Language of document : ECLI:EU:T:2013:458

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

16 septembre 2013 (*)

« Fonds de cohésion – Règlement (CE) n° 1164/94 – Projets concernant le traitement sanitaire du bassin hydrographique du Júcar (Espagne) – Suppression partielle du concours financier – Marchés publics de travaux – Critères d’attribution – Offre économiquement la plus avantageuse – Égalité de traitement – Transparence – Éligibilité des dépenses – Détermination des corrections financières – Article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement n° 1164/94 – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑2/07,

Royaume d’Espagne, représenté initialement par M. J. M. Rodríguez Cárcamo, puis par M. A. Rubio González, abogados del Estado,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par Mme A. Steiblytė et M. L. Escobar Guerrero, en qualité d’agents, assistés de MM. Canal Fontcuberta, avocat, puis par Mmes Steiblytė et S. Pardo Quintillán, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2006) 5102 de la Commission, du 20 octobre 2006, réduisant le concours financier octroyé au titre du Fonds de cohésion au groupe de projets portant la référence 2001.ES.16.C.PE.050 et concernant l’assainissement du bassin hydrographique du Júcar (Espagne),

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. J. Azizi (rapporteur), président, S. Frimodt Nielsen et Mme M. Kancheva, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 12 et 13 novembre 2012,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

 Dispositions concernant le Fonds de cohésion

1        L’article 158 CE (devenu, après modification, article 174 TFUE) dispose ce qui suit :

« Afin de promouvoir un développement harmonieux de l’ensemble de la Communauté, celle-ci développe et poursuit son action tendant au renforcement de sa cohésion économique et sociale.

En particulier, la Communauté vise à réduire l’écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions ou îles les moins favorisées, y compris les zones rurales. »

2        En vertu de l’article 161, deuxième alinéa, CE :

« Un Fonds de cohésion, créé par le Conseil […] contribue financièrement à la réalisation de projets dans le domaine de l’environnement et dans celui des réseaux transeuropéens en matière d’infrastructures des transports. »

3        Le Fonds de cohésion a été créé par le règlement (CE) n° 1164/94 du Conseil, du 16 mai 1994, instituant le Fonds de cohésion (JO L 130, p. 1, ci-après le « règlement Fonds de cohésion n° 1164/94 »).

4        L’article 4 du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, dans sa version modifiée, établit les montants des ressources financières qui pourront être affectées à des projets éligibles aux concours du Fonds de cohésion pour la période allant de 2000 à 2006.

5        L’article 7, paragraphe 1, du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, tel que modifié, dispose que le taux de l’aide communautaire accordée par le Fonds de cohésion est compris entre 80 et 85 % des dépenses publiques ou assimilables.

6        L’article 8, paragraphe 1, du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, dans sa version modifiée, dispose :

« Les projets financés par le Fonds [de cohésion] doivent être conformes aux dispositions des traités, aux actes adoptés en vertu de ceux-ci et aux politiques communautaires, y compris celles qui concernent la protection de l’environnement, les transports, les réseaux transeuropéens, la concurrence et la passation de marchés publics. »

7        L’article 12, paragraphe 1, du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94 prévoit, dans sa version modifiée, notamment, ce qui suit :

« Sans préjudice de la responsabilité de la Commission dans l’exécution du budget général des Communautés européennes, les États membres assument en premier ressort la responsabilité du contrôle financier des projets. À cette fin, les États membres prennent notamment les mesures suivantes :

a)       ils vérifient que des systèmes de gestion et de contrôle ont été mis en place et sont mis en œuvre de manière à assurer une utilisation efficace et régulière des fonds communautaires ;

[…]

c)       ils s’assurent que les projets sont gérés conformément à l’ensemble de la réglementation communautaire applicable et que les fonds mis à leur disposition sont utilisés conformément aux principes de la bonne gestion financière ;

d)       ils certifient que les déclarations de dépenses présentées à la Commission sont exactes et s’assurent qu’elles procèdent de systèmes de comptabilité basés sur des pièces justificatives susceptibles d’être vérifiées ;

e)       ils préviennent et détectent les irrégularités ; conformément à la réglementation en vigueur, ils les communiquent à la Commission, qu’ils tiennent informée de l’évolution des poursuites administratives et judiciaires […]

[…]

g)       ils coopèrent avec la Commission pour assurer une utilisation des fonds communautaires conforme au principe de la bonne gestion financière ;

h)       ils récupèrent les montants perdus à la suite d’une irrégularité constatée, en appliquant, le cas échéant, des intérêts de retard. »

8        Les règles de gestion du Fonds de cohésion sont détaillées dans l’annexe II du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, tel que modifié.

9        L’article H de l’annexe II du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, tel que modifié, dispose ce qui suit :

« Corrections financières

1. Si, après avoir procédé aux vérifications nécessaires, la Commission conclut :

a)       que la mise en œuvre d’un projet ne justifie ni une partie ni la totalité du concours octroyé, y compris en cas de non-respect d’une des conditions fixées dans la décision d’octroi du concours, et notamment de modification importante affectant la nature ou les conditions de mise en œuvre du projet pour laquelle l’approbation de la Commission n’a pas été demandée ou,

b)       qu’il existe une irrégularité en ce qui concerne le concours du Fonds [de cohésion] et que l’État membre concerné n’a pas pris les mesures correctives nécessaires,

la Commission suspend le concours alloué au projet concerné et demande, en indiquant ses motifs, que l’État membre présente ses observations dans un délai déterminé.

Si l’État membre conteste les observations formulées par la Commission, l’État membre est invité à une audition par la Commission, au cours de laquelle les deux parties s’efforcent de parvenir à un accord sur les observations et les conclusions qu’il convient d’en tirer.

2. À l’expiration d’un délai fixé par la Commission, dans le respect de la procédure applicable, en l’absence d’accord et compte tenu des observations éventuelles de l’État membre, la Commission décide, dans un délai de trois mois :

a)       de réduire l’acompte visé à l’article D, paragraphe 2, ou

b)       de procéder aux corrections financières requises, c’est-à-dire supprimer totalement ou partiellement le concours octroyé au projet.

Ces décisions doivent respecter le principe de proportionnalité. La Commission, en établissant le montant de la correction, tient compte de la nature de l’irrégularité ou de la modification et de l’étendue de l’impact financier potentiel des défaillances éventuelles des systèmes de gestion ou de contrôle. Toute réduction ou suppression de concours donne lieu à répétition de l’indu.

3. Toute somme donnant lieu à répétition de l’indu doit être reversée à la Commission. Les sommes non reversées sont majorées d’intérêts de retard, selon les modalités à arrêter par la Commission.

4. La Commission arrête les modalités détaillées de mise en œuvre des paragraphes 1, 2 et 3 et les communique pour information aux États membres et au Parlement européen. »

10      Les articles 17 à 21 du règlement (CE) n° 1386/2002 de la Commission, du 29 juillet 2002, fixant les modalités d’application du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94 en ce qui concerne les systèmes de gestion et de contrôle et la procédure de mise en œuvre des corrections financières relatifs au concours du Fonds de cohésion (JO L 201, p. 5, ci-après le « règlement d’application n° 1386/2002 »), précisent l’objet et le champ d’application du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94 et contiennent les dispositions détaillées de la procédure à respecter pour appliquer des corrections aux concours reçus du Fonds de cohésion à partir du 1er janvier 2000.

11      L’article 17, paragraphes 1 et 2, du règlement d’application n° 1386/2002 dispose, notamment, ce qui suit :

«1. Le montant des corrections financières appliquées par la Commission au titre de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du [règlement Fonds de cohésion n° 1164/94] pour des irrégularités individuelles ou systémiques est évalué, chaque fois que cela est possible ou faisable, sur la base de dossiers individuels et est égal au montant des dépenses qui ont été erronément imputées au Fonds [de cohésion], en tenant compte du principe de proportionnalité.

2. Lorsqu’il n’est pas possible ou faisable de quantifier de manière précise le montant des dépenses irrégulières, ou lorsqu’il serait disproportionné d’annuler l’ensemble des dépenses en question, et que la Commission, par conséquent, fonde ses corrections financières sur une extrapolation ou sur une base forfaitaire, elle procède de la manière suivante :

a)       dans le cas d’une extrapolation, elle utilise un échantillon représentatif de transactions présentant des caractéristiques homogènes ;

b)       dans le cas d’une base forfaitaire, elle apprécie l’importance de l’infraction aux règles ainsi que l’étendue et les conséquences financières des défaillances éventuelles des systèmes de gestion et de contrôle qui ont conduit à l’irrégularité constatée.

[…] »

12      Les orientations relatives aux principes, critères et barèmes indicatifs à appliquer par les services de la Commission pour la détermination des corrections financières visées à l’article H, paragraphe 2, du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, instituant un Fonds de cohésion, du 29 juillet 2002 [C(2002) 2871] (ci-après les « orientations de 2002 »), exposent les critères et principes généraux guidant la Commission des Communautés européennes dans la détermination desdites corrections financières.

 Dispositions pertinentes concernant les marchés publics

13      La réglementation de référence en matière de marchés publics, qui est pertinente en vertu de l’article 8, paragraphe 1, du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94 (voir point 6 ci-dessus), est constituée, d’une part, par la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54, ci-après la « directive marchés publics de travaux 93/37 »), et, d’autre part, par la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1).

14      Selon l’article 18 de la directive marchés publics de travaux 93/37 :

« L’attribution du marché se fait sur la base des critères prévus au chapitre 3 du présent titre, compte tenu des dispositions de l’article 19, après vérification de l’aptitude des entrepreneurs non exclus en vertu de l’article 24, effectuée par les pouvoirs adjudicateurs conformément aux critères de capacité économique, financière et technique visés aux articles 26 à 29. »

15      L’article 19 de la directive marchés publics de travaux 93/37 dispose notamment :

« Lorsque le critère d’attribution du marché est celui de l’offre économiquement la plus avantageuse, les pouvoirs adjudicateurs peuvent prendre en considération les variantes présentées par des soumissionnaires lorsqu’elles satisfont aux exigences minimales requises par ces pouvoirs adjudicateurs.

Les pouvoirs adjudicateurs mentionnent, dans le cahier des charges, les conditions minimales que les variantes doivent respecter ainsi que les modalités de leur soumission. Ils indiquent, dans l’avis de marché, si les variantes ne sont pas autorisées.

[…] »

16      L’article 24 de la directive marchés publics de travaux 93/37 prévoit les critères de sélection qualitative justifiant l’exclusion d’un entrepreneur de la participation au marché.

17      Les articles 25 à 29 de la directive marchés publics de travaux 93/37 prévoient les modalités par lesquelles les entrepreneurs désireux de participer au marché peuvent justifier leurs capacités financière, économique et technique.

18      L’article 27 de la directive marchés publics de travaux 93/37 dispose notamment :

« 1. La justification des capacités techniques de l’entrepreneur peut être fournie :

[…]

b)       par la liste des travaux exécutés au cours des cinq dernières années, cette liste étant appuyée de certificats de bonne exécution pour les travaux les plus importants […]

[…] »

19      L’article 30 de la directive marchés publics de travaux 93/37, qui régit les critères d’attribution des marchés de travaux, prévoit notamment :

« 1. Les critères sur lesquels le pouvoir adjudicateur se fonde pour attribuer les marchés sont :

a)       soit uniquement le prix le plus bas ;

b)       soit, lorsque l’attribution se fait à l’offre économiquement la plus avantageuse, divers critères variables suivant le marché en question : par exemple, le prix, le délai d’exécution, le coût d’utilisation, la rentabilité, la valeur technique.

2. Dans le cas visé au paragraphe 1[, sous] b), le pouvoir adjudicateur mentionne, dans le cahier des charges ou dans l’avis de marché, tous les critères d’attribution dont il prévoit l’utilisation, si possible dans l’ordre décroissant de l’importance qui leur est attribuée.

[…]

4. Si, pour un marché donné, des offres apparaissent anormalement basses par rapport à la prestation, le pouvoir adjudicateur, avant de pouvoir rejeter ces offres, demande, par écrit, des précisions sur la composition de l’offre qu’il juge opportunes et vérifie cette composition en tenant compte des justifications fournies.

[…] »

 Antécédents du litige

 Procédure administrative

20      Par décision C (2002) 833, du 11 juin 2002, modifiée ultérieurement par la décision C (2004) 2036, du 3 juin 2004, la Commission a octroyé une aide au titre du Fonds de cohésion à concurrence de 11 266 701 euros à un groupe de trois projets portant la référence 2001.ES.16.C.PE.050 et concernant l’assainissement du bassin hydrographique du fleuve Júcar (Espagne). Le destinataire final dudit concours financier était la Conselleria de Obras Publicas, Urbanismo y Transportes (Conseil des travaux publics, de l’urbanisme et des transports) de la Communauté autonome de Valence (Espagne). Le taux de cofinancement communautaire était fixé à 80 % du coût public éligible desdits projets, dont le principal objectif était d’améliorer le traitement des eaux usées et des boues le long du fleuve Júcar conformément à la directive 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (JO L 135, p. 40).

21      Entre les 12 et 16 juillet 2004, la Commission a effectué en Espagne une mission d’audit concernant le groupe de projets précité.

22      Le 9 novembre 2004, la Commission a adressé aux autorités espagnoles un rapport identifiant des irrégularités affectant ledit groupe de projets, tenant à la méconnaissance par ces autorités de certaines règles du droit de l’Union européenne en matière de passation de marchés publics. Les autorités espagnoles ont répondu à ce rapport par lettre du 8 février 2005.

23      Par lettre du 24 mai 2005, la Commission a proposé aux autorités espagnoles des corrections financières concernant les irrégularités qu’elle considérait comme avérées et leur a demandé de procéder à une nouvelle évaluation des contrats gérés par l’Entitad Pública de Saneamiento de Aguas Residuales (organisme public d’assainissement des eaux résiduelles, ci-après l’« EPSAR ») de la Communauté autonome de Valence. Les autorités espagnoles y ont répondu par lettre du 4 août 2005.

24      Par lettre du 12 janvier 2006, la Commission a proposé aux autorités espagnoles des corrections financières révisées.

25      Par lettre du 18 mai 2006, la Commission a invité les autorités espagnoles à une audition qui s’est tenue les 27 et 28 juin 2006. Lors de cette audition, les autorités espagnoles ont sollicité un délai de trois semaines pour fournir des éléments de preuve supplémentaires. La Commission a fixé ce délai au 21 juillet 2006. Elle a reçu ces éléments de preuve le 25 juillet 2006.

 Décision attaquée

26      Le 20 octobre 2006, la Commission a adopté la décision C (2006) 5102 réduisant le concours financier octroyé au titre du Fonds de cohésion au groupe de projets portant la référence 2001.ES.16.C.PE.050 et concernant l’assainissement du bassin hydrographique du Júcar (ci-après la « décision attaquée »), qui a été notifiée au Royaume d’Espagne le 23 octobre 2006.

27      Dans la décision attaquée, la Commission a affirmé avoir décelé, lors de sa mission d’audit, des irrégularités ayant trait à la méconnaissance par les autorités espagnoles des règles de l’Union régissant la passation des marchés publics. En particulier, certains marchés gérés par l’EPSAR auraient été attribués en violation de la directive marchés publics de travaux 93/37 et, plus précisément, de son article 30. D’une part, le pouvoir adjudicateur aurait retenu parmi les critères d’attribution le critère de l’expérience de travaux précédents, qui serait incompatible avec lesdites règles dans la mesure où il ne porterait pas sur l’objet du marché. D’autre part, la Commission a contesté la légalité de la méthode du prix moyen, utilisée dans le cadre de l’évaluation économique des offres. En application de cette méthode, l’offre correspondant au prix moyen – à savoir au prix correspondant à la somme des valeurs de toutes les offres reçues divisée par le nombre d’offres – obtenait le nombre le plus élevé de points prévus pour la qualité économique. Ainsi, les offres les plus proches du prix moyen recevaient des scores plus élevés que celles qui en étaient plus éloignées, y compris les offres les plus basses. Selon la Commission, cette méthode d’attribution de points dans le cadre de l’évaluation économique des offres est contraire au principe d’égalité de traitement, dès lors qu’elle est susceptible de favoriser, à conditions égales pour les autres critères, des offres plus onéreuses se rapprochant davantage du prix moyen par rapport à d’autres offres moins onéreuses. En outre, l’utilisation du critère de l’expérience de travaux précédents et de la méthode du prix moyen se serait avérée décisive pour l’attribution de trois marchés, à savoir, premièrement, le contrat relatif à l’installation du séchage thermique des boues à Quart-Benager (Espagne) (marché 2000/GV/0005), deuxièmement, le contrat de conditionnement de la station d’épuration des eaux résiduelles de Xeraco (Espagne) (marché 2000/GV/0035), et, troisièmement, le contrat des travaux de connexion du canal d’irrigation de la mer avec le canal d’irrigation de Vera (Espagne) (marché 2000/GV/0072) (points 3 et 4 de la décision attaquée).

28      La Commission a rejeté les arguments invoqués par les autorités espagnoles pour justifier ces irrégularités. En particulier, l’argument tiré de l’existence de difficultés d’interprétation juridique ne saurait être accueilli eu égard à la jurisprudence claire portant sur les dispositions pertinentes du droit de l’Union en matière de marchés publics (point 8 de la décision attaquée).

29      Au vu des irrégularités constatées, la Commission a considéré que l’imposition d’une correction financière était appropriée en l’espèce. Elle a toutefois estimé que, compte tenu des circonstances de l’espèce, l’application d’une correction financière forfaitaire à l’ensemble des projets aurait été une pénalité disproportionnée (point 10 de la décision attaquée).

30      Afin de déterminer la correction financière à imposer, la Commission a donc défini le montant des dépenses non conformes comme étant la différence entre le montant de l’offre retenue et celui de l’offre qui aurait remporté le marché si les critères, selon elle, illégaux n’avaient pas été utilisés. Elle a ensuite effectué un nouveau calcul dans le cadre duquel, d’une part, les points attribués au critère de l’expérience de travaux précédents ont été supprimés et, d’autre part, la méthode du prix moyen a été remplacée par une méthode linéaire d’évaluation du prix attribuant le meilleur score à l’offre la plus basse et le score minimal à l’offre la plus élevée. Selon la Commission, cette dernière méthode garantit, à conditions égales pour les autres critères, que les offres les plus basses ne soient pas injustement pénalisées et que les exigences de transparence et d’égalité de traitement entre les soumissionnaires soient pleinement respectées (point 11 de la décision attaquée).

31      Ainsi, la Commission a évalué l’impact financier s’agissant des trois contrats concernés par les irrégularités comme suit :

–        2 164 920 euros pour le contrat relatif au marché 2000/GV/0005 (installation du séchage thermique des boues à Quart-Benager) ;

–        174 379 euros pour le contrat relatif au marché 2000/GV/0035 (conditionnement de la station d’épuration des eaux résiduelles de Xeraco) ;

–        36 052 euros pour le contrat relatif au marché 2000/GV/0072 (connexion du canal d’irrigation de la mer avec le canal d’irrigation de Vera).

32      Selon la Commission, ces montants correspondent, pour chaque contrat, à la différence entre l’offre effectivement retenue et celle qui s’était avérée l’offre économiquement la plus avantageuse d’après le nouveau calcul sans l’application des critères illégaux, la somme totale de l’impact financier relatif aux trois contrats s’élevant donc à 2 375 351 euros. Elle a ainsi imposé une correction financière s’élevant à 100 % du cofinancement, à savoir 80 % du coût public éligible, dont le montant total pour le groupe de projets de traitement sanitaire du bassin hydrographique du Júcar s’est élevé à 1 900 281 euros (points 11, 14 et 15 et article 1er de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

33      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 janvier 2007, le Royaume d’Espagne a introduit le présent recours.

34      Le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

35      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

36      Le juge rapporteur étant empêché de siéger, le président du Tribunal a, le 22 mars 2012, réattribué l’affaire à un autre juge rapporteur et désigné, en application de l’article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, un autre juge pour compléter la chambre.

37      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

38      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience des 12 et 13 novembre 2012. Lors de l’audience, le Tribunal a décidé de laisser la procédure orale ouverte, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

39      Le Tribunal a ordonné la clôture de la procédure orale le 28 janvier 2013.

 En droit

 Résumé des moyens d’annulation

40      À l’appui de son recours, le Royaume d’Espagne invoque trois moyens, les deuxième et troisième moyens étant soulevés à titre subsidiaire.

41      Par son premier moyen, qui s’articule en deux branches, le Royaume d’Espagne fait valoir, en substance, que la décision attaquée est viciée par une mauvaise interprétation et par une application erronée de la directive marchés publics de travaux 93/37 en ce qui concerne les procédures d’appel d’offres pour le groupe de projets concernant le traitement sanitaire du bassin hydrographique du Júcar.

42      Par son deuxième moyen, soulevé à titre subsidiaire, le Royaume d’Espagne invoque une violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique dans l’application de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94.

43      Par son troisième moyen, soulevé à titre subsidiaire, le Royaume d’Espagne allègue une violation du principe de proportionnalité au sens de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, ainsi que de l’article 19 de la directive marchés publics de travaux 93/37, en ce qui concerne le contrat relatif au marché 2000/GV/0005 (installation du séchage thermique des boues à Quart-Benager).

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de la directive marchés publics de travaux 93/37

 Observations liminaires

44      Le premier moyen est subdivisé en deux branches.

45      Dans le cadre de la première branche du présent moyen, le Royaume d’Espagne soutient que, dans la décision attaquée, la Commission a méconnu l’article 30, paragraphes 1 et 2, de la directive marchés publics de travaux 93/37, en ce qu’elle a considéré que l’application du critère de l’expérience de travaux précédents constituait un critère d’attribution illicite. En outre, une éventuelle irrégularité à cet égard ne pourrait être qualifiée de violation grave et, partant, suffisamment caractérisée du droit de l’Union justifiant l’application d’une correction financière.

46      Dans le cadre de la seconde branche du présent moyen, le Royaume d’Espagne soutient que, dans la décision attaquée, la Commission a méconnu l’article 30, paragraphe 1, de la directive marchés publics de travaux 93/37, en ce qu’elle a considéré que l’application de la méthode du prix moyen était illégale.

 Sur la première branche du premier moyen, concernant l’application du critère de l’expérience de travaux précédents

47      En premier lieu, le Royaume d’Espagne fait valoir, en substance et jurisprudence à l’appui, que, si le droit de l’Union en matière de marchés publics ne mentionne pas expressément l’expérience comme critère d’attribution, l’énumération des critères d’attribution dans les règles pertinentes n’est pas exhaustive, de sorte que son utilisation éventuelle ou celle d’autres critères de nature qualitative ne saurait être exclue.

48      En second lieu, le Royaume d’Espagne soutient que, eu égard à la jurisprudence relative à la responsabilité extracontractuelle de l’Union et des États membres pour violations du droit de l’Union, l’existence d’un pouvoir d’appréciation de l’organisme public compétent pour l’attribution des marchés permettrait d’exclure toute responsabilité de sa part si ladite violation n’est pas manifeste et grave et, partant, suffisamment caractérisée. Or, en l’espèce, l’utilisation du critère de l’expérience ne constituerait pas une violation grave et manifeste des règles de l’Union, mais tout au plus une erreur de droit excusable. En effet, en vertu du principe d’égalité de traitement, il y aurait lieu de procéder à une application par analogie des principes jurisprudentiels régissant la responsabilité extracontractuelle de l’Union et des États membres à la responsabilité de ces derniers en tant que destinataires de concours provenant du Fonds de cohésion, dans la mesure où ils disposent d’un large pouvoir d’appréciation. Ainsi, seules des violations graves et manifestes seraient susceptibles de constituer une « irrégularité » et de justifier une correction financière.

49      La Commission conteste les arguments du Royaume d’Espagne et conclut au rejet du présent moyen.

50      Le Tribunal rappelle que l’article 18 de la directive marchés publics de travaux 93/37 prévoit que l’attribution du marché se fait sur la base des critères prévus à ses articles 30 à 32, compte tenu des dispositions de l’article 19, après vérification de l’aptitude des entrepreneurs non exclus en vertu de l’article 24, effectuée par les pouvoirs adjudicateurs conformément aux critères de capacités économique, financière et technique visés aux articles 26 et 27.

51      À cet égard, il a été constamment jugé que, si la directive marchés publics de travaux 93/37 n’excluait pas, en principe, que la vérification de l’aptitude des soumissionnaires et l’attribution du marché aient pu avoir lieu simultanément, il n’en demeurait pas moins qu’il s’agissait de deux opérations distinctes et qu’elles étaient régies par des règles différentes (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 20 septembre 1988, Beentjes, 31/87, Rec. p. 4635, points 15 et 16).

52      La vérification de l’aptitude des soumissionnaires est, en effet, effectuée par les pouvoirs adjudicateurs conformément aux critères de capacités économique, financière et technique (dits critères de sélection qualitative) visés aux articles 26 et 27 de la directive marchés publics de travaux 93/37. En revanche, l’attribution du marché se fonde sur les critères énumérés à l’article 30 de la directive marchés publics de travaux 93/37, à savoir soit le prix le plus bas, soit l’offre économiquement la plus avantageuse (arrêt Beentjes, point 51 supra, points 17 et 18). À cet égard, il y a lieu de préciser que, en effet, la distinction entre les critères de sélection qualitative et les critères d’attribution découle directement de la directive marchés publics de travaux 93/37 (voir notamment les chapitres 2 et 3 du titre VI de ladite directive).

53      Or, s’il est vrai que, dans le cas du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse, les critères pouvant être retenus par les pouvoirs adjudicateurs ne sont pas énumérés de manière limitative à l’article 30, paragraphe 1, de la directive marchés publics de travaux 93/37 et que cette disposition laisse donc aux pouvoirs adjudicateurs le choix des critères d’attribution du marché qu’ils entendent retenir, il n’en reste pas moins que ce choix ne peut porter que sur des critères visant à identifier l’offre économiquement la plus avantageuse. Partant, sont exclus à titre de critères d’attribution des critères qui ne visent pas à identifier l’offre économiquement la plus avantageuse, mais qui sont liés essentiellement à l’appréciation de l’aptitude des soumissionnaires à exécuter le marché en question (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 24 janvier 2008, Lianakis e.a., C‑532/06, Rec. p. I‑251, points 29 et 30, et la jurisprudence qui y est citée).

54      Force est de constater que le critère de l’expérience de travaux précédents, tel que retenu par l’EPSAR à titre de critère d’attribution, concerne l’aptitude des soumissionnaires à exécuter le marché et n’a donc pas la qualité de critère d’attribution au sens de l’article 30, paragraphe 1, de la directive marchés publics de travaux 93/37 (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Lianakis e.a., point 53 supra, point 31). Il s’ensuit que c’est à juste titre que la Commission a considéré aux points 4 et 8 ainsi qu’au point 9, sous a), de la décision attaquée que, en l’espèce, ce critère ne pouvait pas être utilisé comme critère d’attribution dans le cadre des procédures d’appel d’offres en cause.

55      À cet égard, la jurisprudence invoquée par le Royaume d’Espagne n’est pas susceptible de remettre en cause cette appréciation. En effet, le principe selon lequel la vérification de l’aptitude des soumissionnaires et l’attribution du marché sont deux opérations distinctes régies par des règles différentes avait déjà été reconnu en 1988, dans l’arrêt Beentjes (point 51 supra, point 16). Dans cet arrêt, la Cour a également précisé que le critère de l’expérience spécifique pour le travail à effectuer constituait un critère légitime de capacité technique en vue de la vérification de l’aptitude des entrepreneurs (point 37). En outre, dans son arrêt du 17 septembre 2002, Concordia Bus Finland (C‑513/99, Rec. p. I‑7213, point 59), la Cour a précisé que, dans la mesure où une offre se rapportait nécessairement à l’objet du marché, les critères d’attribution pouvant être retenus devaient, eux aussi, être liés à l’objet du marché. Il en découle que les critères d’attribution utilisés par les pouvoirs adjudicateurs doivent être des critères objectifs liés de façon directe et exclusive aux caractéristiques de l’offre et aux qualités intrinsèques d’un produit ou d’un service, et non à la capacité des soumissionnaires.

56      S’agissant spécifiquement du critère de l’expérience précédente, dans son arrêt du 26 février 2002, Esedra/Commission (T‑169/00, Rec. p. II‑609, point 158), le Tribunal a jugé que la qualité des offres était à évaluer sur la base des offres elles-mêmes et non à partir de l’expérience acquise par les soumissionnaires avec le pouvoir adjudicateur lors de précédents contrats ou sur la base de critères de sélection, comme la capacité technique des candidats, qui avaient déjà été vérifiés lors de la phase de sélection des candidatures et qui ne pouvaient être à nouveau pris en compte aux fins de la comparaison des offres (arrêt du Tribunal du 6 juillet 2005, TQ3 Travel Solutions Belgium/Commission, T‑148/04, Rec. p. II‑2627, point 86). De même, dans son arrêt du 19 juin 2003, GAT (C‑315/01, Rec. p. I‑6351, point 66), la Cour a réaffirmé qu’un élément relatif à l’expérience d’un soumissionnaire, comme une liste de références portant sur l’identité et le nombre de clients antérieurs, ne donnait pas d’indication permettant d’identifier l’offre économiquement la plus avantageuse et ne pouvait donc constituer un critère d’attribution.

57      Dans ces circonstances, le Royaume d’Espagne ne peut invoquer les seuls arrêts du Tribunal du 25 février 2003, Strabag Benelux/Conseil (T‑183/00, Rec. p. II‑135, points 75 à 79), et Renco/Conseil (T‑4/01, Rec. p. II‑171, point 68), qui étaient susceptibles de donner lieu à une interprétation différente. Enfin, le Royaume d’Espagne ne peut non plus se prévaloir de l’arrêt de la Cour du 28 mars 1995, Evans Medical et Macfarlan Smith (C‑324/93, Rec. p. I‑563, points 42 à 44), qui concerne la question de savoir si la sécurité d’approvisionnement – et non l’expérience de travaux précédents – peut faire partie des critères à prendre en compte pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse.

58      S’agissant de la nécessité alléguée d’appliquer par analogie la jurisprudence relative à la responsabilité extracontractuelle de l’Union et des États membres, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 8, paragraphe 1, du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, les projets financés par le Fonds de cohésion doivent être conformes aux dispositions des traités, aux actes adoptés en vertu de ceux-ci et aux politiques de l’Union, y compris celles qui concernent, notamment, la passation de marchés publics.

59      À cet égard, il convient de préciser que, conformément à l’article H, paragraphe 1, sous b), de l’annexe II du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, si, après avoir procédé aux vérifications nécessaires, la Commission conclut qu’il existe une irrégularité en ce qui concerne le concours du Fonds de cohésion et que l’État membre concerné n’a pas pris les mesures correctives nécessaires, la Commission est habilitée à supprimer totalement ou partiellement le concours alloué au projet concerné. En effet, en vertu du principe de conformité, tel que consacré à l’article 8, paragraphe 1, du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, seules les dépenses effectuées en conformité avec les règles pertinentes sont à la charge du budget de l’Union. Par conséquent, dès que la Commission décèle l’existence d’une violation des dispositions du droit de l’Union dans les paiements effectués par un État membre, telle que celle en l’espèce reposant sur l’application du critère de l’expérience de travaux précédents, elle est tenue de procéder à la rectification des comptes présentés par celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 13 juillet 2011, Grèce/Commission, T‑81/09, non publié au Recueil, point 63, et la jurisprudence qui y est citée).

60      Ainsi, force est de constater que l’obligation pour la Commission de procéder à une correction financière concernant un projet cofinancé par le Fonds de cohésion, dont la mise en œuvre par les autorités nationales est entachée d’irrégularités en raison de la méconnaissance du droit de l’Union, ne peut dépendre de la condition que cette méconnaissance soit grave et manifeste ou qu’elle concerne une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir, à cet égard, arrêts de la Cour du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, Rec. p. I‑1029, point 51 ; du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 42, et arrêt du Tribunal du 3 mars 2010, Artegodan/Commission, T‑429/05, Rec. p. II‑491, point 52).

61      À cet égard, le Royaume d’Espagne ne saurait invoquer le principe d’égalité de traitement au seul motif que, à l’instar des institutions de l’Union ou des autorités législatives ou administratives nationales, notamment lorsqu’elles édictent des règles de portée générale, les pouvoirs adjudicateurs disposent d’un large pouvoir d’appréciation au cas où ils mettent en œuvre les règles de l’Union en matière de marchés publics.

62      Le principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination, tel que consacré, notamment, à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1), exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt de la Cour du 21 juillet 2011, Nagy, C‑21/10, non encore publié au Recueil, point 47). En outre, les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent, en outre, être pris en considération les principes et objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, Rec. p. I‑9895, point 26, et la jurisprudence qui y est citée).

63      Or, il suffit de relever que, au regard des objectifs pertinents poursuivis, il n’existe aucune similitude entre la situation donnant lieu à la responsabilité extracontractuelle de l’Union ou des États membres et celle justifiant la correction financière d’un concours octroyé par le Fonds de cohésion à des projets gérés par des autorités nationales. En effet, tant la responsabilité extracontractuelle de l’Union que la responsabilité analogue des États membres, telle que reconnue notamment dans l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame (point 60 supra), vise à réparer les dommages causés à un particulier par un comportement illégal commis par une des institutions de l’Union ou par une des autorités d’un État membre. En revanche, dans le cas d’irrégularités conduisant à l’adoption d’une correction financière, l’État membre est privé de son droit de recevoir ou de conserver la totalité du concours allouée par le Fonds de cohésion, et ce afin de préserver les intérêts financiers de l’Union, que les États membres sont également tenus de protéger (voir article 12, paragraphe 1, du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94), raison pour laquelle l’article H, paragraphe 2, second alinéa, troisième phrase, et l’article H, paragraphe 3, de l’annexe II du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94 prévoient qu’une correction financière ne donne lieu qu’à la « répétition de l’indu » et non à la réparation d’un quelconque préjudice.

64      Il convient de préciser que l’exigence d’une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union, au sens de ladite responsabilité extracontractuelle, vise, quelle que soit la nature de l’acte illicite en cause, à éviter que le risque d’avoir à supporter les dommages allégués par les personnes concernées n’entrave la capacité de l’institution à exercer pleinement ses compétences dans l’intérêt général, tant dans le cadre de son activité à portée normative ou impliquant des choix de politique économique que dans la sphère de sa compétence administrative, sans pour autant laisser peser sur des particuliers la charge des conséquences de manquements flagrants et inexcusables (arrêt Artegodan/Commission, point 60 supra, point 56 ; voir également, en ce sens, arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, point 60 supra, point 45). Toutefois, dans le cadre de la gestion des concours financiers du Fonds de cohésion, l’adoption de corrections financières en raison d’irrégularités commises par les autorités nationales ne peut être soumise à une telle exigence, dès lors qu’il n’existe aucune justification valable pour accorder aux pouvoirs adjudicateurs nationaux une large marge d’appréciation, voire une marge d’erreur analogue, quant à leur obligation de respecter le droit de l’Union au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94 et de protéger effectivement les intérêts financiers de l’Union.

65      Par conséquent, la première branche du premier moyen doit être rejetée.

 Sur la seconde branche du premier moyen, concernant l’utilisation de la méthode du prix moyen pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse

66      Par la seconde branche du premier moyen, le Royaume d’Espagne conteste l’affirmation selon laquelle l’application de la méthode du prix moyen en tant que critère d’attribution serait illicite et violerait le principe d’égalité de traitement [point 9, sous b), de la décision attaquée]. Les règles du droit de l’Union n’excluraient pas expressément l’application de ladite méthode et la jurisprudence ne se serait pas opposée à son utilisation lorsqu’elle était retenue concomitamment avec d’autres critères. En l’espèce, conformément aux exigences reconnues par la jurisprudence, la méthode du prix moyen aurait été appliquée de manière objective, transparente et uniforme, ensemble avec d’autres critères, pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse, elle aurait été préalablement connue de tous les soumissionnaires, puisque formulée dans le cahier des charges de manière claire, précise et non équivoque, et elle n’aurait pas donné lieu à l’exclusion d’un d’entre eux.

67      S’agissant de la compatibilité de la méthode du prix moyen avec le critère de l’offre économiquement la plus avantageuse, le Royaume d’Espagne allègue que ce critère a été redéfini comme signifiant le meilleur rapport entre la qualité et le prix dans le cadre de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114, ci-après la « directive coordination des marchés publics 2004/18 »), alors que, auparavant, les notions de prix plus avantageux ou de meilleur prix ne pouvaient pas nécessairement être assimilées à la notion de prix le plus bas. En attribuant plus de points aux offres les plus basses se rapprochant de la moyenne, la méthode du prix moyen aurait visé à inciter les soumissionnaires à préparer leurs offres avec sérieux et rigueur, conformément à leurs coûts réels, en les dissuadant par avance d’élaborer des stratégies téméraires, ce qui serait l’avantage économique justifiant son utilisation. En outre, cette méthode ne viserait pas à faire abstraction du prix en tant que tel, mais à relativiser son importance en encourageant les soumissionnaires à insister davantage sur la qualité de leur offre. À cet égard, le pouvoir adjudicateur disposerait d’une large marge d’appréciation s’étendant non seulement au choix des critères à utiliser, mais également au poids à attribuer à chacun d’entre eux. Enfin, la méthode du prix moyen aurait été utilisée dans d’autres domaines économiques, par exemple, en tant que mesure efficace pour lutter contre la fraude fiscale dans l’évaluation des biens.

68      Le Royaume d’Espagne précise que les dispositions de l’article 30 de la directive marchés publics de travaux 93/37 n’étaient pas claires et pouvaient donner lieu à des interprétations erronées, de sorte que l’utilisation de la méthode du prix moyen ne pouvait pas constituer une irrégularité. Pour cette raison, la directive coordination des marchés publics 2004/18 aurait apporté des modifications et des précisions à la directive marchés publics de travaux 93/37. Ainsi, s’agissant de la procédure de vérification contradictoire des offres anormalement basses, l’article 55 de la directive coordination des marchés publics 2004/18 aurait supprimé l’obligation d’informer la Commission du rejet des offres jugées trop basses, sauf « lorsque la baisse anormale serait due au fait que le soumissionnaire a obtenu une aide d’État, et cela afin de vérifier si l’aide a été octroyée légalement ».

69      La Commission conteste les arguments du Royaume d’Espagne et conclut au rejet de cette branche du premier moyen.

70      Le Tribunal rappelle, d’abord, la jurisprudence constante ayant reconnu que la directive marchés publics de travaux 93/37 a pour but essentiel de protéger les intérêts des opérateurs économiques établis dans un État membre désireux d’offrir des biens ou des services aux pouvoirs adjudicateurs établis dans un autre État membre et, à cette fin, d’exclure à la fois le risque qu’une préférence soit donnée aux soumissionnaires nationaux lors d’une passation de marché et la possibilité qu’un pouvoir adjudicateur public se laisse guider par des considérations autres qu’économiques. L’objectif primordial de ladite directive est ainsi la mise en concurrence des marchés publics de travaux et de services. En effet, c’est l’ouverture à la concurrence dans l’Union selon les procédures prévues par ladite directive qui garantit l’absence de risque de favoritisme de la part des pouvoirs publics (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 27 novembre 2001, Lombardini et Mantovani, C‑285/99 et C‑286/99, Rec. p. I‑9233, points 35 et 36, et la jurisprudence qui y est citée).

71      En outre, dans les procédures de passation des marchés publics, le pouvoir adjudicateur est tenu de respecter le principe d’égalité de traitement des soumissionnaires, ainsi qu’il résulte du reste de manière expresse de l’article 22, paragraphe 4, de l’article 30, paragraphe 4, quatrième alinéa, et de l’article 31, paragraphe 1, de la directive marchés publics de travaux 93/37 (arrêt Lombardini et Mantovani, point 70 supra, point 37).

72      Plus particulièrement, le principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires, qui n’est qu’une expression spécifique du principe d’égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 octobre 2005, Parking Brixen, C‑458/03, Rec. p. I‑8585, points 46 et 48, et la jurisprudence qui y est citée) et qui a pour objectif de favoriser le développement d’une concurrence saine et effective entre les entreprises participant à un marché public, impose que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres et implique donc que celles-ci soient soumises aux mêmes conditions pour tous les compétiteurs (arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, Rec. p. I‑3801, point 110). Ainsi, le pouvoir adjudicateur est tenu, à chaque phase d’une procédure d’appel d’offres, au respect du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires (arrêt du Tribunal du 17 décembre 1998, Embassy Limousines & Services/Parlement, T‑203/96, Rec. p. II‑4239, point 85), et ceux-ci doivent se trouver sur un pied d’égalité aussi bien au moment où ils préparent leurs offres qu’au moment où celles-ci sont évaluées par le pouvoir adjudicateur (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 16 décembre 2008, Michaniki, C‑213/07, Rec. p. I‑9999, point 45, et du 17 février 2011, Commission/Chypre, C‑251/09, non publié au Recueil, point 39, et la jurisprudence qui y est citée).

73      Par ailleurs, le principe d’égalité de traitement implique, notamment, une obligation de transparence afin de permettre au pouvoir adjudicateur de s’assurer de son respect (voir arrêts Lombardini et Mantovani, point 70 supra, point 38, et Commission/Chypre, point 72 supra, point 38, et la jurisprudence qui y est citée). Le principe de transparence, qui constitue le corollaire du principe d’égalité de traitement, a essentiellement pour but de garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur (arrêt Commission/CAS Succhi di Frutta, point 72 supra, point 111), ainsi que le contrôle de l’impartialité des procédures d’adjudication (arrêt Parking Brixen, point 72 supra, point 49, et la jurisprudence qui y est citée). Il implique que toutes les conditions et modalités de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire, précise et univoque, dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, de façon, d’une part, à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière et, d’autre part, à mettre le pouvoir adjudicateur en mesure de vérifier si effectivement les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant le marché en cause (arrêt Commission/CAS Succhi di Frutta, point 72 supra, point 111). Enfin, les principes d’égalité de traitement et de transparence constituent la base des directives relatives aux procédures de passation des marchés publics. Le devoir des pouvoirs adjudicateurs d’en assurer le respect correspond à l’essence même de ces directives (voir arrêt Michaniki, point 72 supra, point 72, et la jurisprudence qui y est citée).

74      C’est à l’aune de ces principes qu’il y a lieu d’apprécier, ensuite, les griefs soulevés par le Royaume d’Espagne dans le cadre de la seconde branche de son premier moyen.

75      Il ressort de la décision attaquée, notamment de sa note en bas de page n° 3, que, pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse, au sens de l’article 30, paragraphe 1, sous b), de la directive marchés publics de travaux 93/37, les autorités espagnoles ont appliqué, conjointement avec d’autres critères notamment à caractère technique, la méthode du prix moyen en tant que critère d’évaluation économique. Ce prix moyen équivalait à la somme des valeurs de toutes les offres reçues divisée par le nombre d’offres. En outre, l’offre correspondant au prix moyen obtenait le meilleur score en nombre de points et les offres se rapprochant davantage du prix moyen, tant au-dessus qu’en dessous dudit prix, obtenaient des scores plus élevés que celles qui en étaient plus éloignées, y compris les offres les plus basses.

76      À cet égard, il y a lieu de rappeler que les pouvoirs adjudicateurs sont assujettis à une obligation de transparence qui a essentiellement pour but de garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire de leur part. En particulier, lorsque l’attribution d’un marché dépend de la détermination de l’offre économiquement la plus avantageuse, au sens de l’article 30, paragraphe 2, de la directive marchés publics de travaux 93/37, le pouvoir adjudicateur doit définir et préciser, dans le cahier des charges, les critères d’attribution applicables. Ces dispositions visent ainsi à garantir le respect de l’égalité de traitement et de la transparence au stade de l’évaluation des offres en vue de l’attribution du marché (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 21 juillet 2011, Evropaïki Dynamiki/EMSA, C‑252/10 P, non publié au Recueil, point 29).

77      En outre, si la jurisprudence n’a pas reconnu une interdiction totale et absolue pour le pouvoir adjudicateur de spécifier plus en détail, après l’expiration du délai de présentation des offres, un critère d’attribution du marché qui a été préalablement porté à la connaissance des soumissionnaires, il n’en demeure pas moins qu’une telle détermination postérieure n’est possible que dans le respect strict de trois conditions cumulatives. Premièrement, cette détermination a posteriori ne doit pas modifier les critères d’attribution du marché définis dans le cahier des charges ou dans l’avis de marché ; deuxièmement, elle ne doit pas contenir d’éléments qui, s’ils avaient été connus lors de la préparation des offres, auraient pu influencer cette préparation, et, troisièmement, elle ne doit pas avoir été adoptée en prenant en compte des éléments susceptibles d’avoir un effet discriminatoire envers l’un des soumissionnaires (voir, en ce sens, arrêts Lianakis e.a., point 55 supra, point 43, et la jurisprudence qui y est citée, et Evropaïki Dynamiki/EMSA, point 76 supra, points 32 et 33).

78      En l’espèce, force est de constater que l’application de la méthode du prix moyen supposait la nécessité de déterminer a posteriori un élément essentiel, voire décisif pour la décision d’attribution des marchés, à savoir le prix moyen auquel toutes les offres devaient être comparées à la suite de leur réception par le pouvoir adjudicateur.

79      Partant, en l’absence de connaissance dudit prix moyen, au stade de la présentation de leurs offres, les soumissionnaires étaient privés d’un élément qui, s’ils l’avaient connu auparavant, aurait été particulièrement susceptible d’influencer cette préparation, au sens de la deuxième condition rappelée au point 77 ci-dessus, en ce qu’il leur aurait permis d’augmenter leurs chances d’obtenir le maximum de points selon les critères exposés au point 75 ci-dessus. En revanche, l’absence de connaissance de cet élément les empêchait d’adapter leurs offres respectives à l’évaluation desdites offres. Au contraire, le manque de transparence par rapport au prix moyen a entraîné une situation de concurrence « irrationnelle » pour les soumissionnaires les plus compétitifs qui, s’ils voulaient conserver leurs chances d’obtenir le marché, se voyaient contraints de soumettre une offre à un prix plus élevé par rapport à celui qu’ils auraient pu présenter, à savoir une offre comportant un prix correspondant à la moyenne prévisible du prix de l’ensemble des offres et non l’offre la moins chère.

80      Dans ces conditions, c’est à bon droit que la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que l’application de la méthode du prix moyen était contraire à l’article 30, paragraphes 1 et 2, de la directive marchés publics de travaux 93/37. À cet égard, il convient de préciser que, dans la réplique, le Royaume d’Espagne reconnaît lui-même l’existence d’un risque que, du fait de l’application de la méthode du prix moyen, les soumissionnaires formulent leurs offres sur la base de critères statistiques ou de probabilités susceptibles de fausser le résultat de l’appel d’offres, plutôt que sur la base des qualités spécifiques dont ils disposent réellement.

81      Par ailleurs, il est constant que l’application de la méthode du prix moyen pouvait conduire à une situation dans laquelle, à parité des autres conditions, notamment techniques, une offre à un prix plus élevé était susceptible d’obtenir plus de points au titre de sa qualité économique qu’une autre offre moins chère, en particulier lorsque la première offre se rapprochait davantage du prix moyen.

82      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, si l’article 30, paragraphe 1, sous b), de la directive marchés publics de travaux 93/37 laisse au pouvoir adjudicateur le choix des critères d’attribution du marché qu’il entend retenir, ce choix ne peut toutefois porter que sur des critères visant à identifier l’offre économiquement la plus avantageuse (voir, en ce sens, arrêt Concordia Bus Finland, point 55 supra, point 59, et la jurisprudence qui y est citée). Or, l’offre économiquement la plus avantageuse peut être définie comme étant celle entre les différentes offres soumises qui présente le meilleur rapport entre la qualité et le prix, compte tenu de critères justifiés par l’objet du marché (voir, en ce sens et par analogie, arrêt TQ3 Travel Solutions Belgium/Commission, point 56 supra, point 48). Par conséquent, lorsque les pouvoirs adjudicateurs choisissent d’attribuer le marché à l’offre économiquement la plus avantageuse, ils doivent évaluer les offres afin de déterminer celle qui présente le meilleur rapport entre la qualité et le prix (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 10 mai 2012, Commission/Pays-Bas, C‑368/10, non encore publié au Recueil, point 86, concernant le considérant 46, troisième alinéa, de la directive coordination des marchés publics 2004/18).

83      Si l’offre économiquement la plus avantageuse n’est pas toujours celle ayant le prix le plus bas, force est de constater que, dans des conditions de parfaite égalité des offres s’agissant de tous les autres critères pertinents, y compris techniques, une offre moins onéreuse doit être nécessairement considérée, du point de vue économique, comme étant plus avantageuse qu’une offre plus chère. Or, dans une telle situation, l’application de la méthode du prix moyen, qui aurait pour résultat d’attribuer le marché à une offre plus chère qu’une autre, ne peut être qualifiée de conforme au critère de l’offre économiquement la plus avantageuse.

84      Dans ces conditions, la Commission était en droit de considérer que l’application de la méthode du prix moyen n’était pas compatible avec l’article 30, paragraphe 1, sous b), de la directive marchés publics de travaux 93/37.

85      Les autres arguments avancés par le Royaume d’Espagne ne sont pas susceptibles d’infirmer cette appréciation.

86      Premièrement, le Royaume d’Espagne ne saurait valablement invoquer l’arrêt de la Cour du 28 mars 1985, Commission/Italie (274/83, Rec. p. 1077, point 25), à l’appui de son argument selon lequel la méthode du prix moyen serait autorisée lorsqu’elle est appliquée ensemble avec d’autres critères. Au contraire, dans cet arrêt, la Cour a jugé, d’une part, qu’un critère d’attribution visant l’offre qui correspondait à la moyenne ou s’en rapprochait le plus ne permettait pas de déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse et, d’autre part, que le critère de l’offre économiquement la plus avantageuse exigeait que le pouvoir adjudicateur jouît d’une liberté pour décider en fonction de plusieurs critères quantitatifs et qualitatifs qui variaient selon le marché en cause.

87      Deuxièmement, le Royaume d’Espagne ne saurait non plus faire valoir que la méthode du prix moyen serait conforme au principe de transparence au motif que, avant la présentation de leurs offres, tous les soumissionnaires avaient été informés de son application et avaient accès aux mêmes informations relatives aux conditions d’éligibilité et d’attribution des marchés en cause. En effet, cet argument ne contredit pas le fait que, en l’espèce, la méthode du prix moyen constituait un critère essentiel sinon décisif pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse, ce qui, dans des conditions de parfaite égalité des offres s’agissant de tout autre critère, pouvait notamment conduire à attribuer le marché à une offre plus chère qu’une autre (voir point 83 ci-dessus).

88      Troisièmement, doit être rejeté comme inopérant l’argument, non étayé, du Royaume d’Espagne selon lequel, avant l’entrée en vigueur de la directive coordination des marchés publics 2004/18, la notion de prix plus avantageux ne devait pas nécessairement être assimilée à la notion de prix plus bas. En effet, d’une part, il ressortait déjà de la jurisprudence antérieure à cette entrée en vigueur que le pouvoir adjudicateur ne devait pas se laisser guider par des considérations autres qu’économiques (voir la jurisprudence citée au point 82 ci-dessus), et, d’autre part, il découle directement de la notion même d’offre économiquement la plus avantageuse que, dans des conditions de parfaite égalité des offres s’agissant de tous les autres critères pertinents, y compris techniques, une offre moins onéreuse doit être nécessairement considérée, du point de vue économique, comme étant plus avantageuse qu’une offre plus chère (voir point 83 ci-dessus).

89      Quatrièmement, est également inopérant l’argument du Royaume d’Espagne tiré de ce que la méthode du prix moyen s’applique dans d’autres secteurs économiques, puisque, même à considérer cette circonstance comme avérée, elle ne serait pas susceptible de remettre en cause l’appréciation précédente quant à l’existence de l’irrégularité constatée par la Commission.

90      Cinquièmement, il en va de même de l’argument selon lequel l’utilisation de la méthode du prix moyen aurait eu pour objectif d’inciter les soumissionnaires à préparer leurs offres avec sérieux et rigueur, conformément à leurs coûts réels, et de les dissuader par avance d’élaborer des stratégies téméraires. En effet, cette circonstance, même à supposer qu’elle soit établie, ne saurait infirmer l’appréciation exposée aux points 78 à 83 ci-dessus selon laquelle l’utilisation de cette méthode n’est pas conforme à la directive marchés publics de travaux 93/37 et conduit, au contraire, à créer une situation de concurrence « irrationnelle ».

91      Sixièmement, le Royaume d’Espagne ne saurait tirer argument de l’article 55 de la directive coordination des marchés publics 2004/18, qui régit la procédure contradictoire à suivre dans le cas d’offres anormalement basses et qui est postérieur et, partant, inapplicable aux procédures d’appel d’offres visées par la décision attaquée.

92      Septièmement, l’argument du Royaume d’Espagne selon lequel le pouvoir adjudicateur dispose d’une large marge d’appréciation couvrant non seulement le choix des critères d’attribution, mais également le poids à attribuer à chacun d’eux, ne saurait non plus prospérer. En effet, l’existence d’une telle marge d’appréciation n’écarte pas l’obligation pour le pouvoir adjudicateur d’identifier l’offre économiquement la plus avantageuse, ce que la méthode du prix moyen ne permet pas dans tous les cas de figure (voir point 83 ci-dessus).

93      À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter également la seconde branche du premier moyen et, par conséquent, le premier moyen dans son intégralité.

 Sur le deuxième moyen, soulevé à titre subsidiaire, tiré de la violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique dans la mise en œuvre de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94

94      Par son deuxième moyen, soulevé à titre subsidiaire, le Royaume d’Espagne soutient que la Commission a violé le principe de protection de la confiance légitime et le principe de sécurité juridique. La Commission n’aurait pas tenu compte des circonstances atténuantes prévues au point 2.4, deuxième alinéa, des orientations de 2002, alors que celles-ci auraient été réunies en l’espèce. En effet, les autorités espagnoles n’auraient eu connaissance des conclusions préliminaires de la Commission qu’au cours de l’année 2002, lorsque les marchés en cause avaient déjà fait l’objet d’un appel d’offres et étaient attribués. Or, s’il en avait été autrement, lesdites autorités auraient pris les mesures nécessaires pour se conformer au point de vue de la Commission. Ainsi, il ressortirait du rapport d’audition du 27 juin 2006 que ces autorités ont abandonné la méthode du prix moyen en 2001 ainsi que le critère de l’expérience en 2002. En outre, lors de contrôles antérieurs concernant des marchés gérés par l’EPSAR, les services de la Commission n’auraient constaté aucune irrégularité dans les procédures d’appel d’offres examinées, ni proposé de correction financière, ce qui leur aurait conféré une apparence de légalité. Enfin, cette approche serait contradictoire et discriminatoire en ce que la Commission qualifierait d’irrégularité un comportement des autorités espagnoles qu’elle aurait, par erreur, omis de qualifier d’irrégularité dans le passé, ce qui aurait porté atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

95      La Commission conteste les arguments du Royaume d’Espagne et conclut au rejet du présent moyen.

96      Le Tribunal rappelle que le droit de se prévaloir de la protection de la confiance légitime présuppose la réunion de trois conditions cumulatives. Premièrement, des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, doivent avoir été fournies à l’intéressé par l’administration. Deuxièmement, ces assurances doivent être de nature à faire naître une attente légitime dans l’esprit de celui auquel elles s’adressent. Troisièmement, les assurances données doivent être conformes aux normes applicables (voir arrêt du Tribunal du 18 juin 2010, Luxembourg/Commission, T‑549/08, Rec. p. II‑2477, point 71, et la jurisprudence qui y est citée). En outre, la législation de l’Union doit être certaine et son application prévisible pour les justiciables. Cet impératif de sécurité juridique s’impose avec une rigueur particulière lorsqu’il s’agit d’une réglementation susceptible de comporter des charges financières, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose (voir arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Sudholz, C‑17/01, Rec. p. I‑4243, point 34, et la jurisprudence qui y est citée).

97      Force est de constater que, en l’espèce, le Royaume d’Espagne ne fait valoir aucune assurance précise, inconditionnelle et concordante qui pourrait justifier le constat d’une violation du principe de protection de la confiance légitime, ni aucun élément susceptible de fonder le grief tiré d’une violation du principe de sécurité juridique.

98      Ainsi, l’éventuelle existence d’irrégularités non poursuivies ou décelées précédemment ne peut en aucun cas fonder une confiance légitime, la Commission, après avoir découvert des manquements lors d’un contrôle, ne pouvant pas être empêchée d’en tirer des conséquences financières. Les autorités nationales, qui, aux termes de l’article 12, paragraphe 1, du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, sont responsables en premier ressort du contrôle financier des projets ne sauraient s’exonérer de leur responsabilité en invoquant le fait que la Commission n’a constaté aucune irrégularité lors d’un précédent contrôle (voir, en ce sens, arrêt Luxembourg/Commission, point 96 supra, point 77, et la jurisprudence qui y est citée).

99      Partant, dès lors que la Commission a établi l’existence d’irrégularités au regard de la réglementation pertinente (voir points 50 à 55 et 70 à 93 ci-dessus), le Royaume d’Espagne ne peut valablement soutenir que les appréciations provisoires contenues dans des rapports d’audit menés en 1997 ont fait naître dans son esprit des espérances fondées quant à la compatibilité des procédures d’appel d’offres visées par la décision attaquée avec les règles pertinentes de l’Union en matière de marchés publics. À cet égard, il y a lieu de préciser que les autorités espagnoles connaissaient bien avant 2002 l’interprétation que la Commission faisait desdites règles, du moins en ce qui concerne l’irrégularité tenant à l’utilisation de la méthode du prix moyen. En effet, la Commission avait ouvert une procédure d’infraction n° 1996/4692 à l’encontre du Royaume d’Espagne visant le mode d’attribution d’un marché public concernant un projet d’infrastructure dans l’île de la Grande Canarie, dans le cadre de laquelle elle avait adressé, le 23 décembre 1997, un avis motivé aux autorités espagnoles considérant l’utilisation en tant que critère d’attribution de la méthode du prix moyen comme étant contraire à la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), telle qu’interprétée par la jurisprudence.

100    Dans ces conditions, le Royaume d’Espagne ne peut non plus invoquer en sa faveur le principe de la sécurité juridique, lu conjointement avec le point 2.4, deuxième alinéa, des orientations de 2002.

101    Quant à la circonstance atténuante prévue à la première hypothèse du point 2.4, deuxième alinéa, desdites orientations, d’une part, il convient de rappeler que cette circonstance vise le respect et la mise en œuvre du principe de proportionnalité lorsque deux conditions cumulatives sont réunies. Ainsi, les irrégularités constatées doivent résulter de difficultés d’interprétation de dispositions ou d’exigences du droit de l’Union et les autorités nationales doivent avoir adopté des mesures efficaces pour pallier les carences dès le moment de leur survenance. Or, cela n’a pas été le cas en l’espèce (voir les considérations exposées aux points 50 à 55 et 70 à 93 ci-dessus). D’autre part, même s’il ressort du libellé de cette disposition, qui utilise le terme « peut », que la Commission se réserve une marge d’appréciation pour appliquer cette circonstance atténuante, elle ne peut en faire usage que si ses conditions d’application cumulatives sont réunies. En effet, en adoptant des règles de conduite administrative visant à produire des effets externes, telles que les orientations de 2002, et en annonçant par leur publication, en l’espèce sur Internet, qu’elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles-ci, l’institution en question s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que les principes d’égalité de traitement, de sécurité juridique ou de protection de la confiance légitime (voir, en ce sens et par analogie, arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, points 209 à 211, et arrêt du Tribunal du 7 novembre 2007, Allemagne/Commission, T‑374/04, Rec. p. II‑4431, point 111, et la jurisprudence qui y est citée).

102    Dans la mesure où le Royaume d’Espagne se plaint d’une approche contradictoire et discriminatoire de la Commission au motif qu’elle aurait, par erreur, omis de qualifier d’irrégularités des comportements analogues des autorités espagnoles dans le passé, il suffit de relever que le Royaume d’Espagne n’a ni avancé ni étayé de telles éventuelles erreurs ou carences qui pourraient justifier l’application de la seconde hypothèse du point 2.4, deuxième alinéa, des orientations de 2002. En outre, même à supposer que la Commission eût toléré, dans le passé, des irrégularités des autorités espagnoles pour des raisons d’équité ou pour d’autres raisons, le Royaume d’Espagne n’aurait acquis aucun droit à exiger, au regard des principes de la sécurité juridique ou de la protection de la confiance légitime, la même attitude pour les irrégularités constatées en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 6 octobre 1993, Italie/Commission, C‑55/91, Rec. p. I‑4813, point 67).

103    Dans ces conditions, le Royaume d’Espagne ne justifie ni d’une attente légitime ni d’une autre raison impliquant que la Commission lui applique la circonstance atténuante au titre du point 2.4, deuxième alinéa, des orientations de 2002 en l’espèce.

104    À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de constater que, en l’absence de violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, soulevé à titre subsidiaire, tiré de la violation du principe de proportionnalité au sens de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, ainsi que de la violation de l’article 19 de la directive marchés publics de travaux 93/37, en ce qui concerne le marché 2000/GV/0005

105    Le Royaume d’Espagne soutient, d’abord, que, en imposant les corrections financières litigieuses, la Commission a violé les deux éléments constitutifs du principe de proportionnalité, à savoir, d’une part, l’exigence que la mesure adoptée soit appropriée à l’objectif ou à l’intérêt – c’est-à-dire le respect de la réglementation applicable et de l’intégrité du budget de l’Union – qu’elle est censée protéger et, d’autre part, l’exigence qu’il s’agisse de la mesure la moins contraignante.

106    Ensuite, le Royaume d’Espagne conteste le calcul que la Commission a effectué pour déterminer la correction financière relative au marché 2000/GV/0005. Selon le Royaume d’Espagne, dans le cadre dudit calcul, qui supprime le critère de l’expérience de travaux précédents et remplace la méthode du prix moyen par la méthode linéaire d’évaluation des prix, l’impact financier sur ledit marché s’élevait à 2 164 920 euros, à savoir le montant correspondant à la différence entre l’offre sélectionnée et celle qui aurait été l’offre économiquement la plus avantageuse selon le nouveau calcul. Toutefois, la Commission aurait commis une erreur et aurait violé l’article 19 de la directive marchés publics de travaux 93/37, en ce qu’elle a rejeté la proposition alternative des autorités espagnoles consistant à effectuer le nouveau calcul en distinguant les offres de base des variantes. Ce calcul alternatif aurait eu un impact financier inférieur, à savoir 1 033 455,40 euros, sur le marché en cause.

107    À cet égard, le Royaume d’Espagne précise que la procédure d’appel d’offres concernant le marché 2000/GV/0005 avait initialement prévu la possibilité de soumettre une seule offre concernant la solution de base approuvée par le pouvoir adjudicateur qui consistait en deux équipements de séchage de 2000 kg/h chacun. La possibilité d’une variante prévoyant un seul équipement de séchage de 4000 kg/h n’aurait été autorisée que postérieurement – à condition de respecter un niveau d’efficacité et de rendement de l’équipement équivalent et un niveau de sécurité et de garantie ou de respect de l’environnement identiques à la solution de base – afin de pouvoir examiner toutes les technologies existantes, compte tenu de la nouveauté de ce type de systèmes et du manque d’expérience dans ce domaine. Toutefois, après avoir examiné les variantes proposées, il se serait avéré que le fait de pouvoir disposer d’un équipement de séchage double était nettement plus avantageux, au vu des risques fréquents de pannes de ces équipements, qui auraient pu provoquer des problèmes importants. Pour cette raison, il aurait été considéré que les offres proposant des variantes devaient recevoir une évaluation moindre de leur qualité technique. Ainsi, le pouvoir adjudicateur n’aurait pas été tenu de prendre en compte ces offres aux fins de l’attribution du marché, bien qu’elles eussent fait l’objet d’une appréciation dans le rapport d’évaluation initial, du point de vue tant technique qu’économique. En effet, en vertu de l’article 19 de la directive marchés publics de travaux 93/37, les pouvoirs adjudicateurs pourraient écarter de leur appréciation les variantes présentées par des soumissionnaires lorsque celles-ci ne satisfont pas aux exigences minimales requises. En l’espèce, étant donné que l’avis de marché publié, le 14 juillet 2000, au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2000/S 133-086679) précisait que l’équipement devait être en mesure de traiter les boues « […] avec une efficacité similaire et une sécurité et un respect de l’environnement identiques […] », le pouvoir adjudicateur aurait encore été libre, après avoir examiné les variantes, de les prendre ou non en considération.

108    Le Royaume d’Espagne considère, en substance, que c’est de manière erronée que, lors du calcul pour déterminer la correction financière, la Commission a omis de distinguer les offres de base des variantes. La méthode de calcul utilisée par la Commission aurait nécessairement eu pour résultat que les offres comportant les variantes aient toujours été celles les mieux évaluées, ce qui aurait équivalu à une dénaturation de la procédure d’appel d’offres.

109    La Commission conteste les arguments du Royaume d’Espagne et conclut au rejet du présent moyen.

110    Le Tribunal constate que le présent moyen s’articule en deux branches. Dans le cadre de la première branche, le Royaume d’Espagne soutient que, lors de la détermination des corrections financières litigieuses, la Commission a violé le principe de proportionnalité au sens de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94. Dans le cadre de la seconde branche, le Royaume d’Espagne reproche à la Commission d’avoir violé l’article 19 de la directive marchés publics de travaux 93/37.

111    S’agissant de la première branche, tirée de la violation du principe de proportionnalité, il convient de rappeler que, en vertu de l’article H, paragraphe 2, sous b), deuxième alinéa, et de l’article H, paragraphe 3, de l’annexe II du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, les décisions de la Commission imposant des corrections financières doivent respecter le principe de proportionnalité. Ainsi, en établissant le montant de la correction financière, la Commission doit tenir compte de la nature de l’irrégularité ou de la modification et de l’étendue de l’impact financier potentiel des défaillances éventuelles des systèmes de gestion ou de contrôle. En outre, toute réduction ou suppression de concours doit donner lieu à répétition de l’indu.

112    Il y a lieu de rappeler, en outre, que le principe de proportionnalité, tel que consacré à l’article 5 CE, fait partie des principes généraux du droit de l’Union et qu’il exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients engendrés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, Italie/Commission, T‑308/05, Rec. p. II‑5089, point 153, et la jurisprudence qui y est citée). En particulier, au regard du principe de proportionnalité, la violation des obligations dont le respect revêt une importance fondamentale pour le bon fonctionnement d’un système de l’Union peut être sanctionnée par la perte d’un droit ouvert par la réglementation de l’Union, tel que le droit à un concours financier (arrêts du Tribunal du 26 septembre 2002, Sgaravatti Mediterranea/Commission, T‑199/99, Rec. p. II‑3731, points 134 et 135, et du 19 novembre 2008, Grèce/Commission, T‑404/05, non publié au Recueil, point 89).

113    En ce qui concerne le Fonds de cohésion, il convient de relever qu’il ressort de l’article 12, paragraphe 1, du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, que ce sont les États membres qui assument en premier ressort la responsabilité du contrôle financier des projets et qu’ils sont tenus, notamment, de prendre les mesures nécessaires visant à garantir l’utilisation efficace et régulière des fonds communautaires, de veiller à ce que les projets soient gérés conformément à l’ensemble de la réglementation de l’Union applicable, de prévenir et de détecter les irrégularités ainsi que de récupérer les montants perdus à la suite d’une irrégularité constatée.

114    À cet égard, il y a lieu de préciser que, ainsi qu’il ressort du point 1 des orientations de 2002, l’objectif des corrections financières est de rétablir une situation où 100 % des dépenses faisant l’objet d’une demande de cofinancement des fonds structurels soient en conformité avec les réglementations nationale et de l’Union applicables en la matière. En effet, en vertu du principe de conformité, tel que consacré à l’article 8, paragraphe 1, du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, seules les dépenses effectuées en conformité avec les règles pertinentes sont à la charge du budget de l’Union. Par conséquent, dès que la Commission décèle l’existence d’une violation des dispositions du droit de l’Union dans les paiements effectués par un État membre, elle est tenue de procéder à la rectification des comptes présentés par celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2011, Grèce/Commission, point 59 supra, point 63, et la jurisprudence qui y est citée).

115    Par ailleurs, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, du règlement d’application n° 1386/2002, le montant des corrections financières appliquées par la Commission au titre de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94 pour des irrégularités individuelles ou systémiques est évalué, chaque fois que cela est possible ou faisable, sur la base de dossiers individuels et est égal au montant des dépenses qui ont été erronément imputées au Fonds de cohésion, en tenant compte du principe de proportionnalité. Selon l’article 17, paragraphe 2, du même règlement, lorsqu’il n’est pas possible ou faisable de quantifier de manière précise le montant des dépenses irrégulières, ou lorsqu’il serait disproportionné d’annuler l’ensemble des dépenses en question, la Commission peut fonder ses corrections financières sur une extrapolation ou sur une base forfaitaire.

116    En l’espèce, il ressort des considérations exposées aux points 50 à 55 et 70 à 93 ci-dessus que la Commission a constaté, sans commettre d’erreur, des irrégularités liées à la méconnaissance par les autorités espagnoles des règles de l’Union en matière de marchés publics, qui ont influé de manière décisive sur le résultat des procédures d’appel d’offres en cause. Dans ces conditions, la Commission était tenue de procéder à la rectification des comptes en imposant les corrections financières nécessaires pour rétablir une situation où 100 % des dépenses faisant l’objet de la demande de cofinancement par le Fonds de cohésion étaient en conformité avec lesdites règles (voir point 114 ci-dessus).

117    Quant aux modalités de calcul desdites corrections financières, il ressort des points 10 et 11 de la décision attaquée que la Commission a, d’abord, estimé que, au vu des circonstances de l’espèce, l’application d’une correction financière forfaitaire à l’ensemble des projets aurait été une pénalité disproportionnée. Ensuite, elle a défini le montant des dépenses non conformes comme étant la différence entre le montant de l’offre retenue et celui de l’offre qui aurait remporté le marché si les critères illégaux n’avaient pas été utilisés. Enfin, elle a effectué un nouveau calcul dans lequel, d’une part, les points attribués au titre du critère de l’expérience de travaux précédents ont été supprimés et, d’autre part, la méthode du prix moyen a été remplacée par la méthode linéaire d’évaluation des prix.

118    Force est donc de constater que, en l’espèce, conformément à l’article 17, paragraphe 1, du règlement d’application n° 1386/2002, le montant total de la correction financière a été calculé sur la base d’une vérification individuelle de chacun des marchés concernés en tenant compte de son impact financier concret sur le budget de l’Union, à savoir le montant effectif des dépenses erronément imputées au Fonds de cohésion en raison de l’application de critères d’attribution irréguliers.

119    Dans ces conditions, sans préjudice de la question de savoir si le montant des corrections financières a été calculé sur la base de tous les paramètres pertinents, ce qui fait l’objet de la seconde branche du présent moyen, le Royaume d’Espagne ne saurait valablement faire valoir que la Commission a violé le principe de proportionnalité en imposant les corrections financières en cause. À cet égard, il convient de préciser que la circonstance invoquée par le Royaume d’Espagne, même à la supposer avérée, que les autorités espagnoles, après avoir pris connaissance des irrégularités constatées, avaient changé leur pratique, ne remet pas en cause le fait que les trois marchés concernés avaient déjà été attribués en vertu d’une application irrégulière des règles de l’Union en matière de marchés publics. Ainsi, cette modification de pratique ne pouvait plus avoir d’incidence sur l’objet de la demande de cofinancement litigieuse en l’espèce.

120    Dès lors, la première branche du présent moyen ne saurait prospérer.

121    S’agissant de la seconde branche du présent moyen, tirée de la violation de l’article 19 de la directive marchés publics de travaux 93/37, il convient de rappeler d’abord que, aux termes des premier et deuxième alinéas de cette disposition, lorsque le critère d’attribution du marché est celui de l’offre économiquement la plus avantageuse, les pouvoirs adjudicateurs peuvent prendre en considération les variantes présentées par des soumissionnaires lorsqu’elles satisfont aux exigences minimales requises. Les pouvoirs adjudicateurs mentionnent, dans le cahier des charges, les conditions minimales que les variantes doivent respecter ainsi que les modalités de leur soumission. Ils indiquent, dans l’avis de marché, si les variantes ne sont pas autorisées.

122    Il y a lieu de préciser ensuite que l’article 19 de la directive marchés publics de travaux 93/37 vise les conditions dans lesquelles des variantes peuvent être prises en considération par les pouvoirs adjudicateurs à un stade précédant celui de l’application des critères d’attribution du marché. En effet, il convient d’opérer une distinction entre les conditions minimales visées à l’article 19 de la directive marchés publics de travaux 93/37 et les critères d’attribution visés à l’article 30 de celle-ci, qui concernent un stade ultérieur de la procédure de passation de marché. Ainsi, l’article 30 ne peut s’appliquer qu’aux variantes qui ont été valablement prises en considération en conformité avec l’article 19 (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 octobre 2003, Traunfellner, C‑421/01, Rec. p. I‑11941, point 31). En outre, s’agissant du traitement des variantes, le pouvoir adjudicateur doit respecter son obligation de transparence visant à garantir le principe d’égalité de traitement des soumissionnaires auquel doit obéir toute procédure de passation de marché régie par la directive marchés publics de travaux 93/37 (voir, en ce sens, arrêt Traunfellner, précité, points 27 et 29, et la jurisprudence citée aux points 73 et 76 ci-dessus).

123    Le Tribunal constate que les documents versés au dossier par le Royaume d’Espagne, notamment le « Rapport technique du service de planification des ressources humaines relatif à l’appel d’offres pour le projet et pour les travaux de l’usine de séchage thermique de boues de la station d’épuration de Quart-Benager » (ci-après le « rapport technique »), ne sont pas de nature à étayer son affirmation selon laquelle, en l’espèce, le pouvoir adjudicateur n’aurait pas tenu compte des variantes dans ses conclusions finales aux fins de l’attribution du marché. En effet, ce rapport technique comporte une évaluation de toutes les offres, y compris des variantes, et il n’existe aucune indication claire et précise dans ledit rapport de ce que les variantes aient été exclues de l’appréciation finale du pouvoir adjudicateur, ce que le Royaume d’Espagne a reconnu à l’audience. Au contraire, ce rapport technique indique, dans le cadre de l’évaluation technique de la majorité des variantes, qu’elles étaient conformes aux spécifications de l’appel d’offres. Cette appréciation n’est pas remise en question par le seul fait que le même rapport indique que les variantes ont généralement obtenu une note technique moindre que celle des offres de base, au motif qu’il était nettement avantageux d’utiliser un équipement de séchage double, tel que prévu dans l’avis de marché initial, plutôt qu’un seul équipement, surtout s’agissant de technologies indéniablement délicates et donc susceptibles de pannes fréquentes.

124    Dans ces conditions, le Royaume d’Espagne ne saurait reprocher à la Commission d’avoir déterminé les corrections financières en tenant compte des variantes. Au contraire, étant donné que, en l’espèce, le pouvoir adjudicateur avait estimé que les variantes satisfaisaient aux conditions minimales fixées par le cahier des charges et qu’il les avait prises en considération aux fins de l’attribution du marché, la Commission n’était pas en droit, sous peine de porter atteinte à l’article 19, premier alinéa, de la directive marchés publics de travaux 93/37, d’exiger des autorités espagnoles de les exclure, ni de les exclure de son propre calcul des corrections financières.

125    Il résulte des considérations qui précèdent que la seconde branche, tirée d’une violation de l’article 19 de la directive marchés publics de travaux 93/37 et, partant, le troisième moyen dans sa totalité doivent être rejetés.

126    À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

127    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

128    Le Royaume d’Espagne ayant succombé en l’ensemble de ses moyens et la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Azizi

Frimodt Nielsen

Kancheva

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 septembre 2013.

Signatures


Table des matières


Cadre juridique

Dispositions concernant le Fonds de cohésion

Dispositions pertinentes concernant les marchés publics

Antécédents du litige

Procédure administrative

Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

Résumé des moyens d’annulation

Sur le premier moyen, tiré de la violation de la directive marchés publics de travaux 93/37

Observations liminaires

Sur la première branche du premier moyen, concernant l’application du critère de l’expérience de travaux précédents

Sur la seconde branche du premier moyen, concernant l’utilisation de la méthode du prix moyen pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse

Sur le deuxième moyen, soulevé à titre subsidiaire, tiré de la violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique dans la mise en œuvre de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94

Sur le troisième moyen, soulevé à titre subsidiaire, tiré de la violation du principe de proportionnalité au sens de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement Fonds de cohésion n° 1164/94, ainsi que de la violation de l’article 19 de la directive marchés publics de travaux 93/37, en ce qui concerne le marché 2000/GV/0005

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’espagnol.