Language of document : ECLI:EU:T:2013:25

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

17 janvier 2013 (*)

« Référé – Aides d’État – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération auprès du bénéficiaire – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑507/12 R,

République de Slovénie, représentée par Mmes V. Klemenc et A. Grum, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. É. Gippini Fournier, D. Kukovec et T. Maxian Rusche, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision C (2012) 6345 final de la Commission, du 19 septembre 2012, relative aux mesures prises en faveur de l’entreprise Elan d.o.o. [(SA.26379 (C 13/2010) (ex NN 17/2010)],

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Faits, procédure et conclusions des parties

1        Par lettre du 28 août 2008, la Commission a invité la République de Slovénie à lui présenter ses observations au sujet des informations selon lesquelles elle envisageait d’octroyer des aides d’État – par une recapitalisation à hauteur de 10 millions d’euros – à l’entreprise slovène Elan d.o.o., qui fabrique des équipements de ski, des bateaux destinés à la navigation en mer, tels que des yachts, ainsi que des équipements pour installations sportives et qui, en 2008, était majoritairement détenue par l’État slovène.

2        À la suite d’un long échange de courrier avec les autorités slovènes, la Commission a adopté, le 19 septembre 2012, la décision C (2012) 6345 final, relative aux mesures prises en faveur de l’entreprise Elan d.o.o. [(SA.26379 (C 13/2010) (ex NN 17/2010)] (ci-après la « décision attaquée »). En substance, la Commission, dans la décision attaquée, qualifie d’aide d’État incompatible avec le marché intérieur la recapitalisation susmentionnée et ordonne auxdites autorités sa récupération immédiate auprès du bénéficiaire, dès lors qu’elle avait été mise à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Aux termes de son article 4, la décision attaquée, notifiée à la République de Slovénie le 20 septembre 2012, doit être exécutée par les autorités slovènes dans un délai de quatre mois à compter de cette date.

3        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 novembre 2012, la République de Slovénie a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée. À l’appui de ce recours, elle reproche à la Commission, notamment, d’avoir fait une application erronée de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en imputant à l’État slovène la mesure de recapitalisation litigieuse et en méconnaissant le principe de l’investisseur privé opérant dans une économie de marché.

4        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la République de Slovénie a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal de suspendre l’exécution de la décision attaquée, notamment l’obligation de récupérer le montant de 10 millions d’euros auprès de l’entreprise Elan, jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le fond.

5        Dans ses observations déposées au greffe du Tribunal le 7 décembre 2012, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme non fondée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

6        Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

7        En outre, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le juge des référés peut ordonner le sursis à exécution et d’autres mesures provisoires s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal [ordonnance du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 22]. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73, et ordonnance du président du Tribunal du 4 avril 2002, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, T‑198/01 R, Rec. p. II‑2153, point 50).

8        Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour Commission/Atlantic Container Line e.a., précitée, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

9        Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

10      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

11      Dans ce contexte, la République de Slovénie souligne la situation financière actuelle [confidentiel] (1) de l’entreprise Elan, à savoir un défaut de liquidités à hauteur de [confidentiel] et un endettement d’environ [confidentiel], le flux de trésorerie réalisé [confidentiel]. Elle précise qu’Elan a hypothéqué [confidentiel] son patrimoine (biens immobiliers et mobiliers, stocks et créances) et [confidentiel]. Dans ces circonstances, l’obligation imposée par la décision attaquée de rembourser 10 millions d’euros signifierait pour l’entreprise [confidentiel]. Par conséquent, le remboursement immédiat de ce montant [confidentiel], ce qui signifierait un préjudice grave et irréparable.

12      La République de Slovénie ajoute que le groupe Elan emploie plus de 600 travailleurs et que de nombreux emplois supplémentaires dépendent indirectement de son activité, Elan étant l’un des employeurs les plus importants dans la région de Gorenjska (Slovénie) et certainement le plus gros employeur dans la commune de Radovljica (Slovénie). La [confidentiel] aurait des effets négatifs sur ses partenaires commerciaux, notamment ses fournisseurs, et ébranlerait au plan social non seulement l’ensemble de la région de Gorenjska, mais également l’économie de la Slovénie tout entière.

13      La Commission estime, en revanche, que la condition relative à l’urgence n’est pas remplie, la République de Slovénie invoquant un préjudice grave et irréparable dans le seul chef de l’entreprise Elan, au lieu d’établir le risque d’un tel préjudice pour l’économie nationale.

14      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir personnellement un préjudice de cette nature. Si l’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant. La partie qui sollicite les mesures provisoires demeure, en tout état de cause, tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable et permettre au juge des référés d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées, étant entendu qu’un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi de mesures provisoires (voir ordonnance du président du Tribunal du 19 septembre 2012, Grèce/Commission, T‑52/12 R, non encore publiée au Recueil, point 36, et la jurisprudence citée).

15      La présente demande en référé émanant de la République de Slovénie, il importe de relever que les États membres sont responsables des intérêts, notamment économiques et sociaux, considérés comme généraux sur le plan national. Par conséquent, ils peuvent, dans le cadre d’une procédure de référé, faire état de préjudices affectant un secteur de leur économie, notamment lorsque la mesure contestée est susceptible d’avoir des répercussions défavorables sur le niveau de l’emploi et sur le coût de la vie (ordonnances de la Cour du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil, C‑280/93 R, Rec. p. I‑3667, point 27, et du 12 juillet 1996, Royaume-Uni/Commission, C‑180/96 R, Rec. p. I‑3903, point 85). En revanche, il n’est pas suffisant pour un État membre d’invoquer le préjudice que subirait une seule entreprise ou un nombre limité d’entreprises lorsque ces dernières, prises individuellement, ne représentent pas un secteur entier de l’économie nationale (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 15 juin 1987, Belgique/Commission, 142/87 R, Rec. p. 2589, point 24, et du 6 mai 1988, Grèce/Commission, 111/88 R, Rec. p. 2591, points 14 à 16, ainsi que du président du Tribunal du 14 décembre 2007, Portugal/Commission, T‑387/07 R, non publiée au Recueil, point 34).

16      Eu égard à cette jurisprudence, il y a lieu d’examiner si la République de Slovénie a avancé des circonstances de nature à établir l’urgence à octroyer les mesures demandées en démontrant, avec une probabilité suffisante, que la récupération immédiate auprès de l’entreprise Elan du montant de 10 millions d’euros serait susceptible de léser gravement et irrémédiablement non seulement cette entreprise individuellement considérée, mais également l’économie nationale slovène ou, au moins, un secteur entier de cette économie. S’agissant des éléments de preuve nécessaires à cet effet, il ressort d’une jurisprudence bien établie que la République de Slovénie devait présenter au juge des référés des indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés démontrant la situation invoquée et permettant d’examiner les conséquences qui résulteraient probablement de l’absence du sursis à exécution demandé. La République de Slovénie était ainsi tenue de fournir, pièces à l’appui, des informations susceptibles d’établir une image fidèle et globale de la situation dont elle prétend qu’elle justifie l’octroi de cette mesure provisoire [voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 février 2012, Hassan/Conseil, T‑572/11 R, non publiée au Recueil, point 22, et la jurisprudence citée, confirmée par ordonnance du président de la Cour du 25 octobre 2012, Hassan/Conseil, C‑168/12 P(R), non publiée au Recueil, point 33].

17      Or, force est de constater que la présente demande en référé ne satisfait pas aux critères établis par cette jurisprudence.

18      En effet, s’il est vrai que la République de Slovénie a fait mention des répercussions défavorables que pourrait avoir une [confidentiel] sur la commune de Radovljica, la région de Gorenjska et l’économie de la Slovénie tout entière (voir point 12 ci-dessus), elle s’est abstenue d’étayer cette affirmation par des éléments chiffrés précis et cohérents, susceptibles de démontrer l’impact d’une exécution immédiate de la décision attaquée sur l’économie slovène, ne serait-ce que d’un point de vue sectoriel ou régional, qui dépasserait le sort de l’entreprise Elan. Ainsi, elle n’a pas établi une image fidèle et globale, telle que requise par la jurisprudence, de la situation économique et financière invoquée pour justifier l’urgence.

19      Dans ces circonstances, le juge des référés ne saurait admettre l’urgence invoquée, en se contentant de la simple affirmation non étayée de la République de Slovénie. En effet, compte tenu du caractère strictement exceptionnel de l’octroi de mesures provisoires (voir point 6 ci-dessus), de telles mesures ne peuvent être accordées que si ladite affirmation est assortie d’indications permettant de présenter une image fidèle et globale de la situation en cause et repose sur des éléments de preuve (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 31 août 2010, Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑299/10 R, non publiée au Recueil, point 57, et la jurisprudence citée).

20      Il s’ensuit que la République de Slovénie n’a pas démontré, en l’état actuel des choses, que l’économie nationale slovène ou un secteur de celle-ci subirait un préjudice grave et irréparable si le sursis à exécution demandé n’était pas octroyé.

21      Par ailleurs, à supposer que le préjudice prétendument causé à l’entreprise Elan soit effectivement de nature à léser gravement et irrémédiablement l’économie nationale slovène, il ressort de la jurisprudence que, dans le domaine des aides d’État, lorsque les autorités nationales n’ont encore pris aucune mesure visant à l’exécution d’une décision ordonnant la récupération d’une aide déclarée incompatible avec le marché intérieur, la survenance des préjudices allégués ne saurait être considérée comme suffisamment imminente pour justifier l’octroi de mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 26 juin 2006, Olympiakes Aerogrammes/Commission, T‑416/05 R, non publiée au Recueil, point 52, et la jurisprudence citée). Or, en l’espèce, la République de Slovénie n’a pas indiqué que l’entreprise Elan serait déjà confrontée à une mesure visant à l’exécution de la décision attaquée, ce qui exclut également l’urgence.

22      Il convient d’ajouter que, s’agissant de la récupération par les autorités slovènes d’une aide d’État, la République de Slovénie devait démontrer que les voies de recours internes que le droit national slovène offre à l’entreprise Elan pour s’opposer à la récupération de cette aide ne lui permettaient pas d’éviter de subir un préjudice grave et irréparable [voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 9 juillet 2010, Alcoa Trasformazioni/Commission, T‑177/10 R, non publiée au Recueil, point 57, et la jurisprudence citée, confirmée par ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 2011, Alcoa Trasformazioni/Commission, C‑446/10 P(R), non publiée au Recueil, point 46]. Elle n’a cependant pas établi, ni même prétendu, que tel était le cas, mais est restée silencieuse sur le point de savoir si le droit slovène permettait à l’entreprise Elan d’invoquer utilement sa situation financière individuelle devant le juge national et d’éviter ainsi de subir un préjudice grave et irréparable. Le juge des référés ne peut donc que constater que la République de Slovénie n’a pas démontré, à suffisance de droit, l’imperfection des voies de recours slovènes en la matière. Pour cette raison supplémentaire, l’urgence ne saurait être considérée comme établie.

23      En conséquence, la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la condition relative au fumus boni juris (voir ordonnance du 25 octobre 2012, Hassan/Conseil, précitée, point 31) ni de procéder à la mise en balance des intérêts en présence [voir ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, DSR-Senator Lines/Commission, C‑364/99 P (R), Rec. p. I‑8733, point 61).

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 17 janvier 2013.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le slovène


1       Données confidentielles occultées.