Language of document : ECLI:EU:C:2013:377

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 6 juin 2013 (1)

Affaire C‑189/11

Commission européenne

contre

Royaume d’Espagne


Affaire C‑193/11

Commission européenne

contre

République de Pologne

Affaire C‑236/11

Commission européenne

contre

République italienne

Affaire C‑269/11

Commission européenne

contre

République tchèque

Affaire C‑293/11

Commission européenne

contre

République hellénique

Affaire C‑296/11

Commission européenne

contre

République française

Affaire C‑309/11

Commission européenne

contre

République de Finlande

Affaire C‑450/11

Commission européenne

contre

République portugaise

«TVA – Régime particulier des agences de voyages»





1.        Dans cette série de recours en manquement, la Commission critique une interprétation de la directive 2006/112 (2) adoptée par huit États membres, selon laquelle le régime particulier de TVA de la marge bénéficiaire pour les agences de voyages (ci-après le «régime de la marge bénéficiaire») visé aux articles 306 à 310 de ladite directive (annexe I des présentes conclusions) s’applique, que le client soit effectivement le voyageur ou non. Sur la base du libellé de certaines versions linguistiques des dispositions en cause, cette approche est désignée comme l’«approche fondée sur le client». La Commission prétend que, aux termes de la réglementation en vigueur (et conformément à la pratique dans les autres États membres), le régime de la marge bénéficiaire ne s’applique que lorsque le client est le voyageur. Son interprétation est désignée, sur la base du libellé d’autres versions linguistiques, comme l’«approche fondée sur le voyageur». Cela constitue la substance de la question principale qui se pose dans toutes ces affaires, la seule dans sept d’entre elles. J’examinerai exclusivement cet élément du litige dans les présentes conclusions.

2.        En ce qui concerne le seul Royaume d’Espagne, la Commission conteste trois autres aspects de la réglementation nationale relatifs au régime de la marge bénéficiaire et concernant respectivement l’exclusion dudit régime de situations dans lesquelles les agences détaillantes vendent des voyages à forfait organisés par des agences grossistes, l’indication du montant de TVA compris dans le prix et la détermination de la base d’imposition pour une période d’imposition. J’examine ces questions dans d’autres conclusions, présentées également aujourd’hui.

 La directive voyages à forfait

3.        Les définitions figurant à l’article 2 de la directive voyages à forfait (3) ne sont pas directement pertinentes en l’espèce. Néanmoins, elles peuvent fournir des informations utiles pour comprendre le régime de la marge bénéficiaire. Aux fins de la directive voyages à forfait, on entend par:

«1)      forfait: la combinaison préalable d’au moins deux des éléments suivants, lorsqu’elle est vendue ou offerte à la vente à un prix tout compris et lorsque cette prestation dépasse vingt-quatre heures ou inclut une nuitée:

a)      transport;

b)      logement;

c)      autres services touristiques non accessoires au transport ou au logement représentant une part significative dans le forfait.

(…)

2)      organisateur: la personne qui […] organise des forfaits et les vend ou offre à la vente directement ou par l’intermédiaire d’un détaillant;

3)      détaillant: la personne qui vend ou offre à la vente le forfait établi par l’organisateur;

4)      consommateur: la personne qui achète ou s’engage à acheter le forfait […] ou toute personne au nom de laquelle le contractant principal s’engage à acheter le forfait […] ou toute personne à laquelle le contractant principal ou un des autres bénéficiaires cède le forfait […];

5)      contrat: l’accord qui lie le consommateur à l’organisateur et/ou au détaillant».

 Le régime de la marge bénéficiaire

4.        Le régime de la marge bénéficiaire trouve son origine dans l’article 26 de la sixième directive TVA (annexe II des présentes conclusions) (4). Son principe est simple. Lorsqu’une agence de voyages, agissant en son propre nom, utilise, pour la réalisation du voyage, des livraisons et des prestations de services d’autres assujettis, toutes les transactions doivent être traitées comme une prestation unique, soumise à la TVA dans l’État membre de l’agence de voyages. Est considérée comme base d’imposition la marge bénéficiaire de l’agence de voyages – la différence entre le coût TVA comprise supporté par l’agence de voyages pour les livraisons et prestations de services qu’elle inclut dans le forfait qu’elle vend et le prix hors TVA qu’elle demande pour ce forfait.

5.        Étant donné que le régime de la marge bénéficiaire n’était pas compris dans les propositions initiale ou modifiée de réglementation de la Commission, il n’y a pas de travaux préparatoires permettant de glaner directement des indications quant à son objectif. Cependant, il est constant dans la présente procédure que l’objectif était double: d’une part, simplifier la tâche des agences de voyages qui autrement auraient dû déduire ou récupérer la TVA en amont dans différents États membres et, d’autre part, assurer que chaque service soit taxé là où il est fourni.

6.        Sans l’organisation d’un régime tel que le régime de la marge bénéficiaire, une agence de voyages ou un organisateur de circuits touristiques composant des vacances ou voyages à forfait dans l’Union serait redevable de la TVA en aval sur la totalité du prix du forfait dans son État membre. Il devrait récupérer la TVA acquittée par lui, souvent dans d’autres États membres, pour des prestations telles que le transport, le logement, les repas, les visites guidées, les excursions en bateau ou les activités de loisir organisées devant être fournies dans ces États membres. Non seulement cela entraînerait une complexité administrative importante mais ces services ne seraient par conséquent pas soumis à la TVA dans l’État membre dans lequel ils ont effectivement été fournis et consommés mais dans l’État membre dans lequel le forfait a été acheté. Des recettes significatives de TVA pourraient donc être détournées des États membres offrant des destinations touristiques au profit de ceux dont proviennent les touristes.

7.        Cependant, hormis ces effets, le régime de la marge bénéficiaire est en principe neutre au regard du système TVA. La chaîne des prestations considérée dans son ensemble n’est pas plus ni moins taxée que ce ne serait le cas autrement et, en principe, aucun montant résiduel n’est irrévocablement fixé à un stade intermédiaire, de manière à grever l’un ou l’autre des opérateurs économiques impliqués. Il peut être utile à cet égard d’examiner un exemple à titre de comparaison.

8.        Si le coût de services (par exemple, de transport, hôtel et restaurant) acquis par l’agence de voyages et inclus dans le forfait est de 100, hors TVA, si la marge bénéficiaire nette de l’agence de voyages sur ces services est de 20 et si la TVA appliquée est de 20 % (dans tous les États membres concernés, s’il y en a plus qu’un), alors:

–        selon le régime normal, l’agence de voyages achète à 100, augmenté de la TVA de 20, soit un prix TVA comprise de 120; en ajoutant sa marge bénéficiaire de 20 au prix hors TVA, elle vend à 120, augmenté de la TVA de 24, soit un prix TVA comprise de 144; elle déduit la TVA en amont de 20 et verse à l’autorité fiscale la différence entre la TVA en aval et la TVA en amont, soit 4;

–        selon le régime de la marge bénéficiaire, l’agence de voyages achète à 100, augmenté de la TVA de 20, soit un prix TVA comprise de 120; en ajoutant sa marge bénéficiaire de 20 au prix TVA comprise, elle vend à 140, augmenté de la TVA de 4, soit un prix TVA comprise de 144; elle ne déduit pas de TVA en amont mais ne verse à l’autorité fiscale que la TVA en aval de 4 sur sa marge de 20.

Dans les deux cas, le prix de vente TVA comprise est de 144 et les autorités fiscales perçoivent une TVA de 24, dont la totalité de la charge est supportée par l’acheteur du forfait.

9.        Lorsque les services en question sont fournis dans un ou plusieurs États membres autres que celui dans lequel le forfait est vendu, dans le régime normal l’agence de voyages ne peut pas simplement déduire la TVA en amont de 20 de sa TVA en aval de 24. À moins qu’elle ne soit immatriculée à la TVA dans ces autres États membres, elle doit y demander un remboursement, selon une procédure un peu plus compliquée (5), ce qui pourrait l’obliger à attendre un laps de temps non négligeable, par opposition au régime de déduction immédiate lorsque les transactions se cantonnent à un seul État membre. De plus, les États membres en question ne perçoivent pas de TVA sur des services fournis sur leur territoire. En revanche, dans le régime de la marge bénéficiaire, ni l’une ni l’autre de ces difficultés ne se présente.

10.      Les parties n’expriment aucun désaccord quant aux principes que j’ai exposés ci-dessus. La différence d’interprétation porte seulement sur la question de savoir si, pour que le régime de la marge bénéficiaire soit applicable, la personne qui achète le forfait doit être le voyageur (c’est-à-dire la personne qui consomme réellement les services ou les autres prestations (6)) ou si elle peut également être une autre agence de voyages. Il semble que ce problème se pose en particulier parce qu’il est devenu de plus en plus fréquent pour les agences de voyages ou organisateurs de circuits touristiques («organisateurs» dans la terminologie de la directive voyages à forfait) de constituer des forfaits de vacances ou de voyages qu’ils vendent à une autre agence ou à un autre organisateur (un «détaillant» dans la terminologie de la directive voyages à forfait) avant la vente finale. Cependant, si les versions linguistiques de la réglementation européenne étaient plus cohérentes, elles offriraient moins de latitude aux divergences d’interprétation.

11.      Dans les six versions linguistiques dans lesquelles la sixième directive a été rédigée à l’origine (allemand, anglais, danois, français, italien et néerlandais), le terme «voyageur» ou son équivalent est utilisé dans l’ensemble de l’article 26, sauf dans la version en anglais, qui utilise une seule fois le terme «customer» (client), dans la définition de la portée du régime dans l’article 26, paragraphe 1: «where the travel agents deal with customers in their own name and use the supplies and services of other taxable persons in the provision of travel facilities» («dans la mesure où ces agences agissent en leur propre nom à l’égard des clients et lorsqu’elles utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons et des prestations de services d’autres assujettis») (7).

12.      À la suite des élargissements successifs, cette anomalie s’est étendue à plusieurs autres versions linguistiques et s’est même parfois étendue à des cas où la version en anglais elle-même utilise le terme «voyageur» («traveller»).

13.      Dans la sixième directive, les versions en estonien, letton, lituanien, maltais, polonais, portugais, slovaque, slovène et suédois ont suivi le modèle de la version en anglais, utilisant une seule fois le terme «client», tandis que les versions en espagnol, en finnois, en grec et en hongrois ont suivi le modèle des autres versions linguistiques originales, utilisant partout le terme «voyageur». En tchèque, le terme «client» a été utilisé partout, même lorsque la version en anglais utilise le terme «voyageur».

14.      Dans la directive 2006/112, le modèle est légèrement différent. Les cinq versions linguistiques originales (1977) autres que l’anglais (l’allemand, le danois, le français, l’italien et le néerlandais,) ainsi que l’espagnol, l’estonien, le grec, le hongrois, le letton, le lituanien, le slovène et le tchèque, utilisent partout le terme «voyageur». Le modèle de la version en anglais se retrouve dans les versions en bulgare, en maltais, en polonais et en suédois. Le terme «client» est utilisé partout dans les versions en portugais, en roumain et en slovaque. La version en finnois utilise le terme «client» dans trois cas et le terme «voyageur» dans deux autres (8).

15.      En 2002, la Commission a proposé des modifications à l’article 26 de la sixième directive (9), y compris le remplacement du terme «voyageur» («traveller») par le terme «client» («customer») partout (10).

16.      Dans son exposé des motifs(11), la Commission a justifié comme suit cette proposition de modification:

«l’un des problèmes majeurs soulevé tant par les États membres que par les agences de voyages réside dans le fait que le régime n’était strictement applicable que lorsque le service de voyage était vendu à un voyageur. Cette règle était adaptée à la situation qui prévalait sur le marché en 1977, quand les voyages à forfait étaient principalement vendus par les agences de voyages directement au voyageur. La situation actuelle est tout autre. Le secteur compte un plus grand nombre d’opérateurs et la fourniture de voyages à forfait est plus fractionnée qu’en 1977. Les services de voyages sont, par conséquent, de plus en plus souvent fournis, soit à d’autres agences de voyages, soit à d’autres assujettis qui utilisent les services de voyages à titre d’incitation pour leur personnel ou dans le cadre de leur activités, par exemple sous forme de séminaires d’entreprises.

La situation actuelle, selon laquelle le régime particulier n’est pas applicable quand le service de voyage est vendu à une autre personne que le voyageur, ne permet plus de faire en sorte que les recettes de TVA reviennent à l’État membre où la consommation a effectivement lieu. Quand une agence de voyages vend un voyage à forfait à une autre agence de voyages, ce sont les règles normales d’imposition qui sont applicables. Cela signifie que l’agence de voyages devrait être en mesure de déduire la TVA en amont qu’elle paie à ses fournisseurs et de facturer la TVA dans l’État membre où elle est établie sur la valeur totale du voyage à forfait qu’elle vend ensuite à la seconde agence de voyages. Dans ce cas, les recettes de TVA perçues sur la prestation de services initiale (par exemple, l’hébergement à l’hôtel) ne reviennent plus aux États membres dans lesquels les différents services sont consommés, mais bénéficient à l’État membre dans lequel l’agence de voyages est établie.

Afin d’éviter cette situation, plusieurs États membres dans lesquels le secteur du tourisme est important, donnent une autre interprétation de l’article 26 et étendent le champ d’application du régime particulier aux prestations de services de voyage fournies par les agences de voyages à d’autres clients que les voyageurs. Il en résulte que les objectifs initiaux de ce régime, à savoir la simplification de la perception de la TVA et l’imposition dans l’État membre de consommation, sont davantage réalisés.

Il en résulte cependant des divergences dans l’application du régime particulier au sein de la Communauté, ce qui est incompatible avec le bon fonctionnement du marché intérieur et engendre des distorsions de concurrence entre les opérateurs établis dans les différents États membres. Cette situation étant inacceptable, la Commission propose par conséquent de modifier la première phrase de l’article 26, paragraphe 2, en supprimant les termes ‘au voyageur’.

Cette proposition a pour effet d’étendre considérablement le champ d’application du régime particulier. Dans la version modifiée de la directive, le régime particulier est applicable à toutes les prestations de services fournies par les agences de voyages dans les conditions prévues à l’article 26, paragraphe 1, indépendamment de la nature du client (particulier, assujetti, entreprise, agence de voyages, etc.)».

17.      La proposition n’a pas encore été adoptée. Elle se trouve toujours devant le Conseil, au sein duquel, apparemment, aucun accord n’a été trouvé.

 La procédure

18.      Ces circonstances sont, en substance, celles dans lesquelles la Commission a analysé, en 2006, l’application du régime de la marge bénéficiaire dans l’Union européenne et a estimé que treize États membres l’appliquaient incorrectement (plus précisément, ils adoptaient l’approche fondée sur le client plutôt que l’approche fondée sur le voyageur). Certains de ces États membres (12) ont alors modifié leur législation, mais d’autres ne l’ont pas fait. Si la Commission souhaitait encore voir mise en œuvre la modification qu’elle proposait, elle considérait cependant que l’uniformité était essentielle dans le marché intérieur et que les avantages concurrentiels déloyaux dont bénéficient certains organisateurs de voyage devaient être supprimés (13).

19.      Conformément à la procédure prévue à l’article 226 CE (actuellement article 258 TFUE), la Commission a donc adressé, le 23 mars 2007, une lettre de mise en demeure aux huit États membres en cause en l’espèce. À la lumière de leurs réponses, elle a adressé des avis motivés à sept d’entre eux le 29 février 2008 et au huitième, le Royaume d’Espagne, le 9 octobre 2009. Étant donné que les États membres ne se conformaient pas aux avis motivés, la Commission a engagé les présents recours entre le 20 avril et le 1er septembre 2011. Elle demande à la Cour de constater que, en permettant aux agences de voyages d’appliquer le régime de la marge bénéficiaire lorsqu’elles fournissent des services de voyage à des personnes autres que des voyageurs, les États membres ont manqué aux obligations qui leur incombent en vertu des articles 306 à 310 de la directive 2006/112.

20.      Une procédure écrite complète s’est déroulée dans toutes les affaires, à l’exception de l’affaire C-293/11, Commission/Grèce, dans laquelle la Commission a renoncé à déposer un mémoire en réplique. Plusieurs États membres ont déposé des demandes d’intervention dans les affaires les uns des autres. Une audience commune a eu lieu le 6 mars 2013, au cours de laquelle la Commission et tous les États membres concernés ont été entendus en leurs plaidoiries.

21.      Dans aucune des affaires il n’est contesté que la législation nationale pertinente adopte l’approche fondée sur le client. Je considère dès lors qu’il n’est pas nécessaire d’exposer ces législations ici. La question (question unique dans sept des affaires et première question dans l’affaire C‑189/11) est seulement de savoir s’il s’agit de l’approche correcte ou si, comme la Commission le prétend, une interprétation correcte des articles 306 à 310 de la directive 2006/112 requiert que tous les États membres appliquent l’approche fondée sur le voyageur.

 Bref résumé des principaux arguments

22.      La Commission et les États membres défendeurs sont tous d’accord sur les points suivants: (i) l’objectif du régime de la marge bénéficiaire est de simplifier les procédures et d’assurer une perception équitable des recettes de TVA sans déroger d’une autre manière au système TVA; (ii) alors qu’il est actuellement habituel que des voyages ou des vacances à forfait soient composés par une agence de voyages ou par un organisateur de circuits touristiques pour les vendre à une autre agence de voyage avant la vente finale au voyageur ou au vacancier, ce n’était pas le cas lorsque la sixième directive a été adoptée en 1977; (iii) une interprétation uniforme est nécessaire pour assurer une application harmonisée des règles TVA dans tous les États membres, qui ne fait pas de distinction entre les agences de voyages; (iv) l’approche fondée sur le client représente l’interprétation la plus adaptée en vue d’atteindre les objectifs du régime de la marge bénéficiaire; et (v) cette approche est en fait suivie par les États membres défendeurs. Étant donné que ces points ne sont pas contestés, il ne semble pas utile d’exposer ici des arguments détaillés à cet égard; de plus, je peux tout à fait m’y rallier, et je ne m’y attarderai pas plus dans mon analyse ci-après. Il suffit d’observer que, en ce qui concerne les points (i) et (iv), j’ai exposé l’essentiel dans ma présentation du régime de la marge bénéficiaire (14), que les points (ii) et (v) sont des faits non contestés et que le point (iii) ne se prête pas à controverse.

23.      S’il n’est pas contesté qu’une interprétation unique et harmonisée dans l’ensemble de l’Union est nécessaire, la Commission considère cependant qu’il n’est pas possible d’arriver à l’interprétation plus large contenue dans l’approche fondée sur le client sans une modification de la réglementation (approche de lege ferenda), tandis que les États membres défendeurs considèrent que les dispositions dans leur état actuel peuvent – et devraient – être interprétées de cette manière large (approche de lege lata).

24.      L’axe central de l’argumentation de la Commission est linguistique. Dans un seul des cinq cas, une seule des six versions linguistiques originales de l’article 26 de la sixième directive utilisait le terme «client»; dans tous les autres cas et dans toutes les autres versions linguistiques – en particulier dans celle dans laquelle le texte final a été débattu et approuvé – le terme «voyageur» était utilisé partout. L’intention du législateur était donc clairement de limiter le régime de la marge bénéficiaire aux cas dans lesquels l’agence de voyages vendait directement au voyageur (15).

25.      En outre, selon la Commission, s’il n’en était pas ainsi, deux expressions utilisées dans la disposition perdraient leur sens. S’il fallait entendre le «client», les termes «en leur propre nom» figurant à l’article 26, paragraphe 1, de la sixième directive (article 306, paragraphe 1, de la directive 2006/112) seraient redondants, étant donné que les agences de voyages agissent toujours en leur propre nom à l’égard de leurs clients (c’est-à-dire ceux qui achètent directement auprès d’elles), mais pas toujours à l’égard des voyageurs (qui peuvent ne pas être les mêmes personnes). Et dans l’article 26, paragraphe 2, de la sixième directive (articles 307 et 308 de la directive 2006/112), les expressions «prestation (…) au voyageur» et «à payer par le voyageur» seraient illogiques si l’acheteur du service était une autre agence de voyages: lorsqu’un forfait composé par une agence de voyages est vendu à une autre agence de voyages avant d’être vendu au voyageur, comment la marge bénéficiaire de la première agence de voyages (l’assiette de la TVA) pourrait-elle être calculée si le forfait devait être considéré «comme une prestation de service unique de [cette] agence de voyages au voyageur» alors que la deuxième agence de voyages applique sa propre marge bénéficiaire?

26.      La Commission souligne également que, conformément à la jurisprudence constante, les dispositions qui ont le caractère de dérogation à un principe doivent être interprétées de manière stricte (16). Le régime de la marge bénéficiaire est une exception au principe de la taxation à chaque stade dans la chaîne des transactions, et de la déduction de la taxe en amont à chaque stade précédant celui du commerce de détail (17).

27.      Bien qu’elle convienne que l’approche fondée sur le client serait plus appropriée pour atteindre les objectifs du régime de la marge bénéficiaire, la Commission souligne que les États membres sont tenus d’appliquer la réglementation TVA de l’Union même s’ils la considèrent perfectible (18).

28.      Néanmoins, la Commission précise que, à son avis (avis qu’elle semble tirer de l’objectif du régime plutôt que du texte de la réglementation), le régime de la marge bénéficiaire devrait s’appliquer lorsqu’une entreprise qui (en tant que personne juridique) ne peut pas elle-même être un «voyageur» achète un forfait de voyage pour son personnel. Ce qui importe est tout simplement que le forfait ne soit pas revendu au voyageur réel.

29.      Les États membres défendeurs (19), quant à eux, mettent l’accent sur la nécessité d’assurer la réalisation des objectifs poursuivis par le régime de la marge bénéficiaire.

30.      En ce qui concerne l’argument linguistique principal de la Commission, ils soulignent que la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à son interprétation ou se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. En cas de divergence entre des versions linguistiques, la disposition en cause doit ainsi être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (20). Cette approche téléologique a été adoptée par la Cour pour juger que le régime de la marge bénéficiaire s’applique à un hôtelier qui propose à ses clients un forfait incluant l’hébergement, le transport aller-retour et une excursion en autocar, lesquels services de transport sont acquis auprès de tiers, même s’il n’est pas, au sens formel, une agence de voyages ou un organisateur de circuits touristiques (21). De la même façon, il devrait être appliqué ici afin d’assurer la réalisation correcte des objectifs du régime.

31.      Le caractère illogique de l’utilisation de certaines expressions relevé par la Commission n’est pas concluant, selon les États membres. La version en anglais des dispositions (de laquelle découlent toutes les versions utilisant le terme «client») ne vise pas des agences de voyages qui agissent à l’égard de leurs clients en leur propre nom mais qui agissent à l’égard de clients (qui ne sont pas nécessairement leurs propres clients) en leur propre nom. Il n’y a donc pas de redondance manifeste dans ce libellé – qui est, en tout état de cause, retenu par la Commission dans sa proposition de modification. Cependant, étant donné qu’il est précisé que le régime de la marge bénéficiaire n’est pas applicable aux agences de voyages qui agissent uniquement en qualité d’intermédiaires, les termes «en leur propre nom» pourraient être redondants, quelle que soit l’interprétation. Et, comme l’a jugé la Cour, les termes «à payer par le voyageur» ne sauraient être interprétés littéralement mais peuvent inclure des payements de la part de tiers (22).

32.      Les États membres défendeurs soulignent également que la Cour a constamment jugé, d’une part, que l’exigence d’interprétation stricte des exceptions aux principes du système TVA ne signifie pas que les termes utilisés devraient être interprétés d’une manière qui priverait les exceptions de leurs effets et, d’autre part, que l’interprétation de ces termes doit être conforme aux objectifs poursuivis par lesdites exonérations et respecter les exigences de la neutralité fiscale (23).

33.      Selon les États membres, la référence que fait la Commission à l’arrêt Commission/Espagne, précité (24), n’est pas pertinent. Cet arrêt concernait une disposition de la sixième directive dont l’interprétation résultait clairement de son libellé. En l’espèce, il est tout à fait évident que le libellé est de nature à donner lieu à plusieurs interprétations, ce qui a effectivement été le cas.

 Appréciation

34.      Dans la présente procédure, la Cour se trouve dans une position peu enviable. Aucune cohérence ne peut être trouvée dans la manière dont les versions linguistiques existantes des articles 306 à 310 de la directive 2006/112 utilisent les termes «client» et «voyageur» (aucun des deux termes n’étant défini). Une proposition de rectification de la Commission (qui n’est pas non plus un modèle de cohérence linguistique) n’a pas trouvé d’accord au sein du Conseil, auquel elle a été soumise il y a plus de dix ans. Il semblerait que l’on se trouve, sinon dans une impasse, du moins en présence d’une volonté commune insuffisante pour déterminer une approche uniforme. Deux interprétations existent, incompatibles entre elles, en faveur de chacune desquelles des arguments peuvent être avancés. Huit États membres interprètent les dispositions d’une manière (antérieurement ils étaient au moins treize à le faire), tandis que les autres – dont aucun n’a cherché à intervenir pour faire valoir son point de vue – les interprètent d’une autre manière, aucune des deux approches n’étant nécessairement liée à la question de savoir si, dans la version linguistique correspondante, la directive 2006/112 utilise le terme «voyageur» ou le terme «client».

35.      Il est difficile d’éviter l’impression que la Cour est appelée à se prononcer sur une question de politique en matière de TVA (et de rédaction législative) qui s’est avérée dépasser les capacités ou la volonté des États membres et du législateur.

36.      Quoi qu’il en soit, la Cour est tenue de fournir une interprétation juridique du texte actuel, qui déterminera si les recours de la Commission sont (en ce qui concerne le problème sur lequel portent les présentes conclusions) fondés ou non.

37.      Dans ce contexte, le nombre d’États membres ayant adopté l’une ou l’autre approche ne saurait, à mon sens, constituer un élément juridiquement pertinent pour l’analyse de la Cour (même si cela pourrait avoir une certaine pertinence politique pour le législateur). Quelle que soit l’issue de cette analyse, un nombre significatif d’États membres sera amené à modifier sa législation. De même, il me semble que l’on ne peut guère attacher de poids aux éventuelles difficultés pratiques qui pourraient surgir pour les agences de voyages si une des interprétations devait être appliquée uniformément – hormis, bien sûr, celles que le régime de la marge bénéficiaire est spécifiquement destiné à prévenir. Aucune des deux approches ne sera vraisemblablement parfaite dans la pratique mais, si au moins huit (antérieurement, au moins treize) États membres ont été en mesure d’appliquer les dispositions d’une certaine manière pendant une période significative, il ne semble pas que les difficultés que cette application peut entraîner (prises isolément, plutôt que dans le contexte d’un ensemble incohérent) soient déterminantes.

38.      Si les dispositions régissant le régime de la marge bénéficiaire étaient univoques, leur signification claire devrait en principe prévaloir, même si la réalisation des objectifs dudit régime en était dans une certaine mesure affaiblie. Cependant, à mon sens, elles laissent une marge d’interprétation, et la Cour doit avoir égard à l’économie générale et à la finalité de ce régime ainsi qu’à sa jurisprudence antérieure dans ce contexte (25).

39.      Il paraît inutile de chercher une réponse dans une analyse minutieuse de la manière désorganisée dont les termes «voyageur» et «client» ou leurs équivalents sont actuellement utilisés dans les différentes versions linguistiques des articles 306 à 310 de la directive 2006/112. La Commission souligne que le terme «client» n’est utilisé qu’une fois dans une seule des six versions linguistiques originales de l’article 26 de la sixième directive, et elle a expliqué comment cette anomalie est apparue et s’est ensuite propagée. Elle est convaincue – et il n’y a pas lieu, à mon sens, de remettre en question cette conviction – que l’intention du Conseil était d’utiliser le terme «voyageur» partout.

40.      Cependant, je ne pense pas que l’on puisse nécessairement déduire d’une intention d’utiliser le terme «voyageur» de manière constante, une intention concomitante de limiter l’application du régime de la marge bénéficiaire aux situations dans lesquelles l’agence de voyages agit directement à l’égard de la personne physique qui va consommer ou profiter des services fournis.

41.      Il est vrai qu’il est difficile d’interpréter le terme «voyageur», pris dans son sens littéral, comme incluant «une autre agence de voyages». Cependant, une lecture tenant compte de l’objectif et de l’économie générale des dispositions peut amener à une interprétation plus large.

42.      D’une part, le terme «voyageur» ne saurait recevoir une interprétation rigoureusement littérale dans le contexte du régime de la marge bénéficiaire. Si pour Robert Louis Stevenson, mieux valait voyager plein d’espoir que d’arriver au but (26), son espoir aurait peut-être souffert des vols retardés, des sièges exigus dans des avions bondés ou de la nourriture insipide sur de minuscules plateaux en plastique. Pour beaucoup voire pour la plupart des vacanciers modernes, l’objectif a changé: c’est la destination plutôt que le voyage en lui-même qui compte (27) et on peut réserver une location dans un village de vacances ou un autre hébergement auprès d’une agence de voyages tout en s’occupant soi-même des moyens d’y arriver. Cela était spécialement le cas pour les «vacances en automobile» dans l’arrêt Van Ginkel (28), que la Cour a considéré relever du régime de la marge bénéficiaire. De plus, il est clair qu’une personne peut acheter un forfait de voyage qui sera utilisé par une autre, mais il serait surprenant que le traitement TVA dépende de la question de savoir si l’acheteur était effectivement le voyageur ou un parent, ou encore un compagnon de vacances, etc. Rien ne justifie non plus que des vacances achetées auprès d’une agence de voyages doivent absolument inclure un voyage important: il pourrait être plus aisé (ou peut-être meilleur marché, dans le cas d’offres promotionnelles) de réserver un séjour complet dans une station thermale de sa propre ville auprès d’une agence de voyages plutôt que directement (29). Par conséquent, aux fins du régime de la marge bénéficiaire, le «voyageur» n’est pas nécessairement une personne qui «voyage», et la réalisation effective d’un «voyage» ne doit pas nécessairement faire partie du forfait pour lequel l’agence de voyages est tenue d’appliquer le régime.

43.      D’autre part, sans qu’il soit nécessaire de tirer des conclusions spécifiques de la manière dont le terme «client» ou son équivalent a été utilisé dans les différentes versions linguistiques, le simple fait que le terme ait pu s’insérer dans la législation et s’y multiplier tend à démentir l’argument selon lequel le législateur aurait jamais attaché une importance décisive à l’utilisation du terme «voyageur». En outre, on peut observer que la fréquence croissante de l’utilisation du terme «client» dans les dispositions législatives est allée de pair avec la fréquence croissante des ventes de vacances ou de voyages à forfait entre agences de voyages.

44.      Par conséquent, il me semble que l’intention du législateur d’utiliser un seul terme pour désigner la personne achetant un voyage, un hébergement ou d’autres services similaires à une agence de voyages – et le terme «voyageur» s’est avéré convenir à cet égard – n’exige pas que la signification de ce terme soit limitée à une catégorie particulièrement étroite de ces personnes.

45.      En tout cas, la Commission elle-même ne cherche pas non plus à interpréter littéralement le terme «voyageur»: elle y inclut, par exemple, une entreprise qui achète des services pour l’usage de son personnel, la seule condition étant à son sens que le forfait ne doit pas être revendu au consommateur final, quel qu’il soit.

46.      Je ne peux donc pas considérer le texte des dispositions régissant le régime de la marge bénéficiaire comme univoque, même en supposant que l’intention était, à l’origine, d’utiliser le terme «voyageur» – lui-même non dépourvu d’ambiguïté – partout.

47.      Cela étant, le terme peut à mon avis être interprété en ce sens qu’il s’étend aux clients autres que les personnes physiques bénéficiant effectivement des services de voyage ou de vacances achetés auprès d’une agence de voyages (ou, comme le suggère la Commission, autres que ceux qui achètent au profit de telles personnes) jusqu’à inclure d’autres agences de voyages qui revendront les services. Étant donné l’incertitude résultant des versions linguistiques, il devrait être interprété en ce sens si l’objectif et l’économie générale du régime de la marge bénéficiaire l’exigent. La Cour a déjà interprété, à la lumière de cette exigence, le terme «agence de voyages» comme visant aussi un hôtelier qui propose un forfait d’hébergement comprenant le transport et des excursions et un opérateur économique qui propose des services consistant dans l’organisation de voyages linguistiques et d’études à l’étranger (30). Un parallèle peut également être établi avec l’interprétation par la Cour des termes «personnes qui pratiquent le sport» – termes qui, comme elle l’a reconnu, dans leur usage ordinaire ne se réfèrent qu’à des personnes physiques – comme pouvant se référer également à des personnes morales et à des associations non enregistrées aux fins de l’article 13, A, paragraphe 1, sous m), de la sixième directive [actuellement article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112] (31).

48.      Il est crucial à cet égard de noter que le fait d’exclure de l’application du régime de la marge bénéficiaire la vente de forfaits de voyages ou de vacances par une agence de voyages ou un organisateur de circuits touristiques à une autre agence de voyages qui les revendra irait directement à l’encontre des deux objectifs que – ce qui est constant dans la présente procédure – le régime devait atteindre.

49.      La Cour a reconnu l’objectif visant à adapter les règles de droit commun concernant le lieu d’imposition, la base d’imposition et la déduction de la taxe en amont afin de tenir compte de la multiplicité et de la localisation des prestations fournies dans un forfait de voyage ou de vacances, impliquant des difficultés pratiques pour ces entreprises, qui seraient de nature à entraver l’exercice de leur activité (32). Lorsque l’agence de voyages A compose un forfait comprenant, par exemple, un voyage en autocar dans plusieurs États membres, avec hébergement, repas au restaurant et visites d’attractions touristiques dans chacun d’entre eux, et qu’elle vend ce forfait à l’agence de voyages B, qui le revend à la personne physique qui participera au voyage, les difficultés pratiques qui s’ensuivent sont toutes rencontrées par A, non par B. Même si le lieu de l’opération constituée par la vente de A à B n’est pas l’État membre dans lequel B est établi, les difficultés de B ne sont en principe pas plus importantes que celles rencontrées lors d’une prestation transfrontalière simple – c’est-à-dire la nécessité d’obtenir un remboursement ou une déduction de la taxe payée en amont sur une transaction dans un autre État membre. La seule situation de B ne justifie pas nécessairement l’application d’un régime particulier de la marge bénéficiaire. A, en revanche, doit faire face à une taxe en amont sur divers services à différents taux dans différents États membres – précisément la situation que le régime de la marge bénéficiaire a pour objectif de simplifier. Cependant, selon l’approche fondée sur le voyageur que défend la Commission dans la présente procédure, seul B bénéficiera du régime, tandis que A n’en bénéficiera pas.

50.      Des considérations similaires s’appliqueront au regard du second objectif, visant à assurer que le produit de la TVA soit correctement alloué à l’État membre dans lequel le service correspondant est effectivement fourni et reçu. Si, dans l’exemple qui précède, le régime de la marge bénéficiaire n’est pas appliqué à la vente de A à B, A récupérera les montants de TVA imposés sur des services fournis aux touristes dans les États membres visités, ce qui peut résulter en un paiement net à celui-ci de la plupart sinon de la totalité de ces montants (33) et en une perte de recettes de TVA dans ces États membres. Bien qu’harmonisée au niveau de l’Union, la TVA est une taxe nationale, prélevée dans chaque État membre selon les propres taux de celui-ci et selon ses règles détaillées. L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2006/112 la qualifie d’«impôt général sur la consommation». Bien que le titre V (articles 31 à 61) de la directive 2006/112 établisse des règles particulières concernant le lieu des opérations en présence d’un élément transfrontalier, il est inhérent à la notion d’impôt sur la consommation que celui-ci devrait se concrétiser au moment et au lieu de la consommation effective (c’est-à-dire, pour une taxe non cumulative mais prélevée sur des opérations successives comme la TVA, la consommation finale, au bout de la chaîne des livraisons). Dans la situation examinée, les services pertinents sont tous les deux physiquement fournis et consommés dans le même État membre. L’élément transfrontalier est, en ce qui concerne ces services, essentiellement artificiel – dans l’État membre de A sont fournis les services de A, non ceux des prestataires de services dans les États membres visités. Il serait donc contraire, non seulement aux objectifs du régime de la marge bénéficiaire, mais également à un principe fondamental du système commun de TVA que ce régime a pour objet de défendre, que les recettes découlant de la consommation dans un État membre accroissent le bénéfice d’un autre État membre dans lequel aucun des services donnant directement lieu à cette consommation n’ont été fournis.

51.      Il est vrai que les dérogations au régime général doivent être interprétées strictement mais, comme les États membres l’ont souligné, cela ne signifie pas que les termes utilisés doivent être interprétés d’une manière qui les priverait de leurs effets. En l’occurrence, c’est précisément le résultat qu’entraînerait l’interprétation proposée par la Commission (34).

52.      Sur cette base, je ne peux que conclure, non seulement que l’approche fondée sur le client permet mieux que l’approche fondée sur le voyageur de réaliser les objectifs du régime de la marge bénéficiaire, mais aussi que la seconde fait en réalité obstacle à ces objectifs dans des situations comme celles dans lesquelles la Commission prétend qu’elle devrait être appliquée. Une telle conclusion me semble suffire à justifier le rejet des recours de la Commission dans toutes ces affaires (étant entendu que, dans l’affaire C‑189/11, Commission/Espagne, trois autres questions restent à examiner).

53.      Cela dit, il peut être utile de mentionner brièvement d’autres arguments principaux soulevés par les États membres défendeurs qui étayent également ce point de vue et de répondre à certains arguments de la Commission.

54.      Premièrement, les États membres mettent l’accent sur le principe de neutralité fiscale inhérent au système TVA, en ce sens que la TVA ne devrait pas être appliquée d’une manière qui fausse la concurrence entre les fournisseurs (35). Ils soulignent que, du fait que (comme je l’ai expliqué aux points 49 et 50 ci-dessus) l’interprétation de la Commission n’atténue pas les difficultés d’ordre pratique et administratif qu’entraîne la composition d’un forfait de voyage lorsque celui-ci est vendu à une autre agence de voyages, cette interprétation favorise les plus grands organisateurs de circuits touristiques et agences de voyages par rapport aux plus petits, qui sont moins susceptibles de posséder les ressources nécessaires pour faire face à ces difficultés. Ces derniers sont dès lors moins en mesure de composer des forfaits pour les vendre à d’autres agences de voyages. L’interprétation de la Commission implique en outre, de manière injustifiable, l’application différenciée de la TVA aux livraisons et prestations d’un assujetti selon l’identité de son client plutôt que selon un critère lié à la livraison ou à la prestation, ou encore au fournisseur.

55.      Je partage cette appréciation. En raison de leur taille, les agences plus importantes seront avantagées également d’autres manières par rapport aux agences plus petites, mais l’application des règles de TVA ne devrait pas ajouter de discriminations supplémentaires. Il est également vrai que le principe de neutralité, entendu en ce sens, n’est pas une règle de droit primaire pouvant déterminer la validité d’une disposition, mais un principe d’interprétation qui doit être appliqué parallèlement à d’autres principes de cette nature (36). En l’espèce, cependant, son application étaye la conclusion à laquelle je suis parvenue sur la base du principe requérant qu’une disposition dont la signification n’est pas claire (particulièrement en présence de versions linguistiques divergentes) doit être interprétée à la lumière de l’objectif et de l’économie générale des règles dont il fait partie.

56.      Deuxièmement, la Commission a fait valoir que l’expression «en leur propre nom» figurant à l’article 306 de la directive 2006/112 est redondante si l’approche fondée sur le client est adoptée, étant donné que les agences de voyages agissent toujours en leur propre nom à l’égard de leurs clients (sinon, les personnes à l’égard desquelles elles agissent ne seraient pas leurs clients).

57.      Cet argument paraît faible. S’il est vrai qu’un terme ou une expression utilisés dans un texte légal devraient en principe être censés remplir une fonction propre, je ne peux pas admettre qu’une interprétation qui ne fait qu’éviter la redondance devrait prévaloir sur une autre qui sert beaucoup plus clairement l’objectif envisagé de la réglementation dans son ensemble. La redondance n’est pas absente de la législation. En l’espèce, l’expression «en leur propre nom» peut être aisément considérée comme une anticipation de l’exclusion dans la phrase suivante des agences de voyages qui agissent uniquement en qualité d’intermédiaires. J’observe, en outre, que la proposition de 2002 de la Commission de modification de l’article 26 de la sixième directive, qui est censée mettre en œuvre l’approche fondée sur le client, utilise encore l’expression «dans la mesure où ces agences agissent en leur propre nom à l’égard du voyageur» – conservant donc l’expression prétendument redondante.

58.      Troisièmement, la Commission fait valoir que la définition de la «marge» dans l’article 308 de la directive 2006/112 est impraticable si l’approche fondée sur le client est adoptée. Si l’agence de voyages A compose un forfait et le vend à l’agence de voyages B qui le vend à un voyageur, comment la marge de A peut-elle correspondre à la différence entre le prix hors TVA payé par le voyageur et le coût effectif supporté par A pour les livraisons de biens et les prestations de services d’autres assujettis profitant directement au voyageur, si le prix payé par le client n’inclut pas seulement la marge de A mais également celle de B?

59.      Si, dans l’état actuel de la réglementation, le terme «voyageur» devait, comme je le pense, être interprété largement afin d’inclure différentes sortes de clients, et en particulier les autres agences de voyages, le problème disparaîtrait (37). En outre, comme les États membres l’ont souligné, les termes «à payer par le voyageur» ne sauraient être interprétés littéralement dans ce contexte (38).

60.      Quatrièmement, la Commission fait référence à l’arrêt Commission/Espagne, précité (39), en ce sens que les États membres ne peuvent pas s’écarter des dispositions expressément prévues par les directives TVA afin d’obtenir un résultat plus conforme aux objectifs généraux de cette réglementation.

61.      Ici encore, j’estime avec les États membres que la jurisprudence ne fait pas obstacle à une interprétation permettant d’obtenir un tel résultat, à moins qu’elle ne contredise une disposition claire et univoque. Les dispositions en cause dans la présente procédure ne sont pas, comme cela a été largement démontré, univoques.

62.      Finalement, il convient de reconnaître toutefois que l’approche fondée sur le client ne constitue pas une panacée pour toutes les imperfections éventuelles du régime de la marge bénéficiaire. Son inconvénient majeur est présenté par la Commission dans l’exposé des motifs de sa proposition de modification de la sixième directive:

«Plusieurs États membres ont également évoqué la question des voyages d’affaires et le problème qu’elle pose aux entreprises qui sont concrètement les consommateurs finals des voyages à forfait et qui, en vertu des nouvelles dispositions de l’article 26 qui sont proposées, ne seront pas en mesure de déduire la TVA en amont résiduelle. Si elles commandent un voyage à forfait auprès d’une agence de voyages, elles se verront facturer un prix TVA comprise et elles ne pourront dès lors pas déduire le montant de cette TVA, alors que le voyage à forfait est utilisé à des fins professionnelles. Cela donnera lieu à la perception de TVA résiduelle au stade de la consommation intermédiaire, ce qui est contraire au principe fondamental de neutralité du système communautaire de TVA» (40).

63.      Ce problème, bien que reconnu, n’est pas pris en considération dans la modification proposée. Dans la présente procédure, la Commission présente une interprétation selon laquelle le terme «voyageur» inclurait les sociétés achetant des voyages d’affaires – appliquant donc, en fait, l’approche fondée sur le client à cet égard (et fixant, ce faisant, une TVA résiduelle à un stade intermédiaire).

64.      Le problème ne pourrait être évité que si l’approche fondée sur le voyageur était adoptée dans son interprétation la plus stricte, le régime de la marge bénéficiaire n’étant appliqué que dans le cas où le client de l’agence de voyages est une personne physique consommant les services vendus. Si le client était une personne morale assujettie, le régime normal s’appliquerait et, si les services acquis étaient utilisés à des fins strictement commerciales et constituaient des composantes de coûts des opération taxables en aval de l’entreprise, la totalité de la TVA sur ces services, outre celle grevant la marge bénéficiaire de l’agence de voyages, pourrait être déduite de la taxe en aval, ainsi le principe de la neutralité fiscale pour les assujettis serait respecté.

65.      Ce n’est toutefois pas l’interprétation que la Commission propose pour l’approche fondée sur le voyageur. En outre, les objectifs du régime de la marge bénéficiaire sont justement, les parties s’accordent sur ce point, de simplifier les procédures et d’assurer l’allocation correcte des recettes de TVA. Rien n’indique que l’intention ait également été de garantir la pleine déductibilité de la taxe en amont sur les services de voyage utilisés pour des opérations commerciales taxables, même si cela aurait été un objectif souhaitable.

66.      L’existence du problème que j’ai décrit ne me conduit donc pas à réviser ma conclusion que l’approche fondée sur le client devrait être adoptée, selon une interprétation correcte du régime de la marge bénéficiaire, et qu’il convient dès lors de rejeter les recours de la Commission en ce qu’ils visent à voir constater que, en permettant aux agences de voyages d’appliquer le régime de la marge bénéficiaire à la fourniture de services de voyage à des personnes autres que des voyageurs, les États membres ont manqué aux obligations qui leur incombent en vertu des articles 306 à 310 de la directive 2006/112.

 Les dépens

67.      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Tous les États membres défendeurs ont conclu à la condamnation aux dépens. Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui interviennent au litige supportent leurs propres dépens.

 Conclusion

68.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour – sans préjudice de l’analyse que j’expose et des conséquences que j’en tire dans mes conclusions séparées dans l’affaire C-189/11 concernant les autres griefs adressés au Royaume d’Espagne – de:

–        rejeter les recours de la Commission,

–        condamner la Commission aux dépens encourus par les États membres en tant que défendeurs, et

–        ordonner aux États membres de supporter leurs dépens encourus en tant qu’intervenants.

 Annexe I

Articles 306 et 310 de la directive 2006/112 (italiques ajoutées)

«Article 306

1.      Les États membres appliquent un régime particulier de la TVA aux opérations des agences de voyages conformément au présent chapitre, dans la mesure où ces agences agissent en leur propre nom à l’égard du voyageur et lorsqu’elles utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons de biens et des prestations de services d’autres assujettis.

Le présent régime particulier n’est pas applicable aux agences de voyages qui agissent uniquement en qualité d’intermédiaire et auxquelles s’applique, pour calculer la base d’imposition, l’article 79 [(41)], premier alinéa, point c).

2.      Aux fins du présent chapitre, les organisateurs de circuits touristiques sont considérés comme agences de voyages.

Article 307

Les opérations effectuées, dans les conditions prévues à l’article 306, par l’agence de voyages pour la réalisation du voyage sont considérées comme une prestation de services unique de l’agence de voyages au voyageur.

La prestation unique est imposée dans l’État membre dans lequel l’agence de voyages a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel elle a fourni la prestation de services.

Article 308

Pour la prestation de services unique fournie par l’agence de voyages, est considérée comme base d’imposition et comme prix hors TVA, au sens de l’article 226, point 8), la marge de l’agence de voyages, c’est-à-dire la différence entre le montant total, hors TVA, à payer par le voyageur et le coût effectif supporté par l’agence de voyages pour les livraisons de biens et les prestations de services d’autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur.

Article 309

Si les opérations pour lesquelles l’agence de voyages a recours à d’autres assujettis sont effectuées par ces derniers en dehors de la Communauté, la prestation de services de l’agence est assimilée à une activité d’intermédiaire exonérée en vertu de l’article 153.

Si les opérations visées au premier alinéa sont effectuées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Communauté, seule doit être considérée comme exonérée la partie de la prestation de services de l’agence de voyages qui concerne les opérations effectuées en dehors de la Communauté.

Article 310

Les montants de la TVA qui sont portés en compte à l’agence de voyages par d’autres assujettis pour les opérations qui sont visées à l’article 307 et qui profitent directement au voyageur ne sont ni déductibles, ni remboursables dans aucun État membre».

 Annexe II

Article 26 de la sixième directive (italiques ajoutées)

«Régime particulier des agences de voyages

1.      Les États membres appliquent la taxe sur la valeur ajoutée aux opérations des agences de voyages conformément au présent article, dans la mesure où ces agences agissent en leur propre nom à l’égard du voyageur et lorsqu’elles utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons et des prestations de services d’autres assujettis. Le présent article n’est pas applicable aux agences de voyages qui agissent uniquement en qualité d’intermédiaire et auxquelles l’article 11, sous A, paragraphe 3, sous c) [(42)] est applicable. Au sens du présent article, sont également considérés comme agences de voyages les organisateurs de circuits touristiques.

2.      Les opérations effectuées par l’agence de voyages pour la réalisation du voyage sont considérées comme une prestation de service unique de l’agence de voyages au voyageur. Celle-ci est imposée dans l’État membre dans lequel l’agence de voyages a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel elle a fourni la prestation de services. Pour cette prestation de services est considérée comme base d’imposition et comme prix hors taxe, au sens de l’article 22, paragraphe 3, sous b), la marge de l’agence de voyages, c’est-à-dire la différence entre le montant total à payer par le voyageur hors taxe à la valeur ajoutée et le coût effectif supporté par l’agence de voyages pour les livraisons et prestations de services d’autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur.

3.      Si les opérations pour lesquelles l’agence de voyages a recours à d’autres assujettis sont effectuées par ces derniers en dehors de la Communauté, la prestation de services de l’agence est assimilée à une activité d’intermédiaire exonérée en vertu de l’article 15, point 14. Si ces opérations sont effectuées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Communauté, seule doit être considérée comme exonérée la partie de la prestation de services de l’agence de voyages qui concerne les opérations effectuées en dehors de la Communauté.

4.      Les montants de la taxe sur la valeur ajoutée qui sont portés en compte à l’agence de voyages par d’autres assujettis pour les opérations visées au paragraphe 2 et qui profitent directement au voyageur ne sont ni déductibles, ni remboursables dans aucun État membre».

 Annexe III

Terminologie utilisée dans les différentes versions linguistiques

Sixième directive

BG (43)

CS

DA

DE

Article 26, paragraphe 1

получател (destinataire, bénéficiaire)

zákazník (client)

rejsende (voyageur)

Reisender (voyageur)

Article 26, paragraphe 2, première phrase

пътуващо лице (voyageur)

   

Article 26, paragraphe 2, troisième phrase

пътуващо лице/турист (voyageur/ touriste)

   

Article 26, paragraphe 4

Турист (touriste)

   

Directive 2006/112

BG

CS

DA

DE

Article 306

клиент

(client)

cestující

(voyageur)

rejsende (voyageur)

Reisender (voyageur)

Article 307

пътуващо лице (voyageur)

   

Article 308

    

Article 310

    



Sixième directive

EL

EN

ES

ET

Article 26, paragraphe 1

ταξιδιώτης (voyageur)

customer (client)

viagero (voyageur)

klient (client)

Article 26, paragraphe 2, première phrase

 

traveller (voyageur)

 

reisija (voyageur)

Article 26, paragraphe 2, troisième phrase

    

Article 26, paragraphe 4

    

Directive 2006/112

EL

EN

ES

ET

Article 306

ταξιδιώτης (voyageur)

customer (client)

viagero (voyageur)

reisija (voyageur)

Article 307

 

traveller (voyageur)

  

Article 308

    

Article 310

    


Sixième directive

FI

FR

HU

IT

Article 26, paragraphe 1

matkustaja (voyageur)

voyageur

utas (voyageur)

viaggiatore (voyageur)

Article 26, paragraphe 2,première phrase

    

Article 26, paragraphe 2, troisième phrase

    

Directive 2006/112

FI

FR

HU

IT

Article 306

asiakas (client)

voyageur

utas (voyageur)

viaggiatore (voyageur)

Article 307

    

Article 308

asiakas (client)

matkustaja (voyageur)

 

utazó (voyageur)

 

Article 310

matkustaja (voyageur)

 

utas (voyageur)

 


Sixième directive

LT

LV

MT

NL

Article 26, paragraphe 1

klientas (client)

klients (client)

klienti (client)

reiziger (voyageur)

Article 26, paragraphe 2,première phrase

keleivis (voyageur)

ceļotājs (voyageur)

vjaġġatur (voyageur)

 

Article 26, paragraphe 2, troisième phrase

    

Directive 2006/112

LT

LV

MT

NL

Article 306

keleivis (voyageur)

ceļotājs (voyageur)

konsumaturi (consommateur)

reiziger (voyageur)

Article 307

  

vjaġġatur (voyageur)

 

Article 308

    

Article 310

    


Sixième directive

PL

PT

RO (44)

SK

Article 26, paragraphe 1

klient (client)

cliente (client)

client (client)

zákazník (client)

Article 26, paragraphe 2, première phrase

podróżny (voyageur)

viajante (voyageur)

cālātor (voyageur)

turista (tourist)

Article 26, paragraphe 2, troisième phrase

    

Article 26, paragraphe 4

   

cestujúci (voyageur)

Directive 2006/112

PL

PT

RO

SK

Article 306

nabywca (acquéreur)

cliente (client)

client (client)

zákazník (client)

Article 307

turysta (touriste)

   

Article 308

    

Article 310

    



Sixième directive

SL

SV

Article 26, paragraphe 1

naročniki (client)

kunder (clients)

Article 26, 2, première phrase

potnik (voyageur)

resande (voyageur)

Article 26, paragraphe 2, troisième phrase

  

Article 26, paragraphe 4

  

Directive 2006/112

SL

SV

Article 306

potnik (voyageur)

kunder (clients)

Article 307

 

resande (voyageur)

Article 308

  

Article 310

  

1 – Langue originale: l’anglais.


2 – Directive 2006/112 du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1, ci-après la «directive 2006/112»).


3 – Directive 90/314/CEE du Conseil, du 13 juin 1990, concernant les voyages, vacances et circuits à forfait (JO L 158, p. 59). Aux termes de l’article 1er de ladite directive, son objectif est «de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant les voyages à forfait, les vacances et circuits à forfait, vendus ou offerts à la vente sur le territoire de la Communauté».


4 – Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»). Les articles 306 à 310 de la directive 2006/112 représentent simplement une refonte de la structure et le libellé de l’article 26 de la sixième directive sans, en principe, provoquer des changements de fond dans la législation (voir troisième considérant du préambule de la directive 2006/112).


5 – Conformément à la directive 2008/9/CE, du 12 février 2008, définissant les modalités du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, prévu par la directive 2006/112, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l’État membre du remboursement, mais dans un autre État membre (JO L 44, p. 23), actuellement en vigueur, qui a abrogé et remplacé la huitième directive 79/1072/CEE du Conseil, du 6 décembre 1979, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l’intérieur du pays (JO L 331, p. 11).


6 – Cependant, la définition du terme «voyageur» qu’utilise la Commission est un peu plus large – voir point 28 ci-dessous.


7 – La Commission a expliqué à l’audience que le texte de la sixième directive avait été débattu et approuvé au sein du Conseil dans sa version en français, qui devait servir de base pour toutes les autres langues; mais, contrairement à cette intention, le texte final en anglais était en fait basé sur une version parallèle en anglais, qui n’avait pas servi de base aux discussions. Il est toutefois indéniable que le texte a été adopté dans les six langues, chacune des versions étant authentique.


8 – Je reproduis le texte unilingue des articles 306 à 310 de la directive 2006/112 en annexe I des présentes conclusions, et de l’article 26 de la sixième directive en annexe II. Dans les deux cas, je marque en italique le terme «voyageur» ou «client», selon le cas, ou son équivalent, pour chaque occurrence. Dans l’annexe III, je produis un tableau indiquant le terme utilisé dans chaque disposition, pour chacune des différentes versions linguistiques. À l’audience, la Commission a affirmé que le Conseil avait déterminé le texte final de chaque version linguistique de la directive 2006/112 sans que la Commission soit mise en mesure de réagir aux changements.


9 – Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 77/388/CEE en ce qui concerne le régime particulier des agences de voyages [COM(2002)64 final].


10 – Telle était en tout cas l’intention. En fait, au moins les versions en français, en grec, en italien et en suédois des nouvelles dispositions proposées semblent toutes avoir maintenu le terme «voyageur» dans un ou plusieurs cas.


11 – Point 4.1.2.1.


12 – Chypre, la Hongrie, la Lettonie et le Royaume-Uni. Les Pays-Bas ont modifié plus tard leur législation (à partir du 1er avril 2012) et il a été mis fin à la procédure parallèle engagée contre cet État membre (C-473/11).


13 – Voir communiqués de presse de la Commission IP/08/333 et IP/11/76.


14 – De plus, l’objectif visant à simplifier la procédure pour les agences de voyages a été souligné à plusieurs reprises par la Cour (voir, par exemple, arrêt du 9 décembre 2010, Minerva Kulturreisen, C‑31/10, Rec. p. I‑12889, points 17 et 18 et jurisprudence citée). L’objectif de l’allocation correcte du produit de la taxe a été souligné par l’avocat général Tizzano dans ses conclusions dans l’arrêt du 19 juin 2003, First Choice Holidays (C‑149/01, Rec. p. I‑6289), point 25, note de bas de page 13.


15 – Voir, toutefois, point 28 ci-dessous.


16 – Voir, récemment, arrêt du 17 janvier 2013, Commission/Espagne (C‑360/11, non encore publié au Recueil, point 18 et jurisprudence citée).


17 – Voir article 1er, paragraphe 2, de la directive 2006/112.


18 – Voir arrêt du 6 octobre 2005, Commission/Espagne (C‑204/03, Rec. p. I‑8389, point 28 et jurisprudence citée).


19 – Je ne pense pas qu’il soit utile ici d’attribuer chacun des arguments – ce qui suit n’étant, en tout état de cause, qu’un résumé – aux différents États membres.


20 – Voir, par exemple, arrêt du 3 mars 2011, Commission/Pays-Bas (C‑41/09, Rec. p. I‑831, point 44 et jurisprudence citée). Voir également arrêt du 2 avril 1998, EMU Tabac e.a. (C‑296/95, Rec. p. I‑1605, point 36).


21 – Arrêt du 22 octobre 1998, Madgett et Baldwin (C‑308/96 et C‑94/97, Rec. p. I‑6229, points 18 à 27). Voir également arrêt du 13 octobre 2005, ISt (C‑200/04, Rec. p. I‑8691, points 22 et suivants).


22 – Voir arrêt First Choice Holidays, précité à la note 14, point 28.


23 – Voir, pour un exemple très récent en ce qui concerne les exonérations, arrêt du 21 mars 2013, PFC Clinic (C‑91/12, non encore publié au Recueil, point 23).


24 – À la note 18; voir, en particulier, le point 25 de l’arrêt.


25 – Voir jurisprudence citée à la note 20 ci-dessus.


26 –      Virginibus puersique, iv, El Dorado (1881).


27 – Dans certains cas, bien sûr, le voyage lui-même ou une partie de celui-ci est l’objectif (certaines croisières, par exemple, ou encore des voyages en train légendaires comme l’Orient Express), ou bien le transport lui-même est le seul service acheté à l’agence de voyage (notamment, peut-être, dans le cas d’un voyage d’affaires). Cependant, une part significative de l’activité d’agence de voyages comprend des forfaits dont les services disponibles à destination sont la composante centrale, et le transport vers cette destination et en provenance de celle-ci n’est qu’un complément inévitable.


28 – Arrêt du 12 novembre 1992, Van Ginkel (C‑163/91, Rec. p. I‑5723).


29 – Dans l’arrêt Minerva Kulturreisen, précité à la note 14, la Cour a effectivement jugé que le régime de la marge bénéficiaire ne s’appliquait pas à la vente isolée de billets d’opéra par une agence de voyages, «sans fourniture d’une prestation de voyage», mais elle a expliqué que les services de voyage comprenaient le logement (points 21 et suivants de l’arrêt).


30 – Voir, respectivement, arrêts Madgett et Baldwin et ISt, précités à la note 21.


31 –      Arrêt du 16 octobre 2008, Canterbury Hockey Club et Canterbury Ladies Hockey Club (C‑253/07, Rec. p. I‑7821, points 26 et suivants). Je note que, dans cette affaire, la Commission a considéré que ladite disposition devait être interprétée «non pas de manière littérale, mais, afin de garantir une application effective de l’exonération qu’elle prévoit, en fonction de la prestation de services en cause et qu’il faut, dès lors, prendre en considération non seulement le destinataire formel ou légal de cette prestation, mais aussi son destinataire concret ou bénéficiaire effectif» (voir point 25 de l’arrêt).


32 – Voir jurisprudence citée à la note 14 ci-dessus.


33 – Ce n’est que si A est immatriculé à la TVA dans chacun de ces États membres et y fournit des prestations sur lesquelles la TVA en aval excède la totalité de la TVA acquittée par lui en amont que ce ne sera pas le cas. Cependant, même alors, il y aurait un flux de recettes de TVA en provenance des États membres dans lesquels les services ont été effectivement fournis et consommés vers l’État membre dans lequel A est établi, qui collecterait la taxe en aval sur sa vente à B.


34 – Voir point 32 ci-dessus.


35 – Pour l’autre sens de la neutralité fiscale dans le contexte de la TVA, voir note 40 ci-dessous.


36 – Voir arrêt du 19 juillet 2012, Deutsche Bank (C‑44/11, non encore publié au Recueil, point 45).


37 – La Commission remédie à cette difficulté dans les propositions de modification de l’article 26 de la sixième directive, essentiellement en remplaçant le terme «voyageur» par le terme «client» dans l’ensemble de l’article 26, paragraphe 3 (correspondant à la dernière phrase de l’article 26, paragraphe 2, dans la version non modifiée; il y a également d’autres modifications, mais elles n’ont pas d’incidence particulière sur la question examinée ici). Cela démontre, à mon avis, la nature très artificielle de l’objection.


38 – Voir point 31 ci-dessus.


39 – Note de bas de page 18 ci-dessus. La Commission cite également l’arrêt du 8 mai 2003, Seeling (C‑269/00, Rec. p. I‑4101, point 54).


40 –      Document cité à la note de bas de page 9, point 2, avant-dernier paragraphe. Le principe de neutralité qui est visé ici s’entend en ce sens que la TVA devrait être neutre quant à ses effets sur les assujettis, qui ne doivent pas supporter eux-mêmes la taxe.


41 –      L’article 79, premier alinéa, point c), concerne l’utilisation d’un compte de passage pour le remboursement des frais exposés au nom et pour le compte d’un acheteur ou preneur.


42 –      L’article 11, sous A, paragraphe 3, sous c), était le prédécesseur de l’article 79, premier alinéa, point c).


43 –      La sixième directive ayant été abrogée avant l’adhésion de la Bulgarie à l’Union, la version en bulgare n’est pas une traduction officielle.


44 –      La sixième directive ayant été abrogée avant l’adhésion de la Roumanie à l’Union, la version en roumain n’est pas une traduction officielle.