Language of document : ECLI:EU:T:2019:307

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

8 mai 2019 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire – Gel des fonds – Responsabilité non contractuelle – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers »

Dans l’affaire T‑434/15,

Islamic Republic of Iran Shipping Lines, établie à Téhéran (Iran), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe, représentées par Mme M. Taher, solicitor, M. M. Malek, QC, et M. R. Blakeley, barrister,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bishop et Mme H. Marcos Fraile, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 268 et 340 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice que les requérantes auraient prétendument subi du fait de l’inscription de leurs noms sur les listes figurant à l’annexe II de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO 2010, L 195, p. 39), à l’annexe du règlement d’exécution (UE) no 668/2010 du Conseil, du 26 juillet 2010, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) no 423/2007 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2010, L 195, p. 25), à l’annexe de la décision 2010/644/PESC du Conseil, du 25 octobre 2010, modifiant la décision 2010/413 (JO 2010, L 281, p. 81), à l’annexe VIII du règlement (UE) no 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (CE) no 423/2007 (JO 2010, L 281, p. 1), et à l’annexe IX du règlement (UE) no 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement no 961/2010 (JO 2012, L 88, p. 1),

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de MM. M. Prek, président, F. Schalin (rapporteur) et Mme M. J. Costeira, juges,

greffier : Mme S. Buksek-Tomac, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 23 janvier 2019,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives instaurées en vue de faire pression sur la République islamique d’Iran afin que cette dernière mette fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires (ci-après la « prolifération nucléaire »).

2        Le 26 juillet 2010, les requérantes, Islamic Republic of Iran Shipping Lines (ci-après les « IRISL ») ainsi que les six sociétés dont les noms figurent en annexe, ont été inscrites sur la liste des entités concourant à la prolifération nucléaire qui figure à l’annexe II de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO 2010, L 195, p. 39).

3        Par voie de conséquence, les requérantes ont été inscrites sur la liste de l’annexe V du règlement (CE) no 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2007, L 103, p. 1), par le règlement d’exécution (UE) no 668/2010 du Conseil, du 26 juillet 2010, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007 (JO 2010, L 195, p. 25). Cette inscription a eu pour conséquence le gel des fonds et des ressources économiques des requérantes.

4        Tant dans la décision 2010/413 que dans le règlement d’exécution no 668/2010, le Conseil de l’Union européenne a retenu les motifs suivants s’agissant des IRISL :

« [Les] IRISL [ont] participé au transport de marchandises de nature militaire, y compris de cargaisons interdites en provenance d’Iran. Trois incidents de ce type constituant des infractions manifestes ont été rapportés au comité des sanctions du [Conseil de sécurité des Nations unies]. Les liens de[s] IRISL avec des activités présentant un risque de prolifération étaient tels que le [Conseil de sécurité des Nations unies] a demandé aux États d’inspecter les navires de[s] IRISL, pour autant qu’il existe des motifs raisonnables permettant de penser que les navires transportent des biens interdits au titre des résolutions 1803 et 1929 du [Conseil de sécurité des Nations unies]. »

5        Les six requérantes dont les noms figurent en annexe ont fait l’objet d’une inscription sur les listes en cause aux motifs, en substance, qu’elles étaient détenues par les IRISL, agissaient pour le compte de ces dernières ou, pour l’une d’entre elles, était leur agent. En outre, selon la motivation de la décision 2010/413 et du règlement d’exécution no 668/2010, les Khazar Sea Shipping Lines Co. auraient également été impliquées dans la prolifération nucléaire en ce qu’elles auraient facilité des opérations de transport pour des entités désignées par les Nations unies et les États-Unis d’Amérique, dont la Bank Melli Iran.

6        L’inscription des requérantes dans l’annexe II de la décision 2010/413 a été maintenue par la décision 2010/644/PESC du Conseil, du 25 octobre 2010, modifiant la décision 2010/413 (JO 2010, L 281, p. 81). La motivation concernant les requérantes est identique à celle retenue dans la décision 2010/413.

7        Le règlement no 423/2007 ayant été abrogé par le règlement (UE) no 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2010, L 281, p. 1), les requérantes ont été incluses par le Conseil dans l’annexe VIII de ce dernier règlement. Par conséquent, les fonds et les ressources économiques des requérantes ont été gelés en vertu de l’article 16, paragraphe 2, dudit règlement. La motivation concernant les requérantes est demeurée semblable à celle retenue dans la décision 2010/413.

8        Le règlement no 961/2010 ayant été abrogé par le règlement (UE) no 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2012, L 88, p. 1), les requérantes ont été incluses par le Conseil dans l’annexe IX de ce dernier règlement. La motivation concernant les requérantes reste, en substance, la même que celle retenue dans la décision 2010/413. Par conséquent, les fonds et les ressources économiques des requérantes ont été gelés en vertu de l’article 23, paragraphe 2, dudit règlement.

9        Par arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T‑489/10, EU:T:2013:453), qui n’a fait l’objet d’aucun pourvoi et est dès lors devenu définitif, le Tribunal a annulé, dans la mesure où elles concernaient notamment les requérantes, l’annexe II de la décision 2010/413, l’annexe du règlement d’exécution no 668/2010, l’annexe de la décision 2010/644, l’annexe VIII du règlement no 961/2010 et l’annexe IX du règlement no 267/2012. Les effets de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2010/644, ont toutefois été maintenus jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement no 267/2012.

10      Dans l’arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T‑489/10, EU:T:2013:453), le Tribunal a examiné les deux critères retenus par le Conseil lors de l’inscription des IRISL sur les listes litigieuses, à savoir, d’une part, le critère tenant au fait que les IRISL apportaient un appui à la prolifération nucléaire au sens de l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007, de l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement no 961/2010 et de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 267/2012 et, d’autre part, le critère tenant au fait que les IRISL avaient aidé une personne, une entité ou un organisme figurant sur une liste à enfreindre les dispositions de la décision 2010/413, du règlement no 961/2010, du règlement no 267/2012 et des résolutions applicables du Conseil de sécurité des Nations Unies, au sens de l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, de l’article 16, paragraphe 2, sous b), du règlement no 961/2010 et de l’article 23, paragraphe 2, sous b), du règlement no 267/2012. Le Tribunal a estimé que le second critère retenu par le Conseil était entaché d’une motivation insuffisante et que, s’agissant du premier critère, s’il bénéficiait d’une motivation suffisante et était susceptible à lui seul de justifier les inscriptions litigieuses, le Conseil avait néanmoins commis une erreur d’appréciation en ce que les éléments qu’il avait mis en avant ne justifiaient pas l’adoption et le maintien des mesures restrictives à l’égard des IRISL.

11      Le Tribunal a également estimé dans l’arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T‑489/10, EU:T:2013:453), que, à supposer que les requérantes autres que les IRISL fussent effectivement détenues ou contrôlées par ces dernières ou agissent pour leur compte, cette circonstance ne justifiait pas l’adoption et le maintien des mesures restrictives les visant, les IRISL n’ayant elles-mêmes pas été valablement reconnues comme apportant un appui à la prolifération nucléaire. À l’égard des Khazar Sea Shipping Lines, le Tribunal a considéré que le Conseil n’avait au surplus présenté aucun élément d’information ou de preuve pour étayer les allégations permettant l’adoption et le maintien des mesures restrictives à leur égard, à savoir qu’elles auraient également transporté des cargaisons liées à la prolifération nucléaire ou qu’elles auraient fourni des services à des entités désignées par les Nations unies et les États-Unis d’Amérique, comme par exemple la Bank Melli Iran.

12      À la suite de l’arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T‑489/10, EU:T:2013:453), les requérantes exposent que leur inscription sur des listes d’entités faisant l’objet de gel des fonds et des ressources économiques a de nouveau été effectuée par le Conseil et qu’une demande d’annulation de cette nouvelle inscription fait l’objet d’un recours distinct (affaires T‑14/14 et T‑87/14, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil).

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 juillet 2015, les requérantes ont introduit le présent recours.

14      Le mémoire en défense, la réplique et la duplique ont respectivement été déposés au greffe du Tribunal le 3 février, le 12 mai et le 28 juin 2016.

15      La clôture de la phase écrite de la procédure a été signifiée le 1er juillet 2016 aux parties, ces dernières ayant sollicité en réponse la tenue d’une audience. Les requérantes ont également formulé dans leur courrier adressé au greffe du Tribunal le 22 juillet 2016 une demande tendant à la mise en œuvre d’une mesure d’instruction consistant en la désignation d’un expert.

16      Le 21 septembre 2016, les parties ont été invitées à déposer leurs observations quant à une éventuelle suspension de la procédure dans l’attente de l’arrêt de la Cour dans l’affaire C‑45/15 P, Safa Nicu Sepahan/Conseil. Par courriers datés respectivement des 30 septembre et 6 octobre 2016, le Conseil a indiqué qu’il ne s’opposait pas à une telle suspension et les requérantes ont indiqué qu’elles n’y étaient pas favorables.

17      Le 10 octobre 2016, le président de la première chambre du Tribunal a décidé de suspendre la procédure dans l’attente de l’arrêt de la Cour dans l’affaire C‑45/15 P, Safa Nicu Sepahan/Conseil.

18      Le 28 février 2018, le Tribunal a invité les parties à faire connaître les conséquences qu’elles entendaient tirer dans la présente affaire de l’arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil (C‑45/15 P, EU:C:2017:402). Le Conseil et les requérantes ont fait parvenir leurs réponses à la question qui leur avait été adressée, respectivement les 14 et 15 mars 2018.

19      Par décision du président du Tribunal du 5 juin 2018, la présente affaire a été attribuée à un nouveau juge rapporteur, siégeant dans la deuxième chambre.

20      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions écrites posées par le Tribunal lors de l’audience du 23 janvier 2019, à l’issue de laquelle l’affaire a été mise en délibéré.

21      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner le Conseil à leur verser les montants qui seront fixés dans le cadre de la procédure et qui ne sauraient être inférieurs aux montants demandés dans le rapport produit en annexe de la requête et établi par Grant Thornton LLP, à savoir, en ce qui concerne le préjudice matériel, 571 040 504 dollars des États-Unis (USD), convertis en euros à la date de l’arrêt à intervenir, et, en ce qui concerne le préjudice immatériel, 5 millions d’euros aux IRISL, 2 millions d’euros aux Khazar Sea Shipping Lines et 1 million d’euros à chacune des autres requérantes dont les noms figurent en annexe ;

–        condamner le Conseil au paiement d’intérêts moratoires relatifs à la période tant antérieure que postérieure à l’arrêt à intervenir, au taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne (BCE) à ses opérations principales de refinancement, majoré de 2 %, ou au taux et pendant la période que le Tribunal jugera équitables ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

22      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

23      Dans sa réponse du 14 mars 2018 à la question posée le 28 février 2018 par le Tribunal, le Conseil sollicite en outre de ce dernier que, sur le fondement de l’article 126 de son règlement de procédure, il rejette par voie d’ordonnance motivée le recours comme étant manifestement dépourvu de tout fondement en droit, sans poursuivre la procédure.

 En droit

 Sur la compétence du Tribunal

24      Dans la duplique, le Conseil, en invoquant la jurisprudence issue de l’arrêt du 18 février 2016, Jannatian/Conseil (T‑328/14, non publié, EU:T:2016:86), fait valoir que, dans la mesure où les requérantes ont fondé leur demande en réparation sur l’illégalité de leur inscription sur la liste figurant à l’annexe II de la décision 2010/413, le Tribunal n’est pas compétent pour statuer sur le présent recours, car l’article 275, second alinéa, TFUE ne lui confère pas de compétence pour statuer sur une demande en réparation fondée sur l’illégalité d’un acte relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

25      Il importe de rappeler qu’une fin de non-recevoir qui a été soulevée au stade de la duplique, alors qu’elle aurait pu l’être dès le stade du mémoire en défense, doit être considérée comme tardive (voir, en ce sens, arrêt du 18 février 2016, Jannatian/Conseil, T‑328/14, non publié, EU:T:2016:86, point 29). Tel est le cas de la présente fin de non-recevoir, qui aurait pu être soulevée par le Conseil dès le stade du mémoire en défense.

26      Cependant, le caractère tardif de la présente fin de non-recevoir n’empêche pas le Tribunal d’examiner d’office la question de compétence soulevée dans celle-ci. En effet, aux termes de l’article 129 du règlement de procédure, le Tribunal peut à tout moment, d’office, les parties entendues, statuer sur les fins de non-recevoir d’ordre public, au rang desquelles figurent, selon la jurisprudence, la compétence du juge de l’Union européenne pour connaître du recours (voir, en ce sens, arrêts du 18 mars 1980, Ferriera Valsabbia e.a./Commission, 154/78, 205/78, 206/78, 226/78 à 228/78, 263/78, 264/78, 31/79, 39/79, 83/79 et 85/79, EU:C:1980:81, point 7, et du 17 juin 1998, Svenska Journalistförbundet/Conseil, T‑174/95, EU:T:1998:127, point 80) et les questions portant sur la recevabilité du recours (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 1960, Humblet/État belge, 6/60, EU:C:1960:48, p. 1147).

27      Partant, en l’espèce, bien que le Conseil ait soulevé tardivement l’argument concernant la compétence du Tribunal pour connaître de la demande en réparation du dommage résultant des restrictions en matière d’admission en ce qu’il aurait été causé par un acte relevant du domaine de la PESC, le Tribunal doit néanmoins examiner s’il est compétent pour connaître de cette demande, les parties ayant pu présenter leurs observations sur cette question lors de l’audience.

28      À cet égard, il résulte de l’article 24, paragraphe 1, deuxième alinéa, sixième phrase, TUE et de l’article 275, premier alinéa, TFUE que la Cour de justice de l’Union européenne n’est, en principe, pas compétente en ce qui concerne les dispositions de droit primaire relatives à la PESC ni en ce qui concerne les actes juridiques pris sur la base de celles-ci. Ce n’est qu’à titre exceptionnel que, conformément à l’article 275, second alinéa, TFUE, les juridictions de l’Union sont compétentes dans le domaine de la PESC. Cette compétence comprend, d’une part, le contrôle du respect de l’article 40 TUE et, d’autre part, les recours en annulation formés par des particuliers, dans les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, contre des mesures restrictives adoptées par le Conseil dans le cadre de la PESC. En revanche, l’article 275, second alinéa, TFUE n’attribue à la Cour de justice de l’Union européenne aucune compétence pour connaître d’un quelconque recours en indemnité (arrêt du 18 février 2016, Jannatian/Conseil, T‑328/14, non publié, EU:T:2016:86, point 30).

29      Il s’ensuit qu’un recours en indemnité tendant à la réparation du dommage prétendument subi du fait de l’adoption d’un acte en matière de PESC échappe à la compétence du Tribunal (arrêt du 18 février 2016, Jannatian/Conseil, T‑328/14, non publié, EU:T:2016:86, point 31).

30      En revanche, le Tribunal s’est toujours reconnu compétent pour connaître d’une demande en réparation d’un dommage prétendument subi par une personne ou une entité en raison de mesures restrictives prises à son égard sur le fondement de l’article 215 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2007, Sison/Conseil, T‑47/03, non publié, EU:T:2007:207, points 232 à 251, et du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, points 45 à 149).

31      En l’espèce, si les mesures restrictives adoptées à l’égard des requérantes relèvent d’actes qui sont du domaine de la PESC, à savoir la décision 2010/413 et la décision 2010/644, lesdites mesures ont fait l’objet d’une mise en œuvre par le règlement d’exécution no 668/2010, le règlement no 961/2010 et le règlement no 267/2012, adoptés conformément à l’article 215 TFUE.

32      Il s’ensuit que, si le Tribunal n’est pas compétent pour connaître de la demande en réparation des requérantes, pour autant qu’elle vise à obtenir réparation du dommage qu’elles auraient subi du fait de l’adoption de la décision 2010/413 et de la décision 2010/644, il est en revanche compétent pour connaître de cette même demande, pour autant qu’elle vise la réparation du dommage qu’elles auraient subi du fait de la mise en œuvre de ces mêmes décisions par le règlement d’exécution no 668/2010, le règlement no 961/2010 et le règlement no 267/2012 (ci-après les « actes litigieux »).

33      Par conséquent, le Tribunal n’est compétent pour examiner le présent recours qu’en ce qu’il vise à la réparation du dommage que les requérantes auraient subi du fait des mesures restrictives adoptées à leur égard par les actes litigieux.

 Sur le fond

34      Les requérantes font valoir que l’adoption des actes litigieux, dans la mesure où ils les concernaient, leur a causé un préjudice tant matériel qu’immatériel dont elles demandent réparation.

35      Le Conseil conteste le bien-fondé des arguments des requérantes.

36      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses organes, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêt du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 106 et jurisprudence citée ; arrêt du 11 juillet 2007, Schneider Electric/Commission, T‑351/03, EU:T:2007:212, point 113).

37      Le caractère cumulatif de ces trois conditions d’engagement de la responsabilité implique que, lorsque l’une d’entre elles n’est pas remplie, le recours en indemnité doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêts du 8 mai 2003, T. Port/Commission, C‑122/01 P, EU:C:2003:259, point 30, et du 11 juillet 2007, Schneider Electric/Commission, T‑351/03, EU:T:2007:212, point 120).

38      En l’espèce, en ce qui concerne l’illégalité du comportement reproché au Conseil, les requérantes font valoir en substance que, eu égard à l’arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T‑489/10, EU:T:2013:453), qui a acquis l’autorité de la chose jugée, il apparaît que le Conseil a commis une illégalité en inscrivant et en maintenant leurs noms sur les listes annexées aux actes litigieux au cours de la période de 40 mois allant du 27 juillet 2010, date de publication des mesures de désignation initiales, au 26 novembre 2013, date à laquelle ledit arrêt est devenu définitif, alors qu’il ne se fondait sur aucun élément de preuve de leur participation à la prolifération nucléaire ou qu’il se fondait sur des éléments de preuve inadéquats.

39      Cette illégalité serait à l’origine d’un préjudice consistant tant en des pertes matérielles, liées en particulier à des pertes d’activité, qu’en des pertes immatérielles liées à l’atteinte à la réputation des requérantes, dont elles sollicitent l’indemnisation. Les requérantes estiment qu’elles ont fourni des éléments de preuve de leur préjudice, sous la forme d’attestations et d’un rapport établi par la société Grant Thornton, et elles indiquent également qu’elles sont disposées à mettre à disposition, sur demande, l’ensemble de la documentation sous-jacente et des archives à l’appui des calculs et des annexes qu’elles invoquent pour étayer leur demande. Si ces éléments devaient être contestés, les requérantes sollicitent du Tribunal, à titre de mesure d’instruction, qu’il ordonne la désignation d’un comptable indépendant en tant qu’expert, aux fins d’évaluation des pertes alléguées en conséquence de leur désignation illégale.

40      S’agissant de la gravité de l’illégalité reprochée au Conseil, les requérantes font valoir que cette illégalité consiste en une violation de règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, en particulier celui de ne pas être soumis à des sanctions illégales, dépourvues de base légale, et qui sont identiques aux règles dont la violation a été examinée par le Tribunal dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil (T‑384/11, EU:T:2014:986, points 56 à 58). Or, en l’espèce, le Conseil n’aurait pas disposé d’une base factuelle adéquate justifiant l’adoption des actes litigieux à l’égard des requérantes.

41      Les requérantes font valoir six griefs à l’encontre du Conseil qui démontreraient que la faute commise par ce dernier était suffisamment caractérisée pour mettre en jeu sa responsabilité. Premièrement, les violations commises lors de l’adoption des actes litigieux concernaient des règles à l’égard desquelles le Conseil ne disposait pas d’une grande marge d’appréciation, notamment l’obligation de motiver les mesures en cause. Deuxièmement, la règle imposant au Conseil d’établir le bien-fondé desdites mesures ne dépendait pas de l’existence d’une situation particulièrement complexe, la situation en question ne suscitant pas de difficultés d’application ou d’interprétation. Troisièmement, les règles de droit en cause, notamment celles consistant à exiger une base factuelle adéquate, avaient déjà été fixées par la jurisprudence longtemps avant l’adoption des actes litigieux. Quatrièmement, le Conseil a agi soit intentionnellement soit en connaissance de cause, car il savait que les éléments de preuve dont il disposait étaient insuffisants pour procéder à la désignation des requérantes. Cinquièmement, le Conseil était conscient du préjudice que les actes litigieux causaient aux requérantes, ce qui milite en faveur de la réparation du préjudice de ces dernières. Sixièmement, le Conseil a délibérément méconnu les normes habituelles de bonne administration et de diligence qui s’imposent à une administration normalement prudente et diligente afin d’imposer des sanctions assurant un effet préventif le plus large possible.

42      Dans la réplique, les requérantes insistent sur le fait que, si le Conseil dispose, en matière de politique étrangère, d’une certaine marge de manœuvre pour formuler des critères de désignation, il ne dispose en revanche pas d’une marge de manœuvre quand il applique ces critères, en particulier quand il ne dispose pas d’éléments de preuve. La situation de l’espèce serait donc comparable à celle qui a été examinée par le Tribunal dans l’arrêt du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil (T‑384/11, EU:T:2014:986).

43      Les requérantes font également observer que le Conseil a soutenu à tort que les IRISL étaient détenues par l’État iranien, alors que ce dernier n’est qu’un actionnaire minoritaire et qu’elles ne participent pas à l’exercice de la « puissance publique ». En outre, le Conseil ne peut tardivement remettre en cause l’illégalité constatée par le Tribunal dans l’arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T‑489/10, EU:T:2013:453), ni invoquer des évènements intervenus postérieurement pour s’exonérer de la conduite illégale qui a donné lieu audit arrêt. Contrairement à ce que soutiendrait le Conseil, la question pertinente n’est pas de savoir si ce dernier pouvait raisonnablement tirer une conclusion, sous la forme d’une présomption, à partir de faits qui n’établissaient pas par eux-mêmes que les requérantes avaient apporté un appui à la prolifération nucléaire iranienne, mais de savoir si le Conseil s’est appuyé sur des faits démontrant effectivement un tel appui. Si le manquement du Conseil à ses obligations est de nature à engager sa responsabilité à l’égard des IRISL, la même conséquence devrait être retenue à l’égard des requérantes dont les noms figurent en annexe et dont la désignation découlait de celle des IRISL.

44      Dans leur réponse du 15 mars 2018 à la question posée par le Tribunal et portant sur les conséquences qu’elles entendaient tirer dans la présente affaire de l’arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil (C‑45/15 P, EU:C:2017:402), les requérantes font enfin valoir que ledit arrêt vient confirmer le fait que le Conseil ne jouissait d’aucune marge d’appréciation s’agissant de l’application illégale de critères en l’absence d’éléments de preuve.

45      Le Conseil conteste quant à lui l’existence d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Union. En particulier, il expose que les circonstances de la présente espèce sont différentes de celles de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil (T‑384/11, EU:T:2014:986), dans laquelle il n’avait pas été en mesure d’apporter des preuves étayant les motifs énoncés pour imposer des mesures restrictives à la société concernée. Or, à l’égard des IRISL, au vu des éléments dont il disposait, en particulier le rapport annuel du comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies ainsi que la demande du Conseil de sécurité des Nations unies aux États d’inspecter dans toute situation suspecte les navires des IRISL, le Conseil fait valoir qu’il existait une forte probabilité que ces dernières aient servi à fournir un appui aux activités de prolifération nucléaire de la République islamique d’Iran.

46      Le Conseil expose également que la Cour, par l’arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft (C‑348/12 P, EU:C:2013:776), conforme sur ce point aux conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft (C‑348/12 P, EU:C:2013:470), a validé la position selon laquelle il était possible d’adopter des mesures restrictives à l’égard d’une entité dès lors qu’il existait un risque qu’elle participât à la prolifération nucléaire, mais sans qu’il fût nécessaire de démontrer une participation effective. Il n’était donc pas déraisonnable de penser que les IRISL fournissaient un appui aux activités iraniennes de prolifération nucléaire. Le Conseil estime qu’il disposait à cet égard d’une marge de manœuvre et qu’il n’a pas méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation.

47      En ce qui concerne les six requérantes dont les noms figurent en annexe, le Conseil fait valoir qu’elles étaient détenues ou contrôlées par les IRISL ou agissaient pour le compte de ces dernières, ce qu’aucune d’elles n’a contesté, et que leur désignation tenait à leur lien avec les IRISL. Or, selon la jurisprudence, une telle situation est susceptible de motiver des mesures restrictives qui, à défaut, pourraient être contournées, en particulier dans le domaine du transport maritime, par des transferts d’activités ou de navires. Une telle situation a d’ailleurs été confirmée ultérieurement en ce qui concerne les requérantes, ainsi que cela résulte de la résolution 1929 (2010) du Conseil de sécurité des Nations unies et des rapports du 12 juin 2012 et du 5 juin 2013 du groupe d’experts créé par ladite résolution. Dans la mesure où il n’était pas déraisonnable de considérer que les IRISL fournissaient un appui aux activités iraniennes de prolifération nucléaire, il n’était pas davantage déraisonnable de désigner les requérantes dont les noms figurent en annexe.

48      S’agissant plus particulièrement des Khazar Sea Shipping Lines, s’il est exact qu’elles ont notamment fait l’objet d’une désignation au motif qu’elles avaient facilité des opérations de transport pour des entités désignées en acheminant des cargaisons posant un risque de prolifération vers l’Iran, elles ont également été désignées au motif qu’elles étaient détenues à 100 % par les IRISL, ce dernier motif se suffisant à lui seul.

49      Enfin, dans sa réponse du 14 mars 2018 à la question posée par le Tribunal et portant sur les conséquences qu’il entendait tirer dans la présente affaire de l’arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil (C‑45/15 P, EU:C:2017:402), le Conseil réitère que, bien que les actes litigieux aient été annulés au motif de leur illégalité, cette dernière ne constituait pas une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit protégeant les particuliers susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union, ainsi que le Tribunal l’a d’ailleurs confirmé dans une décision ultérieure, en l’occurrence l’arrêt du 13 décembre 2017, HTTS/Conseil (T‑692/15, sous pourvoi, EU:T:2017:890). Si un pourvoi a été formé à l’encontre de ce dernier arrêt, le Conseil relève que, en tout état de cause, aucun des moyens invoqués à l’appui du pourvoi ne contesterait cette conclusion du Tribunal.

50      Il découle d’une jurisprudence bien établie que la constatation de l’illégalité d’un acte juridique de l’Union, dans le cadre par exemple d’un recours en annulation, ne suffit pas, pour regrettable qu’elle soit, pour considérer que la responsabilité non contractuelle de celle-ci, tenant à l’illégalité du comportement d’une de ses institutions, soit, de ce fait, automatiquement engagée. Pour admettre qu’il est satisfait à cette condition, la jurisprudence exige, en effet, que la partie requérante établisse que l’institution en cause a commis non pas une simple illégalité, mais une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 42 et jurisprudence citée).

51      Par ailleurs, également selon une jurisprudence constante, la preuve d’une illégalité suffisamment caractérisée vise à éviter, notamment dans le domaine des mesures restrictives, que la mission que l’institution concernée est appelée à accomplir dans l’intérêt général de l’Union et de ses États membres ne soit entravée par le risque que cette institution soit finalement appelée à supporter les dommages que les personnes concernées par ses actes pourraient éventuellement subir, sans pour autant laisser peser sur ces particuliers les conséquences, patrimoniales ou morales, de manquements que l’institution concernée aurait commis de façon flagrante et inexcusable (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2007, Schneider Electric/Commission, T‑351/03, EU:T:2007:212, point 125 ; du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, point 34, et du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, point 51).

52      En effet, selon la jurisprudence, l’objectif plus large du maintien de la paix et de la sécurité internationale, conformément aux finalités de l’action extérieure de l’Union énoncées à l’article 21 TUE, est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, découlant, pour certains opérateurs économiques, des décisions de mise en œuvre des actes adoptés par l’Union en vue de la réalisation de cet objectif fondamental (voir, par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150 et jurisprudence citée).

53      Ainsi, dans l’appréciation du comportement de l’institution concernée, le Tribunal, saisi d’un recours en indemnité introduit par un opérateur économique, est également tenu, eu égard notamment aux dispositions de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, de prendre en compte cet objectif fondamental de la politique étrangère de l’Union, sauf lorsque cet opérateur est en mesure d’établir que le Conseil a manqué à ses obligations impératives de façon flagrante et inexcusable ou a porté atteinte, de la même façon, à un droit fondamental reconnu par l’Union (arrêt du 13 décembre 2017, HTTS/Conseil, T‑692/15, sous pourvoi, EU:T:2017:890, point 46).

54      L’annulation éventuelle d’un ou de plusieurs actes du Conseil se trouvant à l’origine des préjudices invoqués par une partie requérante, même lorsqu’une telle annulation serait décidée par un arrêt du Tribunal prononcé avant l’introduction du recours indemnitaire, ne constitue pas la preuve irréfragable d’une violation suffisamment caractérisée de la part de cette institution permettant de constater, ipso jure, la responsabilité de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2017, HTTS/Conseil, T‑692/15, sous pourvoi, EU:T:2017:890, point 48).

55      Le critère décisif, qui permet de considérer que l’exigence de ne pas laisser peser sur ces particuliers les conséquences de manquements que l’institution concernée aurait commis de façon flagrante et inexcusable est respectée, est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Ce qui est donc déterminant pour établir l’existence d’une telle violation, c’est la marge d’appréciation dont disposait l’institution en cause. Il découle ainsi des critères jurisprudentiels que, lorsque l’institution concernée ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit de l’Union peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (voir arrêt du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, point 35 et jurisprudence citée).

56      Toutefois, cette jurisprudence n’établit aucun lien automatique entre, d’une part, l’absence de pouvoir d’appréciation de l’institution concernée et, d’autre part, la qualification de l’infraction de violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union. En effet, bien qu’elle présente un caractère déterminant, l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’institution concernée ne constitue pas un critère exclusif. À cet égard, la Cour a rappelé de manière constante que le régime qu’elle avait dégagé au titre de l’article 340, second alinéa, TFUE prenait, en outre, notamment en compte la complexité des situations à régler et les difficultés d’application ou d’interprétation des textes (voir arrêt du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, points 36 et 37 et jurisprudence citée).

57      Il s’ensuit que seule la constatation d’une irrégularité que n’aurait pas commise, dans des circonstances analogues, une administration normalement prudente et diligente permet d’engager la responsabilité de l’Union (voir arrêt du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, point 39 et jurisprudence citée).

58      Il appartient dès lors au juge de l’Union, après avoir déterminé, d’abord, si l’institution concernée disposait d’une marge d’appréciation, de prendre en considération, ensuite, la complexité de la situation à régler, les difficultés d’application ou d’interprétation des textes, le degré de clarté et de précision de la règle violée et le caractère intentionnel ou inexcusable de l’erreur commise. En tout état de cause, une violation du droit de l’Union est manifestement caractérisée lorsqu’elle a perduré malgré le prononcé d’un arrêt constatant le manquement reproché, d’un arrêt préjudiciel ou d’une jurisprudence bien établie en la matière, desquels résulte le caractère infractionnel du comportement en cause (voir arrêt du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, point 40 et jurisprudence citée).

59      En l’espèce, il convient de rappeler que, dans l’arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T‑489/10, EU:T:2013:453), le Tribunal a annulé l’inscription du nom des requérantes sur les listes que comportaient les actes litigieux en considérant, tout d’abord, que l’inscription des IRISL était illégale, car le second critère invoqué par le Conseil pour justifier cette inscription était entaché d’un défaut de motivation et que, s’agissant du premier critère, s’il bénéficiait d’une motivation suffisante, il était affecté d’une erreur d’appréciation et ne justifiait donc pas l’adoption des mesures restrictives en cause (voir point 10 ci-dessus). Le Tribunal a ensuite estimé que l’inscription des requérantes dont les noms figurent en annexe, en ce qu’elle reposait sur le fait qu’elles étaient détenues ou contrôlées par les IRISL, n’était elle-même pas fondée. Enfin, s’agissant des Khazar Sea Shipping Lines, inscrites sur les listes litigieuses au double motif de leur détention à 100 % par les IRISL et de leur participation à certaines opérations de transport, le Tribunal a considéré que le Conseil n’avait présenté aucun élément susceptible d’étayer les allégations spécifiques formulées à leur égard (voir point 11 ci-dessus).

60      En premier lieu, conformément à la jurisprudence, les dispositions pertinentes des actes litigieux qui ont été violées par l’imposition des mesures restrictives résultant de l’adoption de ces actes doivent s’analyser comme assurant la protection des intérêts individuels des personnes et des entités susceptibles d’être concernées et sont dès lors à considérer comme des règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Si les conditions de fond en question ne sont pas réunies, la personne ou l’entité concernée a en effet le droit de ne pas se voir imposer les mesures en question. Un tel droit implique nécessairement que la personne ou l’entité à laquelle des mesures restrictives sont imposées dans des conditions non prévues par les dispositions en question puisse demander à être indemnisée des conséquences dommageables de ces mesures, s’il s’avère que leur imposition repose sur une violation suffisamment caractérisée des règles de fond appliquées par le Conseil (voir, par analogie, arrêt du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, point 52 et jurisprudence citée).

61      En second lieu, s’agissant de la question de savoir si le Conseil disposait d’une marge d’appréciation, il ressort de la jurisprudence que l’obligation du Conseil d’établir le bien-fondé des mesures restrictives adoptées est dictée par le respect des droits fondamentaux des personnes et entités concernées, et notamment de leur droit à une protection juridictionnelle effective, ce qui implique qu’il ne dispose pas de marge d’appréciation à cet égard (arrêt du 18 février 2016, Jannatian/Conseil (T‑328/14, non publié, EU:T:2016:86, point 52).

62      En ce qui concerne la détermination des obligations qui pesaient sur le Conseil envers les requérantes au regard de la jurisprudence en vigueur lors de l’adoption des actes litigieux, il y a lieu de rappeler, ainsi que la Cour l’avait déjà souligné dans une jurisprudence antérieure à l’adoption desdits actes, que l’Union est une Union de droit dans laquelle ses institutions sont soumises au contrôle de la conformité de leurs actes, notamment avec le traité FUE et les principes généraux du droit (voir arrêt du 29 juin 2010, E et F, C‑550/09, EU:C:2010:382, point 44 et jurisprudence citée), et dans laquelle les personnes physiques et morales doivent bénéficier d’une protection juridictionnelle effective (arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 35).

63      S’agissant du respect du principe de protection juridictionnelle effective, la Cour a considéré, au point 343 de l’arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461), que des mesures restrictives adoptées à l’égard de personnes physiques ou morales n’échappaient pas à tout contrôle du juge de l’Union, notamment lorsqu’il était affirmé que l’acte qui les édictait touchait à la sécurité nationale et au terrorisme (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 36).

64      Ainsi qu’il résulte de cette jurisprudence, le droit à une protection juridictionnelle effective exige que le Conseil fournisse, en cas de contestation, des informations et des éléments de preuve étayant les motifs de l’adoption de mesures restrictives à l’égard de personnes physiques ou morales. À cet égard, il ressort du point 336 de l’arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461), que le contrôle juridictionnel des mesures restrictives prises à l’encontre des personnes physiques ou morales doit pouvoir porter, notamment, sur la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision imposant à une personne ou à une entité un ensemble de mesures restrictives (arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 37).

65      De même, au point 57 de l’arrêt du 29 juin 2010, E et F (C‑550/09, EU:C:2010:382), la Cour a considéré qu’un contrôle juridictionnel adéquat de la légalité au fond des mesures restrictives individuelles devait viser, notamment, à la vérification des faits ainsi que des éléments de preuve et d’information invoqués pour adopter de telles mesures (arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 38).

66      Par ailleurs, bien qu’aient été en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts mentionnés aux points 60 à 65 ci-dessus des mesures de gel des avoirs adoptées dans le contexte spécifique de la lutte contre le terrorisme international, il est manifeste que l’obligation d’établir le bien-fondé des mesures restrictives ciblant des personnes et des entités individuelles, qui résulte de cette jurisprudence, vaut également en ce qui concerne l’adoption de mesures restrictives de gel des avoirs ayant pour but de faire pression sur la République islamique d’Iran, telles que celles visant les requérantes, compte tenu notamment de la nature individuelle desdites mesures restrictives et de l’incidence importante que celles-ci sont susceptibles d’avoir sur les droits et les libertés des personnes et des entités visées (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, points 361 et 375).

67      Dans ces conditions, il convient de considérer que l’obligation incombant au Conseil de fournir, en cas de contestation, les informations ou les éléments de preuve étayant les motifs de l’adoption de mesures restrictives à l’égard d’une personne physique ou morale découlait déjà, à la date de l’adoption des dispositions litigieuses, d’une jurisprudence bien établie de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 40).

68      Toutefois, si, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil (T‑384/11, EU:T:2014:986, point 59), le Tribunal a considéré que le Conseil avait commis une illégalité alors qu’il ne disposait pas de marge d’appréciation, cela tenait au fait, ainsi que la Cour l’a constaté dans l’arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil (C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 33), qu’il ne disposait pas d’informations ou d’éléments de preuve étayant les motifs de l’adoption des mesures restrictives à l’égard de la partie requérante.

69      Or, à l’instar du constat opéré par le Tribunal dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 13 décembre 2017, HTTS/Conseil (T‑692/15, sous pourvoi, EU:T:2017:890, point 63), qui concernait également la mise en œuvre de mesures restrictives à l’encontre d’une entité compte tenu de ses liens avec les IRISL, d’abord par le règlement d’exécution no 668/2010, puis par le règlement no 961/2010, la situation en l’espèce est différente.

70      En effet, l’inscription du nom des IRISL en vertu des actes litigieux se fondait essentiellement sur un rapport du comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies établissant trois violations manifestes, commises par cette compagnie, de l’embargo sur les armes institué par la résolution 1747 (2007) du Conseil de sécurité des Nations unies. Or, au vu des conclusions figurant dans ce rapport, le constat que les IRISL étaient impliquées dans des activités de prolifération nucléaire de la République islamique d’Iran ne saurait être considéré, dans le cadre du présent recours indemnitaire, comme manifestement erroné en ce qu’il n’aurait reposé sur aucune information ou élément de preuve.

71      La réalité matérielle des trois violations de l’embargo sur les armes institué par la résolution 1747 (2007), outre qu’elle n’est pas contestée par les requérantes, n’est pas remise en cause par les termes de l’arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T‑489/10, EU:T:2013:453), qui mentionne au surplus, au point 35, que « [l]e rapport annuel du comité des sanctions du Conseil de sécurité pour l’année 2009 fournit des détails supplémentaires concernant les trois incidents en cause, dès lors notamment qu’il précise qu’ils impliquaient la saisie des cargaisons interdites par les autorités et qu’il identifie les navires concernés ».

72      En revanche, le Tribunal a estimé au point 66 de l’arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T‑489/10, EU:T:2013:453), que, « s’il par[aissait] justifié de considérer que le fait que les IRISL [avaient] été impliquées dans trois incidents concernant le transport du matériel militaire en violation de l’interdiction prévue au paragraphe 5 de la résolution 1747 (2007) augment[ait] le risque qu’elles [fussent] également impliquées dans des incidents concernant le transport du matériel lié à la prolifération nucléaire, cette circonstance ne justifi[ait] pas, en l’état actuel de la réglementation applicable, l’adoption et le maintien des mesures restrictives à leur égard ».

73      Dans ces conditions, l’annulation des actes litigieux à l’égard des IRISL ne tenait pas au fait que le Conseil ne disposait d’aucun élément d’information ou de preuve afin d’étayer les faits qu’il imputait aux IRISL, mais à l’interprétation qu’il convenait de donner aux faits constatés, notamment aux trois incidents concernant le transport de matériel militaire par les IRISL, en ce qu’ils auraient démontré de la part de ces dernières un appui effectif à la prolifération nucléaire. Dans le cadre de l’analyse de ces faits à laquelle il a procédé dans l’arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T‑489/10, EU:T:2013:453, points 58 à 66), le Tribunal a estimé que le Conseil avait commis une erreur, car, d’une part, l’allégation selon laquelle le transport illégal de matériel militaire avait nécessairement pour corollaire le transport de matériel lié à la prolifération nucléaire reposait sur une présomption qui n’était prévue par aucun des textes régissant la mise en œuvre des inscriptions par les actes litigieux et, d’autre part, les faits en question ne démontraient pas une implication effective, mais simplement une augmentation du risque d’implication dans la prolifération nucléaire, qui n’était pas davantage prévue par ces mêmes textes.

74      Or, si, dans l’arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T‑489/10, EU:T:2013:453, point 48), le Tribunal a estimé, en citant l’arrêt 25 avril 2012, Manufacturing Support & Procurement Kala Naft/Conseil (T‑509/10, EU:T:2012:201, point 115), que « le seul risque que la personne ou l’entité concernée apport[ât], dans le futur, un appui à la prolifération nucléaire [n’était] pas suffisant », il convient de relever, comme le fait valoir le Conseil, que, sur pourvoi, cette analyse a été infirmée par la Cour dans l’arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft (C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 84), la Cour ayant estimé que le Tribunal avait commis une erreur de droit quand il avait jugé que le seul risque qu’une entité adoptât un comportement répréhensible effectif dans le futur n’était pas suffisant pour justifier l’adoption de mesures restrictives.

75      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, lors de l’adoption des actes litigieux à l’égard des IRISL, le Conseil ne s’est pas écarté du comportement qu’une administration normalement prudente et diligente aurait adopté. En effet, le Conseil avait recueilli des informations ou des éléments de preuve pouvant justifier les mesures restrictives visant les IRISL, au regard du risque de les voir apporter, dans le futur, un appui à la prolifération nucléaire, de sorte que le Conseil était en capacité d’étayer, en cas de contestation, le bien-fondé desdites mesures, notamment par la production desdites informations ou desdits éléments de preuve devant le juge de l’Union. Il y a, dès lors, lieu de rejeter l’ensemble des griefs formulés par les requérantes tenant au fait que le Conseil, en adoptant les actes litigieux à l’égard des IRISL, aurait commis une erreur manifeste d’appréciation présentant un caractère tellement grave et inexcusable qu’elle serait de nature à engager la responsabilité extracontractuelle de l’Union.

76      Il y a également lieu de constater, en ce qui concerne le défaut de motivation des actes dont l’annulation a été prononcée par l’arrêt du 16 septembre 2013, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil (T‑489/10, EU:T:2013:453), en particulier en ce que le Tribunal a estimé aux points 38 et 39 dudit arrêt que le second critère retenu par le Conseil pour justifier l’inscription des IRISL sur les listes litigieuses était excessivement vague, que, en vertu d’une jurisprudence constante, en principe, l’insuffisance de motivation d’un acte n’est pas de nature à engager la responsabilité de l’Union (voir arrêt du 11 juillet 2007, Sison/Conseil, T‑47/03, non publié, EU:T:2007:207, point 238 et jurisprudence citée).

77      Dans ces conditions, le défaut de motivation en question n’est pas susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union.

78      En ce qui concerne la désignation des six requérantes dont les noms figurent en annexe, fondée sur les liens existant entre elles et les IRISL, il ne saurait davantage être reproché au Conseil, dans les circonstances de l’espèce, d’avoir commis une irrégularité qui n’aurait pas été commise, dans des circonstances analogues, par une administration normalement prudente et diligente, à laquelle les traités confient des compétences spécifiques, telles que celles relatives à l’adoption de mesures restrictives considérées comme étant nécessaires dans le cadre de l’action de l’Union visant à assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationale susceptibles d’être mises en cause par l’activité de prolifération nucléaire de la République islamique d’Iran (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2017, HTTS/Conseil, T‑692/15, sous pourvoi, EU:T:2017:890, point 64).

79      À cet égard, il y a lieu de relever qu’aucun élément avancé ou produit au cours de la procédure n’est susceptible de remettre en cause les liens qui existaient entre les six requérantes dont les noms figurent en annexe et les IRISL, tels que les a mentionnés le Conseil dans les actes litigieux, à savoir qu’elles étaient détenues ou contrôlées par les IRISL.

80      En outre, s’agissant des Khazar Sea Shipping Lines, si le Tribunal a considéré que le Conseil n’avait pas présenté d’éléments susceptibles d’étayer les allégations selon lesquelles elles auraient également transporté des cargaisons liées à la prolifération nucléaire ou elles auraient fourni des services à des entités désignées par les Nations unies et les États-Unis d’Amérique, telles que la Bank Melli Iran, il y a lieu de relever que, en tout de cause, leur désignation était également fondée sur le fait qu’elles étaient détenues à 100 % par les IRISL, la mise en œuvre de ce critère de désignation n’étant pas constitutive d’une faute caractérisée du Conseil.

81      Par conséquent, en adoptant les actes litigieux à l’égard des six requérantes dont les noms figurent en annexe, le Conseil n’a pas commis une erreur manifeste d’appréciation présentant un caractère tellement grave et inexcusable qu’elle serait de nature à engager la responsabilité extracontractuelle de l’Union.

82      Le recours doit dès lors être rejeté dans son intégralité sans qu’il soit besoin d’examiner si les autres conditions d’engagement de la responsabilité de l’Union sont réunies, ni de prendre position, d’une part, sur la demande des requérantes tendant à l’organisation d’une mesure d’instruction consistant en la désignation d’un expert afin de procéder à une évaluation comptable du préjudice invoqué et, d’autre part, sur la demande du Conseil tendant au rejet du recours par voie d’ordonnance motivée.

 Sur les dépens

83      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

84      Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Islamic Republic of Iran Shipping Lines et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

Prek

Schalin

Costeira

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 mai 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.