Language of document : ECLI:EU:T:2024:249

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

17 avril 2024 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine – Interdiction d’acheter, d’importer ou de transférer, directement ou indirectement, dans l’Union, les biens qui génèrent d’importantes recettes pour la Russie énumérés à l’annexe XXI du règlement (UE) no 833/2014 – Produits en mica – Recours en annulation – Acte réglementaire dépourvu de mesures d’exécution affectant directement la situation juridique des importateurs – Recevabilité – Obligation de motivation – Droit d’être entendu – Droit d’accès au dossier – Liberté d’entreprise – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑782/22,

Cogebi, établie à Bruxelles (Belgique),

Cogebi, a.s., établie à Tábor (République tchèque),

représentées par Me H. over de Linden, avocate,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bishop et E. Nadbath, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

République d’Estonie, représentée par Mme M. Kriisa, en qualité d’agent,

et par

Commission européenne, représentée par M. J.-F. Brakeland, Mmes M. Carpus Carcea et L. Puccio, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. R. da Silva Passos, président, S. Gervasoni (rapporteur) et Mme N. Półtorak, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Cogebi et Cogebi, a.s., demandent l’annulation de l’article 3 decies du règlement (UE) no 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2022/1904 du Conseil, du 6 octobre 2022 (JO 2022, L 259 I, p. 3), dans la mesure où le règlement 2022/1904 introduit le code NC 6814 (mica travaillé et ouvrages en mica) (ci-après les « produits en mica ») dans la liste des biens qui génèrent d’importantes recettes pour la Fédération de Russie énumérés dans l’annexe XXI du règlement no 833/2014 et dont l’achat, l’importation ou le transfert, direct ou indirect, dans l’Union européenne sont interdits en vertu de l’article 3 decies de ce règlement.

 Antécédents du litige

2        Les requérantes, qui appartiennent au même groupe de sociétés, fabriquent des produits industriels à base de mica. Elles importent des produits en mica, en provenance de Russie, fabriqués par une société établie en Russie et faisant partie dudit groupe de sociétés.

3        Le 18 mars 2014, la Russie a annexé la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol (Ukraine).

4        En avril et mai 2014, deux entités, la « République populaire de Lougansk » et la « République populaire de Donetsk », ont été proclamées dans l’est de l’Ukraine.

5        Le 31 juillet 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/512/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 13), afin d’introduire des mesures restrictives ciblées dans les domaines de l’accès aux marchés des capitaux, de la défense, des biens à double usage et des technologies sensibles. Le même jour, le Conseil a adopté le règlement no 833/2014, qui donne effet à certaines mesures prévues dans la décision 2014/512.

6        Le 21 février 2022, le président de la Fédération de Russie a signé un décret reconnaissant l’indépendance et la souveraineté de la « République populaire de Donetsk » et de la « République populaire de Lougansk ».

7        Le 23 février 2022, le Conseil a adopté une première série de mesures restrictives concernant, notamment, les relations économiques avec les régions de Donetsk et de Lougansk non contrôlées par le gouvernement ukrainien, et l’accès aux marchés et services financiers de l’Union.

8        Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et, le même jour, les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine.

9        Le 25 février 2022, le Conseil a adopté une deuxième série de mesures restrictives comprenant, notamment, des mesures dans les secteurs de la finance, de la défense, de l’énergie, de l’aviation et de l’industrie spatiale, et des mesures suspendant l’application de certaines dispositions de l’accord prévoyant des mesures visant à faciliter la délivrance de visas à l’égard de certaines catégories de citoyens de la Fédération de Russie demandant un visa de court séjour.

10      Entre le 28 février et le 2 mars 2022, le Conseil a adopté une troisième série de mesures restrictives concernant, notamment, la fermeture de l’espace aérien de l’Union aux aéronefs russes, l’interdiction de fournir des services de messagerie financière (SWIFT) à certaines banques russes, l’interdiction de toute transaction avec la Banque centrale de Russie et la suspension des activités de radiodiffusion de médias placés sous le contrôle des dirigeants de la Fédération de Russie.

11      Le 15 mars 2022, le Conseil a adopté une quatrième série de mesures restrictives prévoyant, notamment, l’interdiction de toutes transactions avec certaines entreprises contrôlées par l’État russe, l’interdiction de la fourniture de services de notation de crédit à toute entité établie en Russie, l’interdiction de nouveaux investissements et d’exportations d’équipements, de technologies et de services dans le secteur énergétique russe ainsi que des restrictions commerciales concernant les produits sidérurgiques et les produits de luxe.

12      Le 8 avril 2022, le Conseil a adopté une cinquième série de mesures restrictives, prévoyant notamment l’interdiction d’effectuer des dépôts sur les portefeuilles de crypto-actifs, l’interdiction d’exporter des billets de banque libellés en euros et de vendre des valeurs mobilières libellées en euros à toute entité établie en Russie et en Biélorussie, l’interdiction de l’attribution et de la poursuite de l’exécution de marchés publics avec des ressortissants russes et des personnes établies en Russie, l’interdiction de fournir un soutien à toute entité établie en Russie et contrôlée par l’État russe, l’interdiction d’agir en qualité de fiduciaire pour des personnes et entités russes, l’interdiction de l’accès des navires russes aux ports de l’Union, l’interdiction des exportations de carburéacteurs et d’autres biens vers la Russie, l’interdiction des importations de charbon et d’autres combustibles fossiles et d’autres biens qui génèrent d’importantes recettes pour la Russie, l’interdiction aux entreprises de transport routier établies en Russie et en Biélorussie de transporter des marchandises par route sur le territoire de l’Union.

13      En particulier, la décision (PESC) 2022/578 du Conseil, du 8 avril 2022, modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L/111, p. 70), et le règlement (UE) 2022/576 du Conseil, du 8 avril 2022, modifiant le règlement (UE) no 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 111, p. 1), prévoient l’interdiction d’importer les biens qui génèrent d’importantes recettes pour la Russie, tels qu’ils sont énumérés à l’annexe XXI de ce règlement (ci-après l’ « annexe XXI »), notamment le bois, le ciment et les fruits de mer. Ces biens sont identifiés, dans cette annexe, selon le code de nomenclature, tiré de la nomenclature combinée, figurant à l’annexe I du règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO 1987, L 256, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 1549/2006 de la Commission, du 17 octobre 2006 (JO 2006, L 301, p. 1) (code NC).

14      Le 3 juin 2022, le Conseil a adopté une sixième série de mesures restrictives, prévoyant, notamment, une interdiction d’importation de produits pétroliers, l’interdiction de la fourniture de services de comptabilité, de relations publiques et de conseil en matière d’entreprise ou de gestion à des entités établies en Russie, l’exclusion du système SWIFT de trois banques russes et la suspension de la diffusion dans l’Union de médias placés sous le contrôle des dirigeants de la Fédération de Russie.

15      Le 21 juillet 2022, le Conseil a adopté une septième série de mesures restrictives, prévoyant notamment une interdiction d’importer de l’or originaire de Russie.

16      Le 30 septembre 2022, le président de la Fédération de Russie a signé un décret d’annexion des régions de Donetsk, de Kherson, de Lougansk et de Zaporijia.

17      Le 6 octobre 2022, le Conseil a adopté une huitième série de mesures restrictives, prévoyant, notamment, le plafonnement des prix en ce qui concerne le transport maritime de pétrole russe à destination de pays tiers, des restrictions aux échanges commerciaux et à la fourniture de services à la Russie, et l’interdiction pour les ressortissants de l’Union d’occuper des postes au sein des organes directeurs de certaines entités contrôlées par l’État russe.

18      S’agissant en particulier des restrictions aux échanges commerciaux, le 6 octobre 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/1909, modifiant la décision 2014/512 (JO 2022, L 259 I, p. 122), laquelle prévoit des restrictions à l’importation d’autres produits qui génèrent d’importantes recettes pour la Russie tels que la pâte à bois et le papier, certains éléments utilisés dans l’industrie de la bijouterie, tels que les pierres et les métaux précieux, certaines machines, certains produits chimiques, les cigarettes, les plastiques et les produits chimiques tels que les cosmétiques.

19      Le même jour, le Conseil a adopté le règlement 2022/1904, mettant en œuvre la décision 2022/1909. Ce règlement a remplacé l’annexe XXI par une nouvelle annexe établissant une liste plus étendue de biens générant d’importantes recettes pour la Russie dont les importations sont interdites. Ladite annexe prévoit notamment une interdiction d’importation dans l’Union de biens relevant du code NC 6814, à savoir les produits en mica.

 Procédure et conclusions des parties

20      Le 13 décembre 2022, les requérantes ont introduit le présent recours.

21      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 3 decies du règlement no 833/2014, tel que modifié par le règlement 2022/1904, en tant qu’il comporte l’inclusion du code NC 6814 dans la liste des biens et des technologies énumérés à l’annexe XXI et visés à l’article 3 decies du règlement no 833/2014 (ci-après la « disposition attaquée ») ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

22      Le Conseil, soutenu par la République d’Estonie et par la Commission européenne, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

23      Les requérantes soulèvent cinq moyens à l’appui de leur recours : un premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation, un deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, un troisième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité, un quatrième moyen, tiré de la violation de la liberté d’entreprise, et un cinquième moyen, tiré de la violation du droit à une bonne administration et du droit à un recours effectif.

24      Il convient, après avoir précisé l’objet du recours, d’examiner la fin de non-recevoir soulevée par la Commission puis les moyens relatifs à la légalité formelle de la disposition attaquée avant les moyens relatifs à son bien-fondé.

 Sur l’objet du recours

25      Aux termes de l’article 3 decies, paragraphe 1, du règlement no 833/2014, tel qu’introduit par le règlement 2022/576, il est interdit d’acheter, d’importer ou de transférer, directement ou indirectement, dans l’Union, les biens qui génèrent d’importantes recettes pour la Russie et qui lui permettent ainsi de mettre en œuvre ses actions déstabilisant la situation en Ukraine, tels qu’énumérés à l’annexe XXI si ceux-ci sont originaires de Russie ou sont exportés de Russie. 

26      Le règlement 2022/1904 a remplacé l’annexe XXI par une nouvelle annexe établissant une liste plus étendue de biens. Il a notamment introduit, dans ladite annexe, le code NC 6814 correspondant aux produits en mica.

27      Il ressort des écritures des requérantes que ces dernières contestent seulement l’interdiction d’acheter, d’importer ou de transférer, directement ou indirectement, dans l’Union, les produits en mica originaires de Russie ou exportés de Russie.

28      Ainsi, les requérantes doivent être regardées comme demandant l’annulation du règlement 2022/1904, dans la mesure où il introduit, dans l’annexe XXI, le code NC 6814 dans la liste des biens et des technologies qui génèrent d’importantes recettes pour la Russie et dont l’achat, l’importation ou le transfert, direct ou indirect, dans l’Union, sont interdits en vertu de l’article 3 decies du règlement no 833/2014.

 Sur la fin de non-recevoir, soulevée par la Commission, tirée de ce que les requérantes ne sont ni directement affectées ni individuellement concernées par la disposition attaquée

29      La Commission soutient que le recours n’est pas recevable, les requérantes n’étant pas directement affectées par la disposition attaquée. Elle estime que, étant donné que les requérantes sont des entreprises de l’Union qui utilisent le mica importé de Russie dans leurs activités de production, l’interdiction d’importation affecte leur capacité à importer les produits en mica de Russie, mais n’affecte pas leur capacité à importer ces produits d’autres sources ni à produire leurs produits finaux. Les requérantes, qui supporteraient la charge de la preuve, n’allégueraient ni ne démontreraient que leur position sur le marché est suffisamment affectée. Elles ne seraient pas individuellement concernées, puisque la disposition attaquée est un acte réglementaire de portée générale qui ne les cible pas spécifiquement et qui n’a pas été défini sur la base de leur situation particulière.

30      Les requérantes estiment que cette fin de non-recevoir doit être écartée.

31      En ce qui concerne la qualité de la Commission pour soulever ladite fin de non-recevoir, il y a lieu de relever que, selon l’article 142, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, l’intervention ne peut avoir d’autre objet que le soutien, en tout ou en partie, des conclusions de l’une des parties principales. En outre, selon l’article 142, paragraphe 3, de ce règlement, la partie intervenante accepte le litige dans l’état où il se trouve lors de son intervention.

32      Il résulte de ces dispositions qu’une partie qui est admise à intervenir à un litige au soutien de la partie défenderesse n’a pas qualité pour soulever une fin de non-recevoir non formulée dans les conclusions de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 67 et jurisprudence citée).

33      Il s’ensuit que la Commission n’a pas qualité pour soulever la fin de non-recevoir en cause, de sorte que le Tribunal n’est pas tenu d’y répondre explicitement sur le fond.

34      Toutefois, étant donné que, conformément à l’article 129 du règlement de procédure, le Tribunal peut, à tout moment, d’office, les parties principales entendues, examiner les fins de non-recevoir d’ordre public, il y a lieu, en l’espèce, dans un souci de bonne administration de la justice, les parties principales ayant été mises en mesure de présenter des observations sur la fin de non-recevoir en cause dans leurs observations sur le mémoire en intervention de la Commission, de procéder à l’examen de ladite fin de non-recevoir d’ordre public [voir, en ce sens, arrêts du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90, EU:C:1993:111, point 23, et du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T‑68/15, EU:T:2018:563, point 41 (non publié)].

35      L’article 263, quatrième alinéa, TFUE prévoit deux cas de figure dans lesquels la qualité pour agir est reconnue à une personne physique ou morale pour former un recours contre un acte dont elle n’est pas la destinataire. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement (arrêt du 18 octobre 2018, Internacional de Productos Metálicos/Commission, C‑145/17 P, EU:C:2018:839, point 32).

36      Les conditions de recevabilité prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE doivent être interprétées à la lumière du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, sans pour autant aboutir à écarter les conditions expressément prévues par ledit traité (arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 98).

37      Les requérantes n’étant pas destinataires de la disposition attaquée, leur qualité pour agir ne peut être reconnue que si elles relèvent de l’un des deux cas de figure mentionnés au point 35 ci-dessus.

38      Il convient d’examiner la recevabilité du recours au regard du second cas de figure mentionné au point 35 ci-dessus.

39      Il y a lieu de déterminer, premièrement, si la disposition attaquée est un acte réglementaire, deuxièmement, si elle comporte ou non des mesures d’exécution et, troisièmement, si elle concerne directement les requérantes.

40      En premier lieu, les actes réglementaires, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, visent tous les actes non législatifs de portée générale (arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 28).

41      Il convient de déterminer si la disposition attaquée a une portée générale et si elle constitue ou non un acte législatif.

42      Un acte a une portée générale, dans la mesure où il s’applique à des situations déterminées objectivement et produit des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite (arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 29).

43      La disposition attaquée s’applique à des opérations économiques déterminées objectivement (l’achat, l’importation ou le transfert, direct ou indirect, dans l’Union de certains biens) et définit les produits concernés, à savoir les produits en mica, de manière objective par référence à la nomenclature combinée.

44      Par ailleurs, la disposition attaquée ne cible pas des personnes physiques ou morales identifiées (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 97, et du 6 septembre 2018, Bank Mellat/Conseil, C‑430/16 P, EU:C:2018:668, point 56). Au contraire, elle s’applique, selon l’article 13 du règlement no 833/2014, « a) sur le territoire de l’Union ; b) à bord de tout aéronef ou de tout navire relevant de la juridiction d’un État membre ; c) à toute personne, à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire de l’Union, qui est ressortissante d’un État membre ; d) à toute personne morale, toute entité ou tout organisme, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union, établi ou constitué selon le droit d’un État membre ; e) à toute personne morale, à toute entité ou à tout organisme en ce qui concerne toute opération commerciale réalisée intégralement ou en partie dans l’Union. »

45      La disposition attaquée est donc un acte de portée générale.

46      Par ailleurs, un acte, qui n’a pas été adopté sur le fondement d’une disposition des traités qui se réfère expressément soit à la procédure législative ordinaire, soit à la procédure législative spéciale, ne peut être qualifié d’acte législatif de l’Union (arrêt du 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie/Conseil, C‑643/15 et C‑647/15, EU:C:2017:631, point 62).

47      La disposition attaquée n’a pas été adoptée conformément à la procédure législative visée à l’article 289 TFUE. Elle a été adoptée conformément à la procédure non législative prévue par l’article 215, paragraphe 1, TFUE [arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 92], lequel permet l’adoption par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, sur proposition conjointe du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et de la Commission, des mesures nécessaires à la mise en œuvre d’une décision, relative à la politique étrangère et de sécurité commune, prévoyant l’interruption ou la réduction, en tout ou en partie, des relations économiques et financières avec un ou plusieurs pays tiers, le Parlement étant informé.

48      Par suite, la disposition attaquée, qui est un acte de portée générale non législatif, constitue un acte réglementaire au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

49      En deuxième lieu, aux fins d’apprécier si un acte réglementaire comporte des mesures d’exécution, il y a lieu de s’attacher à la position de la personne invoquant le droit de recours au titre de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE. Il est donc sans pertinence de savoir si l’acte en question comporte des mesures d’exécution à l’égard d’autres justiciables (voir arrêts du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 61 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 99 et jurisprudence citée).

50      En l’espèce, il découle du libellé même de la disposition attaquée que les interdictions édictées par cette disposition s’appliquent sans laisser de pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de les mettre en œuvre. Ces interdictions sont directement applicables aux requérantes sans que cela nécessite l’adoption de mesures d’exécution, ni par l’Union ni par les États membres [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 90]. La Commission ne le conteste d’ailleurs pas.

51      À cet égard, il est vrai que l’article 3 decies, paragraphe 3 quater, du règlement no 833/2014 dispose que, par dérogation aux paragraphes 1 et 2, les autorités compétentes peuvent autoriser l’achat, l’importation ou le transfert des biens énumérés dans la partie B de l’annexe XXI, ou la fourniture d’une assistance technique et d’une aide financière qui y sont afférentes, dans les conditions qu’elles jugent appropriées, après avoir établi que cela est nécessaire à l’établissement, à l’exploitation, à l’entretien, à l’approvisionnement en combustible et au retraitement du combustible et à la sûreté des capacités nucléaires civiles, et à la poursuite de la conception, de la construction et de la mise en service exigées pour la réalisation d’installations nucléaires civiles, à la fourniture de matériaux précurseurs pour la production de radio-isotopes médicaux et d’applications médicales similaires, ou de technologies critiques pour la surveillance des rayonnements dans l’environnement, ainsi que pour une coopération nucléaire civile, en particulier dans le domaine de la recherche et du développement.

52      Toutefois, il n’est ni établi ni allégué par les requérantes que les produits en mica qu’elles importent en provenance de Russie, dont elles exposent qu’ils permettent notamment de fabriquer des éléments destinés aux fabricants aéronautiques, sont susceptibles de bénéficier, en intégralité ou même en partie, d’une dérogation qui concerne essentiellement le secteur spécifique du nucléaire civil. Dans ces conditions, il serait artificiel d’obliger les requérantes à demander aux autorités compétentes le bénéfice de cette dérogation et à contester l’acte refusant de faire droit à cette demande devant une juridiction nationale afin d’amener celle-ci à interroger la Cour sur la validité de la disposition attaquée (voir, en ce sens, arrêts du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 66, et du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 90).

53      Par suite, le dispositif de dérogation qui figure à l’article 3 decies, paragraphe 3 quater, du règlement no 833/2014 ne peut pas être considéré comme prévoyant des mesures d’exécution de la disposition attaquée à l’égard des requérantes. Par conséquent, cette disposition constitue un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution à leur égard, au sens de l’article 263 TFUE [voir, par analogie, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 90]. La Commission ne le conteste d’ailleurs pas.

54      En troisième lieu, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la mesure faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert la réunion de deux critères cumulatifs, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique de cette personne et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de la mettre en œuvre, cette mise en œuvre ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires [arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 61].

55      Pour déterminer si un acte produit des effets juridiques, il y a lieu de s’attacher notamment à son objet, à son contenu, à sa portée, à sa substance ainsi qu’au contexte juridique et factuel dans lequel il est intervenu [arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 66].

56      Il convient, afin de déterminer l’affectation directe d’une personne, de tenir compte non seulement des effets d’un acte de l’Union sur sa position juridique, mais également de ses effets matériels sur elle, de tels effets devant être plus importants que de simples effets indirects, ce qu’il faudra déterminer dans chaque cas individuel en tenant compte du contenu réglementaire de l’acte juridique de l’Union dont il s’agit (arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 97).

57      La disposition attaquée interdit notamment l’importation, dans l’Union, de produits en mica originaires de Russie. Elle s’applique aux requérantes, qui sont des personnes morales constituées selon le droit d’un État membre, au sens de l’article 13, sous d), du règlement no 833/2014 et dont les importations de produits en mica en provenance de Russie constituent des opérations commerciales réalisées en partie dans l’Union, au sens de l’article 13, sous e), de ce règlement.

58      En vertu de l’article 3 decies, paragraphe 3 ter, du règlement no 833/2014, en ce qui concerne les biens, tels que les produits en mica, énumérés dans la partie B de l’annexe XXI, l’interdiction d’importation ne s’applique pas à l’exécution, jusqu’au 8 janvier 2023, de contrats conclus avant le 7 octobre 2022, ou de contrats accessoires nécessaires à l’exécution de tels contrats.

59      La disposition attaquée produit directement des effets sur la situation juridique des requérantes. En effet, ces dernières, dont il est constant qu’elles importent des produits en mica de Russie aux fins de la fabrication de leurs produits, sont, du fait de cette disposition, et dans les limites de l’article 3 decies, paragraphe 3 ter, du règlement no 833/2014, juridiquement et directement privées du droit de poursuivre cette activité d’importation [voir, par analogie, arrêts du 25 octobre 2011, Microban International et Microban (Europe)/Commission, T‑262/10, EU:T:2011:623, point 28, et du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, points 80 et 81].

60      Compte tenu des termes impératifs de l’article 3 decies, paragraphe 1, du règlement no 833/2014 (« [i]l est interdit »), les institutions et organes de l’Union et les États membres ne disposent d’aucun pouvoir d’appréciation dans la mise en œuvre de la disposition attaquée, qui revêt un caractère purement automatique [voir, par analogie, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, points 61 et 69].

61      L’argumentation de la Commission tendant à remettre en cause l’affectation directe des requérantes doit être écartée.

62      Premièrement, la Commission fait valoir que la disposition attaquée n’aurait qu’une incidence purement matérielle sur la situation des requérantes.

63      Il est vrai, comme la Commission le rappelle à juste titre, que le seul fait qu’un acte soit susceptible d’avoir une influence sur la situation matérielle d’une partie requérante ne suffit pas pour qu’il puisse être considéré qu’il la concerne directement (arrêt du 21 octobre 2021, Lípidos Santiga/Commission, C‑402/20 P, non publié, EU:C:2021:872, point 20). De même, pour apprécier si la disposition attaquée a des effets directs sur la situation juridique des requérantes, il serait erroné de prendre en considération uniquement l’intensité ou le caractère purement économique desdits effets (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a., C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923, points 108 et 109).

64      Toutefois, la disposition attaquée n’a pas seulement un impact sur la situation matérielle des requérantes mais correspond aussi à une interdiction de nature juridique affectant de manière directe l’une des activités que les requérantes exerçaient à la date d’adoption de la disposition attaquée. En effet, il ressort des paragraphes 1 et 3 ter de la disposition attaquée, relative aux restrictions à l’importation dans l’Union, que, en raison de son adoption, les requérantes se trouvaient dans l’incapacité matérielle et juridique de conclure de nouveaux contrats ou de demander l’exécution, après le 8 janvier 2023, de contrats conclus avant le 7 octobre 2022 ou de contrats accessoires nécessaires à l’exécution de tels contrats avec la société, appartenant à leur groupe de sociétés, établie en Russie, qui fabrique et exporte les produits en mica nécessaires à leur activités industrielles à base de mica (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, points 88 et 89). Ainsi, les interdictions figurant au paragraphe 1 de ladite disposition, à savoir l’interdiction d’acheter, d’importer ou de transférer, directement ou indirectement, dans l’Union, des produits en mica, ont pour effet immédiat et automatique d’empêcher les requérantes, notamment, d’importer les produits en cause dans l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 69].

65      Deuxièmement, il ressort de l’ordonnance du 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (T‑18/10, EU:T:2011:419, point 75), invoquée par la Commission, qu’une mesure interdisant, sauf exception, une mise sur le marché de l’Union des produits dérivés du phoque affecte directement les personnes actives sur ce marché. En l’espèce, les requérantes présentent dans leurs écritures des arguments, sans être contestées par le Conseil et les intervenantes, de nature à démontrer qu’elles étaient actives, à la date de l’adoption de la disposition attaquée, sur le marché de l’importation de produits en mica en provenance de Russie, de sorte qu’elles remplissent le critère d’affectation directe (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 69).

66      Troisièmement, la circonstance selon laquelle les requérantes peuvent se procurer des produits en mica non originaires de Russie auprès de fournisseurs établis dans d’autres pays que la Russie ne remet pas en cause la conclusion selon laquelle l’interdiction susvisée les concerne directement [voir, par analogie, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 71].

67      Les requérantes sont donc directement concernées par la disposition attaquée au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

68      Il résulte des considérations qui précèdent que les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE sont remplies et que, par suite, le recours est recevable.

 Sur le fond

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

69      Les requérantes soutiennent que la disposition attaquée méconnaît l’obligation de motivation résultant de l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et de l’article 296 TFUE. Le Conseil n’aurait pas suffisamment motivé l’inclusion du code NC 6814 dans l’annexe XXI et n’aurait pas expliqué quelles étaient les valeurs des recettes de la Russie qu’il considérait comme importantes.

70      Le Conseil, soutenu par la République d’Estonie et par la Commission, conteste cette argumentation.

71      Il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement du Conseil, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises et au juge de l’Union d’exercer son contrôle. Le respect de l’obligation de motivation doit par ailleurs être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte, ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 17 mars 2011, AJD Tuna, C‑221/09, EU:C:2011:153, point 58, et du 22 novembre 2018, Swedish Match, C‑151/17, EU:C:2018:938, point 78).

72      La portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et, s’agissant d’actes de portée générale, la motivation peut se borner à indiquer, d’une part, la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption et, d’autre part, les objectifs généraux qu’il se propose d’atteindre (arrêts du 19 novembre 1998, Espagne/Conseil, C‑284/94, EU:C:1998:548, point 28 ; du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 120, et du 17 septembre 2020, Rosneft e.a./Conseil, C‑732/18 P, non publié, EU:C:2020:727, point 68).

73      S’agissant d’actes de portée générale, il serait excessif d’exiger une motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés si l’acte contesté fait ressortir l’essentiel de l’objectif poursuivi par l’institution [arrêts du 17 mars 2011, AJD Tuna, C‑221/09, EU:C:2011:153, point 59 ; du 22 novembre 2018, Swedish Match, C‑151/17, EU:C:2018:938, point 79, et du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen), C‑611/17, EU:C:2019:332, point 42].

74      En l’espèce, la disposition attaquée constitue un acte de portée générale, ainsi qu’il a été dit au point 45 ci-dessus.

75      Les requérantes soutiennent, dans le cadre du cinquième moyen, que la disposition attaquée est également une mesure individuelle. Elles font valoir qu’elles réalisaient, ensemble, en 2021, 93 % des importations, dans l’Union, de produits en mica en provenance de Russie.

76      L’argument des requérantes doit être examiné au regard de la jurisprudence selon laquelle, dans le domaine des mesures restrictives, les mesures telles qu’un gel de fonds s’apparentent, à la fois, à des actes de portée générale dans la mesure où elles interdisent à une catégorie générale et abstraite de destinataires de mettre des ressources économiques à la disposition des entités visées par leurs annexes et à des décisions individuelles à l’égard de ces entités (arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 102, et du 23 novembre 2021, Conseil/Hamas, C‑833/19 P, EU:C:2021:950, point 65).

77      La disposition attaquée, qui s’applique de manière générale, dans toutes les situations et à toutes les personnes visées par l’article 13 du règlement no 833/2014, sans cibler des personnes physiques ou morales identifiées, et en particulier sans cibler ni Cogebi ni Cogebi, a.s., a une nature très différente de celle des mesures individuelles de gel de fonds (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2018, Bank Mellat/Conseil, C‑430/16 P, EU:C:2018:668, point 55).

78      La part très importante des importations, dans l’Union, de produits en mica en provenance de Russie que les requérantes, prises ensemble, réalisaient en 2021 ne permet pas de considérer, contrairement à ce que les requérantes soutiennent, que la disposition attaquée constitue une mesure individuelle à leur égard (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2020, Rosneft e.a./Conseil, C‑732/18 P, non publié, EU:C:2020:727, point 66).

79      Ainsi, la motivation de la disposition attaquée peut se borner à indiquer, d’une part, la situation d’ensemble qui a conduit à l’adoption de cette disposition et, d’autre part, les objectifs généraux qu’elle se propose d’atteindre.

80      À cet égard, il convient de préciser que la décision 2022/1909 et le règlement no 833/2014, visés par le règlement 2022/1904, font partie du contexte de la disposition attaquée et doivent être pris en compte pour apprécier si cette dernière est suffisamment motivée.

81      S’agissant de la situation d’ensemble qui a conduit à l’introduction de la disposition attaquée, la décision 2022/1909 mentionne que l’Union continue d’apporter un soutien sans réserve à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Elle indique que, le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et les forces armées russes ont commencé à attaquer l’Ukraine, que cette attaque est une violation flagrante de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine, que, dans ses conclusions du même jour, le Conseil européen a condamné avec la plus grande fermeté l’agression militaire non provoquée et injustifiée de la Russie contre l’Ukraine, que, par ses actions militaires illégales, la Russie viole de façon flagrante le droit international et les principes de la charte des Nations unies, et porte atteinte à la sécurité et à la stabilité européennes et mondiales, et que le Conseil européen a appelé à l’élaboration et à l’adoption en urgence d’un nouveau train de sanctions individuelles et économiques.

82      La décision 2022/1909 mentionne également que, dans ses conclusions des 23 et 24 juin 2022, le Conseil européen a déclaré que les travaux sur les sanctions se poursuivraient, notamment pour renforcer leur mise en œuvre et empêcher qu’elles soient contournées.

83      La décision 2022/1909 mentionne ensuite que, le 28 septembre 2022, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a fait une déclaration au nom de l’Union condamnant avec la plus grande fermeté les simulacres de référendums illégaux organisés dans certaines parties des régions ukrainiennes de Donetsk, de Kherson, de Louhansk et de Zaporijia qui sont actuellement partiellement occupées par la Russie, qu’il a déclaré que l’Union ne reconnaissait pas et ne reconnaîtrait jamais ces simulacres de référendums illégaux et leurs résultats falsifiés, ni aucune décision prise sur la base de ces résultats, et qu’elle exhortait tous les membres des Nations unies à faire de même, que, en organisant ces simulacres de référendums illégaux, la Russie avait pour objectif de modifier par la force les frontières de l’Ukraine telles qu’elles sont reconnues au niveau international, ce qui constitue une violation manifeste et grave de la charte des Nations unies, que toutes les personnes impliquées dans l’organisation de ces simulacres de référendums illégaux ainsi que les responsables d’autres violations du droit international en Ukraine devraient répondre de leurs actes et que des mesures restrictives supplémentaires prises à l’encontre de la Russie seraient proposées à cet égard, que l’Union continuerait d’apporter un soutien sans faille à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses frontières reconnues au niveau international, et qu’elle exigeait de la Russie qu’elle retire immédiatement, complètement et sans condition l’ensemble de ses troupes et de ses équipements militaires de la totalité du territoire de l’Ukraine, que l’Union et ses États membres continueraient de soutenir les efforts déployés par l’Ukraine dans ce but, aussi longtemps que nécessaire.

84      La décision 2022/1909 indique encore que, le 30 septembre 2022, les membres du Conseil européen ont déclaré qu’il rejetaient fermement et condamnaient sans équivoque l’annexion illégale, par la Russie, des régions ukrainiennes de Donetsk, de Kherson, de Lougansk et de Zaporijia, que, en portant délibérément atteinte à l’ordre international fondé sur des règles et en violant de manière flagrante les droits fondamentaux de l’Ukraine à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale, principes fondamentaux consacrés par la charte des Nations unies et par le droit international, la Russie mettait en péril la sécurité mondiale, qu’ils ne reconnaissaient pas et ne reconnaîtraient jamais les référendums illégaux que la Russie a arrangés pour servir de prétexte à cette nouvelle violation de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, ni leurs résultats falsifiés et illégaux, qu’ils ne reconnaîtraient jamais cette annexion illégale, que ces décisions étaient nulles et non avenues et ne pouvaient produire aucun effet juridique quel qu’il soit, et que la Crimée, Donetsk, Kherson, Lougansk et Zaporijia, c’était l’Ukraine, qu’ils appelaient tous les États et toutes les organisations internationales à rejeter sans équivoque cette annexion illégale, que l’Ukraine exerçait son droit légitime de se défendre contre l’agression russe afin de reprendre le contrôle total de son territoire et avait le droit de libérer les territoires occupés à l’intérieur de ses frontières reconnues au niveau international, qu’ils allaient renforcer les mesures restrictives de l’Union en réponse aux actions illégales de la Russie et intensifier encore la pression exercée sur la Russie pour qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression.

85      Dans ces conditions, il convient de considérer que la disposition attaquée est suffisamment motivée s’agissant de la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption.

86      S’agissant des objectifs généraux que la disposition attaquée se propose d’atteindre, la décision 2022/1909 mentionne, ainsi qu’il a déjà été dit, que, le 28 septembre 2022, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a indiqué que l’Union exigeait de la Russie qu’elle retire immédiatement, complètement et sans condition l’ensemble de ses troupes et de ses équipements militaires de la totalité du territoire de l’Ukraine et que l’Union et ses États membres continueraient de soutenir les efforts déployés par l’Ukraine dans ce but, aussi longtemps que nécessaire. Elle indique que, le 30 septembre 2022, les membres du Conseil européen ont affirmé qu’ils allaient encore intensifier la pression exercée sur la Russie pour qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression. Elle précise que, compte tenu de la gravité de la situation, il convient d’instaurer de nouvelles mesures restrictives et notamment d’imposer des restrictions à l’importation d’autres produits qui génèrent d’importantes recettes pour la Russie. Elle expose, comme le règlement 2022/1904, que cette interdiction s’applique aux biens originaires de Russie ou exportés de Russie et inclut des produits tels que la pâte à bois et le papier, certains éléments utilisés dans l’industrie de la bijouterie, tels que les pierres et les métaux précieux, certaines machines, certains produits chimiques, les cigarettes, les plastiques et les produits chimiques finis tels que les cosmétiques. L’article 3 decies du règlement no 833/2014 dispose que les biens qui génèrent d’importantes recettes pour la Russie lui permettent de mettre en œuvre ses actions déstabilisant la situation en Ukraine.

87      Il ressort ainsi de la décision 2022/1909, du règlement 2022/1904 et du règlement no 833/2014 que la disposition attaquée a pour objectif d’intensifier la pression exercée sur la Russie afin qu’elle retire ses troupes et ses équipements militaires du territoire de l’Ukraine et mette fin à sa guerre d’agression, en imposant des restrictions à l’importation des produits, qui génèrent d’importantes recettes pour la Russie et qui lui permettent de mettre en œuvre ses actions déstabilisant la situation en Ukraine, énumérés à l’annexe XXI.

88      La disposition attaquée est donc suffisamment motivée s’agissant des objectifs généraux poursuivis par le Conseil.

89      Les requérantes font valoir que le Conseil n’a pas expliqué quelles étaient les valeurs des recettes de la Russie qu’il considérait comme importantes et n’a pas suffisamment motivé l’inclusion des produits en mica dans l’annexe XXI, alors que d’autres biens non inclus dans cette annexe génèrent des recettes plus importantes pour la Russie. Le gaz ou des biens qui relèvent, comme les produits en mica, du chapitre 68 de la nomenclature combinée (« ouvrages en pierres, plâtre, ciment, amiante, mica ou matières analogues ») ne seraient pas énumérés dans ladite annexe.

90      Toutefois, conformément à la jurisprudence citée aux points 72 et 73 ci-dessus, étant donné que le Conseil a exposé la situation d’ensemble qui a conduit à l’adoption de la disposition attaquée et les objectifs généraux qu’il se proposait d’atteindre, il n’était pas tenu de motiver davantage la disposition attaquée.

91      En particulier, le Conseil n’était pas tenu de motiver davantage le choix d’imposer des restrictions à l’importation de certains produits considérés comme générant d’importantes recettes pour la Russie (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 126).

92      À cet égard, il convient de souligner que les restrictions à l’importation prévues par l’article 3 decies du règlement no 833/2014 visent seulement les biens qui génèrent des recettes importantes pour la Russie « tels qu’énumérés » à cette annexe et non l’ensemble des biens qui génèrent des recettes importantes pour la Russie.

93      En tout état de cause, un produit tel que le gaz présente, en dépit des recettes importantes qu’il génère pour la Russie, des spécificités évidentes par rapport aux produits en mica. Quant aux produits relevant, comme les produits en mica, du chapitre 68 de la nomenclature combinée non énumérés à l’annexe XXI (codes NC 6801 à 6805, 6809, 6811 à 6813), ils avaient, selon les documents statistiques de l’année 2021, une valeur d’importations inférieure à celle des produits en mica, contrairement aux produits du chapitre 68 inclus dans l’annexe XXI (partie A : code NC 6810 ; partie B : codes NC 6806 à 6808 et 6815).

94      Par suite, la disposition attaquée étant suffisamment motivée, le premier moyen doit être écarté.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit à une bonne administration et du droit à un recours effectif

95      Les requérantes font valoir que la disposition attaquée porte atteinte à leur droit à une bonne administration étant donné que, puisque cette disposition les concerne directement, elles auraient dû avoir la possibilité d’être entendues avant son adoption. Par ailleurs, la disposition attaquée porterait atteinte à leur droit d’accéder à leur dossier. Au cours de la période allant du 11 au 28 novembre 2022, elles auraient demandé à plusieurs reprises aux institutions compétentes de leur donner accès au dossier relatif à la procédure d’adoption et d’évaluation de la disposition attaquée et de leur fournir les raisons de l’inclusion des produits en mica dans l’annexe XXI. À la date de dépôt de la requête, elles n’auraient reçu qu’une réponse à leur demande d’accès au dossier les informant que le secrétariat général du Conseil n’avait pas terminé les consultations nécessaires à l’examen de leur demande. L’impossibilité pour les requérantes d’accéder à leur dossier les auraient empêchées d’examiner les données permettant d’établir leur qualité pour agir de manière adéquate et de se préparer à la procédure juridictionnelle dans les meilleures conditions possibles, de sorte que leur droit à un recours effectif et à un tribunal impartial, garanti par l’article 47 de la Charte, aurait été violé.

96      Dans la réplique, les requérantes font valoir que la disposition attaquée est en réalité une mesure individuelle. Elles auraient droit à une motivation circonstanciée, à défaut de quoi il y aurait une violation du principe d’égalité des armes qui les empêcherait de se défendre correctement en justice. Elles auraient reçu des réponses à leur demande d’accès au dossier, mais ces réponses ne leur auraient fourni aucune information nouvelle sur les raisons qu’avait le Conseil d’interdire les importations de produits en mica.

97      Le Conseil, soutenu par la République d’Estonie et par la Commission, conteste cette argumentation.

98      En premier lieu, le droit à une bonne administration, garanti par l’article 41 de la Charte, ne confère pas, par lui-même, de droits aux particuliers, sauf lorsqu’il constitue l’expression de droits spécifiques comme le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable, le droit d’être entendu, le droit d’accès au dossier, le droit à la motivation des décisions (ordonnance du 19 mai 2022, TUIfly/Commission, C‑764/21 P, non publiée, EU:C:2022:407, point 4).

99      En l’espèce, les requérantes invoquent, en substance, le droit à la motivation des décisions, le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier.

100    En ce qui concerne l’obligation de motivation des décisions, l’argument des requérantes selon lequel elles n’auraient pas reçu, à la suite de leur demande d’accès au dossier, « d’information nouvelle sur les raisons du Conseil [d’adopter la disposition attaquée] » ne permet pas de considérer que cette dernière est entachée d’un défaut de motivation, étant donné que la disposition attaquée est suffisamment motivée pour les raisons indiquées par le Tribunal dans le cadre de la réponse au premier moyen.

101    En ce qui concerne le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier, ces droits constituent l’expression du principe du respect des droits de la défense (arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, points 59 et 60).

102    Le principe du respect des droits de la défense trouve à s’appliquer dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief (arrêts du 28 mars 2000, Krombach, C‑7/98, EU:C:2000:164, point 42, et du 17 novembre 2022, Harman International Industries, C‑175/21, EU:C:2022:895, point 64).

103    La disposition attaquée étant une mesure de portée générale et non une mesure individuelle adoptée à l’encontre des requérantes, ces dernières ne bénéficiaient, dans le cadre du processus d’élaboration de cette disposition, ni du droit d’être entendues ni du droit d’accès au dossier.

104    En effet, d’une part, le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre, consacré par l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, n’est pas applicable aux processus d’élaboration des actes de portée générale (arrêts du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C‑104/97 P, EU:C:1999:498, points 35 à 37, et du 17 mars 2011, AJD Tuna, C‑221/09, EU:C:2011:153, point 49).

105    S’agissant d’actes de portée générale, sauf disposition expresse contraire, ni le processus de leur élaboration ni ces actes eux-mêmes n’exigent, en vertu des principes généraux du droit de l’Union, tels que le droit d’être entendu, consulté ou informé, la participation des personnes affectées (voir arrêt du 8 juillet 2020, BRF et SHB Comercio e Industria de Alimentos/Commission, T‑429/18, EU:T:2020:322, point 94 et jurisprudence citée).

106    En particulier, le droit d’être entendu dans le contexte d’une procédure administrative visant une personne spécifique ne saurait être transposé dans le contexte de la procédure conduisant à l’adoption des mesures restrictives de portée générale (arrêts du 31 janvier 2019, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, C‑225/17 P, EU:C:2019:82, points 83 à 85, et du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 97).

107    D’autre part, le droit d’accès au dossier, consacré par l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte, vise à garantir un exercice effectif des droits de la défense. La violation de ce droit, au cours de la procédure préalable à l’élaboration d’une décision, est susceptible d’entraîner l’annulation de cette décision lorsqu’il a été porté atteinte aux droits de la défense de la personne concernée (arrêt du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission, C‑199/99 P, EU:C:2003:531, points 126 et 127).

108    Le droit de toute personne d’accéder au dossier « qui la concerne » facilite l’accès d’une partie à son propre dossier (ordonnance du 19 mai 2022, TUIfly/Commission, C‑764/21 P, non publiée, EU:C:2022:407, point 4).

109    Le droit d’accès au dossier, consacré par l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte, n’est donc pas applicable dans le cadre du processus d’élaboration de mesures restrictives de portée générale (voir, en ce sens, arrêts du 31 janvier 2019, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, C‑225/17 P, EU:C:2019:82, points 83 à 85, et du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 133).

110    Ainsi, la disposition attaquée constituant une mesure restrictive de portée générale, le Conseil n’était tenu ni d’entendre les requérantes ni d’assurer leur droit d’accès au dossier sur le fondement de l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte, dans le cadre du processus d’élaboration de cette disposition.

111    L’argument des requérantes relatif à la violation de leur droit d’être entendues et de leur droit d’accès au dossier, sur le fondement de l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, est donc inopérant.

112    En outre, il ressort des pièces du dossier que, le 14 novembre 2022, postérieurement à l’adoption de la disposition attaquée, Cogebi, a.s. a adressé un courriel au Conseil, intitulé « demande d’informations […] », afin que le Conseil lui communique les raisons de l’inclusion du code NC 6814 dans l’annexe XXI et lui donne accès au dossier relatif à la procédure d’adoption et d’évaluation de la huitième série de mesures restrictives.

113    Le 28 novembre 2022, le Conseil a accusé réception de ce courriel et indiqué que toutes les demandes d’accès aux documents étaient traitées sur la base du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43). Par décision du 9 janvier 2023, il a communiqué des documents en réponse à la demande des requérantes, en précisant qu’il ne détenait pas d’autres documents se référant à l’inclusion du code NC 6814 dans l’annexe XXI, et a ajouté que l’inclusion de ce code NC avait été décidée car les biens relevant dudit code NC généraient d’importantes recettes pour la Russie, permettant ainsi à ses actions de déstabiliser la situation en Ukraine.

114    Dans la réplique, déposée au greffe du Tribunal le 25 avril 2023, les requérantes font valoir qu’elles sont déçues de ne pas avoir plus d’informations sur les motifs de l’inclusion du code NC 6814.

115    Ce faisant, les requérantes n’indiquent pas avoir introduit un recours contre la décision du 9 janvier 2023 et n’allèguent d’ailleurs pas que cette décision serait contraire aux dispositions du règlement no 1049/2001.

116    Par conséquent, l’argument des requérantes tiré de la violation de leur droit d’être entendues et de leur droit d’accès au dossier doit être écarté.

117    En second lieu, l’article 47 de la Charte, intitulé « Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial », énonce, à ses premier et deuxième alinéas :

« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. »

118    Au soutien de leur argument tiré de la violation du droit à un recours effectif et d’accéder à un tribunal impartial, les requérantes se bornent à invoquer la violation de leur droit d’accès au dossier.

119    Dans ces conditions, puisque les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le Conseil a méconnu leur droit d’accès au dossier, ainsi qu’il est dit au point 116 ci-dessus, leur argumentation relative à la violation de l’article 47 de la Charte doit, en tout état de cause, être écartée.

120     Le cinquième moyen doit donc être écarté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation

121    Les requérantes soutiennent que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation. Étant donné qu’il serait impossible d’identifier les raisons pour lesquelles le Conseil a interdit l’importation des produits en mica, comme cela aurait été démontré dans le premier moyen, le constat de l’importance des recettes pour la Russie liée auxdits produits ne serait pas fondé sur une base factuelle suffisante, conformément à l’article 47 de la Charte.

122    Le Conseil, soutenu par la République d’Estonie et par la Commission, conteste cette argumentation. Il estime que le deuxième moyen est irrecevable en application de l’article 76, sous d) et e), du règlement de procédure, étant donné que la requête est extrêmement vague, notamment s’agissant de la référence à l’article 47 de la Charte, et, en tout état de cause, non fondé. Il expose notamment qu’il a commencé à interdire l’importation de biens qui génèrent d’importantes recettes pour la Russie en avril 2022 et que cette liste a été légèrement révisée en juin 2022 puis élargie de manière substantielle, notamment aux produits en mica, par le règlement 2022/1904.

123    Dans la réplique, les requérantes précisent que, par le deuxième moyen, elles entendent contester que l’importation de produits en mica génère d’importantes recettes pour la Russie. Le Conseil n’aurait pas rempli le critère de base légale suffisante à la date de la disposition attaquée et, en outre, si les importations de produits en mica originaires de Russie diminuaient en 2023, comme cela est prévisible, l’inclusion de ces produits dans la liste des produits générant d’importantes recettes pour la Russie serait privée de base factuelle suffisante.

124    Selon une jurisprudence constante, en ce qui concerne les règles générales définissant les modalités des mesures restrictives, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de l’adoption de telles mesures de nature économiques et financières sur la base de l’article 215 TFUE, conformément à une décision adoptée en vertu du chapitre 2 du titre V du traité UE, en particulier de l’article 29 TUE. Le juge de l’Union ne pouvant substituer sa propre appréciation des preuves, des faits et des circonstances justifiant l’adoption de telles mesures à celle du Conseil, le contrôle qu’il exerce doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir. Ce contrôle restreint s’applique, en particulier, à l’appréciation des considérations d’opportunité sur lesquelles de telles mesures sont fondées (voir arrêt du 13 septembre 2023, Venezuela/Conseil, T‑65/18 RENV, EU:T:2023:529, point 63 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que le contrôle du juge de l’Union sur l’appréciation des faits est limité à celui de l’erreur manifeste d’appréciation. En revanche, s’agissant du contrôle de l’exactitude matérielle des faits, celui-ci requiert la vérification des faits allégués et de l’existence d’une base factuelle suffisamment solide de sorte que le contrôle juridictionnel à cet égard ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des faits (voir arrêt du 13 septembre 2023, Venezuela/Conseil, T‑65/18 RENV, EU:T:2023:529, point 64 et jurisprudence citée).

125    En premier lieu, il convient de constater que, pour démontrer que la disposition attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, les requérantes font valoir qu’une telle erreur manifeste d’appréciation doit être déduite de l’existence d’un défaut de motivation de ladite disposition. Cet argument doit être écarté, pour les raisons indiquées dans l’analyse du premier moyen. En outre, l’obligation de motiver un acte constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêt du 6 octobre 2020, Bank Refah Kargaran/Conseil, C‑134/19 P, EU:C:2020:793, point 64).

126    En second lieu, pour contester que les produits en mica génèrent d’importantes recettes pour la Russie, les requérantes produisent, en annexe A.6, un document dont il ressort que les importations de produits en mica dans l’Union en provenance de Russie représentaient 5,064 millions d’euros en 2021.

127    À cet égard, le Conseil expose que, pour décider d’inclure des biens dans la liste des produits générant d’importantes recettes pour la Russie, il a examiné la situation de chaque catégorie de produits prise dans son ensemble. Il précise que les produits en mica relèvent de la catégorie de produits visée au chapitre 68 de la nomenclature combinée et que les importations de biens dudit chapitre énumérés à l’annexe XXI en provenance de Russie s’élevaient globalement à plus de 169 millions d’euros en 2021. Par ailleurs, il indique que, pour déterminer, au sein de chaque catégorie de produits, les biens générant d’importantes recettes pour la Russie, la Commission, dans sa proposition conjointe avec le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a utilisé comme seuil une valeur de référence de cinq millions d’euros. Il ajoute que la liste des biens générant d’importantes recettes pour la Russie a été étendue progressivement et que le choix de ces biens tient compte de la possibilité de renforcer encore les mesures restrictives dans le cas où la Russie poursuivrait sa guerre d’agression et du principe de proportionnalité.

128    Ainsi que l’indiquent les documents relatifs aux importations produits par les requérantes et par le Conseil, la valeur des importations, dans l’Union, de produits originaires de Russie relevant du chapitre 68 de la nomenclature combinée et énumérés à l’annexe XXI (à savoir les codes NC 6806 à 6808, 6810, 6814 et 6815) s’élevait à plus de 169 millions d’euros environ en 2021, et celle des produits en mica était légèrement supérieure à cinq millions d’euros cette même année.

129    Compte tenu de la valeur des importations de produits en mica, le Conseil a pu raisonnablement considérer que ces importations généraient des recettes importantes pour la Russie, au sens de l’article 3 decies du règlement no 833/2014.

130    Dans la mesure où les requérantes font valoir qu’il est prévisible que les importations de produits en mica diminueront en 2023, de sorte que ces importations ne généreront plus de recettes importantes pour la Russie cette année-là, un tel argument doit être écarté comme inopérant. En effet, la notion de « recettes importantes », au sens de l’article 3 decies du règlement no 833/2014, correspond au niveau de recettes antérieur à la décision du Conseil d’inscrire des biens dans la liste mentionnée à l’annexe XXI, l’objet même dudit article 3 decies étant de réduire lesdites recettes.

131    Le deuxième moyen doit donc être écarté comme non fondé, sans qu’il soit besoin de statuer sur sa recevabilité.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité, et le quatrième moyen, tiré de la violation de la liberté d’entreprise

132    Dans leur troisième moyen, les requérantes soutiennent que la disposition attaquée méconnaît le principe de proportionnalité, énoncé à l’article 5 TUE ainsi que les articles 16 et 52, paragraphe 1, de la Charte, compte tenu des effets de cette disposition sur les entreprises de l’Union et du niveau très faible des recettes dont elle priverait la Russie. La disposition attaquée causerait un préjudice grave aux requérantes, dont la production dépend à 100 %, s’agissant de Cogebi, et à 65 %, s’agissant de Cogebi, a.s., de produits en mica originaires de Russie. Elle affecterait plus de 300 clients des requérantes dans différents secteurs et 31 pays européens, y compris des entreprises de renommée mondiale. Les requérantes indiquent qu’elles ne pourront plus fournir des rubans de mica de qualité aux fabricants européens de câbles résistant au feu et qu’il est impossible de remplacer sur le court terme ces produits par des produits similaires. L’arrêt de la production par Cogebi d’éléments de protection incendie et de barrières d’isolation thermiques en mica pour les gros avions civils impliquerait une réduction significative de la sécurité pour les passagers aériens et une baisse de la compétitivité par rapport aux avions fabriqués aux États-Unis. La disposition attaquée ne priverait les recettes de la Russie que de 100 000 euros, tandis qu’elle priverait le Royaume de Belgique et la République tchèque de 800 000 euros de recettes.

133    Dans le quatrième moyen, les requérantes soutiennent que la disposition attaquée méconnaît leur liberté d’entreprendre, en violation de l’article 16 et de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. Elles font valoir que Cogebi ne peut plus exercer sa liberté d’entreprendre dans le secteur de l’aviation étant donné qu’elle est privée de papier en mica présentant un caractère unique et que Cogebi, a.s. a perdu la capacité de produire une gamme de produits dans laquelle figurent les produits en mica. La disposition attaquée ne serait pas nécessaire, puisqu’elle n’est pas efficace, étant donné que les recettes de la Russie issues de l’exportation de produits en mica sont peu importantes.

134    Le Conseil, soutenu par la République d’Estonie et par la Commission, conteste cette argumentation.

135    Il convient d’examiner ensemble les troisième et quatrième moyens, étant donné que, dans ces deux moyens, les requérantes invoquent une violation de l’article 16 de la Charte.

136    Selon l’article 16 de la Charte, la liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales.

137    La protection conférée par ledit article 16 comporte la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre et vise, notamment, le libre choix du partenaire économique (arrêt du 21 décembre 2021, Bank Melli Iran, C‑124/20, EU:C:2021:1035, point 79).

138    La disposition attaquée ayant pour conséquence que les requérantes ne peuvent plus choisir librement les entreprises auprès desquelles elles achètent des produits en mica, puisqu’elles ne peuvent plus acheter de tels produits s’ils s’ont originaires de Russie ou sont exportés de Russie, elle constitue une ingérence dans la liberté d’entreprise des requérantes.

139    Selon l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

140    À cet égard, premièrement, il convient de considérer que la limitation de la liberté d’entreprise des requérantes est prévue par la loi, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, étant donné que cette limitation est prévue par le règlement 2022/1904.

141    Deuxièmement, la disposition attaquée respecte le contenu essentiel de la liberté d’entreprise des requérantes, puisque ces dernières demeurent libres d’exercer leur activité d’achat de produits en mica, à condition de ne pas acheter de produits originaires de Russie ou exportés de Russie.

142    Troisièmement, pour autant que les requérantes contestent la proportionnalité de la disposition attaquée, il y a lieu de rappeler, que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels celui-ci est appelé à effectuer des appréciations complexes. Seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 146 et jurisprudence citée).

143    La liberté d’entreprise n’est pas une prérogative absolue et son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union, à condition que de telles restrictions répondent effectivement auxdits objectifs d’intérêt général et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 148 et jurisprudence citée).

144    Ainsi qu’il a été dit au point 87 ci-dessus, l’objectif de la disposition attaquée est d’intensifier la pression exercée sur la Russie afin qu’elle retire ses troupes et ses équipements militaires du territoire de l’Ukraine et mette fin à sa guerre d’agression, en imposant des restrictions à l’importation de produits qui génèrent d’importantes recettes pour la Russie et qui lui permettent de mettre en œuvre ses actions déstabilisant la situation en Ukraine, énumérés à l’annexe XXI.

145    Étant donné que le Conseil a pu raisonnablement considérer que les produits en mica généraient d’importantes recettes pour la Russie, ainsi qu’il a été dit au point 129 ci-dessus, la disposition attaquée répond de manière cohérente à l’objectif poursuivi (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 147).

146    Les mesures restrictives comportent, par définition, des effets qui affectent le libre exercice des activités professionnelles, causant ainsi des préjudices à des parties qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des mesures restrictives (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 149 et jurisprudence citée).

147    En l’espèce, s’il ressort d’une annexe de la réplique, que, en 2022, l’activité de Cogebi et de Cogebi, a.s. dépendait respectivement à hauteur de 99 % et de 67 % de produits en mica originaires de Russie, il n’est pas démontré que les requérantes sont dans l’impossibilité d’acheter auprès d’autres opérateurs de l’Union ou de pays tiers des produits en mica similaires à ceux qu’elles importaient de Russie cette année-là. En particulier, les requérantes ne produisent aucune pièce permettant d’établir à suffisance de droit le caractère irremplaçable des produits en mica originaires de Russie. Pour la même raison, il n’est pas démontré que la disposition attaquée engendre, par elle-même, une baisse plus importante des recettes de la Belgique et de la République tchèque, dans lesquelles Cogebi et Cogebi, a.s. sont respectivement établies, que des recettes de la Russie. Même si c’était le cas, elle n’en serait pas pour autant manifestement inappropriée au regard de l’objectif qu’elle poursuit, de faire pression sur la Russie pour qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression contre l’Ukraine.

148    De manière analogue, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel la disposition attaquée affecterait leurs clients, notamment dans le secteur aéronautique, il n’est pas établi que lesdits clients ne puissent pas obtenir auprès d’autres fournisseurs de l’Union ou de pays tiers des produits similaires à ceux qu’ils achètent auprès des requérantes ni que la disposition attaquée porte atteinte à la sécurité du transport aérien ou à la compétitivité du secteur aéronautique.

149    L’importance des objectifs poursuivis par la disposition attaquée, à savoir la protection de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine, qui s’inscrit dans l’objectif plus large de soutien aux principes du droit international et de maintien de la sécurité européenne et de la sécurité internationale, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21 TUE, est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour des opérateurs tels que les requérantes et leurs clients. Dans ces conditions, et eu égard, notamment, à l’évolution progressive de l’intensité des mesures restrictives adoptées par le Conseil en réaction à la crise en Ukraine, l’ingérence dans la liberté d’entreprise des requérantes et de leurs clients ne saurait être considérée comme disproportionnée (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150).

150    Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le Conseil a violé le principe de proportionnalité et la liberté d’entreprise.

151    Les troisième et quatrième moyens doivent donc être écartés.

152    Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

153    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

154    Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, la Commission et la République d’Estonie supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Cogebi et Cogebi, a.s. supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

3)      La Commission européenne et la République d’Estonie supporteront leurs propres dépens.

da Silva Passos

Gervasoni

Półtorak

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 avril 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.