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DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

17 juillet 2024 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de déchéance – Marque de l’Union européenne figurative BF BELFE – Usage sérieux de la marque – Déchéance partielle – Article 18, paragraphe 1, second alinéa, sous b), et article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 – Apposition sur les produits ou sur leur conditionnement dans l’Union dans le seul but de l’exportation – Preuve de l’usage sérieux – Absence d’usage purement interne – Article 19 du règlement délégué (UE) 2018/625 »

Dans l’affaire T‑54/23,

W.B. Studio Sas di Wivian Bodini & C., établie à Milan (Italie), représentée par Mes V. Piccarreta, G. Romanelli et A. Mocchi, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. R. Raponi, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

E.Land Italy Srl, établie à Milan (Italie), représentée par Mes M. Francetti et M. Cristofori, avocats,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. F. Schalin, président, Mmes P. Škvařilová‑Pelzl et G. Steinfatt (rapporteure), juges,

greffier : M. G. Mitrev, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 29 janvier 2024,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, W.B. Studio Sas di Wivian Bodini & C., demande l’annulation de la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 30 novembre 2022 (affaire R 870/2021-1) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        L’intervenante, E.Land Italy Srl, est titulaire de la marque de l’Union européenne no 139840, enregistrée le 16 novembre 1998 et dûment renouvelée, à la suite d’une demande présentée le 29 mars 1996, par Belfe SA, le prédécesseur en droit de l’intervenante, en vertu du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), lui-même remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)], pour le signe figuratif suivant :

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3        Les produits couverts par la marque contestée relèvent des classes 18, 25 et 28 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 18 : « Peaux, articles en cuir et imitations du cuir, sacs, sacs à main, cartables, sacs de voyage, valises, sacs à dos, sacoches, étuis, porte-cartes, portefeuilles, porte-monnaie, porte-documents, porte-clés ; parapluies » ;

–        classe 25 : « Vêtements pour hommes, dames et enfants, y compris vêtements d’extérieur et d’intérieur en tissu et en maille ; chemises, vestons, jupes, pantalons, jeans, vestes, gilets, tabliers et cache-brassières, imperméables, pardessus ; vêtements pour la pratique du sport, foulards en soie, cravates, foulards, gants, écharpes, bérets ; bas ; chaussures » ;

–        classe 28 : « Engins pour exercices corporels et gymnastique ; skis et fixations de skis, armes d’escrime, bicyclettes fixes d’entraînement, billards, attirail de pêche, cannes à pêche, clubs de golf, raquettes de ping-pong, matériel pour le tir à l’arc, arcs ; décorations pour arbres de Noël, balles et ballons de jeu, biberons de poupées, masques de carnaval, marionnettes ; poupées, jeux et jouets ; jeux de dames, jeux d’échecs, échiquiers ; modèles réduits de véhicules ; patins à roulettes et à glace ».

4        Le 28 mars 2018, la requérante a déposé une demande de déchéance de la marque contestée pour tous les produits pour lesquels ladite marque avait été enregistrée, sur le fondement de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, au motif que cette marque n’avait pas fait l’objet d’un usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans.

5        Par décision du 15 mars 2021, la division d’annulation de l’EUIPO a partiellement accueilli la demande de déchéance. Elle a prononcé la déchéance de la marque contestée pour les produits visés au point 3 ci-dessus, à l’exception des « vêtements pour dames, y compris les vêtements d’extérieur, tissés et en maille ; chemises, vestons, jupes, vestes, imperméables ; tous les articles précités étant destinés aux femmes » relevant de la classe 25.

6        Le 14 mai 2021, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’annulation en ce que la déchéance de la marque contestée n’avait pas été prononcée pour les produits visés au point 5 ci-dessus.

7        Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours et a considéré, à l’instar de la division d’annulation, que les éléments de preuve produits par l’intervenante suffisaient pour prouver l’usage sérieux de la marque contestée pour les produits mentionnés au point 5 ci-dessus. Elle a considéré, premièrement, que la plupart des éléments de preuve datés de la période pertinente remontaient à 2013 et que certains étaient datés d’une année comprise entre 2014 et 2016,, deuxièmement, que les éléments de preuve faisaient référence à l’apposition de la marque contestée en Italie à des fins d’exportation et, troisièmement, que les factures, catalogues, étiquettes de prix et photos produits montraient, dans leur ensemble, que la marque avait été utilisée sur des produits en tant qu’indication de leur origine commerciale et que cet usage avait une importance suffisante pour conclure à un usage sérieux.

 Conclusions des parties

8        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler partiellement la décision attaquée, dans la mesure où celle-ci confirme la décision de la division d’annulation et rejette la demande de déchéance de la marque contestée pour les produits suivants, compris dans la classe 25 : « Vêtements pour dames, y compris vêtements d’extérieur en tissu et en maille, chemises, vestons, jupes, pantalons, vestes, imperméables, foulards, tous les produits précités étant destinés aux dames » et, par voie de conséquence, prononcer la déchéance de la marque contestée au motif de son non-usage pour lesdits produits ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens, y compris les dépens exposés dans le cadre des procédures devant la division d’annulation et la chambre de recours.

9        L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens en cas de convocation d’une audience.

10      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens, y compris les dépens exposés dans le cadre des procédures devant la division d’annulation et la chambre de recours.

 En droit

11      À l’appui de son recours, la requérante soulève deux moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 18 dudit règlement et, le deuxième, de la violation de l’article 19 du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001 et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1).

12      Compte tenu de la date d’introduction de la demande de déchéance, à savoir le 28 mars 2018, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement 2017/1001 (voir, par analogie, arrêt du 3 juillet 2019, Viridis Pharmaceutical/EUIPO, C‑668/17 P, EU:C:2019:557, points 3 et 25). 

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 18 dudit règlement

13      La requérante reproche à la chambre de recours, en substance, d’avoir conclu à l’usage sérieux de la marque contestée, alors que les éléments de preuve produits par l’intervenante ne le démontrent pas à suffisance de droit. La chambre de recours n’aurait pas correctement évalué ni rigoureusement apprécié la durée, le lieu, la nature et l’importance de l’usage de la marque contestée sur la base des documents produits par l’intervenante.

14      Il ressort des points 5 et 6 de la décision attaquée que, en vue d’apporter la preuve de l’usage sérieux de la marque contestée, l’intervenante a fourni les éléments de preuve suivants, le 11 avril 2018 s’agissant des éléments de preuve nos 1 à 9 et le 13 juillet 2020 s’agissant des éléments de preuve nos 10 à 23 :

–        des factures, datées de 2013, émises par Belfe Italia Srl et envoyées à Pellbass Snc, accompagnées, dans certains cas, des documents douaniers pertinents, de listes de colisage, d’une copie du relevé bancaire de Belfe Italia faisant référence aux paiements des clients et des factures adressées par Pellbass à E.Land International Fashion (Shanghai) Co. Ltd. (élément de preuve no 1) ;

–        des factures, datées de 2014, concernant des vêtements et des tissus pour hommes (élément de preuve no 2) ;

–        trois factures relatives à des rapports d’enquête et des factures de vente, datées de 2015, émises par Belfe Italia, à l’attention d’E.Land International Fashion (Shanghai), d’E-Land Wish Design Ltd. et d’E-Land World Building, concernant des échantillons de vêtements et de tissus tissés, accompagnées, dans certains cas, des documents douaniers pertinents, des listes de colisage et d’une copie du relevé bancaire de Belfe Italia faisant référence aux paiements de clients (élément de preuve no 3) ;

–        des factures de vente, datées de 2016, émises par Belfe Italia à l’attention d’Eland Retail Ltd. et d’E-Land China Fashion Design Co. Ltd., concernant, notamment, des vêtements, ainsi que, dans certains cas, les documents douaniers pertinents (élément de preuve no 4) ;

–        un document comptable de Belfe Italia, daté de 2017 (élément de preuve no 5) ;

–        un catalogue BELFE, non daté, pour des vêtements (élément de preuve no 6) ;

–        des photographies, non datées, de vestes sur les étiquettes desquelles figurait le signe BELFE (élément de preuve no 7) ;

–        des listes de colisage, datées, notamment, d’une année comprise entre 2013 et 2018 (élément de preuve no 8) ;

–        un rapport d’enregistrement d’une société émanant de la chambre de commerce de Milan concernant Belfe Italia et indiquant qu’elle était contrôlée à 100 % par l’intervenante (élément de preuve no 9) ;

–        un extrait du registre de la chambre de commerce de Milan relatif à l’intervenante (élément de preuve no 10) ;

–        un extrait des états financiers consolidés d’Eland World Limited et de ses filiales, datés du 31 décembre 2016 et du 31 décembre 2017 (élément de preuve no 11) ;

–        une impression de l’article de l’encyclopédie en ligne Wikipédia sur E-Land Group provenant de Corée du Sud (élément de preuve no 12) ;

–        un extrait du site Internet « www.elandfashionchina.com », imprimé le 9 juillet 2020 (élément de preuve no 13) ;

–        des documents relatifs au transfert de la marque contestée de Belfe à l’intervenante, datés du 11 avril 2018 (élément de preuve no 14) ;

–        un certificat de fusion consistant en l’absorption de Belfe Italia par l’intervenante en novembre 2017 (élément de preuve no 15) ;

–        un contrat de licence entre Belfe (à savoir le donneur de licence) et Belfe Italia (à savoir le preneur de licence), en date du 1er juin 2012, pour des vêtements, des sacs et/ou des accessoires (élément de preuve no 16) ;

–        des photos d’étiquettes de vêtements portant la marque contestée et, en partie, des codes de produit ainsi que des factures, des documents douaniers et des listes de colisage (éléments de preuve nos 17 à 20) ;

–        un catalogue BELFE daté de l’année 2013 (élément de preuve no 21) ;

–        un extrait du site Internet « www.uibm.gov.it » concernant la demande de marque italienne no 302018000000911 BELFE de la requérante (élément de preuve no 22) ;

–        une déclaration sous serment, datée de février 2020, signée par l’ancien président-directeur général (PDG) de Belfe Italia, indiquant que les factures nos 5, 7, 8, 12, 15, 17, 18, 20 et 21 faisaient référence à l’expédition de produits portant, notamment, la marque contestée, fabriqués en Italie et exportés en Chine en 2013 (élément de preuve no 23).

15      Aux termes de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, le titulaire de la marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’EUIPO ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque de l’Union européenne n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union européenne pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et s’il n’existe pas de juste motif pour le non-usage.

16      En l’espèce, tant la division d’annulation que la chambre de recours ont considéré la période comprise entre le 28 mars 2013 et le 27 mars 2018 comme étant la période de cinq ans pour laquelle il incombait à la requérante de démontrer un usage sérieux de la marque contestée, ce que les parties ne contestent pas.

17      Dans l’interprétation de la notion d’« usage sérieux », il convient de prendre en compte le fait que la ratio legis de l’exigence selon laquelle la marque contestée doit avoir fait l’objet d’un usage sérieux ne vise ni à évaluer la réussite commerciale d’une entreprise, ni à contrôler sa stratégie économique, ni encore à réserver la protection des marques à leurs seules exploitations commerciales quantitativement importantes [voir arrêt du 11 avril 2019, Fomanu/EUIPO – Fujifilm Imaging Germany (Représentation d’un papillon), T‑323/18, non publié, EU:T:2019:243, point 23 et jurisprudence citée].

18      Selon une jurisprudence constante, une marque fait l’objet d’un usage sérieux, au sens de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, lorsqu’elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle, qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et ces services, à l’exclusion d’usages à caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (arrêt du 3 juillet 2019, Viridis Pharmaceutical/EUIPO, C‑668/17 P, EU:C:2019:557, point 38 ; voir également, par analogie, arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 43). De plus, la condition relative à l’usage sérieux de la marque exige que celle-ci, telle qu’elle est protégée sur le territoire pertinent, soit utilisée publiquement et vers l’extérieur [voir arrêt du 4 avril 2019, Hesse et Wedl & Hofmann/EUIPO (TESTA ROSSA), T‑910/16 et T‑911/16, EU:T:2019:221, point 29 et jurisprudence citée].

19      L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci dans la vie des affaires, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque [arrêt du 8 juillet 2004, Sunrider/OHMI – Espadafor Caba (VITAFRUIT), T‑203/02, EU:T:2004:225, point 40 ; voir également, par analogie, arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 43].

20      Enfin, l’usage sérieux d’une marque ne peut pas être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné. Dès lors, il convient de procéder à une appréciation globale qui tienne compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce et qui implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte [arrêt du 8 juillet 2020, Euroapotheca/EUIPO – General Nutrition Investment (GNC LIVE WELL), T‑686/19, non publié, EU:T:2020:320, point 35].

21      À cet égard, en vertu de l’article 10, paragraphes 3 et 4, du règlement délégué 2018/625, applicable mutatis mutandis aux procédures de déchéance conformément à l’article 19, paragraphe 1, dudit règlement, la preuve de l’usage d’une marque doit porter sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque et se limite à la production de pièces justificatives, comme, par exemple, des emballages, des étiquettes, des barèmes de prix, des catalogues, des factures, des photographies et des annonces dans les journaux, ainsi qu’aux déclarations écrites visées à l’article 97, paragraphe 1, sous f), du règlement 2017/1001.

22      Il n’est pas requis que chaque élément de preuve contienne des informations sur chacun des quatre éléments sur lesquels doit porter la preuve de l’usage sérieux, à savoir le lieu, la durée, la nature et l’importance de l’usage. Un faisceau d’éléments de preuve peut permettre d’établir les faits à démontrer, alors même que chacun de ces éléments, pris isolément, serait impuissant à rapporter la preuve de l’exactitude de ces faits [voir arrêt du 5 mars 2019, Meblo Trade/EUIPO – Meblo Int (MEBLO), T‑263/18, non publié, EU:T:2019:134, point 84 et jurisprudence citée]. La question de savoir si une marque a fait l’objet d’un usage sérieux doit être appréciée globalement, en prenant en compte l’ensemble des éléments disponibles. Il ne s’agit donc pas d’analyser chacune des preuves de façon isolée, mais de les analyser conjointement, afin d’en identifier le sens le plus probable et cohérent [voir arrêt du 21 novembre 2013, Recaro/OHMI – Certino Mode (RECARO), T‑524/12, non publié, EU:T:2013:604, point 31 et jurisprudence citée].

 Sur la durée de l’usage

23      La chambre de recours a considéré que l’intervenante avait fourni la preuve de l’usage pendant la période pertinente allant du 28 mars 2013 au 27 mars 2018 dans la mesure où la plupart des éléments de preuve étaient datés de 2013 et où certains étaient datés d’une année comprise entre 2014 et 2016.

24      Selon la requérante, seuls quelques documents présentés par l’intervenante et pris en considération par la chambre de recours sont datés, tandis que la majorité des documents ne peuvent pas être associés à la période pertinente.

25      L’EUIPO et l’intervenante contestent l’argument de la requérante.

26      À cet égard, c’est à juste titre que la chambre de recours a constaté, au point 33 de la décision attaquée, que toutes les factures figurant dans le faisceau de factures présenté comme élément de preuve no 1 ainsi que le catalogue présenté comme élément de preuve no 21 remontaient à 2013 et que les factures soumises en tant qu’éléments de preuve nos 2 à 4 ainsi que les listes de colisage de l’élément de preuve no 8 étaient datées d’une année comprise entre 2014 et 2016, de sorte que tous ces éléments relevaient clairement de la période pertinente.

27      Dans la mesure où la requérante remet en question la date de publication du catalogue présenté comme élément de preuve no 21, il suffit de noter que les dates auxquelles la requérante fait référence dans ledit catalogue, à savoir les années 1920, 1930, 1940, 1960, 1970, 1980 et 1990, marquent les décennies du développement de la marque et figurent dans le résumé introductif du catalogue traitant de l’histoire de la marque contestée. Ces dates se distinguent clairement de la date de la collection présentée dans le catalogue, à savoir la collection automne-hiver 2013, l’indication de cette date seule étant suivie par une présentation des différents articles offerts. Ainsi, l’année 2013 est la seule date pertinente pour l’appréciation de l’usage de la marque en l’espèce. Par ailleurs, le catalogue BELFE présenté en tant qu’élément de preuve no 21 montre, comme l’avance à juste titre l’EUIPO, des codes d’article correspondant à ceux mentionnés sur les factures émises au cours de la période pertinente et c’est ce lien entre les éléments de preuve nos 1 et 21 qui confirme leur valeur probante respective pour la date de l’usage.

28      Partant, c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré, au point 35 de la décision attaquée, que les éléments de preuve fournissaient des indications suffisantes sur la durée de l’usage.

29      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments de la requérante. Selon cette dernière, la majorité des documents ne peuvent pas être associés à la période pertinente, étant donné qu’ils ne comportent pas de date ou pas de date fiable.

30      Premièrement, s’agissant du catalogue BELFE, non daté, montrant des vêtements de femme (élément de preuve no 6), des photos de produits non datées (élément de preuve no 7), du rapport d’enregistrement de société de Belfe Italia (élément de preuve no 9), du rapport d’immatriculation d’entreprise d’E.Land Italy (élément de preuve no 10), de l’extrait des états financiers consolidés d’Eland World Limited des années 2016 et 2017 (élément de preuve no 11), de l’article de l’encyclopédie en ligne Wikipédia  consacré à E-Land Group (élément de preuve no 12), de l’impression d’un extrait du site Internet « www.elandfashionchina.com » du 9 juillet 2020 (élément de preuve no 13), du document sur le transfert de la marque contestée de Belfe à l’intervenante (élément de preuve no 14) et du certificat de fusion consistant en l’absorption de Belfe Italia par l’intervenante en novembre 2017 (élément de preuve no 15), la chambre de recours ne s’est nullement appuyée sur ces éléments dans son appréciation de la durée de l’usage de la marque contestée par l’intervenante. En effet, il ressort des points 33 et 34 de la décision attaquée que la chambre de recours a considéré qu’il était suffisant de s’appuyer sur les éléments de preuve datés, concernant les années 2013 à 2016 (éléments de preuve nos 1 à 4, 8 et 21, voir point 26 ci-dessus), étant donné qu’il n’était pas nécessaire que la marque contestée ait fait l’objet d’un usage tout au long de la période de cinq ans, mais plutôt au cours de cette période, puisqu’un usage continu n’était pas requis [voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Deichmann-Schuhe/OHMI – Design for Woman (DEITECH), T‑86/07, non publié, EU:T:2008:577, point 52, traitant de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 40/94, devenu l’article 18, paragraphe 1, du règlement 2017/1001].

31      Deuxièmement, la requérante fait valoir que l’élément de preuve no 16, consistant en un contrat de licence entre Belfe et Belfe Italia, est daté de 2012 et se situe dès lors en dehors de la période pertinente. Toutefois, la pertinence de cet élément ne concerne pas directement la durée de l’usage, mais la raison pour laquelle les factures datées qui figurent dans le fascicule de l’élément de preuve no 1 ont été émises par Belfe Italia. Pour cette explication, il est suffisant que le contrat de licence date de 2012, soit avant la période pertinente pour l’usage sérieux en cause, au cours de laquelle lesdites factures, qui font partie de l’élément de preuve no 1, ont été émises.

32      Troisièmement, s’agissant des photos non datées d’étiquettes de vêtements portant la marque BELFE (éléments de preuve nos 17 et 18), l’EUIPO relève à juste titre que ces photos sont pertinentesdans la mesure où elles montrent des codes de produits correspondant aux codes mentionnés sur les factures datées de la période pertinent.

33      Étant donné qu’il n’est pas requis que chaque élément de preuve contienne des informations sur chacun des quatre éléments sur lesquels doit porter la preuve de l’usage sérieux, à savoir le lieu, la durée, la nature et l’importance de l’usage, un faisceau d’éléments de preuve peut permettre d’établir les faits à démontrer, alors même que chacun de ces éléments, pris isolément, serait impuissant à rapporter la preuve de l’exactitude de ces faits (voir arrêt du 5 mars 2019, MEBLO, T‑263/18, non publié, EU:T:2019:134, point 84 et jurisprudence citée).

34      C’est donc sans commettre d’erreur que la chambre de recours a pris en compte des éléments de preuve qui ne relevaient pas de la période pertinente ou qui n’étaient pas datés et dont elle a considéré qu’ils contribuaient, en l’espèce, à étayer l’usage de la marque contestée conjointement avec des documents datés.

 Sur le lieu de l’usage

35      S’agissant du lieu de l’usage, la chambre de recours a constaté, aux points 38 à 42 de la décision attaquée, que les éléments de preuve faisaient référence à l’apposition de la marque contestée en Italie à des fins d’exportation, ce qui suffisait selon l’article 18, paragraphe 1, second alinéa, sous b), du règlement 2017/1001, sans qu’il soit nécessaire de démontrer la revente des produits aux consommateurs finals en Chine.

36      La requérante soulève le fait que la plupart des éléments de preuve produits par l’intervenante ne mentionnent pas le lieu de l’usage. Les documents ne montreraient pas suffisamment que Belfe Italia avait exercé des activités commerciales liées à la marque contestée auprès des consommateurs réels de l’Union. Toutes les factures produites seraient émises et adressées à des sociétés chinoises faisant partie du même groupe commercial, E-Land Group, parfois par l’intermédiaire d’une société italienne de transport, Pellbass, pour le simple transit des produits.

37      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

38      Selon l’article 18, paragraphe 1, second alinéa, sous b), du règlement 2017/1001, constitue également un usage dans l’Union l’apposition de la marque de l’Union européenne sur les produits ou sur leur conditionnement dans l’Union dans le seul but de l’exportation.

39      À cet égard, les factures de l’année 2013 faisant partie de l’élément de preuve no 1 et émises par le preneur de licence Belfe Italia montrent que les produits indiqués ont été fabriqués en Italie et exportés vers la Chine, parfois par l’intermédiaire de la société italienne Pellbass. L’adresse de la destinataire, indiquée dans l’en-tête des factures nos 9, 15, 17, 18, 20 et 21, à droite, est celle de la société E.Land International Fashion (Shanghai).

40      En outre, les photos de vêtements pour dames (éléments de preuve nos 17 et 18) montrent que la marque était indiquée sur les étiquettes attachées aux produits et qu’il y avait également des étiquettes portant la marque BELFE cousues sur les articles mêmes.

41      Il s’ensuit que les conditions de l’article 18, paragraphe 1, second alinéa, sous b), du règlement 2017/1001 sont remplies.

42      Les arguments de la requérante ne sauraient remettre en cause cette conclusion.

43      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel il est difficile d’apprécier si la marque a réellement été utilisée pour des consommateurs réels ou potentiels des produits sur lesquels elle figure, il convient de rappeler que, selon l’article 18, paragraphe 1, second alinéa, sous b), du règlement 2017/1001, l’apposition de la marque de l’Union européenne sur les produits ou sur leur conditionnement dans l’Union dans le seul but de l’exportation constitue un usage au sens de cette disposition. Ainsi, une preuve de leur commercialisation dans le pays de destination n’est pas exigée.

44      Par ailleurs, c’est à juste titre que l’EUIPO constate que certains des produits portant la marque contestée ont été vendus à la société italienne Pellbass, qui les a ensuite exportés vers la société chinoise E.Land International Fashion (Shanghai). Ces transactions constituent également un usage dans l’Union de la marque contestée.

45      En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel les éléments de preuve nos 5 à 18, 21 et 22 ne contiennent aucune référence au lieu de l’usage de la marque contestée, il convient de rappeler qu’il n’est pas requis que chaque élément de preuve contienne des informations sur chacun des quatre éléments sur lesquels doit porter la preuve de l’usage sérieux, à savoir le lieu, la durée, la nature et l’importance de l’usage, mais que, selon la jurisprudence citée aux points 22 et 33 ci-dessus, un faisceau d’éléments de preuve peut permettre d’établir les faits à démontrer, alors même que chacun de ces éléments, pris isolément, serait impuissant à rapporter la preuve de l’exactitude de ces faits (voir arrêt du 5 mars 2019, MEBLO, T‑263/18, non publié, EU:T:2019:134, point 84 et jurisprudence citée).

46      Doit également être écarté le reproche de la requérante selon lequel la chambre de recours a ignoré le fait qu’il s’agissait d’un usage purement interne de la marque contestée au motif que toutes les factures produites étaient émises et adressées à des sociétés chinoises faisant partie d’E-Land Group, parfois par l’intermédiaire de la société italienne de transport Pellbass pour le simple transit des produits vers des sociétés chinoises du groupe. Pour étayer son allégation, la requérante se réfère, notamment, aux en-têtes des factures nos 9, 13, 16 et 27 figurant dans le fascicule des factures de l’année 2013 (élément de preuve no 1).

47      Or, les factures nos 5, 7 à 9 et 12, qui font partie de l’élément de preuve no 1, montrent que Belfe Italia a vendu les produits portant la marque contestée à la société italienne Pellbass, qui les a ensuite exportés vers la société chinoise E.Land International Fashion (Shanghai). Il y a lieu de noter, à l’instar de l’EUIPO, qu’aucun élément de preuve ne permet de conclure que Pellbass appartient au groupe d’entreprises de l’intervenante. Par conséquent, il ne saurait être valablement soutenu que les factures sont émises entre des sociétés du même groupe d’entreprises.

48      De même, l’argument de la requérante selon lequel Pellbass serait une société de transport et il s’agirait d’un simple transit des produits vers des sociétés chinoises du groupe ne convainc pas, dans la mesure où, sur les factures nos 8 à 10, 12, 15, 17, 18, 20 et 21 (élément de preuve no 1), Pellbass est clairement indiquée comme étant l’acheteuse des marchandises. En outre, il ressort également des éléments de preuve que, si les marchandises ont ensuite été envoyées à E.Land International Fashion (Shanghai), il s’agissait toutefois d’une vente réelle pour le propre compte de Pellbass, ainsi que le démontrent, à titre d’exemple, les factures no 20, du 6 mai 2013 (élément de preuve no 1), no 33, du 8 août 2013 (élément de preuve no 21), no 10, du 18 mars 2013 et no 12, du 28 mars 2013 (ces deux dernières factures faisant partie des éléments de preuve nos 17 à 20).

49      Les factures invoquées par la requérante pour démontrer que les ventes effectuées par l’intermédiaire de Pellbass concernaient en réalité un usage purement interne, à savoir les factures nos 9, 13, 16 et 27, figurant dans le fascicule des factures de l’année 2013 (élément de preuve no 1), ne remettent pas non plus en cause la réalité des transactions avec Pellbass. Elles montrent simplement que Belfe Italia a conclu des ventes aussi bien avec Pellbass qu’avec les sociétés appartenant à son propre groupe, à savoir E.Land International Fashion (Shanghai), figurant en tant qu’acheteuse sur la facture no 16, et E.Land China Fashion Design Ltd., figurant en tant qu’acheteuse sur la facture no 27 de l’élément de preuve no 1, ainsi qu’avec d’autres acheteuses comme Suzhou Marconi Garments Factory Co. Ltd, figurant sur la facture no 13.

50      Partant, c’est à juste titre que la chambre de recours a conclu, au point 43 de la décision attaquée, que, conformément à l’article 18, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, le lieu de l’usage était établi comme étant l’Italie.

 Sur la nature de l’usage

51      Aux points 51 et 52 de la décision attaquée, la chambre de recours a estimé que les éléments de preuve, dont un certain nombre de factures, de catalogues, d’étiquettes de prix et de photos, contenaient suffisamment d’exemples d’usage de la marque contestée pour qu’il soit conclu que la marque était utilisée sur des produits en tant qu’indication de leur origine commerciale.

52      La requérante fait valoir que les éléments de preuve produits par l’intervenante n’établissent pas la nature requise de l’usage de la marque contestée. Le fait que la marque contestée apparaît dans l’en-tête des factures n’indiquerait pas que les produits auxquels les factures renvoient portent cette marque. L’usage de la marque contestée dans l’en-tête des factures pourrait démontrer tout au plus son usage pour des services de vente en gros ou au détail. La déclaration sous serment produite en tant qu’élément de preuve no 23 ne serait qu’un document interne fait sur mesure par l’ancien PDG de Belfe Italia. Par ailleurs, elle ne renverrait qu’à neuf factures de l’année 2013 et donc à une période limitée et à un nombre faible d’articles. La requérante relève que les photos des produits ne peuvent prouver que ces produits ont effectivement été commercialisés. De plus, les étiquettes ne sembleraient pas nécessairement attachées aux vêtements et les photos ne seraient pas datées. En ce qui concerne le catalogue, sa date ne serait pas certaine étant donné qu’il serait possible de l’imprimer spécifiquement pour le produire devant le Tribunal avec les marques et les dates les plus opportunes. Les autres documents présentés par l’intervenante seraient dépourvus de pertinence et ne prouveraient pas l’usage sérieux de la marque contestée. Aucun élément de preuve ne permettrait d’établir que la marque contestée a été utilisée pour désigner des vêtements pour dames.

53      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

54      En premier lieu, l’argument de la requérante tiré de l’absence alléguée de lien entre l’en-tête des factures et les produits désignés par la marque contestée doit être rejeté.

55      Certes, les factures présentées par l’intervenante en tant qu’éléments de preuve contiennent dans leur en-tête, comme le relève à bon droit la requérante, la dénomination sociale du preneur de licence de la marque contestée, à savoir Belfe Italia Srl.

56      Or, la chambre de recours, pour apprécier l’usage sérieux de la marque contestée, ne s’est pas appuyée sur la mention de la marque figurative dans l’en-tête des factures. Elle ne s’est même pas appuyée sur les seules factures en tant que telles, qui ne contiennent en effet aucune indication de la marque contestée associée aux produits énumérés. La chambre de recours a plutôt fondé son appréciation de la nature de l’usage sur une combinaison de plusieurs éléments qu’elle a appréciés conjointement en établissant un lien entre eux à l’aide des dénominations des catégories de vêtements et des codes d’article que ces éléments montraient.

57      En effet, la chambre de recours a appuyé son appréciation sur des factures, notamment celles présentées comme élément de preuve n1, en lien avec des photos de vêtements pour dames dotés d’étiquettes portant la marque contestée (éléments de preuve nos 17 et 18). Sur plusieurs étiquettes se trouve également un code d’article. Puisque, sur les factures, figure un code d’article à côté de chaque mention d’un produit, les coïncidences entre les codes des étiquettes, d’un côté, et ceux des listes de produits sur les factures, de l’autre, permettent d’établir le lien requis pour prouver l’usage sérieux de la marque contestée en tenant compte de l’ensemble desdits éléments.

58      De même, le catalogue présenté en tant qu’élément de preuve no 21 reproduit les articles de mode assortis de codes d’article.

59      Cette identification des ventes des produits portant la marque contestée par la chambre de recours n’est pas remise en question par l’argument de la requérante selon lequel Belfe Italia ne vendait pas uniquement des produits portant la marque contestée, mais aussi des produits portant d’autres marques italiennes, comme le montrent les factures de 2016 présentées comme élément de preuve no 4. En effet, la chambre de recours n’a pas considéré que tous les produits figurant sur les factures émises par Belfe Italia étaient des produits portant la marque contestée. La méthode de la chambre de recours pour identifier les produits couverts par cette marque consistait plutôt à s’orienter par le biais des codes d’article indiqués sur les factures pouvant être interprétés à l’aide des photos et du catalogue montrant des produits couverts par la marque BELFE sous les mêmes codes.

60      S’agissant, enfin, de l’allégation de la requérante selon laquelle aucun des éléments de preuve produits par l’intervenante ne permettrait de recouper les renseignements figurant sur les factures, il suffit de renvoyer au point 6 de la décision attaquée selon lequel la division d’annulation a identifié, dans le cadre de son analyse, les codes figurant sur les photos d’étiquettes de vêtements de la marque BELFE (éléments de preuve nos 17 à 20) pour les mettre, ensuite, en correspondance avec les factures produites. En effet, à titre d’exemple, les codes de produits BFJJ326102 (correspondant à une veste), BFOW324103 BFOW324105, BFOW324107, BFOW324108 et BFOW325101 (correspondant à des robes), BFTC324101 (correspondant à des pantalons) et BFJJ323104 (correspondant à un gilet) se trouvent sur les factures nos 5 et 7 à 9 du faisceau de factures de 2013 (élément de preuve no 1) ainsi que dans le faisceau de documents présentés en tant qu’éléments de preuve nos 17 à 20, faisceau dans lequel, sur les factures nos 7 et 8, les codes de produits apparaissent surlignés.

61      La chambre de recours n’a pas commis d’erreur en ce qu’elle a établi le lien entre les reproductions des produits sur les photos et dans le catalogue, d’une part, et les factures des mêmes produits, d’autre part, en s’appuyant sur leur indication respective des codes d’article, qui s’avéraient identiques. Une telle comparaison diligente des codes de produit ne revient pas, comme le fait valoir la requérante, à la simple estimation d’une probabilité ou à une simple supposition. Il s’agit, au contraire, d’un processus rationnel et logique de déduction auquel la chambre de recours était en droit de recourir dans le cadre de son appréciation de l’usage sérieux de la marque contestée.

62      Les arguments de la requérante relatifs aux factures nos 7 et 10 soulevés pour la première fois lors de l’audience et étayés par son mémoire déposé au greffe du Tribunal le 23 février 2024 ne sont, en tout état de cause, pas de nature à remettre en question la force probante des preuves produites par l’intervenante et mentionnées au point 60 ci-dessus.

63      S’agissant de la facture no 7, la requérante fait valoir que celle-ci se réfère, sous le code BFJJ326102, à un « manteau pour dames » et indique « EXT : 99 % poliammide, 1 % poliurethane ; DET : 100 % viscose », tandis que sur l’étiquette figure l’indication « external : 100 % polyamide ; details : 99.2 % viscose, 0.8 % elastane ». Comme l’intervenante l’avance à juste titre, les différences entre les indications sur la facture et celles sur l’étiquette sont minimes (au maximum 1 %). Ces imprécisions quant aux matériaux ne permettent pas de conclure, contrairement à ce qu’allègue la requérante, qu’il ne s’agit pas des mêmes produits, bien que ceux-ci soient désignés par le même code d’article tant sur la facture que sur l’étiquette. Ainsi, elles ne sauraient anéantir la valeur probante dudit élément de preuve, que la chambre de recours a apprécié conjointement avec les autres factures, les catalogues et les autres photos non seulement des étiquettes de prix, mais des vêtements entiers qui portaient une étiquette avec la marque seule ou sur lesquels la marque était cousue. Il convient donc d’écarter l’argument de la requérante se référant à la facture no 7.

64      En ce qui concerne la critique de la requérante relative à la facture no 10 figurant dans le faisceau de documents présenté en tant qu’éléments de preuve nos 17 à 20 et sur laquelle figurent les codes BFOW324107, BFOW324108, BFTC324101 et BFJJ323104, cette facture n’est pas émise par Belfe Italia, mais par Pellbass. En effet, une éventuelle différence entre la description effectuée par Pellbass sur ses factures quant aux matériaux et l’étiquetage de Belfe Italia ne permet pas d’en tirer des conclusions quant à l’identité des produits.

65      Par ailleurs, s’agissant du code BFJJ323104, les indications « EXT : 72 % poliammide, 28 % elastane ; DET : 80 % poliammide, 20 % elastane » figurant sur la facture correspondent aux indications « external : 71.7 % nylon, 28.3 % elastane ; details : 81,6 % nylon, 18,4 % elastane » figurant sur l’étiquette, dans la mesure où les indications sur l’étiquette sont simplement plus précises que celles figurant sur la facture. Cela vaut non seulement pour les pourcentages, mais également pour les matériaux dans la mesure où « nylon » est le nom commercial d’une sous-catégorie de polyamide.

66      En second lieu, en ce qui concerne la déclaration sous serment de l’ancien PDG de Belfe Italia, il suffit de constater que la chambre de recours n’a pas fondé son appréciation sur cette déclaration, de sorte que la critique de la requérante qui y est afférente s’avère inopérante.

67      Partant, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation quant à la nature de l’usage de la marque contestée.

 Sur l’importance de l’usage

68      S’agissant de l’importance de l’usage de la marque contestée, la chambre de recours a conclu, aux points 48 et 49 de la décision attaquée, que les éléments de preuve, qui contenaient un certain nombre de factures, des catalogues, des étiquettes de prix et des photos, montraient qu’il était question de quantités importantes de vêtements vendus, de sorte que, dans leur ensemble, ils prouvaient une importance suffisante pour établir un usage sérieux de la marque contestée. Elle a souligné que plusieurs factures de 2013 montraient des quantités comprises entre 86 et 1 925 articles d’habillement, correspondant à des montants non négligeables.

69      La requérante relève que rien ne prouve que les produits portant la marque contestée aient été effectivement commercialisés. Étant donné que l’on ignorerait si la marque a été utilisée dans le cadre d’activités commerciales continues et si elle a fait l’objet d’un usage externe et public, l’importance de son usage n’aurait pas été prouvée.

70      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

71      La question de savoir si un usage est quantitativement suffisant pour maintenir ou créer des parts de marché pour les produits ou les services protégés par la marque dépend de plusieurs facteurs et d’une appréciation au cas par cas. Les caractéristiques de ces produits ou de ces services, la fréquence ou la régularité de l’usage de la marque, le fait que la marque est utilisée pour commercialiser l’ensemble des produits ou des services identiques de l’entreprise titulaire ou simplement certains d’entre eux ou encore les preuves relatives à l’usage de la marque que le titulaire est à même de fournir figurent au nombre des facteurs qui peuvent être pris en considération (voir arrêt du 11 mai 2006, Sunrider/OHMI, C‑416/04 P, EU:C:2006:310, point 71 et jurisprudence citée).

72      Il s’ensuit qu’il n’est pas possible de déterminer a priori, de façon abstraite, quel seuil quantitatif devrait être retenu pour déterminer si l’usage a ou non un caractère sérieux. Une règle de minimis, qui ne permettrait pas à l’EUIPO ou, sur recours, au Tribunal d’apprécier l’ensemble des circonstances du litige qui leur est soumis ne peut dès lors être fixée. Ainsi, lorsqu’il répond à une réelle justification commerciale, un usage même minime peut être suffisant pour établir l’existence d’un caractère sérieux (voir arrêt du 11 mai 2006, Sunrider/OHMI, C‑416/04 P, EU:C:2006:310, point 72 et jurisprudence citée).

73      En l’occurrence, l’intervenante a produit un certain nombre de factures montrant que des quantités importantes de vêtements avaient été vendues pour des montants non négligeables.

74      En effet, les dix factures de vente émises au cours de l’année 2013 qui sont comprises dans l’élément de preuve no 1 concernent, dans leur ensemble, un nombre important d’articles de mode pour dames, à savoir, s’agissant de la facture no 5, du 7 mars 2013, 1 925 articles, s’agissant de la facture no 7, du 18 mars 2013, 1 292 articles, s’agissant de la facture no 8, du 28 mars 2013, 294 articles, s’agissant de la facture no 9, du 9 avril 2013, 1 245 articles, s’agissant de la facture no 12, du 6 mai 2013, 86 articles, s’agissant de la facture no 15, du 25 juin 2013, 328 articles, s’agissant de la facture no 17, du 5 juillet 2013, 208 articles, s’agissant de la facture no 18, du 19 juillet 2013, 255 articles, s’agissant de la facture no 20, du 8 août 2013, 208 articles et, s’agissant de la facture no 21, du 28 août 2013, 395 articles.

75      Ainsi, c’est à juste titre que l’EUIPO a constaté que les factures faisaient état de quantités importantes de vêtements pour dames vendus, de sorte qu’elles montraient que l’importance de l’usage avait été suffisamment substantielle pour correspondre à un effort commercial réel et sérieux.

76      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel rien ne prouve que les produits portant la marque contestée ont été effectivement commercialisés, d’une part, il convient de rappeler que les factures soumises par l’intervenante sont corroborées par des documents de colisage et des documents douaniers ainsi que par quelques relevés de compte servant de preuves de paiement. D’autre part, l’appréciation combinée des factures, d’un côté, et du catalogue ainsi que des photos montrant des produits avec les mêmes codes d’article portant la marque contestée, de l’autre, permet de prouver que les produits commercialisés portaient en effet la marque contestée.

77      En outre, l’argument de la requérante selon lequel il n’est pas certain que la marque contestée ait fait l’objet d’un usage externe et public a été rejeté aux points 46 et suivants ci-dessus.

78      Il résulte ainsi de l’ensemble des considérations qui précèdent que la chambre de recours n’a pas commis d’erreur en concluant, au point 49 de la décision attaquée, que l’importance de l’usage était suffisante pour que celui-ci soit considéré comme étant sérieux.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’article 19 du règlement délégué 2018/625

79      La requérante fait valoir que la chambre de recours aurait dû rejeter les éléments de preuve nos 10 à 23 que l’intervenante a produits après l’expiration du délai fixé par la division d’annulation. Selon elle, il ne s’agit pas d’éléments de preuve supplémentaires au sens de l’article 19 du règlement délégué 2018/625, étant donné qu’ils ne clarifient pas un fait juridiquement pertinent qui a déjà été prouvé. Au contraire, les documents produits dans le délai imparti feraient seulement référence à la vente de vêtements, et non à l’usage de la marque, tandis que les documents produits le 13 juillet 2020 viseraient à prouver l’usage de la marque. Il s’ensuivrait que ces éléments de preuve visent à prouver un nouveau fait et constituent donc de nouveaux éléments de preuve.

80      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

81      Conformément à l’article 19, paragraphe 1, du règlement délégué 2018/625, le titulaire de la marque contestée est tenu de produire la preuve de l’usage dans un délai fixé par l’EUIPO.

82      Néanmoins, conformément à l’article 10, paragraphe 7, du règlement délégué 2018/625, applicable mutatis mutandis aux procédures de déchéance en vertu de l’article 19, paragraphe 1, dudit règlement, lorsque, après l’expiration du délai imparti par l’EUIPO, des indications ou des preuves sont présentées complétant les indications ou les preuves pertinentes déjà présentées dans ledit délai, l’EUIPO peut tenir compte des éléments de preuve soumis hors délai en raison du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001. En exerçant son pouvoir discrétionnaire, l’EUIPO tient compte, en particulier, du stade de la procédure, de la question de savoir si les faits ou les preuves sont, à première vue, susceptibles d’être pertinents pour l’issue de l’affaire et de l’existence de raisons valables justifiant la présentation tardive des faits ou des preuves. Le fait que la demanderesse en déchéance ait contesté les éléments de preuve initialement produits par la titulaire de la marque de l’Union européenne et, notamment, l’usage du signe pour les produits contestés pour lesquels elle a été enregistrée justifie la présentation d’éléments de preuve supplémentaires en réponse à l’objection [arrêts du 18 juillet 2013, New Yorker SHK Jeans/OHMI, C‑621/11 P, EU:C:2013:484, point 36, et du 29 septembre 2011, New Yorker SHK Jeans/OHMI – Vallis K.-Vallis A. (FISHBONE), T‑415/09, non publié, EU:T:2011:550, points 30 et 33].

83      Tel est le cas en l’espèce.

84      La requérante procède à une différenciation artificielle lorsqu’elle soulève le fait que les documents produits dans le délai imparti feraient seulement référence à la vente de vêtements, et non à l’usage de la marque contestée, tandis que les documents produits le 13 juillet 2020 visent à prouver l’usage de la marque.

85      En effet, les éléments de preuve produits initialement, à savoir le 11 avril 2018, concernaient la preuve de l’usage de la marque contestée, tout comme les documents présentés le 13 juillet 2020. Ces derniers étaient destinés à dissiper les doutes sur l’usage de la marque contestée soulevés par la requérante. À cet égard, l’intervenante a fourni, comme éléments de preuve supplémentaires, des catalogues et des étiquettes portant les mêmes codes de produit que ceux mentionnés sur les factures initialement présentées, et ce afin de mieux établir le lien entre les produits pertinents et les factures qui avaient été précédemment présentées, ainsi que des documents relatifs au groupe commercial auquel elle appartenait, en vue de tenir compte de l’allégation de la requérante d’une situation purement interne. Un catalogue et des photos de vêtements portant la marque contestée avaient d’ailleurs déjà été soumis en tant qu’éléments de preuve nos 6 et 7 avant l’expiration du délai fixé par la division d’annulation.

86      Ainsi, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur en confirmant la décision de la division d’annulation d’admettre les preuves supplémentaires produites par l’intervenante le 13 juillet 2020.

87      Partant, il y a lieu de rejeter le second moyen et, par voie de conséquence le recours dans son ensemble, sans qu’il y ait besoin de se prononcer sur la recevabilité de la deuxième branche du premier chef de conclusions de la requérante visant à prononcer la déchéance de la marque contestée.

 Sur les dépens

88      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

89      En l’espèce, l’EUIPO a conclu à la condamnation de la requérante aux dépens en cas de convocation d’une audience.

90      L’intervenante a conclu à la condamnation de la requérante aux dépens de la présente procédure, y compris les dépens exposés dans le cadre des procédures devant la division d’annulation et la chambre de recours.

91      Or, en vertu de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure, seuls les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme étant des dépens récupérables. Il en résulte que les frais exposés aux fins de la procédure devant la division d’annulation ne peuvent pas être considérés comme étant des dépens récupérables [voir arrêt du 25 avril 2013, Bell & Ross/OHMI – KIN (Boîtier de montre-bracelet), T‑80/10, non publié, EU:T:2013:214, point 164 et jurisprudence citée]. Dès lors, les conclusions de l’intervenante tendant à la condamnation de la requérante aux dépens exposés devant la division d’annulation doivent être rejetées.

92      S’agissant de la demande de l’intervenante tendant à ce que la requérante soit condamnée aux dépens de la procédure devant la chambre de recours, il suffit de constater que ceux-ci restent régis par la décision attaquée dès lors que le présent arrêt rejette le recours dirigé contre la décision attaquée [voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2017, Intesa Sanpaolo/EUIPO – Intesia Group Holding (INTESA), T‑143/16, non publié, EU:T:2017:687, point 74].

93      Partant, dès lors que la requérante a succombé et qu’une audience de plaidoiries a eu lieu, il y a lieu de la condamner aux dépens afférents à la présente procédure, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      W.B. Studio Sas di Wivian Bodini & C. est condamnée aux dépens.

Schalin

Škvařilová-Pelzl

Steinfatt

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 juillet 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.