Language of document : ECLI:EU:T:2006:216

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

13 juillet 2006 (*)

« Concurrence – Règlement (CEE) n° 4064/89 – Décision déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun – Marchés de la musique enregistrée et de la musique en ligne – Existence d’une position dominante collective – Risque de création d’une position dominante collective – Conditions – Transparence du marché – Moyens de dissuasion – Motivation – Erreur manifeste d’appréciation »

Dans l’affaire T‑464/04,

Independent Music Publishers and Labels Association (Impala, association internationale), établie à Bruxelles (Belgique), représentée par M. S. Crosby et Mme J. Golding, solicitors, et Me I. Wekstein-Steg, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. A. Whelan et Mme K. Mojzesowicz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Bertelsmann AG, établie à Gütersloh (Allemagne), représentée par M. J. Boyce, solicitor, Mes P. Chappatte et D. Loukas, avocats,

et par

Sony BMG Music Entertainment BV, établie à Vianen (Pays-Bas),

et

Sony Corporation of America, établie à New York, New York (États-Unis),

représentées par M. N. Levy, barrister, Mes R. Snelders et T. Graf, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C(2004) 2815 de la Commission, du 19 juillet 2004, déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord EEE (affaire COMP/M.333 – Sony/BMG),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. M. Jaeger, président, J. Azizi et Mme E. Cremona, juges,

greffier : M. I. Natsinas, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 septembre 2005,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        L’Independent Music Publishers and Labels Association (Impala) est une association internationale de droit belge regroupant 2 500 sociétés indépendantes de production musicale.

2        Le 9 janvier 2004, la Commission a reçu notification, conformément à l’article 4 du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1), tel que rectifié (JO 1990, L 257, p. 13), et tel que modifié par le règlement (CE) nº 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1, ci-après le « règlement »), d’un projet de concentration par lequel les sociétés Bertelsmann AG et Sony Corporation of America, appartenant au groupe Sony (ci-après « Sony ») envisageaient de regrouper leurs activités mondiales en matière de musique enregistrée.

3        Bertelsmann est une société de médias internationale, dont les activités à l’échelle mondiale comprennent la production et l’édition musicales, la télévision, la radiodiffusion, l’édition de livres, de revues et de journaux, des services d’imprimerie et de médias, des clubs littéraires et de musique. Bertelsmann est active dans le domaine de la musique enregistrée par l’intermédiaire de sa filiale qu’elle contrôle entièrement, Bertelsmann Music Group (BMG). Les labels de musique de BMG sont notamment Arista Records, Jive Records, Zomba et Radio Corporation of America (RCA) Records.

4        Sony est active sur le plan mondial dans les domaines de la production et de l’édition musicales, de l’électronique industrielle et grand public et des loisirs. Dans le secteur de la musique enregistrée, elle est présente par l’intermédiaire de Sony Music Entertainment. Les labels de Sony comprennent Columbia Records Group, Epic Records Group et Sony Classical.

5        L’opération proposée consiste à intégrer les activités mondiales des parties à la concentration en matière de musique enregistrée (à l’exclusion des activités de Sony au Japon) dans trois nouvelles sociétés, ou davantage, créées selon un « Business Contribution Agreement » (accord d’intégration des activités) en date du 11 décembre 2003. Il est projeté que ces entreprises communes soient exploitées ensemble sous le nom de Sony BMG.

6        Selon l’accord, Sony BMG sera active dans la découverte et le lancement d’artistes [activité de direction artistique dénommée A & R (Artiste et Répertoire)] et dans la promotion et la vente de disques qui en découlent. Sony BMG ne s’engagera pas dans des activités connexes telles que l’édition musicale, la production et la distribution.

7        Le 20 janvier 2004, la Commission a envoyé un questionnaire à un certain nombre d’acteurs du marché. La requérante a répondu à ce questionnaire et a déposé un mémoire séparé, le 28 janvier 2004 (annexe A.5), dans lequel elle exposait les motifs qui, selon elle, devaient conduire la Commission à déclarer l’opération incompatible avec le marché commun. La requérante y exprimait ses craintes quant à la concentration accrue sur le marché et l’impact que cela aurait pour l’accès au marché, y compris le secteur de la distribution, les médias, l’internet ainsi que pour le choix des consommateurs.

8        Par décision du 12 février 2004, la Commission a conclu que l’opération notifiée soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) et a ouvert la procédure conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement.

9        Le 24 mai 2004, la Commission a adressé une communication des griefs aux parties à la concentration, dans laquelle elle concluait provisoirement que l’opération notifiée était incompatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord sur l’EEE, puisqu’elle renforcerait une position dominante collective sur le marché de la musique enregistrée et sur le marché en gros des licences pour la musique en ligne et puisqu’elle coordonnerait le comportement des sociétés mères d’une manière incompatible avec l’article 81 CE.

10      Les parties à la concentration ont répondu à la communication des griefs et une audition a eu lieu devant le conseiller-auditeur les 14 et 15 juin 2004, en présence, notamment, de la requérante.

11      Par décision du 19 juillet 2004, la Commission a déclaré l’opération de concentration compatible avec le marché commun en vertu de l’article 8, paragraphe 2, du règlement (ci-après la « décision »).

12      À la suite de sa demande du 26 juillet 2004, la requérante a reçu, le 23 septembre 2004, une copie non confidentielle de la décision.

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 décembre 2004, la requérante a introduit le présent recours.

14      Par acte séparé déposé le même jour, la requérante a introduit une requête tendant à ce que le Tribunal statue sur le recours dans le cadre d’une procédure accélérée, conformément à l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal.

15      Par lettre du 17 décembre 2004, la Commission a fait part de ses doutes quant au caractère approprié du recours à une procédure accélérée en l’espèce, soulignant, en particulier, outre la complexité de l’affaire, les difficultés résultant de ce que, pour expliquer les motifs de sa décision, elle serait amenée à utiliser des données très abondantes et complexes et qu’une telle ligne de défense nécessiterait, en outre, des négociations délicates avec les parties à la concentration et les tiers concernant le degré de divulgation d’informations confidentielles que la Commission pouvait être amenée à délivrer.

16      Par mémoires déposés au greffe du Tribunal respectivement les 10, 11 et 19 janvier 2005, Bertelsmann, Sony BMG Music Entertainment et Sony Corporation of America ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Ces demandes ont été acceptées par ordonnance du président de la troisième chambre du 4 février 2005.

17      Dans l’intervalle, par décision du 13 janvier 2005, le Tribunal, au titre des mesures d’organisation de la procédure prévues par l’article 64, paragraphe 3, sous e), du règlement de procédure, a invité les parties à participer à une réunion informelle le 24 janvier 2005 afin d’examiner la possibilité de traiter l’affaire en procédure accélérée compte tenu, notamment, de la question de la confidentialité de certains éléments du dossier soulevée par la Commission.

18      Par mémoire déposé le 18 janvier 2005, la Commission, en accord avec la requérante, a introduit une demande de mesure d’organisation de la procédure consistant, en substance, à permettre à la Commission de soumettre des documents et informations qui lui avaient été transmis à titre confidentiel en les communiquant uniquement aux conseils de la requérante, à l’exclusion de la requérante elle-même.

19      Par décision du 24 janvier 2005, le Tribunal, considérant, notamment, l’accord intervenu entre la requérante et les intervenantes, a fait droit à la demande de mesure d’organisation de la procédure. Il a également fait droit à la demande de traitement accéléré, tout en précisant que cette décision pourrait être revue à tout moment à la lumière des développements du dossier et de la procédure. Un calendrier pour le dépôt des mémoires a également été fixé.

20      Par mémoire déposé le 11 février 2005, la requérante a introduit une demande de modification de la mesure d’organisation de la procédure. Par courrier du 18 février 2005, les parties défenderesse et intervenantes ont déposé leurs observations sur cette demande. Par courrier du 22 février 2005, la requérante a retiré sa demande de modification de la mesure d’organisation de la procédure.

21      Entre-temps, le 11 février 2005, la Commission avait déposé son mémoire en défense. Le 25 février 2005, Bertelsmann, Sony BMG et Sony ont déposé leur mémoire en intervention.

22      Dans l’intervalle, par courrier du 15 février 2005, la requérante a demandé à pouvoir déposer des observations sur les nouvelles informations contenues dans le mémoire en défense de la Commission. Par décision du 21 février 2005, le Tribunal a fait droit à cette demande et accordé à la défenderesse la possibilité de demander, jusqu’au 4 mars 2005, de pouvoir déposer des observations complémentaires, ce que celle-ci a effectivement fait. Par lettre du 1er mars 2005, la requérante s’est opposée à cette demande. Le 14 mars 2005, la Commission a déposé ses observations complémentaires.

23      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, au titre de mesures d’organisation de la procédure, a invité la Commission à produire plusieurs documents et à répondre par écrit à une série de questions écrites.

24      Par lettre du 19 septembre 2005, la Commission a demandé une prolongation du délai relatif au dépôt de ses réponses aux questions du Tribunal, laquelle lui a été accordée. Par courrier du 21 septembre 2005, la Commission a déposé ses réponses aux questions du Tribunal.

25      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 22 septembre 2005.

26      Par courrier du 26 septembre 2005, la Commission a déposé des documents à la suite de l’audience et a demandé à pouvoir commenter par écrit les éventuelles observations qui seraient déposées par la requérante sur ses réponses aux questions écrites du 21 septembre 2005. Il a été fait droit à cette demande.

27      Le 29 septembre 2005, la requérante a déposé un mémoire concernant les réponses de la Commission aux questions écrites du Tribunal.

28      Le 11 octobre 2005, la Commission a déposé ses observations finales sur les observations de la requérante sur ses réponses aux questions écrites du Tribunal.

29      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        écarter les documents produits par la Commission en annexe à son mémoire en défense ;

–        annuler la décision ;

–        à titre subsidiaire, annuler la décision pour autant qu’elle a trait à l’un ou l’autre des points suivants :

–        la position dominante collective sur le marché des licences pour la musique en ligne ;

–        la position dominante individuelle sur le marché de la distribution de la musique en ligne ;

–        la coordination des activités respectives des parties à la concentration dans le domaine de l’édition musicale ;

–        condamner la Commission aux dépens.

30      La Commission, soutenue par les parties intervenantes, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

31      À l’appui de son recours en annulation, la requérante avance cinq moyens, divisés en plusieurs branches. Par son premier moyen, la requérante soutient que, en ne constatant pas l’existence d’une position dominante collective avant la concentration envisagée sur le marché de la musique enregistrée et le renforcement de ladite position, la Commission a violé l’article 253 CE et commis une erreur manifeste d’appréciation et une erreur de droit. Par son deuxième moyen, la requérante soutient que, en n’estimant pas que la concentration envisagée créerait une position dominante collective sur le marché de la musique enregistrée, la Commission a violé l’article 253 CE et commis une erreur manifeste d’appréciation et une erreur de droit. Le troisième moyen est pris d’une violation de l’article 2 du règlement, en ce que la Commission n’a pas considéré se trouver en présence de la création ou du renforcement d’une position dominante collective sur le marché mondial des licences pour la musique en ligne. Par son quatrième moyen, la requérante soutient que, en n’estimant pas que Sony atteindrait une position dominante individuelle sur le marché de la distribution de la musique en ligne, la Commission a violé l’article 253 CE et commis une erreur manifeste d’appréciation. Par son cinquième moyen, la requérante soutient que, en concluant que la concentration envisagée n’aurait pas pour effet de coordonner les activités respectives des parties à la concentration dans le domaine de l’édition musicale, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation et a violé l’article 81 CE, lu en combinaison avec l’article 2, quatrième alinéa, du règlement.

I –  Sur les éléments de preuve annexés au mémoire en défense

A –  Arguments des parties

32      La requérante fait observer qu’il ressort du mémoire en défense que la Commission s’est appuyée, lors de la procédure administrative, sur des documents et informations auxquels elle n’a eu accès qu’avec le mémoire en défense, alors qu’ils ont joué un rôle central dans la mesure où ils ont été retenus par la Commission comme justification pour s’écarter de la position prise dans la communication des griefs, selon laquelle la concentration envisagée créerait ou renforcerait une position dominante collective et serait incompatible avec le marché commun.

33      La requérante fait valoir que, si elle avait vu ces documents, qui contiennent des informations incomplètes et sont trompeurs, durant la procédure administrative, elle aurait été en mesure de démontrer leurs défauts fondamentaux et la décision aurait été différente ou, à tout le moins, aurait dû contenir une motivation expresse rejetant ses observations. Elle reproche à la Commission d’avoir détenu ces documents et de s’être fondée sur ces derniers sans jamais les soumettre au test de l’examen croisé ou aux observations de tiers.

34      Tout en reconnaissant que la Commission est obligée de protéger les secrets d’affaires et n’est soumise à aucune obligation de divulguer aux tiers toutes les informations du dossier durant les procédures administratives de contrôle des concentrations, la requérante soutient que cela ne permet pas à la Commission de priver ces derniers de la possibilité de présenter leurs vues sur le sujet en préparant, par exemple, une version non confidentielle et résumée des informations en cause.

35      La requérante précise qu’elle n’invoque pas de moyen tiré de la violation des exigences procédurales essentielles, mais estime que les nouveaux éléments de preuve déposés par la Commission arrivent trop tard pour sauver la décision sur le fond et qu’ils constituent une tentative de régularisation a posteriori de la décision. Rappelant que l’absence de présentation de documents durant la procédure administrative ne peut pas être compensée durant la procédure judiciaire (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C‑51/92 P, Rec. p. I‑4235, point 78), la requérante soutient que les documents en cause doivent être écartés.

36      La Commission conclut au rejet de cette demande.

B –  Appréciation du Tribunal

37      Il convient de constater, à titre liminaire, que les éléments de preuve que la requérante demande au Tribunal d’écarter du dossier ont été produits en annexe au mémoire en défense déposé par la Commission conformément aux dispositions de l’article 46 du règlement de procédure. La requérante n’indique pas en quoi la production, par la Commission, de ces pièces serait contraire au règlement de procédure.

38      Force est de constater, ensuite, que ni les motifs pour lesquels la requérante demande d’écarter ces pièces du dossier ni même le sens de sa demande n’apparaissent clairement.

39      En premier lieu, si la requérante soutient que les documents produits constituent une tentative de régularisation a posteriori de la décision, elle ne prétend toutefois pas que ces documents ont été recueillis ou constitués postérieurement à l’adoption de la décision, mais affirme au contraire qu’ils ont joué un rôle central durant la procédure administrative en ce que la Commission se serait fondée sur ceux-ci pour fonder la décision. Or, cette circonstance, à la supposer avérée, ne saurait, en tout état de cause, conduire à écarter lesdits documents. Par ailleurs, si la requérante fait grief à la Commission de tenter de régulariser a posteriori la décision, elle n’invoque pas, à tout le moins au soutien de la présente demande, une violation du principe selon lequel une décision doit comporter une motivation figurant dans son corps et ne peut être explicitée pour la première fois devant le Tribunal (arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, point 95). En tout état de cause, une éventuelle insuffisance de motivation est sanctionnée par l’annulation de l’acte attaqué et non par la mise à l’écart de documents. La question de savoir si la décision est motivée à suffisance de droit sera examinée, en l’espèce, dans le cadre des différents moyens invoqués par la requérante.

40      En deuxième lieu, la requérante, tout en indiquant que la Commission n’est soumise à aucune obligation de divulguer aux tiers, au cours de la procédure administrative de contrôle des concentrations, toutes les informations figurant au dossier, rappelle que, selon la jurisprudence, le défaut de présenter des documents durant la procédure administrative ne peut être rectifié durant la procédure judiciaire. Or, sans qu’il soit besoin d’examiner l’étendue des droits de la défense ou d’accès au dossier des tiers dans les procédures de concentration, il suffit de constater que la requérante souligne expressément qu’elle n’entend pas former de moyen nouveau tiré de la violation des formes substantielles. La demande ne saurait donc être accueillie en tant qu’elle se fonderait sur ce motif. En tout état de cause, une violation des droits de la défense n’est susceptible d’être sanctionnée que dans l’hypothèse où il est établi que l’absence de divulgation de documents a pu influencer, au détriment d’une requérante, le contenu de la décision en cause, ce qui ne saurait être effectué sans un examen desdits documents.

41      En troisième lieu, la requérante soutient que les documents contiennent des informations incomplètes et sont trompeurs et que, si elle avait eu accès auxdits documents durant la procédure administrative, elle aurait été en mesure d’en démontrer les défauts fondamentaux, ce qui aurait pu conduire à une décision différente. Or, si cette circonstance peut conduire à apprécier avec circonspection les éléments de preuve avancés par la Commission, elle ne saurait en revanche permettre de faire droit à la mesure demandée par la requérante. Tout au contraire, cette mesure priverait la requérante de la possibilité de démontrer le prétendu manque de fiabilité ou de pertinence des documents litigieux dans le cadre de ses moyens tirés d’une erreur manifeste d’appréciation.

42      Enfin, la demande subsidiaire de la requérante visant à ce que le Tribunal déclare les documents non convaincants ou dépourvus de pertinence doit, pour les mêmes motifs, également être rejetée. En tout état de cause, cette demande constitue une question de fond qui sera examinée dans le cadre des différents moyens et arguments du recours.

43      Il résulte des observations qui précèdent que la demande de la requérante d’écarter les pièces produites par la Commission au soutien de son mémoire en défense, ou de les déclarer dépourvues de pertinence, doit être rejetée.

II –  Sur le premier moyen, relatif au renforcement d’une position dominante collective préexistante sur le marché de la musique enregistrée

44      Le premier moyen est divisé en deux branches, la première étant relative au caractère erroné de l’assertion de la Commission selon laquelle il n’y avait pas de position dominante collective sur le marché de la musique enregistrée préalablement à la concentration envisagée, la seconde portant sur l’erreur résultant de l’absence de constatation du renforcement, par la concentration envisagée, de ladite position dominante collective préexistante.

A –  Arguments de la requérante

1.     Sur la première branche

45      À titre liminaire, la requérante fait observer que tant la communication des griefs que la décision contiennent de nombreuses preuves que le marché de la musique enregistrée présentait, avant la concentration, toutes les caractéristiques d’un marché sur lequel règne une position dominante collective correspondant aux critères dégagés par la jurisprudence (arrêt du Tribunal du 6 juin 2002, Airtours/Commission, T‑342/99, Rec. p. II‑2585).

46      Premièrement, la requérante relève à cet égard que les compagnies majeures (ci-après les « majors ») sont décrites comme possédant toutes les caractéristiques d’un groupe en position dominante : larges parts de marché, puissance financière considérable (considérant 53 de la décision), maintien de prix élevés (considérant 56 de la décision), structure oligopolistique (considérant 148 de la décision) et donc interdépendance.

47      Deuxièmement, elle souligne que la Commission a constaté que le marché avait toutes les caractéristiques propices aux ententes tacites et facilitait la surveillance de cette coordination (points 93 à 116 de la communication des griefs) et a examiné dix facteurs indiquant une entente tacite (voir annexe A.15), lesquels n’auraient pas changé depuis la communication des griefs. Le produit serait homogène dans son format et le consommateur achèterait des disques de plusieurs artistes et de plusieurs genres, créant ainsi un « espace de substituabilité » (considérant 110 de la décision). Le marché serait hautement favorable à la coordination et celle-ci aurait effectivement eu lieu (considérant 112 de la décision). Il existerait une base stable de clients (considérant 112 de la décision) et les parties à la concentration contrôleraient le marché de la distribution (considérant 113 de la décision).

48      Troisièmement, les prix suggéreraient l’existence d’une position dominante collective. Il y aurait un parallélisme des prix nets réels (points 76 à 80 de la communication des griefs et considérants 75, 82, 89, 96 et 103 de la décision). Les prix publics de vente (ci-après les « PPV ») seraient connus et le nombre de prix de référence limités (considérants 111 et 112 de la décision). Les prix nets de vente seraient étroitement liés aux PPV (considérants 77, 84, 91, 98 et 105 de la décision). Les PPV et les prix nets réels seraient étroitement alignés et transparents et la transparence des prix nets réels moyens ne serait pas affectée par les remises (points 88, 90 et 92 de la communication des griefs et notes en bas de page nos 45, 49, 52, 55 et 57 de la décision).

49      Quatrièmement, la Commission aurait constaté l’existence de mécanismes de dissuasion potentiellement efficaces (points 128 à 132 de la communication des griefs et considérant 118 de la décision) et les majors ne seraient pas soumises à ces contraintes de concurrence efficaces.

50      La requérante soutient que les raisons avancées par la Commission, tirées de l’hétérogénéité du contenu des albums, de l’insuffisance de transparence des prix du fait des remises promotionnelles et de l’absence de preuve de la moindre action de rétorsion, ne permettaient pas d’écarter la conclusion de l’existence d’une position dominante collective et que l’analyse de la Commission est entachée d’un défaut de motivation, d’erreur manifeste d’appréciation et d’erreur de droit.

a)     Sur la violation de l’obligation de motivation

51      La décision violerait l’article 253 CE, car elle ne contiendrait pas l’exposé des éléments de fait et de droit sur lesquels l’institution s’est fondée, de sorte que la Cour puisse exercer son contrôle et que tant les États membres que les intéressés connaissent les conditions dans lesquelles les institutions communautaires ont fait application du traité (arrêt de la Cour du 26 mars 1987, Commission/Conseil, 45/86, Rec. p. 1493).

 Homogénéité du produit

52      S’agissant, premièrement, de l’homogénéité du produit, la requérante fait grief à la Commission ne pas avoir indiqué la raison pour laquelle le facteur relatif à l’hétérogénéité du contenu prévalait sur celui concernant l’existence d’un « espace de substituabilité », selon lequel la plupart des consommateurs achètent de la musique d’une grande variété d’artistes et de genres, ou sur celui portant sur l’homogénéité du format en ce qui concerne les prix et la transparence. La Commission n’indiquerait pas non plus pourquoi la constatation selon laquelle les prix des albums sont très standardisés serait infirmée par l’affirmation générale selon laquelle les prix dépendent du « succès de l’album ». Le considérant 110 de la décision contiendrait, à cet égard, des constatations contradictoires.

 Transparence

53      S’agissant, deuxièmement, de la transparence, la requérante soutient que les affirmations et arguments de la Commission relatifs aux remises, qui ont pour effet de réfuter tous les éléments de preuve concernant la transparence, ne sont pas adéquatement motivés.

54      Ainsi, la Commission soutiendrait que, dans les grands pays, la transparence des prix résultant des PPV est supprimée par les remises promotionnelles, sans cependant expliquer la fonction et la signification de celles-ci pour le système de prix.

55      De même, en ce qui concerne les petits pays, les raisons pour lesquelles la Commission a attaché autant d’importance aux campagnes de remises et non aux remises ordinaires, alors qu’elle aurait affirmé au point 150 de la communication des griefs que, « comme dans les territoires plus grands, les remises les plus importantes dans tous les pays sont les remises ordinaires », ne seraient pas clairement exposées. Il n’y aurait, par ailleurs, pas de description précise de ce que sont les remises ordinaires. Lors de l’appréciation de la transparence dans les petits pays, la Commission aurait recouru de façon alternée, sans précision, à la comparaison des remises ordinaires et des remises promotionnelles, de telle façon qu’il ne serait pas aisé de déterminer si l’étude a examiné les remises promotionnelles ou les remises ordinaires.

56      La requérante soutient, en outre, que la décision ne fait référence qu’aux éléments de preuve concernant les remises relatives à Sony et à BMG et ne couvre pas les autres majors (considérant 71 et note en bas de page nº 43 de la décision). La motivation serait donc incomplète.

 Moyens de dissuasion

57      S’agissant, troisièmement, des moyens de dissuasion, la Commission n’expliquerait pas pourquoi le fait, même s’il était exact, qu’elle n’ait pas pu prouver que des mesures de rétorsion aient jamais été utilisées permettrait de réfuter toutes les preuves de l’existence de moyens de dissuasion efficaces.

 Contrepoids

58      Enfin, quatrièmement, la décision, par contraste avec la communication des griefs, ne contiendrait aucune appréciation de l’existence de contrepoids sur le marché, ni d’explication pour cette absence, ce qui équivaudrait à une absence totale de motivation.

b)     Sur l’erreur manifeste d’appréciation

59      La requérante rappelle la jurisprudence selon laquelle la Commission commet une erreur manifeste d’appréciation lorsque, appelée à mettre en balance des arguments contradictoires, elle donne trop de poids à l’un d’eux [arrêt du Tribunal du 10 octobre 2001, British American Tobacco International (Investments)/Commission, T‑111/00, Rec. p. II‑2997, point 58] ou lorsque les raisons fournies pour justifier une décision ne soutiennent pas en fait cette décision. De même, lorsqu’une appréciation de la Commission n’est pas étayée par certains éléments ou certains faits, elle devrait être considérée comme n’ayant pas été portée d’une manière appropriée et non déraisonnable (arrêt de la Cour du 22 octobre 1991, Nölle, C‑16/90, Rec. p. I‑5163). Or, l’affirmation d’absence de position dominante collective ne serait pas étayée par des faits pertinents, un raisonnement ou des preuves et la Commission aurait manqué à son obligation d’apprécier l’ensemble des facteurs pertinents.

60      La requérante soutient que la décision est entachée d’erreurs manifestes d’appréciation dans la détermination de l’homogénéité du produit, de la transparence, de l’existence de moyens de dissuasion, dans l’évaluation des contrepoids et dans l’analyse de la politique commune.

 Homogénéité du produit

61      La Commission aurait commis une erreur d’appréciation en considérant que l’hétérogénéité du contenu prévalait sur l’homogénéité du format, tout en acceptant la thèse selon laquelle le consommateur achète des disques de plusieurs artistes et de plusieurs genres et qu’il existe donc un « espace de substituabilité ». En tout état de cause, le paramètre relatif à l’hétérogénéité du produit ne serait pertinent que si les prix étaient établis sur la base de titres individuels et non, comme en l’espèce, sur la base de quelques prix de référence (considérants 110 et 111 de la décision). À suivre la logique de la Commission, il ne pourrait jamais y avoir de position dominante collective dans les industries liées à la propriété intellectuelle, puisqu’il ne peut jamais y avoir homogénéité totale du contenu.

 Transparence

–       Argumentation générale

62      La requérante soutient que les preuves fournies indiquent que les prix pratiqués par les majors sont certainement assez transparents pour leur permettre d’aligner leurs prix. La Commission n’aurait présenté aucune preuve infirmant cette analyse, mais se serait bornée à déduire de la variation prétendue dans les remises que la transparence pouvait être éliminée ou réduite au point de ne plus permettre l’alignement des prix.

63      L’erreur d’appréciation ressortirait des propres conclusions de la Commission selon lesquelles :

–        il y aurait un parallélisme et une évolution des prix relativement similaire de la part des majors pour les prix nets moyens (considérants 75, 82, 89, 96 et 103 de la décision) ;

–        les PPV pourraient être utilisés comme point focal pour l’alignement (considérants 76, 83, 90, 97 et 104 de la décision) ;

–        les PPV et les prix nets moyens auraient évolué de façon parallèle (considérants 77, 84, 91, 98 et 105 de la décision).

64      La requérante relève que les PPV sont transparents, que les prix de vente au détail sont connus, que les prix nets moyens évoluent en parallèle avec les PPV et que les marges des distributeurs sont connues de manière assez précise. Il s’ensuivrait que les prix nets aux détaillants (c’est-à-dire les PPV déduction faite des remises) sont transparents en dépit des remises. Cela ressortirait d’ailleurs de la communication des griefs (points 81 à 92) et du considérant 77 de la décision selon lequel, « si les [m]ajors s’étaient sensiblement écartées des politiques convenues en matière de prix en accordant des remises, cet écart serait apparu dans les prix moyens nets ».

65      La requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en donnant une importance exagérée aux remises et, en particulier, aux remises promotionnelles, car :

–        elle se serait fondée sur les informations relatives aux remises fournies par Sony et BMG plutôt que sur les informations relatives au parallélisme entre PPV et prix nets concernant l’ensemble des majors (note en bas de page nº 43 de la décision) ;

–        d’après les informations fournies par les détaillants, les remises seraient transparentes ; 20 des 26 détaillants interrogés par la Commission auraient affirmé que les majors avaient connaissance des remises pratiquées par les autres. Ce serait particulièrement le cas des remises ordinaires, les plus importantes, dès lors qu’elles sont négociées tous les ans ;

–        Sony et BMG auraient produit des rapports hebdomadaires de surveillance du marché de la distribution, incluant des informations sur leurs concurrents (considérant 113 de la décision) ;

–        pour les compilations, les majors auraient des accords de distribution conjointe et de partenariat dans le cadre desquels les remises ordinaires sont révélées ;

–        il y aurait un taux de transfert important de directeurs entre les maisons de disques ;

–        les hit-parades hebdomadaires fourniraient des informations sur les ventes par titre permettant de détecter facilement les titres qui deviennent des « tubes » et génèrent la majeure partie des ventes (considérant 73 de la décision) ;

–        selon le rapport de l’Office of Fair Trading (autorité de la concurrence britannique), l’information sur les concurrents serait plus aisément disponible sur le marché de la musique enregistrée que dans toute autre industrie (annexe A.16 à la requête).

66      La requérante fait observer que, sur la base de ces éléments, la Commission a d’ailleurs conclu, au point 81 de la communication des griefs, que « les remises [étaient] en grande partie stables et n’[étaient] pas utilisées pour modifier efficacement la politique des prix ». Or, les faits n’auraient pas changé depuis lors.

67      En tout état de cause, les remises promotionnelles ne seraient généralement pas utilisées à l’égard des disques dans les hit-parades, qui génèrent environ 80 % des revenus, mais uniquement pour inciter les consommateurs à puiser dans le catalogue des titres (« back catalogue ») (annexe A.17 à la requête) et n’auraient que peu d’impact sur l’échantillon que la Commission a examiné (considérants 70 et 71 de la décision). En outre, les données examinées par la Commission pour lesdites remises promotionnelles ne concernant que Sony et BMG, leur pertinence serait d’autant plus réduite.

68      La part de la structure des prix des majors potentiellement affectée par un manque de transparence serait donc faible, ainsi qu’il ressortirait du rapport joint à la requête expliquant le système des prix et remises en Europe (annexe A.17).

69      La requérante soutient que la Commission disposait de suffisamment de documents à l’égard desquels elle pouvait tester ses analyses, mais qu’elle ne l’a pas fait, en particulier, en ce qui concerne les éléments de preuve portant sur les détaillants. En n’appréciant pas correctement les faits et en attribuant une importance exagérée aux remises, en particulier promotionnelles, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation.

–       Observations générales sur les nouveaux éléments de preuve

70      Sur la base des nouvelles informations produites par la Commission en annexe à son mémoire en défense, la requérante déduit que la Commission semble avoir fondé son appréciation selon laquelle le marché n’est pas transparent sur la complexité des variations individuelles dans les remises entre les clients et entre les titres individuels et dans le temps. Or, l’existence de telles variations individuelles, parfois considérables, n’exclurait pas la possibilité que la fixation des prix soit régie par un nombre limité de structures et de règles connues qui rendent les prix moyens prévisibles et dont toute déviation significative et systématique serait apparente.

71      De telles règles ne permettraient peut-être pas de prédire le prix de chaque sortie individuelle facturé à chaque détaillant individuel et à tout moment, mais permettraient néanmoins de connaître avec un degré de certitude suffisant les prix nets qui résulteraient d’un groupe de PPV et de déterminer si les concurrents se sont conformés ou non à ces règles. Elles fourniraient donc la transparence requise pour l’existence de la domination collective. La coordination de comportement qui ressort du mouvement parallèle des PPV et des prix nets moyens pourrait donc naître simplement sur la base de structures ou de règles communément connues et bien comprises pouvant être contrôlées plutôt que sur la base d’une connaissance parfaite et complète de chaque décision individuelle relative aux prix.

72      La Commission n’aurait pas recherché si le parallélisme observé dans les prix moyens (bruts et nets) avait pu résulter de la coordination de comportements issus de telles règles, mais aurait plutôt conclu que tel n’était pas le cas, puisqu’il y avait des variations individuelles, sans examiner si celles-ci étaient statistiquement significatives et avaient un impact matériel sur les moyennes.

73      De telles règles ne s’appliqueraient pas à tous les cas, mais à une part substantielle des ventes dans chaque catégorie de disques de chaque grande maison de disques (nouvelles sorties, nouvel artiste, catalogue « full price », « mid price », « budget », etc.) pour chacune desquelles il y aurait un nombre limité de stratégies générales de vente qui régissent la vaste majorité des ventes (remplacement d’un disque dans le hit-parade, participation à des campagnes de promotion, achat d’emplacement en vitrine, etc.). Ces stratégies de vente pourraient, certes, varier sur chaque territoire et en fonction des clients (supermarchés, chaînes spécialisées, magasins indépendants, etc.), mais seraient néanmoins limitées en nombre et connues des responsables des ventes. Ces règles ou structures seraient suffisantes pour permettre la coordination des prix sans nécessiter des connaissances spécifiques des prix nets et bruts pour les sorties individuelles et offriraient, en outre, dans un environnement où la demande pour les titres individuels varie et où le succès d’albums ne peut être prédit avec certitude, la flexibilité nécessaire pour s’adapter dans des cas individuels sans compromettre la structure des prix dans son ensemble.

74      Les variations individuelles ne devraient pas faire ignorer que les prix nets dans leur ensemble seraient étroitement alignés sur les prix bruts et qu’il en serait probablement ainsi parce que toutes les sociétés suivent certaines règles générales rendant les prix dans leur ensemble hautement prévisibles et les divergences systématiques apparentes. Il y aurait donc transparence.

75      L’examen des nouveaux éléments de preuve figurant en annexe au mémoire en défense montrerait que la Commission s’est concentrée sur les variations individuelles sans examiner si celles-ci étaient statistiquement significatives. La Commission n’aurait pas effectué une analyse statistique correcte des données sous-jacentes ou examiné la signification des gammes de prix ou de remises ou la pertinence des variations au sein des fourchettes habituelles des prix, ni interrogé les détaillants pour vérifier si les variations individuelles se trouvaient ou non dans le cadre des règles générales du système de prix. La Commission aurait conclu, à tort, que la simple existence de variations excluait la possibilité que cette variation soit causée par quelques cas isolés, tandis que la masse des ventes serait soumise à des prix déterminés sur la base de règles connues et prévisibles.

76      En outre, la Commission aurait examiné les éléments de preuve avec une méthode erronée et sans procéder aux tests nécessaires.

77      La requérante formule les observations générales suivantes sur les nouveaux éléments de preuve produits par la Commission :

–        une grande part des données ne serait pas ajustée en fonction des ventes pour apprécier la signification des gammes de prix et de remises. Là où les données sont correctement agrégées – c’est-à-dire entre tous les acteurs et ajustées en fonction des ventes – les variations seraient bien moins significatives ;

–        dans la plupart des cas, les données ne seraient pas analysées du point de vue statistique et il ne serait donc pas possible d’apprécier si, à l’égard des différentes catégories de produits, les variations sont significatives ;

–        à l’exception de quelques données utilisées dans la communication des griefs, les données ne compareraient que les prix des parties à la concentration. L’argument de la Commission, selon lequel le fait de constater des pratiques de remise opaques entre deux majors est suffisant pour minimiser la transparence, serait faux, compte tenu de ce que Sony et BMG avaient eu des performances très différentes sur le marché et de ce que, avec des performances différentes à travers une série de sorties, la fourchette des prix et des remises varierait même dans un système de prix uniforme. En outre, les parties à la concentration étaient historiquement les deux majors les plus différentes, de sorte que la concentration ne réduirait pas seulement le nombre des acteurs, mais les rendrait aussi plus similaires ;

–        la Commission n’aurait pas enquêté pour voir s’il y avait des données chez les majors qui contredisent directement l’allégation de variété et de complexité des prix, à savoir les budgets ou autres données qui prévoient précisément les prix nets et bruts ainsi que les remises, dont la construction est parallèle entre les concurrents et stable dans le temps ;

–        les témoignages des cadres des parties à la concentration ne porteraient pas sur les questions clés – telles que l’existence de règles générales des prix et la surveillance des prix – et n’auraient pas été contrôlés.

78      Le point de vue de la Commission, selon lequel les prix nets moyens sont l’expression d’une multitude de décisions individuelles plutôt diverses et cela doit pouvoir être observé avec suffisamment de certitude afin de permettre une réelle coordination des prix nets, serait erroné, car il serait suffisant que chaque société soit capable de vérifier si les décisions sur les prix de toutes les sociétés, à travers leurs sorties, se conforment à certaines règles sur les prix afin de rendre les mouvements de prix connus pour chacun et de maintenir la collusion tacite.

79      Les variations observées par la Commission à partir des données fournies par les parties à la concentration, outre qu’elles seraient moins concrètes que la Commission semble le penser, ne pourraient être prises comme preuve de l’opacité des prix, car, comme dans toute industrie du secteur de la propriété intellectuelle, dans laquelle la performance d’un titre individuel est variable et sujette à une variété d’activités de commercialisation, mais où des séries agrégées de tels titres sont conformes à des règles généralement connues, il serait parfaitement possible d’expliquer toute variation dans l’étendue des remises et des prix par référence à quelques principes généralement connus.

80      La requérante déclare s’étonner, par ailleurs, de ce que la Commission n’a inclus que très peu d’éléments de preuve utilisés dans la communication des griefs, dont certains étaient pondérés et couvraient l’ensemble de l’industrie, mais s’est concentrée sur les informations produites par Sony et BMG, qui ne présentaient pas ces qualités. Il conviendrait donc de concilier les différences avant que le premier jeu de données ne soit rejeté et il n’apparaîtrait pas que la Commission ait effectué une appréciation équilibrée.

–       Examen individuel des différents éléments de preuve

81      Les témoignages des cadres de Sony et de BMG, figurant à l’annexe B.2, se borneraient à affirmer l’existence de remises différentes à différents clients, mais ne porteraient pas sur la question de savoir si ces remises sont ou non largement déterminées par une série de règles générales. Alors que les déclarations souligneraient le caractère très complexe du mécanisme de fixation des prix, l’annexe B.14 visant à démontrer la complexité des remises promotionnelles réfuterait en réalité cette complexité, en décrivant leur fonctionnement en une seule page. Il aurait fallu se demander s’il existait des marges standard associées aux différentes catégories de prix et si la plus grande partie des remises tendait à se concentrer autour de fourchettes étroites. Les questions sembleraient avoir été conçues de manière à éviter de révéler que les marges pouvaient être connues en tant que règles générales et n’avaient donc pas besoin d’être connues sur une base régulière, sortie par sortie, et que l’ingénierie à rebours des prix individuels n’était en rien nécessaire pour qu’une grande maison de disques contrôle le prix pratiqué par ses concurrentes. Ces questions n’auraient pas non plus été posées aux détaillants, ce qui aurait pourtant permis une comparaison des réponses.

82      S’agissant de l’annexe B.3 montrant le pourcentage des ventes de gros des parties à la concentration dans leurs dix PPV les plus élevés de 1998 à 2003, qui, selon la Commission, montrerait le caractère imprévisible du succès et donc la nécessité, pour chaque major, de contrôler les PPV de plus de 80 albums de ses concurrents, la requérante note certaines incohérences dans les données (telles que des variations sur les périodes) et fait valoir qu’elles ne montrent rien d’autre que le fait que les parties à la concentration vendent leurs produits à des PPV différents. Cela serait dépourvu de pertinence dans la mesure où la décision indiquerait que les PPV sont plutôt transparents. En outre, contrairement à ce que soutient la Commission, il ressortirait du considérant 111 de la décision que « les [m]ajors ne doivent cependant contrôler que les prix de référence d’un nombre limité d’albums parmi les mieux vendus pour suivre le gros des ventes ». Ces informations ne contrediraient pas non plus les considérations émises par la Commission lors de l’audition, selon lesquelles une grande majorité des ventes de chacune des majors relevait de très peu de PPV. Il ne serait pas nécessaire de contrôler les prix de plus de 80 albums, car, dès lors qu’il y a des principes et des règles généralement compris, il suffirait, pour contrôler le respect global de la coordination, d’établir, pour quelques titres seulement, si ces règles ont été respectées et si les anomalies sont systématiques. La conclusion tirée par la Commission de la variation dans le pourcentage de ventes brutes des parties à la concentration ne serait donc pas justifiée.

83      En outre, ces tableaux sembleraient mettre l’accent sur un facteur, à savoir le caractère imprévisible du succès, qui contrasterait avec les déclarations clés de la décision, selon lesquelles, premièrement, les PPV sont transparents et constituent un point focal pour l’alignement (considérants 76, 83, 90, 97 et 104 de la décision), deuxièmement, le contrôle des listes de prix des autres majors était possible (considérants 76, 83, 90, 97 et 104 de la décision) et, troisièmement, les majors ont seulement besoin de contrôler les prix de référence d’un nombre limité d’albums se vendant le mieux pour suivre le gros des ventes (considérant 111 de la décision). Enfin, à supposer même qu’il soit nécessaire de contrôler les PPV de plus de 80 albums (ou 60 après la concentration), cela ne semblerait pas aussi onéreux que la Commission le suggère.

84      S’agissant des annexes B.4 et B.5, relatives aux remises sur facture moyennes accordées par Sony et BMG à leurs dix meilleurs clients dans quatre des cinq grands États membres, la requérante déclare s’interroger d’abord sur la question de savoir dans quelle mesure les différences dans les remises sur facture moyennes sont indicatives de différences de traitement des différents clients plutôt que de différences dans la performance relative du portefeuille des parties à la concentration, étant entendu que la force des sorties d’une grande maison de disques ainsi que le mélange de ses activités (sorties dans les hit-parades, activités en supermarché, catalogue, activités spécialisées et promotionnelles) affecteraient la remise moyenne accordée aux clients. Ensuite, d’éventuelles différences de traitement de clients par les parties à la concentration ne signifieraient pas que leurs décisions sur les prix sont opaques, car ces différences pourraient être systématiques, prévisibles et stables dans le temps.

85      L’annexe B.5, censée montrer des exemples où il n’y a pas de corrélation ou de mouvement parallèle, serait dépourvue de pertinence, car elle pourrait s’expliquer par la différence de performance des portefeuilles des parties à la concentration et montrerait, en outre, des similitudes significatives (remises plus basses accordées au même client ou variant en même temps ou différences stables dans le temps). Seul l’exemple du client n° 1 en Allemagne serait conforme au point de vue selon lequel une des majors peut baisser ses prix réels sans que cela soit suivi par ses concurrents, mais une seule variation spécifique au cours d’une année spécifique sur un territoire donné à l’égard d’un client spécifique ne serait pas convaincante. En outre, les tableaux n’examinant que les données de Sony et de BMG et ces données n’étant pas pondérées, les variations seraient exagérées. Cela serait particulièrement le cas pour l’analyse prospective que la Commission aurait dû conduire, car, la concentration combinant des sociétés aux performances très différentes, elle pourrait accroître la symétrie et l’homogénéité, et donc la probabilité de collusion tacite.

86      S’agissant des annexes B.6 et B.7, présentant des preuves supposées de variations dans les remises sur facture accordées par les parties à la concentration pendant une période de cinq ans à leurs dix meilleurs clients pour leurs 20 meilleurs disques compacts (ci-après « CD »), la requérante fait observer que les tableaux n’offrent que des fourchettes et que celles-ci peuvent être trompeuses, dans la mesure où elles montrent les extrêmes plutôt que des moyennes et des variations statistiquement significatives autour de ces moyennes. Des fourchettes larges de remise pourraient être expliquées par quelques rares exceptions, la grande masse des remises se situant à un même niveau. En outre, au-delà de leurs insuffisances méthodologiques, ces tableaux montreraient des régularités intéressantes. Par exemple, dans l’annexe B.6, dans le pays A, les deux parties à la concentration offriraient en général des remises plus importantes aux grossistes qu’aux supermarchés et aux détaillants généralistes, et l’annexe B.7 au mémoire en défense montrerait une relation étonnamment bien alignée entre les gammes de remises.

87      S’agissant des annexes B.8 et B.9, montrant, selon la Commission, que les parties à la concentration n’ont pas suivi de pratique uniforme de remises, que leurs pratiques ont évolué dans le temps et qu’en 2003 la ventilation des remises respectives des parties à la concentration n’était pas très similaire, la requérante souligne, à nouveau, que les différences relevées dans les gammes de remises dans le temps et entre les parties à la concentration pouvaient être le résultat de différences dans les performances et que cela ne suggère en rien que les remises ne découlent pas d’un éventail connu de règles. En outre, les données présentées à l’annexe B.8 pointeraient plutôt dans la direction opposée à celle indiquée par la Commission (structure de remises plutôt stables et similaires, ou se rapprochant, facteur de corrélation élevé).

88      La requérante estime que les structures de remises ne varient pas dans le temps autant que l’analyse de la Commission le suggère. Les chiffres exposés dans l’annexe D.3 montreraient le coefficient de corrélation de la structure des remises de chacune des parties à la concentration dans une année donnée et la structure des remises pour l’année précédente. Même si le mélange d’activités affecte les remises, les coefficients globaux de corrélation élevés suggéreraient que les structures de remises demeurent relativement stables dans le temps, produisant ainsi des prix nets plutôt prévisibles à partir de PPV transparents.

89      En outre, la présentation des données en colonnes très étroites, en combinaison avec des délimitations particulières, pourrait accentuer les différences (par exemple, si la remise passe d’un peu moins de 15 % à un peu plus de 15 %, il y a changement de colonne sans modification importante). Enfin, la requérante souligne que, si la performance était fondée sur le succès des 20 meilleures ventes des parties à la concentration, on noterait une modification des prix dans un marché hautement concurrentiel. Cela n’étant pas le cas, elle en déduit que le mécanisme des remises n’est pas vraiment un élément compétitif fort ou une source d’opacité.

90      S’agissant de l’annexe B.10 montrant la répartition des prix nets pour les cinq meilleurs clients de Sony et de BMG en 2003, la requérante estime que la conclusion qu’en tire la Commission, selon laquelle des clients différents effectuent des proportions très différentes de leurs achats auprès d’une major dans les différentes gammes de prix nets, est d’une pertinence discutable, puisque la transparence et la prévisibilité des prix ne requièrent pas que les tendances d’achat soient identiques ou similaires entre clients des deux maisons de disques. Les facteurs déterminants pour le niveau des remises nécessaires pour atteindre les objectifs de vente étant le mélange des produits et la performance des nouvelles sorties de tête auprès des clients, il serait difficile de voir comment la Commission est parvenue à la conclusion qu’il y avait une différence dans la répartition des prix nets en général pour les deux majors.

91      Par ailleurs, si ces données ne concernent que Sony et BMG, elles seraient néanmoins plus appropriées du fait qu’elles sont pondérées. Or, un examen plus détaillé des répartitions pays par pays montrerait des similarités remarquables présentées sous forme de diagramme à l’annexe D.4.

92      En outre, la conclusion de la Commission, selon laquelle l’annexe B.10 montre la différenciation entre les deux parties à la concentration, ne serait pas compatible avec l’appréciation, effectuée aux considérants 74 et 75 de la décision, selon laquelle les prix nets moyens de Sony et de BMG étaient relativement similaires, ce qui, d’après l’équilibre des probabilités, suggérerait l’utilisation de règles de fixation des prix qui assurent que la plus grande partie des prix est concentrée autour de quelques prix de référence. Ces éléments de preuve, plutôt que de soutenir le point de vue selon lequel la fixation complexe des prix rend ceux-ci opaques, sembleraient venir au soutien du point de vue inverse, selon lequel les prix sont plutôt prévisibles et similaires en dépit de l’apparente complexité des décisions individuelles de fixation de prix.

93      La requérante estime que l’annexe B.11, montrant les prix nets moyens trimestriels de Sony par album dans les PPV les plus utilisés ne fournit aucune indication sur l’opacité, car le tableau souffre du problème lié aux fourchettes, à savoir qu’il ne montre que des extrêmes sans analyser les moyennes pondérées et les variations par rapport aux moyennes. En outre, l’annexe serait dépourvue de pertinence, car elle ne concernerait que Sony et ne serait pas comparative.

94      L’annexe suivante (B.12) serait également dépourvue de pertinence, car elle ne serait pas comparative et viserait uniquement à montrer que BMG offre aux détaillants différents niveaux de remise.

95      La requérante fait également grief à la Commission de n’avoir pas indiqué si les apparentes variations dans le niveau des remises promotionnelles pouvaient être expliquées par quelques principes simples. Cela serait surprenant, puisque les principes posés par la Commission dans l’une des annexes à son mémoire en défense dans l’annexe B.14 suggéreraient l’existence et la simplicité de telles règles relatives aux remises promotionnelles, à savoir que :

–        les remises promotionnelles varient en fonction de la taille de la commande (à l’exception du cas spécifique de la France) ;

–        les remises promotionnelles varient en fonction du type de consommateur (par exemple en Allemagne, les grossistes et les clubs de musique reçoivent en général des remises plus importantes) ;

–        les remises promotionnelles varient en fonction du type de titre ou de sortie (par exemple en fonction de la popularité de l’artiste, de l’audience visée) ;

–        les remises promotionnelles se concentrent sur les clients ayant la réputation de vendre un genre particulier, sur la base de la nature du détaillant et des caractéristiques démographiques de sa base de clientèle ;

–        les remises promotionnelles varient avec la nature de la campagne (par exemple seulement un titre ou alors un panier de titres, habituellement un catalogue) ;

–        les remises promotionnelles varient selon le niveau des dépenses de commercialisation que le détaillant est prêt à fournir en retour.

96      La requérante est d’avis que, si ces règles sont généralement connues, il ne devrait pas être difficile de prédire avec une précision raisonnable le niveau des remises que l’on pourrait attendre d’une major à l’égard d’un client particulier, pour un titre particulier, dans le cadre d’une campagne particulière, et donc d’établir si les remises effectives sont conformes à ces règles. La Commission ne semblerait pas avoir enquêté sur ce point.

97      De plus, l’annexe B.13 ne fournissant des données que pour une seule année, elle ne serait pas concluante, puisqu’elle ne permettrait pas d’apprécier si les niveaux de remise sont stables et donc prévisibles.

98      S’agissant de l’annexe B.15, regroupant certains rapports de surveillance (monitoring) soumis au Tribunal par les parties à la concentration, la requérante fait observer que ces éléments de preuve ne suggèrent pas qu’il n’y ait pas de mécanisme de fixation des prix consistant en une série de règles générales et d’orientation sur la manière dont les prix sont fixés. La Commission n’aurait donc pas dû se concentrer sur la question de savoir s’il y avait une surveillance spécifique des remises individuelles, mais plutôt s’il y avait besoin d’une telle surveillance, dans la mesure où les variations dans le système de fixation des prix sont des exceptions aux références de prix s’appliquant à la vaste majorité des ventes.

99      S’agissant de l’annexe B.17, contenant l’étude de la société de conseil économique RBB Economics (ci-après l’« étude RBB »), selon laquelle une maison de disques ne serait pas en mesure de déduire les prix de gros à partir des prix de vente observés auxquels les produits des concurrents sont offerts, la requérante fait valoir que cette étude se concentre essentiellement sur les prix des sorties individuelles et non sur la question de savoir s’il y a un lien systématique entre les PPV et les prix nets de gros pour la grande majorité des sorties pendant une période raisonnable. Des détaillants différents pourraient, certes, poursuivre des stratégies différentes pour la fixation de leurs prix de vente, mais il serait surprenant qu’il n’y ait pas de rapport clair et systématique entre les prix nets moyens des sorties dans une catégorie particulière, vendues à un détaillant particulier, et leurs prix de gros réels pour une gamme suffisamment large de titres et pendant une période raisonnable. La circonstance qu’il n’y ait pas de marge unique et uniforme appliquée de manière automatique aux prix de gros ne signifierait pas que les prix de vente au détail et les prix de gros sont à ce point distincts que le contrôle du respect des principes généraux de fixation des prix serait impossible. Il y aurait un niveau général de marges pour différentes catégories de produits (top price, super top price, mid price, developping artists, budget, etc.).

100    La requérante fait observer que l’étude esquive tout examen des règles du système de fixation des prix et déclare douter que la Commission ait soumis l’étude à l’examen, des détaillants ou des tiers, ou qu’elle ait demandé les données agrégées sur les prix et les remises que toute grande maison de disques doit avoir dans ses budgets. Il n’y aurait pas non plus de comparaison avec les autres données déjà collectées. Un tel examen aurait révélé que, contrairement aux assertions figurant dans l’étude :

–        il y aurait un lien systématique entre les catégories de produits si ces produits sont définis correctement pour refléter leur performance, leur maturité et leur importance pour la base de clientèle ;

–        l’assertion selon laquelle les détaillants n’appliquent pas de marge standard aux prix de gros serait trompeuse, car elle ignorerait à dessein l’existence de catégories de produits et de campagnes de vente, connues et cohérentes entre les majors. L’étude ignorerait la nécessité d’expliquer la concentration des niveaux de remise agrégés autour d’un nombre limité de niveaux de prix et de remise. Les variations dans les marges refléteraient seulement l’adaptation des règles en fonction de la demande ;

–        de manière plus générale, la Commission aurait omis de prendre en compte le fait qu’elle étudiait une industrie du secteur de la propriété intellectuelle sur le marché de la musique enregistrée. L’évolution des sorties individuelles à travers les différentes catégories connues et comprises de prix et de remises au cours du cycle de vie n’impliquerait pas nécessairement qu’il ne puisse pas y avoir transparence ou même coordination.

 Moyens de dissuasion

101    La requérante soutient que la Commission n’a pas examiné en détail toutes les formes possibles de mesures de rétorsion, mais uniquement celles liées aux accords de partenariat pour les compilations. Ainsi, si une grande maison de disques devait introduire une politique de baisse des prix à l’égard des détaillants, les autres pourraient punir cette grande maison de disques en incitant les détaillants à rejeter la politique des prix plus bas en leur offrant des remises plus importantes et une augmentation de la publicité coopérative. Un autre moyen de dissuasion serait de restreindre l’éligibilité pour les hit-parades des produits à moindre prix de la maison de disques « déviante » ou des produits qui constituent une innovation unilatérale. Les critères d’éligibilité pour les hit-parades nationaux seraient généralement déterminés par des comités, composés dans leur ensemble de maisons de disques, parfois en conjonction avec les détaillants, et porteraient, notamment, sur les formats ou les prix minimaux.

102    La requérante estime que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce que, tout en constatant l’existence de mécanismes crédibles de dissuasion, elle a conclu qu’il n’y en avait pas au motif qu’elle n’avait pas trouvé de preuve de leur utilisation. Or, le moyen de dissuasion le plus efficace serait celui qui n’a pas à être utilisé.

 Contrepoids

103    La requérante soutient que l’analyse de la Commission est incomplète dans la mesure où la décision ne contient pas d’examen des contrepoids sur le marché. Elle souligne, en outre, que, dans la communication des griefs, la Commission a constaté que ni les indépendants ni les détaillants n’imposaient de contraintes concurrentielles effectives aux majors.

 Absence de réelle analyse de la politique commune

104    La Commission aurait concentré son analyse sur la concurrence par le biais du prix et aurait complètement négligé une série d’autres questions alors que, selon la communication sur les concentrations horizontales (JO 2004, C 31, p. 5), la coordination peut revêtir diverses formes.

105    Ainsi, la Commission aurait dû examiner s’il était ou non plus bénéfique pour les majors de concourir avec vigueur pour l’obtention de parts de marché plutôt que d’adhérer à une politique commune. Le fait que les parts de marché des majors sont relativement stables et que les modifications sont principalement la conséquence d’acquisitions d’indépendants, ou de fusion entre elles, indiquerait une absence réelle de concurrence par les prix ou une politique commune consistant surtout à ne pas entreprendre d’action concurrentielle là où le marché est oligopolistique (arrêt de la Cour du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142/84 et 156/84, Rec. p. 4487, point 43).

106    La Commission n’aurait pas non plus examiné si les majors avaient des politiques parallèles de licence pour la musique en ligne ou en ce qui concerne l’emploi sous contrat des artistes. Elle n’aurait pas examiné toutes les caractéristiques fournissant des preuves, détaillées aux points 96 à 116 de la communication des griefs, que le marché de la musique enregistrée est « particulièrement propice à la coordination et facilite le contrôle d’une telle coordination » (point 94 de la communication des griefs). La Commission aurait pourtant identifié dix facteurs indiquant une entente tacite incluant les liens structurels, les accords de licence et de distribution ainsi que les accords de partenariat et les compilations (voir la liste jointe en annexe A.15 à la requête).

107    La Commission se serait également abstenue d’examiner si la concentration pourrait déboucher sur une capacité à réduire l’offre en termes de nombre de nouveaux titres ou en termes d’originalité des nouvelles sorties ou si la concentration appauvrirait la créativité, la qualité et la diversité dans le choix musical [voir décision 2004/422/CE de la Commission, du 7 janvier 2004, déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et l’accord sur l’EEE (COMP/M.2978 – Lagardère/Natexis/VUP) (JO L 125, p. 54, considérant 674) ou aurait un impact sur le choix des consommateurs, ainsi qu’elle l’avait fait dans la communication des griefs dans l’affaire Time Warner/EMI (COMP/M.1852 ­ Time Warner/EMI) (JO C 136, p. 4) (voir point 55, relatif à la marginalisation des indépendants, et à l’impact sur le choix et la diversité de la musique offerte au public). L’analyse n’aurait enfin tenu aucun compte de l’article 151, paragraphe 4, CE, et de la diversité culturelle.

c)     Mauvaise application du droit sur les positions dominantes collectives

108    La requérante soutient que la Commission a commis trois erreurs de droit.

109    En premier lieu, la Commission aurait conclu que les prix n’étaient pas transparents au motif qu’il n’était pas sûr que la transparence fût totale alors que, selon le point 62 de l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, le test est un « test de transparence suffisante du marché » permettant à tous les membres de l’oligopole de savoir « avec suffisamment de précision et de rapidité » de quelle manière le comportement sur le marché des autres membres évolue. Or, en l’espèce, il y aurait une transparence suffisante.

110    En deuxième lieu, la Commission aurait estimé qu’il n’y a pas de politique commune du fait des remises sans toutefois avoir constaté que les remises ont conduit à des réductions significatives de prix de sorte que la concurrence à travers les remises serait marginale. Or, selon le point 60 de l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, une concurrence marginale n’invaliderait pas en soi la constatation d’une position dominante collective. Il faudrait que l’opérateur soit conscient « qu’une action fortement concurrentielle de sa part destinée à accroître sa part de marché (par exemple, une réduction de prix) provoquerait une action identique de la part des autres ». En particulier, la Commission devrait uniquement prouver « l’absence d’une concurrence effective entre les opérateurs (…) membres de l’oligopole dominant » et non l’élimination de toute concurrence (voir, à cet égard, arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 645).

111    En troisième lieu, la Commission aurait commis une erreur de droit en fondant son analyse sur l’absence de preuves antérieures de mesures de rétorsion alors que, selon le point 195 de l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, la Commission ne devrait pas nécessairement établir l’existence d’un « mécanisme de représailles » déterminé, plus ou moins strict, mais démontrer l’existence de facteurs de dissuasion.

2.     Sur la deuxième branche

112    La requérante rappelle que, afin d’établir si une concentration renforce une position dominante, la Commission doit examiner son impact sur les marchés de référence par voie d’analyse prospective (arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, points 58 et 59). Or, la Commission n’aurait pas effectué d’analyse prospective et n’aurait pas du tout examiné la question du renforcement de la position dominante, car, au terme d’une analyse rétrospective, elle aurait, à tort, constaté qu’il n’y avait pas de position dominante préexistante pouvant être renforcée.

113    Dans la mesure où le renforcement de la position dominante aurait été examiné sur la base de l’analyse rétrospective, la décision serait entachée d’un défaut de motivation ou d’une erreur manifeste d’appréciation pour les motifs développés dans la première branche, tandis que l’absence d’analyse prospective constituerait une erreur de droit.

B –  Arguments de la Commission

114    La Commission estime que les trois motifs d’annulation invoqués par la requérante en ce qui concerne le marché de la musique enregistrée se recoupent largement et qu’il est donc utile de présenter, tout d’abord, un exposé de la motivation de la décision et des éléments de preuve sur lesquels elle a fondé ses conclusions avant d’examiner, ensuite, certaines présentations erronées du contenu de la décision qui figurent dans la requête, puis, enfin, d’analyser les arguments spécifiques invoqués par la requérante.

1.     Décision de la Commission et éléments de preuve sur lesquels elle s’est fondée

a)     Contexte

115    S’agissant du système de fixation des prix applicable à la musique enregistrée, la Commission expose que chaque major, ainsi que chaque maison indépendante, fixe périodiquement une gamme de divers prix de catalogue envisageables pour ses albums CD, dénommés « prix publics de vente ». Chaque grande maison disposerait normalement de plus de 50 PPV de ce type, d’importance variable, pouvant être attribués à des catégories de prix « forts », « moyens » et « petit budget » et fixerait le prix de catalogue de chaque album CD qu’elle produit par référence à l’un de ces PPV. Cependant, le prix net réellement demandé à un client (détaillant ou grossiste) serait inférieur au prix de catalogue, du fait des remises sur facture (remises ordinaires et promotionnelles) qui peuvent varier d’un client à l’autre, dans le temps, ou d’un album à l’autre (dans le cas des remises promotionnelles). Chaque maison de disques négocierait avec chacun de ses clients une remise ordinaire annuelle (à des taux éventuellement différents pour la musique pop, la musique classique ou les albums faisant l’objet d’une publicité à la télévision), applicable à l’ensemble des ventes du client en question. En revanche, les remises promotionnelles seraient établies au cas par cas, pour des durées variables, pour des albums individuels ou des groupes d’albums que la maison de disques souhaite promouvoir ; elles ne seraient pas nécessairement accordées à tous les clients et leur montant ne serait pas nécessairement le même. La Commission attire l’attention sur le fait que le prix net d’un album donné pour un client donné doit être distingué du prix net moyen de tous les albums vendus par une grande maison de disques donnée au cours d’une année donnée, prix qui est égal au quotient de la division de la somme de tous les prix nets (potentiellement très variés) des albums individuels vendus aux clients individuels par le nombre total d’albums vendus par la maison de disques en question.

116    La Commission aurait constaté une baisse significative de la demande et des prix de la musique enregistrée sur CD depuis 1999 (considérants 55 à 59 de la décision).

b)     Cinq grands marchés (Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie, Espagne)

117    La Commission aurait examiné en premier lieu s’il était possible d’identifier une entente tacite existante sur les prix entre les majors dans les cinq grands États membres (considérants 69 à 108 de la décision). Elle aurait vérifié s’il existait un parallélisme entre les prix en observant l’évolution des prix nets moyens réels des majors et si un éventuel parallélisme observable pouvait s’expliquer par une coordination. À cet effet, la Commission aurait tout d’abord examiné les PPV en tant qu’éventuels points centraux, puis aurait vérifié si les remises étaient alignées et suffisamment transparentes pour permettre un suivi efficace d’une éventuelle coordination des prix nets (considérant 73 de la décision).

 Alignement des prix nets moyens et des PPV

118    Dans les cinq grands marchés, la Commission n’aurait constaté qu’une évolution en partie semblable des prix nets moyens réels. Dans chaque pays, les prix nets moyens réels de chaque grande maison de disques auraient fluctué la plupart du temps dans une fourchette d’environ 10 % ou plus, les uns par rapport aux autres. La Commission a considéré qu’un tel degré d’évolution similaire n’était pas concluant (considérants 75, 82, 89, 96 et 103 de la décision), pour des raisons évidentes. Premièrement, le parallélisme des prix nets moyens réels ne serait nullement avéré. Deuxièmement, des comportements parallèles ne suffiraient généralement pas à établir l’existence d’une coordination si les mécanismes de cette coordination ne peuvent être identifiés. Troisièmement, dans le cas d’espèce, la Commission n’aurait pas conclu que l’évolution des prix nets moyens de chaque major était ou pouvait être connue des autres majors. Les prix nets moyens seraient le reflet d’une très grande variété de décisions individuelles de fixation des prix (voir, par exemple, annexe B.10) et ces décisions devraient pouvoir être identifiées avec suffisamment de certitude pour permettre une coordination significative des prix nets.

119    La Commission aurait effectivement découvert quelques éléments indiquant que les prix de catalogue (c’est-à-dire les PPV) pouvaient être utilisés comme base d’un alignement. Dans chacun des cinq grands États membres, la majeure partie des ventes totales de chaque grande maison de disques (plus de 55 %, et même 85 % dans un des pays) a été réalisée en utilisant 5 PPV et même seulement de 1 à 3 PPV pour la moitié, ou plus, des 100 meilleures ventes d’albums CD simples en 2003 (à l’exception de l’Espagne). En outre, les PPV seraient relativement transparents, puisqu’ils figurent dans les catalogues des majors (considérants 76, 83, 90, 97 et 104 de la décision).

120    Toutefois, la Commission aurait constaté deux types d’obstacles à l’utilisation des PPV comme points de référence pour une coordination tacite des prix nets et comme moyen de contrôle du respect de cette coordination – l’un étant dû au degré de complexité inhérent aux PPV eux‑mêmes, l’autre à la complexité et à l’opacité des liens entre les prix de catalogue et les prix nets.

 Complexité et PPV

121    S’agissant des PPV, les albums CD ne constitueraient pas un produit parfaitement homogène en raison de leur différence de contenu (considérant 110 de la décision). Bien qu’un « continuum de substituabilité » permette au moins aux albums d’un même genre d’être considérés comme appartenant à un seul marché de produits (considérants 9 à 13 et 110 de la décision), les albums CD n’en seraient pas moins des produits hétérogènes différenciés. En conséquence, même si la tarification et la commercialisation des albums CD sont relativement standardisées au niveau de la vente en gros (les éléments de standardisation de la fixation des prix de gros sont : les trois grandes catégories de prix, la série standardisée de PPV de chaque grande maison de disques, le fait que les remises ordinaires fixées annuellement pour chaque client et les taux de retour convenus pour les invendus soient généralement déterminés en fonction d’un nombre limité de paramètres), les albums individuels ont des degrés divers de succès anticipé ou réel, ce qui influerait sur la fixation initiale du PPV lors de la sortie de l’album et sur ses évolutions ultérieures.

122    De plus, l’imprévisibilité du succès obligerait probablement chaque grande maison de disques désireuse de contrôler minutieusement le respect global de la coordination des prix nets par les autres grandes maisons à surveiller les PPV de plus de 80 albums produits par ses concurrents chaque année dans un pays donné (ou de plus de 60 albums de ce type par an après l’opération de concentration, dans la mesure où les 20 albums les mieux vendus de chaque grande maison de disques représentent au moins 30 % de ses ventes totales, et plus de 50 % dans de nombreux cas) (considérant 111 de la décision). Une maison qui souhaiterait avoir une vision plus complète du marché serait confrontée à une forte augmentation de l’activité de suivi, car les 100 albums les mieux vendus chaque année par chaque grande maison couvriraient normalement entre 70 et 80 % de ses ventes totales de musique (considérant 71 de la décision) et cette étude exhaustive impliquerait le suivi de près de 400 albums. Les parties à la concentration auraient présenté des éléments de preuve démontrant que les combinaisons de PPV correspondant à leurs 20 meilleurs albums CD simples respectifs changeaient souvent dans une forte proportion d’un trimestre à l’autre (voir annexe B.3). Bien que les hit-parades hebdomadaires facilitent un tel suivi en mettant en avant les titres qui deviennent des « tubes » (considérant 112 de la décision), ils n’élimineraient pas le problème.

123    S’agissant de la constatation dans la décision que « certains éléments [indiquaient] que les PPV pourraient avoir été utilisés comme base pour aligner les prix des grandes maisons de disques », la Commission souligne qu’il ne s’agit pas d’une constatation définitive. Bien qu’elle ait constaté que la surveillance des prix de catalogue semblait possible, les variations dans l’utilisation de différents PPV figurant en annexe B.3 au mémoire en défense montreraient qu’une telle surveillance, associée à des efforts pour découvrir les pratiques en matière de remises, serait pour le moins grande consommatrice de ressources.

 Alignement et complexité des remises

124    Dans les cinq grands États membres, la Commission aurait constaté un lien étroit entre l’évolution des prix moyens bruts et des prix moyens nets réels de Sony et de BMG sur une période de six ans, avec une très grande stabilité du ratio prix nets/prix bruts, dans le temps et tous albums confondus (considérants 77, 84, 91, 98 et 105 de la décision). Cependant, le lien stable qui existe entre les prix bruts et les prix nets moyens (c’est‑à‑dire la remise moyenne) de chaque partie à la concentration tous albums confondus dans un pays donné écrêterait inévitablement les effets des différents types de remises sur facture (ordinaires et promotionnelles), des différences entre les remises sur facture (ordinaires et promotionnelles) accordées aux différents clients, et des différences entre les remises sur facture (essentiellement promotionnelles) accordées pour des albums individuels. La conclusion relative à la stabilité du ratio des prix nets et bruts moyens devrait également être nuancée par les limitations méthodologiques de l’analyse. La Commission précise à cet égard, d’une part, que seules les données de Sony et de BMG ont été prises en compte, car les autres majors ont indiqué qu’elles ne facturaient que des prix nets et, d’autre part, que, pour résoudre le problème lié au fait qu’un album donné peut avoir plusieurs PPV au cours d’une année, les parties à la concentration ont attribué un prix brut unique à chaque album, correspondant au PPV auquel l’album s’est le plus vendu pendant l’année en question (les ventes brutes par album ont donc été calculées simplement en multipliant le PPV par le nombre d’albums vendus). Le prix brut enregistré pour chaque album et utilisé pour calculer le prix brut moyen de chaque grande maison serait donc une approximation.

125    De plus, un ratio stable des prix bruts moyens aux prix nets moyens ne suffirait pas à démontrer l’existence d’une coordination passée ou d’une coordination future probable, en l’absence d’un mécanisme démontrable permettant aux majors de contrôler l’apparition de ce lien entre prix bruts et prix nets à partir d’une multitude de décisions individuelles de fixation des prix. La Commission n’aurait pas découvert de preuves suffisantes de l’existence d’un tel mécanisme.

126    La Commission aurait tout d’abord constaté que les remises sur facture (remises ordinaires et promotionnelles) de Sony et BMG à la concentration étaient de loin les remises les plus importantes dans chacun des grands États membres (excepté en France dans le cas de BMG). Les niveaux généraux des remises sur facture pratiquées respectivement par les parties à la concentration variaient dans une certaine mesure lorsqu’elles étaient exprimées en proportion de leurs ventes brutes totales respectives à leurs 20 meilleurs clients dans ces États membres (la différence entre ces niveaux était de [confidentiel] points de pourcentage de leurs ventes brutes totales respectives en Italie, de [confidentiel] points de pourcentage au Royaume-Uni et en Espagne, de [confidentiel] points de pourcentage en Allemagne et de [confidentiel] points de pourcentage en France).

127    En outre, la Commission n’aurait pas découvert de preuves indiquant que les remises sur facture étaient suffisamment alignées entre les parties à la concentration d’un client à l’autre, pour qu’il soit possible de conclure à la coordination et à la transparence. Les considérants 79, 86, 93, 100 et 107 de la décision feraient état des différences entre les remises sur facture totales des deux parties à la concentration au niveau des clients individuels, exprimées en proportion des ventes brutes à chacun de ces clients. La Commission a constaté que les remises sur facture moyennes accordées respectivement par les parties à la concentration à chacun de leurs dix meilleurs clients communs dans les grands États membres, excepté la France, pour la période 2000‑2003, variaient de 2 à 5 % (Royaume‑Uni, Allemagne, Espagne) ou de 1 à 3 % (Italie). Au Royaume‑Uni, en Allemagne et en Espagne, les remises annuelles moyennes des deux parties à la concentration pour certains de leurs clients importants ont connu, certaines années, une variation de plus de 5 % de leurs ventes brutes respectives à ces clients. En France (considérant 86 de la décision), les remises sur facture moyennes accordées par les parties à la concentration à chacun de leurs quinze meilleurs clients communs ont connu des variations plus marquées, pouvant atteindre 10 %. Étant donné l’importance des remises arrière et des « remises contractuelles » de BMG en France, la Commission aurait également examiné les remises totales. Elle aurait constaté, entre les parties à la concentration, des différences pouvant atteindre 3 % en 2003 dans ce groupe de clients, et environ 5 % pour trois d’entre eux. Dans l’ensemble des grands États membres, ces fluctuations seraient essentiellement attribuables aux remises promotionnelles.

128    La Commission aurait également pris en compte (considérants 79, 86, 93, 100 et 107 de la décision) des informations provenant de tous les grands États membres et indiquant que les remises octroyées par les deux parties à la concentration connaissaient trois types de variations (ces conclusions seraient fondées sur les données figurant aux annexes B.A à B.14) :

–        pour un client donné, les remises variaient dans le temps ;

–        pour un client donné, les remises variaient d’un album à l’autre ;

–        pour un album donné, les remises variaient d’un client à l’autre.

129    Si l’annexe B.4, composée de graphiques annexés à la communication des griefs, reprenant les remises sur facture moyennes accordées par les parties à la concentration à chacun de leurs dix meilleurs détaillants communs (c’est-à-dire, pour chaque année, les remises sur facture totales accordées à un client donné, divisées par le total des ventes brutes à ce client) au Royaume‑Uni, en Allemagne, en Italie et en Espagne, entre 2000 et 2003, montrait la stabilité globale des remises dans le temps (point 88 de la communication des griefs), les parties à la concentration auraient toutefois fait valoir, sur la base des mêmes graphiques, que leurs traitements respectifs de certains clients au Royaume-Uni, en Allemagne et en Espagne, comportaient des différences notables (voir annexe B.5, réponse à la communication des griefs, point 4.21).

130    S’agissant de l’observation de la requérante selon laquelle « [i]l est loin d’être clair que les différences entre les remises obtenues par les dix plus gros clients soient l’expression de différences de traitement plutôt que de différences dans les résultats relatifs des portefeuilles de chacune des parties à la concentration », la Commission fait observer que, si c’est loin d’être clair, même pour un observateur ayant accès à l’ensemble des données, il est difficile d’imaginer comment les majors, dans des conditions de coordination tacite et d’information tout à fait imparfaite sur le marché, pourraient éliminer les « interférences » causées par la composition du portefeuille afin d’avoir une idée exacte de la pratique ou de la politique sous-jacente en matière de remises.

131    L’annexe B.6 au mémoire en défense reproduisant des éléments de preuve fournis par les parties à la concentration, couvrant une période de cinq ans, montrerait, dans chacun des cinq grands États membres, les variations, dans une fourchette parfois très large, des remises sur facture accordées par chaque partie à la concentration à ses dix meilleurs clients pour ses 20 meilleurs albums CD simples au cours d’une année donnée, lesquels représentent une part importante du chiffre d’affaires global des majors, de sorte qu’un traitement visible et équivalent au niveau des PPV et des remises constituerait l’un des éléments essentiels d’une éventuelle coordination des prix nets. Chaque tableau tendrait à montrer, pour une maison de disques donnée dans un pays donné, à la fois que certains clients ont bénéficié de remises très différentes au cours d’une année donnée ou pendant un certain nombre d’années pour ces albums les mieux vendus et qu’il existerait des différences marquées entre les remises les plus élevées et/ou les plus faibles accordées à différents clients au cours d’une année donnée, et ce même pour des clients appartenant à une même catégorie (par exemple les grossistes, les détaillants spécialisés, les supermarchés).

132    En outre, la comparaison des tableaux de ladite annexe pour Sony et BMG pour n’importe quel pays permettrait de conclure que les remises accordées par chacune d’elles à n’importe quel client pour n’importe quelle année ont souvent varié considérablement, en ce qui concerne tant les montants de remise les plus élevés et les plus faibles octroyés pendant cette période que l’écart entre ces deux chiffres.

133    La Commission doute de la pertinence de la conclusion de la requérante selon laquelle les tableaux révèlent des « régularités intéressantes » et fait observer que toute « régularité » de la sorte n’enlève rien à l’importance de la variation des remises en tant que preuve de la complexité et de l’opacité de la fixation des prix nets.

134    L’annexe B.8, présentant une ventilation par tranche des remises accordées par les parties à la concentration pour leurs 20 meilleurs albums CD respectifs entre 1998 et 2003 dans les cinq grands États membres, aurait permis à la Commission de vérifier quelle était la proportion des ventes de leurs 20 meilleurs albums CD simples respectifs, rapportées à l’ensemble des clients, que chacune des deux majors avait effectuées avec une remise donnée (exprimée en tranches étroites de 2,5 %) par rapport aux prix de catalogue des albums concernés. Plus généralement, la colonne verticale correspondant à chaque année dans ces tableaux montrerait que, quels que soient l’année ou le pays, aucune de ces deux majors n’a suivi de pratique uniforme en matière de remises, même pour cette sélection limitée de leurs albums les mieux vendus. Les lignes horizontales, relatives aux différentes tranches étroites de remises, montreraient également que les pratiques respectives des deux parties à la concentration en matière de remises ont varié dans le temps, d’une année à l’autre.

135    En outre, l’une des annexes au mémoire en défense (annexe B.9) montrerait que la répartition des remises accordées respectivement par Sony et par BMG pour leurs 20 meilleurs albums en 2003 était sensiblement différente.

136    L’observation de la requérante selon laquelle les différences dans les gammes de remises n’excluent pas que les remises soient basées sur un ensemble connu de règles reposerait sur la présomption erronée qu’il suffirait qu’un ensemble de règles soient connues pour que toutes les majors aient la certitude que ces règles soient respectées.

137    La Commission fait observer que l’analyse de corrélation effectuée par la requérante à l’annexe D.3 porte sur les remises d’une seule partie dans le temps et non sur l’alignement entre les parties à la concentration. En outre, même si cette analyse montrait que les structures de remises de chaque partie à la concentration étaient relativement stables dans le temps, malgré les changements dans la composition des activités, cela confirmerait en fait l’argument de la Commission selon lequel les chiffres des prix nets moyens peuvent occulter des fluctuations considérables au niveau des albums ou des clients. Enfin, contrairement à ce que soutient la requérante, les fourchettes étroites de remise (de 2,5 %) dans les graphiques réduiraient en fait la sensibilité de l’analyse aux petites modifications des remises.

138    Par ailleurs, la Commission estime que les observations de la requérante sur certains graphiques, selon lesquelles ceux-ci montreraient plutôt une stabilité des remises ou un facteur de corrélation élevé entre les parties à la concentration, sont infondées.

139    L’annexe B.10 présentant, pour les cinq grands États membres, la répartition des prix nets entre les cinq principaux clients de chacune des deux parties à la concentration, montrerait que :

–        la répartition des prix nets varie fortement entre les deux majors, aussi bien en général que pour des clients spécifiques ;

–        la façon dont les achats de différents clients à une maison donnée se répartissent entre différentes tranches de prix nets est très variable. Cette observation vaudrait même pour les clients appartenant à une même catégorie (comme les grossistes, les détaillants spécialisés, les supermarchés), dans la mesure où plus d’un client d’une catégorie donnée figure dans le tableau.

140    La Commission convient avec la requérante que les variations dans la distribution des prix nets payés par des clients importants aux différentes majors peuvent être attribuables aux différences dans leurs habitudes d’achat et dans l’assortiment de produits de la maison de disques. Elles seraient toutefois loin d’être dénuées de pertinence. En effet, même si une grande maison de disques était en mesure de découvrir les différents prix nets payés pour différents albums d’une autre grande maison de disques par un client commun (ce qui, selon les preuves disponibles, ne semblerait pas probable), elle ne pourrait dire si ces prix sont l’expression de l’adhésion aux règles nécessairement complexes postulées par la requérante ou d’une déviation par rapport à ces règles sans disposer, à tout le moins, d’informations beaucoup plus nombreuses au sujet des albums auxquels ces prix se rapportent.

141    En outre, si l’assortiment de produits et les degrés de succès variables devaient expliquer la totalité ou la majeure partie des variations pondérées de la distribution des prix figurant dans cette annexe, cela montrerait également la futilité de toute tentative de coordination fondée sur l’ensemble des prix moyens nets, telle que postulée par la requérante.

142    La Commission conteste la pertinence des éléments avancés par la requérante afin d’établir que les documents annexés au mémoire en défense ne prouvent pas une importante variation des prix.

143    En outre, la Commission disposerait également d’éléments de preuve, concernant des PPV de la catégorie des prix forts (voir annexe B.11), indiquant que certains clients très importants de l’une des deux parties à la concentration avaient chacun payé à cette maison de disques, au cours d’une année (2003), des prix nets différents (autrement dit, avaient bénéficié de remises différentes) pour des albums ayant le même PPV. L’écart entre le prix net le plus élevé et le prix net le plus bas payé pour des albums d’un PPV précis serait souvent considérable.

144    Il ressortirait des éléments de preuve produits par BMG (voir annexe B.12) concernant la part de la remise moyenne totale accordée à chacun de ses dix meilleurs clients que, dans un pays (pays F), les remises promotionnelles moyennes par client fluctuaient entre 8,5 % environ et 13 %, excédant largement les remises ordinaires moyennes (qui variaient de 3 à 10 %) pour la quasi‑totalité des clients, tandis que, dans un autre pays (pays C), la remise promotionnelle moyenne (fluctuant entre 2 et 5 %) représentait environ la moitié, voire davantage, de la remise la plus élevée globalement applicable, c’est-à-dire en excluant la remise de gros spécifique. Dans les trois autres pays (pays B, D et A), le niveau des remises promotionnelles moyennes aurait connu des variations marquées d’un client à l’autre, fluctuant respectivement entre 0,5 et 12,5 % ; 0,5 et 13 % ; 2,5 % environ et 14,5 %. Dans les trois pays, les remises promotionnelles moyennes auraient surpassé les remises ordinaires moyennes pour l’un des meilleurs clients, alors qu’elles auraient été beaucoup moins importantes pour d’autres.

145    Contrairement à ce qu’affirme la requérante, la circonstance que chacune de ces annexes ne montre de différences que dans les prix nets ou les remises de l’une des parties notifiantes ne signifie pas qu’elles sont privées de pertinence. Le fait que les remises d’une seule grande maison de disques varient en fonction des clients (y compris de clients du même type, dont on peut s’attendre à ce qu’ils s’intéressent à des éléments similaires de son assortiment de produits) indiquerait en effet que, même si un concurrent devait acquérir une connaissance des remises accordées par cette grande maison de disques à un client, cette connaissance ne pourrait être extrapolée aux pratiques générales de ladite maison de disques en matière de remises. En outre, les modalités d’exercice d’une coordination couvrant des clients individuels ainsi que des types de clients seraient beaucoup trop complexes.

146    La Commission aurait également reçu des « déclarations de témoins » indiquant que, pour la même maison de disques, des remises promotionnelles sont accordées tant pour les albums de présentation que pour le catalogue des titres (annexe B.2).

147    Cela serait confirmé par l’annexe B.13 composée de graphiques présentés par les parties à la concentration indiquant, pour chacun des cinq grands pays, les remises sur facture accordées par chacune d’entre elles à leurs meilleurs clients communs pour leurs albums les mieux vendus en 2002, avec des PPV de la catégorie prix fort très similaires. Rappelant que, pour toute maison de disques et tout client, la remise ordinaire devrait être stable pour tous les albums sur une année donnée, la Commission en déduit que la variation des remises sur facture accordées par une grande maison de disques à un client donné pour divers albums de même PPV doit être attribuable à des remises promotionnelles accordées à un moment donné aux albums de présentation en question. Les graphiques révéleraient de telles variations dans les pratiques de facturation de chaque maison de disques notifiante, à l’égard de certains clients au moins, dans tous les pays concernés.

148    La Commission souligne que la requérante fait grief à la Commission de n’avoir pas examiné « certains principes simples qui différencieraient des albums d’un même prix de référence et qui pourraient expliquer les différences dans le niveau des remises promotionnelles », mais, en vue de décrire ceux-ci, cite six critères qui, comme ils sont en principe compatibles entre eux, causeraient une forte augmentation du nombre de combinaisons de règles potentiellement applicables aux seules remises promotionnelles. La requérante ne ferait en outre aucune tentative de quantification, alors qu’elle devrait être essentielle si les modalités d’exercice de la coordination au sujet des prix doivent permettre de prédire avec une exactitude raisonnable le niveau de remise pour un titre donné au cours d’une campagne promotionnelle donnée – et, évidemment, d’établir si les remises effectives sont conformes à ces règles, ou s’écartent des principes communs de fixation des prix.

149    La variation des remises promotionnelles ressortirait d’un certain nombre d’exemples : divers types de clients auraient bénéficié de différents niveaux de remise pour des albums appartenant à un même genre musical ; divers clients auraient bénéficié de remises différentes pour le même album ; un même client aurait bénéficié de remises différentes pour des albums différents ; un même client aurait bénéficié de remises limitées dans le temps pour un album précis.

150    Enfin, la conclusion générale de la Commission constatant une « certaine variation du niveau des remises pratiquées par les grandes maisons » sur les grands marchés (considérants 78, 85, 92, 99 et 106 de la décision) serait également corroborée par des éléments de preuve d’ordre économique concernant les remises des cinq majors. Sur la base des informations obtenues par la Commission auprès de ces cinq majors au sujet de leurs remises sur facture pratiquées en 2003, les experts économiques des parties à la concentration, dans l’étude RBB, ont conclu comme suit :

« Nous comparons également la répartition des remises sur facture accordées par les parties A, B, C, D et E dans chacun des cinq principaux pays en 2003. L’analyse met en exergue des différences significatives dans la répartition des remises de ce type accordées par les majors. Cela confirme que leurs politiques de tarification ne sont actuellement pas alignées. »

 Transparence des remises

151    La décision soulignerait que, selon plusieurs clients dans les grands États membres, les majors avaient une « certaine connaissance » des remises ordinaires (plus stables) pratiquées par leurs concurrentes (voir notes en bas de page nos 45, 49, 52, 55 et 57 de la décision). Cette question aurait été abondamment débattue lors de l’audition organisée par la Commission. Les parties à la concentration auraient fait valoir qu’un certain nombre de réponses positives ne concernaient que les PPV ou ne faisaient pas de distinction entre les PPV et les remises. Cinq réponses seulement (provenant de Belgique, de France et d’Italie) sur un total de 36 réponses accessibles émanant de tous les pays auraient indiqué expressément qu’il existait une certaine transparence des remises ; le point de vue opposé aurait été défendu expressément dans 11 réponses. Sur la base des réponses des détaillants, des « déclarations de témoins » de cadres nationaux de Sony et de BMG (voir les extraits pertinents à l’annexe B.2) et de l’absence d’informations sur les remises constatées dans les rapports de suivi des représentants commerciaux qui lui avaient été remis (voir annexe B.15), la Commission aurait conclu que, si quelques détaillants ont perçu chez les majors une certaine connaissance de la politique de tarification des autres grandes maisons, cette connaissance pouvait porter sur les PPV, relativement transparents, et dans une certaine mesure sur les remises ordinaires, négociées annuellement, mais ne s’étendait probablement pas aux remises promotionnelles, qui sont négociées au cas par cas. Les relations entre les majors et une clientèle stable (considérant 112 de la décision) pourraient permettre d’obtenir certaines informations sur les remises annuelles, mais ne sembleraient pas favoriser la transparence au sujet de campagnes promotionnelles de brève durée.

152    La Commission aurait constaté que les remises promotionnelles seraient moins transparentes que les remises ordinaires et que leur suivi nécessiterait une observation minutieuse des promotions sur le marché de détail (considérants 80, 87, 94, 101 et 108 de la décision). Le système de rapports hebdomadaires produits par les forces de ventes de Sony et de BMG (comprenant des observations relatives aux concurrents) n’atteindrait toutefois pas le degré de transparence requis au sujet de ces remises. La Commission n’aurait notamment pas découvert de preuves suffisantes pour démontrer que le suivi des prix de détail ou les contacts avec les détaillants permettaient aux majors de pallier le manque de transparence des remises, en particulier des remises promotionnelles.

153    Les rapports de suivi du marché produits par les parties à la concentration figurant à l’annexe B.15 ne contiendraient pas le type d’informations détaillées sur les remises des concurrents qui permettrait un suivi efficace des prix nets demandés pour les albums individuels aux différents clients. En outre, dans d’autres pays, ils seraient beaucoup plus brefs, voire inexistants. Les représentants de BMG, notamment, ne présenteraient des rapports formels de suivi qu’en France et en Autriche.

154    Si la Commission convient ne pouvoir aisément prouver qu’il n’existe pas de mécanisme de fixation de prix consistant en une série de règles générales, elle fait observer que la requérante ne s’est pas donné la peine de fournir la preuve positive de la façon dont un tel mécanisme de fixation des prix serait conçu, puis appliqué à d’innombrables contrats individuels, ni comment son respect serait assuré.

155    La Commission déclare s’étonner, par ailleurs, que la requérante conteste directement la nécessité d’une surveillance pour établir une position dominante collective.

156    La conclusion de la Commission relative à l’inefficacité du suivi des ventes de détail se fondrait également sur la complexité et l’opacité de la fixation des prix de détail. Une étude présentée par les parties à la concentration (annexe B.17) montrerait qu’il existe de fortes variations des prix de détail pratiqués par les principaux détaillants pour des albums CD comparables dans chaque grand segment de prix (prix forts, moyens et petit budget) et que la fixation des prix de détail est aussi complexe que celle des prix de gros. En outre, pour un album donné de cette même sélection des cinq meilleures ventes, les prix de détail varieraient souvent à la fois dans le temps, pour n’importe quel détaillant, et de manière plus prononcée d’un détaillant à l’autre, à tout moment.

157    Les éléments de preuve (figurant à l’annexe B.17, section 2) montreraient qu’un suivi intensif par les majors de l’évolution des prix de détail pratiqués par chaque détaillant pour chaque album important ne permettrait pas à une grande maison de disques d’en inférer les pratiques de fixation des prix nets (PPV diminué de la remise sur facture) de ses principales concurrentes pour un album donné. Les détaillants n’appliqueraient en effet pas tous systématiquement la même majoration au prix de gros, à un moment donné, ni à toutes les catégories d’albums ni même à tous les albums de la catégorie plus limitée des prix forts (tableau 2.1).

158    Enfin, la Commission n’aurait constaté aucun lien démontrable entre les prix de détail et les remises sur facture accordées pour des albums de même PPV. Au contraire, l’étude présentée par les parties à la concentration tendrait à démontrer que, pour les albums de la catégorie prix fort comme pour les autres albums, les variations du prix de détail d’un album donné à un moment donné dans divers points de vente au détail n’avaient aucun lien précis avec les remises sur facture accordées à ces détaillants pour cet album (tableau 3.1).

159    Face à des pratiques de fixation des prix de détail aussi variées et imprévisibles, une grande maison de disques ne pourrait conclure avec certitude qu’un détaillant donné appliquerait aux albums équivalents des autres grandes maisons le même niveau ou schéma de majoration qu’à ses propres albums, et ne pouvait se faire une idée fiable des prix nets des concurrents, ni pour un album donné ni globalement, sur la base du ratio prix de détail/prix de gros appliqué par un détaillant donné à ses propres albums, considérés individuellement ou globalement.

160    La Commission souligne que l’affirmation de la requérante selon laquelle « il serait surprenant qu’il n’y ait pas de relation bien définie et systématique entre les prix de détail moyens des albums d’une catégorie déterminée, vendus à un détaillant déterminé, et leurs prix de gros effectifs, sur une gamme suffisamment étendue de titres et sur une durée raisonnable » n’est accompagnée d’aucune preuve à l’appui. Un degré suffisamment élevé d’agrégation sur les albums et dans le temps tendrait à masquer la variation au niveau des titres individuels – ayant souvent des niveaux de vente importants – auxquels une coordination tacite au sujet des prix devrait inévitablement s’intéresser. Une grande maison de disques ne pourrait établir de manière fiable à partir de la relation prix de détail/prix de gros de ses propres albums – qui, comme la requérante le souligne tout au long de ses observations, représentent, à tout moment, un assortiment de produits spécifique – si cette relation vaut également pour les autres majors.

161    La Commission fait valoir que les critiques de la requérante relatives à l’étude RBB et au prétendu défaut de la Commission de soumettre celle-ci aux opérateurs du marché se limitent à un certain nombre d’affirmations non étayées.

 Liens structurels

162    S’agissant des compilations, les parties à la concentration auraient montré que les partenaires d’une entreprise commune ne reçoivent qu’un chiffre moyen de remise (non ventilé par type de remise ou par client) sur les ventes de l’album de compilation en cause. Eu égard aux variations observées dans la pratique des remises selon les albums et les clients et dans le temps, à l’importance des remises promotionnelles et aux différences probables de remises promotionnelles entre les compilations et les albums simples, les compilations ne pourraient pas garantir la transparence nécessaire et ne seraient donc pas pertinentes aux fins de son analyse.

163    De même, les accords de distribution ou de licence regrouperaient rarement plus de deux majors et ne constitueraient donc pas un vecteur approprié pour l’échange multilatéral des informations très complexes sur les pratiques de fixation des prix nets de toutes les majors qui seraient nécessaires à une coordination tacite sur cette base. Enfin, comme les négociations sur les redevances en matière d’édition musicale seraient collectives et auraient lieu entre les associations nationales de maisons de disques (grandes maisons et maisons indépendantes) et les sociétés nationales de gestion collective (représentant les éditeurs et les auteurs) et ne traiteraient pas de la fixation des prix de la musique enregistrée, la Commission a conclu qu’elles n’étaient pas pertinentes aux fins de l’analyse de la transparence.

 Mesures de rétorsion

164    Il ressortirait des considérants 114 et 118 de la décision que la Commission n’aurait pas cherché à vérifier l’existence d’éventuels mécanismes crédibles de rétorsion (elle aurait décelé un certain nombre de mécanismes potentiellement crédibles), mais plutôt à déterminer avant tout si le parallélisme et la stabilité des remises observés à certains niveaux d’analyse très généraux étaient ou non attribuables à une coordination tacite, malgré la complexité des décisions individuelles de fixation des prix nets, la dispersion des prix nets individuels sur plusieurs dimensions et le manque apparent de transparence suffisante. Des preuves manifestes de mesures de rétorsion appliquées par les autres majors en réaction à une « déviation » par rapport aux niveaux habituels des prix nets moyens ou des remises sur facture moyennes auraient pu constituer un indice (quoique de toute évidence non décisif) de l’existence d’une coordination. L’absence de preuves de mesures de rétorsion, sous la forme d’un recours généralisé à une concurrence accrue au niveau des prix ou des compilations, de la musique en ligne ou de l’édition musicale, pourrait être considérée comme un indice « négatif » de ce que le degré d’alignement observé à un niveau global n’était pas le fruit d’une coordination tacite.

165    Quant à la question plus générale de savoir s’il existe des mécanismes de rétorsion suffisamment crédibles pour assurer une coordination durable sur le marché de la musique enregistrée, la Commission aurait manifestement considéré l’éventuelle exclusion de l’entreprise déviante des albums de compilation ou le refus de prendre part à ses propres compilations (en dehors du retour à une concurrence tarifaire) comme la méthode potentielle la plus digne d’intérêt. Les éléments exposés par la Commission aux considérants 116 et 117 de la décision ne seraient pas concluants. D’une part, les majors disposeraient effectivement d’un réseau d’entreprises communes de compilation (considérant 116 de la décision) et ces albums représenteraient une part importante du marché de la musique enregistrée (entre 15 et 20 %) et réaliseraient pour la plupart des ventes considérables (considérant 115 de la décision). D’autre part, un mélange d’artistes appartenant à différentes maisons de disques semblerait être un facteur clé de ce succès (considérant 115 de la décision), les compilations faisant intervenir deux ou trois majors étant de loin les mieux vendues (considérant 116 de la décision). De toute évidence, le recours à ce mécanisme de rétorsion pourrait entraîner le sacrifice des bénéfices supplémentaires susceptibles d’être générés par une compilation associant les artistes de l’entreprise déviante. Eu égard à ce mélange d’éléments incitatifs et dissuasifs, et en l’absence d’éléments de preuve indiquant que des mesures de rétorsion de cette nature auraient été soit appliquées, soit utilisées comme menace dans le passé, la Commission n’aurait pas été en mesure de conclure qu’un mécanisme pouvant « représenter en général des moyens de rétorsion crédibles pour les [m]ajors » était, ou serait, suffisamment crédible pour assurer une coordination passée ou future.

c)     Autres États membres

166    Dans les autres États membres, plus petits, la majeure partie des ventes totales de chaque grande maison (entre 50 à 60 % et 90 à 100 %) aurait été réalisée en utilisant cinq PPV et (à l’exception de l’Autriche) deux PPV de chaque grande maison auraient représenté entre 30 à 40 % et 60 à 70 % des ventes totales de CD de chaque grande maison de disques en 2003.

167    Par ailleurs, les remises sur facture présenteraient des variations importantes d’un client à l’autre pour chacune des parties à la concentration. L’écart le plus réduit entre les remises moyennes les plus élevées et les plus faibles accordées par l’une des parties à la concentration à ses dix meilleurs clients (les cinq meilleurs en Irlande) était de 5,7 %, tandis que l’écart entre les remises moyennes les plus élevées et les plus basses accordées à un client faisant partie des dix meilleurs n’était inférieur à 10 % dans aucun pays, pour les deux parties notifiantes.

168    La Commission aurait constaté (considérants 148 à 152 de la décision) un certain nombre de similitudes entre les marchés des petits pays et les cinq grands marchés. Sur la base des éléments de preuve produits à propos des petits pays, il serait impossible de démontrer l’existence d’une véritable coordination tacite entre les majors sur ces marchés.

2.     Présentation incorrecte de la décision dans la requête

169    La Commission rappelle, à titre liminaire, qu’une communication des griefs n’est qu’un acte préparatoire à caractère provisoire (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, International Business Machines/Commission, 60/81, Rec. p. 2639) et qu’elle n’est pas spécifiquement tenue d’indiquer pourquoi elle s’écarte de son point de vue provisoire. Il ne suffirait pas que la requérante fasse observer que les caractéristiques du marché n’ont pas changé au cours de la période séparant la communication des griefs de l’adoption de la décision. Bien que cela puisse être en grande partie exact sous un angle objectif, cela ne le serait certainement pas en ce qui concerne l’étendue de la connaissance et de la compréhension que la Commission a du marché. Pour arrêter sa position finale, la Commission aurait pris dûment en considération les observations détaillées présentées par les parties à la concentration en réponse à la communication des griefs.

170    La Commission fait observer que, sur plusieurs points, la requérante donne une vision déformée de la décision.

171    Tout d’abord, la décision n’indiquerait pas que les majors présentent « toutes les caractéristiques d’un groupe dominant ».

172    Ensuite, la décision ne constaterait pas que les majors étaient en mesure de maintenir des prix élevés. Le considérant 56 de la décision indiquerait plutôt que les prix ont diminué, mais de manière moins marquée que les parties à la concentration ne l’ont prétendu, et le considérant 58 de la décision ne porterait que sur le niveau perçu comme élevé des prix des CD.

173    Enfin, la Commission n’aurait pas constaté dans la décision que le marché présente toutes les caractéristiques propices à une coordination tacite. La décision n’affirmerait notamment pas qu’une coordination a effectivement lieu, mais tout au plus que la Commission avait découvert certains indices de coordination (considérant 109 de la décision). Bien que la Commission souligne, aux considérants 112 et 113 de la décision, une certaine stabilité de la clientèle et l’existence d’un contrôle, elle n’estimerait pas ce contrôle suffisant pour pallier le manque de transparence des remises, notamment des remises promotionnelles.

3.     Sur la première branche

a)     Sur la violation de l’obligation de motivation

174    La Commission estime utile d’exposer les exigences générales de l’article 253 CE avant d’examiner les arguments spécifiques développés par la requérante.

175    Premièrement, la Commission souligne qu’il importe de distinguer entre une prétendue absence de motivation suffisamment claire de l’adoption d’un acte et l’indication de motifs qui sont fondés sur des erreurs de fait, d’appréciation ou de droit, le deuxième cas concernant une question de fond plutôt qu’une violation des formes substantielles et ne constituant pas une violation de l’article 253 CE (arrêts du Tribunal du 7 novembre 1997, Cipeke/Commission, T-84/96, Rec. p. II-2081, points 46 et 47, et du 14 mai 1998, Buchmann/Commission, T-295/94, Rec. p. II-813, points 44 et 45).

176    Deuxièmement, la Commission rappelle que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution et que la Commission n’a pas l’obligation de commenter tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés par chaque intéressé au cours de la procédure administrative mais doit avoir égard au contexte, ainsi qu’à l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée.

177    Parmi les facteurs contextuels pertinents figurerait le degré de connaissance préalable de considérations ou de faits pertinents par les personnes concernées par un acte, étant entendu qu’une connaissance du secteur peut être attendue de certaines personnes ou être acquise par l’étroite participation des personnes concernées à la procédure aboutissant à l’adoption de l’acte ou à une procédure connexe. L’impératif de célérité dans le contrôle des concentrations aurait également été jugé pertinent pour déterminer le caractère approprié d’une motivation.

178    Lorsque certains faits pertinents sont couverts par l’obligation de secret professionnel édictée à l’article 287 CE, l’institution compétente doit néanmoins veiller à ce que l’essentiel de sa motivation soit communiqué aux personnes concernées.

179    Lorsque le sens du texte n’apparaît pas à la première lecture, l’article 253 CE n’est toutefois pas enfreint si un effort normal d’interprétation permet de lever les ambiguïtés que contient la motivation.

180    Il conviendrait également de noter que la Cour de justice a considéré que « la Commission n’est pas tenue d’expliquer d’éventuelles différences par rapport à sa communication des griefs, qui constitue un document préparatoire dont les appréciations sont de caractère purement provisoire et destinées à circonscrire l’objet de la procédure administrative vis-à-vis des entreprises faisant l’objet de cette procédure ».

181    Enfin, si une concentration ne modifie pas, ou modifie dans une mesure très limitée, la situation concurrentielle d’un marché donné, on ne saurait exiger de la Commission qu’elle produise une motivation spécifique sur cette question. La Commission n’enfreindrait pas non plus son obligation de motivation si elle n’inclut pas dans sa décision de motivation précise quant à l’appréciation d’un certain nombre d’aspects de la concentration qui lui semblent manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires pour l’appréciation de cette dernière.

 Homogénéité du produit

182    S’agissant du grief de la requérante selon lequel la constatation relative à l’homogénéité du produit est insuffisamment motivée, la Commission affirme qu’elle n’a pas constaté que « l’hétérogénéité du contenu devrait avoir plus de poids que l’homogénéité du format », mais a simplement conclu que les deux aspects devaient être pris en compte. De même, la standardisation de nombreux aspects du processus de fixation des prix de vente en gros des CD (par l’emploi des PPV les plus courants et les remises ordinaires pour chaque client) ne serait pas « infirmée », mais plutôt relativisée, par la mention du rôle joué par le succès dans la fixation des prix des albums individuels. En bref, les albums CD simples ne seraient pas comparables à des barils de pétrole et la possibilité de considérer plusieurs albums CD comme appartenant au même marché (par le biais d’un « continuum de substituabilité ») ne les rendrait pas parfaitement homogènes, du point de vue du produit lui‑même ou du processus de fixation des prix. Le résultat ne serait pas une « série de constatations contradictoires », mais le reflet d’une réalité complexe.

 Transparence

183    La requérante ne pourrait prétendre ne pas avoir compris la décision attaquée au motif que la Commission n’aurait pas fourni une définition de ce qu’elle entend par « remises promotionnelles » dès lors qu’elle est une association sectorielle, qui a participé activement aux discussions lors de l’audition organisée par la Commission et se prétend elle‑même familiarisée avec le fonctionnement de ces remises. En tout état de cause, la décision expliquerait à suffisance de droit ce que recouvrent les différents types de remises (considérants 78, 79, 85, 92, 93, 99, 100, 106, 107 et 113).

184    De même, ce serait à tort que la requérante prétendrait que l’analyse générale des pays plus petits, effectuée par la Commission aux considérants 148 et suivants, ne porte que sur les remises ordinaires. La Commission ferait simplement observer, au considérant 150 de la décision, que les remises ordinaires sont les plus importantes dans tous les pays, mais analyserait ensuite la catégorie plus étendue des remises sur facture (qui comprend les remises ordinaires et les remises promotionnelles), ainsi qu’elle l’avait déjà fait pays par pays aux considérants 119 à 146. Il n’y aurait là ni confusion ni incertitude.

185    Dans la décision, la Commission attacherait une grande importance aux remises promotionnelles, car ce seraient les prix nets qui importeraient pour une coordination efficace. Une « certaine connaissance » des remises ordinaires ne serait pas suffisante si les remises promotionnelles sont responsables d’une fluctuation des remises pour certains clients, dans le temps et d’un album à l’autre, aussi forte que celles mentionnées aux considérants 79, 86, 100 et 107 de la décision.

186    La Commission aurait examiné les remises des autres majors, mais ces chiffres ne pouvant pas être révélés aux parties notifiantes, il n’aurait pas été possible de les inclure dans la décision. Cela ne serait d’ailleurs pas nécessaire, car les pratiques opaques en matière de remises de deux majors seraient suffisantes pour faire obstacle à un suivi efficace des prix nets par toutes les majors. En outre, les affirmations de la requérante relatives à la fixation des prix figurant à l’annexe A.17 se fonderaient sur l’idée que toutes les maisons de disques établissent leurs prix nets de la même manière.

 Moyens de dissuasion

187    Il ressortirait de la décision (notamment du considérant 114) que la Commission a examiné la menace d’utilisation ou l’utilisation réelle d’éventuels mécanismes de rétorsion dans le passé en tant que moyen complémentaire de vérifier si un certain degré d’alignement des prix à un niveau global était attribuable à une coordination tacite. En l’absence de preuves de leur utilisation effective, la Commission n’aurait pas été en mesure d’adopter une position définitive au sujet du caractère suffisant des divers mécanismes de rétorsion éventuels mentionnés dans la décision.

 Contrepoids

188    Les conditions d’une constatation de position dominante collective actuelle ou future étant cumulatives, la Commission n’aurait pas eu à établir de conclusions concernant le pouvoir contraignant des concurrents et des consommateurs et n’aurait donc pas eu à fournir de motivation à cet égard.

b)     Sur l’erreur manifeste d’appréciation et sur l’erreur de droit

189    Estimant qu’ils se recoupent, la Commission examine conjointement les motifs d’annulation tirés de l’erreur manifeste d’appréciation et de l’erreur de droit.

190    À titre liminaire, la Commission formule deux observations.

191    D’une part, s’agissant de l’argument selon lequel, lorsque la Commission est appelée à mettre en balance des arguments contradictoires, elle ne doit pas donner trop de poids à l’un d’eux, la Commission rappelle la marge discrétionnaire dont elle dispose lorsqu’il s’agit de procéder à des appréciations économiques complexes et fait valoir que la décision est toutefois extrêmement mesurée dans ses conclusions et que la requérante ne mentionne sur ce point, parmi les éléments de preuve dont disposait la Commission, aucun élément qui, à son sens, se serait vu accorder trop ou trop peu de poids.

192    D’autre part, s’agissant de l’affirmation selon laquelle une décision qui ne fait pas mention de preuves factuelles suffisamment détaillées au soutien de ses conclusions est entachée d’une erreur d’appréciation manifeste, la Commission précise qu’il s’agit essentiellement d’une question de motivation et soutient qu’elle n’a aucune obligation d’exposer dans ses décisions le détail des éléments de preuve souvent volumineux (et confidentiels) qu’elle a pris en considération. Il suffirait qu’elle indique clairement la teneur générale des éléments de preuve qu’elle a examinés et les motifs des conclusions qu’elle en a tirées, de façon à permettre aux parties intéressées, et en particulier à celles qui ont une connaissance du secteur et ont déjà été étroitement associées à la procédure administrative, de se forger leur propre opinion sur la légalité de ces conclusions. En l’espèce, les diverses appréciations portées dans la décision sur le fonctionnement des marchés de la musique enregistrée seraient étayées par d’abondantes preuves complexes.

 Homogénéité du produit

193    La Commission soutient que la requérante se trompe lorsqu’elle affirme que l’hétérogénéité du contenu n’est pas pertinente au motif que les prix sont fixés sur la base d’un nombre limité de prix de référence. Les prix de référence ne concerneraient en effet que les prix de catalogue des albums, mais non les remises sur facture. En particulier, les remises promotionnelles varieraient, notamment, d’un album à l’autre.

194    La Commission fait valoir qu’une position dominante collective peut être plus difficile à détecter sur des marchés caractérisés par une différenciation entre les produits, notamment lorsque cette différenciation « accentue les difficultés d’information sur des marchés non transparents » [voir les Lignes directrices de la Commission sur l’appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, C 31, p. 5), point 45].

 Transparence

195    Préalablement à l’examen des différentes affirmations de la requérante, la Commission estime nécessaire de commenter quatre erreurs fondamentales contenues dans la requête, deux erreurs à caractère juridique et conceptuel et deux erreurs d’interprétation de la décision.

196    En premier lieu, la requérante commettrait une erreur conceptuelle fondamentale lorsqu’elle présume que la constatation d’un parallélisme important des prix nets moyens des majors ou d’une stabilité importante des remises moyennes d’une maison de disques donnée constitue une preuve suffisante tant de la coordination tacite que de la transparence nécessaire pour assurer durablement cette coordination aux conditions identifiées. Un certain degré d’alignement ou de stabilité à un niveau global ne saurait remplacer des preuves significatives et concordantes de l’existence d’une transparence suffisante pour permettre aux entreprises en situation d’oligopole de contrôler mutuellement leurs comportements sur le marché, et, en l’absence de preuves d’une transparence suffisante, on ne saurait présumer que chaque entreprise en situation d’oligopole a décidé de son comportement sur le marché en ayant une connaissance suffisamment précise du comportement des concurrents.

197    En deuxième lieu, la requérante commettrait une erreur juridique fondamentale lorsqu’elle reproche à la Commission de s’être appuyée sur des éléments de preuve concernant les remises sans toutefois constater que les remises pratiquées ont conduit à des réductions significatives de prix et lorsqu’elle affirme que la concurrence en ce qui concerne les remises est en réalité tout à fait marginale. Cette affirmation ne trouverait aucun fondement dans les faits : les remises sur facture moyennes des parties à la concentration représenteraient au contraire une proportion très importante de leurs ventes brutes moyennes (considérants 56, 78, 85, 92, 99, 122, 125, 128, 131, 134, 137, 140, 143 et 146 de la décision) et certains clients et albums bénéficieraient de remises encore plus grandes (considérants 79, 86, 93, 100 et 107 de la décision). Les remises représenteraient donc un élément extrêmement important du processus de formation des prix et seraient peut-être le moyen le plus probable et certainement le moins transparent par lequel une major pourrait entreprendre « une action fortement concurrentielle destinée à accroître sa part de marché (par exemple une réduction de prix) ». L’intérêt de la Commission pour la transparence des remises n’aurait pas directement pour objet de vérifier si les majors ont suivi dans le passé une hypothétique ligne d’action commune, mais si les entreprises en situation d’oligopole elles‑mêmes auraient pu suivre durablement (ou pourraient suivre durablement après la concentration) une telle ligne d’action commune par une surveillance mutuelle adéquate. Il n’était donc pas nécessaire, selon la Commission, de démontrer qu’une ou plusieurs majors avaient en fait abaissé leurs prix par rapport à ceux des autres par le biais de remises supplémentaires importantes.

198    En troisième lieu, la requérante commettrait une erreur fondamentale d’interprétation de la décision en reprochant à la Commission de confondre la « transparence de marché suffisante » de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, avec une exigence de transparence totale appliquée dans la décision. La décision mentionnerait en effet constamment un « degré de transparence suffisant » (considérants 73, 80, 87, 94, 108 et 120 de la décision). La requérante méconnaîtrait en outre le caractère de l’étude menée par la Commission au sujet du système de fixation des prix. La Commission aurait examiné les éléments du prix net d’un album individuel vendu à un client individuel (PPV, remise ordinaire, remise promotionnelle éventuelle) et aurait conclu qu’un degré de transparence suffisant de tous les éléments serait nécessaire pour qu’une grande maison de disques puisse avoir raisonnablement la certitude qu’elle connaît les véritables pratiques de fixation des prix nets d’une autre maison de disques, telles qu’elles s’expriment au niveau des clients et des albums. La Commission fait valoir qu’elle ne pouvait parvenir à une telle conclusion en présence de preuves d’une relative transparence des PPV, de quelques preuves d’une certaine transparence des remises ordinaires, et de preuves solides du caractère opaque et complexe des remises promotionnelles.

199    En quatrième lieu, la requérante aurait encore commis une erreur fondamentale d’interprétation en affirmant que la Commission aurait constaté que les PPV et les prix nets moyens connaissaient une évolution parallèle. Cette affirmation serait fausse. La Commission aurait constaté que, sur chacun des grands marchés, les prix bruts réels moyens et les prix nets réels moyens des parties notifiantes ont connu une évolution parallèle (considérants 77, 84, 91, 98 et 105 de la décision), mais non que les remises moyennes étaient identiques pour les deux parties à la concentration (considérants 78, 85, 92 et 99 de la décision et observations relatives à l’annexe B.6). La Commission souligne que les remises varient en fonction des clients et des albums, et dans le temps (considérants 79, 86, 93, 100 et 107 de la décision et commentaires des éléments de preuve sous‑jacents). Les éléments de preuve en question ne montreraient pas qu’un PPV donné sera systématiquement diminué d’une remise fixe et prévisible indépendamment de ces variables (voir, notamment, l’annexe B.13).

200    La Commission estime, ensuite, devoir apporter un certain nombre de corrections ou de clarifications aux affirmations de la requérante :

–        les évolutions relativement similaires des prix des majors se seraient situées dans une fourchette qui dépassait généralement 10 % (voir, par exemple, l’annexe B.10) ;

–        l’emploi d’un nombre limité de PPV clés en tant que base serait nuancé par la nécessité de surveiller, au minimum, chaque année plus de 80 albums à succès, dont les PPV fluctuent ;

–        les prix de détail sont publics et donc en principe observables, mais il serait difficile aux majors d’en suivre les évolutions constantes d’un détaillant à l’autre et dans le temps ;

–        il n’existerait aucune preuve de ce que les rapports des parties à la concentration relatifs au suivi de certains marchés contiennent des informations utiles sur les prix nets des concurrents ou sur les marges des détaillants ;

–        la requérante ne produirait pas la moindre preuve au soutien de son affirmation selon laquelle les marges des détaillants sont transparentes et connues avec un degré élevé de précision ; cette affirmation non étayée serait contredite par les preuves contenues dans le dossier (annexe B.17), qui montreraient que la fixation des prix de détail est complexe et imprévisible. La constatation de la Commission selon laquelle une déviation sensible des politiques de prix au moyen de remises serait apparue dans les prix moyens nets d’une grande maison de disques serait sans rapport avec cette question. Elle serait en fait doublement dénuée de pertinence ; premièrement, elle se rapporterait à un phénomène que la Commission aurait pu, s’il s’était produit, observer en faisant usage de ses pouvoirs d’enquête, mais qu’aucune grande maison de disques considérée individuellement n’aurait pu percevoir parce que ni les niveaux généraux de remise des majors ni leurs prix moyens nets ne seraient transparents et, deuxièmement, l’interaction de niveaux généraux de remise et de prix moyens nets ne dirait rien de l’existence d’un lien fixe et transparent entre prix de détail et prix nets de gros ;

–        il n’existerait que peu de preuves fiables indiquant que les majors connaissent en détail leurs niveaux réciproques de remises ordinaires et promotionnelles, et des preuves considérables en sens contraire, dont la complexité objective des remises promotionnelles, qui varient en fonction des clients et des albums ainsi que dans le temps ;

–        la Commission se serait suffisamment concentrée sur les remises pratiquées par les parties à la concentration pour conclure à l’inexistence du degré de transparence mutuelle entre entreprises en situation d’oligopole qui serait nécessaire pour que la coordination tacite fonctionne ;

–        la coopération entre certaines majors pour les compilations et la distribution ne serait guère susceptible de révéler des informations suffisantes sur les décisions individuelles complexes de toutes les majors en matière de remises ;

–        la requérante ne produirait aucun élément prouvant qu’il existe un important taux de transfert de dirigeants entre majors, ou que ce taux est supérieur à celui d’autres secteurs concentrés, ou encore que la connaissance qu’a un dirigeant des pratiques en matière de remises, qui sont complexes et varient au niveau d’albums individuels ayant une « durée de vie » limitée, au moment où il quitte une grande maison de disques, serait utile pendant très longtemps ou permettrait durablement la coordination entre toutes les majors ;

–        bien que les hit-parades publiés facilitent l’identification des albums qui se vendent le mieux, ils ne donneraient que rarement des informations sur les PPV et jamais sur les remises ;

–        la décision ne pourrait être critiquée pour la simple raison qu’elle diffère de la communication des griefs.

201    Contrairement à ce que la requérante affirme, il ne serait pas « relativement aisé » d’établir des niveaux de remise et ce serait en fait pratiquement impossible pour les remises promotionnelles. L’affirmation de la requérante selon laquelle les remises promotionnelles représentent entre un quart et un tiers de l’ensemble des remises pourrait être admise à titre général comme base de discussion, mais elle devrait être nuancée à plusieurs égards.

202    Premièrement, le niveau global de ces remises varierait probablement d’une grande maison de disques à l’autre, à l’instar du niveau des remises en général.

203    Deuxièmement, les chiffres moyens figurant au dossier indiqueraient que les remises promotionnelles représentaient une proportion relativement plus élevée des remises sur facture dans plusieurs pays en 1998 ; les remises sur facture seraient celles qui ont la plus grande incidence immédiate sur les décisions d’achat de certains albums par les clients.

204    Troisièmement, ce chiffre moyen ne traduirait pas avec exactitude l’extraordinaire complexité et l’opacité de la répartition des remises promotionnelles en fonction des albums et des clients ainsi que dans le temps. Bien qu’il soit possible que les autres conditions de participation à des campagnes soient relativement standardisées et simples, les preuves dont disposerait la Commission contrediraient manifestement toute notion de standardisation ou de simplicité dans la négociation hebdomadaire du montant et de la durée de ces campagnes et de l’éligibilité de certains albums ou clients.

205    Quatrièmement, le fait même que les remises promotionnelles soient axées sur certains albums et sur certaines campagnes et que le montant soit ajusté pour chaque détaillant permettrait probablement à ces remises d’avoir un effet supérieur sur les ventes des albums en question.

206    Plus important encore serait le fait que la requérante ne produit pas de preuves établissant avec certitude que la Commission a commis une erreur en considérant que les remises promotionnelles revêtaient une grande importance sur des marchés où les 100 meilleurs albums de chaque grande maison de disques représentent la majeure partie de ses ventes totales pour une année et un pays donnés, étant entendu que bon nombre de ces albums ne figuraient pas au hit-parade.

207    La Commission aurait disposé, en revanche, de preuves (annexe B.13) qui indiqueraient que même certains des albums à prix fort de Sony et de BMG qui remportaient le plus de succès bénéficiaient de remises promotionnelles.

208    La Commission ajoute que les preuves relatives à la pratique effective de remises promotionnelles à un moment donné ne sont pertinentes que pour apprécier le degré effectif d’alignement des prix nets (tandis qu’elle a estimé, dans la décision, que les remises n’étaient généralement pas suffisamment alignées pour que l’on puisse en inférer l’existence d’une ligne d’action commune). Toutefois, la transparence des remises revêtirait de l’importance pour savoir si le système de fixation des prix présente une transparence inhérente suffisante pour que les majors puissent détecter avec précision et en temps utile si l’une d’elles s’écarte d’une ligne d’action commune en matière de prix nets des albums en augmentant les remises promotionnelles. Mis à part ses commentaires infondés sur la transparence des marges des détaillants, la requérante n’aurait pas avancé d’arguments ni de preuves concrètes sur ce dernier point, de sorte que son moyen serait en tout état de cause voué à l’échec.

209    Selon la Commission, la constatation relative au degré de transparence des prix nets sur le marché de la musique enregistrée n’était manifestement pas fondée sur la « spéculation » ou sur un « doute non étayé et subjectif », mais au contraire sur des preuves concrètes de la manière très complexe et insuffisamment transparente dont les éléments du prix net final (PPV, remise ordinaire et promotionnelle) sont déterminés pour la vente d’un album donné, au contenu spécifique, à un client donné. Dans ces circonstances, les preuves disponibles n’auraient pu s’interpréter comme établissant en toute probabilité l’existence d’une transparence suffisante pour permettre une surveillance adéquate et en temps utile du respect d’une ligne d’action commune en matière de prix.

210    S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel un nombre fini de structures et de règles connues et connaissables rendent les prix moyens prévisibles, la Commission rappelle qu’un certain degré d’évolution semblable des prix nets moyens des albums est insuffisant pour démontrer la coordination dans la mesure où les prix peuvent présenter un alignement considérable dans des contextes concurrentiels aussi bien que collusoires, car les entreprises réagissent à des facteurs extérieurs similaires (par exemple, les prix des intrants communs) ainsi qu’à leurs comportements réciproques sur le marché. La Commission soutient que la requérante confond l’identification des modalités d’exercice de la coordination (« règles connues et connaissables ») et les moyens de surveiller le respect de ces modalités (« transparence requise »), et ce d’autant plus qu’aucune grande maison de disques n’a normalement accès à la totalité, ou du moins aux plus importantes, des données de fixation des prix de toutes les grandes maisons de disques dans toutes les catégories d’albums et de clients étudiées qui seraient nécessaires pour l’établissement de prix nets moyens.

211    En outre, la requérante, tout en admettant que ces règles et stratégies de ventes peuvent conduire à des prix et à des remises variant considérablement selon les catégories de disques ou les clients, n’aurait pas indiqué quelles seraient ces règles ni comment elles seraient déterminées par coordination tacite pour une aussi grande variété de circonstances. Or, les majors ne pourraient déterminer si les variations de leurs prix nets moyens respectifs sont attribuables à une déviation ou à des variations de l’assortiment de produits ou du succès de ceux-ci sans disposer en temps utile d’informations détaillées sur ces changements dans la composition et la fortune de leurs offres de produits respectives et la Commission n’aurait pas découvert de preuves suffisantes de ce qu’elles ont accès à des informations aussi détaillées.

212    La requérante ne pourrait se borner à affirmer que la coordination se situerait en fait au niveau des grandes décisions stratégiques de chaque grande maison de disques au sujet des marges et des budgets généraux de remise sans indiquer quel pourrait être le contenu d’une telle décision ou la façon dont ces modalités d’exercice de la coordination pourraient être inférées, ou dont leur respect pourrait être surveillé, par les majors. La Commission n’aurait aucune obligation d’enquêter sur des arguments aussi vagues et non étayés.

213    S’agissant de la critique de la requérante à l’adresse de la méthode selon laquelle la plupart des données produites par la Commission n’étaient pas pondérées en fonction du volume, la Commission souligne que la question de l’adéquation d’une méthode donnée est indissociable de l’hypothèse que cette méthode est censée confirmer ou infirmer. Or, si la compilation de données pondérées est effectivement importante pour détecter s’il existe ou non un alignement sous-jacent entre les grandes maisons de disques, soit généralement, soit pour certains types d’albums (par exemple, les 20 albums les mieux vendus), cette pondération des données ne serait toutefois pas pertinente aux fins de l’examen de la complexité et de ses effets sur la transparence. Il resterait nécessaire d’examiner la variabilité des prix de titres individuels pour comprendre le niveau de complexité de la fixation des prix et le degré de transparence du marché.

214    La Commission rappelle qu’il est irréaliste d’envisager des modalités d’exercice de la coordination fondées sur les prix nets moyens. Elle fait observer toutefois que les chiffres concernant le degré de similitude observable (en l’absence de parallélisme) des prix nets moyens des grandes maisons de disques qu’elle a fournis dans la décision étaient pondérés en fonction du volume et qu’il en est de même des graphiques de l’annexe B.4, fondés sur les remises sur facture annuelles moyennes accordées à différents clients communs des parties à la concentration. D’importantes quantités d’autres données présentées dans le mémoire en défense, notamment celles des annexes B.8, B.9, B.10 et B.13, seraient également pondérées en fonction du volume et, dans chaque cas, cela découlerait de la nature de l’exercice.

215    Tous les éléments de preuve susmentionnés, pondérés en fonction du volume, seraient potentiellement pertinents pour déterminer s’il existe ou non un degré élevé d’alignement des pratiques des grandes maisons de disques ou en ce qui concerne la question de savoir si la fixation des prix est ou non complexe, question qui revêtirait de l’importance pour l’appréciation de la transparence. Dans ce dernier contexte, la question de la pondération en fonction du volume ne serait pas d’une grande importance. La variabilité des prix nets ou des remises selon les titres et les clients (même du même type) et dans le temps serait importante, quelles que soient les quantités respectives vendues. Ainsi les annexes B.6 et B.7 au mémoire en défense montreraient que, même en ce qui concerne les 20 albums les plus vendus de chaque partie à la concentration, il existerait d’importantes variations dans les remises. Si les majors ne sont pas équipées pour une surveillance suffisamment étroite de ces variations, une major pourrait s’écarter de toute modalité d’exercice de la coordination concernant les prix nets en pratiquant des remises importantes, particulièrement des remises promotionnelles, sans être détectée. Cela s’appliquerait à plus forte raison si les modalités d’exercice de la coordination sont censées être souples de sorte qu’il faudrait détecter une pratique importante de remises au-delà de la norme tacitement convenue pour que d’autres grandes maisons de disques soient suffisamment sûres que leur auteur s’est écarté de la norme.

216    S’agissant de l’analyse des corrélations effectuée par la requérante, notamment dans ses annexes D.2 et D.3, et de la critique implicite de la Commission pour ne pas avoir soumis les données à ces vérifications, la Commission rappelle que la question de la méthode ne peut être appréciée de façon abstraite, sans tenir compte de l’objet de l’enquête, qui est de savoir s’il existe un degré d’alignement révélateur de coordination et s’il existe une transparence permettant la surveillance du comportement sur le marché.

217    La Commission tient tout d’abord à faire observer que les parties à la concentration ont présenté une quantité considérable de données sur la corrélation au cours de la procédure administrative qui faisaient état de facteurs de corrélations généralement faibles mais qu’elle a toutefois traité ces contributions avec une prudence considérable.

218    De même, un certain degré de stabilité dans le temps des remises accordées par une grande maison de disques donnée ne serait pas une preuve de coordination en soi (voir annexe D.3), car il pourrait, là encore, tenir en grande partie à des facteurs stables, tels que la taille du client, les types de musique achetés, etc. Même un degré élevé de prévisibilité statistique ne démontrerait pas l’existence d’une coordination pour diverses raisons : des décisions individuelles rationnelles peuvent être hautement prévisibles ; sans les informations permettant d’estimer de tels niveaux de prévisibilité, cela resterait une possibilité intellectuelle intéressante dénuée de conséquences pratiques et, de même, sans accès à l’information sur la pratique réelle, il ne serait pas possible de vérifier la véracité de la prédiction (poursuite de la mise en œuvre d’une entente tacite présumée). Même si les majors étaient à même d’appliquer de tels outils statistiques à leurs pratiques réciproques de fixation des prix dans le passé, cela ne saurait remplacer la surveillance du marché.

219    La Commission fait observer que, contrairement à ce qu’affirme la requérante, elle n’a pas « rejeté » les données utilisées dans la communication des griefs, qui étaient pondérées en fonction du volume et à l’échelle du secteur au profit des données des parties à la concentration qui n’étaient ni l’un ni l’autre. Une grande partie de ces données seraient citées dans la décision (par exemple, sur le degré d’évolution semblable des prix nets moyens) et certaines sont annexées au mémoire en défense (annexe B.4). La Commission aurait plutôt modifié ses conclusions provisoires au sujet de ce qui pouvait être prouvé par ces données, eu égard aux informations et arguments supplémentaires soumis par Sony et BMG.

 Moyens de dissuasion et contrepoids

220    La Commission soutient que, dès lors qu’elle avait constaté que l’une des trois conditions cumulatives (la transparence) n’était pas remplie, elle n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation ni d’erreur de droit en ne prenant pas position sur les deux autres conditions.

 Analyse de la ligne d’action commune

221    La Commission fait d’abord valoir que le grief de la requérante repose sur une prémisse factuelle erronée, à savoir que la conclusion relative à la transparence porte exclusivement sur « une seule forme de remise, la remise promotionnelle ». Même si les remises promotionnelles occupent une place essentielle dans l’analyse, celle-ci aurait porté plus généralement sur le mode de fixation des prix globalement très complexe au niveau de l’album et du client, ainsi que dans le temps, et, à ce titre, également sur les PPV et les remises ordinaires.

222    La Commission soutient, ensuite, que la requérante commet une erreur de droit manifeste dans la mesure où elle semble affirmer que, si la Commission était en mesure de prouver qu’il serait profitable aux majors d’adhérer à une ligne de conduite commune, le déficit de transparence serait alors moins important. Cette thèse ne serait pas conforme à la jurisprudence. Hormis une transparence suffisante pour permettre le fonctionnement de la surveillance et de la dissuasion, la Commission n’aurait pas connaissance d’autres moyens – et la requérante n’en proposerait aucun – de prouver qu’une ligne d’action anticoncurrentielle commune tacitement définie serait profitable à un groupe d’entreprises en situation d’oligopole et, partant, rationnelle.

223    Si des parts de marché relativement stables peuvent créer un contexte favorable à l’émergence d’une position dominante collective, elles ne suffiraient cependant pas à établir une coordination tacite effective ou probable en l’absence de preuves suffisantes de ce que cette coordination est rationnelle, conformément aux conditions économiques cumulatives de la position dominante collective reconnues dans l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra. La requérante ne fournirait pas de preuves supplémentaires de l’existence d’une ligne d’action commune consistant à éviter les « actions hautement concurrentielles ». Rien ne permettrait donc de soutenir que la Commission a commis une erreur d’appréciation manifeste en ne décelant pas une telle ligne d’action commune de la part des majors.

224    S’agissant du choix des consommateurs et de la diversité culturelle, la Commission fait tout d’abord observer que, si elle n’est pas tenue d’exposer dans une décision finale les raisons pour lesquelles elle s’écarte des conclusions provisoires de la communication des griefs dans une affaire donnée, il doit en être ainsi à plus forte raison lorsqu’elle s’écarte des conclusions d’une communication des griefs émise quatre ans plus tôt dans une affaire différente. Elle relève, ensuite, que la requérante ne cite expressément aucun argument de fond ou élément de preuve témoignant d’un appauvrissement coordonné de la créativité, de la qualité ou de la diversité du choix musical.

4.     Sur la deuxième branche

225    La Commission estime que les trois motifs de recours relatifs au fait que la Commission n’a pas conclu qu’une position dominante collective serait renforcée par la concentration n’ajoutent rien à ceux qui concernent l’existence préalable d’une telle position dominante collective. En effet, si un de ces derniers motifs de la requérante devait prospérer, la décision serait de toute façon annulée tandis que, s’il échouait, il s’ensuivrait que la Commission aurait eu raison de ne pas examiner les effets allégués de renforcement de la concentration.

C –  Arguments des intervenantes

1.     Observations liminaires

226    Préalablement à l’examen des différents moyens et arguments de la requérante, les intervenantes estiment nécessaire de formuler quatre observations relatives au contexte dans le cadre duquel la décision a été prise et doit être appréciée et quatre remarques générales sur le recours.

227    Premièrement, la Commission aurait conduit une enquête extraordinairement approfondie durant plus de six mois. Dès le départ, les parties à la concentration auraient fourni des données et explications très solides relatives à l’industrie musicale en Europe et à l’impact de la concentration sur la concurrence, notamment sur les prix des CD, la diversité culturelle le choix des consommateurs, les opportunités concurrentielles pour les maisons de disques indépendantes, le développement de la musique en ligne ou le risque de coordination des activités conservées par Sony et BMG (voir annexe C.1). À travers plusieurs questionnaires, contenant plus de 250 questions, envoyés à près de 1 240 opérateurs sur les marchés (parties à la concentration, autres majors, indépendants, détaillants, auteurs éditeurs, artistes, distributeurs en ligne), la Commission aurait recherché et obtenu des preuves et des données très riches sur toutes les questions pertinentes. Les parties à la concentration auraient fourni plus de 30 millions de références de prix et des économistes auraient conduit une appréciation détaillée des prix de vente nets moyens des cinq majors dans les cinq grands pays. Plusieurs indépendants ne partageraient pas les inquiétudes de la requérante mais considéreraient que la concentration augmentera leurs opportunités concurrentielles. Sur la base de toutes ces données, des avis de deux économistes industriels très réputés, des analyses détaillées sur les prix de gros et de vente figurant dans l’étude RBB et des explications détaillées fournies dans la réponse à la communication des griefs ou lors de l’audition (voir annexe C.3), la Commission aurait été amenée à conclure que ses préoccupations initiales, en particulier de risque de domination collective, n’étaient pas fondées.

228    Deuxièmement, la requérante se méprendrait sur l’objet et le statut en droit de la communication des griefs dont la fonction principale serait de permettre aux parties à la concentration de comprendre les objections initiales de la Commission afin qu’elles puissent présenter des contre-arguments et des preuves (voir article 18, paragraphes 1 et 3, du règlement). Confrontée à des preuves d’erreurs, la Commission devrait abandonner des griefs qui se seraient révélés mal fondés (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123), ainsi qu’elle l’aurait fait dans 14 affaires sur 62 au cours des cinq dernières années (voir annexe C.5). Le processus administratif de la Commission aurait été soumis à des contrôles internes complets, la procédure administrative aurait garanti que toutes les parties intéressées puissent présenter les arguments et preuves (voir rapport du conseiller-auditeur, annexe C.6) et le comité consultatif aurait voté en faveur d’une autorisation inconditionnelle (annexe C.7).

229    Troisièmement, les autorités de concurrence à travers le monde (États-Unis, Australie, Canada, République tchèque, Hongrie, Pologne, Roumanie, Russie, Suisse, Mexique, Afrique du Sud) seraient toutes parvenues à la conclusion que l’opération devait être autorisée inconditionnellement et aucune de ces décisions n’aurait été attaquée. De même, aucune autorité nationale de concurrence ayant examiné antérieurement le marché de l’industrie musicale en Europe n’aurait estimé qu’elle serait soumise à une coordination tacite (voir, notamment, la conclusion de l’Office of Fair Trading du mois de septembre 2002, selon laquelle la domination collective n’était pas démontrée, annexe A.16, point 6.11).

230    Quatrièmement, la concentration représenterait une réponse proconcurrentielle au déclin (chute du prix de vente des CD de 20 % en trois ans, téléchargement non autorisé de musique à travers l’internet, concurrence accrue de loisirs alternatifs comme les films DVD) et à la transformation continue de l’industrie musicale. L’instabilité de la demande et l’incertitude quant aux modèles commerciaux futurs rendraient la collusion tacite – déjà improbable vu les caractéristiques du marché – encore plus difficile à réaliser ou à maintenir (arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, point 139, et point 45 des Lignes directrices sur les concentrations horizontales). De même, les conditions régnant dans l’industrie étant très différentes de ce qu’elles étaient au moment de l’examen par la Commission de la concentration en 2000 entre EMI et Time Warner, les conclusions, par nature provisoires, de la Commission dans cette affaire seraient dépourvues de pertinence.

231    Cinquièmement, la motivation de la décision serait claire, convaincante et soutenue par le poids abondant des preuves sous-jacentes, étant entendu que la Commission n’est pas tenue de fournir les motifs quant à son appréciation de tous les éléments de droit ou de fait (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2003, Verband der freien Rohrwerke e.a./Commission, T‑374/00, Rec. p. II‑2275, points 185 à 187). La requête montrerait que la requérante a compris les motifs de l’autorisation.

232    Sixièmement, les décisions d’interdiction nécessiteraient quelque chose de plus qu’un simple équilibre des possibilités, car, dans l’incertitude quant à la compatibilité ou non d’une opération, l’intérêt des entreprises qui entendent réaliser l’opération devrait prévaloir (conclusions de l’avocat général M. Tizzano sous l’arrêt de la Cour du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, Rec. p. I‑987, I‑992, points 74 à 79).

233    Septièmement, les intervenantes rappellent que, si le Tribunal procède à un contrôle complet des questions de droit et de fait, il n’exerce qu’un contrôle de l’erreur manifeste pour ce qui est des appréciations économiques complexes du type concerné dans l’évaluation de la création ou du renforcement d’une position dominante collective (arrêt du Tribunal du 3 avril 2003, Petrolessence et SG2R/Commission, T‑342/00, Rec. p. II‑1161, point 101). Or, à de nombreuses reprises, la requérante inviterait le Tribunal à substituer son appréciation à celle de la Commission, en soutenant, par exemple, que la Commission plaçait un poids indu sur l’hétérogénéité du produit et sur les remises.

234    Huitièmement, s’agissant du test de la position dominante collective, la question ne serait pas de savoir si les sociétés sont incitées à agir de manière collusoire, mais plutôt si elles ont la possibilité, eu égard aux caractéristiques du marché, d’atteindre et de maintenir tacitement les termes de la coordination (arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, point 62). Il serait particulièrement important d’évaluer si le marché est suffisamment transparent.

2.     Examen des arguments de la requérante

a)     Sur les remises promotionnelles

235    Les intervenantes font valoir que, dans la mesure où la coordination des prix ne peut être atteinte ou maintenue sans une transparence suffisante des prix de gros nets actuels, la constatation que les remises promotionnelles ne sont pas transparentes est en soi suffisante pour soutenir la décision.

236    La décision aurait établi correctement le lien entre, d’une part, l’hétérogénéité du contenu des albums et, d’autre part, les grandes variations dans les remises promotionnelles et l’absence de transparence qui en découle pour les prix de gros nets (voir aussi annexe C.4, p. 27). Les preuves supposées démontreraient que les remises promotionnelles sont significatives tant pour les albums figurant dans les hit-parades que pour ceux du catalogue des titres, qu’elles varient considérablement en fonction du client, de l’album et dans le temps et n’étaient pas alignées entre les majors (annexes B.2, B.4 à B.14, et rapport « data room » confidentiel). Ces remises étant variables, il ne serait pas possible de faire des déductions fiables en observant simplement les PPV. De même, les marges des détaillants seraient hautement variables d’une sortie à l’autre et dans le temps et ne permettraient donc pas de déduire les prix nets à partir des prix de vente (voir annexe B.17). En outre, Sony et BMG n’auraient pas surveillé méthodiquement les prix de vente des concurrents ou obtenu systématiquement de la part des détaillants des informations fiables sur les remises offertes par les concurrents. Enfin, les preuves alléguées démontreraient que les maisons de disques n’avaient pas mené d’actions de représailles, même face aux mouvements hautement volatiles des prix, ce qui priverait tout mécanisme de sanction de sa crédibilité (voir annexe C.4, p. 5 et 10).

b)     Absence d’alignement

237    Les données relatives aux prix nets moyens, aux PPV et aux remises sur factures montreraient non pas un alignement, mais, tout au plus, une évolution en partie semblable et ne permettraient pas de constater une coordination des prix.

238    Les données sur les prix nets moyens révéleraient : premièrement, un degré élevé de complexité ; deuxièmement, une grande dispersion et une grande variabilité ; troisièmement, une volatilité importante dans les classements hiérarchiques des majors ; quatrièmement, une grande latitude dans les prix des majors ; cinquièmement, une absence de parallélisme.

239    Une large portion des 100 meilleures ventes serait générée en dehors des PPV identifiés dans la décision (considérants 76, 83, 90, 97 et 107 de la décision).

240    Il ressortirait des annexes au mémoire en défense (B.4 à B.14) que les remises sur facture et les prix nets ont fortement varié entre les majors.

c)     Absence de transparence

241    La décision n’aurait révélé aucune preuve convaincante de transparence même sur les éléments de prix autres que les remises promotionnelles. Les formulations prudentes de la décision minimiseraient la véritable force des preuves sous-jacentes sur l’absence de transparence suffisante. Ainsi, outre que dans certains pays les PPV ne seraient ni connus ni aisément accessibles, les maisons de disques n’auraient pas d’informations précises sur les PPV utilisés pour un album précis à un moment quelconque. Les remises ordinaires ne seraient pas suffisamment transparentes pour être tacitement coordonnées. Sur les 161 détaillants interrogés, seuls 5 auraient affirmé que les concurrents avaient en partie connaissance des remises des autres, tandis que 10 auraient affirmé le contraire.

3.     Sur différents aspects non mentionnés dans la décision

242    Les intervenantes font valoir que les théories d’atteinte potentielle à la concurrence examinées échouent également sur différents aspects non mentionnés dans la décision. En premier lieu, la Commission se serait à tort concentrée sur les prix nets moyens alors que la coordination ne pourrait avoir lieu au niveau des prix moyens, le prix des albums individuels n’étant pas fixé en vue d’obtenir un prix net moyen particulier, et que cette moyenne ne pourrait en tout état de cause pas être observée par les autres majors. Les moyennes pourraient masquer des divergences significatives dans les prix individuels des albums (voir annexe C.4, note 12). En deuxième lieu, les PPV ne serviraient pas de point focal d’alignement. Chaque grande maison de disques utiliserait même, pour les meilleurs albums, une grande variété de PPV, lesquels varieraient dans le temps pour un même disque. En troisième lieu, les parts de marché ne seraient pas stables et une faible évolution pourrait se traduire par une différence énorme en terme de profitabilité.

D –  Appréciation du Tribunal

1.     Considérations générales

243    La requérante soutient que les considérations relatives à l’homogénéité du produit, à la transparence du marché, aux moyens de dissuasion et à l’absence de contrepoids, sur lesquelles reposent la constatation que les majors ne disposaient pas, sur les marchés de la musique enregistrée, d’une position dominante collective préalablement à la concentration envisagée, sont entachées d’insuffisance de motivation, d’erreur manifeste d’appréciation et d’erreur de droit.

244    Préalablement à l’examen des différents griefs avancés par la requérante, il convient, tout d’abord, de formuler certaines observations quant à la notion de position dominante collective, d’exposer ensuite brièvement la méthode d’examen suivie par la Commission pour parvenir à la conclusion litigieuse, ainsi que les différents facteurs et éléments pertinents concernant l’application en l’espèce de la notion de position dominante collective, tels que relevés dans la décision et, enfin, de préciser les motifs sur lesquels reposent la conclusion, dans la décision, de l’absence de position dominante collective préexistante.

2.     Notion de position dominante collective

245    Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, s’agissant d’une prétendue position dominante collective, la Commission est tenue d’apprécier, selon une analyse prospective du marché de référence, si l’opération de concentration dont elle est saisie aboutit à une situation dans laquelle une concurrence effective dans le marché en cause est entravée de manière significative par les entreprises parties à la concentration et une ou plusieurs entreprises tierces qui ont, ensemble, notamment en raison des facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d’adopter une même ligne d’action sur le marché et d’agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle, et, finalement, des consommateurs (arrêt de la Cour du 31 mars 1998, France e.a./Commission, dit « Kali & Salz », C‑68/94 et C‑30/95, Rec. p. I‑1375, point 221).

246    Le Tribunal a jugé qu’une situation de position dominante collective entravant de manière significative la concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci peut donc intervenir à la suite d’une concentration lorsque, compte tenu des caractéristiques mêmes du marché en cause et de la modification qu’apporterait à sa structure la réalisation de l’opération, celle-ci aurait comme résultat que, prenant conscience des intérêts communs, chaque membre de l’oligopole dominant considérerait possible, économiquement rationnel et donc préférable d’adopter durablement une même ligne d’action sur le marché dans le but de vendre au-dessus des prix concurrentiels, sans devoir procéder à la conclusion d’un accord ou recourir à une pratique concertée au sens de l’article 81 CE, et ce sans que les concurrents, actuels ou potentiels, ou encore les clients et les consommateurs, puissent réagir de manière effective (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T‑102/96, Rec. p. II‑753, point 276).

247    Dans l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra (point 62), le Tribunal, ainsi qu’il est exposé au considérant 68 de la décision, a jugé que les trois conditions suivantes sont nécessaires pour qu’une situation de position dominante collective ainsi définie puisse être créée. Premièrement, le marché doit être suffisamment transparent afin que les entreprises qui coordonnent leur comportement puissent être en mesure de surveiller dans une mesure suffisante si les modalités de la coordination sont respectées. Deuxièmement, la discipline impose qu’il existe une forme de mécanisme de dissuasion en cas de comportement déviant. Troisièmement, les réactions d’entreprises qui ne participent pas à la coordination, telles que les concurrents actuels ou futurs, ainsi que les réactions des clients, ne devraient pas pouvoir remettre en cause les résultats attendus de la coordination.

248    Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence de la Cour (arrêt Kali & Salz, point 245 supra, point 222), et du Tribunal (arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, point 63) que l’analyse prospective que la Commission est appelée à réaliser dans le cadre du contrôle des concentrations, s’agissant d’une position dominante collective, nécessite un examen attentif, notamment, des circonstances qui, selon chaque cas d’espèce, se révèlent pertinentes aux fins de l’appréciation des effets de l’opération de concentration sur le jeu de la concurrence dans le marché de référence et qu’il incombe à la Commission de fournir des preuves solides.

249    Il convient d’observer que, ainsi qu’il ressort des termes mêmes des motifs exposés ci-dessus, cette jurisprudence a été développée dans le cadre de l’appréciation du risque de création par une concentration d’une position dominante collective et non, comme il est question dans le cadre de la première branche du présent moyen, de la détermination de l’existence d’une position dominante collective.

250    Or, si, pour l’appréciation du risque de création d’une telle position, la Commission est amenée, par hypothèse, à effectuer un pronostic délicat quant au développement probable du marché et des conditions de concurrence sur la base d’une analyse prospective, ce qui implique des appréciations économiques complexes pour lesquelles la Commission dispose d’une large marge discrétionnaire, la constatation de l’existence d’une position dominante collective repose, quant à elle, sur une analyse concrète de la situation existant au moment de la prise de décision. La détermination de l’existence d’une position dominante collective doit s’appuyer sur une série d’éléments de faits établis, passés ou actuels, attestant de l’entrave significative de la concurrence sur le marché en raison du pouvoir acquis par certaines entreprises d’adopter ensemble une même ligne d’action sur ce marché, dans une mesure appréciable, indépendamment de leurs concurrents, de leur clientèle et des consommateurs.

251    Il s’ensuit que, dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’une position dominante collective, les trois conditions dégagées par le Tribunal dans l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, déduites à partir d’une analyse théorique de la notion de position dominante collective, si elles sont, certes, également nécessaires, peuvent cependant, le cas échéant, être établies indirectement sur la base d’un ensemble d’indices et d’éléments de preuve, éventuellement même très hétérogènes, relatifs aux signes, manifestations et phénomènes inhérents à la présence d’une position dominante collective.

252    Ainsi, en particulier, un alignement étroit des prix sur une longue durée, surtout s’ils sont d’un niveau supraconcurrentiel, joint à d’autres facteurs typiques d’une positon dominante collective, pourraient, en l’absence d’autre explication raisonnable, suffire à démontrer l’existence d’une position dominante collective, quand bien même il n’y aurait pas de preuves directes solides d’une transparence forte du marché, compte tenu de ce que cette dernière peut être présumée dans de telles circonstances.

253    Il s’ensuit que, en l’espèce, l’alignement des prix, tant bruts que nets, sur les six dernières années, alors que les produits ne sont pas identiques (chaque disque ayant un contenu différent), ainsi que leur maintien à un niveau assez stable et perçu comme élevé en dépit d’une baisse importante de la demande, joints à d’autres facteurs (puissance des entreprises en situation d’oligopole, stabilité des parts de marché, etc.), tels que constatés par la Commission dans la décision, pourraient, en l’absence d’une autre explication, suggérer, ou constituer un indice, que l’alignement des prix n’est pas le résultat du jeu normal d’une concurrence effective et que le marché est suffisamment transparent en ce qu’il a permis une coordination tacite des prix.

254    Toutefois, la requérante ayant plutôt fondé son argumentation sur une application erronée des différentes conditions requises pour une position dominante collective, telles que définies dans l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, et, en particulier, celle relative à la transparence du marché, que sur la thèse selon laquelle la constatation d’une politique commune pendant une longue durée associée à la présence d’une série d’autres facteurs caractéristiques d’une position dominante collective pourrait, dans certaines circonstances et en l’absence d’une autre explication, suffire à démontrer l’existence d’une telle position, par opposition à sa création, sans qu’il soit besoin d’établir positivement la transparence du marché, le Tribunal se limitera, dans le cadre de l’examen de moyens soulevés, à vérifier que la décision a fait une application correcte des conditions ressortant de la jurisprudence Airtours. En effet, sans même qu’il soit nécessaire de s’interroger sur le point de savoir si l’attitude inverse conduirait le Tribunal à dépasser le cadre du litige tel que défini par les parties ou constituerait une simple application du droit dans le cadre d’un moyen soulevé par la requérante, cette démarche s’impose, en vertu du principe du contradictoire, dès lors que cette question n’a pas été débattue devant le Tribunal.

3.     Décision de la Commission

255    Les éléments pertinents de la décision pour l’examen du premier moyen peuvent être résumés somme suit.

256    Les constatations de la Commission relatives aux différents marchés de produits et géographiques ne sont pas contestées par les parties. Au considérant 12 de sa décision, la Commission a considéré qu’« il n’[était] pas nécessaire de déterminer s’il existe des marchés de produits distincts selon les genres et s’il existe un marché de produits séparés pour les compilations ». Au considérant 15, elle a constaté que « les marchés géographiques en cause [étaient] considérés comme nationaux ».

257    De même, il n’est pas contesté que les différents marchés nationaux sont de structure oligopolistique avec les cinq majors détenant, selon les pays, de 72 à 93 % du marché et de nombreuses maisons de disques considérablement plus petites (ci-après les « maisons de disques indépendantes ») qui représentent environ 15 à 20 % du marché.

258    Les cinq majors sont, en outre, caractérisées par, premièrement, une présence mondiale, deuxièmement, une intégration verticale partielle, troisièmement, un investissement en amont dans le domaine de l’édition musicale et dans les marchés de la radiodiffusion et de l’exploitation de musique en ligne, quatrièmement, une puissance financière considérable qui leur permet d’offrir aux artistes des avantages financiers plus attrayants et, cinquièmement, un portefeuille vaste et diversifié d’artistes sous contrat et un catalogue de titres déjà produits important.

259    Par ailleurs, l’évolution de la demande montre que les ventes sont en recul depuis 1999 (chute de 13 % dans l’EEE entre 1999 et 2002, et plus de 7 % entre 2002 et 2003). Les prix sont toutefois restés assez stables. L’enquête de marché de la Commission a également pointé d’autres explications que celles avancées par les parties à la concentration pour cette baisse des ventes, à savoir : le niveau – perçu comme élevé – des prix des CD, le ralentissement de l’activité économique en général, l’incapacité des maisons de disques à satisfaire les goûts des consommateurs, l’absence de contenus de qualité et d’artistes novateurs et l’incapacité des maisons de disques à s’adapter au défi technologique d’Internet.

260    S’agissant de la méthodologie suivie par la Commission, il est exposé au considérant 69 de la décision que, en vue de déterminer l’existence d’une position dominante collective, la Commission a examiné si, au cours des trois ou quatre dernières années, les cinq majors avaient effectivement poursuivi une politique de coordination de leurs prix.

261    À cette fin, premièrement, la Commission a analysé l’évolution trimestrielle des prix nets moyens des 100 albums simples les plus vendus par chaque maison de disques, lesquels représentent au minimum 70 à 80 % de leurs ventes totales de musique, dans les cinq plus grands États membres, la Commission étant d’avis que les prix moyens constituent un bon instrument pour déterminer si les grandes maisons de disques ont un comportement parallèle en matière de prix. La Commission a ainsi examiné l’évolution des prix moyens nets, des PPV, des ratios de prix bruts et nets ainsi que les remises sur facture et remises arrière (considérant 72 de la décision).

262    Deuxièmement, la Commission a examiné l’éventualité selon laquelle, sur la base d’un parallélisme des prix moyens, les prix de catalogue auraient pu servir de points centraux pour la coordination des prix.

263    Troisièmement, la Commission a étudié si les remises concédées par les différentes grandes maisons de disques ont été alignées et suffisamment transparentes pour permettre un contrôle efficace de toute coordination sur les prix, également au niveau des prix nets (considérant 73 de la décision).

264    Les constatations opérées ainsi par la Commission en des termes quasi identiques pour chacun des cinq grands pays peuvent être ainsi résumées :

–        la Commission indique qu’elle « a constaté un certain parallélisme des prix moyens nets réels et une évolution assez comparable des prix des [m]ajors », mais que « [c]es observations n’étaient toutefois pas, en elles-mêmes, assez concluantes pour suffire à démontrer que les [m]ajors [avaient] coordonné leurs prix dans le passé » ; « [c]’est pourquoi la Commission a ensuite examiné si des éléments supplémentaires, à savoir les prix catalogue et les remises, étaient alignés et assez transparents pour fournir des éléments de preuve suffisant à attester l’existence de la coordination » ;

–        la Commission « a trouvé certains éléments selon lesquels les PPV pourraient avoir été utilisés comme base pour aligner les prix des [m]ajors ». Chaque grande maison de disques aurait généré avec trois de ses principaux PPV plus de, selon les pays, 55 à 80 % du total des 100 meilleures ventes nettes d’albums simples en 2003. La Commission estime ainsi que, « [à] la lumière de ces observations, les prix [de] catalogue des albums les mieux vendus semblent être plutôt alignés » (Royaume-Uni, France et Italie, ou alignés dans une certaine mesure en Allemagne et en Espagne) ;

–        la Commission a par ailleurs constaté que les PPV étaient assez transparents, puisqu’ils figurent dans les catalogues des majors. Il semble donc possible de contrôler les prix de catalogue d’autres majors ;

–        les prix de vente nets sont étroitement liés aux prix bruts (PPV), étant donné l’évolution parallèle, ces six dernières années, des prix moyens bruts et des prix moyens nets réels de Sony et de BMG, ainsi que la très grande stabilité, à tout moment, du ratio des prix nets aux prix bruts, tous albums confondus ;

–        la Commission a cependant constaté une certaine variation du niveau des remises pratiquées par les différentes grandes maisons et également des différences de 2 à 5 points de pourcentage entre les remises sur facture de Sony et de BMG pour la majeure partie de leurs dix principaux clients et de plus de 5 points de pourcentage pour certains clients certaines années (la situation est quelque peu différente sur le marché français) ;

–        les parties à la concentration ont transmis des données qui font apparaître que les remises sur facture pour un client donné variaient dans le temps et d’un album à l’autre et que les remises octroyées pour un album donné fluctuaient d’un client à un autre. L’enquête réalisée sur le marché a fait apparaître que ces fluctuations résultaient pour l’essentiel des remises promotionnelles, utilisées d’une manière plus souple que les remises ordinaires, qui sont en général fixées annuellement. Il ne peut être démontré, sur la base de ces observations, que les remises sur facture sont suffisamment alignées entre les parties à la concentration (la situation est quelque peu différente pour la France) ;

–        en ce qui concerne la transparence des remises, les réponses des clients à l’enquête réalisée par la Commission sur le marché ont fait apparaître, en majorité, que les majors avaient connaissance, dans une certaine mesure, des remises ordinaires accordées par leurs concurrents, étant donné leur interaction permanente avec la même clientèle. Il apparaît toutefois que les remises promotionnelles sont moins transparentes que les remises ordinaires et que leur contrôle exige également une observation rigoureuse de l’évolution de ce type de remises sur le marché au détail. Bien qu’elle ait constaté que tant Sony que BMG ont mis sur pied un système de rapports hebdomadaires produits par leurs forces de ventes, la Commission n’a pu démontrer que ces rapports garantissaient un degré de transparence suffisant des remises promotionnelles accordées par les concurrents.

265    La Commission en a conclu, ensuite, au considérant 109 de la décision, que « l’analyse détaillée de l’évolution des prix des [m]ajors dans les cinq principaux États membres ayant fait ressortir certains indices de coordination qui ne suffisaient pas, en soi, à démontrer l’existence d’une position dominante collective, la Commission a[vait] poussé l’analyse plus avant, en vue de déterminer si les marchés de la musique enregistrée présentaient des caractéristiques propres à faciliter ce type de position dominante ».

266    À cette fin, la Commission a examiné l’homogénéité du produit (considérant 110 de la décision attaquée), la transparence du marché (considérants 111 à 113 de la décision), et l’exercice de mesures de rétorsion (considérants 114 à 118 de la décision).

267    S’agissant de l’homogénéité du produit, la Commission a constaté que l’hétérogénéité du contenu et ses effets sur les prix réduisent la transparence sur le marché et rendent les ententes tacites plus difficiles, puisque celles-ci requièrent un certain contrôle au niveau du produit individuel, à savoir l’album.

268    En ce qui concerne la transparence du marché, la Commission a considéré que les majors ne doivent contrôler que les prix de référence d’un nombre limité d’albums parmi les mieux vendus pour suivre le gros des ventes. Toutefois, la Commission indique qu’un contrôle au niveau de l’album est également nécessaire en particulier pour ce qui concerne les remises promotionnelles et que cette nécessité pourrait rendre les ententes tacites plus difficiles (considérant 111 de la décision).

269    S’agissant des mesures de rétorsion, le considérant 118 de la décision indique que la Commission n’a pas trouvé de preuves de l’exercice de telles mesures par le passé, ce qui aurait constitué la preuve d’une position dominante collective.

270    Sans formuler à ce stade de la décision de conclusion quant à l’existence d’une position dominante collective dans les cinq grands pays, la Commission a procédé ensuite à l’examen des marchés dans les petits pays et a opéré des constatations similaires.

271    En particulier, elle a observé qu’il existe un niveau de parallélisme élevé entre les PPV des différents majors. Elle a relevé que, de même que dans les grands pays, les principales remises opérées sont les remises ordinaires. Les remises sur facture ne sont ni standard ni rendues publiques et débouchent sur une diminution de la transparence. Compte tenu de l’importance des remises sur factures et des écarts entre celles-ci, la Commission n’a pas trouvé suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’un parallélisme des prix nets moyens pourrait être imputé à une collusion tacite entre les majors, même si les PPV sont fortement alignés et que ces derniers pouvaient, en principe, être utilisés comme base de collusion tacite (considérant 150 de la décision).

272    En outre, les considérations relatives à l’homogénéité du produit, la transparence du marché et les mesures de rétorsion pour les grands pays sont également valables pour les petits pays de l’EEE.

273    La Commission en déduit, au considérant 153, que, « dans ces conditions, il n’existe pas d’éléments de preuve suffisants pour conclure à l’existence d’une position dominante collective des [majors] sur les marchés nationaux de la musique enregistrée [dans les petits pays] ».

274    Sur la base des considérations ci-dessus, la Commission a conclu, au considérant 154, qu’il n’existait pas d’éléments de preuve suffisants pour démontrer que le projet d’opération entraînerait le renforcement d’une position dominante collective sur les marchés de la musique enregistrée dans l’un quelconque des pays de l’EEE.

275    Il ressort de ce qui précède que c’est au regard de l’homogénéité du produit, de la transparence du marché ainsi que de l’exercice des mesures de rétorsion que la Commission a conclu à l’absence de position dominante collective.

276    Cela est confirmé par le considérant 157, où il est exposé ce qui suit :

« […] comme examiné à la section relative au renforcement d’une position dominante collective, les marchés de la musique enregistrée présentent certaines caractéristiques pouvant laisser supposer la présence de conditions favorables à l’existence d’une position dominante collective. Or, la Commission n’a pas trouvé d’éléments suffisant à prouver que les [majors] ont détenu dans le passé une position dominante collective ; ceci est notamment dû aux déficits constatés au niveau de la transparence réelle, aux caractéristiques partiellement hétérogènes du produit et au manque d’éléments attestant l’existence de mesures de rétorsion dans le passé ».

277    C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les différents griefs avancés par la requérante.

4.     Transparence

a)     Sur le grief pris de l’insuffisance de motivation

278    La requérante soutient, en substance, que la décision n’explique pas à suffisance de droit les raisons pour lesquelles les remises, en particulier promotionnelles, font obstacle à la transparence nécessaire pour permettre le développement d’une position dominante collective.

279    À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications (voir arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63, et la jurisprudence citée).

280    La question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte, ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt de la Cour du 29 février 1996, Belgique/Commission, C‑56/93, Rec. p. I‑723, point 86, et arrêt du Tribunal du 27 novembre 1997, Kaysersberg/Commission, T‑290/94, Rec. p. II‑2137, point 150).

281    Lorsque la Commission déclare une opération de concentration compatible avec le marché commun sur la base de l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement, il est une condition nécessaire et suffisante par rapport au devoir de motivation que cette décision expose de manière claire et sans équivoque les raisons pour lesquelles la Commission considère que la concentration litigieuse ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun. Toutefois, il ne saurait être déduit de cette obligation que, dans un tel cas de figure, la Commission soit obligée de fournir des motifs quant à son appréciation de tous les éléments de droit ou de fait qui peuvent éventuellement présenter un lien avec l’opération de concentration notifiée et/ou qui ont été soulevés durant la procédure administrative (voir arrêt Verband der freien Rohrwerke e.a./Commission, point 231 supra, point 185, et la jurisprudence citée).

282    Il convient, tout d’abord, d’examiner l’incidence de la circonstance, soulignée par la requérante, que, dans la communication des griefs, la Commission avait conclu de façon très marquée que la concentration était incompatible avec le marché commun au motif, notamment, qu’il existait une position dominante collective préalable à la concentration envisagée et que le marché de la musique enregistrée était très transparent et particulièrement propice à la coordination.

283    Ce revirement fondamental de la position de la Commission peut, certes, apparaître étonnant, en particulier eu égard à la tardiveté avec laquelle il est intervenu. En effet, ainsi qu’il ressort du dossier et des débats devant le Tribunal, durant toute la procédure administrative, la Commission, sur la base de l’ensemble des informations reçues, durant cinq mois d’enquête, tant des différents opérateurs du marché que des parties à la concentration, a estimé que le marché était suffisamment transparent pour permettre une coordination tacite des prix et ce n’est qu’à la suite de l’argumentation développée par les parties à la concentration, assistées de leur consultant économique, lors de l’audition des 15 et 16 juin 2004, que, sans procéder à de nouvelles enquêtes concernant le marché, elle a adopté la position inverse et adressé, le 1er juillet 2004, le projet de décision au comité consultatif.

284    Toutefois, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, il ressort de la jurisprudence (arrêt BAT et Reynolds/Commission, point 105 supra) que, lorsque la Commission rejette une demande introduite en application de l’article 3 du règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), il lui suffit d’exposer les motifs pour lesquels elle n’a pas estimé possible d’établir l’existence d’une infraction aux règles de la concurrence, sans être tenue ni d’expliquer d’éventuelles différences par rapport à la communication des griefs, qui constitue un document préparatoire dont les appréciations sont de caractère purement provisoire et destinées à circonscrire l’objet de la procédure administrative vis-à-vis des entreprises faisant l’objet de cette procédure, ni de discuter tous les points de fait et de droit traités au cours de la procédure administrative. Dans son arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 228 supra, la Cour a rappelé le caractère provisoire d’une communication des griefs et l’obligation pour la Commission de tenir compte des éléments résultant de la procédure administrative, pour, notamment, abandonner des griefs qui se seraient révélés mal fondés.

285    Il convient, certes, d’observer que cette jurisprudence a été développée à propos de procédures d’application des articles 81 CE et 82 CE et non dans le domaine spécifique du contrôle des concentrations, dans le cadre duquel le respect des délais impératifs régissant l’adoption de décisions par la Commission ne lui permet pas de prolonger son enquête, rendant ainsi de moins en moins probable un changement fondamental de position au fur et à mesure de l’avancement de la procédure administrative. Dans ses observations finales, la Commission a d’ailleurs souligné que les mesures d’enquête postérieures à l’audition consistent essentiellement à consulter les opérateurs du marché au sujet des engagements proposés et ne portent pas sur les griefs formulés à l’encontre de l’opération de concentration notifiée. Toutefois, il n’en reste pas moins que la communication des griefs ne constitue qu’un acte préparatoire et que la décision finale ne doit être motivée que par rapport à l’ensemble des circonstances et éléments pertinents aux fins de l’appréciation des effets de la concentration envisagée sur le jeu de la concurrence dans les marchés de référence. Il s’ensuit que la seule circonstance que la Commission n’aurait pas expliqué dans le corps de sa décision les modifications de sa position par rapport à celle contenue dans la communication des griefs ne saurait, en tant que telle, être constitutive d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation.

286    Par ailleurs, la Commission invoque également la jurisprudence selon laquelle, si une concentration ne modifie que dans une mesure très limitée la situation concurrentielle d’un marché donné, elle n’est pas tenue de fournir une motivation spécifique sur cette question, pas plus qu’elle n’enfreint son obligation de motivation si elle n’inclut pas dans sa décision de motivation précise quant à l’appréciation d’un certain nombre d’aspects de la concentration qui lui semblent manifestement hors de propos ou dépourvus de signification. Si ces affirmations sont exactes, force est de constater qu’elles sont dépourvues de pertinence dans le cadre du présent grief. En effet, d’une part, le présent grief ne se rapporte pas à une modification limitée induite par la concentration, mais à la situation préexistante à celle-ci, et, d’autre part, il n’est pas contestable que l’absence de transparence suffisante du marché constitue le motif essentiel, voire unique, sur lequel repose l’appréciation litigieuse d’absence de position dominante collective préexistante.

287    À la lumière de ces remarques préliminaires, il convient d’examiner si la décision contient une motivation suffisante de la constatation selon laquelle le marché n’est pas suffisamment transparent pour permettre une coordination des prix.

288    L’examen de la question de la transparence du marché fait l’objet d’une rubrique ad hoc aux considérants 111 à 113 de la décision. Il apparaît, toutefois, que la décision contient également des développements relatifs à la transparence dans la rubrique relative à l’examen de la politique commune des majors en matière de prix dans les cinq grands États membres, aux considérants 69 à 108, à laquelle la rubrique ad hoc fait référence, ainsi que dans la rubrique relative à l’appréciation de l’existence d’une position dominante collective dans les marchés des petits pays, aux considérants 148 à 153, à laquelle la rubrique ad hoc n’effectue pas de renvoi. Il convient donc d’examiner successivement les motifs exposés dans ces trois rubriques.

289    S’agissant de la rubrique ad hoc, il convient d’observer, à titre liminaire, qu’elle ne contient que trois considérants, bien que la transparence constitue en l’espèce, selon la décision et plus encore selon la position défendue par la Commission dans ses mémoires devant le Tribunal, le motif essentiel, voire unique, sur lequel repose l’assertion selon laquelle il n’existe pas de position dominante collective sur les marchés de la musique enregistrée. Il y a lieu de relever, également, qu’il n’y est pas conclu que le marché n’est pas transparent, ni même qu’il n’est pas suffisamment transparent pour permettre une collusion tacite. Tout au plus est-il indiqué, d’une part, au considérant 111 in fine, que la nécessité d’opérer un contrôle au niveau de l’album, en particulier pour les remises promotionnelles, « pourrait réduire la transparence sur le marché et rendre les ententes tacites plus difficiles » et, d’autre part, au considérant 113 in fine, que la « Commission n’a cependant pas trouvé assez d’éléments pour démontrer qu’en contrôlant les prix au détail ou en utilisant ces contacts avec les détaillants les grandes maisons de disques ont pu, par le passé, combler le déficit de transparence en matière de remises promotionnelles, évoqué à propos des cinq grands États membres ». À l’évidence, de telles affirmations, vagues et non assorties de la moindre précision relatives, notamment, à la nature des remises promotionnelles, aux circonstances dans lesquelles elles sont susceptibles de s’appliquer, à leur degré d’opacité, à leur amplitude ou à leur impact sur la transparence des prix, ne sauraient motiver à suffisance de droit la constatation selon laquelle le marché n’est pas suffisamment transparent pour permettre une position dominante collective.

290    Il apparaît, ensuite, que, hormis les deux extraits mentionnés ci-dessus, tous les facteurs relevés aux considérants 111 à 113 de la décision, loin de démontrer l’opacité du marché, mettent au contraire en évidence une transparence de celui-ci.

291    Sont ainsi relevés, au considérant 111, le nombre limité de prix de référence et le fait que les majors doivent seulement contrôler les prix de référence d’un nombre limité d’albums parmi les mieux vendus pour suivre le gros des ventes, dans la mesure où les 20 titres les mieux vendus représentent au moins la moitié des ventes annuelles tous pays confondus.

292    Plus encore, le considérant 112 expose qu’il « existe sur le marché d’autres dispositifs qui accroissent la transparence et pourraient faciliter le contrôle du respect d’une entente ». Parmi ceux-ci figure, d’abord, la publication de hit-parades hebdomadaires qui fournissent des informations sur les ventes par titre et permettent de détecter très facilement les titres qui deviennent des « tubes », ce qui, est-il expliqué, « facilite considérablement le contrôle par les grandes maisons de disques ». Il est exposé, ensuite, que la nature du marché de la musique enregistrée est telle que, pour « réussir économiquement, un détaillant de musique doit proposer les produits de toutes les grandes maisons » et que le « secteur est donc caractérisé par des relations stables et durables entre détaillants et grandes maisons de disques ». La Commission y relève également que, « [e]n outre, une grande partie des ventes de musique enregistrée des [majors] est acheminée vers un nombre limité de clients » et en conclut que « [c]ette situation, caractérisée par la présence d’un petit nombre d’acteurs sur le marché, favorise l’adoption de stratégies de coopération servant les intérêts des grandes maisons de disques, comme elle facilite le contrôle et la circulation des informations ».

293    Force est de constater encore que cette énumération de dispositifs et de facteurs accroissant la transparence et facilitant le contrôle du respect des ententes se poursuit dans le dernier considérant de la rubrique ad hoc sur la transparence du marché. La Commission expose, en effet, au considérant 113, qu’une « autre source de transparence est le contrôle du marché au détail ». Elle précise, à cet égard, que « [l]’enquête de marché a révélé que Sony et BMG [avaient] mis en place un système de rapports hebdomadaires […] incluant des informations sur les concurrents ». La Commission indique enfin que l’enquête « a également confirmé que les forces de ventes des grandes maisons de disques entret[enaient] des contacts réguliers et permanents avec les détaillants et les grossistes, les négociations sur les soutiens et remises promotionnelles se déroulant souvent sur une base hebdomadaire ».

294    Il ressort de ce qui précède que, dans la rubrique ad hoc de la décision consacrée à l’examen de la transparence, non seulement la Commission n’a pas conclu que le marché était opaque ou pas suffisamment transparent pour permettre une position dominante collective, mais n’a, en outre, fait état que de facteurs de nature à créer une grande transparence du marché et à faciliter le contrôle du respect d’une collusion, à la seule exception de l’affirmation, de portée assez limitée et non étayée, que les remises promotionnelles pourraient réduire la transparence et rendre les ententes tacites plus difficiles. Force est donc de constater que cette rubrique ne pourrait manifestement pas, à elle seule, être considérée comme motivant à suffisance de droit l’assertion selon laquelle le marché n’est pas suffisamment transparent.

295    Il convient ensuite d’examiner si une telle motivation figure dans la rubrique relative à l’analyse de la politique commune des majors en matière de prix.

296    À titre préalable, il est utile de rappeler que la méthode suivie et les constatations opérées sont, sous réserve de très légères variations, identiques pour les marchés des cinq grands pays, de sorte que les observations suivantes faites à propos du Royaume-Uni, valent, mutatis mutandis, pour tous les cinq grands marchés.

297    Après avoir constaté une évolution en partie semblable des prix moyens nets réels et une évolution comparable des prix des majors au Royaume-Uni, la Commission indique, au considérant 75 de la décision, avoir ensuite examiné si des éléments supplémentaires, à savoir les prix de catalogue et les remises, étaient alignés et assez transparents pour fournir des éléments de preuve suffisant à attester de la coordination.

298    Il convient d’observer, à titre liminaire, que dans la présente rubrique la Commission vise à examiner si le comportement des majors est susceptible de démontrer l’existence d’une coordination. Or, dans ses mémoires devant le Tribunal, la Commission a souligné à plusieurs reprises la nécessité de ne pas confondre la politique commune des acteurs sur le marché avec la preuve de la transparence du marché, précisant que même un alignement substantiel des conditions pratiquées ne serait pas de nature à démontrer la transparence du marché. Il s’ensuit que, selon la thèse même de la Commission, les constatations relatives aux pratiques des majors en matière de prix et de remises sont dénuées de pertinence aux fins d’apprécier la transparence du marché. Dans ces conditions, les observations contenues dans cette rubrique ne devraient pas permettre de combler l’insuffisance de motivation relevée ci-dessus. Toutefois, cette thèse n’étant pas conforme à la décision, le Tribunal estime nécessaire d’examiner si les constatations opérées dans cette rubrique peuvent fournir une motivation suffisante de la constatation d’absence de transparence du marché.

299    S’agissant, en premier lieu, des PPV, la Commission a constaté que chaque grande maison de disques a généré avec ses trois principaux PPV plus de 80 % du total des 100 meilleures ventes nettes d’albums simples en 2003 et que, de plus, un ou deux PPV compris dans une fourchette de 17 pence (entre 8,98 et 9,15 livres sterling) ont représenté plus de 47 % des 100 meilleures ventes (les chiffres étant assez semblables dans les autres grands pays ; un ou deux PPV compris dans une fourchette de 0,36 euro – entre 12,55 et 12,91 euros – ayant, par exemple, représenté plus de 60 % des 100 meilleures ventes en Italie). Elle en conclu que « les prix [de] catalogue des albums les mieux vendus semblent être plutôt alignés ». Force est de constater qu’il s’agit là d’une conclusion pour le moins prudente, l’alignement étant effectivement très marqué.

300    Il y a d’ailleurs lieu d’observer, à cet égard, que, dans la communication des griefs, la Commission n’avait pas relevé que les prix étaient simplement « plutôt alignés », mais bien qu’ils étaient « substantiellement alignés » (selon le point 82 de la communication des griefs, « les PPV sont placés très près les uns des autres » et le point 87 fait état d’un « alignement substantiel »). En ce qui concerne les 20 disques les plus vendus, la Commission avait même mis en évidence un alignement quasi total (voir points 85 et 86 de la communication des griefs), mais cet élément d’analyse n’a pas été repris dans la décision, sans toutefois que la Commission, interrogée à cet égard à l’audience, ne soutienne que l’analyse était inexacte ou ne puisse expliquer les raisons de la suppression de cet élément d’analyse. En outre, le considérant 72 de la décision ne mentionne plus que quatre éléments sur lesquels est fondée l’analyse de la politique commune en matière de prix, alors que le point 75 de la communication des griefs faisait état d’un cinquième élément. Or, si, ainsi qu’il est rappelé ci-dessus, la communication des griefs n’est qu’un document provisoire et si la Commission a parfaitement le droit, voire l’obligation, de modifier sa position au vu des informations qu’elle a obtenues au cours de son enquête, elle ne saurait en revanche supprimer certains éléments pertinents au seul motif qu’ils ne seraient éventuellement pas compatibles avec sa nouvelle appréciation.

301    En tout état de cause, même en ne considérant que les observations reprises dans la décision, la Commission a conclu que les prix de catalogue étaient plutôt alignés.

302    De même, le considérant 76 de la décision indique que les PPV sont « assez transparents, puisqu’ils figurent dans les catalogues des grandes maisons de disques » et qu’il « semble donc possible de contrôler les prix [de] catalogue d’autres grandes maisons de disques ». Bien que cette appréciation soit, ici aussi, très prudente et fortement atténuée par rapport à celle opérée dans la communication des griefs (le point 81 de cette dernière indiquait en effet que « [l]a Commission estime qu’il est extrêmement facile pour les majors de surveiller les PPV auxquels les nouveaux albums à succès sont mis sur le marché, car ces PPV sont à la disposition du public dans les catalogues des majors »), il n’en reste pas moins qu’elle souligne un élément supplémentaire favorisant la transparence du marché. Le caractère public des prix bruts (les prix de catalogue) revêt assurément une importance considérable pour la transparence en matière de prix.

303    Il apparaît ainsi que, selon les termes mêmes de la décision, les prix de catalogue, dans les deux aspects examinés par la Commission, alignement et transparence, constituent un facteur de transparence du marché.

304    S’agissant, en deuxième lieu, des remises, le considérant 78 de la décision indique que la Commission a constaté « une certaine variation des remises pratiquées par les grandes maisons » et que « les remises sur facture sont, par rapport aux autres formes de remises (accords de coopération commerciale et remises arrière), de loin les plus importantes réductions de prix appliquées ». Elle vérifie, ensuite, d’une part, l’alignement des remises sur facture et, d’autre part, leur transparence.

305    En ce qui concerne l’alignement des remises, le considérant 79 de la décision expose que « la Commission a constaté d’un client à l’autre un certain degré de fluctuation et, également, des différences de 2 à 5 points de pourcentage entre les remises sur facture de Sony et BMG pour la majeure partie de leurs [dix] principaux clients, et de plus de 5 points de pourcentage pour certains clients certaines années ». Le considérant fait, en outre, mention de ce que « ces fluctuations résultaient pour l’essentiel de remises promotionnelles, utilisées de manière plus souple que les remises ordinaires, qui sont en général fixées annuellement » et il en est conclu qu’il « ne [pouvait] être démontré sur la base de ces observations que les remises sur facture [étaient] suffisamment alignées entre les parties [à la concentration] ».

306    Il y a lieu d’observer, à titre liminaire, que, ainsi qu’il est indiqué ci-dessus, l’analyse porte donc sur le comportement adopté par les majors et non sur les caractéristiques objectives du marché, de sorte qu’elle est d’une pertinence tout au plus relative aux fins d’apprécier le degré de transparence du marché. La Commission a souligné, à cet égard, que la constatation d’un parallélisme des prix nets moyens des grandes maisons de disques ou d’une stabilité importante des remises moyennes d’une maison de disques donnée ne constituait la preuve ni de la coordination tacite ni de la transparence nécessaire et que le « degré d’alignement ou de stabilité à un niveau global ne saurait remplacer des preuves significatives et concordantes d’une transparence suffisante pour permettre aux [entreprises en situation d’oligopole] de contrôler mutuellement leurs comportements sur le marché ». Il faut en conclure que l’examen de l’alignement des remises ne constitue pas, selon la Commission, un test approprié pour apprécier la transparence du marché dans la mesure où, selon la Commission, même l’alignement des remises ne saurait démontrer celle-ci. Le test ne saurait en effet être approprié que s’il permet de constater tant la transparence que le défaut de transparence. Toutefois, dans la mesure où cette thèse de la Commission, ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, ne trouve pas un appui suffisant dans la décision, le Tribunal examinera si les observations contenues dans les considérants 78 et 79 démontrent à suffisance de droit l’absence de transparence du marché.

307    Il convient, d’abord, de constater que la variation des niveaux généraux de remises sur facture pratiquées par les parties à la concentration, telle que relevée au considérant 78 de la décision, n’est que très faible, à savoir [confidentiel] de 2 à 5 % de leurs ventes brutes totales respectives au Royaume-Uni. En Italie, cette variation est même quasi nulle, à savoir [confidentiel] entre 0 et 5 % (considérant 99 de la décision). De même, les différences de 2 à 5 % [confidentiel] entre les remises sur facture des parties à la concentration pour la majeure partie de leurs dix principaux clients, relevées au considérant 79 de la décision, sont très faibles. Il s’ensuit que les données figurant aux considérants 78 et 79, et aux considérants correspondants pour les autres grands pays, ne permettent pas de justifier la conclusion selon laquelle les remises sur facture ne sont pas suffisamment alignées.

308    Il apparaît, ensuite, que, selon les termes mêmes de la décision, cette faible variation semble dépourvue de signification. Selon le considérant 77 de la décision, en effet, « [l]’analyse de la Commission a montré que les prix de vente nets sont étroitement liés aux prix bruts (PPV), étant donné l’évolution parallèle, ces six dernières années, des prix moyens bruts et des prix moyens nets réels de Sony et de BMG, ainsi que la très grande stabilité, à tout moment, du ratio des prix nets aux prix bruts, tous albums confondus ». En outre, contrairement à ce que soutient la Commission, le considérant 77 de la décision ne se borne pas à faire état d’une évolution parallèle des seuls prix bruts et nets moyens pour l’ensemble des albums (soit la stabilité de la remise moyenne sur le total des ventes), laquelle masquerait ainsi les éventuelles différences dans les remises accordées pour les albums individuels, mais il y est également constaté une stabilité des remises par album individuel et dans le temps. En effet, si la deuxième partie de la phrase du considérant 77 visait, comme le soutient la Commission, le ratio des prix moyens bruts et nets, elle serait superflue, un tel ratio étant synonyme de la distance entre les prix bruts et nets, dont la stabilité est observée dans la première partie de la phrase. Cela ressort encore très clairement de la version authentique de la décision, dès lors que celle-ci utilise le terme « ratios » au pluriel (ratios des prix bruts aux prix nets par albums et dans le temps, très stables). Le point 90 de la communication des griefs indique d’ailleurs également que la Commission a constaté que « les ratios des prix bruts aux prix nets étaient très stables par albums et dans le temps pour les sorties individuelles examinées par la Commission ». De même encore, le point 75, sous iv), de la communication des griefs expose que la Commission a analysé le développement des ventes brutes et nettes des albums individuels, en précisant, dans la note en bas de page n° 47, que « une analyse des prix bruts et nets avait été effectuée individuellement pour les dix meilleures ventes de BMG et de Sony en 2002 ».

309    Par ailleurs, il ressort de la dernière phrase du considérant 77 de la décision que les remises ne sont pas de nature à affecter réellement la transparence du marché en matière de prix résultant, notamment, des prix publics de catalogue, dans la mesure où il est constaté que, « [s]i les grandes maisons de disques s’étaient sensiblement écartées des politiques convenues en matière de prix en accordant des remises, cet écart serait apparu dans leurs prix moyens nets ».

310    En outre, si la Commission fait valoir dans ses mémoires que les données relatives aux prix nets moyens ou aux remises moyennes ne sont pas de nature à établir un alignement ou une coordination et que seules importent les décisions individuelles de fixation des prix, force est de constater que cette argumentation ne trouve pas d’appui dans la décision. Ainsi, il est, notamment, exposé au considérant 70 de la décision que « [l]a Commission est d’avis que les prix moyens constituent un bon instrument pour déterminer si les grandes maisons de disques ont un comportement parallèle ». Par ailleurs, si, comme l’a soutenu la Commission devant le Tribunal, les observations relatives à la politique de prix ne sont pas pertinentes pour apprécier la transparence, il s’ensuivrait que les observations sur les remises figurant aux considérants 78 à 80 de la décision (et aux considérants correspondants pour les marchés des autres grands pays) ne seraient pas de nature à contenir la motivation de l’absence de transparence dès lors que les remises constituent une composante des prix et sont analysées dans le cadre de l’examen de la coordination en matière de prix.

311    Il résulte de ce qui précède que les observations relatives à l’alignement des remises sur facture, contenues aux considérants 78 et 79 de la décision (et aux considérants correspondants pour les autres grands pays), ne permettent pas de motiver l’affirmation d’insuffisance de transparence du marché.

312    En ce qui concerne la transparence des remises, le considérant 80 de la décision indique que « les réponses des clients britanniques à l’enquête réalisée par la Commission sur le marché ont fait apparaître, en majorité, que les grandes maisons de disques avaient connaissance, dans une certaine mesure, des remises ordinaires accordées par leurs concurrents, étant donné leur interaction permanente avec la même clientèle ». Cette constatation est reprise, sous une formulation identique, à propos des cinq grands pays (considérants 87, 94, 101 et 108 de la décision). Sans qu’il soit besoin, dans le cadre de l’examen du grief tiré d’une violation de l’obligation de motivation, d’examiner le bien fondé de cette constatation, force est déjà de constater qu’elle paraît présenter le degré de transparence du marché sous une forme très atténuée au vu des éléments sur lesquels elle repose. En particulier, s’agissant de l’Italie, il n’est guère possible de comprendre comment la Commission a pu estimer que les réponses des clients ont fait apparaître, « en majorité », que les majors n’avaient connaissance que « dans une certaine mesure » des remises accordées par leurs concurrents, dès lors que la note en bas de page n° 55 de la décision indique que « [l]es cinq détaillants italiens qui ont répondu à la question ont indiqué que les grandes maisons de disques connaissaient les PPV et les remises appliquées par leurs concurrents ». De même, pour la France, il ressort de la note en bas de page n° 49 de la décision que trois détaillants sur quatre ont indiqué que les grandes maisons de disques connaissaient les PPV et les remises appliquées sur le marché par leurs concurrents.

313    Il y a lieu d’observer, ensuite, que, pour aucun des pays, les notes en bas de page explicatives ne font état d’une quelconque distinction entre remises ordinaires et promotionnelles, de sorte que n’apparaissent pas les raisons pour lesquelles la Commission a déduit des réponses des clients que les majors avaient une certaine connaissance des seules remises ordinaires et non des remises promotionnelles.

314    En tout état de cause, force est de constater que, selon la décision elle-même, la Commission a estimé qu’il existait une certaine transparence des remises ordinaires.

315    Il apparaît ainsi que le seul élément d’opacité relevé dans la décision consiste dans l’affirmation, au considérant 80 (et aux considérants correspondants pour les autres grands pays), qu’il « apparaît toutefois que les remises promotionnelles sont moins transparentes que les remises ordinaires et que leur contrôle exige également une observation rigoureuse de l’évolution de ce type de remises sur le marché au détail ».

316    Il convient de relever, à cet égard, tout d’abord, qu’il n’est pas indiqué que les remises promotionnelles sont opaques, mais seulement qu’elles sont « moins transparentes que les remises ordinaires » et que leur contrôle exige une observation rigoureuse. Il est, en outre, précisé que la Commission a constaté que Sony et BMG avaient mis sur pied un système de rapports hebdomadaires produits par leurs forces de ventes, sans toutefois qu’il ait pu être démontré que ces rapports garantissaient un degré de transparence suffisant desdites remises promotionnelles.

317    Il y a lieu de rappeler, ensuite, que, ainsi qu’il ressort de la deuxième phrase du considérant 150 de la décision, les principales remises pratiquées dans la totalité des pays sont les remises ordinaires. Il s’ensuit que, selon la décision elle-même, les remises promotionnelles n’ont qu’une incidence limitée sur les prix. De même, il ressort du considérant 77 que les remises (tant ordinaires que promotionnelles) n’ont pas affecté, sur les six dernières années, les politiques convenues en matière de prix.

318    Il convient également d’observer que la décision n’indique pas que le marché est opaque, ni même qu’il n’est pas suffisamment transparent pour permettre une coordination des prix, mais tout au plus que les remises promotionnelles seraient moins transparentes, sans même que la décision fournisse le moindre élément d’information quant à leur nature, les circonstances dans lesquelles elles sont attribuées ou leur importance concrète sur les prix nets, ni sur leur impact sur la transparence des prix.

319    Il convient de rappeler, par ailleurs, que, ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, la Commission a relevé dans la décision de nombreux éléments et facteurs qui favorisent la transparence du marché et facilitent le contrôle du respect d’une entente.

320    Il s’ensuit que les quelques affirmations relatives aux remises promotionnelles contenues dans la rubrique de la décision dévolue à l’examen de la coordination des prix dans les grands pays, dans la mesure où elles sont imprécises, non étayées, voire contredites par d’autres observations figurant dans la décision, ne sauraient démontrer l’opacité du marché ni même des remises promotionnelles. Ces affirmations se bornent, en outre, à indiquer que les remises promotionnelles seraient moins transparentes que les remises ordinaires mais n’expliquent pas en quoi elles seraient pertinentes pour la transparence du marché et ne permettent pas de comprendre comment elles pourraient, à elles seules, compenser tous les autres facteurs de transparence du marché identifiés dans la décision et ainsi supprimer la transparence nécessaire à l’existence d’une position dominante collective.

321    S’agissant, enfin, des observations figurant dans la rubrique de la décision consacrée à l’appréciation de la situation dans les petits pays, la Commission relève d’abord au considérant 149 de la décision que les PPV sont utilisés d’une manière assez comparable dans les grands pays. Elle relève, à cet égard, que l’essentiel des ventes est réalisé sur quelques PPV et que les majors utilisent les PPV d’une manière parallèle, précisant que, « [c]omme l’attestent les chiffres indiqués pour chacun des petits pays, en ce qui concerne les Pays-Bas et la Belgique, les deux principaux PPV de Sony et BMG sont pratiquement identiques ». Elle en conclut qu’il existait entre les PPV des grandes maisons de disques un niveau d’évolution semblable élevé. Il ressort ainsi du considérant 149 que la Commission a constaté, dans les petits pays, une transparence et un alignement des PPV encore plus marqués que dans les grands pays.

322    S’agissant des remises accordées dans les petits pays, force est de constater que la rubrique en question ne contient aucune observation relative aux remises promotionnelles et que celles-ci ne sont pas mentionnées. Tout au contraire, la Commission indique au considérant 150 de la décision que, de même que dans les cinq grands pays, les principales remises pratiquées dans la totalité des petits pays sont les remises ordinaires.

323    Par ailleurs, si la Commission indique que des remises sur facture de portée très importante sont octroyées par Sony et BMG, que leur montant varie d’un client à un autre et que leur niveau diffère aussi entre BMG et Sony, qu’elles ne sont pas rendues publiques et débouchent sur une diminution de la transparence, elle ne fournit toutefois aucune indication chiffrée sur leur importance ou leur variation. En outre, il n’est pas expliqué si, et dans l’affirmative, les caractéristiques du marché ne rendent pas, comme dans les grands états, à tout le moins, les remises ordinaires transparentes. De même, il n’est pas indiqué si les remises, ordinaires et/ou promotionnelles, conduisent à des prix nets différents, l’indication que « la Commission n’a pas démontré l’existence d’éléments de preuve suffisant à attester qu’un parallélisme des prix nets moyens pourrait être imputé à une collusion tacite » semblant plutôt indiquer que tel n’est pas le cas.

324    Il s’ensuit que la rubrique relative aux petits pays ne comporte pas non plus de motivation de la constatation selon laquelle le marché ne serait pas transparent du fait des remises promotionnelles. En tout état de cause, la situation existant dans les petits pays ne saurait constituer une motivation valable de la constatation relative au degré de transparence des marchés des grands pays.

325    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le grief tiré d’une insuffisance de motivation de la constatation relative à la transparence du marché est fondé, ce qui justifie en soi l’annulation de la décision.

326    À titre surabondant, le Tribunal examinera néanmoins, en outre, les griefs et arguments de la requérante selon lesquels les éléments avancés par la Commission en vue de démontrer l’insuffisance de transparence du marché sont entachés d’erreur manifeste d’appréciation.

b)     Sur le grief pris d’une erreur manifeste d’appréciation

327    Il convient de rappeler, tout d’abord, que les règles de fond du règlement et, en particulier, son article 2, confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d’ordre économique. En conséquence, le contrôle par le juge communautaire de l’exercice d’un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentration, doit être effectué compte tenu de la marge d’appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations (arrêts Kali & Salz, point 245 supra, points 223 et 224, et Commission/Tetra Laval, point 232 supra, point 38 ; arrêts du Tribunal Gencor/Commission, point 246 supra, points 164 et 165 ; Airtours/Commission, point 45 supra, point 64 ; du 25 octobre 2002, Tetra Laval/Commission, T‑80/02, Rec. p. II‑4519, point 119, et du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, non encore publié au Recueil, point 60).

328    La Cour a toutefois précisé ce qui suit :

« Si la Cour reconnaît à la Commission une marge d’appréciation en matière économique, cela n’implique pas que le juge communautaire doit s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge communautaire doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées. » (Arrêt Commission/Tetra Laval, point 232 supra, point 39.)

329    C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si les appréciations de la Commission relatives à la transparence du marché sont entachées d’erreur manifeste.

330    La requérante fait observer, tout d’abord, que, avant l’adoption de la décision, les marchés de la musique enregistrée avaient été considérés comme suffisamment transparents pour permettre une position dominante collective.

331    La requérante rappelle à cet égard que, dans le cadre de l’examen du projet de concentration entre EMI et Time Warner, la Commission avait constaté que le marché de la musique enregistrée est caractérisé par des produits à prix standardisés (standardised pricing products) et est « très transparent » (voir points 37, 38 et 57 de la communication des griefs relative au projet de concentration EMI/Time Warner).

332    Elle ajoute que, dans son rapport du mois de septembre 2002 sur le marché de la musique enregistrée au Royaume-Uni (« Wholesale supply of compact discs »), l’Office of Fair Trading a également estimé que le marché présentait un haut degré de transparence et a identifié une série de facteurs (en particulier, la publication hebdomadaire de hit-parades, la vente en commun et les visites régulières des détaillants pour vérifier les stocks) qui rendaient disponibles plus d’informations sur les concurrents que dans beaucoup d’autres industries (voir point 114 de la communication des griefs).

333    Enfin, la requérante fait valoir que, en l’espèce, après un premier examen du projet de concentration entre Sony et Bertelsmann, notifié le 9 janvier 2004, et une première enquête dans le marché, notamment auprès des détaillants et des majors, la Commission a, par décision du 12 février 2004, conclu que l’opération soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun et a donc ouvert la procédure conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement. Au cours de cette procédure, la Commission a poursuivi son enquête et a adressé une série de demandes d’informations aux parties à la concentration (les 19 février, 5 mars, 17 mars, 23 mars, 1er avril et 10 mai 2004) aux autres majors (les 11 mars et 10 mai 2004), ainsi qu’aux différents acteurs du marché (voir notamment le questionnaire du 16 avril 2004 aux détaillants). Au vu de l’examen de l’ensemble des données et informations obtenues, ainsi que des discussions avec Sony et BMG, la Commission a émis, le 24 mai 2004, une communication des griefs dans laquelle elle a conclu provisoirement que l’opération était incompatible avec le marché commun, notamment parce qu’elle renforcerait une position dominante collective sur le marché de la musique enregistrée.

334    La requérante souligne que, dans la communication des griefs, la Commission a, d’une part, constaté un parallélisme des prix des majors, tant bruts que nets, et a, d’autre part, estimé que le marché était suffisamment transparent pour permettre le développement d’une position dominante collective des majors et la surveillance d’une coordination des prix (voir, notamment, point 93 de la communication des griefs). Aux points 94 à 115 de la communication des griefs, la Commission a analysé, à cet égard, dix facteurs qui rendent le marché de la musique enregistrée particulièrement propice à la coordination et facilitent le contrôle de celle-ci. La Commission a ainsi relevé a) l’homogénéité du produit ; b) le nombre limité de PPV ; c) le nombre limité d’albums pertinents ; d) la publication hebdomadaire de hit-parades ; e) la stabilité de la clientèle ; f) la relative stabilité des parts de marché ; g) le nombre élevé de contacts dus à l’intégration verticale des majors ; h) le nombre élevé de liens structurels entre les majors tels que les joint ventures pour les compilations et la distribution ainsi que les accords de licence et de distribution ; i) la participation conjointe dans les associations de l’industrie ; j) la négociation conjointe des droits d’auteurs.

335    S’il apparaît ainsi que, contrairement à l’appréciation retenue par la Commission dans la décision, le marché en cause avait été considéré, tant par la Commission que par l’autorité de concurrence du Royaume-Uni, en ce qui concerne le marché britannique, comme étant très transparent et, en tout cas, suffisamment pour permettre la surveillance nécessaire d’une coordination tacite des prix, cette seule circonstance ne saurait toutefois, à elle seule, établir que la position opposée adoptée par la Commission dans la décision est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, d’une part, les appréciations portées par une autorité nationale de concurrence ne sauraient d’une quelconque manière lier la Commission dans son analyse et, d’autre part, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, la communication des griefs ne constitue qu’un document préparatoire dont les appréciations sont de caractère purement provisoire et la Commission a l’obligation de tenir compte des éléments recueillis durant la procédure administrative, ainsi que des arguments avancés par les entreprises concernées, pour abandonner des griefs qui se seraient en définitive révélés mal fondés. Cette observation s’applique naturellement a fortiori s’agissant des appréciations provisoires effectuées plusieurs années auparavant dans le cadre de l’examen d’une autre opération de concentration ou des appréciations émises par une autre autorité de concurrence dans un contexte différent. Cela ne signifie toutefois pas que la communication des griefs soit totalement dépourvue de valeur ou de pertinence. En effet, sauf à priver de la moindre valeur toute la procédure administrative d’enquête, non seulement la Commission devrait-elle être en mesure d’expliquer, certes pas dans la décision mais, à tout le moins, dans le cadre de la procédure devant le Tribunal, les raisons pour lesquelles elle estime que ses appréciations provisoires étaient erronées, mais surtout les appréciations contenues dans la décision doivent être compatibles avec les constatations factuelles opérées dans la communication des griefs dans la mesure où il n’est pas établi que celles-ci étaient inexactes.

336    La requérante soutient ensuite, à titre principal, que toutes les preuves recueillies par la Commission et contenues tant dans la communication des griefs que dans la décision indiquent que les prix pratiqués par les majors sont transparents et certainement assez transparents pour permettre une coordination tacite. La Commission n’aurait présenté aucune preuve établissant l’opacité du marché mais se serait contentée de déduire des variations alléguées des remises qu’elles pourraient réduire la transparence. La requérante formule une série de griefs relatifs aux considérations sur les remises et soutient que la Commission a accordé une importance excessive aux remises, en particulier promotionnelles, sans même avoir examiné leur pertinence.

337    Il convient d’examiner successivement les griefs et arguments relatifs aux facteurs de transparence du marché relevés dans la décision et ensuite ceux visant à contester les facteurs d’opacité allégués, en les confrontant simultanément aux arguments et éléments de preuve avancés par les parties défenderesse et intervenantes, même si de nombreux éléments ou arguments sont liés entre eux et si l’appréciation de la transparence du marché doit reposer sur une analyse globale de l’ensemble des éléments pertinents.

 Facteurs de transparence relevés dans la décision

338    En premier lieu, il convient de rappeler que les prix de vente bruts des majors à leurs clients (détaillants, supermarchés, etc.) sont publics, puisqu’ils figurent dans leurs catalogues. C’est là, incontestablement, une source très importante de transparence en matière de prix. Certes, le considérant 76 de la décision mentionne seulement que « les PPV sont assez transparents, puisqu’ils figurent dans les catalogues des majors » et qu’« il semble donc possible de contrôler les prix [de] catalogue d’autres [m]ajors ». Toutefois, cette formulation atténuée ne saurait relativiser le constat de transparence des prix bruts, la Commission n’ayant invoqué, ni dans la décision ni dans la procédure devant le Tribunal, aucun élément en vue d’expliquer que les prix bruts ne seraient qu’« assez transparents ». Dans la communication des griefs (point 81), la Commission notait d’ailleurs, à cet égard, ce qui suit :

« La Commission estime qu’il est extrêmement facile pour les majors de surveiller les PPV auxquels les nouveaux albums à succès sont mis sur le marché, car ces PPV sont à la disposition du public dans les catalogues des majors. »

339    En deuxième lieu, il y a lieu de souligner qu’il est indiqué dans la décision que, bien que les parties à la concentration aient affirmé qu’elles utilisaient plus de 100 PPV, la Commission a constaté que chaque major a généré avec ses trois principaux PPV, selon les pays, plus de 55 à plus de 80 % du total de leurs 100 meilleures ventes. Cette concentration de l’essentiel des ventes d’albums sur un nombre très limité de prix de référence, laquelle est confirmée par les réponses des majors, a pour effet de faciliter la coordination des prix, ainsi que l’a d’ailleurs souligné la Commission au point 96 de la communication des griefs : « Ce système de prix facilite la coordination dès lors qu’il fournit une information facile à interpréter concernant le niveau auquel les majors fixent le prix de la plupart de leurs ventes ».

340    Dans son mémoire en défense, la Commission a, certes, argué de la complexité de la fixation des prix de gros en ce que les albums individuels ont des degrés divers de succès, ce qui influerait sur la fixation initiale du PPV lors de la sortie de l’album et sur ses évolutions ultérieures, de sorte qu’il serait difficile de déterminer si le PPV d’un album est modifié pour soutenir un succès déclinant ou dans le cadre d’une stratégie de « déviation ». Force est de constater, d’abord, que cette argumentation ne trouve aucun appui dans la décision et se trouve même en contradiction avec les constatations qui y sont opérées. En effet, ainsi qu’il est mentionné ci-dessus, la Commission a constaté, au considérant 76 de la décision (et aux considérants correspondants pour les autres pays) que, même si les majors ont affirmé utiliser plus de 100 PPV, elles n’utilisent que deux ou trois PPV pour l’essentiel de leurs ventes. En outre, il est exposé au considérant 110 de la décision que, « [e]n dépit de cette hétérogénéité des contenus, les modalités de tarification et de commercialisation des albums sur les marchés de gros paraissent assez standardisées ». Il y a lieu d’observer, ensuite, que le degré de succès d’un album étant à tout moment connu grâce aux hit-parades, les majors pourront, contrairement à ce que soutient la Commission, aisément déterminer si la modification du PPV d’un album s’inscrit ou non dans la politique de prix convenue.

341    En troisième lieu, le considérant 111 de la décision indique ce qui suit :

« […] Bien que les ventes d’albums se fassent sur un nombre limité de prix de référence, la variété des albums proposés à différents prix [de] catalogue pourrait compliquer le contrôle du respect d’une entente. Les [m]ajors ne doivent cependant contrôler que les prix de référence d’un nombre limité d’albums parmi les mieux vendus pour suivre le gros des ventes. Il ressort des données fournies par les parties à la concentration que les 20 titres les mieux vendus chaque année représentent au moins la moitié des ventes annuelles de BMG, tous pays confondus, excepté l’Allemagne » (voir, également, point 85 de la communication des griefs).

342    Dans son mémoire en défense, la Commission a toutefois fait valoir que, comme le degré de succès à venir n’est pas prévisible avec une totale certitude avant la sortie d’un album donné (pas plus que la durée de son succès après sa sortie), une coordination réussie nécessiterait un suivi constant des PPV sur un nombre d’albums individuels beaucoup plus important que le nombre d’albums recensés a posteriori comme ayant contribué le plus au chiffre d’affaires de chaque major.

343    Force est de constater que cette argumentation ne trouve aucun appui dans la décision selon laquelle les majors ne doivent contrôler que les prix de référence d’un nombre limité d’albums parmi les mieux vendus pour suivre le gros des ventes. Ce suivi est, au demeurant, largement facilité par les hit-parades qui fournissent à tout moment une indication très précise sur l’évolution du succès des différents albums.

344    En outre, ainsi que le souligne à juste titre la requérante, la décision indique également que la « Commission a trouvé certains éléments selon lesquels les PPV pourraient avoir été utilisés comme base pour aligner les prix ». L’affirmation de la Commission selon laquelle cette constatation n’est pas définitive ne saurait, à l’évidence, être retenue, la décision constituant, par définition, le stade ultime de la procédure d’examen de la concentration et la Commission ne faisant référence à aucun autre élément de la décision qui infirmerait ou tempérerait cette constatation. Tout au plus la Commission invoque-t-elle le fait que les parties à la concentration ont présenté des éléments de preuve démontrant que les combinaisons de PPV correspondant à leurs 20 meilleurs albums respectifs changeaient souvent dans une forte proportion d’un trimestre à l’autre et que l’imprévisibilité du succès obligerait chaque major à surveiller les PPV de plus de 80 albums (ou 60 albums après la concentration) produits par ses concurrents. Or, cette constatation n’a précisément pas été reprise dans la décision et se trouve, au contraire, contredite par les constatations opérées dans celle-ci.

345    Force est également de constater que les données établies par les économistes des parties à la concentration, outre que l’on ne voit pas en quoi elles sont susceptibles de permettre de parvenir à la conclusion qu’en tire la Commission, ne sont pas claires et ne paraissent pas fiables. Il est, ainsi, pour le moins surprenant que les PPV aient pu augmenter, d’un trimestre à l’autre, dans les proportions indiquées [confidentiel].

346    En tout état de cause, le nombre d’albums qui, selon la Commission, devrait être surveillé ne paraît pas à ce point élevé au point de rendre l’exercice impossible ni même particulièrement lourd ou coûteux, d’autant plus que, ainsi que le reconnaît la Commission, les hit-parades hebdomadaires facilitent considérablement le suivi.

347    Il résulte de ce qui précède que trois facteurs – caractère public des prix bruts (PPV), nombre limité de prix de référence et nombre limité d’albums à surveiller – relevés dans la décision sont de nature à créer une forte transparence des prix.

348    En outre, ainsi qu’il est indiqué au considérant 112 de la décision, « il existe sur le marché d’autres dispositifs qui accroissent la transparence et pourraient faciliter le contrôle du respect d’une entente ».

349    En premier lieu, la décision indique, au considérant 112, que « la publication de [hit-parades] hebdomadaires fournissant des informations sur les ventes par titre permet de détecter très facilement les titres qui deviennent des ‘tubes’ et génèrent la majeure partie des ventes ». Les hit-parades constituent ainsi une source importante de transparence, dans la mesure où ils permettent non seulement d’identifier, à tout instant, les albums les plus vendus, mais également de vérifier si les albums sont vendus à un prix correspondant à leur niveau de succès, les PPV étant publics. La décision précise d’ailleurs que cette « publication hebdomadaire sur les ventes par titre facilite considérablement le contrôle par les [m]ajors ».

350    En deuxième lieu, le marché est « caractérisé par des relations stables et durables entre détaillants et [m]ajors », chaque détaillant devant proposer les produits de toutes les grandes maisons (considérant 112 de la décision).

351    En troisième lieu, il n’y a, selon la décision, qu’un nombre limité d’acteurs sur le marché, une grande partie des ventes étant acheminée vers un nombre limité de clients. Comme l’expose le considérant 112 in fine, cette situation « favorise l’adoption de stratégies de coopération servant les intérêts des [m]ajors, comme elle facilite le contrôle et la circulation des informations ».

352    En quatrième lieu, la Commission a constaté l’existence d’un contrôle du marché au détail. Selon le considérant 113, « l’enquête a révélé que Sony et BMG [avaient] mis en place un système de rapports hebdomadaires incluant des informations sur les concurrents ».

353    Dans son mémoire en défense, la Commission fait, certes, valoir que les rapports qui lui ont été remis par les parties à la concentration ne contenaient pas d’informations sur les remises et qu’elle n’a pu démontrer que ces rapports garantissaient un degré de transparence suffisant des remises promotionnelles accordées par les concurrents.

354    Il convient de relever à cet égard, tout d’abord, que, quel que soit le degré de précision des informations sur les prix de vente bruts, nets ou au détail ou sur les remises contenues dans ces rapports, ils constituent, ainsi que le relève d’ailleurs la décision, un facteur supplémentaire de transparence du marché. Il ressort d’ailleurs des rapports hebdomadaires produits par la Commission que ceux-ci contiennent des d’informations sur les stocks d’albums de la concurrence et leur évolution.

355    Il convient d’observer, ensuite, qu’il ne s’agit que de quelques exemples de rapports hebdomadaires produits par les parties à la concentration elles-mêmes.

356    [confidentiel]

357    [confidentiel]

358    [confidentiel]

359    [confidentiel]

360    [confidentiel]

361    En cinquième lieu, il est exposé, au considérant 113 de la décision, que les forces de vente des majors entretiennent des contacts réguliers et permanents avec les détaillants et les grossistes, les négociations sur les soutiens et remises promotionnelles se déroulant souvent sur une base hebdomadaire. Si l’existence de contacts avec les détaillants n’a rien d’anormal, la fréquence des contacts permet toutefois aux forces de ventes d’obtenir des informations plus précises sur la concurrence et les conditions pratiquées par celle-ci et de suivre presque en temps réel les évolutions des succès des différents albums des concurrents. Il en est d’autant plus ainsi en l’espèce que, ainsi qu’il est exposé au considérant 112 de la décision, la nature du marché est telle que chaque détaillant doit proposer les produits de tous les majors, de sorte que chaque major est en contact permanent avec tous les clients de ses concurrents et peut ainsi obtenir des informations précises sur les conditions pratiquées par ceux-ci. Il est également constaté que l’essentiel des ventes est acheminé vers un nombre limité de clients. Ces éléments sont de nature à créer une grande transparence du marché. La Commission a d’ailleurs conclu, au considérant 112 de la décision, que cette situation « favoris[ait] l’adoption de stratégies de coopération servant les intérêts des grandes maisons de disques, comme elle facilit[ait] le contrôle et la circulation des informations ».

362    Il ressort de ces cinq éléments supplémentaires que la transparence déjà forte qui résultait des trois premiers facteurs mentionnés ci-dessus (en particulier la publication des prix de vente) se trouve encore accrue. Il y a lieu d’observer, à cet égard, que, au point 116 de la communication des griefs, la Commission avait d’ailleurs conclu que « la structure du marché [était] telle que l’information circul[ait] aisément et que la surveillance, de la part des majors, des principes directeurs de chacune n’était que routine ».

363    Il convient maintenant d’examiner si les éléments invoqués par la Commission comme source d’opacité du marché sont à ce point importants qu’ils permettent d’écarter la conclusion que le marché est suffisamment transparent pour permettre la surveillance du respect de la politique commune arrêtée en matière de prix.

 Éléments de nature à opacifier le marché

364    En dépit des nombreuses sources de transparence du marché rappelées ci-dessus, la Commission, ainsi qu’il ressort du considérant 157 de la décision, a toutefois conclu à l’absence de position dominante collective en raison des déficits constatés au niveau de la transparence réelle.

365    Il ressort de la rubrique ad hoc consacrée à l’examen de la transparence du marché que cette appréciation repose sur l’affirmation, exposée au considérant 111 de la décision, selon laquelle « un certain contrôle au niveau du produit individuel, c’est-à-dire l’album, est également nécessaire, en particulier pour ce qui concerne les remises promotionnelles ». Ce considérant indique en outre que « [l]’enquête de marché montre que cette nécessité pourrait réduire la transparence sur le marché et rendre les ententes tacites plus difficiles » et que « [l]a Commission n’a pas trouvé assez d’éléments de preuve pour conclure que ces difficultés [avaient] pu être surmontées par le passé ». Il est précisé, à cet égard, au considérant 113 de la décision, que la Commission n’avait « pas trouvé assez d’éléments pour démontrer qu’en contrôlant les prix au détail ou en utilisant ces contacts avec les détaillants les grandes maisons de disques [avaient] pu, par le passé, combler le déficit de transparence en matière de remises, notamment promotionnelles ». Il s’ensuit que c’est en raison des remises, ou du moins des remises promotionnelles, que la Commission a estimé que le marché n’était pas suffisamment transparent pour permettre l’instauration d’une position dominante collective.

366    Il convient d’observer, à cet égard, à titre liminaire, que la Commission n’a pas conclu dans la décision que, du fait des remises, le marché n’était pas transparent, ni même que les remises affectaient la transparence ou le degré de transparence nécessaire pour permettre une position dominante collective, mais tout au plus qu’elles pourraient « rendre les ententes tacites plus difficiles ». Dans ces conditions, et au vu du caractère public, et donc transparent, des PPV et de tous les autres facteurs, qui, selon les termes mêmes de la décision, accroissent la transparence du marché et facilitent le contrôle du respect d’une entente, les observations et considérations contenues dans la rubrique ad hoc consacrée à l’examen de la transparence du marché ne permettent pas, ainsi qu’il a été jugé dans le cadre du grief relatif à la motivation, de justifier l’appréciation selon laquelle le marché n’est pas suffisamment transparent.

367    Toutefois, dans le cadre de la section consacrée à l’examen de la politique commune de prix, la Commission a constaté, en des termes identiques pour les cinq grands pays, des fluctuations des remises, résultant pour l’essentiel des remises promotionnelles, et a indiqué n’avoir pu démontrer un degré de transparence suffisant des remises promotionnelles (considérants 79 et 80 de la décision pour le Royaume-Uni et, respectivement, considérants 86 et 87, 93 et 94, 100 et 101 et 107 et 108 pour les autres pays).

368    L’appréciation de la Commission repose sur l’idée, avancée explicitement dans ses mémoires et sous-jacente dans la décision, selon laquelle une coordination tacite en matière de prix ne peut être effective que si elle concerne les prix de vente nets, c’est-à-dire les prix bruts – soit, en l’espèce, les PPV moins les remises. Il ne servirait en effet à rien de suivre une politique commune au niveau des PPV, et de pouvoir surveiller le respect de celle-ci, si des remises secrètes et opaques annihilaient les effets de cette coordination des prix de catalogue.

369    Il ressort de la décision (considérant 73) que les majors octroient des remises de plusieurs types : des remises sur facture (ordinaires ou promotionnelles), des remises arrière et des paiements au titre d’accords de coopération commerciale. Il est constant que seules les remises sur facture ont été considérées comme pertinentes par la Commission aux fins d’apprécier la transparence. En effet, d’une part, selon le considérant 73 (et également selon le considérant 151), l’enquête a montré que les dépenses au titre des accords de coopération commerciale constituaient plutôt une sorte de rémunération des actions de commercialisation qu’une véritable remise, d’autre part, les remises arrière sont, selon les considérants 78, 92, 99 et 106 de la décision, absentes ou faibles et, ainsi qu’il est exposé au considérant 151 de la décision, ayant « pour vocation d’être une sorte de ‘remise de fidélité’, elles n’ont pas d’effet immédiat sur la concurrence par les prix ». Tous les considérants de la décision relatifs à la transparence des remises (considérants 111 et 113 dans la rubrique ad hoc sur la transparence et considérants 79 et 80 dans la rubrique relative à la politique commune en matière de prix pour le Royaume-Uni ainsi que les considérants correspondants pour les autres grands États) ne contiennent d’ailleurs d’observations que sur la transparence des seules remises sur facture (ordinaires et promotionnelles). De même, dans ses mémoires devant le Tribunal, la Commission n’a invoqué que le défaut de transparence des seules remises sur facture.

370    Force est de constater, tout d’abord, que les considérants 111 et 113 ne contiennent pas de constatations spécifiques, mais se bornent en réalité à renvoyer aux observations développées dans la rubrique consacrée à l’examen de la politique commune en matière de prix (soit les considérants 79 et 80 pour le Royaume-Uni et les considérants correspondants pour les autres pays, qui sont formulés exactement dans les mêmes termes).

371    Il convient toutefois de souligner que le renvoi concerne, du moins expressément, les seules remises promotionnelles et non les remises ordinaires. En effet, d’une part, le considérant 111 fait référence à la nécessité d’un contrôle au niveau de l’album « en particulier pour ce qui concerne les remises promotionnelles » et, d’autre part, le considérant 113 in fine mentionne le « déficit de transparence en matière de remises, notamment promotionnelles, évoqué à propos des cinq grands États membres ». Il ressort ainsi des observations contenues dans la rubrique ad hoc sur la transparence que l’opacité ne résulte que des remises promotionnelles. Cette analyse est du reste confirmée par les considérants 79 et 80. Il est ainsi constaté, au considérant 79 de la décision, que les fluctuations des remises « résultaient pour l’essentiel des remises promotionnelles, utilisées d’une manière plus souple que les remises ordinaires qui sont en général fixées annuellement ». De même, il est indiqué, au considérant 80 de la décision, que les majors ont « connaissance, dans une certaine mesure, des remises ordinaires accordées par leurs concurrents, étant donné leur interaction permanente avec la clientèle » et que « les remises promotionnelles sont moins transparentes que les remises ordinaires ». Il n’est d’ailleurs affirmé, ni encore moins démontré, à aucun endroit de la décision que les remises ordinaires seraient opaques ou insuffisamment transparentes.

372    Dans ses mémoires devant le Tribunal, la Commission a également admis le caractère assez transparent des remises ordinaires dans la mesure, notamment, où elles sont fixées annuellement et s’appliquent à l’ensemble des ventes du client (à des taux éventuellement différents pour la musique pop, la musique classique ou les albums faisant l’objet d’une publicité à la télévision) et n’a d’ailleurs avancé d’arguments qu’en vue d’établir l’opacité des seules remises promotionnelles. Dans son mémoire en défense, elle a également expliqué avoir accordé une telle importance aux remises promotionnelles par la nécessité de contrôler toutes les composantes des prix nets, les PPV relativement transparents et une certaine connaissance des remises ordinaires n’étant pas suffisants si des remises promotionnelles opaques importantes étaient source de fluctuation des prix nets. De même, elle y a indiqué ne pouvoir parvenir à la conclusion que les majors connaissaient avec certitude les véritables pratiques de fixation des prix nets d’une autre major « en présence de preuve d’une relative transparence des PPV, de quelques preuves d’une certaine transparence des remises ordinaires et de preuves solides du caractère opaque et complexe des remises promotionnelles ». Enfin, dans ses observations finales, la Commission a même expressément indiqué avoir conclu dans la décision « à un degré important de transparence aussi bien des PPV que des remises ordinaires ».

373    Il ressort dès lors tant de la décision elle-même que de l’argumentation développée par la Commission devant le Tribunal que le seul élément d’opacité du marché allégué résulterait d’une moindre transparence des remises promotionnelles.

374    Force est de constater, tout d’abord, que seul le considérant 80 de la décision (et les considérants correspondants 87, 94, 101 et 108 pour les quatre autres grands États, lesquels sont rédigés de manière identique) a expressément pour objet la transparence des remises. Il y est exposé ce qui suit :

« [E]n ce qui concerne la transparence des remises, les réponses des clients […] à l’enquête réalisée par la Commission sur le marché ont fait apparaître, en majorité, que les grandes maisons de disques avaient connaissance, dans une certaine mesure, des remises ordinaires accordées par leurs concurrents, étant donné leur interaction permanente avec la même clientèle. Il apparaît toutefois que les remises promotionnelles sont moins transparentes que les remises ordinaires et que leur contrôle exige une observation rigoureuse de l’évolution de ce type de remises sur le marché au détail. »

375    Il convient d’observer, à cet égard, que, pour la plupart des grands pays, les réponses mentionnées dans les notes explicatives en bas de page sous les considérants 80, 87, 94, 101 et 108 de la décision font toutefois état d’un degré de transparence supérieur à celui mentionné dans la décision. Ainsi, la note en bas de page n° 55 précise que les « cinq détaillants italiens qui ont répondu à la question ont indiqué que les grandes maisons de disques connaissaient les PPV et les remises appliquées par leurs concurrents », la proportion étant de trois sur quatre pour les détaillants français, le quatrième déclarant ne pas être en mesure de se prononcer (voir note en bas de page n° 49). À l’exception d’un seul client britannique, pour aucun des autres pays la note explicative n’indique qu’au moins un détaillant a répondu que les majors ne connaissaient pas les remises. De même, à l’exception d’un seul détaillant sur huit en Allemagne, aucun détaillant n’a, selon les notes explicatives, précisé que les majors n’auraient connaissance que dans une certaine mesure des remises pratiquées par leurs concurrents.

376    Par ailleurs, il convient de souligner qu’aucune des notes explicatives ne précise que les détaillants auraient répondu que les majors ne connaissaient que les remises ordinaires et non les remises promotionnelles, les réponses ne se référant qu’aux remises sans distinction.

377    Force est, dès lors, de constater que les éléments de preuve, tels qu’ils sont mentionnés dans la décision, ne permettent pas d’étayer les conclusions qui en sont tirées.

378    Il apparaît, ensuite, que les conclusions qui en sont tirées dans la décision se démarquent également très nettement des constatations opérées dans la communication des griefs.

379    La communication des griefs indiquait, ainsi, au point 81, que « la Commission considère qu’il existe suffisamment de preuves que les majors sont au courant de leurs conditions commerciales respectives ». Plus encore, il ressort de celle-ci qu’il ne s’agit pas tant d’une appréciation de la Commission, susceptible d’être modifiée, mais plutôt d’une constatation factuelle résultant de son enquête. En effet, le point 92 de la communication des griefs précise : « L’information obtenue des détaillants indique que non seulement les majors ont connaissance de leur listes de prix respectives mais qu’elles ont en outre connaissance de leurs remises et pratiques commerciales respectives. Certains des revendeurs les plus importants en France, au Royaume-Uni et en Allemagne ont informé la Commission de ce qu’ils pensaient que les majors avaient une bonne connaissance de leurs conditions commerciales respectives. » De même, la note explicative n° 54 de la communication des griefs rapporte que les détaillants ont déclaré : « Les majors sont bien familiarisés avec les fourchettes de remises pratiquées par leurs concurrents. Il est de notoriété publique que les remises sur les opérations commerciales accordées par les maisons de disques sont connues des équipes commerciales des majors. Un client a déclaré que les majors connaissaient leurs remises respectives avec une précision de 0,5 à 1 %. » La Commission poursuit, au point 92 de la communication des griefs, en ces termes : « De nombreux revendeurs pensent aussi que c’est une pratique commune d’utiliser les conditions obtenues de la part d’une des majors pour négocier une position avec les autres majors » en citant, dans la note explicative n° 55, la réponse suivante d’un détaillant : « À l’occasion de négociations commerciales, il est fait référence aux conditions et remises appliquées par d’autres majors. Le nombre réduit de fournisseurs permet facilement aux majors d’avoir une image complète des conditions qu’elles appliquent et de s’aligner en conséquence. » Enfin, bien qu’il s’agisse plus d’une appréciation que d’une constatation, la Commission indiquait, au point 129 de la communication des griefs : « L’enquête de marché a confirmé que les forces de vente des majors sont en contact régulier et permanent avec les détaillants et les grossistes […] Différents classements étant par ailleurs publiés, les majors peuvent ainsi aisément surveiller si les autres majors offrent des remises additionnelles pour les meilleurs albums. »

380    La lecture du mémoire en défense de la Commission soulève, par ailleurs, encore davantage d’interrogations. À la note en bas de page n° 45, sous le considérant 51 du mémoire en défense de la Commission, la Commission expose : « Les parties notifiantes ont fait valoir qu’un certain nombre de réponses positives ne concernaient que les PPV ou ne faisaient pas de distinction entre les PPV et les remises. Cinq réponses seulement sur un total de 36 réponses accessibles émanant de tous les pays ont indiqué expressément qu’il existait une certaine transparence des remises ; le point de vue opposé a été défendu expressément dans onze réponses. » Si la première phrase indique, certes, qu’il ne s’agit que d’un argument avancé par les parties à la concentration, la seconde phrase est en revanche présentée comme une constatation factuelle de la Commission. Or, force est de constater que cette affirmation est en contradiction manifeste avec la présentation des réponses des détaillants contenue dans la décision, les notes en bas de page nos 49, 52, 55 et 57 de la décision indiquant, ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, que la grande majorité des détaillants avaient répondu que les majors connaissaient les remises de leurs concurrents, sans d’ailleurs qu’il soit nullement précisé qu’il ne s’agissait que d’une connaissance partielle ou approximative, et aucun (à l’exception d’un seul détaillant britannique) n’a indiqué que celles-ci ne seraient pas transparentes. L’argument de la Commission ne saurait dès lors être suivi. Par ailleurs, le mémoire en défense de la Commission se réfère seulement aux réponses de 36 détaillants, alors qu’il en existe au moins 42, que les parties à la concentration ont d’ailleurs commentées dans leur note sur la transparence du 17 juin 2004.

381    Il ressort, ensuite, des réponses de la Commission aux questions écrites du Tribunal que les conclusions qu’elle a tirées de l’enquête auprès des détaillants s’expliquent, en partie, par la circonstance qu’elle a suivi l’argumentation développée par les parties à la concentration dans leur réponse à la communication des griefs et dans une note sur la transparence des prix déposée le 17 juin 2004 après l’audition devant la Commission, selon laquelle les réponses affirmatives des détaillants qui ne précisaient pas s’ils faisaient référence aux PPV et/ou aux remises devaient être écartées.

382    Avant d’examiner le bien-fondé de cette explication, il y a lieu, tout d’abord, de s’étonner de la tardiveté avec laquelle elle a été fournie. Le degré de transparence constituant, en l’espèce, la question essentielle, il est difficile de comprendre que cette explication relative au principal élément de preuve ne figure ni dans la décision, ni surtout dans le mémoire en défense, ni même dans le mémoire en observations complémentaires, mais n’ait été avancée que la veille de l’audience en réponse à une question spécifique du Tribunal.

383    S’agissant du bien-fondé de l’argument, il convient de rappeler que le questionnaire adressé par la Commission aux détaillants posait la question suivante : « D’après l’expérience de votre service d’achat, les maisons de disques connaissent-elles les PPV et les remises de leurs concurrents ? » Ainsi que l’a fait valoir à juste titre la requérante, il n’y a aucune raison valable de considérer que les réponses affirmatives (au demeurant parfois exprimées sous une forme très catégorique, telle que « évidemment », « absolument » ou « certainement », des détaillants qui n’ont pas précisé s’ils faisaient référence aux prix et/ou aux remises ne peuvent être prises en considération. Une réponse à la question, telle qu’elle était formulée, qu’elle soit affirmative ou négative, doit, en effet, logiquement être comprise comme visant les deux points en cause si elle ne contient pas de restriction ou de précision. Dans l’hypothèse où la Commission estimait qu’il subsistait néanmoins un doute sur la signification exacte des réponses, il lui appartenait, en particulier au vu de l’importance que ce point revêtait pour la décision, de vérifier ce point auprès des détaillants en question, ce qui d’ailleurs eût pu être fait dans des délais très brefs.

384    En tout état de cause, force est de constater que l’affirmation des parties notifiantes, avalisée par la Commission, selon laquelle « cinq réponses seulement sur un total de 36 réponses ont indiqué expressément qu’il existait une certaine transparence tandis que le point de vue opposé a été défendu expressément dans onze réponses » est manifestement erronée.

385    S’agissant des prétendues onze réponses indiquant expressément qu’il n’existe pas de transparence pour les remises, il y a lieu de constater qu’il ressort de la note de Sony et de BMG du 17 juin 2004 (annexe C.9 au mémoire en intervention), tout d’abord, que le chiffre allégué est de dix réponses négatives et non de onze (voir p. 213) et que, en réalité, la note n’en mentionne que sept, dont seulement quatre concernent les grands pays qui font l’objet de l’examen principal dans la décision. Il apparaît, en outre, que presque aucune de ces quatre réponses ne peut être lue comme contenant une réponse expressément négative. Il est clair que la réponse [confidentiel] « à notre avis, ils connaissent les PPV des concurrents » ne saurait être comprise comme indiquant expressément que les majors ne connaissent pas les remises des concurrents. L’autre réponse relative au marché allemand indique « pas en détail, mais ils connaissent le prix minimum de la concurrence », ce qui ne constitue pas non plus une réponse expressément négative. La réponse figurant à la page 61 [confidentiel] relative au marché du Royaume-Uni est la seule réponse expressément négative « PPV – Oui. Remises – Non », mais elle précise cependant immédiatement que, « toutefois, si un album fait l’objet d’une remise générale auprès des détaillants, la diminution du prix de vente moyen au détail qui en résulte sera évidente pour tout le marché ». Enfin, l’autre réponse prétendument négative [confidentiel] mentionnée dans la note du 17 juin 2004 (« nous ne sommes pas au courant que les maisons de disques sont au courant des PPV et des remises de leurs concurrents ») ne figure pas au dossier. En effet, les quatre autres réponses relatives au marché du Royaume-Uni (tant selon la décision que selon les documents transmis par la Commission au Tribunal, cinq détaillants britanniques ont répondu) indiquent respectivement «  PPV – Oui. Remises – Dans une fourchette de 0,5 à 1 % » (p. 56), « Évidemment » (p. 58), « Oui » (p. 63), « les maisons de disques sont bien au courant des PPV de leurs concurrents […] croit qu’elles sont également plutôt bien familiarisées avec les fourchettes de remises pratiquées par leurs concurrents » (p. 65) (ce détaillant indique également, dans la réponse à la question suivante, que « dans les négociations commerciales il est fait référence aux conditions et remises pratiquées par d’autres majors » et que « le nombre réduit de fournisseurs permet facilement aux majors d’avoir une image complète des conditions qu’elles appliquent et de s’aligner en conséquence ». Force est de constater que toutes les réponses des clients britanniques, loin d’être expressément négatives, font, au contraire, clairement état d’une transparence assez forte tant des PPV que des remises.

386    Il ressort, en outre, de l’examen desdites réponses des détaillants, produites par la Commission la veille de l’audience, que celles-ci ne supportent pas les conclusions qu’elle en a tirées. De nombreuses réponses font en effet état de la transparence des remises ou de leur connaissance par les majors.

387    Il résulte de ce qui précède que l’appréciation des réponses des détaillants faite par la Commission est entachée d’erreur manifeste.

388    S’agissant, ensuite, de la distinction, opérée dans la décision, entre la transparence des remises ordinaires et celle des remises promotionnelles, il ressort du mémoire en défense que c’est sur la base de l’analyse faite par les parties à la concentration des réponses des détaillants, des déclarations des cadres nationaux de Sony et de BMG (annexe B.2) et des rapports de suivi des représentants commerciaux qu’elle a conclu que, si la transparence pouvait porter sur les PPV et, dans une certaine mesure, sur les remises ordinaires, elle ne s’étendait probablement pas aux remises promotionnelles, qui sont négociées au cas par cas.

389    Or, aucune de ces trois sources ne permet d’étayer la conclusion tirée par la Commission. En premier lieu, ainsi qu’il est exposé ci-dessus, l’appréciation des réponses des détaillants faite par la Commission, conformément à l’analyse des parties à la concentration, est entachée d’erreur manifeste. En outre, aucune réponse des détaillants, qu’elle soit positive ou négative, n’opère de distinction entre les remises ordinaires et les remises promotionnelles. En deuxième lieu, il est clair que de simples déclarations des représentants des parties à la concentration ne sauraient constituer une preuve valable de l’opacité des remises promotionnelles. En troisième lieu, les rapports hebdomadaires de suivi des représentants commerciaux incluant des informations sur les concurrents constituent, ainsi qu’il est exposé au considérant 113 de la décision, une source supplémentaire de transparence du marché. Dès lors, à supposer même qu’ils ne contiennent pas d’informations très précises sur les remises, en particulier promotionnelles, ils ne sont en tout état de cause pas de nature à établir l’opacité de celles-ci. En outre, ainsi qu’il a été constaté ci-dessus [confidentiel].

390    Il résulte de ce qui précède que l’appréciation de la transparence du marché opérée dans la décision est entachée d’erreur manifeste dans la mesure où elle s’appuie sur des éléments qui ne sont pas de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées.

391    À titre surabondant, le Tribunal examinera cependant encore les arguments tirés de la variation et de la complexité des remises promotionnelles.

392    Aux considérants 79, 86, 93, 100 et 107 de la décision, la Commission a constaté un certain degré de fluctuation et, également, des différences entre les remises sur facture de Sony et de BMG pour la majeure partie de leurs principaux clients dans les cinq grands pays (2 à 5 % au Royaume-Uni, en Allemagne et en Espagne ; 1 à 3 % en Italie, la situation étant un peu différente en France, mais du même ordre de grandeur si l’on considère l’ensemble des remises). Il est également indiqué ce qui suit :

« De plus, les parties [à la concentration] ont transmis des données qui font apparaître que les remises sur facture pour un client donné variaient dans le temps et d’un album à l’autre et que les remises octroyées pour un album donné fluctuaient d’un client à l’autre. L’enquête sur le marché a fait apparaître que ces fluctuations résultaient pour l’essentiel de remises promotionnelles, utilisées de manière plus souple que les remises ordinaires. »

393    Dans son mémoire en défense, la Commission a produit de nombreux tableaux en vue de montrer la variation et la complexité des remises. Il en ressortirait que les remises promotionnelles sont moins transparentes que les remises ordinaires et que leur suivi nécessiterait une observation minutieuse des promotions sur le marché de détail, et la Commission n’aurait pas découvert d’éléments de preuve suffisants attestant que les majors avaient agi ainsi. Dans son mémoire en défense, la Commission a expliqué avoir examiné les éléments du prix net d’un album individuel (PPV, remise ordinaire, remise promotionnelle éventuelle) et avoir conclu qu’un degré de transparence suffisant de tous les éléments serait nécessaire pour qu’une grande maison de disques puisse avoir raisonnablement la certitude qu’elle connaît les véritables pratiques de fixation des prix nets d’une autre maison de disques, telles qu’elles s’expriment au niveau des clients et des albums et qu’elle « ne pouvait parvenir à une telle conclusion en présence de preuves d’une relative transparence des PPV, de quelques preuves d’une certaine transparence des remises ordinaires, et de preuves solides du caractère opaque et complexe et des remises promotionnelles ».

394    Cette argumentation de la Commission appelle les observations suivantes.

395    En premier lieu, il est étonnant que la Commission s’appuie sur les variations des remises pour établir l’absence de transparence. Dans ses mémoires devant le Tribunal, la Commission a en effet souligné à de nombreuses reprises le défaut de pertinence de la stabilité ou du parallélisme des prix nets ou des remises pour apprécier la transparence du marché. Elle a ainsi, notamment, soutenu qu’une stabilité importante des remises (moyennes) d’une maison de disques ne saurait constituer la preuve de la transparence nécessaire, que l’intérêt de la Commission pour la transparence des remises n’avait pas pour objet de vérifier si les majors avaient suivi une ligne d’action commune, que les éléments de preuve relatifs à la pratique effective de remises promotionnelles à un moment donné n’étaient pertinents que pour apprécier le degré effectif d’alignement des prix, qu’un alignement étroit à quelque niveau que ce soit ne pouvait, en tout état de cause, être considéré comme une preuve suffisante de coordination, qu’un certain degré de stabilité dans le temps des remises accordées par une grande maison de disques n’était pas une preuve en soi et que même un degré élevé de prévisibilité statistique ne démontrait pas l’existence d’une coordination.

396    De même, dans leur note du 17 juin 2004 sur les éléments de preuve relatifs à la transparence, envoyée après l’audition devant la Commission, les parties à la concentration ont soutenu que la question 28 du questionnaire Phase II adressé aux clients (« Avez-vous observé un alignement des PPV, des remises ou d’autres termes et conditions entre les [majors] ? ») n’avait aucun lien avec la transparence des prix (« Clairement, au vu de ses termes mêmes, cette question ne concerne pas le problème de la transparence du prix »).

397    En deuxième lieu, il convient de rappeler que les seules observations relatives aux remises contenues dans la section ad hoc de la décision consacrée à l’examen de la transparence du marché (considérants 111 à 113 de la décision) se bornent, en ce qui concerne les remises promotionnelles, à renvoyer aux constatations effectuées dans la section relatives à l’examen de la politique commune de prix dans les cinq grands pays (soit les considérants 77 à 80 pour le Royaume-Uni et les considérants correspondants pour les autres grands pays). Or, au considérant 70 de la décision, la Commission, en vue de déterminer si les majors avaient effectivement poursuivi une politique de coordination de leurs prix, a indiqué que « les prix moyens constitu[ai]ent un bon instrument pour déterminer si les grandes maisons de disques [avaient] un comportement parallèle en matière de prix ». Il s’ensuit que, selon la décision même, pour apprécier la transparence, la Commission a estimé pouvoir se fonder sur les données moyennes, et non sur les variations ponctuelles, y compris pour les remises promotionnelles.

398    À tout le moins, il n’apparaît pas que la Commission ait procédé à un examen sérieux des variations ponctuelles des remises promotionnelles et de l’impact de celles-ci sur la transparence du marché ou des prix. Il ressort d’ailleurs du considérant 72 de la décision, mentionnant les différents éléments analysés par la Commission, que seules les données moyennes sur les remises sur facture ont été examinées (voir note en bas de page n° 43 de la décision). Tant dans la communication des griefs que durant toute la procédure administrative, la Commission a estimé que les données relatives aux prix, bruts et nets, et aux remises moyennes permettaient d’apprécier l’existence d’une position dominante collective et, donc, également, si le marché était suffisamment transparent. Ce n’est qu’à la suite de l’audition des 14 et 15 juin 2004 que la Commission a modifié son appréciation et a adopté la thèse défendue par les parties à la concentration, selon laquelle la complexité et les variations des remises promotionnelles suppriment la transparence nécessaire, sans toutefois procéder à de nouvelles enquêtes sur le marché pour vérifier le bien-fondé de ces nouvelles conclusions.

399    En troisième lieu, les arguments et éléments de preuve relatifs aux prétendues variations des remises promotionnelles avancés par la Commission dans la décision et dans les mémoires produits devant le Tribunal appellent, en outre, une série d’observations relatives, d’une part, à leur degré d’opacité et, d’autre part, à leur pertinence.

–       Sur l’opacité des remises promotionnelles

400    Il convient d’observer, à titre liminaire, que ni dans la décision, ni même dans aucun des mémoires déposés devant le Tribunal, la Commission n’a défini précisément ce que sont les remises promotionnelles, les conditions dans lesquelles elles sont octroyées et auxquelles elles sont soumises, leur fréquence, leur montant ou le type d’albums auxquelles elles sont censées s’appliquer. Il semble ressortir toutefois du dossier, et notamment des rares extraits des réponses des concurrents produits par la Commission, qu’il s’agit de remises ponctuelles, d’un pourcentage assez élevé, qui sont accordées pour un volume déterminé d’albums particuliers et pour une durée limitée, dans des cas spécifiques, typiquement pour écouler un stock important.

401    Selon le considérant 79 de la décision (et les considérants correspondants pour les autres grands pays), « les parties [à la concentration] ont transmis des données qui font apparaître que les remises sur facture pour un client donné varient dans le temps et d’un album à l’autre et que les remises octroyées pour un album donné fluctuaient d’un client à l’autre ». Bien que ce point de la décision mentionne la catégorie plus générale des remises sur facture, il y a lieu de considérer que l’observation concerne en réalité les seules remises promotionnelles. En effet, ainsi qu’il ressort de la décision et des mémoires de la Commission, les remises ordinaires sont négociées avec chacun des clients pour une année entière et sont applicables à l’ensemble des ventes du client en question. La Commission poursuit d’ailleurs, au considérant 79 de la décision, en précisant que ces fluctuations résultent pour l’essentiel des remises promotionnelles. La Commission soutient que ces variations de trois types (par client, par album et dans le temps) rendent les remises promotionnelles opaques. À l’appui de cette affirmation, la Commission a fourni en annexe à son mémoire en défense une série de tableaux censés démontrer ces diverses variations (ci-après les « nouvelles preuves »).

402    Il convient d’observer à cet égard, tout d’abord, que, ainsi que l’a fait valoir à juste titre la requérante, une remise promotionnelle (campaign discount) semble, par essence, avoir vocation à revêtir un caractère de publicité. Une remise promotionnelle, laquelle est d’un pourcentage élevé et s’ajoute à la remise ordinaire, ne sera logiquement accordée par la maison de disque à un détaillant qu’à la condition qu’il répercute celle-ci sur le consommateur final (par le biais d’une diminution claire de prix ou d’un meilleur positionnement dans l’étalage) en vue de majorer les ventes de l’album sur lequel elle porte. Il en est d’autant plus ainsi que, ainsi qu’il ressort du point 115 de la communication des griefs, les « royalties » (droits d’auteur) sont calculées sur le PPV d’un album et non sur le prix net, de sorte que les majors ont tout intérêt à limiter au maximum l’octroi de remises.

403    Force est de constater, ensuite, que les trois seuls extraits des réponses des concurrents à la demande de renseignements au titre de l’article 11 du règlement produits par la Commission devant le Tribunal, loin de confirmer l’assertion de la Commission, témoignent, au contraire, du caractère plutôt public et transparent des remises promotionnelles.

404    Ainsi, selon la réponse d’une des majors :

« [Les remises promotionnelles] peuvent être utilisées pour une nouvelle sortie afin de promouvoir un nouvel artiste, de soutenir un nouveau magasin, pour soutenir un programme ou une campagne de vente en particulier (le plus souvent cela concerne une catégorie entière de disques) ou pour promouvoir un événement spécifique. Ce type de remise peut représenter une proportion significative d’un PPV [confidentiel] et est important en ce que il a pour objet de développer certaines ventes. »

405    Les précisions quant aux conditions dans lesquelles ces remises sont octroyées, contenues dans la seule autre réponse des majors produite par la Commission, tendent également à indiquer qu’elles se rapportent à des événements bien spécifiques facilement détectables par les concurrents. Cette major expose en effet :

« [Les remises promotionnelles] « sont des remises offertes dans le cadre de campagnes promotionnelles particulières. Elles sont liées à des sorties ou à des groupes de sorties particuliers. Si, par exemple, un artiste est en tournée pour promouvoir un nouvel album, une remise peut être offerte en vue de maximiser les volumes de vente de cet album durant la période de tournée de l’artiste. De même, certains stocks saisonniers (musique de Noël) peuvent être associés à une campagne particulière. Les remises promotionnelles visent parfois des enregistrements plus anciens n’ayant plus beaucoup de succès. Typiquement, […] essaiera de vendre une grande quantité d’un disque particulier (ou d’une série de disques) ayant fait l’objet d’une remise à un détaillant qui, ensuite, les revend sous forme d’offre spéciale. Des remises pour les nouvelles sorties sont parfois accordées sur les précommandes afin d’assurer une présence importante sur le point de vente. […] Ce type de remise tend à être accordé pour les nouveaux artistes ou les artistes montants, lorsque […] souhaite donner un coup de fouet aux ventes grâce à une campagne promotionnelle ciblée. »

406    Enfin, il ressort de la réponse du producteur indépendant que, d’une part, les remises promotionnelles se traduisent de manière visible par un prix de vente au consommateur inférieur et un meilleur positionnement en magasin des albums en bénéficiant et, d’autre part, que les campagnes sont souvent lancées par les détaillants eux-mêmes qui invitent les différents producteurs à y participer (voir également, en ce sens, les déclarations des représentants de Sony et de BMG, annexe B.2), ce qui leur permet ainsi d’être au courant de l’existence desdites campagnes de remises.

407    Il s’ensuit qu’aucune information de tiers, ni dans la décision ni dans les nouvelles preuves produites par la Commission, ne confirme le caractère opaque des remises promotionnelles.

408    Il ressort toutefois du considérant 79 de la décision et des mémoires de la Commission devant le Tribunal que les parties à la concentration ont fourni des données qui montreraient que les remises promotionnelles ne sont pas suffisamment alignées en ce qu’elles varient dans le temps par client et par album. La Commission et les intervenantes soutiennent, en substance, que, du fait des variations et de la complexité desdites remises, le marché n’est pas suffisamment transparent.

409    Il convient de rappeler à cet égard, tout d’abord, que la Commission avait conclu, aux points 88 à 90 de la communication des griefs, sur la base de l’examen des données de l’ensemble des majors, que les remises variaient mais étaient stables, que hormis quelques exceptions les différences étaient assez limitées, qu’il n’y avait absolument aucune preuve de ce qu’elles étaient utilisées pour modifier fondamentalement les politiques de prix ni, en particulier, pour affecter les prix nets moyens des sorties de succès (new hit releases), les ratios des prix bruts aux prix nets étant très stables dans le temps et par albums.

410    Si, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, la Commission est certes en droit de modifier ses appréciations effectuées durant la procédure administrative, en particulier pour tenir compte des observations des parties concernées, et n’est pas tenue de fournir une motivation à cet égard dans la décision, il convient, en revanche, que les constatations portées dans la décision puissent être justifiées, à tout le moins au stade de la procédure devant le Tribunal, au regard des constatations factuelles préalablement opérées, le cas échéant en démontrant en quoi ces dernières étaient erronées. Or, en l’espèce, la Commission, ainsi que le souligne à juste titre la requérante, n’a pas procédé à un réexamen des données relatives aux remises de l’ensemble des majors, mais s’est bornée à justifier ses conclusions au regard des seules données fournies par les parties à la concentration.

411    Dans son mémoire en défense, la Commission a certes fait valoir qu’elle avait examiné les remises des autres majors, mais que, ces chiffres ne pouvant être révélés aux parties à la concentration, il était impossible de les inclure dans la décision. Cette argumentation ne saurait toutefois être suivie.

412    En premier lieu, il ressort clairement de la décision (voir, en particulier, le considérant 79 et la note en bas de page n° 43 de la décision), d’autres points des mémoires de la Commission (voir, notamment, le passage du mémoire en défense où la Commission indique expressément que « [s]eules les données de Sony et BMG ont été prises en compte, car les autres grandes maisons de disques [avaient] indiqué qu’elles ne facturaient que des prix nets ») et des nouvelles preuves déposées par la Commission que l’appréciation déduite des variations des remises dans la décision n’est fondée que sur les données relatives aux remises des seules parties à la concentration. Aucun considérant de la décision n’indique, d’ailleurs, que la Commission aurait examiné les données relatives aux remises des autres majors, ni a fortiori que celles-ci montreraient la complexité et les variations des remises promotionnelles.

413    En deuxième lieu, la Commission ne saurait, à l’évidence, soutenir qu’elle ne peut, dans le cadre de son examen d’un projet de concentration, prendre en considération, et le cas échéant fonder ses conclusions sur, les données des autres opérateurs du marché. Cette thèse rendrait impossible, dans la plupart des cas, l’examen de la compatibilité d’un projet de concentration avec le marché commun. Force est d’ailleurs de constater que la plupart des facteurs autres que les remises (parts de marché, prix bruts et nets, etc.) examinés dans la décision sont fondés sur les données des différents opérateurs du marché.

414    En troisième lieu, la Commission, soulignant, dans ses observations finales déposées après l’audience, les contraintes résultant des délais stricts régissant la procédure d’examen des projets de concentration et la nécessité de respecter les droits de la défense des parties notifiantes, a fait valoir que de nombreuses allégations de la requérante, selon lesquelles la Commission n’aurait pas dûment enquêté sur certaines questions essentielles en lien avec les griefs identifiés et aurait également dû enquêter sur d’autres griefs, reposent sur une conception erronée de la procédure de contrôle des concentrations, en ce que l’enquête menée sur les problèmes de concurrence que pose une concentration a essentiellement lieu avant la communication des griefs. Si la requérante ne saurait effectivement faire grief à la Commission de ne pas avoir enquêté sur des problèmes dénoncés pour la première fois devant le Tribunal, dont certains sont d’ailleurs manifestement irrecevables pour n’avoir été développés que dans sa réplique ou dans ses observations déposées après l’audience, cette observation de la Commission néglige cependant deux aspects. D’une part, il est constant que, dès le début de la procédure, la Commission a identifié la problématique de la transparence et des remises et qu’elle a interrogé tant les tiers que les parties à la concentration à cet égard. D’autre part, les contraintes de temps ont également pour effet que les parties à la concentration ne sauraient attendre la dernière minute pour soumettre à la Commission des éléments de preuve en vue de réfuter des griefs soulevés en temps utile par la Commission dans la mesure où celle-ci ne serait, dès lors, plus en mesure de procéder aux vérifications nécessaires. À tout le moins convient-il, dans cette hypothèse, que ces éléments de preuve apparaissent comme étant particulièrement fiables, objectifs, pertinents et convaincants pour pouvoir réfuter valablement les griefs soulevés par la Commission.

415    Force est d’observer d’emblée, à cet égard, qu’il ressort tant du libellé du considérant 79 de la décision (« les parties [à la concentration] ont transmis des données ») que de l’examen des nouvelles preuves (jointes en annexe au mémoire en défense) que non seulement les constatations relatives aux remises promotionnelles ne sont fondées que sur les données relatives aux parties à la concentration, mais en outre les tableaux reprenant celles-ci ont été préparés par lesdites parties (ou leurs économistes) selon une méthodologie et sur la base de données sélectionnées par elles-mêmes, sans qu’il apparaisse que la Commission ait effectué de contrôle quant à leur exactitude, leur pertinence ou leur caractère objectif et représentatif. Si, ainsi qu’elle l’a fait valoir à l’audience, la procédure de contrôle des concentrations repose, certes, nécessairement, dans une large mesure, sur la confiance, la Commission ne pouvant être tenue de vérifier par elle-même, dans le moindre détail, la fiabilité et l’exactitude de toutes les informations transmises, elle ne saurait, en revanche, aller jusqu’à déléguer sans contrôle la responsabilité de la conduite de certains aspects de l’enquête aux parties à la concentration, en particulier lorsque, comme en l’espèce, ces aspects constituent l’élément crucial sur lequel la décision est fondée et les données et appréciations soumises par les parties à la concentration sont diamétralement opposées aux informations recueillies par la Commission durant son enquête ainsi qu’aux conclusions qu’elle en avait tirées.

416    En quatrième lieu, la requérante a souligné, sans être contredite par la Commission, et ainsi qu’il est reconnu au point 146 de la communication des griefs, que Sony et BMG avaient obtenu des performances très différentes durant les années contrôlées. La force des sorties étant de nature à influencer les prix et les remises, les tableaux n’examinant que les données de ces deux parties ont tendance à majorer les variations.

417    En cinquième lieu, l’examen des nouvelles preuves produites par la Commission, à la lumière des considérations qui précèdent, appelle encore une série d’observations.

418    Dans son mémoire en défense, la Commission affirme s’être appuyée sur les données annexées à son mémoire pour parvenir à la conclusion que les remises connaissaient une triple variation (dans le temps, par album et par client).

419    Il convient d’observer à cet égard, tout d’abord, que, parmi toutes ces preuves supposées, seule l’une des annexes (B.4) a été établie par la Commission elle-même, bien que ne se fondant également que sur les données relatives aux remises accordées par Sony et BMG. L’annexe en question se compose de graphiques reprenant les remises sur factures moyennes accordées par les parties à la concentration, pour les années 2000 à 2003, à chacun de leurs dix meilleurs clients communs dans les grands pays, à l’exception de la France, la Commission ayant constaté que les données fournies relatives à la France présentaient des incohérences. Dans la communication des griefs (point 88), la Commission s’était appuyée sur ces graphiques pour montrer la stabilité globale des remises. La Commission n’a pas contesté l’exactitude de cette appréciation devant le Tribunal, mais s’est bornée à indiquer que les parties à la concentration avaient fait valoir que leurs traitements respectifs de certains clients comportaient des différences notables et a joint en annexe B.5 un extrait de leurs observations. Force est toutefois de constater que ces observations ne sont pas de nature à remettre en cause l’impression générale se dégageant desdits graphiques. Ainsi, pour le marché italien, qui montre une stabilité et un parallélisme avéré, si, ainsi que le relèvent les parties à la concentration, deux clients ont, certes, bénéficié de remises nettement inférieures aux autres clients, il est d’autant plus significatif que ces remises inférieures aient été accordées par Sony et BMG précisément aux deux mêmes clients, qu’elles soient d’un niveau quasi identique pour les deux majors et qu’elles aient varié de manière parallèle.

420    S’agissant des tableaux produits en annexe B.8 et B.9 au mémoire en défense, qui montreraient, selon la Commission, que la répartition des remises sur facture, accordées respectivement par Sony et BMG pour leurs 20 meilleurs albums dans chacun des cinq grands États membres, était sensiblement différente, il convient d’observer, tout d’abord, qu’elles concernent la catégorie plus générale des remises sur facture et non les seules remises promotionnelles et que, ainsi que l’a relevé la requérante, les différences dans les gammes de remises dans le temps pourraient être le résultat de différences dans les performances et n’excluent pas que les remises reposent sur un ensemble connu de règles.

421    Force est de constater, ensuite, que, si la ventilation entre les gammes de remises entre 1998 et 2003 varie effectivement dans le temps et dans les pays, elle varie toutefois de manière similaire pour les deux parties à la concentration, tant dans le temps que par pays. Cela ressort encore plus nettement du tableau (annexe B.9) comparant la ventilation des remises accordées pour l’année 2003 dans chacun des cinq grands pays, dans la mesure où, si la ventilation est variable d’un pays à l’autre, les remises des deux parties à la concentration évoluent de manière parallèle (voir, en particulier, les données relatives aux pays A et C). Ainsi, tandis que, dans le pays A, les remises de Sony et BMG sont pour l’essentiel concentrées dans la gamme [confidentiel] elles se situent principalement dans la tranche [confidentiel] et [confidentiel] dans le pays B, dans la tranche [confidentiel] pour le pays C et dans les tranches supérieures pour les pays D et E. Il ressort ainsi de ces tableaux des annexes non seulement que la ventilation des remises entre les différentes fourchettes au sein de chaque pays est assez similaire, mais, en outre, que les variations selon les pays sont très semblables.

422    S’agissant plus spécifiquement des remises promotionnelles, la Commission se réfère pour l’essentiel à deux de ses annexes (B.13 et E.4.2) pour étayer sa thèse selon laquelle les remises promotionnelles sont opaques du fait de leur extrême complexité et de leur importance. Or, il apparaît que les tableaux qui y figurent, qui ne concernent que les remises de Sony et de BMG pour une seule année et ont été élaborés entièrement par elles-mêmes, ne sauraient être considérés comme suffisamment pertinents et fiables.

423    Ainsi, s’agissant des tableaux de l’annexe B.13 comparant les remises sur factures accordées par les parties à la concentration à leurs six meilleurs clients pour leurs albums les mieux vendus en 2002 « figurant sur les listes de PPV à des prix similaires » (listed at similar prices), il y a lieu de constater, notamment, que, dans ses réponses aux questions écrites du Tribunal, la Commission a indiqué que le PPV choisi pour chaque pays représentait l’un des PPV les plus importants des parties respectives en termes de ventes générées, en précisant toutefois que, pour l’Allemagne, par exemple, il s’agissait des troisième et quatrième PPV pour BMG et le plus important et le sixième PPV pour Sony. Or, dès lors qu’il est exposé dans la décision que les parties à la concentration réalisaient l’essentiel de leurs ventes en utilisant un ou deux, ou au maximum trois, PPV, la question se pose de savoir dans quelle mesure les albums pris en considération représentent effectivement leurs albums les plus vendus. En outre, il ressort d’une note en bas de page se rapportant aux tableaux que de nombreux albums ont vu leur PPV être modifié au cours de l’année, ce qui apparaît comme étant de nature à avoir eu une incidence sur les remises octroyées et donc à majorer les variations comparatives. De même, il ressort desdits tableaux que les données de BMG concernent l’année 2002, tandis que celles pour Sony se rapportent à l’année comptable 2002/2003.

424    Enfin, en tout état de cause, si la lecture de ces tableaux est compliquée par le fait qu’ils juxtaposent alternativement les données de Sony et de BMG, alors que la comparaison doit être faite entre les remises accordées par chacune des parties à la concentration à ses différents clients et non entre les remises accordées pour les albums de l’une desdites parties par rapport aux remises accordées aux albums de l’autre partie, un examen attentif des tableaux montre que les variations apparaissent, en définitive, assez limitées. Il convient d’ailleurs de rappeler, à cet égard, qu’il ressort du point 75 de la communication des griefs et de sa note en bas de page nº 47 que la Commission avait effectué une analyse des prix bruts et nets de Sony et de BMG individuellement pour leurs dix meilleurs albums, et avait conclu, au point 90 de la communication des griefs, que « les ratios des prix bruts aux prix nets étaient très stables par albums et dans le temps pour les sorties individuelles examinées ». Or, ni la Commission ni les intervenantes n’ont affirmé, ni a fortiori démontré, que cette constatation serait inexacte.

425    S’agissant des tableaux de l’annexe E.4.2 qui ont pour objet de montrer les remises promotionnelles maximales accordées par Sony et BMG pour leurs albums les mieux vendus, force est de constater qu’ils contiennent de très nombreuses erreurs ayant pour effet de majorer celles-ci. En effet, il convient de relever que le calcul du différentiel entre les remises minimales et maximales par client (lequel équivaut, selon la Commission, à la remise promotionnelle) réalisé pour chacune des parties à la concentration a erronément été effectué, dans la plupart des cas, en considération des remises accordées par l’autre partie, alors que, ainsi que l’explique la Commission elle-même, ce calcul doit être effectué sur la base du différentiel entre les remises minimales et maximales accordées par une seule et même partie à ses différents clients.

426    Il ressort de ces deux exemples que, outre la nécessaire prudence avec laquelle il convient de considérer les différents tableaux produits par les parties à la concentration dans la mesure où ceux-ci ont été élaborés selon des paramètres choisis par elles-mêmes, lesquels au demeurant n’apparaissent pas toujours clairement, s’ajoute la possibilité qu’ils soient affectés d’erreurs matérielles, que, dans le cas présent, un examen même sommaire permet de relever.

427    En tout état de cause, à supposer que les différents tableaux élaborés par les parties à la concentration et produits par la Commission soient effectivement de nature à établir les variations plus ou poins importantes alléguées, il n’en reste pas moins que, ainsi que l’a fait remarquer à juste titre la requérante, ces variations sont d’une pertinence douteuse dans la mesure où, d’une part, elles ne montrent que des fourchettes sans analyser les moyennes pondérées et les variations par rapport aux moyennes et, d’autre part, elles n’excluent pas que ces variations puissent, à tout le moins pour un professionnel du secteur, s’expliquer assez aisément à partir d’un certain nombre de règles générales ou spécifiques gouvernant l’octroi des remises, à l’égard desquelles la Commission n’a pas procédé aux enquêtes nécessaires.

428    Si, ainsi que l’a souligné la Commission, la requérante n’a certes pas exposé de manière précise quelles seraient ces différentes règles régissant l’octroi des remises promotionnelles, ou, selon la Commission, en a mentionné un nombre trop élevé, ce qui rendrait leur application complexe et donc peu transparente, il n’en reste pas moins que, ainsi qu’il a déjà été constaté, la Commission n’a pas effectué d’enquête dans le marché à cet égard ou, à tout le moins, n’a produit aucun élément de preuve de l’opacité des remises promotionnelles, hormis les tableaux des parties à la concentration, lesquels, outre leurs imperfections, n’ont, en tout état de cause pour objet que d’établir l’existence de certaines variations desdites remises, mais ne démontrent pas que ces variations ne pourraient s’expliquer plus ou moins aisément pour un professionnel du secteur. Il ne saurait d’ailleurs être reproché à la requérante de n’avoir pas effectué elle-même cette démonstration dans la mesure où les tableaux ne précisent pas les albums, les clients, les montants et les moments auxquels ces remises ont été accordées et où ni la requérante ni le Tribunal ne sont dès lors en mesure de vérifier si lesdites remises ont été accordées conformément aux règles générales du secteur alléguées par la requérante.

429    S’agissant de l’argument de la Commission selon lequel les critères en fonction desquels sont généralement accordées des remises promotionnelles seraient à ce point nombreux qu’ils en rendraient l’application opaque, il y lieu de constater, tout d’abord, que la requérante a exposé que, pour les différentes catégories de disques (nouvelles sorties, nouvel artiste, catalogue « full price », catalogue « mid price », catalogue « budget »), il existait un nombre limité de stratégies générales de vente (replacement d’un disque dans le hit-parade, participation à des campagnes de promotion, achats d’emplacements en magasin), lesquelles peuvent différer dans une certaine mesure selon les types de clients (supermarchés, chaînes spécialisées, magasins indépendants). Si la combinaison des variables a nécessairement pour effet d’accroître les hypothèses, la Commission n’a toutefois pas démontré que l’exercice en serait rendu d’une difficulté excessive pour un professionnel du marché. Il convient de relever, ensuite, que l’exposé, à l’annexe B.14, par les parties à la concentration elles-mêmes des quelques principes régissant l’octroi des remises promotionnelles est également plutôt de nature à confirmer l’existence des règles générales alléguées par la requérante ainsi que leur absence de complexité excessive. Enfin, il y lieu d’observer que même un nombre assez élevé de règles, d’apparence complexe, le cas échéant même difficiles à énumérer de manière exhaustive, n’empêche pas nécessairement un professionnel de déterminer assez aisément si celles-ci sont, a priori ou dans l’ensemble, respectées. Ainsi, les règles de savoir-vivre ou d’étiquette nécessiteraient de longs ouvrages pour être exposées en détail, mais une personne un tant soit peu au fait de celles-ci peut néanmoins aisément déterminer si le comportement d’une autre personne s’y conforme pour l’essentiel.

430    En tout état de cause, ainsi que l’a souligné la requérante, il ne ressort ni de la décision ni des éléments de preuve produits par la Commission que celle-ci ait enquêté sur l’existence de règles généralement connues régissant l’octroi des remises promotionnelles ou sur la possibilité pour les majors d’établir si les remises octroyées par les autres majors sont conformes à ces règles ou si elles s’éloignent des principes communs.

431    Par ailleurs, la requérante a encore soutenu que les prix nets pour les détaillants étaient transparents dans la mesure où les marges des détaillants sont généralement transparentes et sont connues avec un degré élevé de précision.

432    Dans son mémoire en défense, la Commission a soutenu, à cet égard, que sa conclusion relative à l’inefficacité du suivi des ventes au détail se fondait également sur la complexité et l’opacité des prix de détail. Elle fait valoir qu’il ressort de l’étude jointe en annexe audit mémoire qu’un suivi intensif des ventes au détail ne permettrait pas à une major d’en inférer les pratiques de fixation des prix nets (PPV diminué des remises sur facture) de ses concurrentes pour un album donné, au motif que les détaillants n’appliquent pas tous systématiquement la même majoration au prix de gros à un moment donné, ni à toutes les catégories d’albums ni même à tous les albums de la catégorie plus limitée des prix forts. Elle n’aurait constaté aucun lien démontrable entre les prix de détail et les remises sur facture accordées pour des albums de même PPV.

433    Il suffit de constater, à cet égard, qu’aucun considérant de la décision ne fait état de cette prétendue impossibilité de déterminer les prix de vente nets aux détaillants à partir des prix de vente au détail par un raisonnement à rebours (reverse engineering). En outre, aucun élément du dossier n’indique que la Commission ait, au cours de la procédure administrative, effectué le moindre examen quant au lien entre les prix de vente au détail et les prix de vente en gros, ni même collecté d’informations sur les prix de vente au détail. Ni l’argumentation développée par la Commission ni l’étude jointe en annexe au mémoire en défense ne sauraient dès lors être prises en considération.

434    Il y a lieu d’observer, en outre, que, ainsi que l’a fait valoir la requérante, l’étude préparée par les économistes des parties à la concentration ne présente pas de données suffisamment fiables, pertinentes et comparables et ne permet pas de soutenir les conclusions qu’en tire la Commission. La circonstance, à la supposer établie, que tous les détaillants n’appliquent pas toujours systématiquement la même majoration au prix de gros est, en tout état de cause, dénuée de pertinence. S’il est certes probable que les différents types de détaillants (supermarchés, indépendants, chaînes de magasins spécialisés, etc.) appliquent une politique de marge différente, et qu’il existe des différences au sein de chaque catégorie d’opérateurs, et même pour chaque opérateur individuel des différences selon les types d’album ou leur degré de succès, il est en revanche très peu probable, et l’étude ne contient aucune donnée à cet égard, qu’un détaillant applique une politique de vente différente pour un même type d’album. Or, tous les détaillants étant clients de toutes les majors, chaque major peut ainsi observer la marge appliquée par un détaillant particulier à ses propres albums et, ainsi, en déduire la marge que celui-ci applique normalement aux albums de ses concurrents présentant des caractéristiques semblables. Enfin, il convient de relever que, selon la déclaration des directeurs de vente de Sony et de BMG pour la France (jointe en annexe B.2), le prix de vente au détail est en général fixé en ajoutant la TVA au prix de gros.

435    Il résulte des considérations qui précèdent que les nouvelles preuves présentées par la Commission n’apparaissent pas suffisamment fiables, pertinentes et convaincantes pour établir le caractère opaque des remises promotionnelles.

436    Enfin, il convient encore d’observer, à titre surabondant, que, dans l’hypothèse où la remise promotionnelle ne serait pas transparente parce que le détaillant, à supposer qu’il soit autorisé à le faire, ne la répercuterait pas sur le consommateur final mais la conserverait pour accroître son bénéfice, la Commission n’a pas expliqué en quoi elle pourrait être pertinente en l’espèce. Si, dans le cas de produits parfaitement homogènes, une remise secrète et opaque accordée par un producteur à un détaillant peut être pertinente pour apprécier la transparence nécessaire pour une coordination tacite, dans la mesure où ladite remise permet à ce producteur de majorer ses ventes au détriment des autres membres de l’oligopole, il n’en va pas nécessairement de même dans le cas de ventes de produits différents à des intermédiaires. Ainsi, en l’espèce, chaque disque étant différent, un détaillant, qui n’achète aux majors que pour revendre au consommateur final, n’achètera, en principe, moins de disques à une major donnée que si le consommateur final est incité, par l’effet de la remise promotionnelle, à acheter plutôt le disque de la major concurrente ayant octroyé au détaillant ladite remise promotionnelle. En outre, bien que cela soit possible, voire probable, ni la Commission ni les intervenantes n’ont toutefois soutenu, ni a fortiori démontré, que l’octroi d’une remise promotionnelle serait lié à une absence de reprise des invendus. Dans ces conditions, une remise promotionnelle octroyée par une major à un détaillant, qui ne serait pas transparente du fait qu’elle n’est pas répercutée sur le consommateur final, ne semble pas susceptible d’avoir un effet sur le volume des ventes de l’album concerné ou de porter atteinte à une politique commune de prix issue de la coordination tacite. À tout le moins la Commission eût-elle dû examiner et expliquer en quoi une remise promotionnelle, opaque car non répercutée par le détaillant, aurait été susceptible de constituer un obstacle à la transparence nécessaire du marché dans la mesure où elle ne dissimule pas un comportement susceptible de porter atteinte à la coordination tacite.

–       Sur la pertinence des remises promotionnelles

437    La requérante formule une série de griefs par lesquels elle soutient, en substance, que la Commission s’est fondée à tort sur la nécessité d’une transparence totale du marché, qu’elle n’a pas examiné la pertinence des remises promotionnelles pour l’appréciation de la transparence du marché et qu’il n’est pas démontré que les remises promotionnelles suppriment ou réduisent la transparence nécessaire dans la mesure où elles ne concernent que marginalement les albums figurant dans les hit-parades ou les albums les plus vendus et n’affectent pas réellement les prix nets, notamment en ce qu’elles ne représentent qu’un quart à un tiers de toutes les remises.

438    En premier lieu, s’agissant du grief selon lequel la Commission aurait confondu l’exigence d’une transparence de marché suffisante, telle que définie à l’occasion de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, avec une exigence de transparence totale appliquée dans la décision, il y a lieu de constater que, ainsi que le souligne à juste titre la Commission, aucun considérant de la décision ne mentionne la nécessité d’une transparence totale.

439    Toutefois, il convient de vérifier si la Commission n’a pas, en pratique, exigé une transparence totale ou, à tout le moins, supérieure à celle nécessaire pour permettre une position dominante collective.

440    Ainsi qu’il ressort du point 62 de l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, la transparence nécessaire est celle qui permet à chaque membre de l’oligopole dominant de pouvoir connaître le comportement des autres afin de vérifier s’ils adoptent ou non la même ligne d’action, c’est-à-dire qu’il doit disposer d’un moyen de savoir si les autres opérateurs adoptent la même stratégie et s’ils la maintiennent. La transparence sur le marché devrait, dès lors, être suffisante pour permettre à chaque membre de l’oligopole dominant de connaître, de manière suffisamment précise et immédiate, l’évolution du comportement sur le marché de chacun des autres membres. La transparence requise n’implique pas que chaque membre puisse à tout moment connaître dans les moindres détails les conditions exactes de chaque vente effectuée par les autres membres de l’oligopole, mais doit, d’une part, permettre d’identifier les termes de la coordination tacite et, d’autre part, engendrer un risque sérieux qu’un comportement déviant de nature à mettre en péril la coordination tacite sera découvert par les autres membres de l’oligopole.

441    La Commission expose qu’elle a « examiné les éléments du prix net d’un album individuel vendu à un client individuel (PPV, remise ordinaire, remise promotionnelle éventuelle) et a essentiellement conclu qu’un degré de transparence suffisant de tous les éléments serait nécessaire pour qu’une grande maison de disques puisse avoir raisonnablement la certitude qu’elle connaît les véritables pratiques de fixation des prix nets d’une autre maison de disques, telles qu’elles s’expriment au niveau des clients et des albums ». Il ressort de cette explication que, bien que la décision ne fasse état, sans autre précision, que d’une transparence suffisante, la Commission semble avoir requis un niveau particulièrement élevé de transparence.

442    De même, la Commission soutient, notamment, que l’importance des remises promotionnelles résulte de ce que, « [p]our pouvoir coordonner les prix nets, les grandes maisons de disques doivent être en mesure d’en contrôler toutes les composantes, les PPV relativement transparents et les différentes remises sur facture ». La Commission précise, à cet égard, qu’« [u]ne ‘certaine connaissance’ des remises ordinaires n’est tout simplement pas suffisante si les remises promotionnelles sont responsables d’une fluctuation des remises (c’est-à-dire d’instabilité des prix nets) pour certains clients, dans le temps et d’un album à l’autre, aussi forte que celles mentionnées aux considérants 79, 86, 93, 100 et 107 [de la décision] et s’il apparaît que ces remises sont moins transparentes ».

443    D’une part, il convient d’observer, à cet égard, que, outre les nombreux autres facteurs de transparence mentionnés aux considérants 111 à 113 de la décision (en particulier les contacts permanents avec une clientèle stable, limitée et commune à toutes les majors, ainsi que la publication hebdomadaire des hit-parades), la Commission a estimé, dans la décision, se trouver en présence d’une transparence tant des prix bruts que des remises ordinaires. Bien que, dans ses mémoires devant le Tribunal, la Commission ait relativisé, au demeurant dans des proportions assez variables selon les arguments auxquels elle répondait, le degré de transparence de ces deux éléments constitutifs essentiels des prix nets, la Commission a même expressément indiqué, dans ses observations finales, qu’elle avait conclu « à un degré important de transparence aussi bien des PPV que des remises ordinaires ».

444    D’autre part, les fluctuations des remises dont seraient responsables les remises promotionnelles peuvent difficilement être qualifiées d’« aussi fortes », la décision mentionnant des différences de 2 à 5 points de pourcentage pour le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Espagne, de 1 à 3 points de pourcentage pour l’Italie et jusqu’à 3 points de pourcentage en France pour la majeure partie des principaux clients (ou principaux clients communs). En outre, ainsi que l’a soutenu la requérante et que l’a admis la Commission (notamment au point 13 des observations complémentaires), des assortiments de produits différents et des degrés de succès variables, ainsi que le type de clients, peuvent expliquer les variations des remises, de sorte qu’il ne peut être déduit que les assez faibles variations constatées sont effectivement attribuables aux remises promotionnelles.

445    En deuxième lieu, s’agissant des griefs de la requérante visant à contester la pertinence des remises, il convient de rappeler, tout d’abord, que, ainsi que le souligne la requérante, la Commission a constaté, aux considérants 77, 84, 91, 98 et 105 de la décision, que les prix de vente nets étaient étroitement liés aux prix bruts, étant donné l’évolution parallèle, ces six dernières années, des prix moyens bruts et des prix moyens nets réels de Sony et de BMG. Si la Commission a fait valoir, dans ses mémoires devant le Tribunal, que les données relatives aux prix moyens pouvaient gommer les variations individuelles, force est de constater, d’une part, qu’il est indiqué au considérant 70 de la décision que les prix moyens constituent un bon instrument pour déterminer si les majors ont un comportement parallèle en matière de prix et, d’autre part, que, en tout état de cause, il est également constaté, au considérant 77 de la décision, une très grande stabilité des ratios des prix nets aux prix bruts par album et dans le temps. Les remises ordinaires étant fixes pour un client donné et pour une année donnée, l’on ne voit dès lors pas comment les remises promotionnelles variables peuvent affecter les prix nets des albums concernés.

446    La pertinence des remises en général paraît du reste sérieusement mise en doute par les appréciations de la Commission elle-même. Ainsi, aux points 88 et 89 de la communication des griefs, la Commission avait indiqué, « après examen des données, avoir constaté que les remises ne modifiaient pas les prix relatifs des majors » et qu’« il n’y avait absolument aucune preuve que les remises aient été utilisées pour modifier fondamentalement les prix ». Si, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, la Commission est, certes, en droit de modifier ses appréciations, par définition, provisoires effectuées dans la communication des griefs, les appréciations et conclusions contenues dans la décision doivent toutefois être compatibles avec les constatations factuelles opérées durant la procédure administrative, sauf à démontrer, à tout le moins lors d’une procédure devant le juge communautaire, que celles-ci étaient erronées. Or, l’observation selon laquelle il n’y avait aucune preuve que les remises aient affecté sensiblement les prix constitue plutôt une constatation factuelle qu’une appréciation. En tout état de cause, la Commission ne semble pas avoir changé d’avis sur ce point, puisqu’il est indiqué au considérant 77 de la décision que, « [s]i les grandes maisons de disques s’étaient sensiblement écartées des politiques convenues en matière de prix en accordant des remises, cet écart serait apparu dans leurs prix moyens nets ».

447    En troisième lieu, force est de constater que la décision ne contient pas la moindre information de nature à démontrer l’incidence effective que les remises promotionnelles auraient sur les prix nets des albums concernés. La seule indication à cet égard figure au considérant 150 de la décision et tend au contraire plutôt à nier cette incidence, puisqu’il y est indiqué que, « [d]e même que sur des territoires plus étendus, les principales remises pratiquées dans la totalité des petits pays sont les remises ordinaires ». La Commission a, certes, avancé à l’audience l’hypothèse qu’il s’agisse d’une faute de frappe, mais elle a toutefois repris elle-même cette observation dans son mémoire en défense. Il convient de rappeler, par ailleurs, que, dans la communication des griefs, établie après cinq mois d’enquête au cours de laquelle la Commission avait interrogé tant les majors et les producteurs indépendants que les détaillants notamment sur l’importance respective des différents types de remises y compris les remises promotionnelles (voir, notamment, les questions 19 et 24 des questionnaires adressés dès le 20 janvier 2004 aux détaillants et aux concurrents, mentionnées à l’annexe E.4.1), la Commission n’a même pas estimé nécessaire de mentionner les remises promotionnelles.

448    Invitée par le Tribunal à indiquer la valeur totale des remises promotionnelles, en pourcentage des ventes totales des 100, et des 20, albums les plus vendus de chacune des cinq majors (soit la remise promotionnelle moyenne accordée sur ces albums), ainsi que la valeur relative des remises promotionnelles par rapport aux remises ordinaires pour lesdits albums, la Commission a répondu qu’il était impossible de les calculer sur la base des informations figurant dans son dossier.

449    Il résulte des observations qui précèdent que la Commission a conclu à l’insuffisance de transparence du marché, en dépit de la transparence des prix bruts et des remises ordinaires et des nombreux autres facteurs de transparence relevés dans la décision, au seul motif que les remises promotionnelles seraient moins transparentes, sans avoir cependant examiné si lesdites remises promotionnelles représentent un élément suffisamment significatif du prix des albums concernés pour avoir un impact effectif sur la transparence des prix desdits albums. Il s’ensuit que le grief de la requérante, selon lequel la décision est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que la Commission n’a pas examiné ou, à tout le moins, pas établi à suffisance de droit la pertinence des remises promotionnelles, est fondé.

450    Cette constatation ne saurait être remise en cause par l’affirmation de la Commission selon laquelle d’autres informations transmises pendant la procédure administrative lui ont permis de conclure que les remises promotionnelles étaient un élément essentiel de la fixation des prix et de calculer les remises promotionnelles moyennes pour 2002 appliquées à l’ensemble des albums. En particulier, les éléments sur lesquels repose cette argumentation ne sauraient être considérés comme suffisamment cohérents, fiables et pertinents, ni de nature à justifier les conclusions qui en sont tirées.

451    En premier lieu, la chronologie du déroulement de l’enquête ne permet pas de voir que la Commission a procédé à un examen de la pertinence des remises promotionnelles pour l’appréciation du degré de transparence du marché, ni a fortiori que celui-ci a pu être effectué sur la base de l’ensemble des données pertinentes et fiables. Il convient de rappeler, à cet égard, que, jusqu’à l’audition des 14 et 15 juin 2004, la Commission avait conclu, certes de manière provisoire, sur la base de l’examen de l’ensemble des éléments recueillis durant son enquête, à l’existence d’une position dominante collective préalable à la concentration et, notamment, à la transparence du marché et des remises et au fait que celles-ci n’étaient pas de nature à porter atteinte à la coordination des prix. Au vu des réponses tant des majors et des concurrents que des détaillants à ses questionnaires sur l’importance respective des différentes remises, notamment ordinaires et promotionnelles, elle n’a pas jugé nécessaire de mentionner les remises promotionnelles dans la communication des griefs (à tout le moins ainsi qu’il ressort de la version confidentielle produite devant le Tribunal). Il ne ressort pas du dossier, et la Commission ne l’a d’ailleurs pas soutenu, que, à ce stade, la Commission ait effectué le moindre examen relatif aux remises promotionnelles. Or, il n’apparaît pas non plus que, dans le bref intervalle entre l’audition des 14 et 15 juin 2004, à l’issue de laquelle la Commission a modifié son appréciation, et l’envoi du projet de décision au comité consultatif le 1er juillet 2004, la Commission ait procédé à une enquête pour vérifier la pertinence des remises promotionnelles, ni d’ailleurs leur degré de transparence. La seule mesure d’enquête postérieure à l’audition mentionnée par la Commission consiste d’ailleurs en une demande d’information datée du 21 juin 2004 adressée aux parties notifiantes, et portant non sur la pertinence des remises promotionnelles mais sur les activités de surveillance du marché des majors. Le caractère représentatif des rapports de suivi établis par les commerciaux de Sony et de BMG fournis (annexe B.15) en réponse à cette demande est, au demeurant, ainsi qu’il a été constaté ci-dessus, sérieusement mis en doute par les documents confidentiels produits par la requérante (annexe B.16). Enfin, dans ses observations finales, la Commission souligne elle-même que le droit des parties notifiantes à être entendues limite les possibilités d’enquête complémentaire après l’audition et exclut une consultation massive des opérateurs du marché au sujet des griefs. Les mesures d’enquête postérieures à l’audition consistent essentiellement, selon la Commission, à consulter les opérateurs du marché au sujet des engagements proposés et ne portent pas sur les griefs formulés à l’encontre de l’opération de concentration notifiée.

452    En deuxième lieu, si, dans ses réponses aux questions écrites du Tribunal, la Commission a indiqué que les informations fournies par les parties notifiantes durant la procédure administrative lui avaient permis de calculer les remises promotionnelles moyennes, elle a toutefois admis à l’audience ne pas avoir effectué elle-même les calculs et a dû laisser aux économistes des parties à la concentration le soin d’expliquer comment les remises avaient pu être calculées pour l’ensemble des albums mais non pour les 20 ou 100 albums les plus vendus, alors que l’enquête et les données collectées par la Commission ne portaient que sur ces albums.

453    En troisième lieu, si la Commission a indiqué que les calculs avaient été réalisés à partir des données qui ont servi de base à l’une des annexes B.12 au mémoire en défense, celle-ci ne contient toutefois que des données relatives à BMG et non à Sony.

454    En quatrième lieu, les données ne paraissent pas suffisamment cohérentes, fiables et pertinentes.

455    Il convient de relever, tout d’abord, que les tableaux fournis par la Commission en réponse aux questions du Tribunal concernent la seule année 2002, sans même que soient exposées les raisons pour lesquelles cette année a été choisie par les parties notifiantes, alors que la décision porte sur les prix et remises de 1998 à 2003. De même, si, pour BMG, la proportion des ventes brutes est calculée pour les dix plus gros clients, elle ne concerne que les cinq à dix plus gros clients (selon les pays) sans que soit fournie aucune explication à cet égard. Il y a lieu d’observer, également, que les fourchettes des remises promotionnelles mentionnées dans les tableaux (qui concernent l’ensemble des albums sur l’ensemble de la clientèle) ne correspondent pas à celles mentionnées dans les tableaux d’autres annexes B.6/E.2 (qui ne concernent que les 20 albums les plus vendus aux dix meilleurs clients). Le nombre d’albums et de clients pris en considération dans les tableaux étant beaucoup plus large que celui visé par lesdites annexes, la remise promotionnelle maximale des tableaux [confidentiel] devrait être égale ou supérieure à celle figurant dans les annexes en cause pour la même année [confidentiel]. Le total des remises sur facture de chacune des deux parties notifiantes ainsi que le différentiel entre les remises accordées par chacune sont également différents de ceux mentionnés dans la décision. La décision porte, certes, sur les albums les plus vendus en 2003 et non, comme les tableaux, sur l’ensemble des albums vendus en 2002, mais cela ne fait que confirmer que le résultat peut être différent selon les paramètres choisis et donc la nécessité que la Commission garde le contrôle des opérations, ou à tout le moins, vérifie la pertinence des données présentées par les parties à la concentration.

456    Force est de constater, ensuite, que, dans la mesure où ils portent sur la remise promotionnelle moyenne pour l’ensemble des albums vendus et non des 100 ou 20 albums les plus vendus, les tableaux manquent de pertinence, car ils présupposent ce qu’ils doivent précisément établir, à savoir que les remises promotionnelles jouent également un rôle important pour les albums les plus vendus ou les nouvelles sorties figurant dans les hit-parades (new hit releases) et qu’elles ne concernent pas principalement, ainsi que le soutient la requérante, les albums de fond de catalogue. L’argument de la Commission selon lequel, étant donné l’importance que représentent les 100 albums les plus vendus dans les recettes totales tirées des vente de musique, il serait surprenant que les niveaux moyens des remises promotionnelles calculées pour la totalité des albums vendus ne se répercutent pas sensiblement sur le prix des 100 albums les plus vendus, car cela signifierait que des remises promotionnelles moyennes qui seraient un multiple de la moyenne générale sont appliquées à tous les autres albums, ne saurait être suivi. Bien que la décision ne contienne aucun renseignement à cet égard et que la Commission n’ait guère fourni de précision dans ses mémoires, les seuls éléments contenus dans le dossier tendent à indiquer que les remises promotionnelles sont effectivement d’un niveau élevé, voire très élevé. Ainsi, en réponse au questionnaire de la Commission, une major a indiqué que « [c]e type de remise [pouvait] représenter une proportion importante du PPV (par exemple jusqu’à [confidentiel] ». De même, les tableaux de l’annexe E.2, produits par la Commission, contenant des estimations des remises promotionnelles maximales mentionnent des taux de remises accordées par les parties notifiantes à leurs dix meilleurs clients souvent très élevés et allant jusqu’à [confidentiel]. Ces estimations sont en outre qualifiées de prudentes par la Commission, car les chiffres sont annualisés alors qu’une remise promotionnelle est habituellement limitée dans le temps. Les remises promotionnelles ne représentant, même selon le tableau produit pas la Commission, qu’un faible pourcentage moyen du prix de vente [confidentiel] de l’ensemble des albums vendus, elles ne devraient dès lors s’appliquer qu’à un assez faible nombre d’albums. Enfin, ainsi qu’il a été constaté ci-dessus, les seules déclarations des majors produites par la Commission tendent à indiquer que les remises promotionnelles s’appliquent à des cas particuliers (artiste en tournée, certains stocks saisonniers, anciens albums ne se vendant plus très bien). Dans ces conditions, il ne saurait être présumé que les taux moyens des remises promotionnelles accordées à l’ensemble des albums sont représentatifs des remises promotionnelles accordées aux 100 albums les plus vendus, ni a fortiori aux nouveaux « hits releases ». Il convient de rappeler, en outre, à cet égard, que, aux points 87 et 90 de la communication des griefs, la Commission avait indiqué qu’elle estimait que les listes de prix des nouvelles sorties sont utilisées pour coordonner et surveiller les politiques de prix et qu’elle n’avait trouvé aucune preuve de ce que les remises étaient utilisées pour modifier substantiellement les prix nets moyens des nouveaux « hit releases ».

457    En cinquième lieu, à supposer même que les tableaux soient exacts et représentatifs, force est de constater que les remises promotionnelles ne représentent qu’une part très faible du prix de vente brut des albums dans trois des cinq grands pays pour BMG [confidentiel] % dans le pays B, [confidentiel] % dans le pays C et [confidentiel] % dans le pays D et dans deux des cinq grands pays pour Sony [confidentiel] % dans le pays C et [confidentiel] % dans le pays D. En outre, contrairement à ce qu’affirme la Commission, il ne saurait être considéré que les tableaux montrent que les remises promotionnelles moyennes des deux parties notifiantes diffèrent très largement dans la plupart des pays, dès lors que, dans trois pays sur cinq, la différence entre les remises promotionnelles pratiquées par Sony et BMG est inférieure à [confidentiel] %. Or, chaque pays constitue, selon la décision, un marché, et une concentration qui crée ou renforce une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative à l’égard d’un seul des marchés en cause doit être déclarée incompatible avec le marché commun. Dans ces conditions, à supposer même que les remises promotionnelles puissent être considérées comme moins transparentes, la Commission aurait dû, sous peine de faire application d’une exigence de transparence totale, à tout le moins, expliquer dans la décision en quoi, malgré leur effet réel minime sur les prix et la présence des nombreux facteurs de transparence relevés dans la décision, elles étaient de nature à supprimer la transparence suffisante du marché nécessaire pour permettre une position dominante collective.

458    En tout état de cause, des explications fournies au cours de la procédure contentieuse devant le Tribunal, ni a fortiori des vérifications portant sur un aspect essentiel de la décision, ne sauraient suppléer une carence d’examen au moment de l’adoption de la décision et effacer l’erreur manifeste d’appréciation dont est, par là, entachée la décision, et ce à supposer même que cette erreur n’ait eu aucune influence sur le résultat de l’appréciation (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 22 janvier 2004, Mattila/Conseil et Commission, C‑353/01 P, Rec. p. I‑1073, points 31 et 37).

c)     Conclusion sur la transparence

459    Il résulte des considérations qui précèdent que les constatations opérées dans la décision quant à la transparence du marché ne sont pas motivées à suffisance de droit et sont entachées d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elles ne reposent pas sur l’examen de l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération et ne sont pas de nature à étayer la conclusion que le marché n’est pas suffisamment transparent pour permettre une position dominante collective.

5.      Homogénéité

460    S’agissant du critère relatif à l’homogénéité du produit, il convient de rappeler que, au considérant 157 de la décision, la Commission a conclu à l’inexistence d’une position dominante collective en relevant, outre les déficits au niveau de la transparence et le manque d’éléments attestant l’existence de mesures de rétorsion dans le passé, les caractéristiques partiellement hétérogènes du produit. Toutefois, il convient de relever que, au sein du considérant 110 de la décision consacré à l’examen de l’homogénéité du produit, la Commission a souligné, d’une part, que le format de la musique enregistrée était homogène, d’autre part, que, en dépit de l’hétérogénéité des contenus, les modalités de tarification et de commercialisation des albums sur les marchés de gros paraissaient assez standardisés et, enfin, que, s’agissant des remises et des taux de retour convenus pour les invendus, les majors ne faisaient habituellement aucune distinction entre les genres musicaux ou les types d’albums. En contradiction à tout le moins apparente avec cette affirmation et sans autre explication, elle a ajouté que la tarification dépendait naturellement aussi du succès de l’album et qu’il existait une différence au niveau des albums en ce qui concerne les remises promotionnelles. Elle a conclu de ce qui précède que l’hétérogénéité du contenu et ses effets précités sur les prix réduisaient la transparence.

461    Il s’ensuit que la Commission a considéré que les éléments d’hétérogénéité relevés n’avaient une incidence que sur les remises promotionnelles. Or, ainsi qu’il a été exposé précédemment, les éléments relevés dans la décision et les arguments invoqués par la Commission dans ses écritures ne suffisent pas à établir la constatation selon laquelle le marché ne présentait pas le degré de transparence requis pour qu’une position dominante collective puisse exister. Dès lors, les constatations, d’ailleurs contradictoires, quant aux éléments d’hétérogénéité du produit ne sont pas, en soi, de nature à conduire à la conclusion selon laquelle une telle position dominante collective n’existait pas sur le marché.

462    Au demeurant, il y a lieu d’observer que la circonstance que le produit est hétérogène, à tout le moins quant à son contenu, et qu’ainsi il y aurait lieu de s’attendre à ce que son prix varie d’un album à l’autre donne une importance toute particulière à la constatation faite par la Commission elle-même aux considérants 76 et 77 relatifs au marché du Royaume-Uni (et aux considérants correspondant aux autres marchés) selon laquelle les prix catalogues des albums les mieux vendus semblent être plutôt alignés et les prix de vente nets sont étroitement liés aux prix bruts.

6.     Mesures de rétorsion

463    Aux considérants 114 à 118 de la décision, la Commission a examiné si les majors avaient, par le passé, pris des « mesures de rétorsion » à l’égard de l’une ou l’autre d’entre elles et a conclu n’avoir trouvé « aucun élément démontrant que, par le passé, le refus d’une major de s’en tenir à des pratiques concertées a pu entraîner, à titre de rétorsion, l’exclusion d’autres majors d’une entreprise commune de compilation ou un retour (temporaire) à des pratiques véritablement concurrentielles », ni même avoir trouvé « de trace d’une menace dans ce sens ».

464    La requérante soutient que cette constatation est entachée d’un défaut de motivation, d’erreur manifeste d’appréciation et d’erreur de droit. Les griefs développés sous ces trois branches se recoupent et consistent, en substance, à contester le fait que la Commission a fondé son analyse sur l’absence de preuve de l’exercice antérieur de mesures de rétorsion alors qu’elle aurait seulement dû vérifier l’existence de mécanismes de dissuasion efficaces.

465    Il ressort de la jurisprudence (arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, point 62) que, pour qu’une situation de position dominante collective soit viable, il faut qu’il y ait suffisamment de facteurs de dissuasion pour assurer durablement une incitation à ne pas s’écarter de la ligne de conduite commune, ce qui revient à dire qu’il faut que chaque membre de l’oligopole dominant sache qu’une action fortement concurrentielle de sa part destinée à accroître sa part de marché provoquerait une action identique de la part des autres, de sorte qu’il ne retirerait aucun avantage de son initiative (voir, en ce sens, arrêt Gencor/Commission, point 246 supra, point 276).

466    La simple existence de mécanismes de dissuasion efficaces suffit, en effet, en principe, dès lors que, si les membres de l’oligopole se conforment à la politique commune, il n’y a pas lieu de recourir à l’exercice de sanction. En outre, ainsi que le souligne la requérante, le moyen de dissuasion le plus efficace est celui qui n’a pas à être employé.

467    Par ailleurs, la Commission a expressément constaté, aux points 128 à 132 de la communication des griefs, que l’exclusion des entreprises communes de compilations constitue une mécanisme particulièrement efficace de rétorsion et la décision, même si elle ne le reconnaît pas aussi expressément, confirme, contrairement à ce qu’a soutenu la Commission dans ses mémoires, cette analyse. En effet, après avoir mis en évidence, aux considérants 115 et 116 de la décision, l’importance économique des compilations de plusieurs artistes ou labels, qui représentent approximativement de 15 à 20 % du marché total de la musique enregistrée, et souligné que la présence sur un album d’artistes « appartenant » à différentes maisons de disques semble être un facteur clé de succès d’une compilation, la Commission expose, au considérant 117 de la décision, que, « [e]n cas de ‘déviation’ persistante de l’une d’entre elles, les grandes maisons de disques pourraient donc exclure cette dernière de la création de nouvelles entreprises communes, ou lui refuser le droit d’utiliser leurs titres dans une compilation, voire mettre fin à certaines entreprises communes existantes ». Enfin, le considérant 118 de la décision indique que la Commission n’a cependant trouvé aucun élément démontrant dans le passé l’exclusion d’autres grandes maisons de disques d’une entreprise commune de compilation, ni de trace de menace en ce sens, tout en précisant que « ces mesures pourraient représenter en général des moyens de rétorsion crédibles sur les marchés de la musique enregistrée ».

468    Toutefois, s’agissant dans le cadre de ce moyen de la constatation de l’existence d’une position dominante collective, et non de sa création, il pourrait être considéré que la condition relative aux moyens de rétorsion peut consister, non pas comme cela était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, à vérifier la simple existence de mécanismes de rétorsion, mais à examiner s’il y a eu des violations de la ligne d’action commune, sans que celles-ci soient suivies de mesures de rétorsion. Bien que la décision n’indique pas que le test doive être différent pour constater l’existence d’une position dominante collective, et que la Commission ne l’ait pas non plus soutenu dans ses mémoires, le Tribunal examinera néanmoins si les constatations opérées dans la décision satisfont à ce test.

469    Deux éléments cumulatifs sont nécessaires pour que l’absence d’exécution de mesure de rétorsion puisse être considérée comme signifiant que la condition relative aux moyens de rétorsion n’est pas remplie, à savoir la preuve d’écarts par rapport à la ligne d’action commune, sans laquelle il n’y a pas lieu d’examiner l’exercice de mesures de rétorsion, et ensuite la preuve effective de l’absence de mesures de rétorsion. Or, force est de constater que, sur aucun de ces deux aspects, les preuves nécessaires ne sont rapportées dans la décision.

470    Premièrement, ni dans la rubrique ad hoc consacrée aux moyens de rétorsion ni même dans le reste de la décision, la Commission n’a identifié clairement un quelconque cas de violation de la politique commune en matière de prix. Dans son mémoire en défense, la Commission a, certes, invoqué deux cas dans lesquels des divergences par rapport à la ligne commune auraient été constatées dans la décision (au Royaume-Uni en 2000 et 2001, considérant 74, et en Allemagne, en présence d’une évolution plus lente de l’une des majors, considérant 88). Toutefois, il ne ressort pas de la décision que ces cas aient été considérés comme des violations de la politique commune, mais seulement comme montrant que le parallélisme des prix n’était pas atteint à tout moment.

471    Deuxièmement, et en tout état de cause, force est de constater que la Commission, interrogée par le Tribunal lors de l’audience sur les mesures d’enquête qu’elle avait effectuées afin d’arriver à la conclusion qu’elle n’avait pas trouvé de preuve de l’exercice dans le passé de mesures de rétorsion, ni même de menace en ce sens, n’a pas été en mesure d’indiquer la moindre démarche qu’elle aurait accomplie ou entreprise à cette fin. En outre, dans la mesure où, au stade de la communication des griefs, l’enquête de la Commission s’était attachée à la vérification de l’existence de mécanismes de dissuasion crédibles et non à l’exercice effectif de mesures de rétorsion, et où ce n’est qu’après l’audition devant la Commission que celle-ci a modifié son appréciation sur la concentration, il paraît difficile de déterminer quand et comment, la Commission aurait pu procéder à une recherche effective de preuves de l’exercice de mesures de rétorsion. Il ressort au demeurant du dossier que, postérieurement à l’audition, la Commission n’a plus effectué d’enquête dans le marché. Les seules mesures de vérification auraient dès lors pu consister à adresser une question aux parties notifiantes, ce dont elle n’a fourni aucune preuve au Tribunal, lesquelles étaient évidemment peu susceptibles de fournir des preuves d’exercice de mesures de rétorsion à la Commission.

472    Enfin, force est de constater que l’argument de la Commission, selon lequel « [d]es preuves manifestes de mesures de rétorsion appliquées par les autres [m]ajors en réaction à une ‘déviation’ par rapport aux niveaux habituels des prix nets moyens ou des remises sur facture moyenne auraient pu constituer un indice (quoique de toute évidence non décisif) de l’existence d’une coordination, malgré la difficulté de mettre en évidence des conditions de coordination suffisamment claires et des moyens suffisamment efficaces d’en contrôler le respect » ne saurait prospérer. En effet, d’une part, cette affirmation est en contradiction avec la décision selon laquelle « [t]out indice de rétorsion pourrait en effet être considéré comme signalant l’existence d’une position dominante collective sur ces marchés » (considérant 114 de la décision) et « [e]lle n’a donc, dans la présente affaire, trouvé aucun élément indiquant que de tels moyens ou menaces ont été utilisés par le passé, ce qui aurait constitué la preuve d’une position dominante collective ». D’autre part, l’argumentation de la Commission revient à soutenir que l’examen qu’elle a fait de la condition relative aux moyens de rétorsion était inadéquat, puisque même des « preuves manifestes de mesures de rétorsion » n’auraient pu constituer qu’un indice « de toute évidence non décisif ».

473    Il ressort de ce qui précède que le grief de la requérante selon lequel les appréciations contenues dans la décision relatives aux moyens de rétorsion sont entachées d’erreur de droit et d’erreur manifeste d’appréciation est fondé.

474    Ces appréciations constituant, ainsi qu’il ressort notamment du considérant 157 de la décision, un motif essentiel sur lequel repose la décision, cette dernière doit être annulée.

7.     Conclusion sur le premier moyen

475    Il résulte de ce qui précède que l’assertion selon laquelle les marchés de la musique enregistrée ne sont pas suffisamment transparents pour permettre une position dominante collective n’est pas motivée à suffisance de droit et est entachée d’erreur manifeste d’appréciation en ce que les éléments sur lesquels elle est fondée sont incomplets et ne comprennent pas l’ensemble des données pertinentes qui auraient dû être prises en considération par la Commission, et ne sont pas de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées. Cette assertion constituant, ainsi qu’il ressort tant de la décision, et en particulier du considérant 157 de celle-ci, que des débats devant le Tribunal, un motif essentiel sur la base duquel la Commission a conclu, dans la décision, à l’inexistence d’une position dominante collective, la décision doit être annulée pour ce seul motif.

476    De même, l’analyse relative aux moyens de rétorsion étant entachée d’erreur de droit ou, à tout le moins, d’erreur manifeste d’appréciation, et cette analyse constituant l’autre motif essentiel sur la base duquel la Commission a conclu, dans la décision, à l’inexistence d’une position dominante collective, ce vice justifie également l’annulation de la décision.

477    Enfin, pour autant que de besoin, il convient encore de constater que, ainsi qu’il résulte, explicitement ou implicitement, de l’ensemble des considérations qui précèdent, aucun des arguments avancés par les intervenantes n’est susceptible d’infirmer ces conclusions et que plusieurs d’entre eux sont même expressément contredits dans la décision.

478    S’agissant, en premier lieu, des observations liminaires formulées par les intervenantes, il y a lieu de constater qu’elles ont déjà été rejetées ou sont dépourvues de pertinence. Ainsi, la circonstance alléguée selon laquelle la Commission aurait conduit une enquête extraordinairement approfondie n’est pas de nature, à elle seule, à démontrer que la Commission a effectivement recueilli, analysé et correctement apprécié l’ensemble des données pertinentes. Il convient d’ailleurs d’observer, à cet égard, que les intervenantes soulignent avoir fourni, dès la notification, des données et explications très solides relatives à l’industrie musicale en Europe. Or, il ressort du dossier que, sur la base de ces informations et des autres éléments d’information recueillis dans le marché durant près de cinq mois d’enquête, la Commission avait conclu, dans la communication des griefs, à l’incompatibilité de la concentration et que ce n’est qu’après l’exposé de l’argumentation des parties et de leurs économistes lors de l’audition des 14 et 15 juin 2004 que la Commission a modifié son appréciation et a envoyé, deux semaines plus tard, au comité consultatif un projet de décision approuvant la concentration. De même, la circonstance que les autorités de concurrence à travers le monde auraient approuvé la concentration est dépourvue de pertinence. Enfin, l’argument selon lequel la concentration représenterait une réponse proconcurrentielle au déclin de l’industrie musicale, et en particulier à la chute du prix de vente des CD, doit également être rejeté. En effet, non seulement la décision ne repose nullement sur un prétendu équilibre des divers avantages et inconvénients de la concentration, mais, en outre, les arguments des intervenantes tirés de l’évolution de la demande ont été expressément rejetés aux points 55 à 59 de la décision.

479    S’agissant, en deuxième lieu, des arguments des intervenantes visant à contester le bien-fondé des griefs de la requérante relatifs aux remises promotionnelles, à l’alignement des prix ou à la transparence, il suffit de constater qu’ils se confondent avec ceux formulés par la Commission et ont déjà été rejetés ci-dessus ou ne sauraient être pris en considération dans la mesure où ils sont expressément contredits par des constatations opérées dans la décision. Ainsi, l’argument tiré d’une prétendue absence d’alignement des prix et l’affirmation qu’une large portion des 100 meilleures ventes serait générée en dehors des PPV identifiés dans la décision ont été expressément rejetés dans la décision. De même, l’affirmation selon laquelle la décision minimiserait la force des preuves sous-jacentes sur l’absence de transparence suffisante est dénuée de pertinence. Il n’appartient en effet pas au Tribunal de se prononcer sur la compatibilité de la concentration, mais d’effectuer un contrôle de légalité des constatations effectuées dans celle-ci. Force est, en outre, de constater de nouveau que les affirmations des intervenantes à cet égard, selon lesquelles les PPV ne seraient ni connus ni accessibles ou que les remises ordinaires ne seraient pas suffisamment transparentes, sont expressément contredites par les constatations contenues dans la décision.

480    Enfin, s’agissant, en troisième lieu, des arguments relatifs aux différents points non mentionnés dans la décision, il suffit de constater qu’ils sont dépourvus de toute pertinence, l’examen du Tribunal se limitant au contrôle de la légalité de celle-ci.

481    Le Tribunal estime néanmoins nécessaire d’examiner, à titre surabondant, le deuxième moyen.

III –  Sur le deuxième moyen, relatif à la création d’une position dominante collective sur les marchés de la musique enregistrée

A –  Arguments de la requérante

482    La requérante fait observer que la Commission a examiné la question de savoir si la concentration créerait une position dominante collective en moins d’une page. Tout en affirmant que la réduction du nombre des acteurs pourrait, sur certains marchés oligopolistiques, entraîner la création d’une position dominante collective des entreprises restantes et que cela serait pour l’essentiel fonction des caractéristiques du marché, la Commission n’aurait toutefois pas identifié ces caractéristiques décisives, mais se serait bornée à renvoyer à l’analyse effectuée à l’égard de la position dominante collective préexistante à la concentration et aurait conclu, au considérant 157 de la décision, qu’elle n’a pas trouvé « assez d’éléments de preuve pour démontrer que la réduction du nombre de maisons de disques de cinq à quatre représenterait une modification suffisamment importante pour entraîner la création probable d’une position dominante collective », en particulier en termes de transparence et de mesures de rétorsion.

1.     Sur l’erreur de droit

483    La Commission aurait commis quatre erreurs de droit dans l’application du test de la position dominante collective.

a)     Absence d’analyse prospective

484    La Commission aurait commis une erreur de droit dans l’application de la réglementation concernant les positions dominantes collectives en ce qu’elle n’aurait pas conduit d’analyse prospective pour voir si une position dominante collective aurait été créée du fait de la concentration. Or, le test visant à déterminer si une concentration crée ou non une telle position serait fondamentalement différent du test destiné à en vérifier l’existence actuelle, ce dernier requérant une analyse ex post, tandis que le premier requiert une analyse ex ante qui doit être conduite en référence au niveau de concurrence régnant sur le marché avant la concentration.

485    Il ressortirait de l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, que l’analyse prospective doit non seulement tenir compte de la situation relative à cette position au moment où l’opération a lieu, mais également l’apprécier de manière dynamique en ayant égard, en particulier, à « l’équilibre interne, [à] la stabilité et [à] la question de savoir si un comportement anticoncurrentiel parallèle auquel elle pourrait donner lieu peut être maintenu dans le temps ». Or, il ressortirait du considérant 157 de la décision que, au lieu d’effectuer l’analyse prospective distincte requise, la Commission serait parvenue à sa constatation sur la base des mêmes preuves – ex post – qu’elle a utilisées pour nier l’existence d’une position dominante collective antérieure à la concentration.

486    L’analyse ex post ne serait cependant pas concluante. La Commission aurait, certes, établi que « les marchés de la musique enregistrée présent[ai]ent certaines caractéristiques favorables à l’existence d’une position dominante collective » (considérant 157 de la décision), mais se serait simplement bornée à indiquer qu’elle n’avait pas trouvé suffisamment de preuve que la position dominante collective existait déjà, de sorte que toute modification des facteurs augmentant la possibilité d’ententes tacites aurait dû être analysée avec grande prudence. La seule preuve examinée par la Commission serait un rapport sur ce qui s’est déroulé dans le passé, ce qui constituerait une reconnaissance implicite par la Commission de ce qu’elle n’avait pas procédé à une analyse prospective.

b)     Transparence

487    La requérante soutient que, pour vérifier si une position dominante collective serait créée, la Commission a commis une erreur de droit, pour les mêmes raisons que celles développées dans le cadre du premier moyen, en utilisant un test de transparence totale du marché alors que, selon l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, il convient de vérifier seulement si le marché est suffisamment transparent pour permettre une coordination de comportement.

c)     Moyens de dissuasion

488    La requérante fait grief à la Commission de ne pas avoir effectué d’analyse prospective pour vérifier l’existence de moyens de dissuasion mais de s’être appuyée sur les conclusions auxquelles elle était parvenue, en se fondant à tort sur l’absence de preuve de mesures de rétorsion dans le passé, dans le contexte du renforcement d’une position dominante collective préexistante afin de rejeter tout argument selon lequel la réduction de cinq à quatre majors faciliterait les mesures de rétorsion sur le marché.

489    Dans le cadre de l’analyse prospective à laquelle elle aurait du procéder, la constatation qu’il y avait des mesures qui pouvaient représenter des possibilités crédibles de rétorsion de la part des majors (considérant 118 de la décision) aurait dû être considérée comme une preuve suffisante, en particulier une fois que le nombre des grandes maisons était réduit à quatre.

d)     Contrepoids

490    La requérante soutient que la Commission a commis une erreur de droit en n’examinant pas du tout la troisième condition posée par l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, pour vérifier l’existence d’une position dominante collective, à savoir la capacité des clients ou des concurrents de menacer par leurs actions les résultats de toute politique commune adoptée par les majors.

2.     Sur la violation de l’obligation de motivation

491    La requérante fait valoir que l’analyse prospective à laquelle la Commission doit procéder pour vérifier le risque de création d’une position dominante collective implique un examen approfondi des circonstances pertinentes quant à l’effet de la concentration sur le marché. Or, d’une part, la Commission n’aurait même pas examiné la possibilité de création d’une position dominante collective dans la communication des griefs et, d’autre part, dans la décision, l’analyse de la Commission ne serait ni prospective ni détaillée. La Commission aurait déduit de ce qu’elle n’a pas établi l’existence d’une position dominante collective qu’il n’y a pas assez de preuves pour démontrer qu’une position dominante sera créée à l’avenir.

492    La requérante soutient que, si la Commission avait effectué l’analyse prospective requise, elle aurait dû se pencher sur les questions suivantes :

–        la mesure dans laquelle la réduction du nombre de majors signifierait :

–        que les majors deviennent plus interdépendantes les unes des autres du fait de la réduction du nombre des acteurs de cinq à quatre ;

–        que le marché qui est concentré d’après tous les standards acceptés avant la concentration devient beaucoup plus concentré à la suite de la concentration ;

–        que la coordination entre les majors serait encore plus aisée à contrôler et à maintenir dans le temps et que la transparence des prix serait également encore plus accentuée du fait de la symétrie qui faciliterait le contrôle y compris sur le marché très important des hit-parades ;

–        qu’il deviendrait plus facile d’identifier un point focal et de maintenir une compréhension commune de ce qui serait dans l’intérêt commun des majors parce que leur nombre serait réduit ;

–        que l’équilibre entre les gains à long terme qu’il y a à rester attaché à l’entente et les gains à court terme qu’il y a à vendre moins cher que les rivaux serait déplacé avec moins de sociétés sur le marché ;

–        la mesure dans laquelle le niveau de symétrie sur le marché augmenterait, puisque Sony BMG serait semblable à Universal en termes de taille et de parts de marché avec les deux autres majors EMI et Time Warner juste derrière avec des parts de marché également symétriques. Ce point serait important parce que la symétrie en termes de taille et de parts de marché rendrait le maintien de l’entente tacite plus aisée. Sony BMG et Universal auraient une part de marché combinée de 50 % du marché mondial de la musique enregistrée et cette part serait plus proche des 60 à 70 % sur le marché très important des hit-parades, dont la Commission n’aurait pas étudié l’importance. Ce segment de marché serait important aussi bien pour la concurrence actuelle que comme indicateur du pouvoir à long terme sur le marché, puisque les nouvelles sorties deviennent des titres du catalogue ;

–        la mesure dans laquelle la symétrie serait accrue et la concurrence réduite parce que deux majors qui avaient eu des résultats différents durant les dernières années ne feraient désormais plus qu’une ;

–        la mesure dans laquelle les moyens de dissuasion disponibles deviendraient plus efficaces ;

–        la mesure dans laquelle les indépendants deviendraient encore plus dépendants des majors notamment parce que le nombre de partenaires commerciaux inévitables disponibles pour les indépendants serait réduit de 20 % ;

–        la mesure dans laquelle tout contrepoids concurrentiel vis-à-vis des majors serait affaibli.

493    La Commission n’aurait pas examiné en détail la moindre de ces questions, de sorte que la constatation de la Commission qu’il n’y a pas de création d’une position dominante collective (considérant 158 de la décision contestée) ne serait soutenue par aucun raisonnement ou reposerait sur un raisonnement manifestement inadéquat.

3.     Sur l’erreur manifeste d’appréciation

494    L’absence d’analyse prospective constituerait également une erreur d’appréciation. La Commission se serait appuyée sur des preuves antérieures relatives à la position dominante collective préexistante sans examiner en détail l’impact des changements résultant de la concentration. En outre, ces preuves supposées seraient déjà en elles-mêmes erronées pour les raisons exposées dans le premier moyen.

495    La requérante fait observer que, si la Commission indique brièvement que la transparence sera accrue, elle ne fournit cependant pas d’indication détaillée du niveau qui sera atteint ou de l’impact qui en résultera, mais se borne à souligner l’absence de preuves suffisantes. La Commission aurait, en outre, dû examiner dans quelle mesure la réduction du nombre d’acteurs sur le marché facilitait les ententes tacites et les rendait plus attrayantes, puisque les profits seraient partagés en un nombre plus réduit. La Commission n’indiquerait ni quelles preuves ont été rassemblées, ni en quoi elles sont insuffisantes, ni quelles preuves seraient nécessaires.

496    S’agissant des mesures de rétorsion, l’analyse reposerait sur des preuves antérieures couvrant une période pour laquelle la Commission affirme qu’il n’y avait pas de position dominante collective. La Commission n’aurait pas examiné la question des mesures de rétorsion potentielles après la concentration.

497    La requérante rappelle que la Commission était sur le point de constater l’existence d’une position dominante collective préexistant à la concentration, mais qu’elle a, à tort, jugé les preuves insuffisantes. La même conclusion à l’égard du marché après la concentration, laquelle a accru la transparence, dénoterait une erreur manifeste d’appréciation.

498    Enfin, la requérante fait valoir que la conclusion de la Commission est particulièrement étonnante, compte tenu de ce que, quatre ans plus tôt, la Commission avait constaté que la fusion EMI/Time Warner créerait une position dominante collective sur le marché de la musique enregistrée (point 57 de la communication des griefs dans cette affaire, jointe en annexe A.13).

B –  Arguments de la Commission

1.     Sur l’erreur de droit

a)     Absence d’analyse prospective

499    La Commission soutient que les griefs de la requérante selon lesquels elle n’aurait pas effectué d’analyse prospective et se serait fondée sur les mêmes preuves ex post que dans son analyse de l’éventuelle existence préalable d’une position dominante collective, alors que les critères diffèrent fondamentalement, ne sont pas fondés. Elle formule, à titre liminaire, deux observations de principe.

500    D’une part, les décisions de contrôle des concentrations devraient invariablement reposer sur une analyse prospective, car la décision sur le point de savoir si une concentration est ou non compatible avec le marché commun dépendrait des changements susceptibles d’être causés au marché par l’opération non encore réalisée (arrêt Kali & Salz, point 245 supra, points 109 à 111). Il serait donc nécessaire dans tous les cas de fonder l’analyse prospective sur une vision claire des conditions concurrentielles antérieures à l’opération de concentration. Les éléments de preuve déjà réunis et appréciés en ce qui concerne la situation actuelle du marché (que l’on pourrait difficilement qualifier de preuves ex post) resteraient pertinents en tant que point de départ de l’analyse.

501    D’autre part, l’appréciation de l’éventuelle existence actuelle d’une position dominante collective supposerait la prise en considération des quatre mêmes conditions que l’appréciation de l’éventuelle création d’une telle position dominante : indices de coordination tacite, transparence suffisante, risque de représailles, contrepoids des concurrents et des clients (arrêt du Tribunal du 26 janvier 2005, Piau/Commission, T‑193/02, Rec. p. II‑209, point 111). Lorsque, comme dans le cas d’espèce, une réponse négative a déjà été donnée à une ou plusieurs de ces questions à propos de la situation actuelle, l’analyse prospective s’attacherait nécessairement à déterminer si ou comment la concentration pourrait y faire apporter une réponse positive dans un avenir prévisible.

502    La conclusion selon laquelle il n’y avait pas suffisamment de preuves d’une position dominante collective existante étant essentiellement fondée sur le fait que la condition de la transparence suffisante n’était pas remplie, la Commission se serait principalement intéressée à l’effet de la concentration sur ce paramètre. Si la concentration conduisait automatiquement à une réduction du nombre de relations bilatérales, qui passe de dix à six, ce qui, en principe, faciliterait la surveillance, cette observation essentiellement arithmétique ne serait toutefois pas décisive pour la raison principale que les obstacles à la transparence tenaient non pas au nombre de majors à surveiller, mais à la complexité des décisions individuelles de chaque grande maison de disques qui fixent le prix net d’albums individuels, au contenu hétérogène et au succès commercial variable, pour des clients individuels, par une combinaison de PPV, de remises ordinaires et de remises promotionnelles. En ce qui concerne les remises sur facture, les rares informations disponibles (qui concernent principalement les remises ordinaires) seraient en tout cas plus susceptibles d’être obtenues auprès de clients qu’auprès d’autres majors, et l’opération de concentration ne changerait pas la relation des majors restantes avec la clientèle que l’opération ne modifiera pas. C’est pourquoi la Commission aurait conclu – à titre prospectif – à l’insuffisance de preuves attestant que le changement de la structure du marché qui devrait résulter de la concentration faciliterait la transparence dans une mesure telle que le niveau de transparence requis pour la création d’une position dominante collective serait atteint (considérant 157, in fine, de la décision).

503    La Commission soutient que ces éléments constituent une analyse suffisante des conditions cumulatives de la position dominante collective.

b)     Transparence

504    L’argument de la requérante ne faisant que réitérer celui invoqué dans le cadre du premier moyen, il serait tout aussi infondé dans le présent contexte.

c)     Moyens de dissuasion et contrepoids

505    Bien qu’ayant estimé au considérant 157 de la décision qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves de ce que l’opération faciliterait les mesures de rétorsion, la Commission n’aurait pas pris définitivement position sur ce point pour fonder son appréciation. En effet, dès lors qu’elle avait conclu qu’elle ne disposait pas de preuves établissant que la fixation des prix serait suffisamment transparente pour permettre une surveillance effective, il n’aurait plus été nécessaire qu’elle examine soit la question des mesures de rétorsion, soit la question du pouvoir contraignant sous la rubrique de la « création » plutôt que sous celle du « renforcement ».

2.     Sur la violation de l’obligation de motivation

506    La Commission soutient que la plupart des critiques formulées par la requérante n’ont aucun rapport avec un défaut de motivation. La prétendue omission par la Commission de tenir compte de différents éléments concernerait la légalité de l’appréciation et non la motivation. La Commission précise que, si elle n’est pas parvenue à une conclusion sur certains points, il s’ensuit qu’elle n’avait pas à donner les motifs de cette conclusion inexistante.

507    Il serait inadmissible que la requérante cherche à un stade ultérieur de la présente procédure à convertir son motif de recours en faisant d’un motif de forme (défaut de motivation) un motif de fond (erreur de droit ou erreur d’appréciation manifeste) et le manque flagrant de pertinence de ses arguments spécifiques au regard de l’application de l’article 253 CE constituerait une base suffisante pour le rejet de ce motif d’annulation.

508    Ce n’est donc qu’à titre purement subsidiaire que la Commission examine brièvement ces arguments.

509    S’agissant de l’affirmation de la requérante selon laquelle l’analyse doit être détaillée, la Commission renvoie aux observations développées sous le moyen précédent.

510    Le fait que la Commission n’ait pas porté son attention sur la création possible d’une position dominante dans la communication des griefs serait sans rapport avec la suffisance des motifs exposés dans la décision. En ce qui concerne la prétendue supposition de la Commission selon laquelle elle n’avait pas de preuves suffisantes pour développer ses conclusions sur l’absence de position dominante collective existante, la Commission renvoie à la discussion consacrée à la nature de l’analyse prospective.

511    L’augmentation du niveau de concentration sur les marchés de la musique enregistrée et du degré de symétrie des parts de marché ainsi qu’une hausse éventuelle du niveau d’interdépendance ne contribueraient pas dans une mesure importante à la suppression des obstacles à la coordination qui ont été recensés dans l’analyse de l’éventuelle existence actuelle d’une position dominante collective, à savoir la complexité et le manque de preuves d’une transparence suffisante du processus global de fixation des prix (PPV plus remise ordinaire plus remise promotionnelle) des albums individuels pour des clients individuels dans le temps.

512    Bien qu’une plus grande concentration du marché puisse modifier dans l’abstrait les incitations à suivre une ligne d’action commune, elle n’aurait, dans le cas d’espèce, pas d’effet sensible sur l’élément dissuasif fondamental qui tient à l’incapacité des entreprises en situation d’oligopole à détecter et, partant, à punir et à décourager les déviations. En l’absence de transparence suffisante, les majors ne pourraient avoir la certitude que l’une d’entre elles ne cherchera pas à profiter à la fois des avantages à long terme de la coordination tacite et des avantages à court terme de la pratique de prix inférieurs à ceux de ses rivales, et cette incertitude rendrait la coordination tacite instable et impossible à maintenir.

513    Les observations de la requérante sur la symétrie devraient également être rejetées pour le motif qu’il n’y a pas de lien évident entre la symétrie et la transparence.

514    Enfin, les autres arguments de la requérante porteraient essentiellement sur les deuxième et troisième conditions cumulatives d’une position dominante collective durable. Or, la Commission n’aurait pas eu à prendre position sur ces conditions dès lors qu’elle avait établi qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves de ce que la première condition serait remplie.

3.     Sur l’erreur manifeste d’appréciation

515    Les affirmations de la requérante concernant l’absence d’appréciation prospective devaient être rejetées pour les motifs exposés sous la rubrique de l’erreur de droit.

516    Les arguments de la requérante tirés des incitations qui pousseraient les entreprises en situation d’oligopole à adopter une ligne d’action commune devraient à nouveau être rejetés au motif qu’ils font fi de l’absence de transparence suffisante.

517    La thèse de la requérante selon laquelle, parce que la réduction du nombre de majors augmenterait globalement la probabilité de coordination tacite, la Commission aurait dû conclure qu’une position dominante collective serait créée à moins que la concentration ne présente d’autres caractéristiques qui rendraient la coordination tacite moins probable méconnaîtrait totalement le caractère distinct des diverses conditions d’une position dominante collective durable. Une augmentation du degré de concentration sur les marchés en cause ne devrait pas entraîner un abaissement correspondant des exigences de preuve en ce qui concerne la condition distincte d’une transparence suffisante, s’il n’est pas démontré que cette concentration accrue modifie sensiblement l’appréciation portée sur cette dernière condition.

518    Enfin, la Commission rappelle que la légalité de la décision ne saurait être jugée à l’aune des conclusions provisoires des deux communications des griefs, dont une a été émise il y a quatre ans dans une affaire différente.

C –  Arguments des intervenantes

519    Les intervenantes font valoir que la décision d’ouverture de la phase II de l’enquête montre que, dès le départ, la Commission a examiné tant la possibilité d’une création que celle d’un renforcement d’une position dominante collective. La Commission se serait à juste titre concentrée sur les caractéristiques intrinsèques du marché et en particulier sur la question de savoir si les prix étaient suffisamment transparents pour permettre la coordination tacite (arrêt Gencor/Commission, point 246 supra, point 227). Dès lors que les caractéristiques du marché concernant les prix ne soutenaient pas la conclusion qu’il y avait eu collusion dans le passé, la Commission aurait correctement conclu que la réduction du nombre de majors de cinq à quatre serait insuffisante pour surmonter les obstacles matériels à la collusion tacite (arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, points 75 et 76).

520    Les caractéristiques du marché demeureraient incompatibles avec la coordination tacite tant des prix que des autre facteurs (nombre, originalité, créativité, diversité culturelle des nouvelles sorties, signature des artistes). Parmi celles-ci les intervenantes font valoir que la musique enregistrée est un produit hétérogène, que les majors sont fortement incitées à maximiser les ventes des « tubes », que les décisions sur les prix et les remises sont adaptées en fonction de chaque sortie d’album, tant au moment de sa mise sur le marché qu’au cours de sa vie et en fonction de chaque détaillant individuel, que les maisons de disques exercent un pouvoir discrétionnaire à l’égard des PPV à la sortie et dans le temps, reflétant le jugement subjectif du personnel marketing, que toutes les sociétés accordent diverses remises et indemnités qui sont inconnues de leurs concurrents et qui varient dans le temps, selon l’album et selon le détaillant et, enfin, que, les remises étant imprévisibles et invisibles, on ne peut tirer de déductions fiables sur les prix nets en observant les PPV, de sorte que la coordination sur les PPV, même si elle avait lieu, n’aurait pas d’impact sur les prix réels (voir aussi annexe C.4, p. 6).

D –  Appréciation du Tribunal

521    La requérante soutient, en substance, que l’assertion selon laquelle la concentration ne provoquerait pas la création d’une position dominante collective sur le marché de la musique enregistrée n’est pas suffisamment motivée et est entachée d’erreur manifeste d’appréciation et d’erreur de droit.

522    Il y a lieu de rappeler que, lorsque la Commission examine le risque de création d’une position dominante collective, elle doit « apprécier, selon une analyse prospective du marché de référence, si l’opération de concentration dont elle est saisie aboutit à une situation dans laquelle une concurrence effective dans le marché en cause est entravée de manière significative par les entreprises parties à la concentration et une ou plusieurs entreprises tierces qui ont, ensemble, notamment en raison des facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d’adopter une même ligne d’action sur le marché et d’agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs » (arrêts Kali & Salz, point 245 supra, point 221, Gencor/Commission, point 246 supra, point 163, et Airtours/Commission, point 45 supra, point 59). L’analyse prospective que la Commission est appelée à réaliser dans le cadre du contrôle des concentrations, s’agissant d’une position dominante collective, « nécessite un examen attentif notamment des circonstances qui, selon chaque cas d’espèce, se révèlent pertinentes aux fins de l’appréciation des effets de l’opération de concentration sur le jeu de la concurrence dans le marché de référence » (arrêt Kali & Salz, point 245 supra, point 222, et arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, point 63).

523    Cela est d’autant plus vrai « qu’il ne s’agit pas d’examiner des événements du passé, au sujet desquels on dispose souvent de nombreux éléments permettant d’en comprendre les causes, ni même des événements présents, mais bien de prévoir les événements qui se produiront dans l’avenir, selon une probabilité plus ou moins forte, si aucune décision interdisant ou précisant les conditions de la concentration envisagée n’est adoptée » (arrêt Commission/Tetra Laval, point 232 supra, point 42). Ainsi, « une telle analyse requiert d’imaginer les divers enchaînements de cause à effet, afin de retenir ceux dont la probabilité est la plus forte » (arrêt Commission/Tetra Laval, point 232 supra, point 43).

524    C’est au regard de ces considérations qu’il convient d’examiner si la Commission a correctement analysé le risque de création d’une position dominante collective.

525    Il convient de remarquer, à titre liminaire, le caractère extrêmement succinct de l’examen effectué à cet égard dans la décision.

526    La Commission expose, au considérant 156, que « la question de savoir si, en l’espèce, l’opération de concentration débouche sur la création d’une position dominante collective est pour l’essentiel fonction des caractéristiques du marché ».

527    L’analyse que fait la Commission à cet égard se limite aux considérations suivantes contenues au considérant 157 de la décision, qui est rédigé comme suit :

« Comme le montre l’analyse relative au renforcement d’une position dominante collective, on ne peut conclure du niveau de parallélisme qu’on peut observer en matière de prix moyens que les grandes maisons de disques occupent actuellement une position dominante collective sur les marchés de la musique enregistrée. La réduction du nombre de grandes maisons de disques de cinq à quatre accroît la transparence, puisque le nombre de relations concurrentielles bilatérales tombe de 10 à 6. En principe, le contrôle du marché en question s’en trouverait facilité. Comme examiné à la section relative au renforcement d’une position dominante collective, les marchés de la musique enregistrée présentent certaines caractéristiques pouvant laisser supposer la présence de conditions favorables à l’existence d’une position dominante collective. Or, la Commission n’a pas trouvé d’éléments suffisant à prouver que les cinq grandes maisons de disques ont détenu dans le passé une position dominante collective ; ce[la] est notamment dû aux déficits constatés au niveau de la transparence réelle, aux caractéristiques partiellement hétérogènes du produit et au manque d’éléments attestant l’existence de mesures de rétorsion dans le passé. En ce qui concerne la création d’une position dominante collective des grandes maison de disques sur le marché de la musique enregistrée, la Commission, tout en prenant en compte le fait que la coordination entre les quatre acteurs restants sera dans l’ensemble rendue plus facile, n’a pas trouvé assez d’éléments de preuve pour démontrer que la réduction du nombre de maisons de disques de cinq à quatre représenterait une modification suffisamment importante pour entraîner la création probable d’une position dominante collective. La Commission n’a notamment pas trouvé d’éléments de preuve suffisants qui attestent que le passage de cinq à quatre grandes maisons de disques faciliterait la transparence et les mesures de rétorsion dans une mesure telle qu’il convient d’anticiper la création d’une position collective dominante des quatre grandes maisons de disques restantes. »

528    Force est de constater que ces quelques observations, à ce point superficielles, voire purement formelles, ne sauraient satisfaire à l’obligation pour la Commission d’effectuer une analyse prospective et de procéder à un examen attentif des circonstances qui, selon chaque cas d’espèce, se révèlent pertinentes aux fins de l’appréciation des effets de l’opération de concentration sur le jeu de la concurrence dans le marché de référence, et ce en particulier lorsque, comme en l’espèce, la concentration soulève des difficultés sérieuses. Indépendamment de l’appréciation du Tribunal sur le premier moyen, il ressort en effet tant de la circonstance que la Commission a dû effectuer de longs développements dans la décision pour conclure à l’inexistence d’une position dominante collective préalable à la concentration que du fait qu’elle avait conclu dans la communication des griefs, après cinq mois d’enquête, à l’existence d’une telle position préalable que la question de savoir si la fusion entre deux des cinq majors risque de créer une position dominante collective soulève, a fortiori, des difficultés sérieuses nécessitant un examen approfondi. Cet examen n’ayant pas été effectué, il s’ensuit, déjà pour ce seul motif, que le deuxième moyen est fondé.

529    À titre surabondant, le Tribunal examinera néanmoins si les constatations relatives à la transparence et aux mesures de rétorsion ne sont pas, en outre, entachées d’erreur de droit ou d’appréciation.

530    Il ressort du considérant 157 de la décision, et en particulier de sa dernière phrase, que la conclusion de la Commission selon laquelle la concentration ne représente pas une modification suffisamment importante pour entraîner la création probable d’une position dominante collective est expressément fondée sur les conditions relatives à la transparence du marché et aux mesures de rétorsion.

531    S’agissant de la transparence, il convient de rappeler, tout d’abord, qu’il a été constaté, dans le cadre du premier moyen, que la constatation de la Commission selon laquelle les remises promotionnelles ont pour effet de réduire la transparence au point d’empêcher l’existence d’une position dominante collective n’est pas suffisamment motivée et est entachée d’erreurs manifestes d’appréciation.

532    En outre, s’agissant d’apprécier le risque de création d’une position dominante collective, la Commission ne pouvait se fonder sur la seule situation existante, mais était tenue d’effectuer une analyse prospective et de prendre en considération les modifications résultant de l’opération de concentration en cause. Le considérant 157 de la décision, bien que pour le moins laconique, mentionne, en outre, à cet égard, que la coordination entre les quatre acteurs restants sera dans l’ensemble rendue plus facile. La décision ne contient, cependant, nul examen de la question de savoir si la concentration, notamment du fait qu’elle implique une diminution du nombre d’albums à surveiller, ne rendra pas le marché suffisamment transparent pour permettre le développement d’une position dominante collective. Il convient, en outre, de rappeler, à cet égard, que, dans la communication des griefs, la Commission avait constaté :

« La concentration envisagée faciliterait la surveillance de la coordination des prix, puisque chaque major ne devrait prendre en considération que le comportement en matière de prix des trois autres majors. En conséquence, les PPV seraient focalisés encore davantage sur une fourchette de prix très restreinte pour la plupart des albums les plus vendus. La transparence des remises sera également accrue, puisque les majors ne devront plus surveiller que les trois autres majors lors de leurs visites dans les magasins et de leurs contacts avec les détaillants. »

533    Il s’ensuit que les observations relatives à la transparence ne permettent pas d’étayer l’analyse selon laquelle la concentration ne risque pas de créer une position dominante collective.

534    S’agissant des mesures de rétorsion, il convient, tout d’abord, de constater que l’affirmation de la Commission, dans son mémoire en défense, selon laquelle elle n’a pas pris position sur la suffisance des divers mécanismes de rétorsion possibles et son appréciation n’a pas porté sur cet aspect, n’est, ainsi qu’il ressort du considérant 157 de la décision, pas compatible avec la décision.

535    De même, l’argumentation de la Commission et des intervenantes, selon laquelle il n’était pas nécessaire d’examiner la question des mesures de rétorsion une fois que la Commission avait conclu qu’elle ne disposait pas de preuves établissant que la fixation des prix serait suffisamment transparente pour permettre une surveillance effective, doit être écartée dans la mesure où la décision est expressément fondée sur l’absence de mesures de rétorsion et où le Tribunal ne saurait substituer son appréciation à celle de la Commission et rectifier la décision. En tout état de cause, l’argumentation ne saurait prospérer dès lors qu’il a été jugé que l’assertion selon laquelle le marché n’était pas suffisamment transparent ou, a fortiori, celle selon laquelle il ne le deviendrait pas à l’issue de la concentration n’est pas motivée à suffisance de droit et est entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

536    Il y a lieu d’observer, ensuite, que, dans la décision, la Commission s’est contentée de renvoyer à l’examen effectué à propos de l’existence d’une position dominante collective et d’indiquer qu’elle n’avait pas trouvé d’éléments de preuve suffisants qui attestent que la concentration faciliterait « les mesures de rétorsion dans une mesure telle qu’il convien[ne] d’anticiper la création d’une position dominante collective des quatre grandes maisons de disques restantes ».

537    Or, dans le cadre de cet examen, la Commission, ainsi qu’il ressort du premier moyen, s’est attachée non pas à vérifier l’existence de mécanismes de dissuasion efficaces, mais à rechercher des preuves de l’exercice de mesures de rétorsion dans le passé. Cette démarche constitue, en tout état de cause, une interprétation erronée de la condition exposée dans l’arrêt Airtours/Commission, point 45 supra, s’agissant de l’examen de la détermination de la création d’une position dominante collective, dans la mesure où celui-ci doit reposer sur une analyse prospective. Il est clair, en effet, que, dans ce cadre, la recherche de preuves de l’exercice, dans le passé, de mesures de rétorsion ne saurait constituer un test valable, la condition pouvant parfaitement être remplie en l’absence de toute mesure de rétorsion dans le passé. L’appréciation du risque de création d’une position dominante collective par une concentration ne reposant pas, par définition, sur l’existence d’une politique commune préalable, le critère relatif à l’absence d’exercice de mesures de rétorsion dans le passé est dénué de toute pertinence. La décision est, dès lors, entachée d’erreur sur ce point.

538    Il ressort, en outre, de la décision et du dossier que de tels moyens de dissuasion crédibles et efficaces semblent effectivement exister en l’espèce et, en particulier, la possibilité de sanctionner la maison de disques déviante en l’excluant des compilations. Dans la communication des griefs, la Commission avait d’ailleurs clairement constaté le caractère efficace de ce moyen de dissuasion et la décision ne fournit aucune explication sur les raisons pour lesquelles il n’en serait, en définitive, pas ainsi. Tout au contraire, les analyses figurant aux considérants 115 à 118 de la décision sont de nature à confirmer le caractère efficace de ce moyen de dissuasion. En effet, après avoir mis en évidence, aux considérants 115 et 116 de la décision, l’importance économique des compilations de plusieurs artistes ou labels, qui représentent approximativement de 15 à 20 % du marché total de la musique enregistrée, et souligné que la présence sur un album d’artistes « appartenant » à différentes maisons de disques semble être un facteur clé de succès d’une compilation, la Commission expose, au considérant 117 de la décision, que, « [e]n cas de ‘déviation’ persistante de l’une d’entre elles, les grandes maisons de disques pourraient donc exclure cette dernière de la création de nouvelles entreprises communes, ou lui refuser le droit d’utiliser leurs titres dans une compilation, voire mettre fin à certaines entreprises communes existantes ». Enfin, le considérant 118 de la décision indique que la Commission n’a cependant trouvé aucun élément démontrant que, dans le passé, l’exclusion d’autres grandes maisons de disques d’une entreprise commune de compilation, ni de trace de menace en ce sens, tout en précisant que « ces mesures pourraient représenter en général des moyens de rétorsion crédibles sur les marchés de la musique enregistrée ».

539    Partant, la Commission ne pouvait, sans commettre d’erreur, se fonder sur l’absence de preuve de l’exercice de mesures de rétorsion dans le passé pour conclure que la concentration ne risquait pas d’entraîner la création d’une position dominante collective.

540    Il convient de rappeler, en outre, que, ainsi qu’il a été constaté dans le cadre du premier moyen, la décision ne mentionne pas un seul cas dans lequel une major se serait écartée de la politique commune en matière de prix sans que cela entraîne l’exercice d’une mesure de rétorsion, et la Commission, interrogée à cet égard par le Tribunal, n’a pu indiquer la moindre vérification à laquelle elle aurait procédé pour conclure qu’elle n’avait trouvé aucun élément indiquant que des mesures de rétorsion, ou des menaces en ce sens, avaient été utilisées dans le passé.

541    Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen d’annulation est également fondé.

IV –  Conclusion générale

542    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les premier et deuxième moyens sont fondés en ce que la décision est entachée d’une insuffisance de motivation, d’une part, et d’une erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où les éléments fondant la décision ne constituent pas l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération et ne sont pas suffisants pour étayer les conclusions qui en sont tirées, d’autre part.

543    Il s’ensuit que, sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen relatif au renforcement ou à la création d’une position dominante collective sur le marché de gros des licences de musique en ligne ou le moyen relatif à la coordination des activités respectives des parties à la concentration dans le domaine de l’édition musicale, la décision doit être annulée.

 Sur les dépens

544    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l’article 87, paragraphe 3, dudit règlement, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supportera ses propres dépens si les parties succombent sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels. Enfin, l’article 87, paragraphe 4, du règlement prévoit que le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante supportera ses propres dépens.

545    En l’espèce, la décision doit être annulée et la requérante a conclu à la condamnation de la Commission aux dépens. Toutefois, il y a lieu de tenir compte des circonstances suivantes.

546    S’agissant de la requérante, force est de constater que, si elle a fortement insisté pour que l’affaire, en dépit de sa complexité soulignée à juste titre par la Commission, soit traitée sous le bénéfice de la procédure accélérée, elle n’a toutefois pas adopté un comportement en conséquence, alors pourtant que, dans sa décision faisant droit à la demande de procédure accélérée, le Tribunal avait expressément souligné que cette décision pourrait être rapportée au vu des développements de l’affaire. Si le Tribunal pouvait, certes, dès lors, mettre un terme à ladite procédure accélérée, il convenait toutefois de tenir compte de l’urgence objective de l’affaire et de l’effort considérable déjà fourni par les autres parties, rendant ainsi, au fur et à mesure, cette possibilité de moins en moins appropriée. Or, une attitude, peu compatible avec la lettre et l’esprit de la procédure accélérée, adoptée par la requérante s’est progressivement développée au fil des différents stades de la procédure.

547    En premier lieu, le volume de la requête et le nombre de moyens et arguments dépassaient largement les normes préconisées pour bénéficier de la procédure accélérée et la requérante n’a pas produit de version abrégée de sa requête ni renoncé à certains moyens.

548    En deuxième lieu, alors que la mesure d’organisation de la procédure visant à permettre l’accès à certains documents ou éléments confidentiels venait d’être négociée et mise au point avec la Commission, les intervenantes et le Tribunal, tant par le biais de l’échange de diverses notes que lors d’une réunion informelle du Tribunal, la requérante a demandé une modification de celle-ci, laquelle a impliqué des objections importantes de la part des autres parties, pour finalement retirer cette demande.

549    En troisième lieu, après avoir demandé et obtenu le droit, inhabituel dans une procédure accélérée, de déposer un mémoire en réponse aux éléments de preuve avancés par la Commission dans sa défense, la requérante s’est opposée, à tort, à ce que la Commission, conformément au principe du respect du contradictoire, puisse déposer des observations complémentaires en réponse.

550    En quatrième lieu, après avoir insisté pour obtenir une audience rapidement, la requérante n’a toutefois pu marquer sa disponibilité pour aucune des quatre dates proposées par le Tribunal, retardant ainsi de plusieurs mois la tenue de l’audience.

551    En cinquième lieu, ayant été autorisée, à titre tout à fait exceptionnel, à déposer des observations après l’audience, à condition qu’elles soient strictement limitées aux réponses de la Commission aux questions écrites du Tribunal, la requérante, ainsi que l’a souligné à juste titre la Commission, a déposé un mémoire de plus de 50 pages, hors annexe, dans lequel elle a, notamment, avancé de nombreux arguments et éléments de preuve sans aucun rapport avec lesdites questions et introduit de nouveaux arguments et éléments de preuve.

552    Par ailleurs, si la requérante a obtenu gain de cause en ce qui concerne la position dominante collective sur le marché de la musique enregistrée, ses conclusions visant à ce que soient écartés du dossier tous les éléments de preuve déposés par la Commission en annexe à son mémoire en défense ont été rejetées. De même, ses conclusions relatives à la prétendue position dominante individuelle de Sony sur les marchés de la distribution de musique en ligne sont dépourvues de tout fondement, ne serait-ce que pour le motif que, à l’époque de l’adoption de la décision, SonyConnect n’avait aucune part de marché, tandis que d’autres acteurs, en particulier Apple, détenaient déjà une position importante.

553    S’agissant de la Commission, il est à regretter que, sur plusieurs points, ses observations s’écartent, parfois assez sensiblement, des analyses effectuées dans la décision, forçant ainsi la requérante et le Tribunal à constamment devoir procéder à des vérifications inhabituelles. Ainsi, les affirmations selon lesquelles, en raison du fait que le recours au mécanisme de rétorsion consistant à exclure le membre s’écartant de la politique commune des compilations pouvait entraîner le sacrifice des bénéfices générés par une compilation, la Commission n’a pas été en mesure de conclure qu’il s’agissait d’un mécanisme crédible ou n’a pas pris position sur la question des mesures de rétorsion ne correspondent manifestement pas aux conclusions mentionnées aux considérants 115 à 118 de la décision, lesquels reconnaissent au contraire l’efficacité de ce mécanisme de rétorsion (ainsi qu’il était d’ailleurs déjà expressément constaté aux points 128 à 132 de la communication des griefs), mais font état de ce que la Commission n’a pas trouvé de preuve de sa mise en œuvre. De même, l’affirmation de la Commission selon laquelle elle a conclu, au considérant 169 de la décision, que la transparence du marché sur les marchés de licences de musique en ligne était limitée, en raison de l’inexistence de prix de gros des licences généralement connus, ne correspond pas à l’assertion, figurant également dans la décision, selon laquelle « la transparence est en tout état de cause plus grande sur le marché des licences en ligne que sur le marché traditionnel de la musique enregistrée ».

554    Au vu des considérations qui précèdent, le Tribunal estime qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant, d’une part, que la Commission supportera ses propres dépens ainsi que les trois quarts de ceux exposés par la requérante et, d’autre part, que les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens conformément à l’article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C(2004) 2815 de la Commission, du 19 juillet 2004, déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord EEE (affaire COMP/M.3333 – Sony/BMG), est annulée.

2)      La Commission supportera ses propres dépens ainsi que les trois quarts de ceux exposés par la requérante.

3)      La requérante supportera un quart de ses dépens.

4)      Les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens.

Jaeger

Azizi

Cremona

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 juillet 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


Table des matières


Faits à l’origine du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

I –  Sur les éléments de preuve annexés au mémoire en défense

A –  Arguments des parties

B –  Appréciation du Tribunal

II –  Sur le premier moyen, relatif au renforcement d’une position dominante collective préexistante sur le marché de la musique enregistrée

A –  Arguments de la requérante

1.  Sur la première branche

a)  Sur la violation de l’obligation de motivation

Homogénéité du produit

Transparence

Moyens de dissuasion

Contrepoids

b)  Sur l’erreur manifeste d’appréciation

Homogénéité du produit

Transparence

–  Argumentation générale

–  Observations générales sur les nouveaux éléments de preuve

–  Examen individuel des différents éléments de preuve

Moyens de dissuasion

Contrepoids

Absence de réelle analyse de la politique commune

c)  Mauvaise application du droit sur les positions dominantes collectives

2.  Sur la deuxième branche

B –  Arguments de la Commission

1.  Décision de la Commission et éléments de preuve sur lesquels elle s’est fondée

a)  Contexte

b)  Cinq grands marchés (Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie, Espagne)

Alignement des prix nets moyens et des PPV

Complexité et PPV

Alignement et complexité des remises

Transparence des remises

Liens structurels

Mesures de rétorsion

c)  Autres États membres

2.  Présentation incorrecte de la décision dans la requête

3.  Sur la première branche

a)  Sur la violation de l’obligation de motivation

Homogénéité du produit

Transparence

Moyens de dissuasion

Contrepoids

b)  Sur l’erreur manifeste d’appréciation et sur l’erreur de droit

Homogénéité du produit

Transparence

Moyens de dissuasion et contrepoids

Analyse de la ligne d’action commune

4.  Sur la deuxième branche

C –  Arguments des intervenantes

1.  Observations liminaires

2.  Examen des arguments de la requérante

a)  Sur les remises promotionnelles

b)  Absence d’alignement

c)  Absence de transparence

3.  Sur différents aspects non mentionnés dans la décision

D –  Appréciation du Tribunal

1.  Considérations générales

2.  Notion de position dominante collective

3.  Décision de la Commission

4.  Transparence

a)  Sur le grief pris de l’insuffisance de motivation

b)  Sur le grief pris d’une erreur manifeste d’appréciation

Facteurs de transparence relevés dans la décision

Éléments de nature à opacifier le marché

–  Sur l’opacité des remises promotionnelles

–  Sur la pertinence des remises promotionnelles

c)  Conclusion sur la transparence

5.  Homogénéité

6.  Mesures de rétorsion

7.  Conclusion sur le premier moyen

III –  Sur le deuxième moyen, relatif à la création d’une position dominante collective sur les marchés de la musique enregistrée

A –  Arguments de la requérante

1.  Sur l’erreur de droit

a)  Absence d’analyse prospective

b)  Transparence

c)  Moyens de dissuasion

d)  Contrepoids

2.  Sur la violation de l’obligation de motivation

3.  Sur l’erreur manifeste d’appréciation

B –  Arguments de la Commission

1.  Sur l’erreur de droit

a)  Absence d’analyse prospective

b)  Transparence

c)  Moyens de dissuasion et contrepoids

2.  Sur la violation de l’obligation de motivation

3.  Sur l’erreur manifeste d’appréciation

C –  Arguments des intervenantes

D –  Appréciation du Tribunal

IV –  Conclusion générale

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.