Language of document : ECLI:EU:C:2014:287

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO Mengozzi

présentées le 30 avril 2014 (1)

Affaire C‑138/13

Naime Dogan

contre

Bundesrepublik Deutschland

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgericht Berlin (Allemagne)]

«Accord d’association CEE-Turquie – Protocole additionnel – Article 41, paragraphe 1 – Réglementation nationale qui modifie les conditions d’entrée sur le territoire national à titre de regroupement familial du conjoint d’un ressortissant turc ayant exercé la liberté d’établissement – Directive 2003/86/CE – Article 7, paragraphe 2 – Réglementation nationale exigeant la preuve de connaissances linguistiques de base pour le conjoint souhaitant entrer sur le territoire national à titre de regroupement familial»





1.        Par la présente demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’interpréter l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) nº 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972 (2) (ci‑après le «protocole additionnel»), relatif aux mesures à prendre au cours de la phase transitoire de l’association créée par l’accord entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie, signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (3) (ci-après l’«accord d’association»), ainsi que l’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (4). Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Naime Dogan à la République fédérale d’Allemagne au sujet du rejet par les autorités allemandes de sa demande de délivrance d’un visa au titre de regroupement familial.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

1.      L’accord d’association et le protocole additionnel

2.        Conformément à son article 2, paragraphe 1, l’accord d’association a pour objet de promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes, en tenant pleinement compte de la nécessité d’assurer le développement accéléré de l’économie de la Turquie et le relèvement du niveau de l’emploi et des conditions de vie du peuple turc. Aux termes de l’article 13 de cet accord, «[l]es parties contractantes conviennent de s’inspirer des articles [43 CE] à [46 CE] inclus et [48 CE] pour éliminer entre elles les restrictions à la liberté d’établissement».

3.        Au titre de son article 62, le protocole additionnel fait partie intégrante de l’accord d’association. L’article 41, paragraphe 1, de ce protocole prévoit que «[l]es parties contractantes s’abstiennent d’introduire entre elles de nouvelles restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services».

2.      La directive 2003/86

4.        Conformément à son article 1er, le but de la directive 2003/86 est «de fixer les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres». Aux termes de son article 4, paragraphe 1, les États membres autorisent l’entrée et le séjour, sous réserve du respect des conditions visées au chapitre IV de cette directive, ainsi qu’à son article 16, des membres de la famille nucléaire, parmi lesquels le conjoint du regroupant.

5.        L’article 7 de ladite directive, inséré dans le chapitre IV, intitulé «Conditions requises pour l’exercice du droit au regroupement familial», est libellé comme suit:

«1.      Lors du dépôt de la demande de regroupement familial, l’État membre concerné peut exiger de la personne qui a introduit la demande de fournir la preuve que le regroupant dispose:

a)      d’un logement […];

b)      d’une assurance maladie […];

c)      de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille […].

2.      Les États membres peuvent exiger des ressortissants de pays tiers qu’ils se conforment aux mesures d’intégration, dans le respect du droit national.

En ce qui concerne les réfugiés et/ou les membres de la famille de réfugiés visés à l’article 12, les mesures d’intégration visées au premier alinéa ne peuvent s’appliquer qu’une fois que les personnes concernées ont bénéficié du regroupement familial.»

6.        Aux termes de l’article 17 de la directive 2003/86, les États membres «prennent dûment en considération la nature et la solidité des liens familiaux de la personne et sa durée de résidence dans l’État membre, ainsi que l’existence d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec son pays d’origine, dans les cas de rejet d’une demande, de retrait ou de non-renouvellement du titre de séjour, ainsi qu’en cas d’adoption d’une mesure d’éloignement du regroupant ou des membres de sa famille».

B –    Le droit allemand

7.        Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la délivrance du visa sollicité par Mme Dogan est régie par les dispositions de la loi allemande relative au séjour, au travail et à l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral (Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet, ci-après la «loi sur le séjour des étrangers»), dans sa version résultant de la communication du 25 février 2008 (5), modifiée en dernier lieu par l’article 2 de la loi du 21 janvier 2013 (6). Sous l’intitulé «Objectif de la loi; champ d’application», l’article 1er de ladite loi dispose à son paragraphe 2, point 1:

«La présente loi ne s’applique pas aux étrangers:

1)      dont le statut est régi par la loi relative à la libre circulation des citoyens de l’Union [Gesetz über die allgemeine Freizügigkeit von Unionsbürgern], sauf disposition légale contraire, [...]»

8.        Aux termes de l´article 2, paragraphe 8:

«Une connaissance élémentaire de la langue allemande correspond au niveau A 1 du [...] cadre européen commun de référence pour les langues (recommandations du comité des Ministres du Conseil de l’Europe nº R (98) 6, du 17 mars 1998, relative au cadre commun de référence pour les langues).»

9.        L’article 4, intitulé «Exigence d’un titre de séjour», prévoit à son paragraphe 1, point 1, que, «[p]our pénétrer et séjourner sur le territoire de la République fédérale, les étrangers doivent posséder un titre de séjour […] à moins qu’un droit de séjour n’existe en vertu de l’accord du 12 septembre 1963 créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie [...]. Le titre de séjour est octroyé en tant que visa au sens de l’article 6, paragraphes 1, point 1, et 3, de la présente loi».

10.      Aux termes de l’article 6, paragraphe 3, «[l]es longs séjours nécessitent la possession d’un visa pour le territoire fédéral (visa national) délivré avant d’y pénétrer. [...]».

11.      L’article 27, paragraphe 1, dispose que, «[a]ux fins de la protection du mariage et de la famille, consacrée à l’article 6 de la Constitution allemande (Grundgesetz), le titre de séjour à durée déterminée peut être délivré et prolongé pour établir ou préserver, au profit des membres de la famille étrangers, la communauté de vie familiale sur le territoire fédéral (regroupement familial)».

12.      Sous l’intitulé «Regroupement des époux», l’article 30, paragraphe 1, premier phrase, point 2, prévoit qu’«[u]n titre de séjour à durée déterminée doit être délivré au conjoint d’un étranger lorsque […] le conjoint peut s’exprimer en allemand au moins avec des mots simples […]». La deuxième phrase, point 1, du même paragraphe dispose que «[l]e titre de séjour à durée déterminée peut être délivré nonobstant le point 2 de la première phrase lorsque […] l’étranger possède un titre de séjour en vertu des articles 19 à 21 de la présente loi [titre de séjour pour certaines activités lucratives] et que le mariage était déjà contracté à l’époque où l’étranger a déplacé son centre d’intérêts sur le territoire fédéral [...]». Enfin, la troisième phrase, point 2, prévoit que «[l]e titre de séjour à durée déterminée peut être délivré nonobstant le point 2 de la première phrase lorsque […] le conjoint n’est pas en mesure, en raison d’une maladie ou d’une incapacité physique, mentale ou psychologique, de prouver qu’il dispose de connaissances élémentaires en allemand […]».

13.      Il ressort de l’ordonnance de renvoi que l’article 30, paragraphe 1, première phrase, point 2, de la loi sur le séjour des étrangers a été introduit par la loi du 19 août 2007 visant à transposer les directives de l’Union européenne en matière de droit de séjour et d’asile (Gesetz zur Umsetzung aufenthalts- und asylrechtlicher Richtlinien der Europäischen Union) (7).

II – Le litige au principal et les questions préjudicielles

14.      La requérante, ressortissante turque résidant dans ce pays, demande un visa au titre du regroupement familial avec son époux, également ressortissant turc, qui vit en Allemagne depuis 1998, où il dirige une société à responsabilité limitée dont il est l’actionnaire majoritaire et où il dispose, depuis 2002, d’un titre de séjour à durée déterminée devenu, par la suite, un titre de séjour à durée indéterminée. Avant de se marier civilement en 2007, la requérante et M. Dogan avaient déjà contracté un mariage religieux devant un imam, union dont sont issus au total quatre enfants nés au cours des années 1988 à 1993.

15.      Le 18 janvier 2011, la requérante a demandé à l’ambassade d’Allemagne à Ankara la délivrance d’un visa au titre du regroupement familial des époux et des enfants, pour elle et, dans un premier temps, pour deux de ses enfants. Elle a joint à cet effet une attestation de l’institut Goethe relative à un test de langue de niveau A 1 qu’elle aurait passé le 28 septembre 2010 et aurait réussi avec la note «Suffisant» (62 points sur 100). Ses résultats dans la partie écrite ont été de 14,11 points sur 25.

16.      Considérant que la requérante, qui est analphabète, a passé le test en cochant au hasard les réponses d’un questionnaire à choix multiple et en apprenant et reproduisant par cœur trois phrases standard, l’ambassade d’Allemagne a rejeté la demande par décision du 23 mars 2011, faute de preuve de la connaissance de la langue allemande. La requérante n’a pas contesté cette décision, mais a introduit, auprès de la même ambassade, le 26 juillet 2011, une nouvelle demande de délivrance d’un visa au titre du regroupement familial uniquement pour elle, demande qui a, une nouvelle fois, été rejetée par l’ambassade par décision du 31 octobre 2011. À la suite de la demande de réexamen introduite par la requérante par l’intermédiaire d’un avocat le 15 novembre 2011, l’ambassade d’Allemagne à Ankara a annulé la décision initiale et l’a remplacée par une décision du 24 janvier 2012, rejetant également la demande au motif que la requérante ne dispose pas des connaissances linguistiques nécessaires car elle est analphabète.

17.      La requérante a introduit un recours à l’encontre de la décision du 24 janvier 2012 devant la juridiction de renvoi. Celle-ci a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 41, paragraphe 1, du [protocole additionnel] s’oppose‑t‑il à une disposition de droit national introduite après l’entrée en vigueur des dispositions précitées qui prévoit que, pour pouvoir entrer pour la première fois sur le territoire [de la République fédérale d’Allemagne], un membre de la famille d’un citoyen turc bénéficiant du statut conféré par l’article 41, paragraphe 1, du[dit] protocole […] doit prouver au préalable qu’il peut s’exprimer en allemand avec des mots simples?

2)      L’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive [2003/86] s’oppose-t-il à la disposition nationale mentionnée dans la première question?»

III – Analyse

A –    Sur la première question préjudicielle

18.      Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une disposition de droit national, adoptée après l’entrée en vigueur du protocole additionnel, laquelle subordonne l’entrée sur le territoire de l’État membre concerné, à des fins de regroupement familial, du conjoint d’un citoyen turc établi dans cet État membre à la démonstration qu’il dispose d’une connaissance élémentaire de la langue officielle dudit État membre, constitue une «nouvelle restriction» aux sens de l’article 41, paragraphe 1, dudit protocole.

19.      Selon une jurisprudence constante, cette disposition énonce, dans des termes clairs, précis et inconditionnels, une clause non équivoque de «standstill», laquelle «comporte une obligation […] qui se résout juridiquement en une simple abstention» (8) et «peut être invoquée devant les juridictions nationales par les ressortissants turcs auxquels elle s’applique pour écarter l’application des règles de droit interne qui leur sont contraires» (9). Quant à sa portée, la Cour a précisé que, si ladite clause n’est pas, par elle-même, de nature à faire naître dans le chef d’un ressortissant turc un droit d’établissement ni un droit de séjour directement tirés de la réglementation de l’Union, elle fait cependant obstacle à l’adoption par un État membre de toute mesure nouvelle qui aurait pour objet ou pour effet de soumettre l’établissement et, corrélativement, le séjour d’un tel ressortissant sur son territoire à des conditions plus restrictives que celles qui étaient applicables lors de l’entrée en vigueur du protocole additionnel à l’égard de l’État membre concerné (10). Dans le même sens, la Cour a reconnu que, bien que n’ayant pas pour conséquence d’accorder aux ressortissants turcs un droit d’entrée sur le territoire d’un État membre − lequel reste régi, en l’état actuel du droit de l’Union, par le droit national − l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel «doit s’appliquer également à la réglementation relative à la première admission des ressortissants turcs dans un État membre sur le territoire duquel ils se proposent de faire usage de la liberté d’établissement au titre de l’accord d’association» (11). La clause qu’il comporte opère, dès lors, «non pas comme une règle de fond, en rendant inapplicable le droit matériel pertinent auquel elle se substituerait, mais comme une règle de nature quasi procédurale, qui prescrit, ratione temporis, quelles sont les dispositions de la réglementation d’un État membre au regard desquelles il y a lieu d’apprécier la situation d’un ressortissant turc souhaitant faire usage de la liberté d’établissement dans [cet] État membre» (12). En ce sens, l’article 41, paragraphe 1, dudit protocole se présente comme le «corollaire nécessaire des articles 13 et 14 de l’accord d’association, dont il constitue le moyen indispensable pour réaliser l’abolition progressive des obstacles nationaux aux libertés d’établissement et de prestation des services» (13).

20.      En l’espèce, s’il est constant que M. Dogan bénéficie de la clause énoncée à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, en ce qu’il exerce sur le territoire de l’Union une activité non salariée, il se pose en revanche la question de savoir si cette clause s’applique également à son épouse, qui a demandé un visa à titre de regroupement familial et ne cherche pas à entrer sur le territoire allemand afin d’y exercer une activité relevant de ladite disposition.

21.      La Commission européenne suggère une réponse affirmative, en faisant valoir que Mme Dogan est légitimée à se prévaloir de ladite clause en tant que membre de la famille de M. Dogan au sens de l’article 13 de la décision nº 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association (ci-après la «décision nº 1/80»). Selon la Commission, en vertu de la règle de convergence d’interprétation entre l’article 41 du protocole additionnel et l’article 13 de la décision nº 1/80, qui énonce une clause de «standstill» analogue (14), la lecture que la Cour donne de cette dernière disposition est transposable à la première. Or, elle rappelle que, dans l’arrêt rendu dans les affaires Toprak et Oguz (15), la Cour a précisé que l’article 13 de la décision nº 1/80 est applicable non seulement aux régimes qui traitent des conditions d’accès à l’emploi des travailleurs turcs, mais également à ceux qui portent sur le droit des conjoints étrangers en matière de regroupement familial.

22.      Le raisonnement suivi par la Commission n’emporte pas ma conviction. Il est vrai que, selon une jurisprudence bien établie de la Cour, l’article 13 de la décision nº 1/80 et l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, bien qu’ayant un domaine d’application distinct et n’étant pas susceptibles de trouver application conjointement, revêtent néanmoins une «signification identique» (16), qu’ils poursuivent un même objectif, et que la portée de l’obligation de «standstill» qu’ils prévoient «s’étend de manière analogue à tout nouvel obstacle à l’exercice de la liberté d’établissement, de la libre prestation de services ou de la libre circulation des travailleurs, consistant en une aggravation des conditions existant à une date donnée» (17). C’est, d’ailleurs, précisément sur la base de cette convergence d’objectifs que la Cour a considéré, malgré les différences de libellé entre les deux dispositions, que l’article 13 de la décision nº 1/80 s’applique non seulement aux mesures directement liées à l’accès à l’emploi, mais, tout comme l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, également aux règles régissant la première admission et le séjour des travailleurs turcs (18). Il est tout aussi vrai, que, ainsi qu’il ressort de son libellé, l’article 13 de la décision nº 1/80 s’applique non seulement aux travailleurs turcs, mais également aux membres de leur famille et que, s’agissant de ces derniers, la Cour a, dans l’arrêt Abatay e.a., affirmé que ladite décision «ne fait pas dépendre de l’exercice d’une activité salariée leur accès au territoire d’un État membre au titre du regroupement familial avec un travailleur turc déjà légalement présent dans cet État» (19).

23.      Cependant, ainsi que l’ont souligné à juste titre les gouvernements allemand et danois dans leurs observations, il ressort de l’arrêt Toprak et Oguz que ce n’est que dans la mesure où la réglementation en matière de regroupement familial en cause au principal (20)affectait la situation de travailleurs turcs, tels MM. Toprak et Oguz, qu’il y avait lieu de la faire rentrer dans le champ d’application de l’article 13 de la décision nº 1/80 (21). Une telle position est cohérente avec l’objectif poursuivi par cette disposition ainsi que par l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, qui est d’empêcher les autorités nationales d’introduire de nouveaux obstacles à l’exercice, respectivement, de la libre circulation des travailleurs et de la liberté d’établissement et de prestation de services.

24.      Or, ne sauraient invoquer la violation d’un tel objectif à leur égard les ressortissants turcs, telle Mme Dogan, qui demandent à être admis sur le territoire d’un État membre uniquement à titre de regroupement familial et non pas pour y exercer l’une des libertés économiques prévues par l’accord d’association.

25.      Certes, l’article 7 de la décision nº 1/80 confère, à certaines conditions, des droits autonomes aux membres de la famille des travailleurs turcs appartenant au marché régulier de l’emploi (22) dans le but de créer des conditions favorables au regroupement familial dans l’État membre d’accueil (23). Cependant, dans l’économie de l’accord d’association, un tel but n’est qu’un instrument visant à faciliter la réalisation des objectifs de l’association, à savoir, notamment, l’instauration progressive des libertés de circulation des travailleurs, d’établissement et de prestation de services conformément aux articles 12, 13 et 14 dudit accord. Il s’ensuit qu’il ne saurait être conclu d’une lecture combinée des articles 7 et 13 de la décision nº 1/80 que les membres de la famille d’un travailleur turc qui ont demandé à entrer sur le territoire d’un État membre à titre de regroupement familial et non pas afin d’y exercer une activité salariée peuvent invoquer la clause de «standstill» afin de s’opposer à l’application à leur égard d’une réglementation telle que celle en cause au principal qui est susceptible d’empêcher ou, à tout le moins, de rendre plus difficile l’acquisition de leur part des droits qu’ils pourraient dériver de l’article 7 de la décision nº 1/80.

26.      Cela étant précisé, il s’agit, à ce stade, d’examiner si Mme Dogan peut se prévaloir de la clause de «standstill» prévue à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, bien que n’ayant pas fait et n’entendant pas faire usage des libertés économiques visées par cet article, afin de s’opposer à l’application à son égard d’une mesure nationale susceptible de constituer une nouvelle restriction à l’exercice desdites libertés par son conjoint.

27.      Je rappelle, à titre liminaire, que, dans l’affaire Abatay e.a., la Cour a déjà eu l’occasion de reconnaître le droit d’un ressortissant turc d’invoquer le bénéfice de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel bien que n’étant pas directement visé par cette disposition. En l’espèce, il s’agissait de chauffeurs routiers turcs employés par une entreprise établie en Turquie qui effectuait légalement des prestations de services dans un État membre. Ils s’opposaient à l’application à leur égard de conditions à l’exercice de leur activité salariée introduites par la République fédérale d’Allemagne après l’entrée en vigueur du protocole additionnel. Se fondant sur une application par analogie de l’arrêt Clean Car Autoservice (24), la Cour a en substance reconnu que, puisque les salariés d’un prestataire de services sont indispensables pour permettre à ce dernier de fournir ses prestations, le droit d’un employeur établi en Turquie d’effectuer des prestations de services dans un État membre aux conditions prévues à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel doit nécessairement avoir comme complément le droit pour ses salariés d’exécuter les tâches qui leur sont confiées dans le cadre desdites prestations aux mêmes conditions (25).

28.      Il convient donc de déterminer si la mesure en cause au principal, qui touche aux conditions auxquelles est soumis le regroupement familial, comporte une «restriction» indirecte, comme dans le cas examiné par la Cour dans l’affaire Abatay e.a., à la liberté d’établissement au titre de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel. Son caractère «nouveau» au sens de cette disposition n’est en revanche pas en discussion.

29.      À cet égard, il y a, tout d’abord, lieu de considérer qu’il résulte du libellé de l’article 13 de l’accord d’association, ainsi que de l’objectif de l’association CEE‑Turquie, que les principes admis dans le cadre des articles 52 à 56 du traité CE (devenus articles 43 CE à 47 CE et puis 49 TFUE à 53 TFUE) doivent être transposés, dans la mesure du possible, aux ressortissants turcs. Ce principe interprétatif, initialement consacré par la Cour dans le contexte de l’article 12 de l’accord d’association, puis confirmé dans le cadre de l’article 14 de celui-ci (26), est applicable également à son article 13, qui contient une règle analogue aux deux dispositions susmentionnées. Ainsi que je l’exposerai mieux par la suite, loin d’avoir été remis en discussion par les arrêts prononcés par la Cour dans les affaires Ziebell et Demirkan (27), ledit principe a été expressément confirmé par la dernière de ces décisions.

30.      Il convient ensuite de rappeler que, selon la jurisprudence, doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement, au sens de l’article 49 TFUE, toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, de cette liberté (28). Or, conformément au principe exposé au point 29 ci-dessus, cette même définition doit, à mon sens, être retenue lorsqu’il s’agit de déterminer le contenu et la portée de la notion de «restriction» visée à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel. Ainsi, cette disposition, qui cristallise la réglementation à laquelle est soumise, à un moment donné, la situation d’un ressortissant turc souhaitant faire usage de la liberté d’établissement au titre de l’accord d’association, s’oppose à toute détérioration de cette situation susceptible d’entraver, de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice de cette liberté.

31.      Ainsi que le soutient la Commission dans ses observations, l’absence, pour un ressortissant turc, de la perspective concrète d’un regroupement familial sur le territoire de l’État membre où il est établi ou entend s’établir afin d’exercer son activité autonome est susceptible de gêner ou, à tout le moins, de rendre moins attrayant l’exercice, de sa part, de la liberté d’établissement visée par l’accord d’association. Sans ladite perspective, un tel ressortissant pourrait, en effet, tant être dissuadé d’aller s’installer sur le territoire de l’Union, lorsque le lien familial est déjà noué, qu’être poussé à interrompre son activité et à quitter ce territoire, lorsque ce lien a été créé après son départ. Dans les deux cas il serait obligé de choisir entre son activité et le maintien de l’unité de sa famille.

32.      À cet égard, je rappelle que tant le législateur communautaire, à partir des premiers textes d’application des dispositions du traité, que la Cour ont reconnu l’existence d’un lien de principe entre maintien de l’intégrité de la vie familiale et pleine jouissance des libertés fondamentales (29) dans des conditions qui assurent le respect de la liberté et de la dignité des travailleurs migrants (30). Ainsi, une atteinte portée à la première est susceptible de constituer une entrave au plein exercice des deuxièmes (31).

33.      Or, bien que ni l’accord d’association ni le protocole additionnel ou les actes adoptés par le conseil d’association ne prévoient un droit au regroupement familial, le lien existant entre exercice des libertés économiques visées par ledit accord et intégration familiale impose, à mon sens, qu’une mesure d’un État membre qui introduit une nouvelle condition à l’entrée sur le territoire national du conjoint d’un ressortissant turc ayant fait usage ou souhaitant faire usage de la liberté d’établissement au titre dudit accord par rapport à celles existant au moment de l’entrée en vigueur du protocole additionnel pour cet État membre tombe dans le champ d’application de la clause de «standstill» prévue à l’article 41, paragraphe 1, dudit protocole.

34.      Une telle conclusion est confirmée par l’objectif de ladite clause, maintes fois rappelé par la Cour, qui est de créer des conditions favorables à la mise en place progressive de la liberté d’établissement entre les États membres et la République de Turquie (32) en interdisant l’adoption de toutes nouvelles mesures qui auraient «pour objet ou pour effet» de soumettre l’établissement des ressortissants turcs dans un État membre à des conditions plus restrictives que celles qui résultaient des règles qui leur étaient applicables à la date d’entrée en vigueur du protocole additionnel à l’égard de l’État membre concerné (33). Par ailleurs, compte tenu du potentiel dissuasif des mesures qui touchent aux conditions auxquelles est soumis le regroupement familial, l’argument des gouvernements allemand et néerlandais, selon lequel l’impact d’une règle telle que celle en cause au principal sur l’exercice de la liberté d’établissement au titre de l’accord d’association est trop éloigné et hypothétique pour pouvoir relever aux fins de l’application de la clause de «standstill» prévue à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, ne saurait être retenu.

35.      Ne s’opposent pas à l’interprétation proposée les arrêts récents rendus par la Cour dans les affaires Ziebell et Demirkan, précités.

36.      Dans le premier de ces arrêts, la Cour a exclu de l’acquis de l’accord d’association la directive 2004/38 (34), en écartant, par conséquent, l’argument avancé par M. Ziebell, selon lequel l’article 28, paragraphe 3, sous a), de cette directive, qui régit la protection contre l’éloignement dont bénéficient les ressortissants de l’UE, devait servir de référence pour déterminer le sens et la portée de l’exception au droit de séjour fondée sur des raisons d’ordre public énoncée à l’article 14, paragraphe 1, de la décision nº 1/80. La conclusion à laquelle est parvenue la Cour était en substance fondée sur la constatation que, contrairement à la directive, qui vise à «faciliter l’exercice du droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres qui est conféré directement aux citoyens de l’Union par le traité», l’accord d’association «poursuit une finalité exclusivement économique» (35).

37.      Le cas d’espèce se distingue nettement de celui de l’affaire Ziebell. En l’espèce, il ne s’agit pas de reconnaître à l’association avec la République de Turquie des objets et une finalité qui lui sont étrangers, mais d’assurer la pleine réalisation de ceux qui lui sont propres, à savoir, aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de l’accord d’association, «promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes, en tenant pleinement compte de la nécessité d’assurer le développement accéléré de l’économie de la Turquie et le relèvement du niveau de l’emploi et des conditions de vie du peuple turc». La transposition dans le champ d’application de l’accord, via l’article 13 de celui-ci, de la notion d’entrave à l’exercice de la liberté d’établissement telle qu’elle a été interprétée et appliquée par la Cour rentre dans une telle logique.

38.      Dans l’arrêt Demirkan précité, la Cour a exclu que la notion de libre prestation des services visée à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel puisse être interprétée en ce sens qu’elle englobe également la liberté pour les ressortissants turcs, destinataires de services, de se rendre dans un État membre pour y bénéficier d’une prestation de services. Pour arriver à une telle conclusion, la Cour, dans la droite ligne de l’arrêt Ziebell, a constaté «qu’il existe entre l’accord d’association ainsi que son protocole additionnel, d’une part, et le traité, d’autre part, des différences en raison, notamment, du lien existant entre la libre prestation des services et la libre circulation des personnes au sein de l’Union» et que «le développement des libertés économiques pour permettre une libre circulation des personnes d’ordre général, qui serait comparable à celle applicable, selon l’article 21 TFUE, aux citoyens de l’Union, n’est pas l’objet de l’accord d’association» (36). Selon la Cour, la libre prestation de services passive, issue du processus d’établissement d’un marché intérieur conçu comme un espace sans frontières intérieures, est intimement liée au principe général de libre circulation des personnes qui sous-tend la création d’un tel espace. En revanche, «que ce soit par l’intermédiaire de la liberté d’établissement ou de la libre prestation des services, ce n’est qu’en tant qu’elle constitue le corollaire de l’exercice d’une activité économique que la clause de ‘standstill’ [prévue à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel] peut concerner les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants turcs sur le territoire des États membres» (37).

39.      En l’espèce, il ne s’agit pas de transposer dans le cadre de l’accord d’association un concept, telle la prestation de services passive, qui recèle en soi la reconnaissance d’un principe général de libre circulation des personnes, mais une notion, celle d’entrave à l’exercice de la liberté d’établissement, qui permet de définir les contours de cette liberté et de favoriser, en imposant des devoirs d’abstention aux autorités compétentes des parties contractantes, sa pleine réalisation conformément aux objectifs de l’association. Une telle opération se situe dans une ligne jurisprudentielle bien établie de la Cour qui, ainsi que je l’ai relevé auparavant, n’a pas été infirmée mais, au contraire, confirmée par l’arrêt Demirkan (38).

40.      Le gouvernement allemand soutient que, à supposer même que la mesure en cause au principal puisse être qualifiée de restriction au sens de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, elle serait néanmoins justifiée par l’objectif de lutter contre les mariages forcés. Selon ce gouvernement, l’acquisition de connaissances linguistiques de base avant l’entrée sur le territoire de l’État membre d’accueil favoriserait l’intégration du conjoint dans la société de cet État, augmenterait ses chances de développer une vie sociale autonome, tout en réduisant l’emprise de la belle famille, et lui permettrait, le cas échéant, de s’adresser aux autorités compétentes afin d’obtenir protection. Il fait observer que l’instruction est, en général, un facteur dissuasif, car elle rend les victimes potentielles des mariages forcés moins facilement maniables.

41.      Dans l’arrêt Demir (39), la Cour a précisé qu’une restriction au titre de l’article 13 de la décision nº 1/80 est prohibée «sauf à ce qu’elle relève des limitations visées à l’article 14 de cette décision [(40)] ou à ce qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, soit propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre». En vertu de la convergence d’interprétation des clauses de «standstill» prévues à l’article 13 de la décision nº 1/80 et à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, rappelée au point 22 ci-dessus, la même exception est applicable dans le contexte de cette dernière disposition.

42.      Or, à supposer, ainsi que le soutient le gouvernement allemand, que l’objectif de lutte contre les mariages forcés puisse être invoqué par ce dernier comme raison impérieuse d’intérêt général justifiant des restrictions au titre de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et que la mesure en cause au principal soit adéquate à poursuivre un tel objectif, je doute néanmoins de son caractère proportionné. Ne présente, à mon sens, pas un tel caractère une mesure capable de retarder indéfiniment le regroupement familial sur le territoire de l’État membre concerné et qui, sous réserve d’un nombre réduit d’exceptions définies de manière exhaustive, s’applique indépendamment d’une appréciation de l’ensemble des circonstances pertinentes de chaque cas d’espèce. Par ailleurs, je ne partage pas l’opinion du gouvernement allemand, selon lequel des mesures alternatives, par exemple l’obligation de participer à des cours d’intégration et de langue postérieurement à l’entrée sur le territoire allemand, ne seraient pas aussi efficaces que l’acquisition préalable de connaissances linguistiques afin d’empêcher l’exclusion sociale des victimes des mariages forcés. Au contraire, une telle obligation conduirait ces personnes à sortir de leur contexte familial, favorisant ainsi leur contact avec la société allemande. Les membres de leur famille exerçant une contrainte sur elles seraient, quant à eux, forcés de permettre un tel contact, qui, en l’absence d’une pareille obligation, pourrait être concrètement entravé, et cela malgré le fait que la personne en question dispose d’une connaissance élémentaire de l’allemand. En outre, le fait d’entretenir des relations régulières avec les organismes et les personnes responsables de l’organisation desdits cours pourrait contribuer à créer les conditions favorables à une demande d’aide spontanée de la part des victimes, ainsi que faciliter l’identification et la dénonciation aux autorités compétentes des situations nécessitant une intervention.

43.      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre à la première question préjudicielle posée par le Verwaltungsgericht Berlin que l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel doit être interprété en ce sens que l’interdiction qui en découle, pour les États membres, d’introduire de nouvelles restrictions à la liberté d’établissement couvre également des mesures, telles que celle en cause au principal, qui ont été introduites postérieurement à l’entrée en vigueur, pour l’État membre concerné, dudit protocole, et qui ont pour objet ou pour effet de rendre plus difficile l’entrée sur le territoire de cet État membre à titre de regroupement familial du conjoint d’un ressortissant turc ayant fait usage de la liberté d’établissement au titre de l’accord d’association.

B –    Sur la seconde question préjudicielle

44.      La seconde question préjudicielle n’étant pertinente que s’il est répondu par la négative à la première, ce n’est qu’à titre subordonné et pour l’hypothèse où la Cour ne suivrait pas la solution à la première question que je préconise, que je l’examinerai brièvement ci-dessous.

45.      Par sa seconde question, le juge de renvoi vise en substance à savoir si l’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la législation en cause au principal, qui subordonne le droit d’entrée en Allemagne du conjoint d’un ressortissant de pays tiers séjournant régulièrement dans cet État membre à la démonstration d’une connaissance de base de la langue allemande.

46.      L’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86 prévoit que les États membres ont le droit d’exiger des bénéficiaires potentiels du regroupement familial qu’ils se conforment à des mesures d’intégration. Selon le gouvernement allemand, la condition relative à la connaissance élémentaire de la langue allemande, qui poursuit le double objectif de faciliter l’intégration des nouveaux arrivés en Allemagne et de lutter contre les mariages forcés, constitue une mesure d’intégration admissible sur la base de cette disposition.

47.      À titre liminaire, je rappelle que le droit au respect de la vie familiale au sens de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH») fait partie des droits fondamentaux qui, selon la jurisprudence constante de la Cour, sont protégés dans l’ordre juridique de l’Union. Ce droit, qui est également consacré à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux (ci-après la «Charte»), vise aussi le droit au regroupement familial (41) et «entraîne, pour les États membres, des obligations qui peuvent être négatives, lorsque l’un d’eux est tenu de ne pas expulser une personne, ou positives, lorsqu’il est tenu de laisser une personne entrer et résider sur son territoire» (42). Ainsi, bien que ni la CEDH ni la Charte ne garantissent comme un droit fondamental celui, pour un étranger, d’entrer ou de résider sur le territoire d’un pays déterminé, exclure une personne d’un pays où vivent ses parents proches peut constituer une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale, tel que protégé par ces actes (43).

48.      Cela étant précisé, il convient, tout d’abord, de relever qu’il découle d’une lecture a contrario de l’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86 que, dans le cas de personnes qui n’ont pas le statut de réfugié ou qui ne sont pas membres de la famille d’un réfugié (44), des mesures d’intégration peuvent être imposées aussi préalablement à l’entrée sur le territoire de l’État membre concerné. En l’espèce, aucun des époux Dogan n’ayant le statut de réfugié, les autorités allemandes étaient légitimées à imposer à Mme Dogan qu’elle se conforme, dans le respect du droit national, à des mesures d’intégration au titre de l’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86 avant son entrée sur le territoire allemand.

49.      Il convient ensuite de clarifier la portée exacte de la notion de «mesures d’intégration».

50.      À cet égard, je rappelle, à titre liminaire, que, dans l’arrêt Chakroun, la Cour a, d’une part, affirmé que, dans le système de la directive 2003/86, l’autorisation du regroupement est la «règle générale» et les dispositions qui permettent d’y apporter des limitations doivent être interprétées de manière stricte et, d’autre part, précisé que la marge de manœuvre reconnue aux États membres par de telles dispositions ne doit pas être utilisée par ceux-ci d’une manière qui porterait atteinte à l’objectif de la directive, qui est de favoriser le regroupement familial, et à l’effet utile de celle-ci (45). Ces critères herméneutiques, affirmés à l’égard de l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86, qui prévoit que les États membres peuvent subordonner le regroupement à la preuve que le regroupant dispose de ressources «stables, régulières et suffisantes», doivent également guider l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, de cette même directive et, en général, de toute restriction au droit au regroupement familial.

51.      Cela étant précisé, la notion de «mesures d’intégration» doit être considérée parallèlement à celle de «conditions d’intégration», qui ne se retrouve pas dans la directive 2003/86, mais qui était sans doute bien présente à l’esprit du législateur. En effet, dans la directive 2003/109/CE (46), contemporaine et relative à un domaine très proche de celui de la directive 2003/86, le Conseil de l’Union européenne a introduit une clause (l’actuel article 15, paragraphe 3), selon laquelle les États membres sont autorisés à exiger que les ressortissants de pays tiers satisfassent à des «mesures d’intégration» pour pouvoir exercer le droit à séjourner dans un État de l’Union autre que l’État dans lequel ils ont acquis le statut de résident de longue durée. Or, il résulte de l’examen des travaux préparatoires de la directive 2003/109 que, au sein du Conseil, certaines délégations nationales avaient proposé de remplacer, à l’article 15, le mot «mesures» par le mot «conditions»: toutefois, la majorité des États y étant opposés, le texte définitif a gardé l’expression «mesures d’intégration», c’est-à-dire la même formule qui se retrouve à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86 (47). En revanche, l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2003/109 permet aux États membres de subordonner l’acquisition du statut de résident de longue durée à des «conditions d’intégration», la satisfaction desquelles exclut la possibilité d’imposer, successivement, les «mesures d’intégration» prévues à l’article 15 (48).

52.      Les deux notions de «mesures» et de «conditions» d’intégration doivent donc être considérées comme bien distinctes, et certainement pas comme synonymes. Cette constatation ne suffit toutefois pas pour déterminer quelle est, concrètement, la différence entre les deux. Si ni la directive 2003/86 ni la directive 2003/109 ne donnent d’indications explicites à cet égard, il est cependant clair que les «mesures d’intégration» doivent être considérées moins lourdes par rapport aux «conditions d’intégration». Cela découle tant de l’analyse linguistique des deux expressions que du fait que, selon la directive 2003/109, comme je l’ai déjà exposé, le fait d’avoir dû satisfaire à des «conditions d’intégration», au sens de l’article 5, dispense automatiquement le résident de longue durée d’une éventuelle obligation de se soumettre à des «mesures d’intégration» sur la base de l’article 15.

53.      Dans le même sens milite une lecture systématique de l’article 7 de la directive 2003/86. Le paragraphe 1 de cet article énumère une série de conditions ayant trait à la situation du regroupant, auxquelles la personne qui a introduit la demande de regroupement familial peut être tenue de prouver qu’il est satisfait. En revanche, une telle preuve n’est pas requise s’agissant des mesures adoptées au titre du paragraphe 2 de cet article. Or, si le législateur avait eu l’intention de soumettre ces mesures au même régime que celui prévu au paragraphe 1, il n’aurait pas eu besoin d’insérer un nouveau paragraphe, mais il aurait pu simplement ajouter un point au paragraphe précédent. En d’autres termes, les mesures d’intégration visées au paragraphe 2 ne peuvent pas poursuivre le but de sélectionner les personnes qui pourront exercer leur droit au regroupement, car la sélection est le but des critères et des conditions prévus au paragraphe 1. Les mesures d’intégration du paragraphe 2, au contraire, doivent avoir essentiellement pour but de faciliter l’intégration dans les États membres.

54.      La notion de «mesures d’intégration» doit être également distinguée, et ne peut pas coïncider avec le «critère d’intégration» qui, au sens de l’article 4, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 2003/86, peut-être imposé, sous certaines conditions, si le regroupement est demandé pour un enfant âgé de plus de 12 ans. Même si la directive ne précise pas la portée de ce «critère», il semble clair que l’on est ici, encore une fois, en présence d’une notion qui évoque une idée de condition préalable qui doit être démontrée par l’intéressé, bien que de type différent par rapport à celles indiquées à l’article 7, paragraphe 1 (49).

55.      Dans ses observations devant la Cour, le Royaume des Pays-Bas fait valoir que la version néerlandaise de la directive 2003/86 utilise, à l’article 7, paragraphe 2, un mot («integratievoorwaarden») caractérisé par une nuance différente par rapport aux autres versions linguistiques, impliquant une idée de «condition» qui ne se retrouve pas, par exemple, dans les versions française, italienne («misure di integrazione»), allemande («Integrationsmaßnahmen») et anglaise («integration measures»). On retrouve cette même terminologie à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2003/109: toutefois, et cet élément me semble être décisif, dans les autres versions linguistiques de cette dernière disposition on ne parle pas de «mesures» («maatregelen»), mais de «conditions» (50). Autrement dit, la version néerlandaise de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86 ne coïncide pas parfaitement avec les autres, qui semblent plaider pour l’idée que les États peuvent «prendre des initiatives» pour l’intégration, plutôt qu’imposer des conditions, et semble être, dans une certaine mesure, isolée. En tout état de cause, même si l’on devait considérer la version néerlandaise de la directive comme compatible avec l’idée de l’imposition de «conditions» préalablement à l’entrée des ayants droit au regroupement, il découle d’une jurisprudence constante que la nature divergente d’une version linguistique spécifique d’une disposition de droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition, et que la version en question ne saurait non plus se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. En outre, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (51).

56.      Il ressort des considérations qui précèdent que les «mesures d’intégration» au titre de l’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86 ne peuvent pas s’ériger en «conditions» du regroupement familial. Cette conclusion n’implique cependant pas que ces mesures, lorsqu’elles sont destinées à s’appliquer avant l’entrée des personnes concernées sur le territoire de l’État membre intéressé, ne peuvent imposer que de simples «obligations de moyens». En effet, l’expression «mesures d’intégration» est suffisamment large pour englober aussi des «obligations de résultat», à condition toutefois qu’elles soient proportionnées à l’objectif d’intégration visé par l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86 (52) et que l’effet utile de celle-ci ne soit pas compromis.

57.      Selon la Cour, l’article 17 de la directive 2003/86, qui prévoit qu’en cas de rejet d’une demande de regroupement «les États membres prennent dûment en considération la nature et la solidité des liens familiaux de la personne et sa durée de résidence dans l’État membre, ainsi que l’existence d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec son pays d’origine», impose une «individualisation de l’examen des demandes de regroupement» (53). L’objectif essentiel d’un tel examen individuel est de préserver au maximum l’effet utile de la directive et d’éviter de porter atteinte à son objectif principal, qui est de permettre la réalisation du regroupement familial. Dès lors, la directive 2003/86 s’oppose, en ligne générale, à toute législation nationale qui permet de refuser l’exercice du droit au regroupement sur la base d’une série de conditions prédéterminées, sans possibilité d’une évaluation au cas par cas sur la base des circonstances concrètes de l’espèce.

58.      Cela étant, force est de constater que la directive 2003/86 ne règle pas de manière exhaustive le contenu de l’appréciation qui doit être effectuée lors de l’examen d’une demande de regroupement. Même si certains principes et éléments découlent sans doute de son texte et de ses objectifs, par exemple l’exigence de prendre dûment en considération l’«intérêt supérieur de l’enfant», énoncée à l’article 5, paragraphe 5, l’obligation de tenir compte des facteurs énumérés à l’article 17 et, plus en général, l’indication en faveur de la protection de la vie familiale, il revient finalement au juge national d’évaluer, sur la base de son droit, la légalité des décisions des autorités compétentes, à la lumière des règles et des principes du droit de l’Union (54).

59.      S’il appartient, en principe, au législateur national de déterminer les modalités concrètes permettant d’apprécier les éventuelles difficultés matérielles ou personnelles que la personne concernée pourrait rencontrer afin de satisfaire aux mesures d’intégration imposées (55), ce dernier doit toutefois veiller à ne pas porter atteinte à l’objectif et à l’effet utile de la directive 2003/86. Ne serait pas conforme à celle-ci une législation nationale qui exclurait toute prise en considération de telles difficultés ou qui ne permettrait pas de les apprécier au cas par cas au vu de l’ensemble des éléments pertinents. Ainsi, admettre la possibilité de subordonner l’entrée dans l’État membre concerné à la réussite d’un examen pour lequel il n’y aurait pas de possibilités concrètes de se préparer, par exemple en l’absence de toute forme de support ou d’enseignement organisés par cet État dans l’État de résidence de l’intéressé ou en cas d’indisponibilité du matériel ou de son inaccessibilité, notamment en termes de prix, équivaudrait en pratique à rendre impossible l’exercice du droit au regroupement prévu par la directive. De même, ne respecterait pas l’effet utile de celle-ci une législation qui ne permettrait pas de tenir compte des difficultés, mêmes temporaires, liées à l’état de santé du membre de la famille concerné ou à ses conditions individuelles, telles que l’âge, l’analphabétisme, le handicap et le niveau d’éducation.

60.      Si la législation allemande en cause au principal prévoit que puisse être exempté de l’obligation de prouver qu’il dispose d’une connaissance élémentaire de l’allemand le conjoint qui n’est pas en mesure d’apporter une telle preuve en raison d’une maladie ou d’une incapacité physique, mentale ou psychologique, en revanche cette législation ne prévoit pas la possibilité, afin de décider d’une telle exemption, de prendre en considération d’autres conditions individuelles du conjoint dans le cadre d’une appréciation effectuée à la lumière de l’ensemble des circonstances de chaque cas d’espèce, ni de tenir compte des facteurs énumérés à l’article 17 de la directive. En l’espèce, la possibilité concrète pour la requérante au principal de satisfaire aux conditions imposées par la loi allemande, du moins dans des délais raisonnables (56), semble très faible. En effet, il ressort du dossier que la démonstration du niveau requis de connaissance de la langue allemande nécessite obligatoirement l’alphabétisation préalable de Mme Dogan. Or, une situation avérée d’analphabétisme peut, compte tenu notamment de l’âge de la personne intéressée, de ses conditions économiques et du milieu social auquel elle appartient, constituer un obstacle difficilement surmontable. Subordonner l’autorisation au regroupement familial du conjoint à son alphabétisation préalable peut, dès lors, selon les circonstances, s’avérer disproportionné par rapport à l’objectif d’intégration poursuivi par les mesures adoptées au titre de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86 et mettre en échec l’effet utile de celle-ci.

61.      En conclusion, je suggère à la Cour de répondre à la seconde question préjudicielle que l’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86 s’oppose à la législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui subordonne la délivrance d’un visa à titre de regroupement familial au conjoint d’un ressortissant étranger qui remplit les conditions prévues à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive à la preuve que ledit conjoint dispose de connaissances élémentaires de la langue de cet État membre, sans prévoir la possibilité d’accorder des exemptions sur la base d’un examen individuel de la demande de regroupement conduit au titre de l’article 17 de ladite directive et effectué en tenant compte des intérêts des enfants mineurs et de l’ensemble des circonstances pertinentes du cas d’espèce. Parmi ces circonstances figurent, notamment, d’une part, la disponibilité, dans l’État de résidence dudit conjoint, des enseignements et du matériel nécessaires à acquérir le niveau de connaissances linguistiques requis ainsi que leur accessibilité, en particulier en terme de coûts, et, d’autre part, les éventuelles difficultés, mêmes temporaires, liées à son état de santé ou à sa situation personnelle, telles que l’âge, l’analphabétisme, le handicap et le niveau d’éducation.

IV – Conclusions

62.      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent je suggère à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par le Verwaltungsgericht Berlin:

«L’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) nº 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972, relatif aux mesures à prendre au cours de la phase transitoire de l’association créée par l’accord entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie, signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963, doit être interprété en ce sens que l’interdiction qui en découle, pour les États membres, d’introduire de nouvelles restrictions à la liberté d’établissement couvre également des mesures, telles que celle en cause au principal, qui ont été introduites postérieurement à l’entrée en vigueur, pour l’État membre concerné, dudit protocole, et qui ont pour objet ou pour effet de rendre plus difficile l’entrée sur le territoire de cet État membre à titre de regroupement familial du conjoint d’un ressortissant turc ayant fait usage de la liberté d’établissement au titre de l’accord d’association.

L’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, s’oppose à la législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui subordonne la délivrance d’un visa à titre de regroupement familial au conjoint d’un ressortissant étranger qui remplit les conditions prévues à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive à la preuve que ledit conjoint dispose de connaissances élémentaires de la langue de cet État membre, sans prévoir la possibilité d’accorder des exemptions sur la base d’un examen individuel de la demande de regroupement conduit au titre de l’article 17 de ladite directive et effectué en tenant compte des intérêts des enfants mineurs et de l’ensemble des circonstances pertinentes du cas d’espèce. Parmi ces circonstances figurent, notamment, d’une part, la disponibilité, dans l’État de résidence dudit conjoint, des enseignements et du matériel nécessaires à acquérir le niveau de connaissances linguistiques requis, ainsi que leur accessibilité, en particulier en terme de coûts, et, d’autre part, les éventuelles difficultés, mêmes temporaires, liées à son état de santé ou à sa situation personnelle, telles que l’âge, l’analphabétisme, le handicap et le niveau d’éducation.»


1 –      Langue originale: le français.


2 –      JO L 293, p. 1.


3 – JO 1964, 217, p. 3685.


4 – JO L 251, p. 12.


5 – BGBl. 2008 I, p. 162.


6 – BGBl. 2013 I, p. 86.


7 – BGBl. 2007 I, p. 1970.


8 – Voir arrêts Savas (C‑37/98, EU:C:2000:224, points 46, 47, 54 et 71); Abatay e.a. (C‑317/01 et C‑369/01, EU:C:2003:572, point 58); Tum et Dari (C‑16/05, EU:C:2007:530, point 46) et Dereci e.a. (C‑256/11, EU:C:2011:734, point 87).


9 – Voir arrêt Abatay e.a. (EU:C:2003:572, point 59).


10 – Voir arrêts Savas (EU:C:2000:224, points 64, 65 et 69); Abatay e.a. (EU:C:2003:572, points 62, 65 et 66); Soysal et Savatli (C‑228/06, EU:C:2009:101, point 47) et Dereci e.a. (EU:C:2011:734, point 88).


11 – Voir arrêt Tum et Dari (EU:C:2007:530, points 54 à 63).


12 – Voir arrêts Tum et Dari (EU:C:2007:530, point 55); Oguz (C‑186/10, EU:C:2011:509, point 28) et Dereci e.a. (EU:C:2011:734, point 89).


13 – Voir arrêts Abatay e.a. (EU:C:2003:572, point 68) et Tum et Dari (EU:C:2007:530, point 61).


14 – Aux termes de l’article 13 de la décision nº 1/80: «[l]es États membres de la Communauté et la Turquie ne peuvent introduire de nouvelles restrictions concernant les conditions d’accès à l’emploi des travailleurs et des membres de leur famille qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l’emploi».


15 – Arrêt Toprak et Oguz (C‑300/09 et C‑301/09, EU:C:2010:756).


16 – Voir arrêts Abatay e.a. (EU:C:2003:572, point 86) et Dereci e.a. (EU:C:2011:734, point 81).


17 – Voir arrêts Toprak et Oguz (EU:C:2010:756, point 54) et Dereci e.a. (EU:C:2011:734, point 94).


18 – Arrêts Sahin (C‑242/06, EU:C:2009:554, points 63 à 65) et Commission/Pays-Bas (C‑92/07, EU:C:2010:228, points 47 à 49).


19 – EU:C:2003:572, point 82.


20 – Il s’agissait, plus spécifiquement, du régime auquel était soumis, aux Pays-Bas, l’octroi de permis de séjour autonomes aux ressortissants étrangers entrés sur le territoire de cet État membre aux fins de regroupement familial. Le Royaume des Pays–Bas avait réintroduit la condition de résidence du ressortissant étranger auprès de son conjoint disposant d’un droit de séjour non temporaire pour une période de trois ans, qui avait été réduite à un an en 1983.


21 – Voir notamment points 41, 44, 62 et dispositif.


22 – Cet article prévoit que «les membres de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre qui ont été autorisés à le rejoindre ont le droit de répondre, sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, à toute offre d’emploi lorsqu’ils y résident régulièrement depuis trois ans au moins et y bénéficient du libre accès à toute activité salariée de leur choix lorsqu’ils y résident régulièrement depuis cinq ans au moins».


23 – Voir arrêts Kadiman (C‑351/95, EU:C:1997:205, point 36) et Ayaz (C‑275/02, EU:C:2004:570, point 41).


24 – C‑350/96, EU:C:1998:205. Dans cet arrêt, la Cour a affirmé le droit des employeurs d’invoquer l’article 48 CE, en soulignant que, pour être efficace et utile, le droit des travailleurs d’être engagés et occupés sans discrimination, au titre de cette disposition, doit nécessairement avoir comme complément le droit des employeurs de les engager dans le respect des règles en matière de libre circulation des travailleurs.


25 – Point 106 et dispositif. Voir, également, conclusions de l’avocat général Mischo (EU:C:2003:274, points 201 à 204) et arrêt Soysal et Savatli (EU:C:2009:101, points 45 et 46). La solution retenue par la Cour était justifiée par l’exigence de maintenir l’effet utile de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et d’éviter que des restrictions imposées, non pas directement aux prestataires de services turcs, mais aux salariés de ceux-ci ayant la même nationalité, auxquels était confiée la tâche d’effectuer la prestation sur le territoire de l’Union, puissent mettre en échec cette disposition, permettant le contournement de la clause de «standstill» qu’elle énonce.


26 – Voir en ce sens, en ce qui concerne l’article 12 de l’accord d’association, arrêts Bozkurt (C‑434/93, EU:C:1995:168, points 19 et 20); Nazli (C‑340/97, EU:C:2000:77, point 55) et Kurz (C‑188/00, EU:C:2002:694, point 30) et, pour l’article 14, arrêt Abatay e.a. (EU:C:2003:572, point 112).


27 – Arrêts Ziebell (C‑371/08, EU:C:2011:809) et Demirkan (C‑221/11, EU:C:2013:583). Voir, plus en détail, infra points 35 à 39.


28 – Voir, entre autres, arrêts CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:586, point 11 et jurisprudence citée) et Commission/France (C‑389/05, EU:C:2008:411, points 55 à 56).


29 – Voir article 1er, paragraphe 1, sous c) et d), des directives du Conseil 64/220/CEE, du 25 février 1964 (JO 1964, 56 p. 845), et 73/148/CEE, du 21 mai 1973 (JO L 172, p. 14), relatives à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des ressortissants des États membres à l’intérieur de la Communauté en matière d’établissement et de prestation de services, cette dernière abrogée par la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77). En ce qui concerne les travailleurs voir règlement (CEE) nº 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2), remplacé par le règlement (UE) nº 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO L 141, p. 1), qui a procédé à sa codification.


30 –      Voir arrêts di Leo (C‑308/89, EU:C:1990:400, point 13) et Baumbast et R (C‑413/99, EU:C:2002:493, point 50), dans lesquels la Cour a affirmé que «l’objectif du règlement nº 1612/68, à savoir la libre circulation des travailleurs, exige, pour que celle-ci soit assurée dans le respect de la liberté et de la dignité, des conditions optimales d’intégration de la famille du travailleur communautaire dans le milieu de l’État membre d’accueil».


31 – Dans son arrêt Carpenter (C‑60/00, EU:C:2002:434), la Cour a rappelé l’importance que le législateur de l’Union a reconnu à l’objectif d’assurer la protection de la vie familiale des ressortissants des États membres afin d’éliminer les obstacles à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité et a qualifié d’entrave à l’exercice de la libre prestation de services par M. Carpenter la mesure d’expulsion de son épouse, ressortissante de pays tiers, adoptée par les autorités de son État membre d’origine, en précisant que «la séparation des époux Carpenter nuirait à leur vie familiale et, partant, aux conditions de l’exercice d’une liberté fondamentale par M. Carpenter», puisque «cette liberté ne pourrait pas produire son plein effet si M. Carpenter était détourné de l’exercer par les obstacles mis, dans son pays d’origine, à l’entrée et au séjour de son conjoint» (point 39, c’est moi qui souligne). Si, dans son arrêt récent S et Minister voor Immigratie, Integratie en Asiel (C‑457/12, EU:C:2014:136), la Cour a interprété de manière restrictive les conditions d’application de l’arrêt Carpenter (points 41 à 44), le principe selon lequel l’exercice effectif des libertés prévues par le traité pourrait être entravé par des mesures touchant à l’intégrité de la vie familiale du travailleur migrant reste confirmé (point 40).


32 – Arrêt Tum et Dari (EU:C:2007:530, points 53 et 61).


33 – Voir, entre autres, arrêt Tum et Dari (EU:C:2007:530, points 53 et 61).


34 – Citée à la note 29.


35 – Voir points 64 et 69.


36 – Voir points 48, 49 et 53, c’est moi qui souligne.


37 – Voir point 55, c’est moi qui souligne.


38 – Voir point 43.


39 – C‑225/12, EU:C:2013:725, point 40 et dispositif.


40 – Cet article prévoit, en son paragraphe 1, que les dispositions du chapitre II, section I, de la décision nº 1/80 sont appliquées sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publiques.


41 – Arrêts Carpenter (EU:C:2002:434, point 42) et Akrich (C‑109/01, EU:C:2003:491, point 59).


42 – Arrêt Parlement/Conseil (C‑540/03, EU:C:2006:429, point 52).


43 – Arrêts Carpenter (EU:C:2002:434, point 42), Akrich (EU:C:2003:491, point 59) et Parlement/Conseil (EU:C:2006:429, point 53).


44 – Pour les réfugiés et les membres de leur famille, l’article 7, paragraphe 2, deuxième alinéa, prévoit que les mesures d’intégration ne peuvent s’appliquer qu’une fois que les personnes concernées ont bénéficié du regroupement familial.


45 – C‑578/08, EU:C:2010:117, point 43; voir également arrêt O. e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 74).


46 – Directive du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO L 16, p. 44).


47 – Voir, en particulier, note de la présidence du Conseil du 14 mars 2003, 7393/1/03 REV 1, p. 5. Les États qui avaient proposé d’utiliser l’expression «conditions d’intégration» étaient la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas et la République d’Autriche.


48 – Voir article 15, paragraphe 3, deuxième alinéa, de la directive 2003/109.


49 – En ce sens, voir arrêt Parlement/Conseil (EU:C:2006:429, points 66 à 76).


50 – Par exemple, les versions française, allemande («Integrationsanforderungen»), anglaise («integration conditions») et italienne («condizioni di integrazione»).


51 – Voir arrêts Cricket St Thomas (C‑372/88, EU:C:1990:140, point 18); Velvet & Steel Immobilien (C‑455/05, EU:C:2007:232, point 19) et Helmut Müller (C‑451/08, EU:C:2010:168, point 38).


52 – Voir rapport de la Commission au Parlement et au Conseil sur l’application de la directive 2003/86 [COM(2008) 610 final, point 4.3.4] et Livre vert relatif au droit au regroupement familial des ressortissants de pays tiers résidant dans l’Union européenne (directive 2003/86) [COM(2011) 735 final, point 2.1].


53 – Arrêt Chakroun (EU:C:2010:117, point 48), dans lequel la Cour a considéré non conforme à la directive 2003/86 une législation prévoyant un montant de revenu minimal au-dessous duquel tout regroupement familial est refusé, indépendamment d’un examen concret de la situation du demandeur.


54 – Voir en ce sens arrêt O. e.a. (EU:C:2012:776, point 80).


55 – Dans son Livre vert de 2011, la Commission décrit en termes problématiques la marge que la directive laisse aux États membres en ce qui concerne l’application de certaines de ses dispositions facultatives, en particulier en ce qui concerne les éventuelles mesures d’intégration (partie I).


56 – Selon les informations communiquées par la juridiction de renvoi, cela fait quatre ans que Mme Dogan essaie de rejoindre son mari en Allemagne.