Language of document : ECLI:EU:T:2012:242

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

22 mai 2012 (*)

« Accès aux documents — Règlement (CE) no 1049/2001 — Dossier administratif d’une procédure en matière d’ententes — Refus d’accès — Exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête — Exception relative à la protection des intérêts commerciaux d’un tiers — Exception relative à la protection du processus décisionnel — Obligation de l’institution concernée de procéder à un examen concret et individuel du contenu des documents visés dans la demande d’accès »

Dans l’affaire T‑344/08,

EnBW Energie Baden-Württemberg AG, établie à Karlsruhe (Allemagne), représentée par Mes A. Bach et A. Hahn, avocats,

partie requérante,

soutenue par

Royaume de Suède, représenté par Mmes K. Petkovska, S. Johannesson et A. Falk, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par Mmes P. Costa de Oliveira, A. Antoniadis et M. O. Weber, puis par M. A. Bouquet, Mmes Costa de Oliveira et Antoniadis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Siemens AG, établie à Berlin (Allemagne) et Munich (Allemagne), représentée par Mes I. Brinker, C. Steinle et M. Holm-Hadulla, avocats,

et par

ABB Ltd, établie à Zurich (Suisse), représentée initialement par M. J. Lawrence, solicitor, et Mme E. Whiteford, barrister, puis par MM. Lawrence et D. Howe, solicitor,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision SG.E.3/MV/psi D (2008) 4931 de la Commission, du 16 juin 2008, refusant l’accès au dossier de la procédure COMP/F/38.899 — Appareillages de commutation à isolation gazeuse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de Mmes I. Pelikánová (rapporteur), président, K. Jürimäe et M. M. van der Woude, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 novembre 2011,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, EnBW Energie Baden-Württemberg AG, est une entreprise distributrice d’énergie. Elle estime avoir été affectée par l’exploitation d’une entente entre des producteurs d’appareillages de commutation à isolation gazeuse (ci-après les « AIG »), sanctionnée par la décision C (2006) 6762 final de la Commission, du 24 janvier 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/F/38.899 — Appareillages de commutation à isolation gazeuse) (ci-après la « décision AIG »).

2        Dans la décision AIG, la Commission des Communautés européennes a constaté que plusieurs entreprises avaient enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53 de l’accord EEE en participant à une entente sur le marché des AIG, dans le cadre de laquelle elles avaient truqué les appels d’offres, fixé les prix et s’étaient réparti des projets et des marchés d’AIG en Europe. En conséquence, la Commission a infligé aux entreprises ayant participé à cette entente des amendes dont le montant total s’élevait à 750 millions d’euros.

3        Le 9 novembre 2007, la requérante a sollicité auprès de la Commission, sur le fondement de l’article 2, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), l’accès à tous les documents relatifs à la procédure dans l’affaire COMP/F/38.899.

4        À la suite d’entretiens entre la requérante et la Commission, la requérante a déclaré sans objet cette demande, ainsi qu’une demande confirmative du 10 décembre 2007, et a introduit, le 13 décembre 2007, une nouvelle demande d’accès aux documents relatifs à l’affaire en cause. Par télécopie du 11 janvier 2008, la requérante a précisé sa demande en ce sens qu’elle en excluait trois catégories de documents, à savoir tous les documents se rapportant exclusivement à la structure des entreprises impliquées, tous les documents intéressant exclusivement l’identification du destinataire de la décision AIG et tous les documents intégralement rédigés en langue japonaise.

5        Le 30 janvier 2008, la Commission a rejeté la demande initiale de la requérante, telle que modifiée le 11 janvier 2008.

6        Le 20 février 2008, la requérante a présenté une demande confirmative au sens de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001.

7        Le 16 juin 2008, la Commission a rejeté la demande confirmative (ci-après la « décision attaquée »).

8        Dans le point 2 de la décision attaquée, la Commission a classé les documents figurant dans le dossier de l’affaire COMP/F/38.899 dans les cinq catégories suivantes :

1)      documents fournis dans le cadre d’une demande d’immunité ou de clémence, à savoir déclarations des entreprises en cause et tout document soumis par celles-ci dans le cadre de la demande d’immunité ou de clémence ;

2)      demandes de renseignements et réponses des parties à ces demandes ;

3)      documents obtenus au cours des inspections, à savoir documents saisis lors des vérifications sur place dans les locaux des entreprises concernées ;

4)      communication des griefs et réponses des parties ;

5)      documents internes :

a)      documents relatifs aux faits, à savoir, en premier lieu, notes de fond sur les conclusions à tirer des preuves recueillies, en deuxième lieu, correspondance avec d’autres autorités de concurrence et, en troisième lieu, consultations d’autres services de la Commission étant intervenus dans l’affaire ;

b)      pièces de procédure, à savoir mandats d’inspection, procès-verbaux d’inspection, rapports d’inspection, relevés des documents obtenus au cours des inspections, pièces relatives à la notification de certains documents et notes au dossier.

9        Ensuite, dans le point 3 de la décision attaquée, la Commission a exposé que chacune de ces catégories relevait de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 et que les documents de la catégorie 5, sous a), relevaient également de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001.

10      Puis, dans le point 4 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que les documents appartenant aux catégories 1 à 4 relevaient de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001.

11      Dans le point 5 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’elle ne pouvait déceler aucun indice de l’existence d’un intérêt public supérieur justifiant l’accès aux documents demandés au sens de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001.

12      Enfin, dans le point 6 de la décision attaquée, la Commission a motivé son refus d’accorder un accès partiel au dossier par le fait que l’ensemble des documents figurant au dossier relevait intégralement des exceptions énoncées dans le règlement no 1049/2001.

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 août 2008, la requérante a introduit le présent recours.

14      Par acte séparé déposé le même jour, elle a demandé qu’il soit statué sur ce recours selon une procédure accélérée, conformément à l’article 76 bis, paragraphe 1er, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal. Le 11 septembre 2008, la Commission a déposé ses observations sur cette demande. Par décision du 1er octobre 2008, le Tribunal (deuxième chambre) a rejeté la demande de statuer selon une procédure accélérée.

15      Le 8 décembre 2008, le Royaume de Suède a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la requérante. Les 9 et 12 décembre 2008, respectivement, Siemens AG et ABB Ltd ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

16      Par ordonnances du 13 mars 2009, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis ces interventions.

17      Le 27 mai 2009, le Royaume de Suède et Siemens ont soumis leurs mémoires en intervention. Le 28 mai 2009, ABB a soumis son mémoire en intervention.

18      Les 29 et 30 septembre 2009, respectivement, la requérante et la Commission ont soumis leurs observations sur les mémoires en intervention.

19      Le 18 novembre 2009, faisant suite à une mesure d’organisation de la procédure adoptée par le Tribunal, la Commission a produit un inventaire du dossier dans l’affaire COMP/F/38.899 en indiquant, pour chaque document qui y était référencié, à laquelle des catégories mentionnées au point 8 ci-dessus il appartenait, tout en occultant les informations sur le contenu des différents documents.

20      Par ordonnance du 26 avril 2010, les parties entendues, le président de la deuxième chambre du Tribunal a suspendu la procédure dans la présente affaire jusqu’à la décision du Tribunal mettant fin à l’instance dans l’affaire T‑399/07, Basell Polyolefine/Commission. Cette décision étant intervenue par ordonnance de radiation du 25 janvier 2011, la procédure a repris à cette date.

21      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la quatrième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

22      Faisant suite à des mesures d’organisation de la procédure décidées par le Tribunal, la requérante a produit une copie de sa demande confirmative du 20 février 2008 et la Commission a répondu à des questions écrites.

23      La requérante, soutenue par le Royaume de Suède, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée dans la mesure où la Commission lui a également refusé un accès partiel aux documents figurant dans le dossier ;

–        condamner la Commission aux dépens.

24      La Commission, soutenue par Siemens et ABB, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

25      À l’appui de son recours, la requérante soulève trois moyens, tirés, premièrement, de la violation de l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, et de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, deuxièmement, de la violation de l’article 4, paragraphe 2, dernier membre de phrase, dudit règlement et, troisièmement, de la violation de l’article 4, paragraphe 6, du même règlement. Par ailleurs, elle soulève un quatrième moyen, tiré, en substance, d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la portée de la demande d’accès.

A –  Sur la recevabilité du grief tiré du défaut d’examen concret et individuel des documents

26      Le Royaume de Suède a soulevé un grief, non expressément soulevé par la requérante, reprochant à la Commission de ne pas avoir procédé à un examen concret et individuel des documents du dossier. La Commission estime que ce grief est irrecevable, car il va au-delà de l’objet du recours tel que défini par la requérante.

27      Selon l’article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53 dudit statut, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties. Selon l’article 116, paragraphe 3, du règlement de procédure, l’intervenant accepte le litige dans l’état où il se trouve lors de son intervention. Selon la jurisprudence, ces dispositions ne s’opposent pas à ce que l’intervenant fasse état d’arguments différents de ceux de la partie qu’il soutient, à la condition qu’ils ne modifient pas le cadre du litige et que l’intervention vise toujours au soutien des conclusions présentées par cette dernière (arrêts de la Cour du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, 30/59, Rec. p. 1, 37, et du 8 janvier 2002, France/Monsanto et Commission, C‑248/99 P, Rec. p. I‑1, point 56 ; arrêt du Tribunal du 3 avril 2003, Royal Philips Electronics/Commission, T‑119/02, Rec. p. II‑1433, points 203 et 212).

28      En l’espèce, il convient de rappeler que l’obligation pour une institution de procéder à une appréciation concrète et individuelle du contenu des documents visés dans toute demande fondée sur le règlement no 1049/2001 constitue une solution de principe, qui s’applique quel que soit le domaine auquel se rattachent les documents sollicités, même si cette solution de principe ne signifie pas qu’un tel examen est requis en toutes circonstances (arrêt du Tribunal du 13 avril 2005, Verein für Konsumenteninformation/Commission, T‑2/03, Rec. p. II‑1121, ci-après l’« arrêt VKI », points 74 et 75).

29      Par conséquent, l’examen du grief tiré de la violation de cette obligation constitue une étape préalable à l’examen des moyens tirés de la violation des dispositions de l’article 4 du règlement no 1049/2001. Il s’ensuit que le Tribunal doit en tout état de cause contrôler, dans le cadre de l’examen des moyens tirés de la violation de ces dispositions, si la Commission a soit effectué un examen concret et individuel de chacun des documents demandés, soit démontré que les documents refusés étaient manifestement couverts dans leur intégralité par une exception.

30      Par ailleurs, il convient de relever que, s’il est vrai que le grief tiré de l’absence d’un examen concret et individuel a été invoqué par le Royaume de Suède dans la première partie de son mémoire en intervention sans une liaison directe avec les moyens invoqués par la requérante, il a ensuite été répété dans le cadre des développements consacrés au moyen tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001.

31      Il s’ensuit que le grief tiré de l’absence d’un examen concret et individuel des documents non divulgués, tel que soulevé par le Royaume de Suède, est recevable.

B –  Sur le fond

1.     Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la portée de la demande d’accès

32      Il ressort du point 2, in fine, de la décision attaquée que la Commission a considéré que les documents relevant de la catégorie 5, sous b) (voir point 8 ci‑dessus), n’étaient pas couverts par la demande d’accès présentée par la requérante, « puisque ces documents revêt[ai]ent un caractère purement procédural et/ou qu’ils restitu[ai]ent des faits connus ». En réponse à une question posée par le Tribunal lors de l’audience, la Commission, premièrement, a indiqué que cette considération se fondait sur le fait que, dans sa demande confirmative, la requérante n’avait pas soulevé d’objections quant à la définition restrictive de la portée de la demande d’accès, telle qu’exposée dans la réponse à la demande d’accès initiale, et n’avait pas même mentionné les documents internes. Deuxièmement, elle s’est référée à une note au dossier, du 21 janvier 2008, relative à un entretien téléphonique entre un fonctionnaire de la direction générale (DG) « Concurrence » et les conseils de la requérante, du 9 janvier 2008. Il découlerait de cette note que les conseils de la requérante ont indiqué que leur demande d’accès ne visait que les documents ayant un rapport avec l’infraction reprochée aux participants à l’entente sur les AIG et non, par exemple, les documents internes. C’est la combinaison de ces deux éléments qui aurait fondé la conviction de la Commission selon laquelle les documents relevant de la catégorie 5, sous b), n’étaient pas visés par la demande d’accès de la requérante.

33      Dans la requête, la requérante s’est opposée à cette exclusion, en faisant valoir qu’elle n’avait nulle part fait savoir qu’elle excluait ces documents de sa demande et que, au contraire, elle avait expressément identifié dans sa télécopie du 11 janvier 2008 les documents exclus de sa demande.

34      À cet égard, en premier lieu, il convient de constater que, dans sa demande initiale du 9 novembre 2007, la requérante a demandé l’accès à tous les documents du dossier concernant l’entente sur les AIG, sans davantage de spécifications ni de restrictions. Par la suite, dans une télécopie du 11 janvier 2008, la requérante a limité sa demande en excluant certains groupes de documents expressément énumérés, à savoir tous les documents se rapportant exclusivement à la structure des entreprises impliquées, tous les documents intéressant exclusivement l’identification des destinataires de la décision AIG et tous les documents intégralement rédigés en langue japonaise. Cette limitation expresse et écrite intervenue après la conversation téléphonique du 9 janvier 2008 ne corrobore donc pas les allégations de la Commission relatives à une prétendue limitation que la requérante aurait communiquée oralement lors de cette conversation.

35      En deuxième lieu, la demande confirmative du 20 février 2008 a exactement la même portée que la demande initiale, telle que limitée par la télécopie du 11 janvier 2008, en ce qu’elle vise à la divulgation de « la totalité des documents en possession de la […] Commission concernant la procédure […] dans l’affaire COMP/F/38.899 », à l’exception des trois catégories de documents exclues dans ladite télécopie du 11 janvier 2008. Dès lors, au plus tard à la lecture de la demande confirmative, la Commission aurait dû remettre en cause sa compréhension restrictive de la portée de la demande d’accès.

36      En troisième lieu, les raisons invoquées par la Commission pour justifier sur le fond sa compréhension restrictive, à savoir le prétendu fait que les documents compris dans la catégorie 5, sous b), revêtent un caractère purement procédural et ne restituent que des faits connus, ne sont pas pertinentes dans le contexte du règlement no 1049/2001. En effet, l’intérêt personnel que le demandeur peut poursuivre avec sa demande d’accès est un critère totalement étranger au règlement no 1049/2001, de sorte qu’il n’appartient pas à la Commission de porter un jugement ou de procéder à des suppositions à cet égard, ni d’en tirer des conclusions quant au traitement de la demande.

37      Il convient dès lors de constater que la requérante est fondée à soutenir que la compréhension restrictive, par la Commission, de la portée de sa demande d’accès est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Par conséquent, il y a lieu d’annuler la décision attaquée en tant qu’elle refuse à la requérante l’accès aux documents relevant de la catégorie 5, sous b).

2.     Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, et de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001

38      Ce moyen comporte trois branches. La première branche est tirée de la violation de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001. La deuxième branche est tirée de la violation de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001. La troisième branche est tirée de la violation de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001.

39      Il convient de rappeler que, adopté sur le fondement de l’article 255, paragraphe 2, CE, le règlement no 1049/2001 vise, comme l’indiquent son considérant 4 et son article 1er, à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible. Le considérant 2 de ce règlement rappelle que ce droit d’accès se rattache au caractère démocratique des institutions. Il ressort également dudit règlement, notamment du considérant 11 et de l’article 4 de celui-ci qui prévoit un régime d’exceptions à cet égard, que ce droit d’accès n’en est pas moins soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé.

40      Pour justifier le refus d’accès à un document dont la divulgation a été demandée, il ne suffit pas, en principe, que ce document relève d’une activité mentionnée à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001. L’institution concernée doit également fournir des explications quant à la question de savoir comment l’accès audit document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à cet article (arrêts de la Cour du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, Rec. p. I‑4723, point 49 ; du 29 juin 2010, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑139/07 P, Rec. p. I‑5885, ci-après l’« arrêt TGI », point 53, et du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, Rec. p. I‑8533, point 72).

41      Conformément à une jurisprudence constante, dès lors qu’elles dérogent au principe de l’accès le plus large possible du public aux documents, les exceptions au droit d’accès, figurant à l’article 4 du règlement no 1049/2001, doivent être interprétées et appliquées strictement (arrêts de la Cour du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, Rec. p. I‑1233, point 63 ; du 18 décembre 2007, Suède/Commission, C‑64/05 P, Rec. p. I‑11389, point 66, et Suède et Turco/Conseil, point 40 supra, point 36).

42      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner les trois branches du premier moyen soulevé par la requérante.

43      À cet égard, étant donné que, ainsi qu’il ressort du point 29 ci-dessus, le grief tiré du défaut d’examen concret et individuel des documents concerne une question transversale, commune aux trois branches du premier moyen, il convient d’examiner ce grief, avant d’apprécier si la Commission a fait une exacte application des différentes exceptions invoquées dans la décision attaquée pour fonder le refus de divulgation des documents demandés. Il y a donc lieu d’examiner, tout d’abord, si les conditions requises pour que la Commission puisse se dispenser d’un tel examen concret et individuel étaient réunies en l’espèce.

a)     Sur l’existence, en l’espèce, des conditions permettant de déroger à l’obligation de procéder à un examen concret et individuel du contenu des documents demandés

44      À titre liminaire, il convient de relever que des dérogations à l’obligation d’examen concret et individuel des documents demandés ont été acceptées par la jurisprudence dans différents cas de figure.

45      Premièrement, il s’agit des cas dans lesquels il est manifeste, dans les circonstances de l’affaire en cause, que l’accès doit être refusé ou bien au contraire accordé. Le Tribunal a considéré que tel pourrait être le cas, notamment, si certains documents soit étaient manifestement couverts dans leur intégralité par une exception au droit d’accès, soit, à l’inverse, étaient manifestement accessibles dans leur intégralité, soit, enfin, avaient déjà fait l’objet d’une appréciation concrète et individuelle par la Commission dans des circonstances similaires (arrêt VKI, point 28 supra, point 75). Un tel cas manifeste a également été reconnu par la Cour, qui a considéré qu’il est loisible aux institutions, pour expliquer comment l’accès aux documents demandés pourrait porter atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, de se fonder sur des présomptions générales s’appliquant à certaines catégories de documents, des considérations d’ordre général similaires étant susceptibles de s’appliquer à des demandes de divulgation portant sur des documents de même nature (arrêts Suède et Turco/Conseil, point 40 supra, point 50, TGI, point 40 supra, points 54 et 55, et Suède e.a./API et Commission, point 40 supra, point 74). Dans ce contexte, par ailleurs, les termes « catégorie de documents » et « documents de même nature » se comprennent dans un sens large et sans égard à leur contenu, ainsi qu’il ressort de l’arrêt TGI, point 40 supra, dans lequel ces termes ont été employés de manière à englober la totalité des documents contenus dans un dossier relatif à une procédure devant la Commission en matière d’aides d’État, et de l’arrêt Suède e.a./API et Commission, point 40 supra, dans lequel il a été conclu que des documents faisaient partie d’une même catégorie du seul fait qu’ils avaient été rédigés par la Commission en tant que partie à différents recours pendants à la date de l’adoption de la décision de refus d’accès.

46      Deuxièmement, une seule et même justification peut être appliquée à des documents appartenant à une même catégorie, ce qui est notamment le cas s’ils contiennent le même type d’informations. Il appartient ensuite au Tribunal de vérifier si l’exception invoquée couvre manifestement et intégralement les documents entrant dans cette catégorie. Par opposition aux cas de figure évoqués au point précédent, le critère commun des documents en cause porte donc sur leur contenu, puisque c’est par rapport aux informations contenues dans les documents demandés que l’institution sollicitée doit justifier son refus de divulgation, au titre des différentes exceptions au droit d’accès énoncées à l’article 4 du règlement no 1049/2001.

47      Troisièmement, à titre exceptionnel et uniquement lorsque la charge administrative provoquée par l’examen concret et individuel des documents se révélerait particulièrement lourde, dépassant ainsi les limites de ce qui peut être raisonnablement exigé, une dérogation à l’obligation d’examen individuel et concret des documents demandés peut être admise (voir arrêt VKI, point 28 supra, point 112, et la jurisprudence citée).

48      En l’espèce, dans le point 1 de la décision attaquée, intitulé « Remarques préliminaires », la Commission a expressément invoqué deux de ces hypothèses, à savoir, d’une part, la première, mentionnée au point 45 ci-dessus, selon laquelle il est évident que l’accès doit être refusé parce que certains documents sont manifestement couverts dans leur intégralité par une exception, et, d’autre part, la deuxième, mentionnée au point 46 ci-dessus, selon laquelle l’institution peut indiquer les raisons du refus d’accès en renvoyant à des groupes de documents contenant le même type d’informations.

49      Il convient de relever d’emblée le caractère abstrait et général de ce renvoi aux cas d’exception invoqués, hors du contexte de l’examen de la demande à proprement parler. De plus, la Commission n’indique pas à quels documents ces deux cas d’exception s’appliqueraient, de sorte qu’il faut conclure qu’elle entend les appliquer à l’ensemble des documents demandés. La Commission a confirmé cette interprétation en faisant valoir, dans son mémoire en défense, que « toutes les catégories de documents énumérées dans la décision [attaquée] relèvent manifestement et dans leur totalité des motifs dérogatoires […] de l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, et [de l’article 4,] paragraphe 3, du [règlement no 1049/2001] ».

50      Par ailleurs, la Commission a fait valoir, au stade de son mémoire en défense, que la requérante avait « omis de préciser suffisamment sa demande, bien que les services de la Commission aient attiré son attention sur le volume du dossier et la charge de travail que sa demande entraînait ». Pour autant que cette remarque doive être comprise comme une invocation du cas d’exception tiré de la charge de travail exceptionnelle, tel que défini au point 47 ci-dessus, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d’une décision doit figurer dans le corps même de celle-ci et des explications postérieures fournies par la Commission ne sauraient, sauf circonstances exceptionnelles, être prises en compte (arrêts du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T‑61/89, Rec. p. II‑1931, point 131 ; du 14 mai 1998, Buchmann/Commission, T‑295/94, Rec. p. II‑813, point 171, et du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, point 95).

51      Or, dans la lettre du 30 janvier 2008 rejetant la demande initiale, l’absence d’examen concret et individuel des documents est justifiée non par la charge de travail qu’un tel examen occasionnerait, mais exclusivement par le fait que tous les documents demandés seraient manifestement couverts dans leur intégralité par les exceptions invoquées par la Commission. La décision attaquée ne contient quant à elle aucune explication à cet égard. Ce n’est que dans son mémoire en défense que la Commission a, pour la première fois, fait valoir que la limitation de la demande consentie par la requérante serait insuffisante, au regard de la charge de travail générée par un examen concret et individuel. Dès lors, ce dernier argument ne constitue pas un motif ayant déterminé l’adoption de la décision attaquée.

52      Dans ces conditions, ledit argument doit être écarté comme étant inopérant.

53      Dans un premier temps, il y a donc lieu d’examiner si la Commission a démontré, à suffisance de droit, l’existence des circonstances exceptionnelles qu’elle a invoquées dans la décision attaquée pour se dispenser d’un examen concret et individuel des documents demandés. Dans un second temps, il y a également lieu d’examiner, à titre surabondant, l’exception, tirée de la charge de travail, invoquée par la Commission dans son mémoire en défense.

 Sur la première exception invoquée dans la décision attaquée, tirée de ce qu’il est manifeste, sur le fondement d’une présomption générale, que l’accès aux documents demandés doit être refusé

54      Comme il a été rappelé au point 41 ci-dessus, dès lors qu’elles dérogent au principe de l’accès le plus large possible du public aux documents, les exceptions au droit d’accès, figurant à l’article 4 du règlement no 1049/2001, doivent être interprétées et appliquées strictement.

55      Toutefois, il a également été jugé qu’il est loisible à l’institution concernée de se fonder, à cet égard, sur des présomptions générales s’appliquant à certaines catégories de documents, des considérations d’ordre général similaires étant susceptibles de s’appliquer à des demandes de divulgation portant sur des documents de même nature (arrêts Suède et Turco/Conseil, point 40 supra, point 50 ; TGI, point 40 supra, point 54, et Suède e.a./API et Commission, point 40 supra, point 74). Dans une telle hypothèse, il convient de vérifier si des considérations d’ordre général permettent de conclure que la Commission était en droit de se fonder sur la présomption que la divulgation des documents en cause porterait atteinte aux intérêts protégés par l’article 4 du règlement no 1049/2001, et cela sans être tenue d’effectuer une appréciation concrète du contenu de chacun de ces documents (voir, en ce sens, arrêt Suède e.a./API et Commission, point 40 supra, point 76).

56      Or, en l’espèce, contrairement à ce que la Commission a suggéré lors de l’audience, une telle présomption ne saurait être fondée sur un raisonnement analogue à celui suivi par la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt TGI, point 40 supra. Dans cette affaire, dont l’objet était une demande d’accès au dossier d’une procédure en matière d’aides d’État, la Cour a jugé qu’une présomption générale selon laquelle tous les documents demandés étaient couverts par une exception pouvait résulter du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1), ainsi que de la jurisprudence relative au droit de consulter les documents du dossier administratif de la Commission, ledit règlement ne prévoyant aucun droit d’accès auxdits documents pour les intéressés autres que l’État membre responsable de l’octroi de l’aide. En effet, si ces intéressés étaient en mesure d’obtenir l’accès aux documents du dossier sur le fondement du règlement no 1049/2001, le régime de contrôle des aides d’État serait mis en cause (arrêt TGI, point 40 supra, points 55 à 58).

57      À cet égard, d’une part, il convient de souligner que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt TGI, point 40 supra, contrairement aux circonstances de l’espèce, la Commission n’avait pas encore, à la date de la décision refusant l’accès au dossier, adopté de décision finale clôturant la procédure dont le dossier faisait l’objet de la demande d’accès. Par ailleurs, le raisonnement de la Cour dans l’arrêt TGI, point 40 supra, tire précisément argument de ce que les dispositions sur l’accès aux documents propres à la procédure en cause ne doivent pas être court-circuitées par le recours au règlement no 1049/2001. Or, le régime d’accès au dossier propre à une procédure particulière, que ce soit en matière d’aides d’État ou en matière d’ententes, n’est applicable que pendant la durée de la procédure en cause. Par conséquent, il y a lieu de considérer que le raisonnement suivi par la Cour dans l’arrêt TGI, point 40 supra, ne saurait être transposé à une situation dans laquelle l’institution a déjà adopté une décision finale clôturant le dossier auquel l’accès est demandé, comme c’est le cas en l’espèce.

58      D’autre part, en l’espèce, par analogie avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt TGI, point 40 supra, une présomption générale selon laquelle les documents contenus dans un dossier de procédure en matière de concurrence ne doivent pas être divulgués devrait résulter du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), tel que modifié, ainsi que de la jurisprudence relative au droit de consulter les documents du dossier administratif de la Commission.

59      Il est vrai que, tout comme le règlement no 659/1999 en matière d’aides, le règlement no 1/2003 ne prévoit pas un droit, en faveur de personnes n’étant pas parties à la procédure, d’accéder à des documents du dossier administratif de la Commission dans le cadre de la procédure en matière d’ententes. Toutefois, l’article 27 du règlement no 1/2003 prévoit un accès au dossier en faveur des entreprises faisant l’objet de la procédure, dans le contexte plus général de l’assurance des droits de la défense. L’accès au dossier qui est accordé dans ce cadre ne saurait s’étendre aux documents internes de l’institution, aux secrets d’affaires d’autres entreprises et aux autres informations confidentielles (arrêts du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, point 1015, et du 26 avril 2007, Bolloré e.a./Commission, T‑109/02, T‑118/02, T‑122/02, T‑125/02, T‑126/02, T‑128/02, T‑129/02, T‑132/02 et T‑136/02, Rec. p. II‑947, point 45).

60      Les dispositions du règlement no 1/2003 sur l’accès aux documents ont été précisées par le règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO L 123, p. 18), qui prévoit également un droit d’accès en faveur d’un plaignant dans l’hypothèse où sa plainte aurait été rejetée. À cet égard, l’article 8, paragraphe 2, et l’article 15, paragraphe 4, du règlement no 773/2004 disposent que des documents obtenus par un plaignant ou par une entreprise concernée ne peuvent être utilisés qu’aux fins de procédures judiciaires ou administratives ayant pour objet l’application des articles 81 CE et 82 CE.

61      Il en résulte que, si les entreprises visées par une procédure en matière d’ententes, ainsi que les auteurs de plaintes auxquelles la Commission n’a pas fait suite, disposent du droit de consulter certains documents du dossier administratif de la Commission, ce droit est soumis à certaines restrictions qui nécessitent elles-mêmes une appréciation au cas par cas. Dès lors, même en suivant le raisonnement appliqué par la Cour dans l’arrêt TGI, point 40 supra, selon lequel, aux fins de l’interprétation de l’exception visée à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, il y a lieu de tenir compte des restrictions à l’accès au dossier existant dans le cadre de procédures particulières, telles que les procédures en matière d’aides d’État et en matière de concurrence, une telle prise en compte ne permettrait pas de présumer que, sous peine d’affecter la capacité de la Commission de réprimer les ententes, la totalité des documents contenus dans ses dossiers en cette matière serait automatiquement couverte par l’une des exceptions visées à l’article 4 du règlement no 1049/2001.

62      Dès lors, la Commission ne pouvait pas présumer, sans procéder à une analyse concrète de chaque document, que la totalité des documents demandés était manifestement couverte par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001.

63      Par conséquent, la Commission ne pouvait pas se dispenser d’un examen concret et individuel des documents demandés en se fondant sur la première hypothèse d’exception.

 Sur la seconde exception invoquée dans la décision attaquée, tirée d’un examen des documents par catégories

64      À titre liminaire, il convient de préciser que, ainsi qu’il a été relevé au point 46 ci-dessus, une seule et même justification peut être appliquée à des documents appartenant à une même catégorie, notamment s’ils contiennent le même type d’informations. Toutefois, il appartient au Tribunal de vérifier si l’exception invoquée couvre manifestement et intégralement les documents entrant dans cette catégorie.

65      En l’espèce, ainsi qu’il ressort du passage de la décision attaquée cité au point 48 ci-dessus, la Commission se fonde sur le point 73 de l’arrêt VKI, point 28 supra, pour justifier la motivation par groupes de documents. Toutefois, le Tribunal a souligné, dans ce dernier point, qu’il considérait qu’un examen document par document était en tout état de cause nécessaire afin de procéder à l’examen — obligatoire selon l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001 — d’un éventuel accès partiel aux documents demandés (arrêt VKI, point 73). Dès lors, ce n’est que dans l’hypothèse où une exception au droit d’accès couvre manifestement et intégralement les documents relevant d’une catégorie que l’institution peut se dispenser d’un examen individuel de ces documents.

66      De plus, il convient de relever que les catégories de documents formées par l’institution en cause doivent être définies en fonction des informations contenues dans les documents, définition qui ne correspond pas nécessairement aux types de documents. Par exemple, il se peut que la réponse d’une entreprise à la communication des griefs contienne des informations dont la divulgation doit être refusée au titre de l’une des exceptions visées à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, alors que la réponse d’une autre entreprise, bien que relevant du même type de documents, contient des informations qui ne nécessitent pas une telle protection. C’est donc en particulier dans l’hypothèse où les documents relevant d’une catégorie contiennent le même type d’informations que le refus de divulguer tout un groupe de documents peut faire l’objet d’une seule et même justification. En effet, dans de telles circonstances, une justification par groupes de documents facilite ou simplifie la tâche de la Commission dans l’examen de la demande et la justification de sa décision.

67      Il en résulte que le fait qu’un examen par catégories présente un caractère utile aux fins du traitement de la demande d’accès est une condition de la légalité d’un tel examen. La définition des catégories de documents doit donc se faire en fonction de critères permettant à la Commission d’appliquer un raisonnement commun à la totalité des documents contenus dans une catégorie. En l’espèce, les documents relevant d’une même catégorie devaient donc présenter des caractéristiques communes pertinentes aux fins de la décision sur leur éventuelle divulgation. Le raisonnement appliqué à une catégorie devait alors nécessairement être différent des raisonnements appliqués aux autres catégories. En effet, dans l’hypothèse où il serait possible d’appliquer un seul et même raisonnement à deux catégories différentes, il s’agirait, en réalité, aux fins de l’examen de la demande d’accès, d’une seule et même catégorie. Dans ce dernier cas, une division en catégories serait alors artificielle et inutile.

68      Or, en l’espèce, d’une part, le classement des documents demandés en catégories, tel qu’opéré par la Commission (voir point 8 ci-dessus), ne remplissait, en grande partie, aucune fonction utile en vue de l’adoption de la décision attaquée. En particulier, ainsi qu’il est exposé aux points 70 à 85 ci-dessous, s’agissant des exceptions tirées de la protection des objectifs des activités d’enquête et de la protection des intérêts commerciaux, ce classement ne facilitait pas, ni ne simplifiait, la tâche de la Commission en ce qui concerne l’examen de la demande et la justification de sa décision, la catégorisation étant effectuée par types de documents, indépendamment des informations contenues dans les documents en cause.

69      D’autre part, ainsi qu’il est exposé aux points 86 à 91 ci-dessous, s’agissant de l’exception tirée de la protection du processus décisionnel de la Commission, les documents pour lesquels la Commission a invoqué cette exception n’étaient pas manifestement et intégralement couverts par cette dernière, contrairement à l’exigence formulée aux points 64 et 65 ci-dessus.

–       Sur l’examen, dans le point 3 de la décision attaquée, de l’exception tirée de la protection des objectifs des activités d’enquête

70      Le point 3 de la décision attaquée est divisé en deux parties. Le point 3.1, intitulé « Enquête en cours », concerne la justification du refus d’accès au titre de la protection des objectifs de l’enquête en cours. Dans le point 3.2, intitulé « Protection, au-delà de l’enquête concrète, des documents relevant de l’enquête », la Commission expose tout d’abord que les personnes physiques et morales qui, volontairement ou sous la contrainte, divulguent des informations dans le cadre de la mise en œuvre du règlement no 1/2003 sont légitimement en droit d’attendre qu’elle ne divulgue pas les documents en cause et que ces derniers ne soient utilisés qu’aux fins de la procédure en matière de concurrence, y compris dans le cadre du contrôle opéré par le juge de l’Union. Elle renvoie également aux dispositions du règlement no 1/2003 excluant la divulgation des informations, couvertes par le secret professionnel, que la Commission a pu recueillir en application dudit règlement. Dans l’hypothèse où la Commission tromperait la confiance des entreprises concernées en divulguant les documents demandés, la disposition desdites entreprises à coopérer avec elle diminuerait, au point qu’elle ne pourrait plus correctement remplir sa mission de mise en œuvre du droit de la concurrence. Enfin, la Commission indique expressément que « [l]a motivation qui précède vaut pour les cinq types de documents cités [dans le point 2 de la décision attaquée] ».

71      Il ressort également d’une analyse des points de la décision attaquée consacrés aux différentes catégories de documents que le raisonnement retenu par la Commission est en substance largement identique pour chacune des catégories 1, 2, 4 et 5, sous a).

72      En effet, la Commission s’est essentiellement fondée, pour chacune de ces catégories, sur la considération selon laquelle la divulgation des documents rendrait publiques les informations données par les demandeurs de clémence ainsi que par les destinataires de demandes de renseignements, ce qui faciliterait l’introduction de recours en dommages et intérêts contre les entreprises ayant coopéré ou répondu à des demandes de renseignements et, par voie de conséquence, dissuaderait de futurs candidats à la clémence et de futurs destinataires de demandes de renseignements de coopérer avec elle. Un tel affaiblissement de son programme de clémence et de ses enquêtes empêcherait la Commission d’accomplir de manière efficace sa tâche consistant à assurer le respect du droit de la concurrence de l’Union.

73      Plus précisément, s’agissant de la catégorie 1, la Commission a relevé le fait que les avocats observent très exactement sa pratique en matière de clémence, de sorte que ses agissements dans une affaire sont susceptibles d’avoir des répercussions sur des affaires futures. Concernant la catégorie 2, la Commission souligne que les destinataires de demandes de renseignements au titre de l’article 18 du règlement no 1/2003 pourraient réduire leurs réponses au strict minimum ou recourir à des tactiques dilatoires, la contraignant ainsi à arrêter des décisions formelles pour se procurer des informations. Pour la catégorie 4, la Commission a mis en évidence la confiance légitime des entreprises coopérant avec elle dans le fait que les informations fournies par elles ne soient divulguées que dans les limites du règlement no 1/2003. En ce qui concerne la catégorie 5, sous a), la Commission s’est bornée à indiquer, de manière très générale, que la divulgation de ces documents, « ainsi qu’[elle l’avait] déjà expliqué pour les catégories de documents [1 à 4] », menacerait l’objectif des activités d’enquête, sans proposer de raisonnement autonome se rapportant au contenu spécifique des documents relevant de ladite catégorie.

74      Au regard des justifications données par la Commission pour refuser l’accès aux documents relevant des catégories 1, 2, 4 et 5, sous a), il n’existe donc pas de réelle différence entre le contenu des documents relevant respectivement de ces catégories, de sorte que la division en catégories ne remplit aucune fonction utile dans le cadre de la décision attaquée.

75      La Commission a certes affirmé, à la suite d’une question du Tribunal lors de l’audience, que, si le refus de divulgation qu’elle avait opposé était fondé sur quelques principes juridiques essentiels, les explications fournies dans la décision attaquée démontraient qu’elle avait tenu compte des particularités des documents relevant des différentes catégories. Force est de constater, toutefois, que les raisons invoquées pour les catégories 1, 2, 4 et 5, sous a), résumées au point 73 ci-dessus, sont largement interchangeables et susceptibles de s’appliquer de manière égale à chacune des catégories de documents.

76      La division en catégories opérée par la Commission était donc, s’agissant des catégories 1, 2, 4 et 5, sous a), artificielle. Elle ne répondait pas à de réelles différences s’agissant du contenu des documents relevant des différentes catégories. Il s’ensuit que les conditions visées au point 64 ci-dessus pour dispenser la Commission d’un examen concret et individuel de chaque document n’étaient pas remplies, de sorte que la Commission était tenue d’examiner individuellement chacun des documents repris dans ces catégories.

77      En revanche, s’agissant de la catégorie 3, relative aux documents saisis lors des inspections effectuées dans les locaux commerciaux des entreprises concernées, la Commission invoque, de manière spécifique, la confiance légitime des entreprises dans le fait que les documents qu’elle s’est procurés dans l’exercice de ses compétences ne sont pas rendus publics, mais sont utilisés exclusivement aux fins de la procédure en matière de concurrence. Il convient de rappeler, à cet égard, que les documents relevant de la catégorie 3 se distinguent des documents relevant des autres catégories par les circonstances de leur obtention par la Commission, à savoir le fait qu’ils ont été recueillis, conformément à l’article 20, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1/2003, contre le gré des entreprises en cause, lors des inspections inopinées effectuées par la Commission, alors que tous les autres documents, pour autant qu’ils n’émanent pas de la Commission elle-même, soit ont été fournis volontairement par les entreprises, soit, dans la mesure où elles étaient légalement tenues de donner des renseignements, ont pu être fournis après mûre réflexion et, le cas échéant, en ayant recours à des conseils juridiques. Compte tenu de cet élément de remise forcée des documents relevant de la catégorie 3, la confiance que les entreprises en cause pouvaient, le cas échéant, nourrir dans le fait que les documents saisis allaient être exclusivement utilisés dans le cadre de l’enquête menée par la Commission, au titre de l’article 81 CE, différait par sa nature de celle, invoquée par la Commission pour les documents relevant de la catégorie 4, qu’elles pouvaient prétendument nourrir dans le fait que des documents fournis volontairement n’allaient pas être divulgués, et ce quand bien même cette confiance pourrait se rattacher, dans les deux cas, aux dispositions de l’article 28 du règlement no 1/2003. La justification donnée par la Commission s’agissant des documents relevant de la catégorie 3 repose donc sur des critères spécifiques à prendre en compte pour décider de l’éventuelle divulgation des documents en cause.

78      Il y a lieu de conclure de ce qui précède que la catégorie 3 était la seule catégorie de documents définie par la Commission qui, au regard du raisonnement proposé dans la décision attaquée, présentait une utilité dans le cadre de l’examen de la demande d’accès. Cette conclusion ne saurait toutefois préjuger l’examen du bien-fondé des motifs invoqués par la Commission pour justifier le refus de divulgation des documents relevant de ladite catégorie.

79      Par conséquent, la Commission ne pouvait pas se dispenser, dans le point 3 de la décision attaquée consacré à l’exception tirée de la protection des objectifs des activités d’enquête, d’un examen concret et individuel des documents relevant des catégories 1, 2, 4 et 5, sous a).

–       Sur l’examen, dans le point 4 de la décision attaquée, de l’exception tirée de la protection des intérêts commerciaux

80      Il convient de relever, tout d’abord, que, si, dans le point 4 de la décision attaquée, consacré à l’exception tirée de la protection des intérêts commerciaux, la Commission constate que l’accès aux documents des catégories 1 à 4 doit être refusé sur le fondement de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001, elle ne mentionne pas les documents relevant de la catégorie 5. La Commission doit donc être regardée comme n’invoquant pas ladite exception s’agissant de ces derniers documents.

81      Par ailleurs, le raisonnement retenu par la Commission dans le point 4 de la décision attaquée n’est pas organisé en fonction des catégories de documents telles que définies dans le point 2 de cette décision. En effet, il distingue deux groupes de documents, à savoir, premièrement, les « documents émanant des entreprises concernées » et, deuxièmement, les « documents de la Commission ».

82      Or, à l’instar de la division en catégories opérée aux fins de l’application de l’exception tirée de la protection des objectifs des activités d’enquête (voir points 70 à 76 ci-dessus), cette distinction est artificielle, le raisonnement employé pour justifier le refus de divulgation étant en fait le même pour les deux groupes de documents.

83      Ainsi, après avoir expliqué que les documents émanant des entreprises concernées « renferment des informations commerciales sensibles de diverse nature » et des « données détaillées sur l’activité commerciale et le comportement sur le marché » des entreprises en cause, informations que ces dernières auraient un intérêt légitime à protéger des tiers désireux de se les procurer, la Commission poursuit en affirmant que « [l]a motivation exposée ci-dessus relative aux documents émanant des entreprises concernées vaut aussi, de la même façon, pour [s]es documents ».

84      Sous couvert d’une analyse par groupes de documents, le raisonnement de la Commission est donc général et s’applique à la totalité des documents relevant des catégories 1 à 4, en violation de son obligation, découlant de la jurisprudence citée au point 40 ci-dessus, de fournir des explications quant à la question de savoir comment l’accès à chaque document dont la divulgation a été demandée pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à la protection des intérêts commerciaux.

85      Par conséquent, la Commission n’avait pas le droit de se dispenser, dans le point 4 de la décision attaquée consacré à l’exception tirée de la protection des intérêts commerciaux, d’un examen concret et individuel des documents demandés relevant des catégories 1 à 4.

–       Sur l’examen, dans le point 3 de la décision attaquée, de l’exception tirée de la protection du processus décisionnel de la Commission

86      Comme il a été mentionné au point 9 ci-dessus, la Commission a invoqué l’exception visée à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, tirée de la protection de son processus décisionnel, à l’égard des seuls documents relevant de la catégorie 5, sous a).

87      Aux termes de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, « l’accès à un document contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de l’institution concernée est refusé même après que la décision a été prise, dans le cas où la divulgation du document porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé ».

88      Premièrement, il découle implicitement du point 3.2.5 de la décision attaquée et explicitement de la réponse de la Commission du 9 novembre 2011 aux questions écrites du Tribunal que cette dernière considère que tous les documents relevant de la catégorie 5, sous a), contiennent des avis destinés à l’utilisation interne, au sens de cette disposition.

89      Deuxièmement, ainsi qu’il a été souligné aux points 64 et 65 ci-dessus, ce n’est que dans l’hypothèse où une exception au droit d’accès couvre manifestement et intégralement les documents relevant d’une catégorie que l’institution peut se dispenser d’un examen individuel de ces documents.

90      Or, en l’espèce, rien ne permet de supposer que tous les documents relevant de la catégorie 5, sous a), sont manifestement et intégralement couverts par ladite exception. Au contraire, étant donné la nature des documents figurant dans les trois sous-catégories de la catégorie 5, sous a), telles que définies par la Commission dans le point 2 de la décision attaquée et telles que précisées dans sa réponse du 9 novembre 2011 aux questions écrites du Tribunal, tout porte à croire qu’un grand nombre de ces documents contient des passages ne constituant pas des avis au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001. Cela concerne, notamment, les intitulés de ces documents, leurs parties introductives et les lettres de couverture accompagnant leur communication aux différents destinataires.

91      Par conséquent, il convient de constater que la Commission n’avait pas le droit de se dispenser, dans le passage du point 3 de la décision attaquée consacré à l’exception tirée de la protection de son processus décisionnel, d’un examen concret et individuel des documents relevant de la catégorie 5, sous a), et ce sans qu’il y ait lieu, à ce stade de l’examen, d’examiner la question de savoir si elle a démontré, à suffisance de droit, que tous les documents relevant de la catégorie 5, sous a), contenaient des avis, au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001.

92      Il s’ensuit que, pour se dispenser d’un examen concret et individuel des documents demandés, la Commission ne pouvait se prévaloir d’un examen groupé que par rapport aux documents relevant de la catégorie 3.

 Sur l’exception invoquée dans le mémoire en défense de la Commission, tirée d’une charge de travail exceptionnelle et déraisonnable

93      Ainsi qu’il a été constaté aux points 50 à 52 ci-dessus, cette exception ne saurait justifier l’absence d’examen concret et individuel des documents demandés puisqu’elle n’est pas mentionnée dans la décision attaquée. Toutefois, il apparaît opportun d’examiner, à titre surabondant, le bien-fondé de cet argument.

94      La Commission a fait valoir, au point 103 de son mémoire en défense, qu’elle avait attiré l’attention de la requérante sur le volume du dossier et la charge de travail que sa demande entraînait, sans que la requérante ait pour autant suffisamment précisé sa demande. En même temps, elle a fait référence à la jurisprudence du Tribunal selon laquelle, dans des circonstances exceptionnelles, le volume de travail représenté par l’examen concret et individuel d’un grand nombre de documents peut justifier de rechercher un « arrangement équitable » avec le demandeur, afin de concilier les intérêts du demandeur et ceux d’une bonne administration (arrêt du Tribunal du 19 juillet 1999, Hautala/Conseil, T‑14/98, Rec. p. II‑2489, point 86, et arrêt VKI, point 28 supra, points 101 à 103).

95      Or, en l’espèce, la Commission ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir de cette jurisprudence pour justifier l’absence, dans la décision attaquée, d’un examen concret et individuel des documents demandés.

96      Premièrement, contrairement à ce qu’affirme la Commission, il ressort du dossier que la requérante a réagi favorablement à sa proposition de limiter sa demande d’accès. En effet, la requérante a produit, en annexe à sa requête, une télécopie du 11 janvier 2008 dans laquelle elle fait suite à un entretien téléphonique avec la Commission datant du jour précédent. Dans cette télécopie, la requérante limite sa demande d’accès « afin de limiter le plus possible la charge de travail de la direction générale de la concurrence », en renonçant à trois catégories de documents, à savoir tous les documents se rapportant exclusivement à la structure des entreprises impliquées, tous les documents intéressant exclusivement l’identification du destinataire de la décision AIG et tous les documents intégralement rédigés en langue japonaise.

97      Dans ce contexte, il convient de rejeter l’argument que la Commission tire d’un échange de courriers électroniques datant du mois de janvier 2008 et qui démontre, selon elle, que, malgré ses demandes répétées, réitérées par courrier électronique du 22 janvier 2008, la requérante n’a pas précisé sa demande d’accès. En effet, l’échange en cause débute par un courrier électronique du 18 janvier 2008 dans lequel la requérante exprime son mécontentement à l’égard du fait que la Commission n’a pas répondu à sa demande initiale du 13 décembre 2007 dans le délai de quinze jours ouvrables prévu par le règlement no 1049/2001. Il ressort de la réponse de la Commission du 22 janvier 2008 (10 h 24), ainsi que de la réplique de la requérante du même jour (11 h 51), que la Commission n’avait pas, à ce stade, tenu compte de la télécopie de la requérante du 11 janvier 2008, dans laquelle cette dernière a limité sa demande initiale, alors que la requérante disposait d’un rapport de transmission correct pour cette télécopie. L’échange se termine avec un autre courrier électronique de la Commission du 22 janvier 2008 (16 h 57), prenant acte de la volonté de la requérante de coopérer ainsi que de la réception de la limitation de la demande d’accès.

98      Dès lors, si la Commission a bien rappelé à la requérante, au cours de cet échange de courriers électroniques, son engagement de limiter sa demande, ce rappel était dû au fait qu’elle n’avait pas tenu compte d’une télécopie antérieure par laquelle une telle limitation avait été effectuée, comme elle l’a elle-même reconnu dans le courrier électronique clôturant l’échange. Dans ces circonstances, la Commission n’est pas fondée à faire valoir que la requérante n’a pas réagi à son invitation faite le 22 janvier 2008 de préciser sa demande.

99      En outre, la lettre de la Commission du 30 janvier 2008, portant rejet de la demande initiale, prend acte, dans son point 1, de la limitation de la demande d’accès, sans faire valoir qu’elle serait insuffisante au regard de la réduction de sa charge de travail.

100    Deuxièmement, la Commission n’a avancé aucun argument susceptible de démontrer que l’ampleur de la charge de travail générée par un examen concret et individuel des documents demandés était à tel point exceptionnelle qu’elle justifiait le refus d’un tel examen. Le Tribunal a constaté, à cet égard, que, dans la mesure où le droit à l’accès des documents détenus par les institutions constitue une solution de principe, c’est sur l’institution qui se prévaut d’une exception liée au caractère déraisonnable de la tâche requise par la demande que repose la charge de la preuve de son ampleur (arrêt VKI, point 28 supra, point 113).

101    Quant à la charge de travail nécessaire pour traiter une demande, sa prise en compte n’est en principe pas pertinente pour moduler l’étendue du droit d’accès, dès lors que le règlement no 1049/2001 a expressément prévu la possibilité qu’une demande d’accès puisse concerner un très grand nombre de documents, puisque son article 7, paragraphe 3, et son article 8, paragraphe 2, disposent que les délais de traitement respectifs des demandes initiales et des demandes confirmatives peuvent être prorogés à titre exceptionnel, par exemple lorsque la demande porte sur un document très long ou sur un très grand nombre de documents (arrêt VKI, point 28 supra, points 108 et 110).

102    Par ailleurs, la charge de travail nécessaire pour procéder à l’examen d’une demande dépend non seulement du nombre de documents visés dans la demande et de leur volume, mais également de leur nature. Par conséquent, la nécessité de procéder à un examen concret et individuel de très nombreux documents ne préjuge nullement, à elle seule, la charge de travail nécessaire pour traiter une demande d’accès, puisque ladite charge de travail dépend également de la profondeur requise de cet examen (arrêt VKI, point 28 supra, point 111).

103    En conséquence, c’est à titre exceptionnel et uniquement lorsque la charge administrative provoquée par l’examen concret et individuel des documents se révélerait particulièrement lourde, dépassant ainsi les limites de ce qui peut être raisonnablement exigé, qu’une dérogation à cette obligation d’examen peut être admise (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 7 février 2002, Kuijer/Conseil, T‑211/00, Rec. p. II‑485, point 57, et arrêt VKI, point 28 supra, point 112).

104    Or, en l’espèce, la Commission n’a pas démontré, ni même fait valoir, préalablement à la procédure devant le Tribunal, que de telles circonstances exceptionnelles étaient réunies. Il est vrai qu’elle a mentionné, dans la partie introductive de la décision attaquée, un courrier du 10 avril 2008 dans lequel elle avait informé la requérante que, compte tenu de l’ampleur du dossier qui comportait plus de 1 900 documents, elle n’était pas en mesure de traiter la demande d’accès dans le délai prévu par le règlement no 1049/2001. Elle a donc fait usage de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001 pour proroger le délai de réponse à la demande confirmative d’accès. Toutefois, la Commission n’a pas fait valoir, à ce stade, qu’il ne serait pas possible, en raison de l’ampleur de la charge de travail générée, de procéder à un examen concret et individuel des documents. Il convient d’en conclure, a contrario, qu’elle ne considérait pas elle-même que cette charge de travail était déraisonnable.

105    Troisièmement, il convient de rappeler que, lorsque l’institution a apporté la preuve du caractère déraisonnable de la charge administrative requise par l’examen concret et individuel des documents visés dans la demande, elle est dans l’obligation d’essayer de se concerter avec le demandeur afin, d’une part, de prendre connaissance ou de lui faire préciser son intérêt à l’obtention des documents en cause et, d’autre part, d’envisager concrètement les options qui se présentent à elle pour l’adoption d’une mesure moins contraignante qu’un examen concret et individuel des documents. Dès lors que le droit d’accès aux documents représente le principe, l’institution reste néanmoins tenue, dans ce contexte, de privilégier l’option qui, tout en ne constituant pas elle-même une tâche dépassant les limites de ce qui peut être raisonnablement exigé, reste la plus favorable au droit d’accès du demandeur (arrêt VKI, point 28 supra, point 114).

106    Il en résulte que l’institution ne peut se dispenser de tout examen concret et individuel qu’après avoir réellement étudié toutes les autres options envisageables et expliqué de façon circonstanciée, dans sa décision, les raisons pour lesquelles ces diverses options impliquent, elles aussi, une charge de travail déraisonnable (arrêt VKI, point 28 supra, point 115).

107    Or, en l’espèce, il ne ressort pas des motifs de la décision attaquée que la Commission ait apprécié, de façon concrète, précise et circonstanciée, d’une part, les autres options envisageables pour limiter sa charge de travail et, d’autre part, les raisons qui pouvaient lui permettre de se dispenser de tout examen concret et individuel plutôt que d’adopter, le cas échéant, une mesure moins restrictive pour le droit d’accès de la requérante. En particulier, il ne ressort pas de la décision attaquée que la Commission ait évalué la charge de travail consistant à identifier puis à examiner, de façon individuelle et concrète, les quelques documents qui seraient les plus susceptibles de satisfaire immédiatement et, le cas échéant, partiellement, dans un premier temps, les intérêts de la requérante.

108    Par conséquent, la Commission n’a pas rempli les conditions posées par la jurisprudence VKI/Commission pour pouvoir se dispenser d’un examen concret et individuel des documents demandés, en raison de la charge de travail générée par un tel examen.

109    Il résulte des constatations qui précèdent que la Commission pouvait procéder à un examen par catégories, s’agissant uniquement de l’exception tirée de la protection des objectifs des activités d’enquête, concernant les seuls documents relevant de la catégorie 3, à savoir les documents obtenus lors des inspections (voir point 77 ci-dessus). À cet égard, la Commission pouvait donc se dispenser d’un examen concret et individuel des documents demandés. Cette constatation ne préjuge toutefois pas la question de savoir si elle pouvait à bon droit fonder le refus d’accès à ces documents sur ladite exception, question qui est examinée aux points 113 et suivants ci-dessous.

110    En revanche, pour tous les autres documents demandés et pour toutes les autres exceptions invoquées par la Commission, celle-ci devait procéder à un examen concret et individuel. Dans la mesure où la Commission n’a pas procédé à un tel examen, la décision attaquée est donc illégale, en raison de la violation de l’obligation de procéder à un examen concret et individuel des documents visés par la demande :

–        pour autant qu’elle concerne l’application de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, s’agissant des documents relevant des catégories 1, 2, 4 et 5, sous a) ;

–        pour autant qu’elle concerne l’application de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001, s’agissant des documents relevant des catégories 1 à 4 ;

–        pour autant qu’elle concerne l’application de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, s’agissant des documents relevant de la catégorie 5, sous a).

111    Dès lors, il y a lieu d’annuler la décision attaquée dans la mesure où l’accès aux documents relevant des catégories 1, 2, 4 et 5, sous a), y est refusé.

112    Pour autant que les documents autres que ceux relevant de la catégorie 3 sont concernés, l’examen, figurant ci-après, du bien-fondé des exceptions au droit d’accès, invoquées dans la décision attaquée, n’est donc fait qu’à titre surérogatoire.

b)     Sur la première branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001

113    La requérante, soutenue par le Royaume de Suède, estime que la divulgation des documents auxquels elle sollicite l’accès n’aura pour conséquence ni la mise en péril d’enquêtes en cours ni celle d’enquêtes futures. S’agissant de l’enquête dans l’affaire COMP/F/38.899, la requérante considère qu’elle s’est achevée par la décision AIG. Une éventuelle reprise de l’enquête à la suite d’une annulation par le juge de l’Union constituerait une nouvelle procédure. S’agissant des enquêtes futures, la requérante estime que le raisonnement de la Commission revient à créer un nouveau motif dérogatoire qui ne trouve aucun soutien dans le libellé de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001 et qui supprime tout effet utile du droit d’accès.

114    La Commission, soutenue par les intervenantes ABB et Siemens, soutient que la nécessité de protéger l’objectif de la procédure suivie dans l’affaire COMP/F/38.899 subsiste jusqu’à ce que la décision AIG ne soit plus susceptible de recours. De plus, selon elle, le champ d’application de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 s’étend, d’une manière générale, à la protection de sa mission constante consistant à appliquer le droit de la concurrence et, notamment, à la protection de son programme de clémence. Or, une divulgation des documents communiqués par les entreprises dans le cadre d’une demande de clémence serait susceptible de les dissuader, dans le futur, de coopérer volontairement avec elle.

115    En l’espèce, la Commission a refusé de communiquer à la requérante des documents afférents à une procédure en matière de concurrence, en invoquant notamment l’exception au droit d’accès prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, tirée de la protection des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit. Il n’est pas contesté par les parties que les documents demandés relèvent d’une « activité d’enquête » au sens de ladite disposition. Toutefois, la requérante fait valoir que, dès lors que les activités d’enquête de la Commission sont terminées, l’exception tirée de leur protection ne trouve plus à s’appliquer.

116    En premier lieu, il convient de rappeler, à cet égard, que, ainsi qu’il résulte de la formulation de l’exception visée à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, celle-ci ne vise pas à protéger les activités d’enquête en tant que telles, mais l’objectif de ces activités, qui consiste, dans le cas d’une procédure en matière de concurrence, à vérifier si une infraction à l’article 81 CE a été commise et, le cas échéant, à sanctionner les sociétés responsables. C’est pour cette raison que les pièces du dossier afférentes aux différents actes d’enquête peuvent rester couvertes par l’exception en cause tant que cet objectif n’a pas été atteint, même si l’enquête ou l’inspection particulière ayant donné lieu au document auquel l’accès est demandé est terminée (arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, API/Commission, T‑36/04, Rec. p. II‑3201, point 133 ; voir, par analogie, arrêts du Tribunal du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission, T‑391/03 et T‑70/04, Rec. p. II‑2023, point 110, et, s’agissant de l’application du code de conduite de 1993, du 13 septembre 2000, Denkavit Nederland/Commission, T‑20/99, Rec. p. II‑3011, point 48).

117    Or, en l’espèce, à la date de l’adoption de la décision attaquée, la Commission avait déjà adopté, depuis presque 17 mois, la décision AIG, constatant les infractions reprochées par la Commission aux entreprises concernées et mettant ainsi fin à la procédure COMP/F/38.899. Il ne saurait donc être contesté que, à cette date, aucune activité d’enquête, visant à prouver l’existence des infractions en cause et qui aurait pu être mise en péril par la divulgation des documents demandés, n’était en cours.

118    Il est vrai que, à la date de l’adoption de la décision attaquée, des recours contre la décision AIG étaient pendants devant le Tribunal, de sorte que, dans l’hypothèse de l’annulation de cette dernière, la procédure était susceptible d’être rouverte. Cette situation n’a pas changé avec le prononcé des arrêts dans les affaires en cause, puisque plusieurs pourvois sont actuellement pendants devant la Cour contre ces arrêts.

119    Toutefois, il convient de considérer les activités d’enquête dans une affaire concrète comme achevées avec l’adoption de la décision finale, sans égard pour une éventuelle annulation ultérieure de celle-ci par les juridictions, puisque c’est à ce moment que l’institution en cause a elle-même considéré la procédure comme aboutie.

120    En effet, admettre que les différents documents ayant trait à des activités d’enquête sont couverts par l’exception de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 tant que toutes les suites possibles de la procédure en cause ne sont pas arrêtées, même dans le cas où un recours menant éventuellement à la réouverture de la procédure devant la Commission est introduit devant le Tribunal, reviendrait à soumettre l’accès auxdits documents à des événements aléatoires, à savoir le résultat dudit recours et les conséquences que la Commission pourrait en tirer. En tout état de cause, il s’agirait d’événements futurs et incertains, dépendant des décisions des sociétés destinataires de la décision sanctionnant une entente et de celles des différentes autorités concernées.

121    Une telle solution se heurterait à l’objectif consistant à garantir au public l’accès le plus large possible aux documents émanant des institutions, dans le but de donner aux citoyens la possibilité de contrôler d’une manière plus effective la légalité de l’exercice du pouvoir public (arrêt API/Commission, point 116 supra, point 140 ; voir, en ce sens, arrêt Franchet et Byk/Commission, point 116 supra, point 112).

122    Il s’ensuit que la divulgation des documents demandés n’était pas susceptible de porter atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête s’agissant de la procédure devant la Commission relative à l’entente sur les AIG.

123    En second lieu, la constatation exposée au point précédent ne saurait être remise en cause par l’argument de la Commission selon lequel la notion d’« objectifs des activités d’enquête » a une portée plus générale, de manière à englober l’ensemble de la politique de la Commission en matière de répression et de prévention des ententes.

124    Selon la Commission, en substance, la notion d’« enquêtes » ne saurait être limitée, dans le domaine des ententes, à la procédure précédant une décision d’interdiction, mais doit être considérée comme une partie intégrante de la mission régulière et constante de la Commission consistant à appliquer le droit de la concurrence de l’Union. Dès lors, l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 s’appliquerait au-delà de l’achèvement d’une procédure déterminée. Étant donné que, dans la procédure de répression des ententes, la Commission est tributaire de la coopération des entreprises concernées, elle estime que, en l’absence de confidentialité des documents que ces dernières lui communiquent, lesdites entreprises seraient moins incitées à déposer des demandes de clémence et s’en tiendraient également au strict minimum pour la communication de toute autre information, notamment dans le cadre de demandes de renseignements et d’inspections. La protection de la confidentialité serait donc une condition de la poursuite effective des infractions au droit de la concurrence et, de ce fait, un élément essentiel de la politique de concurrence de la Commission.

125    Toutefois, l’acceptation de l’interprétation proposée par la Commission reviendrait à permettre à cette dernière de soustraire à l’application du règlement no 1049/2001, sans limite temporelle, la totalité de son activité en matière de concurrence, par la simple référence à une possible future atteinte à son programme de clémence. Il convient de tenir compte, à cet égard, du fait que les conséquences que la Commission redoute pour son programme de clémence dépendent de plusieurs facteurs incertains, dont, notamment, l’usage que les parties lésées par une entente feront des documents obtenus, le degré de succès des éventuelles actions en dommages et intérêts intentées par elles, les montants qui leur seront alloués par les tribunaux nationaux ainsi que les réactions futures des entreprises participant à des ententes.

126    Il y a lieu de constater qu’une interprétation aussi large de la notion d’« activités d’enquête » est inconciliable avec le principe selon lequel, en raison de l’objectif du règlement no 1049/2001 visant, conformément à son considérant 4, « à conférer le plus large effet possible au droit d’accès du public aux documents », les exceptions visées à l’article 4 de ce règlement doivent être interprétées et appliquées strictement (voir la jurisprudence citée au point 41 ci-dessus).

127    Il convient de souligner, à cet égard, que rien dans le règlement no 1049/2001 ne permet de supposer que la politique de concurrence de l’Union devrait bénéficier, dans le cadre de l’application de ce règlement, d’un traitement différent par rapport à d’autres politiques de l’Union. Il n’y a donc aucune raison d’interpréter la notion d’« objectifs des activités d’enquête » d’une manière différente dans le cadre de la politique de concurrence par rapport à d’autres politiques de l’Union.

128    En outre, il convient de rappeler que les programmes de clémence et de coopération dont la Commission cherche à protéger l’efficacité ne sont pas les seuls moyens pour garantir le respect des règles de concurrence de l’Union. En effet, les actions en dommages et intérêts, devant les juridictions nationales, sont susceptibles de contribuer substantiellement au maintien d’une concurrence effective dans l’Union (arrêt de la Cour du 20 septembre 2001, Courage et Crehan, C‑453/99, Rec. p. I‑6297, point 27).

129    Il résulte de ce qui précède que la Commission a commis une erreur de droit en considérant, dans la décision attaquée, que l’exception au droit d’accès aux documents visée à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 était applicable en l’espèce. En particulier, elle ne pouvait donc pas refuser l’accès aux documents relevant de la catégorie 3 en se fondant sur cette exception.

130    Par conséquent, il convient de faire droit à la première branche du premier moyen soulevé par la requérante, pour les documents relevant des catégories 1, 2, 3, 4 et 5, sous a).

c)     Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001

131    Premièrement, la requérante, soutenue par le Royaume de Suède, fait valoir, en substance, que, en raison de leur ancienneté, les données figurant dans les documents faisant partie du dossier demandé ne sont plus susceptibles de menacer les intérêts commerciaux des entreprises concernées. Deuxièmement, elle considère que l’intérêt des membres de l’entente à ce que les documents du dossier soient gardés secrets n’est objectivement pas digne de protection. Troisièmement, les membres de l’entente ne bénéficieraient pas d’une confiance légitime dans l’absence de divulgation des documents en cause.

132    La Commission, soutenue par ABB et par Siemens, fait valoir, en substance, que la notion de « protection des intérêts commerciaux » doit recevoir une interprétation large. Selon elle, un examen du caractère confidentiel a déjà été effectué dans le cadre de l’accès au dossier des parties concernées par l’enquête en matière de concurrence, de sorte qu’un nouvel examen concret et exhaustif ne serait pas nécessaire. En outre, le caractère sensible des données commerciales ne saurait être apprécié en fonction de leur seule ancienneté. Par ailleurs, le règlement no 1/2003, qui énoncerait de manière exhaustive les sanctions de droit public qui peuvent être infligées à une entreprise ayant participé à une entente, ne prévoirait pas l’abolition des droits en ce qui concerne la protection des intérêts commerciaux de ces entreprises.

133    Conformément à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001, l’accès à un document est refusé par les institutions dès lors que sa divulgation porterait atteinte à la protection des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

134    Il convient de relever que, si la jurisprudence n’a pas défini le concept d’« intérêts commerciaux », il n’en demeure pas moins que le Tribunal a précisé que toute information relative à une société et à ses relations d’affaires ne saurait être considérée comme relevant de la protection qui doit être garantie aux intérêts commerciaux conformément à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001, sauf à tenir en échec l’application du principe général consistant à conférer au public le plus large accès possible aux documents détenus par les institutions (arrêt du Tribunal du 30 janvier 2008, Terezakis/Commission, T‑380/04, non publié au Recueil, point 93).

135    Il y a donc lieu d’examiner si la Commission a commis une erreur en considérant que les documents appartenant aux catégories 1 à 4 relevaient de la notion d’« intérêts commerciaux », au sens de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001.

136    La requérante ne conteste pas, d’une manière générale, que les documents demandés puissent contenir des informations concernant les relations d’affaires des sociétés ayant participé à l’entente sur les AIG, les prix de leurs produits, la structure de leurs coûts, leurs parts de marché ou des éléments semblables.

137    Toutefois, s’agissant du premier argument de la requérante, relatif à l’ancienneté des informations, il convient de relever que, au point 23 de la communication de la Commission relative aux règles d’accès au dossier de la Commission dans les affaires relevant des articles 81 [CE] et 82 [CE], des articles 53, 54 et 57 de l’accord EEE et du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil (JO 2005, C 325, p. 7, ci-après la « communication relative aux règles d’accès au dossier dans des affaires de concurrence »), la Commission a elle-même estimé que « [l]es informations qui ont perdu leur importance commerciale, par exemple en raison du temps qui a passé, ne peuvent plus être considérées comme confidentielles » et que, « [e]n règle générale, [elle] suppose que les informations relatives au chiffre d’affaires, aux ventes, aux parts de marché des parties et autres données similaires datant de plus de cinq ans ne sont plus confidentielles ».

138    Cette communication de la Commission ne saurait certes lier le Tribunal dans son interprétation du règlement no 1049/2001. En effet, elle précise, en son point 2, que le droit d’accès au dossier tel qu’il est défini dans le cadre de ladite communication se distingue du droit général d’accès aux documents établi par le règlement no 1049/2001, lequel se trouve soumis à des critères et exceptions différents. De plus, le point 23 de la communication relative aux règles d’accès au dossier dans des affaires de concurrence concerne la notion de « confidentialité » et non celle d’« intérêts commerciaux » visée à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001. En conséquence, la notion d’« intérêts commerciaux » ne saurait être appréhendée qu’au regard dudit règlement. Néanmoins, ledit point 23 est susceptible de fournir un indice sur le contenu qu’il convient d’attribuer à cette dernière notion, selon la Commission.

139    En effet, puisque la Commission a recouru, pour interpréter la notion de « confidentialité », à la notion d’« importance commerciale », qui est à son tour proche de celle d’« intérêts commerciaux », il peut en être déduit que, à son avis, le degré de confidentialité d’un document ou d’une information dépend de l’importance des conséquences négatives que la société en cause aurait à craindre en cas de divulgation de ce document ou de cette information. Dès lors, le point 23 de la communication relative aux règles d’accès au dossier dans des affaires de concurrence fournit un indice sur la pondération des intérêts qu’il convient d’appliquer, selon la Commission elle-même, dans des situations dans lesquelles des informations relatives aux activités commerciales d’une société sont susceptibles d’êtres divulguées à d’autres opérateurs économiques dont les intérêts peuvent être contraires à ceux de la société en cause, comme c’est précisément le cas en l’espèce. À cet égard, les conséquences négatives susceptibles de découler de la divulgation d’une information commercialement sensible sont d’autant moins importantes que l’information en cause est ancienne (voir, en ce sens, ordonnances du Tribunal du 15 novembre 1990, Rhône-Poulenc e.a./Commission, T‑1/89 à T‑4/89 et T‑6/89 à T‑15/89, Rec. p. II-637, point 23, et du 19 juin 1996, NMH Stahlwerke e.a./Commission, T‑134/94, T‑136/94 à T‑138/94, T‑141/94, T‑145/94, T‑147/94, T‑148/94, T‑151/94, T‑156/94 et T‑157/94, Rec. p. II‑537, points 24 et 32).

140    Or, à la date de l’adoption de la décision attaquée, le 16 juin 2008, la plupart des informations commercialement sensibles contenues dans les documents demandés dataient de bien plus de cinq ans. En effet, comme la requérante le souligne, l’entente sur les AIG ayant été active du 15 avril 1988 jusqu’au 11 mai 2004, seules les informations relatives aux années 2003 et 2004 n’avaient pas encore dépassé une ancienneté de cinq ans lors de l’adoption de la décision attaquée.

141    La Commission fait valoir que la jurisprudence du Tribunal citée au point 139 ci-dessus concernait la notion de « secret d’affaires » et non celle, bien plus large, d’« intérêts commerciaux », et que la limite de cinq ans énoncée au point 23 de la communication relative aux règles d’accès au dossier dans des affaires de concurrence n’est pas une règle contraignante, mais, tout au plus, une « règle empirique ». Par ailleurs, elle cite des exemples de jurisprudence dans lesquels des données ont été considérées comme dignes de protection après cette période.

142    À cet égard, il convient de relever que, comme le fait valoir à juste titre la Commission, il ne saurait être question d’appliquer une règle stricte selon laquelle toute information relative à des faits d’une certaine ancienneté devrait être considérée comme n’affectant plus les intérêts commerciaux de la société à laquelle elle se rapporte. Toutefois, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 139 ci‑dessus, le fait que les informations en question ont acquis une certaine ancienneté augmente la probabilité que les intérêts commerciaux des sociétés concernées ne seront plus affectés dans une mesure justifiant l’application d’une exception au principe de transparence exprimé dans le règlement no 1049/2001. Par conséquent et tenant compte du fait que, en l’occurrence, les informations relatives aux activités commerciales des sociétés en cause couvraient une période de seize ans (de 1988 à 2004), il y a lieu de considérer que la Commission avait en tout état de cause l’obligation de procéder à un examen concret et individuel des documents demandés au regard de l’exception tirée de la protection des intérêts commerciaux et ne pouvait se limiter à des appréciations générales couvrant la totalité des documents relevant des catégories 1 à 4. Puisqu’elle n’a pas procédé à un tel examen, elle n’a pas démontré à suffisance de droit que la divulgation des documents demandés aurait porté atteinte à la protection des intérêts commerciaux de personnes morales déterminées.

143    Dans ce contexte, il convient de rejeter l’argument de la Commission selon lequel, compte tenu du fait que, dans le cadre de la publication de la version non confidentielle de la décision AIG ainsi que dans le cadre de l’octroi de l’accès au dossier pendant la procédure, les informations confidentielles contenues dans le dossier COMP/F/38.899 auraient déjà fait l’objet d’un examen destiné à vérifier si elles étaient dignes de protection, il n’était pas nécessaire qu’elle effectue un nouvel examen concret et exhaustif des divers documents.

144    En effet, premièrement, cet argument procède d’une confusion entre différentes dispositions régissant la confidentialité d’informations protégées qui impliquent pourtant l’application de différents critères pour apprécier le besoin de leur protection et pour la mise en balance des intérêts militant pour et contre l’octroi d’un accès. La Commission a elle-même reconnu cette dernière circonstance au point 2 de la communication relative aux règles d’accès au dossier dans des affaires de concurrence, cité au point 138 ci-dessus.

145    À titre d’exemple, l’accès à certaines pièces du dossier dont bénéficient des entreprises auxquelles la Commission a adressé une communication des griefs, en vertu de l’article 27, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, relève de l’exercice de leurs droits de la défense et, comme il a été relevé au point 60 ci-dessus, les documents obtenus à ce titre ne peuvent être utilisés qu’aux fins de procédures judiciaires ou administratives ayant pour objet l’application des articles 81 CE et 82 CE. Ainsi, les droits de la défense en tant que droits spécifiques et relevant des droits fondamentaux des entreprises en cause donnent lieu, uniquement à des fins spécifiques, à un accès à des documents spécifiques dont ne sont exclus que les documents internes de l’institution, les secrets d’affaires d’autres entreprises et les autres informations confidentielles. Au contraire, le droit d’accès du public au titre du règlement no 1049/2001, en tant que droit général, donne potentiellement lieu, sans restriction quant à l’utilisation des documents obtenus, à un accès à tous les documents en possession des institutions, cet accès étant susceptible d’être refusé pour une série de motifs énoncés à l’article 4 dudit règlement. Eu égard à ces différences, le fait que la Commission a déjà apprécié dans quelle mesure elle pouvait donner accès aux informations contenues dans le dossier COMP/F/38.899, dans le contexte de l’accès au dossier au titre des droits de la défense, ou dans quelle mesure ces informations devaient être publiées, dans le cadre de la version non confidentielle de la décision AIG, ne saurait la dispenser d’un nouvel examen de ces questions, à la lumière des conditions spécifiques liées au droit d’accès au titre du règlement no 1049/2001.

146    Deuxièmement, il résulte des considérations exposées aux points 139 à 142 ci-dessus que le simple écoulement du temps est susceptible de réduire progressivement le besoin de protection, au titre des intérêts commerciaux, des informations contenues dans le dossier COMP/F/38.899. Dès lors, le seul fait qu’une période de plus de deux ans s’était écoulée entre l’accès au dossier accordé au titre de l’article 27, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, en avril 2006, et l’adoption de la décision attaquée, le 16 juin 2008, suffisait pour que la Commission soit tenue d’effectuer un nouvel examen des exigences de confidentialité découlant de la protection des intérêts commerciaux des entreprises concernées.

147    Enfin, il convient de constater que les intérêts des entreprises ayant participé à l’entente — et, notamment, ceux des intervenantes ABB et Siemens — à l’absence de divulgation des documents demandés ne sauraient être qualifiés d’intérêts commerciaux au sens propre du terme. En effet, compte tenu notamment de l’ancienneté de la plupart des informations contenues dans le dossier en cause, l’intérêt que pourraient avoir les sociétés à l’absence de divulgation des documents demandés ne paraît pas résider dans le souci de préserver leur situation concurrentielle sur le marché des AIG sur lequel elles sont actives, mais, plutôt, dans la volonté d’éviter que ne soient introduits contre elles des recours en dommages et intérêts devant des tribunaux nationaux.

148    Or, même si le fait, pour une société, de se voir exposée à des actions en dommages et intérêts peut indubitablement avoir pour conséquence des coûts élevés, ne serait-ce qu’en termes de frais d’avocats, même dans l’hypothèse où de telles actions seraient ultérieurement rejetées comme non fondées, il n’en demeure pas moins que l’intérêt d’une société ayant participé à une entente d’éviter de telles actions ne saurait être qualifié d’intérêt commercial et, en tout état de cause, ne constitue pas un intérêt digne de protection, eu égard notamment au droit qu’a toute personne de demander réparation du préjudice que lui aurait causé un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence (arrêts de la Cour Courage et Crehan, point 128 supra, points 24 et 26, et du 13 juillet 2006, Manfredi e.a., C‑295/04 à C‑298/04, Rec. p. I‑6619, points 59 et 61).

149    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que l’accès aux documents demandés risquerait d’affecter concrètement et effectivement les intérêts commerciaux des entreprises ayant participé à l’entente.

150    Par conséquent, il y a lieu d’accueillir la deuxième branche du premier moyen de la requérante.

d)     Sur la troisième branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001

151    La requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur de droit dans la mesure où, ayant globalement exclu du droit d’accès les documents relevant de la catégorie 5, sous a), en application de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, elle a notamment refusé l’accès à des documents qui ne contenaient pas d’avis pour l’utilisation interne, au sens de cette disposition. De plus, la Commission n’aurait pas exposé en quoi la consultation de ces documents par la requérante porterait gravement atteinte à son processus décisionnel, tel qu’il est requis par ladite disposition. En effet, après l’adoption de la décision AIG, il ne serait plus concevable que la divulgation des documents internes puisse favoriser des tentatives d’influer sur les résultats de l’enquête.

152    En premier lieu, il convient de rappeler que l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001 opère une distinction claire selon qu’une procédure est clôturée ou non. Ainsi, d’une part, selon le premier alinéa de cette disposition, relève du champ d’application de l’exception visant la protection du processus décisionnel tout document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par elle et qui concerne une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision. D’autre part, le second alinéa de la même disposition prévoit que, après que la décision a été prise, l’exception en cause couvre uniquement les documents contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de l’institution concernée.

153    C’est dès lors seulement pour une partie des documents à usage interne, à savoir ceux contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de l’institution concernée, que le second alinéa dudit paragraphe 3 permet d’opposer un refus même après que la décision a été prise, lorsque la divulgation de ces documents porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution.

154    Il s’ensuit que le législateur de l’Union a considéré que, une fois la décision adoptée, les exigences de protection du processus décisionnel présentent une acuité moindre, de sorte que la divulgation de tout document autre que ceux mentionnés à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001 ne peut jamais porter atteinte audit processus et que le refus de divulgation d’un tel document ne saurait être autorisé, alors même que la divulgation de celui-ci aurait porté gravement atteinte à ce processus si elle avait eu lieu avant l’adoption de la décision en cause (arrêt de la Cour du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, Rec. p. I‑6237, points 78 à 80).

155    En l’espèce, il convient de souligner que la Commission a fondé son refus uniquement sur le second alinéa de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001 et non sur le premier alinéa de cette disposition.

156    En deuxième lieu, s’agissant de la question de savoir si la Commission a démontré, à suffisance de droit, que tous les documents relevant de la catégorie 5, sous a), contenaient des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires, au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, la Commission a soutenu, en réponse à une question écrite du Tribunal, que cette notion incluait, premièrement, tous les documents contenant ou demandant une appréciation ou un jugement de ses fonctionnaires ou de ses services, deuxièmement, tous les documents servant à préparer sa décision et, troisièmement, tous les documents servant à garantir une participation d’autres services à la procédure. Selon elle, tous les documents relevant de la catégorie V, sous a), qu’elle a identifiés, dans sa réponse du 9 novembre 2011, par leurs numéros de page dans le dossier COMP/F/38.899, correspondent à cette définition.

157    La Commission s’est fondée, à cet égard, sur la qualification, par le juge de l’Union, de certains documents demandés à la Commission dans le cadre d’autres affaires. Ainsi, selon la Commission, il ressort de la lecture de l’arrêt Suède/MyTravel et Commission, point 154 supra, et de l’arrêt du Tribunal du 9 septembre 2008, MyTravel/Commission (T‑403/05, Rec. p. II‑2027), que les juridictions de l’Union ont qualifié une note adressée par la DG « Concurrence » au comité consultatif, une note au dossier ainsi qu’un rapport portant sur les conséquences d’un arrêt et les documents relatifs à la préparation de ce rapport, de documents internes contenant des avis, au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001. De même, le Tribunal aurait considéré, dans son arrêt du 9 juin 2010, Éditions Jacob/Commission (T‑237/05, Rec. p. II‑22245), qu’une note de la DG « Concurrence » au service juridique de la Commission, demandant un avis sur l’application d’une disposition légale, et une note résumant l’état du dossier, établie pour le membre de la Commission en charge de la concurrence, contenaient des avis de ce type.

158    Or, il convient de constater, à cet égard, que la Commission, en se fondant sur des appréciations des juridictions de l’Union afférentes à certains documents individuels, tente, par le jeu de généralisations et d’analogies, d’assimiler la notion d’« avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires », au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, à celle de « document établi par une institution pour son usage interne », au sens du premier alinéa de cette disposition. En définitive, l’acceptation d’une telle définition large de la notion d’« avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires » supprimerait donc partiellement l’effet utile des deux alinéas du paragraphe 3 dudit article, dont l’économie repose pourtant, notamment, sur le principe, mis en évidence par la jurisprudence citée au point 154 ci-dessus, selon lequel, après la prise de décision par l’institution en cause, le refus d’accès n’est possible que pour une partie des documents à usage interne.

159    La Commission n’a donc pas démontré, à suffisance de droit, que tous les documents relevant de la catégorie 5, sous a), contenaient des avis, au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001.

160    En outre, si les justifications invoquées par la Commission dans le cadre de la procédure devant le Tribunal, telles que reprises au point 156 ci-dessus, sont certes susceptibles de rendre plausible l’hypothèse que de nombreux documents relevant de la catégorie 5, sous a), contiennent de tels avis, force est de constater que ces justifications — et, notamment, la version confidentielle de la liste des documents du dossier COMP/F/38.899 ainsi que l’identification, par leurs numéros de page, des documents relevant des trois sous-catégories de la catégorie 5, sous a) — n’ont pas été invoquées par la Commission dans la décision attaquée et ne sauraient donc être considérées comme constituant un motif ayant déterminé l’adoption de cette dernière. Par conséquent, aux fins de la solution du présent litige, il y a lieu de conclure que la Commission est restée en défaut de démontrer la qualité d’avis, au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, pour tous les documents relevant de la catégorie 5, sous a).

161    Par conséquent, la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit dans la mesure où la Commission a considéré que tous les documents relevant de la catégorie 5, sous a), contenaient des avis, au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001.

162    En troisième lieu, s’agissant du raisonnement employé par la Commission, dans la décision attaquée, pour justifier le refus d’accès sur le fondement de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’application de cette exception suppose qu’il soit démontré que l’accès aux documents sollicités était susceptible de porter concrètement et effectivement atteinte à la protection du processus décisionnel de la Commission et que ce risque d’atteinte était raisonnablement prévisible et non purement hypothétique (voir arrêt du Tribunal du 18 décembre 2008, Muñiz/Commission, T‑144/05, non publié au Recueil, point 74, et la jurisprudence citée.

163    De surcroît, pour relever de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, l’atteinte au processus décisionnel doit être grave. Il en est notamment ainsi lorsque la divulgation des documents visés a un impact substantiel sur le processus décisionnel. Or, l’appréciation de la gravité dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, notamment des effets négatifs sur le processus décisionnel invoqués par l’institution quant à la divulgation des documents visés (arrêt Muñiz/Commission, point 162 supra, point 75).

164    En l’espèce, la décision attaquée souligne que le processus décisionnel de la Commission exige le maintien d’une atmosphère de confiance et de discussion ouverte, afin que les services de la Commission puissent exprimer librement leur point de vue, en particulier sur des problèmes sensibles comme les affaires d’ententes. Cela serait une condition essentielle pour que l’institution soit en mesure de remplir sa mission. La publication de points de vue internes et provisoires sur une enquête en matière d’ententes porterait atteinte à cette capacité et pourrait rétrécir les marges de manœuvre existantes en ce qui concerne un nouvel examen de ces points de vue.

165    La Commission ajoute que, dans l’hypothèse d’une annulation de la décision AIG à la suite des recours introduits par les participants à l’entente sur les AIG, elle devrait poursuivre son enquête dans cette affaire. La divulgation de documents internes pourrait alors favoriser les tentatives d’influer sur les résultats de l’enquête et, partant, détériorerait gravement le processus décisionnel de la Commission.

166    Il y a lieu de constater que ces justifications sont invoquées de manière générale et abstraite, sans être étayées par des argumentations circonstanciées au regard du contenu des documents en cause. De telles considérations sont ainsi susceptibles d’être invoquées à propos de n’importe quel document de même nature. Dès lors, elles ne sauraient suffire à justifier le refus d’accès aux documents sollicités en l’espèce, sous peine de porter atteinte au principe d’interprétation stricte des exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001, et, en particulier, de celle prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, dudit règlement. Il convient, en particulier, de souligner, à cet égard, que la Commission n’a donné aucune précision quant à la manière dont des tiers pourraient tenter d’« influer sur les résultats de l’enquête », dans l’hypothèse de sa reprise.

167    Par ailleurs, s’agissant, en particulier, de l’évocation de l’hypothèse selon laquelle, la décision AIG étant annulée, la Commission devrait prendre une nouvelle décision, force est de constater que la Commission tente de rapprocher, voire d’assimiler, la présente situation, caractérisée, ainsi qu’il a été exposé aux points 117 à 119 ci-dessus, par le fait qu’elle a déjà adopté une décision, à une situation dans laquelle une décision n’a pas encore été prise. Or, au regard de la jurisprudence rappelée aux points 152 à 154 ci-dessus, insistant sur les conditions sensiblement plus sévères régissant un refus d’accès après une prise de décision, il convient d’éviter toute confusion entre les conditions factuelles d’application des deux alinéas de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001.

168    Il s’ensuit que, pour autant que les documents relevant de la catégorie 5, sous a), contiennent des avis, au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, la Commission a considéré de manière erronée que leur divulgation porterait gravement atteinte à son processus décisionnel.

169    Par conséquent, la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit dans la mesure où elle se fonde sur l’exception visée à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001.

170    Dès lors, il convient d’accueillir la troisième branche du premier moyen de la requérante.

171    Compte tenu de tout ce qui précède, premièrement, conformément aux constatations faites au point 37 ci-dessus, il convient de faire droit au moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la portée de la demande d’accès, s’agissant des documents relevant de la catégorie 5, sous b), et, par conséquent, d’annuler la décision attaquée dans la mesure où elle refuse l’accès à ces documents.

172    Deuxièmement, conformément aux constatations faites aux points 110 et 111 ci-dessus, il convient de faire droit au grief tiré du défaut d’examen concret et individuel des documents demandés, à la seule exception des documents relevant de la catégorie 3, s’agissant uniquement de l’exception tirée de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001.

173    Troisièmement, conformément aux constatations faites aux points 129 et 130 ci-dessus, il convient de faire droit à la première branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, pour les documents relevant des catégories 1, 2, 3, 4 et 5, sous a), dans la mesure où la Commission a considéré, de manière erronée, que l’exception tirée de la protection des objectifs des activités d’enquête était applicable en l’espèce.

174    Quatrièmement, conformément aux constatations faites aux points 149 et 150 ci‑dessus, il convient de faire droit à la deuxième branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001, dans la mesure où la Commission a considéré, de manière erronée, que la divulgation des documents relevant des catégories 1 à 4 affecterait les intérêts commerciaux des entreprises ayant participé à l’entente sur les AIG.

175    Cinquièmement, conformément aux constatations faites aux points 161 et 168 à 170 ci-dessus, il convient de faire droit à la troisième branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, dans la mesure où la Commission a considéré, de manière erronée, que tous les documents relevant de la catégorie 5, sous a), contenaient des avis, au sens de cette disposition, et dans la mesure où elle a considéré, de manière erronée, que la divulgation de ces documents porterait gravement atteinte à son processus décisionnel.

176    Il s’ensuit que la décision attaquée doit être annulée dans son ensemble, sans qu’il y ait lieu d’examiner les deuxième et troisième moyens soulevés par la requérante.

 Sur les dépens

177    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

178    Le Royaume de Suède, ABB et Siemens supporteront leurs propres dépens, conformément aux dispositions de l’article 87, paragraphe 4, premier et troisième alinéas, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision SG.E.3/MV/psi D (2008) 4931 de la Commission, du 16 juin 2008, refusant l’accès au dossier de la procédure COMP/F/38.899 — Appareillages de commutation à isolation gazeuse, est annulée.

2)      La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par EnBW Energie Baden-Württemberg AG.

3)      Le Royaume de Suède, ABB Ltd et Siemens AG supporteront leurs propres dépens.

Pelikánová

Jürimäe

Van der Woude

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 mai 2012.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

A —  Sur la recevabilité du grief tiré du défaut d’examen concret et individuel des documents

B —  Sur le fond

1.  Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la portée de la demande d’accès

2.  Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, et de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001

a)  Sur l’existence, en l’espèce, des conditions permettant de déroger à l’obligation de procéder à un examen concret et individuel du contenu des documents demandés

Sur la première exception invoquée dans la décision attaquée, tirée de ce qu’il est manifeste, sur le fondement d’une présomption générale, que l’accès aux documents demandés doit être refusé

Sur la seconde exception invoquée dans la décision attaquée, tirée d’un examen des documents par catégories

–  Sur l’examen, dans le point 3 de la décision attaquée, de l’exception tirée de la protection des objectifs des activités d’enquête

–  Sur l’examen, dans le point 4 de la décision attaquée, de l’exception tirée de la protection des intérêts commerciaux

–  Sur l’examen, dans le point 3 de la décision attaquée, de l’exception tirée de la protection du processus décisionnel de la Commission

Sur l’exception invoquée dans le mémoire en défense de la Commission, tirée d’une charge de travail exceptionnelle et déraisonnable

b)  Sur la première branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001

c)  Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001

d)  Sur la troisième branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’allemand.