Language of document : ECLI:EU:T:2015:113

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

26 février 2015 (*)

« FEOGA – Section ‘Garantie’ – FEAGA et Feader – Dépenses exclues du financement – Mesures de développement rural – ‘Handicaps naturels’ et agroenvironnement – Adéquation des contrôles – Corrections financières forfaitaires – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑365/13,

République de Lituanie, représentée par M. D. Kriaučiūnas, Mmes R. Krasuckaitė et A. Petrauskaitė, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme A. Steiblytė et M. G. von Rintelen, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision d’exécution 2013/214/UE de la Commission, du 2 mai 2013, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Garantie », du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO L 123, p. 11),

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. M. van der Woude (rapporteur), président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. I. Ulloa Rubio, juges,

greffier : Mme C. Heeren, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 septembre 2014,

rend le présent

Arrêt (1)

 Antécédents du litige

1        Par décision d’exécution 2013/214/UE, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Garantie », du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO L 123, p. 11, ci-après la « décision attaquée »), la Commission européenne a, parmi les dépenses écartées du financement communautaire, exclu certaines dépenses effectuées par la République de Lituanie, déclarées au titre des exercices 2008 et 2009. Les dépenses exclues se rapportaient à des mesures de soutien du Feader, relevant de l’axe 2 du programme de développement rural de la Lituanie, pour 2007-2013 (ci‑après le « programme »), approuvé par la décision C (2007) 5076 de la Commission, du 19 octobre 2007, modifiée en dernier lieu par la décision C (2009) 10216 de la Commission, du 14 décembre 2009.

2        La décision attaquée a été adoptée à la suite d’une enquête effectuée en Lituanie, du 21 au 25 septembre 2009, dans le cadre de l’apurement des comptes du Feader, afin de vérifier si le système de gestion de l’axe 2 du programme était conforme à la réglementation de l’Union européenne.

3        Le rapport d’audit établi à la suite de cette enquête a été communiqué à la République de Lituanie par lettre du 10 décembre 2009. La réponse des autorités lituaniennes a été reçue par la Commission le 1er février 2010.

4        La Commission a convoqué une réunion bilatérale, qui s’est tenue le 21 octobre 2010. Au cours de cette réunion, les représentants de la République de Lituanie et de la Commission ont discuté des résultats de l’audit. Le procès-verbal de ladite réunion a été envoyé aux autorités lituaniennes le 13 décembre 2010.

5        Par lettre du 10 novembre 2011, la Commission a communiqué à la République de Lituanie ses constatations consécutives à l’enquête, conformément à l’article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) no 885/2006 de la Commission, du 21 juin 2006, portant modalités d’application du règlement (CE) no 1290/2005 du Conseil en ce qui concerne l’agrément des organismes payeurs et autres entités ainsi que l’apurement des comptes du FEAGA et du Feader (JO L 171, p. 90). Dans cette lettre, la Commission proposait d’appliquer, en ce qui concerne les dépenses correspondant aux demandes déposées en 2008 et en 2009, une correction forfaitaire de 5 % à la mesure agroenvironnementale (mesure no 214) et de 2 % à la mesure d’aide en faveur des agriculteurs situés dans des zones présentant des handicaps naturels autres que ceux des zones de montagne (mesure no 212) (ci‑après la « mesure relative aux handicaps naturels »).

6        Par lettre du 22 décembre 2011, les autorités lituaniennes ont saisi l’organe de conciliation de cette proposition de correction financière, conformément à l’article 16 du règlement no 885/2006. Le 30 mars 2012, l’organe de conciliation a rendu son rapport final. La Commission a partiellement tenu compte des conclusions de ce rapport.

7        Par lettre du 23 novembre 2012, la Commission a modifié sa position finale.

8        La décision attaquée a été transmise à la République de Lituanie le 3 mai 2013, accompagnée d’un rapport de synthèse exposant les motifs de la correction financière. Par ladite décision, une correction financière de 3 448 510 euros a été imposée au titre des années 2008 et 2009 de dépôt des demandes, en ce qui concerne les mesures nos 1 et 9 de l’axe 2 du programme.

9        En substance, la Commission justifiait l’imposition d’une correction financière par les motifs suivants :

–        le respect du critère d’admissibilité relatif à la densité des animaux n’a pas été respecté, en ce qui concerne la mesure relative aux handicaps naturels ;

–        les engagements relatifs à la mesure agroenvironnementale n’ont pas été vérifiés dans 100 % des parcelles agricoles ;

–        le contrôle de l’engagement relatif à l’utilisation des engrais n’était pas suffisant, car la vérification était seulement visuelle.

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 juillet 2013, la République de Lituanie a introduit le présent recours.

11      La République de Lituanie conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en ce qu’elle écarte du financement communautaire certaines dépenses qu’elle a effectuées au titre du Feader ;

–        condamner la Commission aux dépens.

12      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la République de Lituanie aux dépens.

 En droit

13      À l’appui de son recours, la République de Lituanie invoque cinq moyens. Les deux premiers moyens se rapportent à la mesure relative aux handicaps naturels. Le premier moyen est tiré de la violation des articles 10 et 15 du règlement (CE) no 1975/2006 de la Commission, du 7 décembre 2006, portant modalités d’application du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil en ce qui concerne l’application de procédures de contrôle et de conditionnalité pour les mesures de soutien au développement rural (JO L 368, p. 74), et de l’article 48 du règlement (CE) no 1974/2006 de la Commission, du 15 décembre 2006, portant modalités d’application du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil concernant le soutien au développement rural par le Feader (JO L 368, p. 15). Le deuxième moyen est tiré de la violation de l’article 31, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1290/2005 du Conseil, du 21 juin 2005, relatif au financement de la politique agricole commune (JO L 209, p. 1), et du principe de proportionnalité.

14      Les autres moyens se rapportent à la mesure agroenvironnementale. Le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1975/2006, de l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 et de l’article 29 du règlement (CE) no 796/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, portant modalités d’application de la conditionnalité de la modulation et du système intégré de gestion et de contrôle prévus par les règlements (CE) no 1782/2003 et (CE) no 73/2009 du Conseil, ainsi que de la conditionnalité prévue par le règlement (CE) no 479/2008 du Conseil (JO L 141, p. 18), concerne le contrôle des engagements dans l’ensemble des parcelles. Les quatrième et cinquième moyens, tirés, d’une part, de la violation de l’article 10 du règlement no 1975/2006 et, d’autre part, de la violation de l’article 31, paragraphe 2, du règlement no 1290/2005 ainsi que du principe de proportionnalité, concernent la vérification des engagements en matière d’utilisation d’engrais.

[omissis]

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’article 31, paragraphe 2, du règlement no 1290/2005, ainsi que du principe de proportionnalité

108    La République de Lituanie conteste l’imposition d’une correction financière de 5 % pour les mesures agroenvironnementales concernées par le critère relatif à l’utilisation des engrais, fondée sur la constatation de la Commission, selon laquelle les contrôles visuels réalisés étaient insuffisants. Elle soutient que la correction financière de 5 % est disproportionnée au regard de l’infraction alléguée et dépasse ce qui est approprié et nécessaire pour protéger les intérêts financiers de l’Union.

109    La République de Lituanie relève que, dans son rapport, l’organe de conciliation a douté du bien-fondé de la correction financière de 5 %. En effet, les contrôles effectués rétroactivement auraient montré qu’il n’existait pas une seule infraction, de sorte que l’infraction alléguée a créé un risque limité pour le Feader (voir point 96 ci-dessus).

110    Il convient de rappeler que, selon l’article 31, paragraphe 2, du règlement no 1290/2005, la Commission évalue les montants à écarter du financement communautaire, en tenant compte, d’une part, de la nature et de la gravité de l’infraction et, d’autre part, du préjudice financier causé à l’Union.

111    À cet égard, le document no VI/5330/97 prévoit une correction de 5 % lorsque tous les contrôles clés sont effectués, mais sans respecter le nombre, la fréquence ou la rigueur préconisés par les règlements, et qu’il peut donc raisonnablement être conclu que ces contrôles n’offrent pas le niveau attendu de garantie de régularité des demandes et que le risque de pertes pour le budget de l’Union est significatif (voir point 55 ci-dessus).

112    En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, de la nature et de la gravité de l’infraction, la Commission soutient à bon droit que, si les contrôles du critère relatif à l’utilisation des engrais ne sont que visuels, cette carence doit être considérée comme un défaut affectant un élément essentiel du contrôle, ce qui peut en principe justifier une correction forfaitaire de 5 %, conformément au document no VI/5330/97 (voir point 111 ci-dessus).

113    De plus, comme le relève la Commission, cette correction forfaitaire n’a été appliquée qu’aux mesures concernées par le critère relatif à l’utilisation des engrais. Cela ressort du rapport de synthèse et n’est pas contesté par la requérante.

114    Toutefois, s’agissant, en second lieu, de l’importance du risque financier représenté par la carence de contrôle des mesures concernées par le critère relatif à l’utilisation des engrais, il convient de vérifier si la Commission a pu considérer à bon droit que cette carence représentait un risque de pertes significatif pour le budget de l’Union, conformément au document no VI/5330/97 (voir point 111 ci‑dessus).

115    Selon la jurisprudence, s’il appartient à la Commission de prouver l’existence d’une violation des règles de l’Union, une fois cette violation établie, il revient à l’État membre de démontrer, le cas échéant, que la Commission a commis une erreur quant aux conséquences financières à en tirer (arrêt du 7 juillet 2005, Grèce/Commission, C‑5/03, Rec, EU:C:2005:426, point 38).

116    En l’espèce, la République de Lituanie, invitée par écrit par le Tribunal à préciser, lors de l’audience, la nature des contrôles plus exhaustifs effectués ex post, afin de vérifier la fiabilité des contrôles visuels réalisés en 2008 et en 2009, a expliqué que, à la suite des recommandations formulées dans le rapport d’audit communiqué aux autorités lituaniennes le 10 décembre 2009, des contrôles ex post avaient été réalisés conformément aux méthodes préconisées par la Commission, en vérifiant notamment les factures et la comptabilité de 10 % des agriculteurs concernés.

117    La Commission n’a pas contesté que les méthodes employées lors des contrôles ex post étaient conformes à ses recommandations. Elle a fait valoir que ces contrôles ne supprimaient pas la carence initiale.

118    Dans la mesure où ces contrôles ex post, fondés sur une combinaison de méthodes, et réalisés sur 10 % de l’échantillon, n’ont conduit à la constatation d’aucune infraction sur les 215 demandeurs ainsi contrôlés (voir point 109 ci‑dessus), il y a lieu de considérer que la République de Lituanie a démontré à suffisance de droit que, en pratique, l’absence de contrôles transversaux conformes à la réglementation de l’Union n’avait entraîné qu’un risque financier faible pour le budget de l’Union. Or, selon les dispositions du document no VI/5330/97 (voir point 55 ci-dessus), ce risque ne justifiait pas l’application d’une correction financière de 5 % en ce qui concernait les mesures concernées, laquelle est uniquement prévue lorsque le risque de pertes pour le budget de l’Union est significatif.

119    Partant, l’imposition d’une correction financière de 5 % en ce qui concerne les mesures agroenvironnementales liées au critère relatif à l’utilisation des engrais, est contraire à l’article 31, paragraphe 2, du règlement no 1290/2005 et au principe de proportionnalité.

120    Il y a, dès lors, lieu de constater que le cinquième moyen est fondé. Le recours doit être rejeté en ce qu’il se fonde sur les quatre autres moyens.

121    Il s’ensuit que la décision attaquée doit être annulée, pour autant qu’elle impose une correction financière de 5 % en ce qui concerne les mesures agroenvironnementales liées au critère relatif à l’utilisation des engrais.

 Sur les dépens

122    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.

123    En l’espèce, il convient de condamner chacune des parties à supporter ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision d’exécution 2013/214/UE de la Commission, du 2 mai 2013, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Garantie », du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) est annulée, pour autant qu’elle impose une correction financière de 5 % en ce qui concerne les mesures agroenvironnementales liées au critère relatif à l’utilisation des engrais.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La République de Lituanie et la Commission européenne supporteront leurs propres dépens.

Van der Woude

Wiszniewska-Białecka

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 février 2015.

Signatures


* Langue de procédure : le lituanien.


1      Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.