Language of document : ECLI:EU:T:1999:146

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

9 juillet 1999 (1)

«Programme PHARE - Recours en indemnité - Conditions -

Principe de bonne administration - Évaluation du préjudice»

Dans l'affaire T-231/97,

New Europe Consulting Ltd , société de droit irlandais, établie à Dublin,

Michael P. Brown , gérant de New Europe Consulting Ltd, demeurant à Ballinasloe, County Galway (Irlande),

représentés par Mes Alberic De Roeck et Benjamin De Roeck, avocats au barreau d'Anvers, Lange Lozanastraat 2, Anvers (Belgique),

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme Marie-José Jonczy, conseiller juridique, et M. Maurits Lugard, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande tendant à la réparation du préjudice qu'aurait causé aux parties requérantes le comportement fautif adopté à leur égard par la Commission dans le cadre du programme PHARE,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. R. M. Moura Ramos, président, Mme V. Tiili et M. P. Mengozzi, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 11 mars 1999,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique et factuel du litige

    

1.
    Le programme PHARE, fondé sur le règlement (CEE) n° 3906/89 du Conseil, du 18 décembre 1989, relatif à l'aide économique en faveur de la république de Hongrie et de la république populaire de Pologne (JO L 375, p. 11), modifié, en vue de l'extension de l'aide économique à d'autres pays de l'Europe centrale et orientale, par les règlements (CEE) n° 2698/90 du Conseil, du 17 septembre 1990 (JO L 257, p. 1), n° 3800/91 du Conseil, du 23 décembre 1991 (JO L 357, p. 10), n° 2334/92 du Conseil, du 7 août 1992 (JO L 227, p. 1), n° 1764/93 du Conseil, du 30 juin 1993 (JO L 162, p. 1), n° 1366/95 du Conseil, du 12 juin 1995 (JO L 133, p. 1), n° 463/96 du Conseil, du 11 mars 1996 (JO L 65, p. 3), et n° 753/96 du Conseil, du 22 avril 1996 (JO L 103, p. 5), constitue le cadre dans lequel la Communauté européenne canalise l'aide économique aux pays de l'Europe centrale et orientale afin de mener les actions destinées à soutenir le processus de réforme économique et sociale en cours dans ces pays.

2.
    New Europe Consulting Ltd (ci-après «NEC» ou «société requérante»), a, depuis 1991, mis en oeuvre plusieurs projets de conseil en gestion dans le cadre du programme PHARE. Le second requérant, M. Brown, est le gérant de NEC.

3.
    En 1994, NEC a été choisie pour mettre en oeuvre un programme de formation de présidents de conseil d'administration en Hongrie (Board chairmen training programme).

4.
    Le 27 mars 1995, la Commission a reçu un rapport de M. Szopko, un fonctionnaire du gouvernement hongrois, et de Mme Ravanel, la coordinatrice du projet en Hongrie, faisant état de certaines difficultés rencontrées par NEC dans l'exécution financière générale de ce programme.

5.
    Le 12 avril 1995, le fonctionnaire de la Commission responsable dudit programme a adressé aux coordinateurs du programme en Pologne, en République tchèque, en Hongrie et en Roumanie une télécopie (ci-après «télécopie litigieuse») leur indiquant que «bien qu'elle présent[ait] des offres très intéressantes et fourniss[ait] des programmes de formation satisfaisants, NEC ne présent[ait] pas le niveau minimum de garantie financière permettant de la considérer comme un partenaire fiable». Il leur précisait que NEC avait, dans le cadre de l'exécution d'un contrat en Hongrie, «systématiquement omis de payer ses fournisseurs, contraignant de la sorte le personnel de la Commission sur place à faire continuellement face à des demandes justifiées au nom des autorités hongroises». La Commission ayant appris que NEC entendait proposer ses services à d'autres pays d'Europe orientale, il leur recommandait fortement de ne pas prendre en considération les offres émanant de cette société, afin d'éviter tout problème de nature à détériorer l'image du programme PHARE. Enfin, il leur demandait de transmettre son message à toute autre personne concernée par les activités de formation en gestion.

6.
    A compter de cette date, NEC n'a plus été choisie pour aucun des projets menés dans le cadre du programme PHARE, à l'exception d'un programme de restructuration d'entreprises et de développement du secteur privé en Roumanie (Entreprise restructuring and private sector development program), auquel elle a participé en tant que sous-traitant et sous l'égide de l'université de Dublin.

7.
    M. Brown, qui avait entre-temps pris connaissance de la télécopie litigieuse, après avoir sollicité à maintes reprises des rendez-vous auprès des services de la Commission et exigé qu'une enquête soit menée, a finalement rencontré, le 29 janvier 1996, le responsable des programmes horizontaux de la direction générale Relations extérieures: Europe et nouveaux États indépendants, politique étrangère et de sécurité commune, service extérieur de la Commission (DG IA). Ce dernier a, le 11 avril 1996, adressé une seconde télécopie (ci-après «télécopie de rectification») à toutes les délégations de l'Union européenne, dans laquelle il déclarait que, à la suite d'une enquête, aucun élément de preuve n'avait été découvert justifiant les termes sévères de la télécopie litigieuse qui, selon lui, revenait à placer la société requérante sur une «liste noire». Par conséquent, il souhaitait corriger l'opinion de la Commission sur NEC et recommandait la levée de toute éventuelle exclusion des listes abrégées. Il ajoutait qu'il eût été souhaitable que, «avant la signature d'un contrat [avec NEC] ou d'autres petites entreprises, les questions qui ont trait à la trésorerie disponible soient débattues lors de leur survenance et avant qu'elles ne deviennent préjudiciables au succès d'un projet déterminé».

8.
    S'estimant toujours injustement exclue des projets menés dans le cadre du programme, en dépit de la rectification ainsi opérée, NEC a de nouveau contacté la Commission. Cette dernière lui a, par télécopie du 16 avril 1997, répondu que, les difficultés de la société en Hongrie étant surmontées, elle n'avait aucune raison de l'exclure de ses programmes et qu'il n'existait aucune liste noire sur laquelle elle serait inscrite.

Procédure

9.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 août 1997, les parties requérantes ont introduit le présent recours en indemnité.

10.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, les parties ont été invitées à répondre par écrit à certaines questions et à produire certains documents avant l'audience.

11.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries lors de l'audience qui s'est déroulée le 11 mars 1999.

Conclusions des parties

12.
    Les parties requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer le recours recevable et fondé;

-    condamner la Commission à leur verser une indemnité d'un montant total de 4 100 000 euros, augmentée des intérêts compensatoires à compter du fait générateur des dommages, à savoir le 12 avril 1995, et des intérêts judiciaires à compter du prononcé du présent arrêt, dont:

    -    1 million d'euros en faveur de NEC pour le dommage matériel qu'elle a subi et 3 millions d'euros pour l'atteinte portée à sa renommée;

    -    100 000 euros en faveur de M. Brown pour le préjudice moral qu'il a subi;

-    condamner également la défenderesse à réhabiliter la société requérante, en adressant une lettre à tous les responsables concernés de la Commission et des unités de gestion du programme PHARE en Europe centrale et orientale reprenant le dispositif du présent arrêt;

-    condamner également la défenderesse aux entiers dépens.

13.
    La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme non fondé;

-    condamner les parties requérantes aux dépens.

Sur les conclusions en indemnité

Argumentation des parties

14.
    Les parties requérantes demandent que, conformément à l'article 215, deuxième alinéa, du traité CE (devenu article 288, deuxième alinéa, CE), régissant la responsabilité non contractuelle de la Communauté, celle-ci répare les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions.

15.
    Elles font valoir, en premier lieu, que, en adressant, le 12 avril 1995, la télécopie litigieuse à tous les responsables de la formation en gestion du programme PHARE, sur le fondement des seules allégations de Mme Ravanel, la Commission a violé plusieurs principes généraux du droit communautaire, dont, en particulier, le principe de proportionnalité. En outre, en envoyant ladite télécopie sans les informer des accusations portées contre elles ni procéder à des investigations approfondies, la Commission aurait violé leur droit d'être entendues et méconnu ses devoirs de vigilance et de mise en balance adéquate des intérêts concernés, et donc violé le principe de bonne administration.

16.
    La télécopie litigieuse aurait causé un dommage irrémédiable à la réputation commerciale de NEC, ainsi qu'à son activité et à ses résultats d'exploitation.

17.
    Ce préjudice aurait été directement causé par le comportement de la Commission, puisque, à partir de la diffusion de la télécopie litigieuse, les parties requérantes auraient été écartées de tous les projets PHARE pour lesquels elles auraient manifesté leur intérêt. L'existence d'un lien de causalité entre ce comportement illicite et le préjudice subi par les parties requérantes serait, en particulier, prouvé par la circonstance qu'elles n'ont, postérieurement à l'envoi de la télécopie litigieuse, été retenues pour un projet que lorsqu'elles ont présenté une offre sous l'égide de l'université de Dublin.

18.
    En deuxième lieu, la Commission aurait fait preuve d'un manque manifeste de diligence. En effet, bien qu'étant parfaitement consciente de l'erreur commise, elle aurait mis plus d'une année pour la rectifier.

19.
    En troisième lieu, la Commission aurait violé le principe de protection de la confiance légitime, dans la mesure où la rectification opérée n'a jamais été suivie d'effet. Nourrissant une confiance légitime dans les effets de cette rectification, elles auraient longuement attendu avant d'entreprendre des démarches juridiques, ce qui leur aurait causé un préjudice supplémentaire.

20.
    La partie défenderesse fait valoir qu'aucune des trois conditions d'application de l'article 215, deuxième alinéa, du traité n'est remplie en l'espèce.

21.
    En premier lieu, ni l'institution défenderesse ni aucun de ses fonctionnaires n'auraient adopté de comportement illégal. La Commission estime que, dans les circonstances de l'espèce, la télécopie litigieuse, se fondant sur une plainte écrite d'une importante autorité gouvernementale hongroise et du coordinateur responsable du projet, était pleinement justifié. Elle aurait, par conséquent, agi de manière responsable et en conformité avec la mission qui est la sienne dans le cadre du programme PHARE en arrêtant une mesure immédiate de nature à prévenir toute atteinte éventuelle à l'image du programme et à éviter des difficultés financières pour les autres projets en Europe centrale et orientale. D'autre part, comme elle se fiait aux affirmations du coordinateur du projet et du fonctionnaire du gouvernement hongrois, elle n'aurait eu aucune raison de mener sa propre enquête avant d'adresser la télécopie litigieuse.

22.
    En outre, ladite télécopie ne constituerait pas une mesure disproportionnée, puisque les doutes sur la gestion financière de NEC étaient suffisamment graves pour justifier un «avertissement» général.

23.
    La Commission fait, par ailleurs, valoir que, en l'espèce, aucune disposition de la réglementation applicable ni aucun principe de droit ne lui imposait l'obligation de consulter les parties requérantes. Ces dernières ne sauraient, partant, invoquer une violation de leur droit d'être entendues.

24.
    Enfin, elle soutient qu'elle ne saurait être tenue pour responsable, en tout état de cause, de la teneur de la lettre qui lui a été envoyée par une instance gouvernementale indépendante et par un coordinateur in loco du projet, lui aussi indépendant.

25.
    En deuxième lieu, les parties requérantes n'auraient subi aucun préjudice puisque, dans un système d'adjudications publiques tel que le programme PHARE, les entreprises ne sauraient être assurées de se voir attribuer un marché déterminé. Par conséquent, les parties requérantes ne pourraient demander réparation que pour des contrats spécifiques pour lesquels la procédure d'adjudication serait déjà bien avancée et qu'elles seraient certaines d'obtenir, ce qu'elles n'ont nullement prouvé.

26.
    En particulier, la circonstance que les parties requérantes aient été associées pendant deux années à la préparation d'un projet en République tchèque ne leur donnerait aucun droit d'obtenir ce marché. En l'occurrence, les offres afférentes à ce projet auraient fait l'objet d'une évaluation en conformité avec les règles applicables et celle d'une autre entreprise aurait été jugée plus conforme aux termes de référence.

27.
    En troisième lieu, l'existence d'un lien de causalité entre ses comportements et le prétendu préjudice subi par les parties requérantes ferait défaut. En effet, la circonstance qu'elles ne soient pas parvenues à obtenir des marchés résulterait soit de l'existence d'offres plus compétitives que les leurs, soit éventuellement des opinions émises à leur égard par des coordinateurs locaux des projets PHARE et prises en toute indépendance.

28.
    En tout état de cause, elle aurait retiré son «avertissement» le 11 avril 1996. Par conséquent, elle ne saurait être tenue pour responsable d'un préjudice éventuellement subi par les parties requérantes à compter de cette date.

Appréciation du Tribunal

29.
    Selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté est subordonné à la réunion d'un ensemble de conditions, à savoir l'illégalité du comportement reproché aux institutions communautaires, l'existence d'un préjudice réel et certain ainsi que l'existence d'un lien direct de causalité entre le comportement de l'institution concernée et le préjudice allégué (voir arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, Oleifici Italiani et Fratelli Rubino/Commission, T-54/96, Rec. p. II-3377, point 66).

Sur l'illégalité du comportement

30.
    Les parties requérantes dénoncent deux comportements distincts de la Commission, à savoir, d'une part, l'envoi de la télécopie litigieuse, intervenue sans qu'il ait été procédé à une enquête et sans qu'elles aient été entendues, et, d'autre part, le retard avec lequel est intervenu l'envoi d'une rectification.

31.
    Dans le cadre de leurs griefs dirigés contre l'envoi de la télécopie litigieuse, les parties requérantes invoquent, premièrement, le manque de diligence dont la Commission aurait, d'une manière générale, fait preuve, en ce que, d'une part, elle aurait omis d'ouvrir une enquête et, d'autre part, elle se serait abstenue de les entendre, et, deuxièmement, une violation du principe de proportionnalité, en ce que la Commission n'aurait pas dû réagir immédiatement au rapport reçu en adressant, sans le moindre contrôle, une télécopie d'avertissement aux coordinateurs du programme PHARE. Le Tribunal estime que, par ces griefs apparemment distincts, les parties requérantes dénoncent, en substance, un seul et même comportement, constitutif d'une violation du principe de bonne administration.

32.
    Les marchés financés par le programme PHARE doivent être considérés comme des marchés nationaux liant uniquement l'État bénéficiaire et l'opérateur économique (arrêt du Tribunal du 26 octobre 1995, Geotronics/Commission, T-185/94, Rec. p. II-2795, point 31; arrêt de la Cour du 22 avril 1997, Geotronics/Commission, C-395/95 P, Rec. p. I-2271, point 12).

33.
    En revanche, la responsabilité pour le financement des projets est confiée à la Commission. Il s'ensuit que l'hypothèse d'actes ou de comportements de la Commission, de ses services ou d'agents individuels, à l'occasion de l'attribution ou de l'exécution des projets financés au titre du programme PHARE, préjudiciables à des tiers ne saurait être exclue (arrêt du 26 octobre 1995, Geotronics/Commission, précité, point 39).

34.
    Dès lors, il y a lieu de vérifier si la Commission a, en l'espèce, commis une faute de nature à engager la responsabilité de la Communauté au sens de l'article 215, deuxième alinéa, du traité.

35.
    Il est constant que la Commission n'a pas enquêté sur les accusations contenues dans le rapport de M. Szopko et Mme Ravanel ni avant l'envoi de la télécopie litigieuse du 12 avril 1995 ni après ledit envoi et que la télécopie de rectification du 11 avril 1996 trouve son origine dans les investigations que M. Brown a lui-même sollicitées à maintes reprises auprès des services de la Commission, après avoir accidentellement découvert l'envoi de la télécopie litigieuse.

36.
    La Commission justifie son comportement par la circonstance que la plainte à l'origine de l'envoi de la télécopie litigieuse provenait d'une importante autorité gouvernementale hongroise et du coordinateur responsable du projet, dont elle ne pouvait mettre en cause la fiabilité. Pendant la procédure orale, la Commission a ajouté que l'ouverture d'une enquête au sujet de la plainte aurait compromis les rapports de coopération avec les autorités des pays tiers qui prennent part aux projets menés dans le cadre du programme PHARE.

37.
    Cet argument ne saurait être accueilli.

38.
    S'il est vrai que la collaboration étroite entre la Commission et les gouvernements des pays tiers dans la mise en oeuvre des actions menées dans le cadre du programme est prévue par le règlement (Euratom, CECA, CEE) n° 610/90 du Conseil, du 13 mars 1990, modifiant le règlement financier du 21 décembre 1977 applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 70, p. 1), et qu'elle est indispensable à la bonne réalisation desdites actions, elle ne saurait, toutefois, aller au-delà des limites posées par les obligations découlant du respect par l'institution du principe de bonne administration.

39.
    En particulier, le principe de bonne administration impose à la Commission d'opérer une mise en balance des intérêts en cause, et notamment ceux des particuliers. Dans le cas d'espèce, le respect de ce principe exigeait que la Commission menât une enquête sur les prétendues irrégularités commises par NEC et les effets que son comportement aurait pu avoir sur l'image de l'entreprise.

40.
    L'argument de la Commission, selon lequel la protection de l'image du programme PHARE l'obligeait à arrêter une mesure immédiate sans ordonner l'ouverture d'une enquête ne saurait pas plus être accueilli. A supposer même qu'une telle protection requière une mesure immédiate, la Commission aurait pu adresser aux coordinateurs du programme dans les autres pays une simple communication informative provisoire et procéder par la suite à des investigations. En effet, il ne fait aucun doute que la teneur de la télécopie litigieuse est particulièrement sévère à l'égard d'une entreprise à laquelle aucune mise en garde n'avait été adressée.

41.
    En outre, dans son arrêt du 19 mars 1997, Oliveira/Commission (T-73/95, Rec. p. II-381), le Tribunal a jugé que «l'obligation de la Commission de préparer une décision avec toute la diligence requise et de prendre sa décision sur la base de toutes les données pouvant avoir une incidence sur le résultat découle notamment du principe de bonne administration, du principe de légalité et de celui de l'égalité de traitement» (point 32). Le Tribunal considère que, même si le présent cas d'espèce est différent de celui en cause dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Oliveira/Commission, précité, le principe de bonne administration soumettait la Commission aux mêmes devoirs de vérification des données pouvant avoir une incidence sur le résultat, dans la mesure où la télécopie litigieuse reprochait aux parties requérantes des irrégularités graves et aurait pu emporter des conséquences économiques sérieuses à leur égard (voir également arrêt du Tribunal du 14 juillet 1997, Interhotel/Commission, T-81/95, Rec. p. II-1265, point 63).

42.
    Enfin, même s'il est vrai que la réglementation applicable ne reconnaît pas aux soumissionnaires le droit d'être entendus par la Commission avant que celle-ci n'entame les démarches propres à assurer une gestion économique des ressources destinées aux projets PHARE, il est de jurisprudence constante que le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental de droit communautaire, qui doit être assuré même en l'absence de toute réglementation concernant la procédure en cause. Ce principe exige que toute personne à l'encontre de laquelle une décision faisant grief peut être prise soit mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments retenus à sa charge par la Commission pour fonder sa décision (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 6 décembre 1994, Lisrestal e.a./Commission, T-450/93, Rec. p. II-1177, point 42, confirmé par arrêt de la Cour du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a., C-32/95 P, Rec. p. I-5373, point 21).

43.
    Or, force est de constater que, en l'espèce, la télécopie litigieuse visait explicitement les parties requérantes. Même s'il est vrai qu'il ne constitue pas formellement une décision dirigée contre les parties requérantes, il est évident que son contenu les concernait directement et leur reprochait des irrégularités dont la constatation aurait pu emporter des conséquences économiques graves à leur égard.

44.
    Il incombait donc à la Commission, pour assurer le respect du principe de bonne administration, d'ouvrir, après avoir envoyé une communication informative aux coordinateurs du programme PHARE, une enquête sur le contenu du rapport du représentant du gouvernement hongrois et du coordinateur responsable du projet en Hongrie, en invitant les parties requérantes à présenter leurs observations sur les faits allégués.

45.
    Il faut donc en conclure que la Commission a violé le principe de bonne administration en envoyant la télécopie litigieuse.

46.
    Les parties requérantes font également valoir, en substance, que le retard pris par la Commission pour rectifier la télécopie litigieuse constitue une violation du principe de bonne administration. Elles invoquent, à cet égard, l'arrêt du Tribunal du 15 mars 1995, Cobrecaf e.a./Commission (T-514/93, Rec. p. II-621), dans lequel il a considéré que la Commission avait commis une faute de service de nature à engager sa responsabilité non contractuelle en omettant de rectifier, dans un délai raisonnable, une erreur manifeste qu'elle avait reconnu avoir commise (point 70). Toutefois, dans cette dernière affaire, la Commission avait reconnu avoir commis une erreur et ne l'avait formellement rectifiée que quinze mois après sa découverte, alors que, dans la présente affaire, la Commission est immédiatement revenue sur son opinion après avoir constaté qu'il n'y avait aucune raison de douter de la bonne situation financière de NEC. Il s'ensuit que, si la Commission s'est rendue coupable d'un manque manifeste de diligence en n'ordonnant pas l'ouverture d'une enquête dès réception du rapport à l'origine de la télécopie litigieuse, la circonstance qu'elle n'ait procédé à la rectification de ladite télécopie qu'une année après son envoi ne saurait encourir le même reproche, dès lors qu'elle est intervenue immédiatement après avoir reconnu son erreur.

47.
    Il faut donc en conclure que la Commission n'a pas méconnu les obligations découlant du principe de bonne administration en ne rectifiant la télécopie litigieuse qu'une année après son envoi.

48.
    En outre, les parties requérantes font valoir que ladite rectification, en ce qu'elle n'aurait «jamais été suivie d'effet», constitue une violation du principe de protection de la confiance légitime.

49.
    Il est de jurisprudence constante que la possibilité de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime est ouverte à tout opérateur économique dans le chef duquel une institution a fait naître des espérances fondées (arrêt du Tribunal du 13 juillet 1995, O'Dwyer e.a./Conseil, T-466/93, T-469/93, T-473/93, T-474/93 et T-477/93, Rec. p. II-2071, point 48). Il est évident que l'«effet» espéré de la rectification apportée par la Commission ne pouvait consister en l'obtention d'un marché dans le cadre du programme PHARE, dès lors que l'adjudication des marchés intervient au terme d'une appréciation comparative des offres par l'État bénéficiaire et qu'aucun soumissionnaire ne dispose du droit de se voir automatiquement attribuer des marchés. Il s'ensuit que les parties requérantes ne sauraient invoquer une violation du principe de protection de la confiance légitime et que leur argument doit être rejeté comme manifestement non fondé.

Sur l'existence d'un préjudice réel et certain

50.
    Bien que les parties requérantes affirment que le préjudice subi par NEC est constitué de trois éléments, à savoir la perte subie, le manque à gagner et l'atteinte portée à son image, en réalité, dans le cadre de l'évaluation dudit préjudice, elles se bornent à invoquer la circonstance que NEC aurait pu obtenir des marchés si la Commission n'avait pas adopté le comportement illégal dénoncé, et donc l'existence d'un manque à gagner, ainsi que l'atteinte portée à sa réputation. En effet, lorsqu'elles font référence au marché de 800 000 euros que NEC aurait dû obtenir en République tchèque à une date proche de celle à laquelle la télécopie litigieuse a été envoyée, elles indiquent clairement qu'il s'agissait d'un marché qu'elles estimaient avoir de grandes chances d'obtenir mais pour lequel elles n'avaient pas encore introduit d'offre. Il s'ensuit que le Tribunal doit se prononcer exclusivement sur le manque à gagner subi par NEC et sur l'atteinte portée à son image.

51.
    En ce qui concerne le préjudice résultant du manque à gagner, il suffit de constater qu'il présuppose que la société requérante avait droit à l'attribution des marchés des projets PHARE pour lesquels elle manifestait son intérêt. A cet égard, il y a lieu de souligner que, dans un système d'adjudications publiques tel que PHARE, l'adjudicateur dispose d'un pouvoir d'appréciation important dans la prise d'une décision d'attribuer un marché. Par conséquent, le soumissionnaire n'est pas assuré d'obtenir le marché même s'il est proposé par le comité d'évaluation (arrêt du Tribunal du 29 octobre 1998, TEAM/Commission, T-13/96, Rec. p. II-4073, point 76). A plus forte raison, le soumissionnaire n'est pas assuré d'obtenir le marché du seul fait d'avoir introduit son offre, ou même du seul fait d'avoir manifesté un quelconque intérêt. En outre, les parties requérantes n'ont pas démontré avoir été écartées d'un marché quelconque même si elles étaient, comme elles le prétendent, le soumissionnaire répondant le mieux aux termes de référence.

52.
    Il en résulte que, dans le cas d'espèce, le préjudice résultant du manque à gagner invoqué par les parties requérantes n'est ni réel ni certain.

53.
    En ce qui concerne le préjudice résultant de l'atteinte portée à l'image de NEC, il ne fait aucun doute qu'une télécopie litigieuse de la teneur de celle du 12 avril 1995 peut, en soi, porter sérieusement atteinte à l'image de la société, qui avait clairement étendu ses activités dans le cadre du programme PHARE au fil des années qui précédaient l'envoi de la télécopie litigieuse, en se forgeant ainsi une réputation. A cet égard, il convient d'observer que NEC a été constituée exclusivement aux fins d'exécuter des projets PHARE. Il s'ensuit que la Commission, en affirmant qu'elle n'était plus en mesure de satisfaire les conditions de fiabilité financière requises pour faire partie du programme, a porté atteinte d'autant plus gravement à son image que la totalité de ses activités s'en est trouvée affectée.

54.
    Compte tenu des circonstances de l'espèce, il y a également lieu de reconnaître l'existence du préjudice moral subi par M. Brown. D'une part, il est constant que M. Brown, en sa qualité de gérant de NEC, a essayé à maintes reprises de rétablir la réputation de la société face aux coordinateurs du programme PHARE et de la Commission elle-même, sans obtenir aucun éclaircissement de la part de cette dernière jusqu'au 29 janvier 1996, date de sa rencontre avec le responsable des programmes horizontaux de la DG IA. Dans ces conditions, la Commission l'a placé dans une situation d'incertitude et l'a contraint à des efforts inutiles en vue de modifier la situation créée par la Commission elle-même (voir arrêt du Tribunal du 17 décembre 1998, Embassy Limousines & Services/Parlement, T-203/96, Rec. p. II-4239, point 108).

55.
    D'autre part, étant donné que M. Brown possède 99 % des actions de NEC, l'atteinte portée à la réputation de la société a nécessairement également eu des répercussions graves sur sa réputation. A cet égard, il importe de souligner que, dans un premier temps, NEC avait été enregistrée comme firme individuelle, sous laquelle M. Brown exécutait les projets PHARE. La réputation du second requérant est par conséquent étroitement liée à celle de NEC.

56.
    Il s'ensuit que la télécopie litigieuse a également porté atteinte à la réputation de M. Brown.

Sur le lien de causalité

57.
    Il y a lieu de rappeler, à titre préliminaire, que, selon une jurisprudence constante, il appartient aux parties requérantes d'apporter la preuve de l'existence d'un lien de cause à effet entre la faute commise par l'institution et le préjudice invoqué (voir arrêt de la Cour du 30 janvier 1992, Finsider e.a./Commission, C-363/88 et C-364/88, Rec. p. I-359, point 25).

58.
    Les parties requérantes font valoir que le fait de n'avoir plus obtenu de marchés ne peut procéder que d'une erreur d'appréciation de la fiabilité financière de NEC.

59.
    Force est de constater que la teneur de la télécopie litigieuse ne pouvait aboutir à un résultat autre que celui d'affaiblir la réputation de la société aux yeux des coordinateurs du programme PHARE. Les répercussions sur l'image de NEC parmi les coordinateurs dudit programme sont, en effet, une conséquence inéluctable et immédiate d'une communication d'une telle teneur [voir ordonnance du président du Tribunal du 10 février 1999, Willeme/Commission, T-211/98 R, RecFP p. II-57, point 42, confirmée par ordonnance du président de la Cour du 25 mars 1999, Willeme/Commission, C-65/99 P(R), Rec. p. I-1857, point 60].

60.
    Il découle également de ce qui précède que c'est le comportement de la Commission qui a causé un préjudice à la réputation de M. Brown.

61.
    Il s'ensuit que le lien de causalité entre le préjudice subi par les parties requérantes et le comportement de la Commission est établi.

Sur le montant du dommage

Argumentation des parties

62.
    Dans leur requête, les parties requérantes estiment que le préjudice subi par la société requérante peut être évalué à 1 300 000 euros, soit:

-    1 million d'euros, au titre des marchés qu'elle aurait pu obtenir entre le 12 avril 1995, date de l'envoi de la télécopie litigieuse et la date d'introduction du présent recours. Les parties requérantes expliquent, à cet égard, que cette estimation du préjudice subi par la société a été établie sur la base des marchés qu'elle avait obtenus avant cette première date et du marché de 800 000 euros qu'elle était certaine d'obtenir en République tchèque, y compris les intérêts;

-    300 000 euros, au titre de l'atteinte portée à sa réputation.

63.
    Le second requérant demande, quant à lui, 100 000 euros en réparation du dommage moral subi.

64.
    Dans leur réplique, les parties requérantes, outre qu'elles confirment l'évaluation du dommage moral subi par le second requérant, réclament le paiement de 4 millions d'euros de dommages et intérêts à la société requérante, en considération de la longue période qui s'est écoulée entre la date de l'envoi de la télécopie litigieuse, le 12 avril 1995, et la date de l'introduction du présent recours, le 5 août 1997, et de la circonstance que la rectification opérée par la Commission est restée inefficace. Elles exposent, à cet égard, que le préjudice subi par NEC s'est aggravé, sa perte de chiffre d'affaires, au cours de ces années, se montant à 3 millions d'euros. A titre subsidiaire, les parties requérantes demandent qu'un collège d'experts soit désigné pour évaluer le préjudice subi.

65.
    La partie défenderesse fait valoir qu'une estimation du chiffre d'affaires que NEC aurait pu dégager grâce aux marchés du programme PHARE, sur la base des chiffres d'affaires réalisés dans le passé, est dénuée de pertinence en l'espèce et que le seul élément concret serait la perte du contrat en République tchèque, d'une valeur totale de 800 000 euros.

66.
    Cependant, comme la valeur d'un contrat couvre non seulement les bénéfices mais également les coûts afférents au projet, ainsi que d'autres frais et des honoraires, la perte finale qu'aurait subi NEC serait, toutefois, inférieure à l'estimation de cette dernière.

67.
    Enfin, dans sa duplique, la Commission conteste la pertinence des considérations des parties requérantes les conduisant à augmenter le montant des dommages et intérêts demandés en faveur de la société requérante à 4 millions d'euros, étant donné que tout événement se produisant après la date de retrait par la Commission de son «avertissement» ne pourrait en aucune manière et en tout état de cause être imputé à la Commission.

Appréciation du Tribunal

68.
    En l'espèce, il a été établi que l'atteinte portée par la Commission à l'image et à la réputation des parties requérantes, constitutive d'une faute, est de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté. En revanche, il a été établi que les parties requérantes ne sont pas fondées à exiger une compensation du préjudice patrimonial découlant du manque à gagner, qu'il soit antérieur ou postérieur à la date de l'envoi de la télécopie de rectification, à savoir le 11 avril 1996.

69.
    Le Tribunal estime, par ailleurs, qu'il n'est, compte tenu des circonstances de l'espèce, pas nécessaire de désigner un collège d'experts pour évaluer le préjudice non patrimonial subi par les parties requérantes, résultant de l'atteinte portée à leur image et à leur réputation, et que le versement d'un montant de 100 000 euros à la société requérante et d'un montant de 25 000 euros au second requérant représente un dédommagement équitable.

70.
    Selon une jurisprudence constante, le montant de l'indemnité due doit être assorti d'intérêts moratoires à compter de la date du prononcé de l'arrêt constatant l'obligation de réparer le préjudice (arrêt de la Cour du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, C-104/89 et C-37/90, Rec. p. I-3061, point 35).

71.
    Comme les conclusions du recours n'indiquent aucun taux, il convient d'appliquer le taux annuel de 4,5 %, à compter de la date du présent arrêt et jusqu'au paiement effectif.

Sur la demande de réhabilitation

72.
    Les parties requérantes concluent également à ce qu'il plaise au Tribunal condamner la partie défenderesse à réhabiliter la société requérante en adressant une lettre à tous les responsables concernés de la Commission et des unités de gestion du programme PHARE en Europe centrale et orientale, reprenant le dispositif du présent arrêt du Tribunal.

73.
    En l'espèce, il est constant que la Commission a envoyé une télécopie de rectification à toutes les délégations de l'Union européenne le 11 avril 1996. Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de se prononcer sur cette demande des parties requérantes.

Sur les dépens

74.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie défenderesse ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens et ceux exposés par les parties requérantes, conformément aux conclusions en ce sens de celles-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)    La partie défenderesse est condamnée à payer à la société New Europe Consulting Ltd une indemnité de 100 000 euros et à M. Michael P. Brown une indemnité de 25 000 euros.

2)    Ces sommes seront productives d'intérêts moratoires au taux annuel de 4,5 % à compter de la date du présent arrêt, jusqu'au paiement effectif.

3)    La partie défenderesse supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par les parties requérantes.

Moura Ramos                Tiili                Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juillet 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

R. M. Moura Ramos


1:     Langue de procédure : le néerlandais

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