Language of document : ECLI:EU:T:2023:68

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

15 février 2023 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne verbale MOSTOSTAL – Obligation de motivation - Article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑684/21,

Mostostal S.A., établie à Varsovie (Pologne), représentée par Mes C. Saettel et K. Krawczyk, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. J. Crespo Carrillo, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Polimex - Mostostal S.A., établie à Varsovie, représentée par Mes J. Kubalski, K. Szczudlik et M. Hyży, avocats,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé, lors des délibérations, de Mme V. Tomljenović, présidente, M. F. Schalin et Mme P. Škvařilová‑Pelzl (rapporteure), juges,

greffier : M. G. Mitrev, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du12 septembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Mostostal S.A., demande l’annulation de la décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 30 juillet 2021 (affaire R 2508/2019‑5) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

 Historique du signe Mostostal

2        Le nom Mostostal est une combinaison des mots polonais « most » signifiant « pont » et « stal » signifiant « acier » qui est apparu à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il renvoie à une initiative des autorités polonaises visant à créer une entité publique ayant pour mission de reconstruire les ponts détruits pendant la guerre. L’entité, dénommée alors Mostostal, établie en 1945 à Cracovie (Pologne) comptait 28 bureaux à travers la Pologne, spécialisés dans le secteur de la construction. Le premier enregistrement du mot composé « Mostostal » en tant que marque individuelle remonte à 1964. La marque a effectivement été enregistrée auprès de l’Urząd Patentowy Rzeczypospolitej Polskiej (Office des brevets polonais) le 11 mai 1964 sous le numéro R 044372, pour des produits et des services compris dans la classe 16. En 1973, fut créée Wytwórnia Lekkich Konstrukcji Stalowych (ci-après « WLKS ») à Siedlce (Pologne), qui était active dans la production en acier et ancien membre de Zrzeszenia Mostostal (ci-après le « groupement Mostostal »). En 1993, WLKS est devenue une société privée, dénommée Mostostal Siedlce S.A. Cette société a ensuite fusionné avec Polimex Cekop S.A., en 2004.

3        En 1984, le groupement Mostostal a déposé une demande d’enregistrement de la marque MOSTOSTAL (une marque collective enregistrée sous le numéro R‑300, dont l’une des titulaires était WLKS), auprès de l’Office des brevets polonais. À la suite de la chute du mur de Berlin en 1989, il a été dissout. La marque n’a donc pas été renouvelée et a expiré en 1994. Néanmoins, après son expiration, un des membres dudit groupement, dénommé Mostostal Projekt S.A., a procédé à l’enregistrement des marques suivantes, l’une figurative et l’autre verbale (ci-après « les marques polonaises ») auprès dudit Office :

–        la marque figurative demandée le 25 février 1994 et enregistrée le 25 novembre 1995 sous le numéro R 87887, et désignant des produits et des services relevant des classes 2, 16, 37 et 42, reproduite ci-après ;

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–        la marque verbale MOSTOSTAL, déposée le 23 mars 1994 et enregistrée le 23 septembre 1997 sous le numéro R 97850 et désignant des produits et des services relevant des classes 37 et 42.

4        Le 18 octobre 1996, Mostostal Projekt et quatorze anciens membres du groupement Mostostal ont signé un accord multilatéral régissant l’usage des marques polonaises, ce qui leur a permis de continuer leur activité commerciale (ci-après l’« accord multilatéral »).

5        En 2003, Mostostal Projekt a été mise en liquidation.

6        En 2007, les marques polonaises ont été rachetées par l’entreprise Mostostal Aluminium Sp. Z.o.o. (prédécesseur de la requérante) dans le cadre d’une vente publique organisée aux fins d’une procédure de liquidation.

7        Le 24 août 2010, la requérante a déposé une demande d’enregistrement du signe verbal MOSTOSTAL auprès de l’EUIPO.

8        Le 20 mai 2011, le signe verbal MOSTOSTAL a été enregistré en tant que marque de l’Union européenne.

 Sur la procédure devant l’EUIPO

9        Le 17 février 2018, l’intervenante, Polimex-Mostostal S.A., a présenté à l’EUIPO une demande de nullité de la marque de l’Union européenne verbale MOSTOSTAL.

10      Les services couverts par la marque contestée pour lesquels la nullité était demandée relevaient des classes 36, 37, 42 et 44 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondaient, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 36 : « Courtage immobilier ; évaluation (estimation) de biens immobiliers, d’installations industrielles, de bâtiments ; services de conseil en matière d’investissements : investissements en capitaux ; investissement immobilier de détail ; services de promoteur : notamment création, levée de fonds, intermédiation dans l’acquisition de biens immeubles comme investissements de constructions, intermédiation pour la conclusion d’accords de vente et de location de biens immobiliers, d’espaces d’habitation, d’espaces de commerces et de services ; gestion et administration de bâtiments d’habitation et de bureaux, location et intermédiation dans la location d’immeubles d’habitation et de bureaux ; services d’administration et de location de locaux commerciaux ; services d’intermédiaire d’assurance dans le domaine des biens immobiliers ; services d’investisseur de rechange : notamment conduite d’investissements de construction en matière de finance au nom du donneur d’ordre ; services de compagnies de holding : gestion de fortune, gérance d’immeubles, gérance de finances, création de capitaux communs, règlements financiers de transactions, délivrance de garanties financières ; services d’achat et revente de biens immobiliers » ;

–        classe 37 : « Services de promoteur : notamment supervision dans le domaine de la construction ; services de supervision en matière de construction ; services de construction : construction de nouveaux bâtiments, aménagements en installations de constructions, reconstruction, réparations, nettoyage et remises à neuf d’intérieurs ; services de constructions et de réparations dans le domaine des bâtiments et des ponts, montage d’échafaudages, isolation de construction, services de maçonnerie de construction, réalisation d’installations électriques dans les constructions et bâtiments et installations électriques de signalisation, réalisation d’installations d’adduction d’eau et de gaz ; installation, réparations et entretien d’ascenseurs et monte-charge, d’ascenseurs et d’escaliers mécaniques ; pose de menuiserie de bâtiment, travaux de plâtrerie, travail de stucateur, de carreleurs, pose de papiers peints et parements de murs, travaux de peinture ; démolition de constructions, usines (construction d’-), installation, entretien et réparations de machines et véhicules liés à la construction ; installation et réparation d’installations électriques, assemblage et réparations d’installations de chauffage, rouille (traitement contre la -) ; construction de routes et pose de revêtements de chaussées et d’installations de sport, construction de voies ferrées, construction et entretien de canalisations, services généraux de construction de lignes d’énergies électriques, de lignes électriques de traction et de télécommunications – transmission et locales, construction d’installation de génie hydraulique et d’installations minières, location d’engins de chantier et de matériel de construction, y compris location de bouldozeurs, de grues, de pelles mécaniques, services et assistance en cas de pannes de véhicules ; services d’immeubles d’habitation et de bureaux : notamment réparations, nettoyage et rénovation d’immeubles, que ce soit pour l’extérieur ou l’intérieur » ;

–        classe 42 : « Services scientifiques et technologiques ainsi que services de recherches et de conception y relatifs ; services d’analyses et de recherches industrielles ; conception et développement d’ordinateurs et de logiciels ; services en matière de décoration et conception d’intérieurs, de bureaux et de locaux commerciaux ; services de projets architecturaux et de construction, supervision de chantier (surveillance technique) ; services d’élaboration de plans de bâtiments, de constructions de bâtiments, projets de constructions métalliques ; conseils en matière de construction et dans le domaine de la réalisation de constructions de bâtiments ; projets techniques, recherches techniques, expertises (travaux d’ingénieur), réalisation de mesures géologiques et géodésiques ; élaboration et mise en application de programmes informatiques ; service de création, installation, mise à jour, entretien et duplication de programmes informatiques, conseils en matière de logiciels ; création de bases de données informatisées ; conception de systèmes informatiques, location de logiciels, location d’ordinateurs, création, entretien et mise à disposition de sites web pour des tiers » ;

–        classe 44 : « Services de conception dans l’espace, conception de jardins (paysagisme) et d’espaces autour des bâtiments ».

11      Les motifs invoqués à l’appui de la demande en nullité étaient ceux visés à l’article 52, paragraphe 1, sous b), et à l’article 53, paragraphe 1, sous c), lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 4, du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO 2009, L 78, p. 1) et l’article 53, paragraphe 2, sous a) et c), du même règlement [devenus article 59, paragraphe 1, sous b), article 60, paragraphe 1, sous c), article 8, paragraphe 4, et article 60, paragraphe 2, sous a) et c), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

12      La division d’annulation a accueilli la demande en nullité dans son intégralité en se fondant sur les motifs visés à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

13      Le 6 novembre 2019, la requérante a formé un recours contre la décision de la division d’annulation.

14      Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours au motif que l’intervenante avait apporté la preuve de la mauvaise foi de la requérante au moment du dépôt de la marque contestée. Elle a considéré, à cet égard, que l’intervenante et plusieurs autres sociétés du groupement Mostostal utilisaient le signe antérieur Mostostal depuis plusieurs décennies, à tout le moins, en tant que partie d’une dénomination sociale et qu’elles disposaient de droits antérieurs sur ce nom, que la requérante avait connaissance de cet usage antérieur et qu’elle a déposé ladite marque pour tirer profit de la renommée de ce signe « historique ».

 Conclusions des parties

15      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        déclarer valide la marque contestée ;

–        condamner l’EUIPO et la partie intervenante aux dépens.

16      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

17      Compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement de la marque contestée, à savoir le 24 août 2010, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, ordonnance du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, EU:C:2004:587, points 39 et 40, et arrêt du 23 avril 2020, Gugler France/Gugler et EUIPO, C‑736/18 P, non publié, EU:C:2020:308, point 3 et jurisprudence citée). Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001.

18      Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la chambre de recours dans la décision attaquée ainsi que par les parties dans leurs écritures aux dispositions du règlement 2017/1001 comme visant les dispositions d’une teneur identique du règlement no 207/2009.

19      À l’appui du recours, la requérante invoque quatre moyens, le premier, tiré d’une violation de l’article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, le deuxième, tiré d’une violation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, le troisième, tiré d’une violation de l’article 52, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, et, le quatrième, tiré d’une violation de l’article 54, du règlement no 207/2009. Lors de l’audience, la requérante a retiré le quatrième moyen.

20      La requérante allègue dans le cadre du premier moyen que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation. Selon elle, en concluant erronément que le degré de protection juridique du signe antérieur Mostostal n’était pas une question controversée, la chambre de recours n’a pas justifié à suffisance le degré de ladite protection juridique et la jouissance (légitime) antérieure des droits de l’intervenante. Elle estime également ne pas être en mesure de contredire les appréciations de ladite chambre.

21      L’EUIPO, soutenu par l’intervenante, conteste les arguments de la requérante. Il estime que la chambre de recours a explicitement confirmé le raisonnement exposé dans la décision de la division d’annulation et renvoie, à cet égard, au raisonnement et aux conclusions de ladite chambre, figurant aux points 49 à 59 de la décision attaquée.

22      Aux termes de l’article 94, paragraphe 1, première phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO doivent être motivées. Cette obligation a la même portée que celle découlant de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, lequel exige que la motivation fasse apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte, sans qu’il soit nécessaire que cette motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait auxdites exigences devant cependant être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Cette obligation, qui découle également de l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, a pour double objectif de permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision concernée (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2018, EUIPO/Puma, C‑564/16 P, EU:C:2018:509, points 64 et 65 et jurisprudence citée).

23      S’agissant de la notion non définie de « mauvaise foi » figurant à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, il ressort de la jurisprudence que l’intention du demandeur d’une marque est un élément subjectif qui doit cependant être déterminé de manière objective par les autorités administratives et judiciaires compétentes. Par conséquent, toute allégation de mauvaise foi doit être appréciée globalement, en tenant compte de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes du cas d’espèce. Ce n’est que de cette manière que l’allégation de mauvaise foi peut être appréciée objectivement (voir arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, points 44 et 47 et jurisprudence citée).

24      Eu égard à la jurisprudence citée au point 23 ci-dessus, la chambre de recours a examiné, dans la décision attaquée, deux facteurs principaux pour arriver à la conclusion que la requérante était de mauvaise foi. Dans un premier temps, elle a apprécié la protection juridique du signe antérieur Mostostal dans une partie intitulée « Usage antérieur de ‟MOSTOSTAL” et degré de protection juridique de ‟MOSTOSTAL” en Pologne » (points 49 à 59 de ladite décision). Dans un second temps, sur la base de cet examen, elle a analysé la connaissance effective de l’usage et de la protection juridique du signe antérieur Mostostal dans une partie intitulée « Connaissance effective » (points 60 à 63 de cette décision) avant de conclure à ladite mauvaise foi dans une partie intitulée « Intention de se livrer à une concurrence déloyale » qui contient deux sous-parties intitulées respectivement « [S]imilitude des signes » et « [I]ntention malhonnête de la [requérante] » (points 64 à 100 de la même décision).

25      S’agissant de la protection juridique du signe antérieur Mostostal, la chambre de recours constate que cette question n’est pas controversée entre les parties et résume les conclusions de la division d’annulation. Elle s’appuie sur ces conclusions dans les parties suivantes pour examiner la connaissance effective de l’usage et de la protection juridique dudit signe antérieur et puis la mauvaise foi de la requérante. Il convient donc de constater que l’usage antérieur et la protection juridique de ce signe antérieur constituent, dans leur ensemble, un facteur déterminant pour caractériser la mauvaise foi de la requérante et qu’il y a lieu d’examiner dans leur ensemble les trois parties mentionnées au point 24 ci-dessus, afin de déterminer si ladite chambre a manqué à son devoir de motivation.

26      À cet égard, premièrement, il convient de relever que la chambre de recours a constaté qu’il était démontré, en l’espèce, que l’intervenante et d’autres anciens membres du groupement Mostostal utilisaient ou avaient utilisé le signe antérieur en tant que partie de leur dénomination sociale depuis plusieurs décennies (points 52, 56, 58, 59, 65 et 83 de la décision attaquée). Le signe antérieur Mostostal serait effectivement un signe « historique » (point 85 de ladite décision) auquel s’attacherait une renommée ou une notoriété (points 58 et 95 de cette décision).

27      Deuxièmement, la chambre de recours a constaté que le signe antérieur Mostostal bénéficiait d’une protection juridique en Pologne, notamment dans les secteurs de la construction et de l’industrie (point 52 de la décision attaquée).

28      Troisièmement, la chambre de recours a considéré que les marques polonaises appartenaient à une société, à savoir Mostostal Projekt (jusqu’à sa faillite), et étaient utilisées par les sociétés qui étaient membres du groupement Mostostal, conformément aux dispositions de l’accord multilatéral, jusqu’à leur transfert au prédécesseur de la requérante en 2007. Elle a constaté qu’il n’était pas possible de conclure que l’usage du signe antérieur était devenu illégitime du fait de la faillite de Mostostal Projekt impliquant la résiliation dudit accord au motif que les anciens membres dudit groupement disposaient de droits antérieurs (remontant à 1945) sur la dénomination sociale Mostostal « indépendamment » de la propriété formelle desdites marques (points 55 et 56 de la décision attaquée). Elle a enfin constaté que ces anciens membres bénéficiaient de priorités antérieures à celles de la requérante (point 82 de la même décision).

29      Ainsi, la chambre de recours a fondé la décision attaquée sur le fait que les anciens membres du groupement Mostostal avaient, par le passé, bénéficié d’une protection juridique du fait de l’usage du signe antérieur Mostostal comme dénomination sociale et en tant que membres dudit groupement ainsi qu’en tant que signataires de l’accord multilatéral. De même, la décision attaquée repose sur le postulat que les anciens membres de ce groupement continuaient à jouir d’une protection juridique indépendamment de la faillite de Mostostal Projekt et de la résiliation dudit accord qui ont conduit à l’acquisition des marques polonaises par la requérante. Cela découlerait du fait que ces anciens membres continuaient à utiliser ledit signe antérieur en tant que dénomination sociale après la faillite et qu’ils bénéficiaient, à cet égard, d’une priorité antérieure à celle de la requérante.

30      Il convient à cet égard de relever que, si l’usage du signe antérieur Mostostal par les anciens membres du groupement Mostostal est motivé notamment par l’exposé historique relatif audit signe antérieur jusqu’à l’acquisition des marques polonaises, il n’en demeure pas moins que les raisons pour lesquelles la chambre de recours a considéré que ces anciens membres continuaient à bénéficier d’une protection juridique à la suite de l’acquisition desdites marques polonaises ne ressortent pas de manière claire et non équivoque de la décision attaquée.

31      Il convient de constater, à cet égard, que, d’un côté, au point 44 de la décision attaquée, la chambre de recours retient comme élément pertinent pour conclure à la protection juridique du signe antérieur Mostostal, l’usage de celui-ci dans le cadre de l’accord multilatéral qui réglait le droit d’usage des marques polonaises après l’enregistrement de ceux-ci par Mostostal Projekt, tout en retenant, d’un autre côté, aux points 55 et 56 de ladite décision, que la faillite de ladite entreprise et donc la résiliation dudit accord n’avaient pas d’influence sur la protection juridique en question, au motif qu’elle était indépendante de la propriété formelle desdites marques. Ces constats sont contradictoires, car une protection juridique sous forme d’un droit d’usage ne peut pas à la fois être inférée de cet accord et, en même temps, être considérée comme indépendante du même accord. Il y a lieu de relever à cet égard qu’il ressort de la jurisprudence que la motivation d’un acte doit être logique, ne présentant notamment pas de contradiction interne entravant la bonne compréhension des raisons sous-tendant cet acte (arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 151, et du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, point 181).

32      En outre, ainsi qu’il ressort du point 56 de la décision attaquée, le seul élément sur lequel la chambre de recours fonde la protection juridique du signe antérieur Mostostal au profit des anciens membres du groupement Mostostal est le fait que ces derniers ont continué à utiliser ledit signe en tant que dénomination sociale après l’acquisition des marques polonaises par la requérante. Ladite chambre n’explique pas dans la décision attaquée sur quel fondement juridique elle constate l’existence de cette protection juridique. Elle se borne uniquement à constater que la question de ladite protection juridique ne semble pas être une question « controversée ».

33      Toutefois, contrairement à ce que la chambre de recours indique au point 47 de la décision attaquée, la question en cause est controversée entre les parties. En effet, si la requérante ne conteste pas devant ladite chambre le fait que le signe antérieur Mostostal a fait l’objet d’un usage en tant que dénomination sociale et qu’une renommée soit attachée audit signe antérieur, elle conteste le fait que les anciens membres du groupement Mostostal bénéficient d’un droit antérieur et prioritaire sur le sien en dépit du fait qu’elle est devenue propriétaire des marques polonaises. Selon elle, si un tel droit existait, l’accord multilatéral qui conférait ce droit auxdits anciens membres fût résilié au moment de la faillite de Mostostal Projekt.

34      Il ressort ainsi du dossier de l’EUIPO que les parties ont longuement débattu de l’existence de la protection juridique du signe antérieur Mostostal au profit des anciens membres du groupement Mostostal et ont, à cet égard, proposé des interprétations divergentes du droit national polonais.

35      À titre d’exemple, il peut être noté que, lors de la procédure devant l’EUIPO, l’intervenante a invoqué l’article 64 de la constitution polonaise, l’article 43 du code civil polonais, l’article 37, paragraphes 1 et 3 de la loi polonaise sur la privatisation des entreprises étatiques du 13 juillet 1990, un arrêt de la Cour suprême polonaise de 1924, l’article 58 du code civil polonais et un arrêt de la Cour suprême polonaise du 27 juillet 2007. La requérante a contesté l’interprétation des dispositions nationales telles qu’invoquées par l’intervenante et a, de son coté, invoqué, notamment, les règles suivantes : l’article 120 de la loi polonaise sur les faillites de 1934 et l’article 879 du code de procédure civile polonais.

36      Or, dans les circonstances de l’espèce où les parties ont invoqué plusieurs règles juridiques et interprétations différentes concernant la protection juridique du signe antérieur Mostostal, la chambre de recours était tenue d’identifier dans la décision attaquée la ou les règles juridiques applicables. Il lui incombait en particulier de préciser sur quelles règles de droit elle se fondait et comment elle les interprétait pour arriver à la conclusion que ledit signe antérieur bénéficiait d’une telle protection juridique. Cela était d’autant plus nécessaire que la question était, contrairement à ce que ladite chambre a conclu, controversée, que le dossier de l’EUIPO était volumineux à cet égard et qu’un nombre important de preuves fournies par les parties visaient à démontrer l’existence ou l’absence de protection juridique.

37      Néanmoins, dans la décision attaquée, il n’existe aucune présentation des règles nationales au regard desquelles il aurait fallu apprécier la question de protection juridique du signe antérieur Mostostal au profit des anciens membres du groupement Mostostal. Dans ces circonstances, le Tribunal n’est pas en mesure de vérifier l’exactitude du raisonnement de la chambre de recours et d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée.

38      Il importe de relever, à cet égard, que le Tribunal ne saurait examiner la légalité de la décision attaquée uniquement sur la base d’une éventuelle connaissance de la requérante de l’usage de la dénomination sociale Mostostal par les anciens membres du groupement Mostostal après l’acquisition des marques polonaises ainsi que de la connaissance du fait qu’une certaine renommée était attachée au signe antérieur Mostostal dans le secteur de la construction. En effet, la détermination des règles juridiques conférant une protection juridique audit signe antérieur sous forme de dénomination sociale est un facteur déterminant pour vérifier, d’une part, si la requérante en avait connaissance au moment du dépôt de la marque contestée et, d’autre part, si lors de ce dépôt elle n’était pas, en réalité, en possession de tous les droits liés aux marques polonaises dont elle est la propriétaire, y compris la renommée qui y était attachée. Ainsi, à défaut d’explications plus précises quant au fondement légal de la protection juridique dudit signe antérieur dont bénéficieraient ces anciens membres, en dehors de la protection juridique conférée par l’accord multilatéral, il ne peut pas être déterminé si la chambre de recours a tenu compte de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes du cas d’espèce, conformément à la jurisprudence citée au point 23 ci-dessus.

39      Partant, en l’absence d’un tel examen dans la décision attaquée, le Tribunal ne peut pas exercer son contrôle de la légalité de la décision attaquée et la requérante, à défaut de justifications quant à la protection juridique du signe antérieur Mostostal dont bénéficieraient les anciens membres du groupement Mostostal, ne peut pas utilement défendre ses droits. Il s’ensuit que la chambre de recours n’a pas suffisamment motivé la décision attaquée.

40      Eu égard à ce qui précède, il convient d’accueillir le recours et d’annuler la décision attaquée sans qu’il soit nécessaire d’examiner la recevabilité du deuxième chef de conclusions et les autres moyens invoqués par la requérante.

 Sur les dépens

41      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

42      L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

43      En application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, l’intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 30 juillet 2021 (affaire R 2508/20195) est annulée.

2)      L’EUIPO est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Mostostal S.A.

3)      Polimex - Mostostal S.A. supportera ses propres dépens.

Tomljenović

Schalin

Škvařilová-Pelzl

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 février 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.