Language of document : ECLI:EU:T:2018:926

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

13 décembre 2018 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de déchéance – Enregistrement international désignant l’Union européenne – Marque figurative C=commodore – Demande en nullité des effets de l’enregistrement international – Article 158, paragraphe 2, du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 198, paragraphe 2, du règlement (UE) 2017/1001] – Article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 [devenu article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001] – Absence d’usage sérieux concernant certains des produits et des services visés par l’enregistrement international – Existence de justes motifs de non-usage »

Dans l’affaire T‑672/16,

C=Holdings BV, établie à Oldenzaal (Pays-Bas), représentée initialement par Mes P. Maeyaert et K. Neefs, puis par Mes Maeyaert et J. Muyldermans, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Gája, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Trademarkers NV, établie à Anvers (Belgique),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO du 13 juillet 2016 (affaire R 2585/2015-4), relative à une procédure de déchéance entre Trademarkers et C=Holdings,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de Mmes V. Tomljenović, président, A. Marcoulli et M. A. Kornezov (rapporteur), juges,

greffier : M. I. Dragan, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 21 septembre 2016,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 23 décembre 2016,

à la suite de l’audience du 4 mai 2018,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 26 avril 2006, Commodore International BV, prédécesseur en droit de la requérante, C=Holdings BV, a obtenu, auprès du bureau international de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), l’enregistrement international no 907082 désignant, notamment, l’Union européenne (ci-après l’« enregistrement international »).

2        La marque dont l’enregistrement international a été accordé est le signe figuratif suivant :

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3        L’enregistrement international porte sur certains produits et services compris dans les classes 9, 25, 38 et 41 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

4        L’enregistrement international est parvenu à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) le 21 décembre 2006, a été publié au Bulletin des marques communautaires no 52/2006, du 25 décembre 2006 et s’est vu reconnaître la même protection que celle accordée à une marque de l’Union européenne le 25 octobre 2007 (Bulletin des marques communautaires no 60/2007, du 29 octobre 2007).

5        Le 26 septembre 2014, Trademarkers NV a présenté auprès de l’EUIPO une demande en nullité des effets de l’enregistrement international, au titre de l’article 158, paragraphe 2, du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [devenu article 198, paragraphe 2, du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)], lu conjointement avec l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 (devenu article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001).

6        Trademarkers demandait la déchéance des droits de la requérante sur l’enregistrement international en raison de l’absence d’usage sérieux de ce dernier en tant que marque de l’Union européenne pendant une période ininterrompue de cinq ans.

7        Alors que, par décision du 3 novembre 2015, la division d’annulation avait accueilli la demande en déchéance pour l’ensemble des produits et des services visés par l’enregistrement international, la quatrième chambre de recours de l’EUIPO, par décision du 13 juillet 2016 (affaire R 2585/2015-4), relative à une procédure de déchéance entre Trademarkers et C=Holdings (ci-après la « décision attaquée »), a partiellement annulé la décision du 3 novembre 2015, estimant que la requérante avait établi un usage sérieux de l’enregistrement international durant la période pertinente, à savoir du 26 septembre 2009 jusqu’au 25 septembre 2014, en tant que marque de l’Union européenne pour les programmes pour jeux électroniques destinés à être utilisés avec des ordinateurs, des téléviseurs et des moniteurs, et logiciels pour consoles de jeux, relevant de la classe 9.

8        En revanche, la chambre de recours a considéré, à l’instar de la division d’annulation, que la requérante, d’une part, n’avait pas démontré d’usage sérieux concernant les autres produits et services et, d’autre part, que les raisons avancées pour le non-usage ne pouvaient être regardées comme étant de justes motifs au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009. Par conséquent, la chambre de recours a annulé la décision du 3 novembre 2015 concernant les produits mentionnés au point 7 ci-dessus, pour lesquels l’enregistrement international demeure enregistré, rejeté le recours pour le surplus et condamné chaque partie devant elle à supporter ses propres dépens.

 Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 septembre 2016, la requérante a introduit le présent recours.

10      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en tant que la chambre de recours a rejeté sa demande et renvoyer l’affaire devant la chambre de recours ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

11      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du litige

12      Il importe, à titre liminaire, de préciser que, ainsi qu’il ressort expressément des points 15 et 46 de la requête, celle-ci n’est pas dirigée contre la partie de la décision attaquée reconnaissant l’existence d’un usage sérieux de l’enregistrement international en tant que marque de l’Union européenne pour les produits énumérés au point 7 ci-dessus, relevant de la classe 9. La requérante ne conteste pas non plus les points 18 à 26 de la décision attaquée, concernant le fait que, selon la chambre de recours, elle n’a pas démontré d’usage sérieux concernant, d’une part, les services et, d’autre part, les autres produits que ceux énumérés au point 7 ci-dessus (ci-après les « produits et services en cause »). Elle concentre donc ses arguments sur l’existence, selon elle, de justes motifs de non-usage de l’enregistrement international en tant que marque de l’Union européenne pour les produits et services en cause.

13      Dans le mémoire en réponse, l’EUIPO souscrit à cette délimitation de l’objet du litige.

 Sur le fond

14      La requérante présente, à l’appui de son recours, un « moyen de droit unique » tiré de la violation des dispositions de l’article 15, paragraphes 1 et 2, du règlement no 207/2009 (devenu article 18, paragraphes 1 et 2, du règlement 2017/1001) et de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009. Elle invoque également la violation de l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que des articles 75 et 76 du règlement no 207/2009 (devenus articles 94 et 95 du règlement 2017/1001).

15      Il convient d’examiner d’abord le moyen tiré de la violation des dispositions de l’article 15, paragraphes 1 et 2, et de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009.

16      Selon l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, « [s]i, dans un délai de cinq ans à compter de l’enregistrement, la marque de l’Union européenne n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque de l’Union européenne est soumise aux sanctions prévues au présent règlement, sauf juste motif pour le non-usage ».

17      Aux termes de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du même règlement, « [l]e titulaire de la marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits […] : a) si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage […] ».

18      Selon la jurisprudence, seuls des obstacles qui présentent une relation suffisamment directe avec une marque rendant impossible ou déraisonnable l’usage de celle-ci et qui sont indépendants de la volonté du titulaire de cette marque peuvent être qualifiés de « justes motifs » pour le non-usage de celle-ci. Il convient d’apprécier au cas par cas si un changement de la stratégie d’entreprise pour contourner l’obstacle considéré rendrait déraisonnable l’usage de ladite marque [arrêts du 17 mars 2016, Naazneen Investments/OHMI, C‑252/15 P, non publié, EU:C:2016:178, point 96, et du 29 juin 2017, Martín Osete/EUIPO – Rey (AN IDEAL WIFE e.a.), T‑427/16 à T‑429/16, non publié, EU:T:2017:455, point 50 ; voir également, par analogie, arrêt du 14 juin 2007, Häupl, C‑246/05, EU:C:2007:340, point 54].

19      La Cour précise, quant à la notion d’usage déraisonnable, que, si un obstacle est d’une nature telle qu’il compromette sérieusement un usage approprié de la marque, il ne peut pas être raisonnablement demandé au titulaire de celle-ci de l’utiliser malgré tout. Ainsi, par exemple, il ne pourrait être raisonnablement demandé au titulaire d’une marque de commercialiser ses produits dans les points de vente de ses concurrents. Dans de tels cas, il n’apparaît pas raisonnable d’exiger du titulaire de la marque qu’il modifie sa stratégie d’entreprise afin de rendre l’usage de cette marque tout de même possible (arrêt du 14 juin 2007, Häupl, C‑246/05, EU:C:2007:340, point 53).

20      Il ressort également de la jurisprudence que la notion de « justes motifs » se réfère plutôt à des circonstances externes au titulaire de la marque qu’aux circonstances liées à ses difficultés commerciales [voir arrêt du 18 mars 2015, Naazneen Investments/OHMI (SMART WATER), T‑250/13, non publié, EU:T:2015:160, point 66 et jurisprudence citée].

21      En outre, il convient de rappeler que l’article 42, paragraphe 2, et l’article 57, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 (devenus, respectivement, article 47, paragraphe 2, et article 64, paragraphe 2, du règlement 2017/1001) précisent expressément que la preuve de l’usage sérieux ou de l’existence de justes motifs de non-usage incombe au titulaire de la marque concernée. Selon la jurisprudence, la circonstance que, à la différence de l’article 42, paragraphe 2, et de l’article 57, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, l’article 51, paragraphe 1, de ce même règlement ne spécifie pas que la preuve de l’usage sérieux ou de l’existence de justes motifs de non-usage incombe audit titulaire ne saurait être interprétée en ce sens que le législateur de l’Union aurait entendu exclure ce principe afférent à la charge de la preuve dans le cadre de la procédure de déchéance. L’absence, à l’article 51, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, de précisions en ce qui concerne la charge de la preuve s’explique, au demeurant, sans difficultés, eu égard à la circonstance que l’objet du paragraphe 1 de cet article 51, intitulé « Causes de déchéance », consiste à énoncer les motifs de déchéance de la marque, ce qui n’appelle pas l’apport de précisions relatives à la question de la charge de la preuve (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2013, Centrotherm Systemtechnik/OHMI et centrotherm Clean Solutions, C‑610/11 P, EU:C:2013:593, points 55 à 57). Ainsi, c’est à la requérante qu’il incombait d’apporter à l’EUIPO des éléments suffisamment probants de l’existence de justes motifs pour le non-usage de l’enregistrement international en tant que marque de l’Union européenne.

22      En l’espèce, la chambre de recours a estimé que les éléments de preuve que la requérante avait produits ne suffisaient pas pour démontrer l’existence de justes motifs de non-usage de la marque C=commodore pour les produits et services en cause. À cet égard, l’EUIPO soutient qu’une partie des circonstances factuelles invoquées à cette fin par la requérante n’est pas prouvée. Il convient, dès lors, de relever les circonstances factuelles qui ne sont pas contestées ou qui doivent être considérées comme étant établies sur la base des pièces versées au dossier.

23      En premier lieu, il n’est pas contesté que l’activité de la requérante consiste en la concession de licences de marques. Il est constant, à cet égard, que la requérante ne possède pas de capacités propres de fabrication ou de recherche.

24      En deuxième lieu, il ressort du dossier que, jusqu’au 7 novembre 2011, la requérante était détenue à 100 % par Asiarim Corporation (ci-après « Asiarim »), par l’intermédiaire de sa filiale Commodore Licensing BV. Le 7 novembre 2011, la totalité des parts composant le capital de la requérante a été transférée, par acte notarié, à deux personnes physiques, qui sont les actuels propriétaires de la requérante (ci-après le « transfert de propriété »). Or, il apparaît que, du 26 septembre 2009, début de la période pertinente, au 7 novembre 2011, date du transfert de propriété, la requérante a pu exercer son activité. C’est ainsi qu’elle a pu démontrer, pour les produits énumérés au point 7 ci-dessus, l’usage sérieux de l’enregistrement international.

25      En troisième lieu, toutefois, à partir du transfert de propriété, la requérante a dû faire face à plusieurs manœuvres de nature diverse, de la part notamment d’Asiarim, visant à revendiquer la propriété des marques Commodore.

26      En effet, premièrement, il ressort du dossier qu’Asiarim a produit plusieurs fausses déclarations devant les autorités des États-Unis d’Amérique, dans lesquelles elle se déclarait le propriétaire des marques Commodore. Ainsi, dans les formulaires 8K du 20 décembre 2011 et des 5 et 16 janvier 2012 qu’Asiarim a présentés devant la Securities and Exchange Commission (commission des opérations de bourse, États-Unis, ci-après la « SEC ») (annexes 6 à 8 de la requête), Asiarim a notamment déclaré que « Commodore Asia Electronics [Ltd] [étai]t l’une des sociétés chargées des licences de la marque au sein du groupe, tout comme Commodore Licensing […] en Europe, ayant obtenu des licences de [la requérante] depuis 2008 », et que, « après la restructuration du groupe au début [du mois de] novembre 2011, Commodore Brand IP [Ltd] était la détentrice des dénominations commerciales et de la propriété intellectuelle de la marque Commodore » (annexe 6 de la requête, p. 68). Dans le formulaire 8K du 16 janvier 2012, Asiarim a affirmé, notamment, que la requérante « a[vait] fait une déclaration […] pour revendiquer la propriété et l’usage légal du nom commercial et des représentations de la marque Commodore », ce à quoi Asiarim avait répondu en indiquant qu’elle « défendrait vigoureusement ses droits de propriété sur le nom commercial et les représentations de la marque Commodore ». À cet égard, dans un jugement du 16 décembre 2013, la District Court of New York (cour de district de New York, New York, États-Unis) a condamné Asiarim à modifier ses déclarations faites auprès de la SEC, en les qualifiant de « fausses et probablement produites de mauvaise foi » (annexe 14 de la requête, p. 129).

27      Il convient, en outre, de relever que ces formulaires 8K sont publiés et directement accessibles en ligne, de sorte que les partenaires actuels ou potentiels de la requérante pouvaient effectivement en prendre connaissance.

28      Deuxièmement, il ressort du dossier qu’Asiarim et ses filiales ont pris contact de façon répétée avec les partenaires actuels ou potentiels de la requérante en se présentant comme les titulaires légitimes des marques Commodore. Ainsi, Asiarim s’est adressée à Manomio LLC, un licencié de la requérante, à plusieurs reprises, en déclarant, notamment dans un courriel du 23 septembre 2012, ce qui suit :

« Il n’y a pas de litige du tout quant [à la question] de savoir qui est habilité à percevoir les redevances afférentes aux droits de propriété intellectuelle de Commodore : Asiarim, en tant que propriétaire de Commodore Licensing […] jusqu’à la faillite du 28 décembre 2011. Après le 1er janvier 2012, Asiarim a transféré (ou renouvelé) votre contrat directement avec Commodore Brand IP […] à Hong Kong, en tant que détenteur des droits de propriété intellectuelle de la marque depuis le 2 novembre 2011 […] Nous nous attendons à ce que vous confirmiez votre position vis-à-vis de Commodore Brand IP […] qui est le titulaire légitime des droits de propriété intellectuelle de Commodore et votre contractant légal. Nous vous prions de vous acquitter des redevances conformément aux termes et conditions prévus dans notre contrat […] Nous vous tiendrons hors responsabilité pour toute prétention de tiers à cet égard. »

29      À cause de ces manœuvres et étant dans l’impossibilité de déterminer le titulaire légal de l’enregistrement international, Manomio avait décidé de geler le versement des redevances à la requérante dans l’attente d’une décision de justice sur la propriété de cet enregistrement, ainsi qu’il ressort d’un courriel du 26 avril 2012 adressé par Manomio à la requérante.

30      Asiarim s’est également adressée à plusieurs reprises à Leveraged Marketing Corporation of America (ci-après « LMCA »), société qui cherchait à obtenir une licence exclusive à l’échelle mondiale sur les marques Commodore, en revendiquant, ainsi qu’il ressort de l’échange de correspondance entre elles et notamment d’un courriel du 19 décembre 2011, le fait que « Commodore Licensing […] a[vait] la licence entière, conférée par [la requérante] en exclusivité » (annexe 12 de la requête, p. 97).

31      Dans son jugement du 16 décembre 2013, la District Court of New York (cour de district de New York) a décrit les manœuvres d’Asiarim comme suit :

« [L]a violation commise par Asiarim était volontaire, ainsi qu’il ressort de ses tentatives flagrantes de revendiquer frauduleusement la propriété de la marque. […] [L]a Cour est pleinement consciente que la remarquable inconduite d’Asiarim doit être à la fois punie et dissuadée […] Néanmoins, le fait que [la requérante] ne puisse identifier ses dommages avec précision ne signifie pas que deux ans de pratiques de violation intentionnelle et de tromperie de la part d’Asiarim ne lui aient pas nui. La conduite d’Asiarim a certainement causé un tort pécuniaire significatif à [la requérante] au-delà des revenus non perçus de Manomio. »

32      Troisièmement, il ressort du dossier que la requérante a dû faire face à toute une série de litiges, certains de nature vexatoire, qui se sont étalés sur une longue période, à savoir à la suite du transfert de propriété du 7 novembre 2011 jusqu’en 2015, soit au-delà du terme de la période pertinente. Ainsi, primo, Asiarim a engagé, d’une part, une action indemnitaire aux États-Unis contre les propriétaires de la requérante en leur réclamant un montant de 32 millions de dollars américains (USD) (environ 27 700 000 euros) à titre de dommages-intérêts en raison de l’acquisition prétendument illégale des marques Commodore, ce litige n’ayant été définitivement tranché que le 28 septembre 2015, et, d’autre part, une action devant le juge des référés du rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas) visant à la saisie de leurs avoirs. Secundo, une autre société, Leadgate SA, qui, selon la requérante, serait liée au directeur d’Asiarim, a également engagé une action contre la requérante aux États Unis en lui réclamant un montant de 22 millions d’USD (environ 19 000 000 euros) en tant que dette non-remboursée dont la garantie aurait été les marques Commodore, laquelle a été rejetée définitivement le 18 mai 2015. Cette société aurait également engagé une autre action en justice contre la requérante devant le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) demandant la saisie avant exécution forcée des marques de la requérante. Or, il s’est avéré que ladite société, qui s’est d’abord présentée comme étant une société de droit helvétique, avant de prétendre être une société régie par le droit uruguayen, n’avait jamais existé, ainsi que l’a constaté le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) dans son jugement du 17 juillet 2014 (annexe 16 de la requête, p. 155). Tertio, la requérante a dû ester en justice aux États-Unis contre Asiarim, sise au Nevada (États-Unis), afin de défendre son droit de propriété sur l’enregistrement international et d’être indemnisée du préjudice causé par celle-ci.

33      Au vu de ces éléments factuels, la chambre de recours a reconnu l’existence de « difficultés » qui « [avaie]nt pu entraver le développement de la marque » (point 29 de la décision attaquée), estimant que des « stratégies procédurales frauduleuses et d’intimidation » employées à l’encontre de la requérante pouvaient « indubitablement constituer une sérieuse entrave au cours normal des affaires » (point 31 de la décision attaquée).

34      Il ressort donc du dossier que la requérante a effectivement fait face, pendant plusieurs années s’étalant sur une partie significative de la période pertinente et au-delà de celle-ci, à une série de manœuvres qualifiées de « frauduleuses », de « trompeuses » et « d’intimidations » par la District Court of New York (cour de district de New York) et par la chambre de recours elle-même, et consistant en des fausses déclarations présentées aux autorités des États-Unis, en des prises de contact répétées avec des clients existants ou potentiels de la requérante ainsi qu’en des litiges qualifiés de « vexatoires » par la chambre de recours.

35      C’est à la lumière de ces circonstances qu’il convient d’examiner si la chambre de recours a commis des erreurs en concluant, sur la base des motifs exposés aux points 28 à 33 de la décision attaquée, à l’absence de justes motifs de non-usage au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009.

36      La requérante conteste le bien-fondé de chacun des cinq motifs retenus par la chambre de recours aux points 28 à 33 de la décision attaquée. Lors de l’audience, l’EUIPO a précisé, en réponse à une question posée par le Tribunal, que les premier à troisième (points 28 à 30 de la décision attaquée) et cinquième (point 32 de la décision attaquée) motifs de la décision attaquée devaient être compris comme étant accessoires au quatrième motif de cette dernière (point 31 de la décision attaquée).

37      Il convient de préciser à cet égard, tout d’abord, que la chambre de recours n’a pas constaté dans la décision attaquée que les circonstances invoquées par la requérante ne présentaient pas une relation suffisamment directe avec la marque contestée. Il y a lieu d’indiquer néanmoins, en réponse à une observation de l’EUIPO, que, s’il est vrai que l’argumentaire que présente la requérante est fondé sur des circonstances concernant les marques Commodore dans leur ensemble et non spécifiquement l’enregistrement international en cause, ces circonstances présentent indubitablement une relation suffisamment directe avec ce dernier, conformément au critère retenu par la jurisprudence [voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 2017, Kaane American International Tobacco/EUIPO – Global Tobacco (GOLD MOUNT), T‑294/16, non publié, EU:T:2017:382, point 41]. En effet, l’ensemble des manœuvres décrites aux points 25 à 32 ci-dessus présentaient une relation suffisamment directe avec les marques Commodore dans leur ensemble, donc aussi avec l’enregistrement international pour les produits et services en cause.

38      En outre, il n’est pas contesté que ces manœuvres se sont déroulées non seulement indépendamment de la volonté de la requérante au sens de la jurisprudence citée au point 18 ci-dessus, mais également contre son gré.

39      Ensuite, s’agissant des motifs sur la base desquels la chambre de recours a fondé la partie contestée de la décision attaquée, il convient de relever, premièrement, que celle-ci a constaté, au point 28 de la décision attaquée, que, « indépendamment de [la] procédure contentieuse […] en cours », la requérante avait démontré qu’un usage sérieux avait été possible durant la période pertinente concernant les produits mentionnés au point 7 ci-dessus. Or, la requérante n’aurait avancé aucune explication quant à la raison pour laquelle l’usage de cet enregistrement en tant que marque de l’Union européenne aurait été possible pour lesdits produits et pas pour les produits ou services en cause. Par conséquent, elle aurait démontré elle-même que, en réalité, le prétendu motif pour le non-usage de l’enregistrement international n’en empêchait pas l’usage sérieux.

40      Il convient d’observer, à cet égard, que l’EUIPO a lui-même admis, lors de l’audience, que le seul fait que l’usage sérieux de la marque contestée était possible pour certains produits n’excluait pas l’existence de justes motifs pour le non-usage de celle-ci pour d’autres produits ou services, mais que, de son point de vue, la requérante n’avait pas expliqué pourquoi il y avait, en l’espèce, cette différence quant à l’usage pour les autres biens et services.

41      Il importe de souligner à cet égard, ce dont les parties sont d’ailleurs convenues lors de l’audience, que l’existence d’un usage sérieux, pour certains des produits et des services visés par la marque contestée, ne fait obstacle, ni en droit ni en fait, à la présence de justes motifs de non-usage de la même marque s’agissant d’autres produits ou services couverts par elle. À cet égard, il ressort de la jurisprudence que l’usage sérieux au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 doit être démontré par rapport à chaque type de produits ou de services visés par la marque contestée susceptible d’être envisagé de façon autonome [voir, en ce sens, arrêts du 8 octobre 2014, Lidl Stiftung/OHMI – A Colmeia do Minho (FAIRGLOBE), T‑300/12, non publié, EU:T:2014:864, point 47, et du 28 juin 2017, Tayto Group/EUIPO – MIP Metro (real), T‑287/15, non publié, EU:T:2017:443, point 67]. Or, rien dans le libellé dans cette disposition, ni aucune autre disposition du droit de l’Union ne s’oppose à ce qu’un usage sérieux d’une marque puisse être démontré par rapport à certains produits ou services couverts par celle-ci, tout en justifiant l’absence d’un tel usage par rapport à d’autres produits ou services par de justes motifs de non-usage.

42      De surcroît, la chambre de recours n’a pas tenu compte de la chronologie des circonstances exposées aux points 23 à 31 ci-dessus. En effet, comme la requérante l’a confirmé lors de l’audience, le contrat de licence passé avec Manomio, qui a permis d’établir l’usage sérieux de l’enregistrement international pour les produits énumérés au point 7 ci-dessus, avait été conclu avant le transfert de propriété, qui a déclenché l’ensemble des manœuvres décrites aux points 25 à 31 ci-dessus. Par conséquent, l’invocation de ces dernières comme étant de justes motifs de non-usage, à partir du 7 novembre 2011, n’entrait pas en contradiction avec la présence de contrats antérieurs à cette date. Bien plus, il ressort du dossier que Manomio a lui-même décidé de ne plus verser de redevance à la requérante en raison précisément desdites manœuvres, ainsi qu’il a été rappelé au point 28 ci-dessus. Il n’existait donc nulle antinomie, dans les circonstances de l’espèce, entre le fait que la requérante avait démontré l’usage sérieux de l’enregistrement international pour certains produits au début de la période pertinente, tout en faisant valoir l’existence de justes motifs de non-usage pour d’autres produits et services au cours de la partie restante de la période pertinente. Le premier motif de la décision attaquée est donc entaché tant d’une erreur de droit que d’une erreur d’appréciation.

43      Deuxièmement, la chambre de recours, tout en admettant que les « difficultés lors de la négociation de contrats avec des tiers […] [avaie]nt pu entraver le développement de la marque par la conclusion de contrats de licence », a considéré que la requérante n’avait produit aucun élément de preuve ou argument convaincant démontrant que ces difficultés l’avait empêchée d’utiliser elle-même l’enregistrement international en cause, « par exemple en fabriquant et en vendant des produits enregistrés ou en fournissant des services enregistrés elle-même plutôt que de laisser des tiers s’en charger » (point 29 de la décision attaquée).

44      Toutefois, il est constant, comme cela a été souligné au point 23 ci-dessus, que l’activité de la requérante consistait exclusivement à concéder des droits de propriété intellectuelle par le biais de la conclusion de contrats de licence et qu’elle ne possédait pas de capacités propres de fabrication ou de recherche. Or, tout en admettant explicitement que les motifs avancés par la requérante avaient pu entraver la conclusion de contrats de licence, la chambre de recours lui a reproché de n’avoir produit aucun élément de preuve démontrant qu’elle était empêchée d’utiliser elle-même l’enregistrement international en cause. Ce faisant, la chambre de recours a fait abstraction du fait que la seule activité de la requérante consistait précisément en la conclusion de contrats de licence. Le deuxième motif de la décision attaquée revient ainsi à demander à la requérante de modifier de façon importante sa stratégie d’entreprise afin de rendre possible l’usage de l’enregistrement international, en se transformant en fabricant ou en fournisseur des produits ou services en cause. Toutefois, ainsi que le fait valoir à bon droit la requérante, un changement de stratégie d’entreprise d’une telle envergure paraît déraisonnable au regard de la jurisprudence citée au point 19 ci-dessus.

45      Troisièmement, la chambre de recours a estimé que, « indépendamment du fait que [le] différend [entre la requérante et Asiarim et ses filiales] [eû]t pu empêcher la conclusion d’un contrat de licence » très lucratif avec LMCA, la requérante n’avait pas démontré que « cette action en justice aurait rendu impossibles toutes négociations avec d’autres titulaires de licence potentiels, en particulier dans l’Union européenne plutôt qu’aux États-Unis » (point 30 de la décision attaquée).

46      À cet égard, il y a lieu de souligner, d’une part, à l’instar de la requérante, que c’est à tort que la chambre de recours a exigé de la requérante qu’elle démontrât que les circonstances qu’elle invoquait rendaient « impossibles » toutes négociations avec d’autres titulaires de licence potentiels, puisque, selon la jurisprudence rappelée au point 18 ci-dessus, l’usage de la marque contestée doit être rendu « impossible ou déraisonnable ». Or, la chambre de recours n’a pas examiné si les éléments produits par la requérante établissaient à suffisance qu’il était déraisonnable, du point de vue des partenaires potentiels de la requérante et compte tenu des circonstances de l’espèce, que de telles négociations soient, en dépit desdites circonstances, menées en vue de la conclusion de contrats de licences.

47      D’autre part, la chambre de recours n’a pas tenu compte du fait que les manœuvres décrites aux points 25 à 32 ci-dessus avaient empêché non seulement la conclusion d’un contrat de licence avec LMCA, mais également qu’un client existant, à savoir Manomio, avait décidé de geler le paiement de ses redevances à cause précisément desdites manœuvres. Partant, la chambre de recours ne pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, reprocher à la requérante de ne pas avoir apporté d’éléments de preuve concernant d’autres titulaires de licence, alors qu’elle avait établi que même un partenaire commercial existant, à savoir Manomio, avait cessé le paiement de ses redevances et s’interrogeait sur la poursuite de son partenariat avec la requérante du fait desdites manœuvres.

48      En ce qui concerne la constatation faite au point 30 de la décision attaquée selon laquelle la requérante n’a pas démontré l’impossibilité de mener des négociations avec des titulaires de licence potentiels « en particulier dans l’Union européenne plutôt qu’aux États-Unis », il suffit d’observer, d’une part, que la chambre de recours n’a pas suffisamment examiné si les circonstances invoquées par la requérante et survenues aux États-Unis avaient produit des effets également sur le territoire de l’Union. Ainsi, la chambre de recours n’a pas tenu compte du fait, non contesté, que LMCA cherchait à obtenir une licence exclusive à l’échelle mondiale sur les marques Commodore et donc, potentiellement, dans l’Union également, ni du fait que les fausses déclarations d’Asiarim auprès de la SEC étaient publiées et directement accessibles en ligne. D’autre part, la chambre de recours n’a pas non plus pris en considération le fait, également non contesté, qu’une partie de ces circonstances avait eu lieu sur le territoire de l’Union. En effet, les manœuvres décrites aux points 25 à 32 ci-dessus portaient sur l’ensemble des marques Commodore, y compris l’enregistrement international en cause dans la présente affaire, et ont donné lieu à des litiges également dans l’Union visant, en particulier, la saisie desdites marques (point 32 ci-dessus).

49      Partant, le troisième motif avancé par la chambre de recours est entaché tant d’une erreur de droit que d’une erreur d’appréciation.

50      Quatrièmement, selon la chambre de recours, si des « stratégies procédurales frauduleuses et d’intimidation », telles que celles auxquelles a dû faire face la requérante, peuvent « indubitablement constituer une sérieuse entrave au cours normal des affaires », elles ne sauraient « être considérées intrinsèquement comme des raisons valables d’être intimidé et de cesser ses activités commerciales, en particulier lorsque les propriétaires légitimes d’une marque n’ont aucun doute quant à la légitimité de leurs droits » (point 31 de la décision attaquée). Or, il ressortirait des documents judiciaires produits que la requérante ne pouvait avoir de doute sérieux quant à ses droits de propriété sur les marques Commodore, au regard du caractère vexatoire de ces procédures.

51      Le quatrième motif avancé par la chambre de recours, considéré par l’EUIPO comme le motif central de la décision attaquée (voir point 36 ci-dessus), est, lui aussi, erroné à plusieurs égards.

52      En effet, contrairement à ce qu’a indiqué la chambre de recours, la question n’était pas de savoir si la requérante avait ou non des doutes quant au résultat final des procédures judiciaires en cause, mais de déterminer si des tiers, c’est-à-dire les clients existants et potentiels de la requérante, pouvaient en entretenir, de façon à ce qu’ils s’abstinssent de toute relation commerciale avec la requérante. Or, la chambre de recours a omis d’examiner si l’ensemble des manœuvres en question, qu’elle a elle-même qualifiées de « frauduleuses » et « d’intimidation », pouvaient faire naître dans l’esprit des tiers un doute quant à la propriété légitime de l’enregistrement international susceptible de constituer un obstacle de nature à rendre déraisonnable l’usage de celui-ci, au sens de la jurisprudence citée au point 18 ci-dessus. En particulier, la chambre de recours n’a pas tenu compte à cet égard de l’ensemble des circonstances de l’espèce et notamment des fausses déclarations faites par Asiarim devant la SEC ainsi que du fait que celles-ci étaient publiques et directement accessibles en ligne auprès des tiers, pas plus que des prises de contact répétées d’Asiarim avec Manomio et LMCA, visant à empêcher ou à faire cesser les relations contractuelles entre ces dernières et la requérante.

53      L’EUIPO fait néanmoins valoir que les problèmes et différends commerciaux entre concurrents sont inhérents à la gestion d’une entreprise et ne sauraient intrinsèquement constituer un obstacle de nature à rendre, en l’espèce, l’octroi de licences déraisonnable. Il invoque, au soutien de cet argument, l’arrêt du 18 mars 2015, SMART WATER (T‑250/13, non publié, EU:T:2015:160).

54      Cependant, les entraves auxquelles a dû faire face la requérante, étrangères au comportement de cette dernière, ne sauraient être qualifiées de simples difficultés commerciales. En effet, d’une part, les stratagèmes employés par Asiarim et ses filiales ont été qualifiés de « frauduleux », de « trompeurs » et « d’intimidation » tant par la District Court of New York (cour de district de New York) que par la chambre de recours elle-même, ce qui suggère qu’ils excèdent de beaucoup les difficultés commerciales rencontrées par une entreprise dans l’exercice normal de ses activités.

55      En effet, au point 31 de la décision attaquée, la chambre de recours a expressément admis que lesdites stratégies pouvaient « indubitablement constituer une sérieuse entrave » au cours normal des affaires de la requérante. Or, selon la jurisprudence rappelée au point 19 ci-dessus, un obstacle qui est d’une nature telle qu’il « compromette sérieusement » un usage approprié de la marque contestée constitue un juste motif de non-usage au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009. Toutefois, la chambre de recours n’explique pas comment un obstacle qualifié par elle-même d’indubitablement « sérieux » au cours normal des affaires pourrait ne pas compromettre sérieusement l’usage approprié de la marque contestée au sens de cette jurisprudence.

56      L’argument que tire l’EUIPO de l’arrêt du 18 mars 2015, SMART WATER (T‑250/13, non publié, EU:T:2015:160), ne saurait prospérer. En effet, d’une part, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, il était question de problèmes techniques relatifs à la fabrication des boissons constituant les produits en cause et donc d’une difficulté commerciale rencontrée dans l’exercice normal des activités de l’entreprise. D’autre part, il est certes vrai, comme le rappelle le Tribunal au point 74 de cet arrêt, que le fait qu’une procédure en déchéance soit engagée contre une marque ne saurait, en tant que tel, suffire pour constater l’existence de justes motifs de non-usage au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009. Toutefois, il convient d’apprécier l’existence de tels motifs au cas par cas en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce, ainsi que l’exige la jurisprudence rappelée au point 18 ci-dessus. Or, ainsi qu’il a été relevé aux points 25 à 34 ci-dessus, la requérante n’a pas été aux prises avec un seul litige pouvant être considéré comme relevant du cours normal des affaires, mais avec une stratégie frauduleuse et trompeuse, comportant plusieurs manœuvres de nature diverse que la chambre de recours a omis de prendre en considération dans leur ensemble.

57      Il s’ensuit que le quatrième motif est, lui aussi, entaché d’erreurs de droit et d’appréciation.

58      Cinquièmement, la chambre de recours a considéré que la requérante n’avait pas indiqué « en quoi le litige aux États-Unis aurait pu influencer l’utilisation [de l’enregistrement international] par le FC Bayern München en Allemagne » pour les produits relevant de la classe 25.

59      Il suffit de constater à cet égard que les manœuvres décrites aux points 25 à 32 ci-dessus, manœuvres dont certaines ont d’ailleurs eu lieu sur le territoire de l’Union (voir point 32 ci-dessus), étaient de nature à affecter l’usage de l’enregistrement international pour tous les produits et services en cause.

60      En tout état de cause, les parties s’accordent, dans le cadre du présent litige, sur le fait que ce motif de la décision attaquée présente, au regard de l’économie générale de cette dernière, un caractère très accessoire, dans la mesure où il ne permet pas de déterminer si les autres raisons avancées par la requérante pour justifier le non-usage de l’enregistrement international constituaient ou non de justes motifs au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009.

61      Il résulte de ce qui précède qu’aucun des motifs de la décision attaquée, pris séparément ou dans leur ensemble, ne permet de fonder cette dernière en droit comme en fait.

62      Enfin, il convient d’observer que, sur le plan temporel, les motifs de non-usage avancés par la requérante s’étendent sur une partie significative de la période pertinente, à savoir du transfert de propriété, le 7 novembre 2011, jusqu’au terme de la période pertinente, le 26 septembre 2014, voire au-delà de celle-ci. Les parties s’accordent sur le fait que, aux fins de l’application de l’article 51, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement no 207/2009 [devenu article 58, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement 2017/1001], il suffit que lesdits motifs couvrent une partie de la période pertinente pour que le titulaire de la marque échappe à la déchéance de ses droits sur celle-ci.

63      Tant le libellé de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 que l’objectif qui le sous-tend confirme cette interprétation. En effet, premièrement, il ressort du libellé même de cette disposition que le titulaire de la marque est déclaré déchu de ses droits si, pendant une « période ininterrompue de cinq ans », ladite marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, « et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage ». En d’autres termes, si, pendant une période « ininterrompue » de cinq ans, il n’y a ni usage sérieux de la marque en cause ni justes motifs pour le non-usage de celle-ci, le titulaire est déclaré déchu de ses droits. En revanche, si la marque en cause a fait l’objet d’un usage sérieux ou si un tel usage a été empêché par la survenance de justes motifs au cours d’une partie de la période quinquennale, cette dernière n’est plus « ininterrompue » au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009.

64      En effet, le Tribunal a déjà eu l’occasion de relever qu’il suffit qu’une marque ait fait l’objet d’un usage sérieux pendant une partie de la période quinquennale pertinente pour échapper aux sanctions prévues à l’article 51, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement no 207/2009 [arrêt du 13 janvier 2011, Park/OHMI – Bae (PINE TREE), T‑28/09, non publié, EU:T:2011:7, point 88].

65      De même, il suffit qu’il existe des justes motifs de non-usage d’une marque pendant une partie de la période pertinente pour que son titulaire échappe à la déchéance de ses droits sur cette marque. Une interprétation contraire irait à l’encontre du libellé de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, lequel n’opère pas de distinction entre les titulaires d’une marque de l’Union européenne qui ont fait un usage sérieux de leur marque et ceux qui en ont été empêchés par de justes motifs.

66      Deuxièmement, l’objectif sous-tendant l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 confirme cette interprétation. En effet, en prévoyant la possibilité de justifier le non-usage d’une marque de l’Union européenne par de justes motifs, le législateur de l’Union a cherché à éviter que le titulaire de la marque se voie déclarer déchu de ses droits sur celle-ci s’il a été objectivement empêché d’en faire usage sérieux par des motifs indépendants de sa volonté et donc externes audit titulaire.

67      Or, exiger que de tels motifs doivent s’étendre sur l’ensemble de la période quinquennale pertinente risquerait de remettre en cause cet objectif. En effet, la survenance de tels motifs, même lorsqu’ils n’ont perduré que pendant une partie de la période pertinente, a pu entraver ou à tout le moins retarder l’usage sérieux de la marque au-delà de la période pendant laquelle sont survenus ces motifs. Ainsi, le fait que les évènements susceptibles d’être qualifiés de « justes motifs » au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 aient pris fin à un moment donné au cours de la période pertinente ne signifie pas que le titulaire de la marque ait pu raisonnablement reprendre aussitôt l’usage sérieux de celle-ci.

68      De même, le fait que de tels évènements soient survenus non pas au début de la période pertinente, mais ultérieurement au cours de celle-ci ne permet pas de déclarer le titulaire de la marque déchu de ses droits. En effet, selon la jurisprudence citée au point 64 ci-dessus, si, par la suite, il en fait un usage sérieux au cours de la période pertinente, il ne saurait être déclaré déchu de ses droits sur la marque. La même conclusion s’impose si, malgré sa volonté, il était empêché d’en faire un tel usage par de justes motifs survenus ultérieurement au cours de cette période.

69      Il découle de tout ce qui précède qu’il convient d’accueillir le « moyen de droit unique » et, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs avancés par la requérante, d’annuler pour ce motif la décision attaquée pour autant que la chambre de recours a rejeté le recours de la requérante s’agissant de l’existence de justes motifs de non-usage de l’enregistrement international.

 Sur les dépens

70      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,


LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 13 juillet 2016 (affaire R 2585/2015-4), relative à une procédure de déchéance entre Trademarkers NV et C=Holdings BV, est annulée pour autant que la chambre de recours a rejeté le recours de C=Holdings s’agissant de l’existence de justes motifs de non-usage de l’enregistrement international dont celle-ci est titulaire.

2)      L’EUIPO est condamné aux dépens.

Tomljenović

Marcoulli

Kornezov

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.