susceptible d’aboutir à une décision infligeant une sanction audit État membre au motif qu’il a fait des déclarations erronées au sens du paragraphe 1 de cet article.

68      Cela étant, il ressort également de la jurisprudence de la Cour qu’il importe de veiller à ce que l’exercice des droits de la défense, dans le cadre d’une procédure susceptible d’aboutir à un acte constatant l’existence d’une infraction, ne soit pas compromis dans l’hypothèse où sont organisées, préalablement à l’ouverture de cette procédure, des opérations permettant de recueillir des informations pouvant avoir un caractère déterminant pour l’établissement d’une telle infraction (voir, en ce sens, arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 63 à 65, ainsi que du 27 avril 2017, FSL e.a./Commission, C‑469/15 P, EU:C:2017:308, point 43).

69      En l’espèce, il y a lieu de constater que c’est en se fondant sur le règlement n° 479/2009 qu’Eurostat a procédé aux quatre visites ayant permis de recueillir les informations sur lesquelles le Conseil s’est appuyé dans la décision attaquée. En effet, ainsi qu’il ressort des courriers et des rapports produits en annexes à la requête, tout d’abord, les deux visites ayant eu lieu au cours des mois de juin et de septembre 2012 ont été organisées en tant que « visites de dialogue », au sens de l’article 11 bis de ce règlement, ensuite, celle ayant eu lieu au cours du mois de mai 2012 l’a été en tant que « visite technique préparatoire » à la première de ces deux visites de dialogue et, enfin, celle organisée au cours du mois de septembre 2013 l’a été en tant que « visite ad hoc ».

70      Dans ces circonstances, il est nécessaire de déterminer si le fait de recueillir des informations relatives à l’existence de possibles déclarations erronées, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011, est autorisé par le règlement n° 479/2009 et, dans l’affirmative, si les conditions d’organisation des visites au cours desquelles ces informations ont été recueillies en l’espèce ont respecté les exigences procédurales prévues par le législateur de l’Union et préservé la possibilité, pour le Royaume d’Espagne, d’exercer ses droits de la défense dans le cadre de la procédure d’enquête subséquente.

71      S’agissant, premièrement, de la question de savoir si le fait de recueillir des informations relatives à l’existence de possibles déclarations erronées est autorisé par le règlement n° 479/2009, il importe de relever, d’une part, que l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement impose aux États membres de notifier à la Commission, deux fois par an, les données relatives à leur déficit public ainsi qu’au niveau de leur dette publique prévus et effectifs, afin de permettre à cette institution et au Conseil d’exercer leurs responsabilités respectives au titre des articles 121 et 126 TFUE ainsi que du protocole n° 12. Or, c’est précisément lorsque ces données font l’objet de déclarations erronées de la part d’un État membre que l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 permet au Conseil de lui imputer une infraction et de lui infliger une amende, comme Mme l’avocat général l’a souligné au point 66 de ses conclusions.

72      D’autre part, l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 479/2009, lu à la lumière des considérants 9 et 10 de ce règlement, assigne spécifiquement à Eurostat la responsabilité de procéder, au nom de la Commission, à une évaluation impartiale et indépendante de la qualité de ces données, en contrôlant leur conformité aux règles comptables, leur exhaustivité, leur fiabilité, leur actualité et leur cohérence. À cet effet, Eurostat a notamment le pouvoir d’effectuer, en vertu de l’article 11 bis du même règlement, des visites dites « de dialogue » dans les États membres afin de passer en revue les données notifiées, d’en faire une évaluation méthodologique et comptable ainsi que d’identifier des risques ou des problèmes potentiels concernant leur qualité. Ce service de la Commission est donc habilité à identifier, dans ce cadre, et de manière générale, les risques et les problèmes potentiels concernant la fiabilité des données en cause.

73      Ainsi, le règlement n° 479/2009, et plus précisément son article 11 bis, constituait une base juridique autorisant Eurostat à recueillir, dans le cadre de visites telles que les deux visites de dialogue et la visite technique préparatoire visées au point 69 du présent arrêt, des informations relatives à de possibles déclarations erronées.

74      S’agissant de la quatrième visite évoquée au même point, effectuée en vue d’enquêter spécifiquement au sujet des comptes de la Communauté autonome de Valence, il convient, certes, de constater qu’une telle visite n’est pas expressément prévue par le règlement n° 479/2009.

75      Cependant, l’article 11 de ce règlement prévoit qu’Eurostat mène un dialogue permanent avec les autorités statistiques des États membres. Or, un tel dialogue permanent implique nécessairement qu’Eurostat puisse effectuer les différentes visites et missions qu’appelle l’exercice de ses responsabilités, au-delà des visites spécifiquement visées par ledit article. D’ailleurs, les considérants 7 et 8 du règlement n° 1173/2011 invitent spécifiquement la Commission à effectuer, dans le cadre dudit dialogue permanent, des missions sur place et des missions de surveillance dans les États membres.

76      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’article 11 du règlement n° 479/2009 constituait une base juridique autorisant Eurostat à recueillir des informations relatives à de possibles déclarations erronées dans le cadre de cette quatrième visite.

77      S’agissant, par ailleurs, de l’argument du Royaume d’Espagne selon lequel une visite méthodologique devrait être effectuée avant l’ouverture d’une procédure d’enquête, il suffit de constater que la décision déléguée 2012/678 prévoit, à son article 2, paragraphe 3, que la Commission peut choisir de ne pas ouvrir d’enquête tant qu’une telle visite n’a pas été effectuée, sans par conséquent lui imposer d’obligation à cet égard.

78      En ce qui concerne, deuxièmement, la question de savoir si les quatre visites en cause ont été menées dans le respect des exigences procédurales prévues par le législateur de l’Union et d’une manière propre à ne pas compromettre l’exercice des droits de la défense garantis au Royaume d’Espagne dans le cadre de la procédure d’enquête subséquente, il doit être noté, d’une part, que l’article 11, paragraphe 2, du règlement n° 479/2009 prévoit que les constatations provisoires effectuées dans le cadre des visites de dialogue organisées dans les États membres doivent être transmises à ces derniers pour leur permettre de faire valoir leurs observations.

79      En l’espèce, les constatations provisoires effectuées dans le cadre de la visite technique préparatoire et des deux visites de dialogue visées au point 69 du présent arrêt ont été soumises pour observations au Royaume d’Espagne, ainsi qu’en atteste le rapport d’Eurostat produit en annexe à la requête, qui intègre les observations soumises par cet État membre à la suite de la communication d’une version provisoire de ce document. Par ailleurs, ledit État membre a été préalablement informé en détail de l’objet exact de ces visites, et en particulier du fait qu’elles porteraient, entre autres questions, sur les données relatives à la Communauté autonome de Valence, ainsi qu’il ressort des documents cités au même point 69.

80      D’autre part, le Royaume d’Espagne a été informé, de façon suffisamment claire et précise, préalablement à la visite organisée au mois de septembre 2013, que celle-ci porterait notamment sur de possibles déclarations erronées effectuées au sujet des données relatives à la Communauté autonome de Valence, comme le font apparaître les mêmes documents.

81      Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que les conditions d’organisation des visites qui ont été effectuées en Espagne par Eurostat aux mois de mai, de juin et de septembre 2012 ainsi que de septembre 2013, et au cours desquelles ont été recueillies les informations fondant la décision attaquée, ont respecté les exigences procédurales prévues par le droit de l’Union.

82      Par suite, il y a lieu de considérer que l’exercice des droits de la défense du Royaume d’Espagne, dans le cadre de la procédure d’enquête ayant précédé la décision attaquée, n’a pas été compromis par les différentes visites ayant conduit Eurostat à recueillir lesdites informations préalablement à l’ouverture de cette procédure.

83      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est sans méconnaître les droits de la défense du Royaume d’Espagne que le Conseil s’est appuyé, dans la décision attaquée, sur les informations recueillies lors de ces visites.

84      Partant, le premier moyen n’est pas fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du droit à une bonne administration

 Argumentation des parties

85      Le Royaume d’Espagne soutient que la décision attaquée viole le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

86      En effet, il ne serait pas conforme à l’exigence d’impartialité objective inhérente à ce droit que la Commission confie l’instruction d’une procédure d’enquête fondée sur l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 1173/2011 aux personnes qui ont préalablement participé aux visites ayant conduit cette institution à estimer qu’il existait des indices sérieux de faits justifiant l’ouverture d’une telle procédure. Or, en l’espèce, trois des quatorze agents ayant pris part aux visites effectuées par Eurostat en Espagne, préalablement à l’adoption de la décision d’ouverture de l’enquête, auraient également fait partie de l’équipe de quatre personnes qui a ultérieurement été mobilisée par la Commission dans le cadre de ladite procédure. En outre, le service dont relèvent ces trois personnes, à savoir Eurostat, présenterait un risque de partialité dans la mesure où il est responsable de l’évaluation des données relatives à la dette et au déficit transmises par les États membres et où il aurait de ce fait intérêt à ce que la procédure d’enquête soit instruite à charge de l’État membre auquel il est reproché d’avoir manipulé ces données. Dans ces conditions, il conviendrait de conclure que la procédure d’enquête a été conduite dans des conditions n’assurant pas l’impartialité objective de la Commission et que cette violation du droit à une bonne administration entache d’illégalité la décision attaquée, adoptée par le Conseil au terme de ladite procédure.

87      Tout en faisant valoir que le Royaume d’Espagne ne peut pas se prévaloir de l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, dans la mesure où il est un État membre et non une personne au sens de cette disposition, le Conseil, soutenu par la Commission, convient que cet État membre peut invoquer à son bénéfice le principe de bonne administration en tant que principe général du droit de l’Union. Cela étant, le fait que la Commission confie l’instruction d’une procédure d’enquête ouverte en vertu du règlement n° 1173/2011 à des agents qui ont au préalable participé à des visites organisées sur le fondement du règlement n° 479/2009 ne violerait pas ce principe, dès lors que les deux cadres procéduraux en cause sont juridiquement différents. Il en serait d’autant plus ainsi que, au terme d’une telle procédure d’enquête, c’est une institution différente de la Commission, à savoir le Conseil, qui est appelée à adopter une décision sur l’existence d’une manipulation des statistiques et à imposer une amende à l’État membre concerné.

 Appréciation de la Cour

88      L’article 41, paragraphe 1, de la Charte, qui est intitulé « Droit à une bonne administration » et qui fait partie des dispositions du titre V de cette Charte, lui-même intitulé « Citoyenneté », énonce notamment que toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions de l’Union.

89      En l’espèce, c’est un État membre qui invoque cette disposition. Sans prendre position sur le point de savoir si celui-ci peut être regardé comme, ou assimilé à, une « personne », au sens de ladite disposition, et peut à ce titre se prévaloir du droit qu’elle énonce, ce que le Conseil et la Commission contestent, il y a lieu de relever que ce droit reflète un principe général du droit de l’Union (arrêt du 8 mai 2014, N., C‑604/12, EU:C:2014:302, point 49), qui peut, pour sa part, être invoqué par les États membres et au regard duquel il convient, partant, d’apprécier la légalité de la décision attaquée.

90      En effet, il résulte de la jurisprudence de la Cour que les institutions de l’Union sont tenues de respecter ledit principe général de droit dans le cadre des procédures administratives ouvertes à l’encontre des États membres et susceptibles d’aboutir à des décisions faisant grief à ces derniers (voir, en ce sens, arrêts du 15 juillet 2004, Espagne/Commission, C‑501/00, EU:C:2004:438, point 52, ainsi que du 24 juin 2015, Allemagne/Commission, C‑549/12 P et C‑54/13 P, EU:C:2015:412, point 89 et jurisprudence citée).

91      En particulier, il incombe à ces institutions de se conformer à l’exigence d’impartialité, dans ses deux composantes que sont, d’une part, l’impartialité subjective, en vertu de laquelle aucun membre de l’institution concernée ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, et, d’autre part, l’impartialité objective, conformément à laquelle cette institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé (arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, points 154 et 155 ainsi que jurisprudence citée).

92      En l’espèce, si l’impartialité subjective de la Commission n’est pas mise en cause par le Royaume d’Espagne, celui-ci soutient, en revanche, que la décision attaquée est entachée d’illégalité au motif que cette institution a manqué à l’exigence d’impartialité objective en confiant l’instruction de la procédure d’enquête à une équipe composée, dans une large mesure, d’agents d’Eurostat ayant déjà participé aux visites organisées par ce service en Espagne, antérieurement à l’ouverture de ladite procédure.

93      À titre liminaire, il doit être relevé que, ainsi que le Royaume d’Espagne le fait valoir à bon droit, le Conseil et la Commission ne sont pas fondés à soutenir qu’une telle argumentation doit être écartée au motif que c’est le Conseil, et non la Commission, qui a adopté la décision attaquée au terme de la procédure d’enquête.

94      En effet, compte tenu de la jurisprudence de la Cour citée au point 91 du présent arrêt, il convient de considérer que, lorsque plusieurs institutions de l’Union se voient attribuer des responsabilités propres et distinctes dans le cadre d’une procédure ouverte à l’encontre d’un État membre et susceptible d’aboutir à une décision faisant grief à celui-ci, chacune de ces institutions est tenue, pour ce qui la concerne, de se conformer à l’exigence d’impartialité objective. Par conséquent, même dans l’hypothèse où c’est uniquement l’une d’entre elles qui a manqué à cette exigence, un tel manquement est susceptible d’entacher d’illégalité la décision adoptée par l’autre au terme de la procédure concernée.

95      En conséquence, il incombe à la Cour de déterminer si la Commission offre des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé de sa part, dans l’hypothèse où elle confie l’instruction d’une procédure d’enquête telle que celle ayant abouti à la décision attaquée à une équipe composée, dans une large mesure, d’agents d’Eurostat ayant déjà participé à des visites organisées par ce service dans l’État membre concerné, antérieurement à l’ouverture de ladite procédure.

96      À cet égard, il importe de constater que ces visites, d’une part, et cette procédure d’enquête, d’autre part, relèvent de cadres juridiques distincts et ont un objet différent.

97      En effet, les visites qu’Eurostat peut effectuer dans les États membres, sur la base des articles 11 et 11 bis du règlement n° 479/2009, ont pour objet de permettre à ce service de la Commission de procéder, conformément à l’article 8, paragraphe 1, du même règlement, à une évaluation de la qualité des données notifiées deux fois par an par les États membres au sujet de leur dette publique et de leur déficit public, ainsi qu’il ressort des points 72 et 75 du présent arrêt.

98      De son côté, la procédure d’enquête est régie par l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 1173/2011 et a pour objet, conformément à cette disposition, de permettre à la Commission de mener toutes les enquêtes nécessaires afin d’établir l’existence de déclarations erronées relatives auxdites données, faites intentionnellement ou par grave négligence, lorsqu’elle estime qu’il existe des indices sérieux de faits susceptibles de constituer de telles déclarations.

99      Eu égard à ces cadres juridiques distincts et à ces objets différents, il y a lieu de considérer que, même si les données visées par ces visites, d’une part, et par cette procédure d’enquête, d’autre part, peuvent en partie coïncider, les appréciations qu’Eurostat et la Commission sont respectivement appelés à porter sur ces données sont, en revanche, nécessairement différentes.

100    Par conséquent, les appréciations portées par Eurostat sur la qualité de certaines de ces données, à l’issue de visites effectuées dans un État membre, ne préjugent pas, en elles-mêmes, la position qui pourrait être prise par la Commission sur l’existence de déclarations erronées relatives à ces mêmes données dans le cas où cette institution déciderait par la suite d’ouvrir une procédure d’enquête à ce sujet.

101    Il s’ensuit que le fait de confier l’instruction d’une procédure d’enquête fondée sur l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 à une équipe composée, dans une large mesure, d’agents d’Eurostat ayant déjà participé à des visites organisées par ce service dans l’État membre concerné sur la base du règlement n° 479/2009, antérieurement à l’ouverture de cette procédure, ne permet pas, comme tel, à la Cour de conclure que la décision adoptée au terme de ladite procédure est entachée d’illégalité en raison d’un manquement à l’exigence d’impartialité objective pesant sur la Commission.

102    De surcroît, il convient de relever, d’une part, que ce n’est pas à Eurostat, dont les responsabilités sont clairement définies par le règlement n° 479/2009, ainsi qu’il a été exposé au point 72 du présent arrêt, mais à la Commission, et donc aux commissaires agissant collégialement, que l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 1173/2011 réserve, premièrement, le pouvoir de décider d’ouvrir la procédure d’enquête, deuxièmement, la responsabilité de mener l’enquête et, troisièmement, la faculté de soumettre au Conseil les recommandations et les propositions qui s’imposent au terme de cette dernière.

103    D’autre part, le règlement n° 1173/2011 ne confie aucune responsabilité propre aux agents d’Eurostat dans la conduite de la procédure d’enquête.

104    Dans ces conditions, il doit être considéré que le rôle confié aux agents d’Eurostat dans ladite procédure d’enquête ne s’avère décisif ni pour le déroulement ni pour l’issue de cette procédure.

105    Il découle des considérations qui précèdent qu’il ne peut pas être considéré que le fait d’avoir confié l’instruction de la procédure d’enquête à une équipe composée, dans une large mesure, d’agents d’Eurostat ayant déjà participé à des visites organisées par ce service en Espagne, antérieurement à l’ouverture de cette procédure, entache la décision attaquée d’un prétendu manquement de la Commission à l’exigence d’impartialité objective.

106    Partant, le deuxième moyen n’est pas fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré de l’absence d’infraction

 Argumentation des parties

107    Le Royaume d’Espagne allègue que les différentes conditions requises par l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 pour que le Conseil soit fondé à retenir l’existence d’une infraction n’étaient pas réunies en l’espèce.

108    À cet égard, ledit État membre soutient, premièrement, que les faits qui lui ont été imputés ne peuvent pas être qualifiés de « déclaration erronée ». En effet, il conviendrait de distinguer les faits constitutifs d’une déclaration erronée, qui constituerait une infraction interdite par l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011, de ceux qui relèvent d’une simple révision de données préalablement notifiées à Eurostat, laquelle serait une démarche permise par l’article 6 du règlement n° 479/2009. Plus précisément, il conviendrait de comprendre l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 en ce sens qu’il permet uniquement au Conseil de sanctionner les déclarations erronées faites par les États membres au sujet des données effectives. En revanche, il devrait être considéré que les déclarations erronées au sujet de données prévisionnelles ne relèvent pas du champ d’application de cette disposition. En effet, une interprétation contraire priverait de portée l’article 6 du règlement n° 479/2009, dans la mesure où celui-ci permet aux États membres de réviser les données prévisionnelles qu’ils ont précédemment notifiées à Eurostat. Or, en l’espèce, les faits visés par la décision attaquée auraient dû être considérés comme relevant d’une révision des données prévisionnelles communiquées à la Commission dans la notification du 30 mars 2012, ce dont Eurostat aurait pris acte en publiant les données révisées en cause.

109    Deuxièmement, il y aurait lieu de considérer que l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 ne permet pas au Conseil de sanctionner toutes les déclarations erronées, mais seulement celles qui ont eu pour effet de compromettre la coordination et la surveillance économiques et budgétaires assurées par le Conseil ainsi que la Commission en vertu des articles 121 et 126 TFUE et du protocole n° 12. Or, en l’espèce, les déclarations erronées reprochées au Royaume d’Espagne n’auraient pas significativement empêché le Conseil et la Commission d’exercer leurs responsabilités à ce titre, en raison de la rapidité avec laquelle les données en cause ont été ultérieurement révisées et du montant des dépenses concernées.

110    Troisièmement, une grave négligence ne pourrait pas être imputée au Royaume d’Espagne. En effet, la décision attaquée se concentrerait sur l’existence de déclarations erronées ne concernant que le déficit d’une seule entité autonome, au sein de l’ensemble du déficit public, alors que l’État membre concerné aurait, dans son ensemble, fait preuve de diligence. En outre, cette décision ne tiendrait aucun compte de la coopération dont ledit État membre a fait preuve pendant l’enquête menée par la Commission, après avoir spontanément signalé les irrégularités en cause à cette institution.

111    Le Conseil, soutenu par la Commission, objecte, tout d’abord, que le fait qu’Eurostat publie des données révisées en vertu de l’article 6 du règlement n° 479/2009 ne fait pas obstacle à ce que l’État membre concerné puisse être sanctionné au titre de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 lorsque la publication de ces données fait suite à des déclarations erronées.

112    Ensuite, le Conseil et la Commission observent que l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 permet de sanctionner toute déclaration erronée de données relatives au déficit et à la dette entrant en ligne de compte pour l’application des articles 121 et 126 TFUE ainsi que du protocole n° 12. En effet, toutes ces données seraient essentielles à leurs missions de coordination et de surveillance économiques et budgétaires, ainsi que cela ressortirait du considérant 16 du règlement n° 1173/2011. Dans ces conditions, l’effet d’une déclaration erronée devrait être pris en compte non pas pour caractériser l’existence d’une infraction, mais seulement pour calculer l’amende correspondante, comme le permet la décision déléguée 2012/678 et comme cela aurait été fait en l’espèce.

113    S’agissant, enfin, de l’existence d’une grave négligence imputable au Royaume d’Espagne, le Conseil et la Commission estiment, d’une part, que cet État membre doit être tenu responsable des agissements de ses entités territoriales, comme il le serait dans le cadre d’un recours en manquement, et qu’il n’est pas conforme aux faits de prétendre que ledit État membre a spontanément signalé l’existence de déclarations erronées à la Commission. D’autre part, la coopération dont un tel État membre a fait preuve au cours de l’enquête serait sans incidence sur la caractérisation de l’infraction prévue à l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011, mais pourrait néanmoins être prise en compte en tant que circonstance atténuante dans le cadre du calcul de l’amende, comme le permet la décision déléguée 2012/678 et comme cela aurait été fait en l’espèce.

 Appréciation de la Cour

114    D’emblée, il convient de constater que le Royaume d’Espagne ne conteste pas les faits retenus par le Conseil contre lui. Il est donc constant, tout d’abord, que les données qui ont été notifiées par cet État membre à Eurostat le 30 mars 2012 ont minoré ses déficits publics effectifs et prévisionnels pour les années 2008 à 2011 de 4,5 milliards d’euros, dont 1,9 milliard d’euros pour la seule Communauté autonome de Valence, ensuite, que la minoration concernant cette entité s’explique par le fait que l’office d’audit de cette communauté autonome a validé pendant plusieurs années des comptes entachés d’irrégularités liées au non-enregistrement de certaines dépenses de santé et au non-respect du principe de la comptabilité d’exercice et, enfin, que cette situation a perduré en dépit des signalements répétés effectués par la cour des comptes de ladite communauté autonome.

115    En revanche, le Royaume d’Espagne met en cause la qualification juridique des faits ainsi retenus par le Conseil, au moyen de trois séries d’arguments, rappelées, en substance, aux points 108 à 110 du présent arrêt, dont l’appréciation impose au premier chef d’interpréter l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011.

116    Aux termes de cette disposition, trois conditions doivent être réunies pour permettre au Conseil de retenir l’existence d’une infraction. Premièrement, l’État membre concerné doit avoir fait des déclarations erronées, deuxièmement, ces déclarations erronées doivent concerner des données relatives au déficit et à la dette entrant en ligne de compte pour l’application des articles 121 et 126 TFUE ou du protocole n° 12 et, troisièmement, cet État membre doit avoir agi intentionnellement ou par grave négligence.

117    Concernant, tout d’abord, la première de ces trois conditions, le Royaume d’Espagne soutient, ainsi qu’il ressort du point 108 du présent arrêt, que l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 doit être compris en ce sens que les déclarations erronées faites au sujet de données prévisionnelles ne relèvent pas du champ d’application de cette disposition.

118    À cet égard, il doit toutefois être relevé que le libellé de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 se réfère à l’ensemble des déclarations erronées faites par les États membres, sans limiter le champ d’application de cette disposition à certains types de déclarations ou d’erreurs. En outre, le considérant 16 du règlement n° 1173/2011, qui expose l’objectif poursuivi par ladite disposition, énonce que celle-ci vise à dissuader les États membres de faire des déclarations erronées, sans en distinguer différents types.

119    Ainsi, il convient de considérer que le champ d’application de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011, lu à la lumière du considérant 16 de ce règlement, englobe toutes les déclarations erronées faites par les États membres au sujet des données relatives à leur déficit et à leur dette qui doivent être notifiées à Eurostat en vertu de l’article 3 du règlement n° 479/2009, comme évoqué au point 71 du présent arrêt, y compris celles portant sur des données de nature prévisionnelle.

120    Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument du Royaume d’Espagne selon lequel l’inclusion, dans le champ d’application de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011, des déclarations erronées faites au sujet de données prévisionnelles priverait de portée l’article 6 du règlement n° 479/2009, dans la mesure où celui-ci permet aux États membres de réviser les données prévisionnelles qu’ils ont précédemment notifiées à Eurostat.

121    En effet, ainsi que cela résulte de ses termes mêmes, l’article 6 du règlement n° 479/2009 vise non pas à donner aux États membres la faculté d’informer Eurostat dans le cas spécifique où ils réviseraient des données prévisionnelles à la suite de la découverte d’une déclaration erronée au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011, mais à les obliger, de manière générale, à informer ce service de tous les cas de révision importante de données précédemment notifiées. Il oblige donc les États membres à signaler tant les cas de révision de données prévisionnelles que ceux de révision de données effectives, indépendamment de la faculté donnée au Conseil de leur infliger une sanction si les données en cause ont fait l’objet de déclarations erronées. La prise en compte des déclarations erronées relatives aux données prévisionnelles dans le champ d’application de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 n’a, dès lors, aucune incidence sur la portée de l’article 6 du règlement n° 479/2009.

122    Par conséquent, l’argument du Royaume d’Espagne selon lequel l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 doit être compris en ce sens que les déclarations erronées faites au sujet de données prévisionnelles ne relèvent pas du champ d’application de cette disposition n’est pas fondé.

123    S’agissant, ensuite, de la deuxième condition visée au point 116 du présent arrêt, le Royaume d’Espagne fait valoir que l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 permet seulement au Conseil de sanctionner les déclarations erronées qui ont eu pour effet de compromettre la coordination ainsi que la surveillance économiques et budgétaires assurées par le Conseil et la Commission en vertu des articles 121 et 126 TFUE ainsi que du protocole n° 12.

124    À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011, le Conseil est habilité à sanctionner les déclarations erronées faites par les États membres au sujet des données relatives au déficit et à la dette entrant en ligne de compte pour l’application des articles 121 et 126 TFUE ainsi que du protocole n° 12. Ainsi, cette disposition définit de telles déclarations par référence à l’objet des données concernées, à savoir le déficit et la dette de l’État membre en cause. En revanche, elle ne comporte aucun élément se référant à un effet précis que lesdites déclarations seraient censées produire, contrairement à ce que prétend le Royaume d’Espagne.

125    Dans ces conditions, l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 doit être compris en ce sens qu’il permet au Conseil de sanctionner toutes les déclarations erronées faites au sujet des données relatives à la dette et au déficit de l’État membre concerné, indépendamment du point de savoir si celles-ci ont eu pour effet de compromettre la coordination ainsi que la surveillance économiques et budgétaires assurées par le Conseil et la Commission.

126    Partant, l’argument du Royaume d’Espagne visé au point 123 du présent arrêt n’est pas fondé.

127    S’agissant, enfin, de la troisième condition visée au point 116 du présent arrêt, en vertu de laquelle l’État membre concerné doit avoir agi intentionnellement ou par grave négligence pour qu’une infraction puisse lui être imputée, le Royaume d’Espagne soutient qu’elle ne saurait être considérée comme remplie, dans la mesure où les déclarations erronées en cause en l’espèce ne concernent que le déficit d’une seule communauté autonome, au sein de l’ensemble du déficit public, d’une part, et où il a coopéré à l’enquête menée par la Commission, après avoir spontanément signalé les irrégularités en cause à cette institution, d’autre part.

128    En ce qui concerne, en premier lieu, l’argument tiré du fait que les déclarations erronées en cause en l’espèce ne concernent que le déficit d’une seule communauté autonome, au sein de l’ensemble du déficit public, il suffit de relever que l’appréciation de l’existence d’une grave négligence dans le chef de l’État membre concerné, aux fins de la qualification de l’infraction prévue à l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011, dépend non pas du caractère plus ou moins limité des irrégularités à l’origine des déclarations erronées effectuées par cet État membre, mais de l’ampleur du manquement dudit État membre à l’obligation de diligence qui s’impose à lui dans l’élaboration et la vérification des données à notifier à Eurostat au titre de l’article 3 du règlement n° 479/2009.

129    En second lieu, pour ce qui est de la circonstance que le Royaume d’Espagne a coopéré à l’enquête menée par la Commission, après avoir spontanément signalé les irrégularités en cause à cette institution, force est de rappeler que, ainsi que cela a été relevé au point 65 du présent arrêt, l’ouverture de la procédure d’enquête prévue à l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 1173/2011 doit être justifiée par l’existence d’indices sérieux de faits susceptibles de constituer des déclarations erronées faites intentionnellement ou par grave négligence.

130    Il en découle que l’existence de cette grave négligence doit être appréciée au regard des faits constitutifs de déclarations erronées, en faisant abstraction du comportement adopté par ledit État membre postérieurement à de telles déclarations.

131    Dès lors, contrairement à ce que soutient le Royaume d’Espagne, ni la circonstance que les déclarations erronées en cause en l’espèce ne concernent que le déficit d’une seule communauté autonome, au sein de l’ensemble du déficit public, ni le fait que cet État membre a coopéré à l’enquête menée par la Commission, après avoir spontanément signalé les irrégularités en cause à cette institution, ne sont de nature à remettre en cause la qualification de grave négligence retenue par le Conseil.

132    Cela étant, il convient de relever que, tout en n’ayant pas d’incidence sur l’existence d’une infraction, le fait que l’État membre concerné fasse preuve de coopération dans le cadre de la détection des déclarations erronées et au cours de l’enquête a vocation à être pris en considération en tant que circonstance atténuante lors du calcul de l’amende, en vertu de l’article 14, paragraphe 3, sous e), de la décision déléguée 2012/678.

133    Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, le troisième moyen doit être rejeté, dans son ensemble, comme non fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré du caractère disproportionné de l’amende

 Argumentation des parties

134    Dans sa requête, le Royaume d’Espagne a soutenu que l’amende infligée par la décision attaquée était disproportionnée en raison d’une définition erronée du cadre temporel pris en compte pour la calculer.

135    À cet égard, ledit État membre a fait valoir que le Conseil avait violé l’article 14, paragraphe 2, de la décision déléguée 2012/678, aux termes duquel l’amende doit être calculée sur la base d’un montant de référence correspondant à 5 % de « l’impact plus important des déclarations erronées sur le niveau [...] du déficit [...] pour les années pertinentes couvertes par la notification ». En effet, cette expression devrait être comprise en ce sens que le Conseil doit, tout d’abord, mesurer l’impact des déclarations erronées sur le niveau du déficit pour chacune des années couvertes par la notification et concernées par de telles déclarations, ensuite, déterminer l’année pour laquelle cet impact est le plus important et, enfin, fixer le montant de référence en se fondant sur ce seul impact. En l’espèce, une telle interprétation aurait dû conduire le Conseil à fixer le montant de référence en se fondant sur les dépenses non déclarées par le Royaume d’Espagne pour la seule année 2011 (soit 862 millions d’euros). Or, cette institution aurait fixé ledit montant de référence en se fondant sur les dépenses non déclarées pour l’ensemble des années couvertes par la notification du 30 mars 2012 et concernées par des déclarations erronées, à savoir les années 2008 à 2011 (soit environ 1,9 milliard d’euros). Dès lors, il serait justifié que la Cour corrige cette erreur en réduisant le montant de référence à 43,1 millions d’euros (au lieu de 94,65 millions d’euros) et, par voie de conséquence, l’amende à 8,62 millions d’euros (au lieu de 18,93 millions d’euros).

136    Dans sa réplique, puis lors de l’audience, le Royaume d’Espagne a ajouté, dans ce cadre, que l’erreur commise par le Conseil avait également conduit cette institution à violer le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales.

137    Dans son mémoire en défense, le Conseil, soutenu par la Commission, a rétorqué que l’amende infligée par la décision attaquée avait été calculée conformément à l’article 14, paragraphe 2, de la décision déléguée 2012/678. En effet, cette disposition devrait être comprise en ce sens que le Conseil doit, tout d’abord, déterminer quelles sont les années couvertes par la notification et concernées par des déclarations erronées, ensuite, mesurer l’impact complet de ces déclarations erronées sur le niveau du déficit pour l’ensemble des années en cause et, enfin, se fonder sur cet impact complet pour fixer le montant de référence de l’amende. En l’espèce, une telle interprétation aurait à juste titre conduit le Conseil à fixer le montant de référence en se fondant sur les dépenses non déclarées par le Royaume d’Espagne pour l’ensemble des années couvertes par sa notification du 30 mars 2012 et concernées par des déclarations erronées, à savoir les années 2008 à 2011.

138    Dans le même mémoire, le Conseil a également fait valoir que, pour autant que le Royaume d’Espagne conteste l’application rétroactive du règlement n° 1173/2011, les déclarations erronées prises en compte pour calculer l’amende étaient intervenues le 30 mars 2012, soit postérieurement à l’entrée en vigueur du règlement n° 1173/2011, le 13 décembre 2011.

139    Néanmoins, lors de l’audience, le Conseil et la Commission ont fait valoir que l’invocation du principe de non-rétroactivité des dispositions pénales devait être regardée comme un moyen soulevé au stade du mémoire en réplique, soit un moyen nouveau, au sens de l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, et irrecevable en vertu de cette disposition.

 Appréciation de la Cour

–       Sur la recevabilité

140    Aux termes de l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

141    Cela étant, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, un argument qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé dans la requête introductive d’instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci ne saurait être déclaré irrecevable (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, Commission/Parlement et Conseil, C‑88/14, EU:C:2015:499, point 13 et jurisprudence citée).

142    En l’espèce, il convient, tout d’abord, de constater que l’argument du Royaume d’Espagne selon lequel l’amende infligée par la décision attaquée l’a été en violation du principe de non-rétroactivité des dispositions pénales fait partie des arguments du mémoire en réplique qui constituent l’ampliation du quatrième moyen soulevé dans sa requête introductive d’instance. Ensuite, l’analyse de cet argument et de ce moyen fait ressortir qu’ils critiquent tous deux un seul et même aspect de la décision attaquée, à savoir le fait que le Conseil a calculé le montant de référence de l’amende qu’il entendait infliger au Royaume d’Espagne en tenant compte de l’ensemble des déclarations erronées faites par cet État membre dans la notification du 30 mars 2012, au sujet des dépenses non déclarées pour les années 2008 à 2011, au lieu de tenir compte des seules déclarations erronées effectuées par cet État membre pour l’année 2011. À ce titre, l’argument et le moyen en cause présentent un lien étroit.

143    Pour ces motifs, l’argument tiré de la violation du principe de non-rétroactivité des dispositions pénales doit être déclaré recevable.

–       Sur le fond

144    Il convient d’examiner l’argument tiré de la violation du principe de non-rétroactivité des dispositions pénales, dans la mesure où il met en cause l’existence même de l’amende infligée au Royaume d’Espagne, puis les arguments relatifs à la violation de l’article 14, paragraphe 2, de la décision déléguée 2012/678, qui n’ont trait qu’aux modalités de calcul de cette amende.

145    En ce qui concerne, en premier lieu, l’argument tiré de la violation du principe de non-rétroactivité des dispositions pénales, il y a lieu, à titre liminaire, de relever qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales constitue un principe général du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 1984, Kirk, 63/83, EU:C:1984:255, point 22, et du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, EU:C:2007:88, point 87). Ce principe général de droit exige que l’infraction imputée à une personne et la sanction infligée à ce titre correspondent à celles qui étaient prévues au moment où l’action ou l’omission qui constitue cette infraction a été commise (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 1984, Kirk, 63/83, EU:C:1984:255, point 21, ainsi que du 8 septembre 2015, Taricco e.a., C‑105/14, EU:C:2015:555, point 56).

146    Plus particulièrement, d’une part, ledit principe général de droit trouve à s’appliquer également à des amendes qui revêtent une nature administrative (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 202). En conséquence, l’infliction d’une amende, au titre de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011, ne saurait être soustraite à l’application du même principe général de droit, nonobstant le fait que l’article 9 de ce règlement précise qu’une telle sanction revêt un caractère administratif.

147    D’autre part, les États membres sont également en droit d’invoquer le principe général de non-rétroactivité des dispositions pénales, pour mettre en cause la légalité des amendes qui leur sont infligées en cas de méconnaissance du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 51).

148    Quant au point de savoir si ce principe général de droit a été violé dans la présente affaire, comme le soutient le Royaume d’Espagne, il importe de rappeler, tout d’abord, que, conformément à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 479/2009 et à la disposition matériellement identique qui figurait antérieurement dans le règlement n° 3605/93, entré en vigueur le 1er janvier 1994, les États membres sont tenus, depuis cette date, de notifier à Eurostat, avant le 1er avril de chaque année, leur déficit public prévu pour l’année en cause, l’estimation à jour de leur déficit public effectif pour l’année n-1 ainsi que leurs déficits publics effectifs pour les années n-2, n-3 et n-4.

149    C’est en vertu de cette disposition que le Royaume d’Espagne a adressé à Eurostat la notification du 30 mars 2012, reprenant, notamment, les données relatives à ses déficits publics pour les années 2008 à 2011, comme il est constant entre les parties.

150    Ensuite, l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 prévoit, depuis l’entrée en vigueur de ce règlement, le 13 décembre 2011, que le fait qu’un État membre effectue, intentionnellement ou par grave négligence, des déclarations erronées au sujet des données figurant dans une telle notification constitue une infraction susceptible d’entraîner l’infliction d’une amende.

151    Or, en l’espèce, il est constant entre les parties que la notification du 30 mars 2012, qui est postérieure à l’entrée en vigueur du règlement n° 1173/2011, contenait des déclarations erronées au sujet des données relatives aux déficits publics de cet État membre pour les années 2008 à 2011 et, plus particulièrement, minorait les déficits de la Communauté autonome de Valence au cours de ces années, ainsi qu’il ressort des points 114, 135 et 137 du présent arrêt.

152    Dès lors, l’infraction imputée au Royaume d’Espagne et la sanction infligée à cet État membre sur la base de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 correspondent à celles qui étaient prévues au moment où ces déclarations ont été effectuées. Par voie de conséquence, l’allégation selon laquelle la décision attaquée viole le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales doit être écartée comme non fondée.

153    S’agissant, en second lieu, de l’argument du Royaume d’Espagne tiré d’une violation de l’article 14, paragraphe 2, de la décision déléguée 2012/678, au motif que le calcul de l’amende infligée audit État membre serait erroné, il convient de constater que, ainsi qu’il ressort du considérant 7 de la décision attaquée, le Conseil a déterminé le montant de référence de cette amende en se fondant sur cette disposition, qui a elle-même été adoptée sur la base de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 1173/2011 et dans le but indiqué au considérant 17 de ce règlement.

154    Aux termes de l’article 14, paragraphe 2, de la décision déléguée 2012/678, ledit montant devait être fixé, au cas présent, à 5 % de l’impact plus important des déclarations erronées du Royaume d’Espagne sur le niveau de son déficit pour les années pertinentes couvertes par sa notification du 30 mars 2012.

155    À cet égard, il est constant entre les parties, premièrement, que « les années pertinentes couvertes » par cette notification, au sens de ladite disposition, sont les années 2008 à 2011, deuxièmement, que « l’impact » des déclarations erronées sur le niveau du déficit du Royaume d’Espagne, au sens de la même disposition, correspond au montant des dépenses de la Communauté autonome de Valence non déclarées au cours de ces années et, troisièmement, que le montant de ces dépenses s’établit à 29 millions d’euros pour l’année 2008, à 378 millions d’euros pour l’année 2009, à 624 millions d’euros pour l’année 2010 et à 862 millions d’euros pour l’année 2011, soit au total à près de 1,9 milliard d’euros.

156    En revanche, ainsi qu’indiqué aux points 135 et 137 du présent arrêt, les parties sont en désaccord sur la façon de définir la notion d’« impact plus important », au sens de l’article 14, paragraphe 2, de la décision déléguée 2012/678, en l’absence de toute définition figurant dans cette dernière décision.

157    Or, les différentes versions linguistiques de la disposition dans laquelle figure cette notion ne permettent pas d’en déterminer le sens de manière claire et univoque, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 163 de ses conclusions.

158    Dans ces conditions, il convient d’interpréter la notion en cause à la lumière du contexte et de l’objectif de ladite disposition (voir, en ce sens, arrêt du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C‑659/13 et C‑34/14, EU:C:2016:74, point 122 et jurisprudence citée).

159    À cet égard, l’article 14, paragraphe 2, de la décision déléguée 2012/678 visant à préciser les critères d’établissement du montant des amendes infligées en vertu de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011, il y a lieu d’en interpréter les termes au regard du but poursuivi par cette dernière disposition.

160    Ainsi que cela a été relevé au point 118 du présent arrêt, l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 1173/2011 a pour but de dissuader les États membres d’effectuer des déclarations erronées, en permettant au Conseil de sanctionner de telles déclarations. L’article 8, paragraphe 2, du même règlement précise que les amendes visées au paragraphe 1 de cet article doivent être efficaces, dissuasives et proportionnées à la nature, à la gravité ainsi qu’à la durée des déclarations erronées.

161    Or, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 165 de ses conclusions, si la notion d’« impact plus important » figurant à l’article 14, paragraphe 2, de la décision déléguée 2012/678 devait être comprise en ce sens qu’une amende doit être calculée en se fondant sur l’impact que des déclarations erronées ont eu au cours d’une seule année, alors même que ces déclarations concernent plusieurs années, elle ne serait ni proportionnée à la période couverte par lesdites déclarations ni, par voie de conséquence, dissuasive.

162    Dans ces conditions, la notion d’« impact plus important », au sens de l’article 14, paragraphe 2, de la décision déléguée 2012/678, doit être comprise, eu égard au but poursuivi par la disposition en cause, en ce sens qu’elle renvoie à l’impact complet que les déclarations erronées ont eu sur le déficit ou sur la dette de l’État membre qui en est l’auteur, pendant l’ensemble des années couvertes par sa notification et concernées par de telles déclarations.

163    En l’espèce, le Conseil a dès lors pu valablement estimer, au considérant 7 de la décision attaquée, que le montant de référence de la sanction à infliger au Royaume d’Espagne devait être fixé à 5 % du montant total des dépenses non déclarées par cet État membre, s’agissant de la Communauté autonome de Valence, au cours des années 2008 à 2011.

164    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter le quatrième moyen comme non fondé.

165    L’ensemble des moyens avancés par le Royaume d’Espagne à l’appui de son recours en annulation devant être écartés, il y a lieu de rejeter celui-ci dans son entièreté.

 Sur les dépens

166    L’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En l’espèce, le Royaume d’Espagne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de cette institution.

167    Par ailleurs, l’article 140, paragraphe 1, du même règlement dispose que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, la Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le Royaume d’Espagne est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

3)      La Commission européenne supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.