Language of document : ECLI:EU:T:2005:270

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

5 juillet 2005 (*)

« Fonctionnaires – Recours en annulation – Accusations à l’encontre d’un fonctionnaire – Article 24 du statut – Rejet d’une demande d’assistance financière »

Dans l’affaire T-387/02,

Dorte Schmidt-Brown, ancienne fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Wellen (Allemagne), représentée par Mes A. Coolen, J.-N. Louis, E. Marchal et S. Orlandi, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Currall et Mme L. Lozano Palacios, en qualité d’agents, assistés de Me D. Waelbroeck, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande visant à l’annulation de la décision de la Commission du 26 avril 2002 portant rejet de la demande de la requérante tendant notamment à obtenir une assistance financière de cette institution dans le cadre d’une action en diffamation introduite par la requérante contre une société devant la High Court of Justice (England & Wales),



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de M. J. D. Cooke, président, Mmes I. Labucka et V. Trstenjak, juges,

greffier : M. I. Natsinas, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 décembre 2004,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1       La requérante est entrée au service de la Commission le 1er mai 1993. Elle a été affectée à l’Office statistique des Communautés européennes (Eurostat) auprès de l’unité « Relations publiques, diffusion, synthèses » de la direction « Diffusion et relations publiques ; informatique statistique ; relations avec les ACP ».

2       Par décision du 16 juin 1995, la requérante a été mutée à l’unité « Production. Statistiques conjoncturelles des entreprises. Secteurs spéciaux » de la direction « Statistiques des entreprises » d’Eurostat en tant que chef de la section « Prodcom, statistiques des produits ».

3       Le 23 décembre 1998, les Communautés européennes, représentées par la Commission, engagées par la signature de M. Franchet, directeur général d’Eurostat, et Eurogramme Ltd ont conclu un « contrat de prestation de services statistiques » (ci-après le « contrat 8445001 »).

4       Ce contrat a été attribué à Eurogramme à la suite d’un appel d’offres lancé à la fin de l’année 1998 et auquel avaient également participé deux autres sociétés, Anite Systems et Euroskills. Au cours de la procédure de sélection, la requérante avait attiré l’attention de sa hiérarchie sur le fait que, selon elle, l’offre présentée par Eurogramme n’était pas la meilleure du point de vue technique.

5       L’article 1er du contrat 8445001 prévoit :

 « Dans le cadre du programme statistique [d’Eurostat], [Eurogramme] s’engage, dans les conditions précisées dans le présent contrat et dans ses annexes, qui en font partie intégrante, à entreprendre l’accomplissement de travaux statistiques concernant les statistiques des entreprises (projet Prodcom), selon le programme de travail indiqué [à l’] annexe I. »

6       Le contrat 8445001, qui est entré en vigueur à la date de sa signature, a été conclu pour une durée de douze mois et prévoyait, en contrepartie des prestations fournies, le paiement d’une somme maximale de 250 250 euros. Ce contrat a été renouvelé le 31 décembre 1999, par la signature d’un nouveau contrat (ci-après le « contrat 9445001 »).

7       Après la signature du contrat 8445001, la requérante a fait part à sa hiérarchie de son insatisfaction quant au choix d’Eurogramme en répétant que l’offre de cette dernière n’était pas la meilleure et en indiquant que cette société n’avait pas communiqué tous les documents requis et avait peut-être déclaré des chiffres d’affaires inexacts.

8       Le 15 février 2000, le chef de l’unité à laquelle appartenait la requérante, M. Lhomme, a adressé une note à M. Ojo, l’un des responsables d’Eurogramme, pour lui faire part de « [ses] craintes concernant la bonne fin du contrat ». M. Lhomme faisait état de retards dans la réalisation des travaux et s’inquiétait, plus particulièrement, du « renouvellement fréquent des membres de [l’]équipe [d’Eurogramme] ».

9       Par lettre du 18 février 2000, M. Ojo a répondu à cette note en se plaignant notamment d’interférences d’Eurostat dans la constitution de l’équipe d’Eurogramme en charge du projet Prodcom.

10     Le 24 février 2000, M. Lhomme a organisé une réunion avec la requérante et M. Ojo en vue de discuter des problèmes soulevés dans la note du 15 février 2000 et dans la lettre du 18 février 2000.

11     Le 23 mars 2000, M. Ojo a envoyé un courrier électronique à M. Lhomme dans lequel il indiquait notamment que la requérante lui avait fait savoir, lors d’une conversation téléphonique, qu’elle ne signerait pas le rapport final du projet s’il ne déplaçait pas son équipe au Kirchberg (Luxembourg).

12     Le 22 mai 2000, la requérante a, sur instruction de M. Lhomme, préparé un projet de lettre en réponse à la lettre de M. Ojo du 18 février 2000.

13     Le 31 mai 2000, elle a adressé une note à M. Díaz Muñoz, directeur de la direction «Statistiques des entreprises » d’Eurostat pour lui demander des indications sur la réponse à donner à la lettre de M. Ojo du 18 février 2000 et lui faire part des problèmes rencontrés dans le cadre de l’exécution des contrats 8445001 et 9445001.

14     Le 5 juin 2000, M. Díaz Muñoz a adressé une note à M. Lhomme, dans laquelle il répondait aux questions soulevées par la requérante dans sa note du 31 mai 2000.

15     Par courrier électronique du 6 juin 2000, la requérante, se référant à la note précitée du 5 juin 2000, a notamment indiqué à M. Lhomme qu’elle ne travaillerait pas sur le contrat 9445001 « avant que le premier paiement ait été signé ».

16     En août 2000, un désaccord est intervenu entre la requérante et M. Lhomme sur les sommes à payer à Eurogramme, eu égard à la qualité et au niveau des prestations fournies par cette société.

17     Le 8 septembre 2000, la requérante a transmis à M. Ojo une lettre qu’un employé d’Eurogramme lui avait envoyée à titre strictement confidentiel et sans en informer le gestionnaire du projet auprès de cette société.

18     Le même jour, elle a fait parvenir à M. Lhomme une note dans laquelle elle demandait à avoir accès aux documents concernant le projet Prodcom et à être tenue informée des discussions et décisions relatives à ce projet. Elle lui reprochait, par ailleurs, de lui avoir indiqué, à plusieurs reprises, qu’il n’avait plus confiance en elle depuis qu’elle s’était absentée pour cause de maladie, en juin 2000.

19     Le 14 septembre 2000, M. Ojo a adressé une lettre à M. Lhomme dans laquelle il faisait état de la « très mauvaise ambiance » dans laquelle se déroulait la réalisation du projet et qui, selon lui, était imputable au comportement de la requérante. Il se plaignait notamment des ingérences de celle-ci dans le travail et l’organisation de son équipe ainsi que des multiples pressions qu’elle aurait exercées. Il prétendait que la requérante avait pour objectif de « détruire Eurogramme ». Une copie de cette lettre a été envoyée par M. Ojo à M. Díaz Muñoz et à M. Lane, chef de l’unité « Budget » d’Eurostat.

20     Le 4 octobre 2000, M. Jensen, chef de l’unité « Affaires administratives et de personnel » de la direction « Ressources » d’Eurostat a adressé une note à M. Lhomme pour l’inviter à répondre aux problèmes soulevés par la requérante dans sa note du 8 septembre 2000 (voir point 18 ci-dessus). 

21     Par note du même jour, adressée à la requérante, M. Lhomme a répondu à cette note du 8 septembre 2000.

22     Le 5 octobre 2000, la requérante, qui avait exprimé le souhait d’un changement d’affectation, a été mutée à l’unité « Environnement » de la direction « Statistiques de l’agriculture, de l’environnement et de l’énergie » d’Eurostat.

23     Le même jour, M. Lhomme lui a adressé une note dans laquelle il la remerciait pour « le travail accompli en septembre », lui faisait savoir qu’elle était « désormais déchargée de toute responsabilité future concernant le projet Prodcom » et lui demandait de lui transmettre le dossier de gestion du contrat conclu avec Eurogramme. Il indiquait également qu’il n’avait jamais eu l’intention de « forcer qui que ce soit à signer le rapport final de ce contrat » et qu’il avait tenté une médiation « sur la base des seuls éléments [qu’elle avait] mis à sa disposition ».

24     Par note du 19 octobre 2000, M. Lhomme a porté la lettre de M. Ojo du 14 septembre 2000 à la connaissance de la requérante, en l’invitant à préparer un projet de réponse.

25     Par lettre du 24 octobre 2000, le directeur général d’Eurostat, M. Franchet, a félicité la requérante pour les résultats obtenus en rapport avec le projet Prodcom, en relevant notamment qu’elle avait démontré être un « atout, non seulement dans [ses] activités sectorielles, mais aussi dans des initiatives importantes à vocation plus large qui concern[ai]ent la modernisation d’Eurostat ». Il concluait en indiquant qu’il était sûr de pouvoir encore compter, comme par le passé, sur sa personne, sur ses qualités et sur son engagement au sein d’Eurostat.

26     Le 7 décembre 2000, M. Díaz Muñoz a répondu à la lettre de M. Ojo du 14 septembre 2000 en lui indiquant notamment qu’Eurostat n’avait trouvé aucune preuve des faits qu’il reprochait à la requérante et en l’invitant à communiquer tout élément de preuve dont il disposerait à ce sujet.

27     Le 14 décembre 2000, la requérante a répondu à la note de M. Lhomme du 4 octobre 2000 en contestant les indications contenues dans celle-ci et en faisant valoir que l’attitude de ce dernier était contraire aux règles concernant la dignité de la personne. 

28     Par note du 19 décembre 2000, M. Lhomme a indiqué à la requérante qu’aucun des points contenus dans sa note du 4 octobre 2000 ne pouvait être considéré comme portant atteinte à la dignité de la personne.

29     Le 21 décembre 2000, faisant suite à une demande de M. Franchet, le service d’audit interne d’Eurostat a rendu un rapport sur la situation du projet Prodcom et la manière dont celui-ci avait été géré.

30     La requérante a été placée d’office en congé de maladie, en vertu de l’article 59, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce (ci-après le « statut »), du 22 janvier au 15 octobre 2001. Elle a ensuite été placée en congé de maladie de longue durée.

31     Le 22 février 2001, M. Franchet a rédigé une « note de dossier », dans laquelle il exposait les conclusions à tirer du rapport du service d’audit interne d’Eurostat.

32     Le 23 février 2001, la requérante a introduit une demande, au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut, dans laquelle elle prétendait avoir été victime d’un harcèlement moral de la part de M. Lhomme et invitait la Commission à prendre des sanctions à l’égard de ce dernier.

33     À la suite de cette demande, une enquête a été menée par l’Office d’investigation et de discipline (IDOC), au cours de laquelle la requérante et MM. Lhomme et Ojo ont été entendus.

34     Ladite demande a fait l’objet d’une décision implicite de rejet le 23 juin 2001.

35     Le 12 septembre 2001, la requérante a introduit, devant la High Court of Justice (England & Wales), une action en diffamation à l’encontre d’Eurogramme. Elle entendait obtenir réparation des dommages qu’elle aurait subis du fait des accusations proférées contre elle par les représentants de cette société dans le cadre du projet Prodcom.

36     Le 21 septembre 2001, la requérante a formé une réclamation contre la décision implicite de rejet de sa demande du 23 février 2001.

37     Le 15 novembre 2001, elle a introduit une plainte auprès de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), dans laquelle elle soutenait qu’Eurogramme avait trompé la Commission.

38     Le même jour, elle a écrit à M. Kinnock, alors membre de la Commission, afin de lui faire part de ses reproches envers la Commission et de lui demander son assistance.

39     Par lettre du 7 janvier 2002, M. Kinnock a répondu à cette lettre. Il indiquait que l’enquête administrative relative aux faits de harcèlement dont la requérante se plaignait était terminée et qu’aucune preuve de ce que ses supérieurs hiérarchiques aient mal géré la situation n’avait été trouvée. Il considérait, en outre, que la Commission avait rempli toutes ses obligations découlant de l’article 24 du statut envers la requérante et autorisait celle-ci à prendre connaissance du rapport d’enquête établi par l’IDOC. 

40     Le 15 janvier 2002, la requérante a introduit une « demande d’assistance au titre de l’article 24 du statut » auprès de l’autorité investie du pouvoir de nomination (AIPN) aux fins « d’avoir accès à l’ensemble des documents relatifs au projet Prodcom, d’être autorisée à en prendre copie et à les produire au dossier de procédure de l’action en diffamation qu’elle a[vait] introduite devant les juridictions du Royaume-Uni à l’encontre d’Eurogramme ». Elle entendait également obtenir « l’assistance financière [lui] permettant […] de couvrir les frais de défense qu’elle a[vait] à exposer personnellement en raison de la faute de service dont la Commission se rend[ait] coupable en s’abstenant de prendre les mesures de nature à [la] rétablir […] dans son honneur et sa dignité ».

41     Le 25 janvier 2002, la Commission a pris une décision explicite de rejet de la réclamation du 21 septembre 2001. Cette décision n’a pas fait l’objet d’un recours.

42     Le 31 janvier 2002, la requérante a pris connaissance du rapport d’enquête établi par l’IDOC.

43     Par lettre du 26 avril 2002 (ci-après la « décision attaquée »), la Commission s’est prononcée sur la demande de la requérante du 15 janvier 2002. Elle considérait notamment que « [la requérante avait] déjà reçu une assistance et une aide suffisantes, utiles et aussi adaptées de la part de [ses] supérieurs hiérarchiques face aux propos [émanant] d’Eurogramme ». La Commission transmettait à la requérante copie de certains des documents auxquels celle-ci avait demandé à avoir accès. Par ailleurs, elle rejetait la demande d’assistance financière présentée par la requérante au motif, d’une part, que l’article 24 du statut ne saurait « avoir pour objet d’assister le fonctionnaire afin [de lui permettre] d’attaquer son institution » et, d’autre part, que la Commission avait déjà pris toutes les mesures qui s’imposaient au titre de cette disposition. Enfin, la Commission rappelait à la requérante les dispositions de l’article 19 du statut, « relatif à la nécessité d’obtenir une autorisation de l’AIPN pour faire état en justice des constatations faites en raison des fonctions ». 

44     Le 7 mai 2002, la requérante a demandé une telle autorisation à l’AIPN.

45     Le 22 mai suivant, le conseil de la requérante dans le cadre de l’action en diffamation introduite devant la High Court of Justice a envoyé à la Commission une liste de 168 documents qu’il souhaitait produire devant cette juridiction.

46     Le 19 juin 2002, Mme Tzirani, chef de l’unité « Gestion des droits individuels » de la direction « Droits et obligations ; politique et actions sociales » de la direction générale « Personnel et administration » de la Commission, a autorisé la requérante à produire certains documents devant la High Court of Justice.

47     Le 19 juillet 2002, la requérante a introduit une réclamation contre la décision attaquée. Elle relevait notamment que l’AIPN avait constaté, au terme de l’enquête menée par le service d’audit interne, que les accusations portées à son encontre par Eurogramme n’étaient pas fondées et reprochait à la Commission d’avoir omis de prendre les « mesures de nature à rétablir sa réputation lésée », ce qui l’avait conduite à « poursuivre devant les juridictions nationales compétentes l’auteur des attaques dirigées contre elle en vue d’obtenir l’indemnisation des dommages moraux, professionnels et matériels subis ». 

48     Le 18 septembre 2002, le conseil de la requérante dans l’action en diffamation introduite devant la High Court of Justice a demandé à la Commission l’autorisation de produire en justice dix documents supplémentaires.

49     Le 8 octobre 2002, Mme Tzirani a autorisé la requérante à produire en justice une série d’autres documents repris dans la liste des 168 documents.

50     Le 8 novembre 2002, l’AIPN a décidé de mettre la requérante d’office à la retraite et de l’admettre au bénéfice d’une pension d’invalidité au titre de l’article 78, troisième alinéa, du statut.

51     La réclamation de la requérante du 19 juillet 2002 a fait l’objet d’une décision implicite de rejet le 19 novembre 2002.

52     Le 27 février 2003, M. Franchet a adressé un courrier électronique à l’ensemble du personnel d’Eurostat, dans lequel il soulignait notamment que la requérante était une fonctionnaire hautement qualifiée et très compétente.

53     Par courrier électronique du 20 mai 2003, la requérante a informé le cabinet de M. Kinnock que « l’affaire [devant la High Court of Justice] entre Eurogramme et [elle-même] avait été réglée par un accord » (ci-après l’« accord mettant fin au litige avec Eurogramme »).

54     Le 22 mai 2003, M. Kinnock a adressé une lettre à la requérante, dans laquelle il reconnaissait qu’« un certain nombre de manquements pouvaient être identifiés dans la façon dont la Commission avait traité son cas » et, plus particulièrement, que cette dernière « n’avait peut-être pas suffisamment tenu compte de [ses] soucis ». Il regrettait la peine ainsi causée à la requérante ainsi que les erreurs commises lors de l’enquête administrative et proposait de lui verser la somme de 3 000 euros en vue de compenser partiellement les frais encourus dans le cadre de l’action en diffamation portée devant la High Court of Justice. M. Kinnock soulignait que la requérante avait toujours agi comme une « bonne fonctionnaire de la Commission » et la remerciait pour sa conduite au sein d’Eurostat. Les parties ont précisé, lors de l’audience, que la somme précitée de 3 000 euros avait été ultérieurement versée à la requérante. 

 Procédure et conclusions des parties

55     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 décembre 2002, la requérante a introduit le présent recours.

56     Par ordonnance du président de la cinquième chambre du Tribunal du 18 juillet 2003, la procédure a été suspendue jusqu’au 15 octobre 2003.

57     Le 30 octobre 2003, le Tribunal a, au titre de l’article 64 de son règlement de procédure, invité la requérante à produire l’accord mettant fin au litige avec Eurogramme. Par lettre du 13 novembre 2003, la requérante a indiqué que cet accord comprenait les trois documents suivants : une lettre d’excuses d’Eurogramme du 20 mai 2003, une proposition de transaction (« Settlement Offer from Messrs Parter Carter Ruck ») du 16 mai 2003 et la lettre d’acceptation de la même date de la requérante. Elle a toutefois refusé de communiquer ces documents au motif qu’ils faisaient l’objet d’un accord de confidentialité et qu’ils ne pouvaient donc être divulgués que si le Tribunal l’ordonnait.

58     Par ordonnance du 26 novembre 2003, le Tribunal a, au titre de l’article 65, sous b), et de l’article 66, paragraphe 1, de son règlement de procédure, ordonné à la requérante de produire des copies certifiées conformes des trois documents mentionnés au point 57 ci-dessus. La requérante a donné suite à cette demande dans le délai imparti.

59     Au vu de ces documents, les parties ont été invitées, par lettre du greffier du Tribunal du 16 décembre 2003, à déposer leurs observations sur la suite de la procédure et sur la question de savoir s’il y avait encore lieu de statuer. La Commission et la requérante ont répondu à cette invitation respectivement les 13 janvier et 24 mars 2004.

60     Dans ses observations du 13 janvier 2004, la Commission indique, notamment, ce qui suit :

« […] la Commission estime que, la requérante s’étant désistée de son action devant la High Court of Justice […] en application de [l’accord mettant fin au litige avec Eurogramme], accord dont les termes ont été pleinement acceptés par la requérante sans la moindre intervention de la Commission, la présente procédure portant sur la demande d’assistance de la Commission et d’autorisation à produire des documents devant ladite juridiction est de toute évidence devenue sans objet. Elle estime dès lors qu’il n’y a plus lieu à statuer dans la présente affaire. »

61     Dans ses observations du 24 mars 2004, la requérante répond comme suit aux questions posées par le Tribunal :

« [La requérante] ne justifie plus d’un intérêt à la poursuite de l’action en ce qui concerne la [décision attaquée] en ce qu’elle tendait à obtenir :

–       l’aide et l’assistance de son institution dans le cadre de l’action, introduite devant les juridictions du Royaume-Uni, dirigées contre Eurogramme […],

–       l’accès, l’autorisation de prendre copie et de produire en justice tous les documents relatifs au projet Prodcom et concernant directement ou indirectement Eurogramme […]

Par contre, eu égard aux fautes commises et reconnues par la Commission, la requérante justifie toujours d’un intérêt à la poursuite de l’action en ce qui concerne sa demande d’assistance financière pour lui permettre de couvrir l’ensemble des frais de défense exposés en vue d’obtenir l’indemnisation des dommages moraux, professionnels et matériels qu’elle a subis.

Elle se désiste, en conséquence, partiellement de son action, mais demande que la présente procédure soit poursuivie aux fins d’obtenir l’annulation de la [décision attaquée] en ce qu’elle rejette sa demande d’assistance financière pour couvrir les frais exposés, soit à ce jour 75 000 euros, et sa condamnation aux dépens de la présente instance. »

62     La requérante n’a pas déposé de mémoire en réplique dans le délai imparti.

63     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et a convoqué les parties à une réunion informelle avec le juge rapporteur qui s’est tenue le 14 décembre 2004.

64     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 14 décembre 2004.

65     La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la décision attaquée ;

–       condamner la Commission aux dépens.

66     La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours comme irrecevable ou, en tout état de cause, comme non fondé ;

–       statuer sur les dépens comme de droit.

 Sur la question de savoir si la requérante conserve un intérêt à agir en annulation de la décision attaquée

67     La Commission fait valoir que la requérante n’a plus d’intérêt à poursuivre l’annulation de la décision attaquée, puisqu’elle s’est désistée de son action en diffamation devant la High Court of Justice et que, dans le cadre de l’accord mettant fin au litige avec Eurogramme, elle a accepté de supporter ses propres dépens relatifs à cette action. Il n’y aurait, dès lors, plus lieu de statuer sur le présent recours.

68     La requérante prétend qu’elle conserve un intérêt à poursuivre la présente affaire en ce qui concerne le rejet de sa demande d’assistance financière dans le litige porté devant la High Court of Justice et pour lequel elle a exposé des frais d’un montant total de 75 000 euros.

69     Il y a lieu de relever que, au moment de l’introduction du présent recours, la requérante avait un intérêt né et actuel à l’annulation de la décision attaquée, notamment en ce que celle-ci porte rejet de sa demande d’assistance financière dans l’action en diffamation intentée devant la High Court of Justice.

70     Toutefois, la requérante s’étant ultérieurement désistée de ladite action en diffamation, se pose la question de savoir si elle a conservé un intérêt à poursuivre la présente instance.

71     À cet égard, il convient de rappeler, tout d’abord, que la requérante a indiqué, dans ses observations du 24 mars 2004 (voir point 61 ci-dessus), qu’elle n’entendait plus obtenir l’annulation de la décision attaquée que dans la mesure où elle porte rejet de sa demande d’assistance financière.

72     Ensuite, il est constant que la requérante avait exposé certains frais aux fins de son action en diffamation avant de s’en désister. L’annulation de la décision attaquée pourrait donc, en toute hypothèse, lui permettre d’obtenir de la Commission qu’elle prenne en charge tout ou partie de ces frais.

73     Certes, dans le cadre de l’accord mettant fin au litige avec Eurogramme, la requérante a accepté de supporter ses propres dépens relatifs à ce litige. Toutefois, cet accord ne lie que cette société et la requérante et ne signifie nullement que cette dernière ait renoncé à ses prétentions envers la Commission.

74     Il y a donc lieu de conclure que la requérante conserve un intérêt à agir en annulation de la décision attaquée.

 Sur le fond

75     La requérante ne poursuivant l’annulation de la décision attaquée que dans la mesure où elle rejette le volet de sa demande du 15 janvier 2002 tendant à obtenir l’assistance financière de la Commission, seuls seront repris et examinés ci-après les arguments relatifs audit volet. Ces arguments se rattachent à un moyen unique, tiré de la violation de l’article 24 du statut.

 Arguments des parties

76     La requérante avance, tout d’abord, qu’il est de jurisprudence constante que, si l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation dans le choix des mesures et moyens d’application de l’article 24 du statut, elle doit, en présence d’accusations graves et non fondées quant à l’honorabilité professionnelle d’un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, rejeter ces accusations et prendre toutes les mesures pour rétablir la réputation lésée de l’intéressé (arrêt du Tribunal du 26 octobre 1993, Caronna/Commission, T‑59/92, Rec. p. II‑1129, point 92). Le droit du fonctionnaire lésé à ce que soient prises les mesures d’assistance objectivement nécessaires ne dépendrait pas de ce qu’il ait pris au préalable l’initiative de poursuivre lui-même l’auteur des attaques dirigées contre lui (arrêt Caronna/Commission, précité, point 92).

77     Elle relève, ensuite, que l’AIPN a constaté, à la suite de l’enquête menée par le service d’audit interne d’Eurostat, que les accusations graves qui avaient été portées contre elle par Eurogramme n’étaient pas fondées. Elle reproche à la Commission de n’avoir, toutefois, pas pris les mesures de nature à rétablir sa réputation lésée et soutient avoir ainsi dû prendre elle-même l’initiative de poursuivre Eurogramme en vue d’obtenir l’indemnisation des dommages moraux, professionnels et matériels qu’elle aurait subis.

78     Au vu de ces éléments, elle conclut que « c’est illégalement que la Commission lui refuse l’assistance financière lui permettant de couvrir l’ensemble des frais de défense à exposer ».

79     La Commission fait valoir, en premier lieu, que, à supposer même que les accusations formulées par Eurogramme à l’encontre de la requérante aient été graves et aient pu porter atteinte à son honorabilité professionnelle, elle a pris toutes les mesures appropriées en vue de rétablir sa réputation. Chacune des accusations aurait, en effet, donné lieu à une « réaction appropriée de ses supérieurs hiérarchiques ». L’administration aurait ainsi réagi aux lettres de M. Ojo des 18 février et 14 septembre 2000 et à son courrier électronique du 23 mars 2000 « en demandant des explications supplémentaires ainsi que les preuves éventuelles desdites allégations et en prenant fermement le parti de la requérante ». La Commission se réfère, à cet égard, à la réunion organisée par M. Lhomme le 24 février 2000 (voir point 10 ci-dessus), au projet de lettre préparé par la requérante le 22 mai 2000 (voir point 12 ci-dessus), au fait que M. Lhomme avait fourni à la requérante une copie de la lettre de M. Ojo du 14 septembre 2000 en désapprouvant le « ton » de celle-ci et à la lettre de M. Díaz Muñoz du 7 décembre 2000 (voir point 26 ci-dessus).

80     En deuxième lieu, la Commission avance que, selon la jurisprudence, lorsque l’institution décide qu’il n’y a pas lieu de donner suite aux accusations portées contre un fonctionnaire et qu’aucune conséquence dommageable pour son honorabilité professionnelle ne saurait en résulter, une telle décision revient à écarter les accusations portées contre ledit fonctionnaire et à rétablir ainsi sa réputation professionnelle (arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, Ojha/Commission, T‑36/93, RecFP p. I‑A‑161 et II‑497, point 89). Or, en l’espèce, l’administration aurait précisément agi en ce sens. La Commission se réfère, à ce propos, au fait que la requérante se trouvait sur la liste des fonctionnaires proposés par sa direction pour obtenir une promotion au titre de l’année 2001, à la lettre de M. Franchet du 24 octobre 2000 (voir point 25 25ci-dessus) et à la « note de dossier » rédigée par ce dernier le 22 février 2001 (voir point 31 ci-dessus).

81     En troisième lieu, la Commission considère que la requérante ne saurait tirer argument de l’arrêt Caronna/Commission, précité, le présent litige et l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt présentant des différences considérables. Elle précise que, dans cette dernière affaire, l’intégrité et l’honorabilité professionnelles de l’intéressé avaient été publiquement remises en cause dans un article paru dans un hebdomadaire français. En l’espèce, en revanche, les déclarations prétendument diffamatoires seraient contenues dans des notes écrites qui « n’ont circulé qu’entre les mains d’un nombre limité de personnes et qui étaient destinées uniquement aux supérieurs hiérarchiques de la requérante ». Or, selon la Commission, « il va de soi que, dans le choix des mesures et des moyens en vue d’appliquer l’article 24 du statut, les mesures qui doivent être prises par l’administration confrontée à une ‘diffamation publique’ de l’un de ses fonctionnaires ne sont pas les mêmes que celles qu’elle doit prendre dans le cas de notes adressées aux supérieurs hiérarchiques de celui-ci ». Elle estime qu’elle n’était nullement tenue d’apporter à la requérante l’assistance financière qu’elle sollicitait dès lors que ses compétences n’ont jamais été mises en doute par ses supérieurs hiérarchiques et que les mesures prises par l’administration ont, en tout état de cause, permis de lever toute équivoque à ce sujet. 

82     En quatrième lieu et à titre subsidiaire, la Commission relève que, dans l’action introduite devant la High Court of Justice, la requérante mettait notamment en cause les agissements de la Commission, qu’elle « rend[ait] coresponsable des supposées conséquences nuisibles pour sa carrière des propos proférés à son encontre par Eurogramme ». Or, il serait de jurisprudence que l’article 24 du statut n’a pas pour objet de permettre au fonctionnaire de demander l’assistance contre son institution elle-même. 

 Appréciation du Tribunal

83     L’article 24, premier alinéa, du statut dispose :

« Les Communautés assistent le fonctionnaire, notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens dont il est, ou dont les membres de sa famille sont l’objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions. »

84     Selon une jurisprudence constante, cette disposition exige que, en présence d’accusations graves quant à l’honorabilité professionnelle d’un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, l’administration prenne toutes les mesures pour vérifier si les accusations sont fondées et, lorsque tel n’est pas le cas, qu’elle les rejette et prenne toutes les mesures pour rétablir la réputation lésée (arrêt de la Cour du 18 octobre 1976, N./Commission, 128/75, Rec. p. 1567, point 10, et ordonnance du Tribunal du 25 octobre 1996, Lopes/Cour de justice, T‑26/96, RecFP p. I‑A‑487 et II‑1357, point 40).

85     Il est également de jurisprudence constante que l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation dans le choix des mesures et moyens d’application de l’article 24 du statut (arrêt de la Cour du 14 février 1990, Schneemann e.a./Commission, C‑137/88, Rec. p. I‑369, point 9, et arrêt Caronna/Commission, précité, points 64 et 92).

86     C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient d’examiner si, dans les circonstances du cas d’espèce, les dispositions de l’article 24, premier alinéa, du statut ont été violées au détriment de la requérante.

87     Il y a lieu, tout d’abord, de préciser la nature et la portée des allégations formulées par Eurogramme à l’encontre de la requérante et que celle-ci qualifie d’accusations graves quant à son honorabilité professionnelle.

88     Ces allégations sont contenues dans les trois courriers suivants : la lettre de M. Ojo à M. Lhomme du 18 février 2000 (voir point 9 ci-dessus), le courrier électronique de M. Ojo à M. Lhomme du 23 mars 2000 (voir point 11 ci-dessus) et la lettre de M. Ojo à M. Lhomme du 14 septembre 2000 (voir point 19 ci-dessus).

89     La lettre de M. Ojo du 18 février 2000 constitue une réponse à la note que M. Lhomme lui avait adressée le 15 février précédent et dans laquelle celui-ci s’inquiétait de la « bonne fin du contrat » (voir point 8 ci-dessus). Dans cette lettre, M. Ojo, après avoir donné des explications sur les problèmes soulevés par M. Lhomme, se plaignait, en substance, d’interférences d’Eurostat dans la constitution de l’équipe d’Eurogramme en charge du projet Prodcom et de l’attitude négative dont Eurostat faisait preuve à l’égard du travail de cette équipe. Les allégations contenues dans ladite lettre ne sauraient clairement être qualifiées d’accusations graves quant à l’honorabilité professionnelle de la requérante.

90     Le courrier électronique de M. Ojo du 23 mars 2000 fait suite à une longue conversation téléphonique que celui-ci avait eue la veille avec la requérante. Il y indique notamment que cette dernière lui avait fait savoir qu’elle ne signerait pas le rapport final du projet s’il ne déplaçait pas l’équipe d’Eurogramme au Kirchberg et qu’il avait qualifié cette attitude de chantage. Par ailleurs, il donne à la requérante le surnom de « Godmother » (« la marraine »).

91     Force est de constater que les allégations contenues dans ce courrier électronique représentent essentiellement une critique de la position de la requérante relative à la nécessité d’installer l’équipe d’Eurogramme au Kirchberg et de l’appréciation négative qu’elle portait sur la qualité du travail réalisé par cette équipe. Les termes utilisés dans ce courrier électronique traduisent davantage un sentiment d’agacement dans le chef de M. Ojo et l’existence de tensions croissantes entre ce dernier et la requérante que l’intention d’imputer à celle-ci des faits portant atteinte à son honneur ou à sa considération.

92     S’agissant de la lettre de M. Ojo du 14 septembre 2000, il ressort du dossier qu’elle constitue l’élément principal sur lequel la requérante fonde ses griefs. Dans cette lettre, M. Ojo avance que cette dernière était responsable de la « très mauvaise ambiance » dans laquelle se déroulait la réalisation du projet Prodcom. Il prétend que, lors de sa première réunion avec la requérante, celle-ci lui a manifesté son mécontentement quant au choix d’Eurogramme pour l’exécution de ce projet et lui a indiqué que, si celui-ci n’était pas entièrement sous-traité par Anite Systems, il ne devait s’attendre à aucune coopération de sa part. Par ailleurs, dans cette lettre, M. Ojo se plaignait à nouveau des ingérences de la requérante dans le travail et l’organisation de son équipe, relevant notamment qu’elle souhaitait l’éviction du gestionnaire, de nationalité norvégienne, du projet Prodcom et que « [sa] première action avait été d’amener un ami danois à Eurogramme pour travailler sur [ce] projet ». Il précise que l’immixtion de la requérante dans la négociation des salaires des membres de l’équipe d’Eurogramme a, en grande partie, été à l’origine des pertes financières subies par cette société dans l’exécution de ce projet. En outre, M. Ojo fait état de pressions exercées par la requérante afin qu’un expert déterminé soit engagé par Eurogramme. Il répète également que la requérante l’a menacé de ne pas signer le rapport final s’il ne transférait pas son équipe au Kirchberg. Enfin, il laisse entendre qu’elle a entravé la bonne exécution du projet Prodcom et l’accuse d’avoir pour objectif de « détruire Eurogramme ».

93     Les allégations contenues dans la lettre de M. Ojo du 14 septembre 2000 s’expliquent, encore une fois, davantage par les relations difficiles que celui-ci entretenait avec la requérante dans le cadre de l’exécution du projet Prodcom que par la volonté de nuire à cette dernière. Il convient de relever, en outre, que ces allégations font suite à un incident survenu quelques jours plus tôt, et qui a clairement été à l’origine de tensions au sein de l’équipe d’Eurogramme, à savoir l’envoi à M. Ojo, par la requérante, d’une lettre qu’un membre de cette équipe lui avait envoyée à titre strictement confidentiel et sans en avertir le gestionnaire du projet (voir point 17 ci-dessus).

94     Cependant, lesdites allégations vont au-delà de la simple critique de la personnalité ou du comportement professionnel de la requérante et sont, en toute hypothèse, de nature à porter atteinte à sa réputation et à son honorabilité professionnelle.

95     Il doit être souligné, toutefois, que la lettre de M. Ojo du 14 septembre 2000, à l’instar de sa note du 18 février 2000 et de son courrier électronique du 23 mars 2000, n’a pas fait l’objet d’une diffusion publique, ni à l’intérieur ni à l’extérieur de l’administration. Ces courriers n’étaient destinés qu’au supérieur hiérarchique direct de la requérante, M. Lhomme, une copie de la lettre du 14 septembre ayant également été adressée à M. Díaz Muñoz et à M. Lane, chef de l’unité « Budget » d’Eurostat. Ils n’ont ultérieurement été portés à la connaissance que d’un nombre très restreint de personnes. En d’autres termes, la principale conséquence négative que lesdits courriers ont, en toute hypothèse, pu avoir pour la requérante était de la discréditer aux yeux de ses supérieurs hiérarchiques.

96     Ensuite, il convient d’examiner si les mesures prises par la Commission à la suite de l’envoi de ces trois courriers et, plus particulièrement, de la lettre du 14 septembre 2000 peuvent être considérées comme une exécution adéquate et suffisante de son obligation d’assistance.

97     À cet égard, il y a lieu de rappeler que, le 24 février 2000, soit quelques jours après avoir reçu la note du 18 février 2000, M. Lhomme a organisé une réunion de conciliation avec la requérante et M. Ojo, au cours de laquelle ces derniers se sont exprimés sur les problèmes soulevés dans ladite note et dans celle du 15 février 2000. Il ressort du procès-verbal de cette réunion, rédigé par M. Ojo et dont la requérante n’a jamais contesté la teneur, que M. Ojo était disposé à prendre en considération les remarques formulées par la requérante et à trouver une solution aux problèmes en cause.

98     M. Lhomme a, par ailleurs, invité la requérante à préparer un projet de réponse à la note de M. Ojo du 18 février 2000, ce qu’elle a fait le 22 mai 2000. Certes, cette réponse semble n’avoir jamais été envoyée à M. Ojo, mais l’attitude ainsi adoptée par M. Lhomme démontre son souci de prendre parti pour la requérante et de la soutenir.

99     S’agissant de la lettre du 14 septembre 2000, une copie en a été transmise à la requérante par M. Lhomme par lettre du 19 octobre 2000 (voir point 24 ci-dessus). Ce dernier y indique expressément qu’il désapprouve le « ton » utilisé par M. Ojo dans sa lettre et invite la requérante à préparer un projet de réponse en suggérant qu’elle prenne en compte son projet du 22 mai 2000. Il lui propose, en outre, d’avoir une réunion avec elle et un représentant de l’unité « Affaires administratives et de personnel » d’Eurostat afin de finaliser la réponse, avant de la signer et de l’envoyer à Eurogramme.

100   Par lettre du 7 décembre 2000, M. Díaz Muñoz a répondu à la lettre de M. Ojo du 14 septembre 2000 (voir point 26 ci-dessus). Dans sa réponse, dont une copie a notamment été communiquée à MM. Lhomme et Lane, il indique à M. Ojo que les faits que ce dernier reprochait à la requérante dans sa lettre avaient fait l’objet d’un examen détaillé de la part d’Eurostat et qu’aucune preuve de ces faits n’avait été trouvée. Il invite, par ailleurs, M. Ojo à lui communiquer tout élément de preuve dont il disposerait à cet égard. Le 24 janvier 2001, M. Ojo a répondu à la lettre de M. Díaz Muñoz, après avoir reçu un rappel de ce dernier en date du 18 janvier 2001, en indiquant notamment qu’il convenait de tirer les leçons du passé et de se concentrer sur le futur.

101   Il y a lieu de rappeler, en outre, que, à la fin de l’année 2000, le service d’audit interne d’Eurostat a, sur demande de M. Franchet, examiné la situation du projet Prodcom et, en particulier, les circonstances entourant la lettre de M. Ojo du 14 septembre 2000. Il ressort du rapport rendu le 21 décembre 2000 par ledit service que, dans le cadre de cette mission, les auditeurs ont pris connaissance de divers documents et courriers fournis par M. Lhomme, par la requérante et par M. Ojo et ont eu des entretiens avec ces trois personnes ainsi qu’avec M. Díaz Muñoz.

102   Dans son rapport, le service d’audit interne constate notamment que :

–       Eurogramme a fourni des informations erronées sur ses moyens financiers et opérationnels dans l’offre qu’elle avait présentée au cours de la procédure de sélection ;

–       lesdits moyens n’ont pas été suffisamment vérifiés ;

–       c’est Eurogramme elle-même qui a demandé à la requérante, à deux reprises au moins, de l’assister dans le recrutement de personnel ; 

–       certaines obligations contractuelles n’ont pas été respectées par Eurogramme ;

–       le projet a « souffert de problèmes de coopération », qui n’ont pas été traités avec diligence ;

–       il résulte de l’information disponible que les allégations proférées par M. Ojo à l’encontre de la requérante dans sa lettre du 14 septembre 2000 ne sont, de manière générale, pas prouvées ;

–       M. Díaz Muñoz a envoyé une lettre à M. Ojo, lui demandant de justifier les allégations proférées à l’encontre de la requérante ; dans la réponse finale à la lettre de M. Ojo du 14 septembre 2000, l’article 24 du statut devrait être appliqué.

103   Enfin, il doit être rappelé que, le 22 février 2001, M. Franchet a rédigé une « note de dossier » dans laquelle il expose les conclusions à tirer de ce rapport du service d’audit interne. Se référant à sa lettre du 24 octobre 2000, adressée à la requérante (voir point 25 ci-dessus), il indique, tout d’abord, qu’« [il a] régulièrement surveillé avec beaucoup d’attention les problèmes de gestion qui ont malheureusement affecté [le projet Prodcom] l’année dernière » et qu’il a déjà félicité l’équipe d’Eurostat chargée de ce projet pour les bons résultats obtenus en dépit de ces problèmes. Il expose ensuite qu’il y a eu un certain nombre de malentendus dans le cadre de la gestion de ce projet, résultant notamment du fait qu’Eurogramme avait demandé à la requérante de donner son avis sur le recrutement de certaines personnes. Il relève que la requérante, M. Lhomme et M. Grünewald ont chacun fourni un avis différent sur la qualité des prestations réalisées par Eurogramme et sur le montant à payer à cette dernière et indique qu’il a, dès lors, demandé à M. Díaz Muñoz de régler la question en tenant compte de ces trois avis. Par ailleurs, M. Franchet reconnaît qu’il y a eu un manque de communication au sein de l’unité de M. Lhomme et considère que les problèmes relationnels au sein de cette unité « pouvaient, dans le pire des cas, être qualifiés de mauvaise gestion et n’impliquaient pas la violation d’une quelconque règle en matière de droits statutaires et de protection de la dignité de la personne ». Enfin, il « regrette profondément » le stress causé à la requérante. Une copie de cette note a notamment été adressée à cette dernière ainsi qu’à MM. Lhomme et Díaz Muñoz.

104   Le Tribunal considère que, en adoptant les différentes mesures rappelées ci-dessus, la Commission a pleinement satisfait aux obligations qui lui incombaient à l’égard de la requérante en vertu de l’article 24 du statut.

105   D’une part, elle a soigneusement examiné si les allégations formulées par M. Ojo à l’encontre de la requérante étaient fondées (voir points 97, 100, 101 et 103 ci-dessus).

106   D’autre part, elle a clairement estimé que tel n’était pas le cas et a rejeté ces allégations (voir points 98, 99, 100, 102 et 103 ci-dessus).

107   Enfin, les mesures prises par la Commission étaient à la fois adéquates pour rétablir la réputation de la requérante et proportionnées au contenu des trois courriers concernés ainsi qu’à la circulation très restreinte qu’ils avaient connue. En particulier, le rejet net, par les anciens directeur et directeur général de la requérante, des allégations formulées à l’encontre de celle-ci par M. Ojo a nécessairement eu pour effet d’éliminer tout discrédit que ces allégations auraient pu jeter sur sa personne aux yeux de ses supérieurs (voir points 100 et 103 ci-dessus). Il doit être relevé, en outre, que le directeur général d’Eurostat ne semble jamais avoir mis en doute l’honorabilité professionnelle et les compétences de la requérante. Bien au contraire, dans sa note du 24 octobre 2000 (voir point 25), envoyée en copie notamment à MM. Díaz Muñoz, Lhomme et Jensen, il la félicite pour ses qualités et la manière dont elle a géré le projet Prodcom.

108   Dans ces circonstances, la Commission était en droit de refuser à la requérante l’assistance financière demandée par celle-ci. Elle était d’autant plus fondée à le faire que la requérante avait présenté cette demande plus de quatre mois après avoir introduit son action en diffamation devant la High Court of Justice, sans l’avoir auparavant informée de l’existence de cette action et sans lui donner la moindre indication sur ses chances de succès ni d’estimation, même très approximative, de ses coûts.

109   Il convient de rappeler, par ailleurs, que, postérieurement à la décision attaquée, la Commission a autorisé la requérante à produire, devant la High Court of Justice, la quasi-totalité des très nombreux documents pour lesquels elle avait présenté une demande de levée du devoir de réserve sur la base de l’article 19 du statut.

110   Il convient de conclure de l’ensemble des considérations qui précèdent que la Commission a pris les mesures appropriées aux circonstances de l’espèce et qu’elle n’a, par conséquent, pas méconnu le devoir d’assistance prévu à l’article 24 du statut. Partant, le recours doit être rejeté comme non fondé.

 Sur les dépens

111   Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens, étant entendu que, en vertu de l’article 88 du même règlement, les frais exposés par les institutions dans les recours des agents des Communautés restent à la charge de celles-ci. Chaque partie supportera donc ses propres dépens.



Par ces motifs,


LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Chaque partie supportera ses propres dépens.



Cooke

Labucka

Trstenjak


Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 juillet 2005.


Le greffier

 

Le président


H. Jung

 

J. D. Cooke


* Langue de procédure : le français.