Language of document : ECLI:EU:C:2023:34

ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

19 janvier 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Dispositifs médicaux – Directive 93/42/CEE – Article 1er, paragraphe 2, sous a) – Définition – Article 1er, paragraphe 5, sous c) – Champ d’application – Médicaments à usage humain – Directive 2001/83/CE – Article 1er, point 2 – Définition de la notion de “médicament” – Article 2, paragraphe 2 – Cadre juridique applicable – Classement en tant que “dispositif médical” ou en tant que “médicament” »

Dans les affaires jointes C‑495/21 et C‑496/21,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne), par décisions du 20 mai 2021, parvenues à la Cour le 12 août 2021, dans les procédures

L. GmbH (C‑495/21)

H. Ltd (C‑496/21)

contre

Bundesrepublik Deutschland,

LA COUR (septième chambre),

composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. N. Wahl (rapporteur) et J. Passer, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 juillet 2022,

considérant les observations présentées :

–        pour L. GmbH, par Me E. Rudl-Truxa, Rechtsanwältin,

–        pour H. Ltd, par Me P. von Czettritz, Rechtsanwalt,

–        pour la Bundesrepublik Deutschland, par Mes P. Kothe et K. Moritz Feilke, Rechtsanwälte,

–        pour le gouvernement hellénique, par Mmes A. Dimitrakopoulou et V. Karra, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. E. Feola, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mmes A. C. Becker, L. Haasbeek, E. Sanfrutos Cano et M. A. Sipos, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux (JO 1993, L 169, p. 1), telle que modifiée par la directive 2007/47/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 septembre 2007 (JO 2007, L 247, p. 21) (ci-après la « directive 93/42 »), ainsi que de l’article 1er, point 2, sous a), et de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67), telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 (JO 2004, L 136, p. 34) (ci-après la « directive 2001/83 »).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, respectivement, L. GmbH et H. Ltd., entreprises de droit allemand à la Bundesrepublik Deutschland (République fédérale d’Allemagne), représentée par le Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte (Institut fédéral des médicaments et des dispositifs médicaux, Allemagne) (ci-après le « BfArM »), au sujet de la détermination du champ d’application des règles du droit de l’Union relatives aux dispositifs médicaux et aux médicaments à usage humain.

 Le cadre juridique

3        L’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42 dispose :

« 2.      Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “dispositif médical” : tout instrument, appareil, équipement, logiciel, matière ou autre article, utilisé seul ou en association, y compris le logiciel destiné par le fabricant à être utilisé spécifiquement à des fins diagnostique et/ou thérapeutique, et nécessaire au bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez l’homme à des fins :

–        de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie,

–        de diagnostic, de contrôle, de traitement, d’atténuation ou de compensation d’une blessure ou d’un handicap,

–        d’étude ou de remplacement ou modification de l’anatomie ou d’un processus physiologique,

–        de maîtrise de la conception,

et dont l’action principale voulue dans ou sur le corps humain n’est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens ».

4        L’article 1er, paragraphe 5, sous c), de cette directive prévoit :

« La présente directive ne s’applique pas :

[...]

c)      aux médicaments couverts par la directive 2001/83/CE. Pour décider si un produit relève de ladite directive ou de la présente directive, il est tenu compte tout particulièrement du mode d’action principal du produit ».

5        L’article 3 de la directive 93/42, intitulé « Exigences essentielles », énonce :

« Les dispositifs doivent satisfaire aux exigences essentielles figurant à l’annexe I qui leur sont applicables en tenant compte de la destination des dispositifs concernés.

Si un risque spécifique existe, les dispositifs qui sont aussi des machines au sens de l’article 2, point a), de la directive 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil[,] du 17 mai 2006[,] relative aux machines [et modifiant la directive 95/16/CE (JO 2006, L 157, p. 24),] sont également conformes aux exigences essentielles de santé et de sécurité figurant à l’annexe I de ladite directive, dans la mesure où ces exigences essentielles sont plus spécifiques que les exigences essentielles visées à l’annexe I de la présente directive. »

6        L’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/42 dispose :

« Les États membres ne font pas obstacle, sur leur territoire, à la mise sur le marché et à la mise en service des dispositifs portant le marquage CE prévu à l’article 17 indiquant qu’ils ont été soumis à une évaluation de leur conformité conformément à l’article 11. »

7        L’article 1er, point 2, de la directive 2001/83 est libellé comme suit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

2)      médicament :

a)      toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ; ou

b)      toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical ».

8        L’article 2, paragraphe 2, de cette directive énonce :

« En cas de doute, lorsqu’un produit, eu égard à l’ensemble de ses caractéristiques, est susceptible de répondre à la fois à la définition d’un “médicament” et à la définition d’un produit régi par une autre législation communautaire, les dispositions de la présente directive s’appliquent. »

9        Aux termes du considérant 7 de la directive 2004/27 :

« Il y a lieu, notamment du fait des progrès scientifiques et techniques, de clarifier les définitions et le champ d’application de la directive 2001/83/CE de manière à assurer un niveau élevé d’exigences de qualité, de sécurité et d’efficacité des médicaments à usage humain. Afin de prendre en compte, d’une part, l’émergence de nouvelles thérapies et, d’autre part, le nombre croissant de produits dits “frontière” entre le secteur des médicaments et les autres secteurs, il convient de modifier la définition du médicament pour éviter, lorsqu’un produit répond pleinement à la définition du médicament, mais pourrait aussi répondre à la définition d’autres produits réglementés, que subsiste un doute sur la législation applicable. Cette définition devrait spécifier le type d’action que peut exercer le médicament sur les fonctions physiologiques. Cette énumération d’actions permettra en outre d’inclure des médicaments tels que les thérapies géniques, les produits radiopharmaceutiques ainsi que certains médicaments à usage local. Par ailleurs, compte tenu des caractéristiques de la législation pharmaceutique, il y a lieu de prévoir que celle-ci sera d’application. Dans le même esprit de clarification, il est nécessaire, lorsqu’un produit donné répond à la définition du médicament, mais pourrait aussi répondre à celle d’autres produits réglementés, de préciser les dispositions applicables en cas de doute et afin de garantir la sécurité juridique. Lorsqu’un produit répond de façon évidente à la définition d’autres catégories de produits, notamment les denrées alimentaires, les compléments alimentaires, les dispositifs médicaux, les biocides ou les produits cosmétiques, la présente directive n’est pas applicable. Il convient également d’améliorer la cohérence de la terminologie de la législation pharmaceutique. »

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 L’affaire C495/21

10      L. produit différentes substances pharmaceutiques, et, en particulier, des gouttes nasales. Depuis l’année 2011, à la suite du refus des autorités allemandes compétentes de les autoriser comme « médicament », au motif que leur efficacité thérapeutique n’avait pas été suffisamment démontrée, elle distribue ces gouttes en tant que « dispositifs médicaux ».

11      Par ailleurs, L. met également sur le marché les gouttes nasales en cause dans le litige au principal en tant que « dispositif médical » contenant, notamment, la même substance active que les gouttes nasales mentionnées au point précédent. Selon la notice de ces gouttes nasales, « [l]a préparation est indiquée en cas d’irritations de la muqueuse nasale dues à une rhinite virale » et « elle soigne la muqueuse nasale irritée et favorise sa régénération au cours du rhume ». Cette préparation est présentée comme étant un « traitement d’appoint en cas de rhume » et un « traitement en cas de rhume ».

12      La documentation technique du mois de janvier 2011, présentée au soutien du classement du produit en tant que « dispositif médical de classe I », expose que ladite préparation engendre une action physico‑chimique sur la muqueuse nasale et entraîne une étanchéité de la couche cellulaire supérieure de l’épithélium nasal ainsi qu’une réduction de la sécrétion nasale. Selon la juridiction de renvoi, le produit concerné aurait un second effet physico-chimique, prévenant le dessèchement de la muqueuse nasale par un dépôt comparable à un film élastique sur celle-ci, favorisant ainsi sa régénération.

13      Par une décision du 16 janvier 2014, le BfArM a constaté que le produit concerné devait être soumis à une autorisation préalable en tant que « médicament ». Il a considéré qu’il satisfaisait à la fois à la définition de la notion de « médicament par fonction », puisque l’action principale voulue était obtenue par un moyen d’action pharmacologique, et à la définition de la notion de « médicament par présentation ». Par une décision du 14 octobre 2014, il a rejeté la réclamation formée contre cette décision.

 L’affaire C496/21

14      H. est une entreprise pharmaceutique qui commercialise un spray nasal dénommé « N. » en tant que « dispositif médical » en Allemagne, ainsi que sur le territoire de plusieurs autres États membres de l’Union européenne. Celui-ci contient 50 milligrammes (mg) d’un extrait végétal lyophilisé. D’après les indications figurant sur l’emballage de ce spray nasal, le produit concerné est destiné au « nettoyage et au drainage des cavités nasales encombrées par les mucosités et les sécrétions » et doit permettre un allègement des symptômes en cas de congestion nasale. Dans la notice dudit spray nasal, il est indiqué sous l’intitulé « Précautions à prendre » de ne pas conduire de véhicules ni utiliser de machines dans les deux heures après utilisation. Dans la version en langue anglaise des informations sur ce produit, il est précisé que l’utilisation de celui-ci entraîne un écoulement important de sécrétions, pouvant durer jusqu’à deux heures, raison pour laquelle il est déconseillé de participer activement à la circulation routière et d’utiliser des machines pendant cette période.

15      Par une décision du 20 juin 2013, le BfArM a constaté que ledit produit devait être soumis à une autorisation préalable en tant que « médicament ». Selon le BfArM, celui-ci est un « médicament par fonction », puisque l’effet désiré serait obtenu par l’interaction de la saponine triterpène avec des constituants membranaires et donc par une action pharmacologique. L’action irritante de la saponine sur les muqueuses déclencherait une hyperréflexion réflective. En outre, H. n’aurait pas apporté la preuve d’une action purement physique. Dans des concentrations plus élevées, le produit N. pourrait provoquer des dommages aux membranes cellulaires. Étant donné que le fabricant du même produit mettrait en avant la finalité médicale de la préparation concernée, à savoir l’atténuation des symptômes associés à une rhinosinusite, celle-ci constituerait, également, un « médicament par présentation ». Par une décision du 22 août 2014, il a rejeté la réclamation formée contre cette décision.

 Les affaires C495/21 et C496/21

16      Les recours introduits par L. et H. contre lesdites décisions ont été rejetés. Les appels qu’elles ont ensuite interjetés devant l’Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen (tribunal administratif supérieur du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne) ont également été rejetés.

17      Cette juridiction a constaté que les produits concernés étaient présentés comme des « médicaments ». Elle a souligné, à cet égard, que si les notices de ces produits présentaient ces derniers comme des « dispositifs médicaux », lesdits produits étaient également présentés comme des produits traitant les irritations de la muqueuse nasale, respectivement, comme traitement de la rhinite virale dans l’affaire C‑495/21 et comme traitement de la rhinosinusite dans l’affaire C‑496/21, atténuant les symptômes, conduisant le consommateur, normalement informé et attentif, à considérer que les mêmes produits possèdent l’efficacité généralement associée aux médicaments. De plus, dans l’affaire C‑496/21, ladite juridiction a souligné que la revendication d’une distribution « exclusivement en pharmacie », ainsi que la mention, sur la version en langue anglaise du site Internet du producteur concerné, d’une efficacité cliniquement démontrée dans le traitement des rhinosinusites, étaient de nature à renforcer l’impression du consommateur d’être en présence d’un médicament.

18      La même juridiction a donc rejeté les arguments invoqués par les requérantes au principal, selon lesquels, d’une part, la notion de « médicament par présentation » ne trouverait pas à s’appliquer aux dispositifs médicaux et, d’autre part, il conviendrait de ne tenir compte du mode d’action principal du produit concerné qu’aux fins de l’appréciation de la notion de « dispositif médical » et, ainsi, exclure l’application du cadre juridique découlant de la directive 2001/83. À cet égard, l’Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen (tribunal administratif supérieur du Land de Rhénanie du Nord‑Westphalie) a souligné que, en l’état des connaissances scientifiques, il était impossible d’établir un mode d’action non pharmacologique des produits concernés. Ces derniers ne satisferaient donc pas aux conditions requises pour la qualification de « dispositif médical ».

19      Les requérantes au principal ont introduit un pourvoi en Revision devant le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne), la juridiction de renvoi.

20      Cette dernière nourrit des doutes à l’égard des champs d’application respectifs de la directive 93/42, relative aux dispositifs médicaux, et de la directive 2001/83, relative aux médicaments à usage humain, en l’absence d’étude scientifique démontrant le mode d’action non pharmacologique des produits concernés.

21      Ainsi, les interrogations de la juridiction de renvoi résultent, d’une part, de l’absence d’étude scientifique susceptible de prouver ou d’exclure le recours à une action pharmacologique (ou immunologique ou métabolique) et, d’autre part, du fait que l’exclusion réciproque, selon laquelle la définition de la notion de « médicament par fonction » exclut celle de « dispositif médical », pour lequel l’absence de recours à un moyen pharmacologique (ou immunologique ou métabolique) doit être établie, semble n’emporter aucune conséquence en présence d’un « médicament par présentation ».

22      Par conséquent, la juridiction de renvoi estime que plusieurs points mériteraient d’être clarifiés, à savoir, premièrement, la notion de « moyen pharmacologique », visée à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42, deuxièmement, la manière dont il convient de qualifier un produit pour lequel il n’est pas possible d’établir si l’action principale voulue est obtenue par des moyens pharmacologiques, troisièmement, les conditions permettant de considérer qu’un produit mis sur le marché en tant que « dispositif médical » peut être qualifié de « médicament par présentation », au sens de l’article 1er, point 2, sous a), de la directive 2001/83, et, quatrièmement, la question de savoir si la règle de l’application prioritaire de la directive 2001/83 à des produits qui répondent à la fois à la définition de la notion de « médicament » et à celle d’un produit régi par une autre législation de l’Union, prévue à l’article 2, paragraphe 2, de cette directive 2001/83, s’applique également aux « médicaments par présentation ».

23      S’agissant spécifiquement de l’interrogation sur le point de savoir si la règle de l’application prioritaire de la directive 2001/83 trouve également à s’appliquer aux « médicaments par présentation », la juridiction de renvoi indique que seuls les « médicaments par fonction » présenteraient des caractéristiques permettant d’établir la qualité de « médicament ». Selon elle, les « médicaments par présentation », pour lesquels de telles caractéristiques ne sont qu’alléguées, pourraient se voir appliquer des règles qui correspondent davantage aux caractéristiques propres du produit concerné, quand bien même celles-ci relèveraient d’un autre régime juridique. Si cette approche venait à être retenue, un produit, qui satisferait à la fois la définition de la notion de « médicament par présentation » et à celle de la notion de « dispositif médical », pourrait se voir appliquer la directive 93/42, relative aux dispositifs médicaux.

24      C’est dans ces conditions que le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, formulées en des termes identiques dans les affaires C‑495/21 et C‑496/21 :

« 1)      L’action principale voulue d’une substance peut-elle être pharmacologique, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42, également dans le cas où elle ne repose pas sur un mode d’action médié par des récepteurs et où la substance en question n’est pas non plus absorbée par le corps humain, mais reste à la superficie, par exemple au niveau des muqueuses, et réagit à cet endroit ? En fonction de quels critères convient-il, dans un tel cas de figure, de distinguer les moyens pharmacologiques des moyens non pharmacologiques, en particulier des moyens physico-chimiques ?

2)      Un produit peut-il être considéré comme étant un dispositif médical consistant en une matière, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42, dans le cas où le mode d’action dudit produit, en l’état des connaissances scientifiques, n’est pas connu avec certitude, et où, par conséquent, il n’est pas possible d’établir définitivement si l’action principale voulue est obtenue par voie pharmacologique, ou par voie physico‑chimique ?

3)      Dans un tel cas de figure, convient-il de classer le produit dans la catégorie des médicaments ou dans celle des dispositifs médicaux en se fondant sur un examen d’ensemble, incluant les autres caractéristiques de celui-ci ainsi que toutes les circonstances supplémentaires, ou bien faut-il considérer le produit, s’il est destiné à la prévention, au traitement ou à l’atténuation d’une maladie, comme un médicament par présentation, au sens de l’article 1er, point 2, sous a), de la directive 2001/83, indépendamment du point de savoir si un effet thérapeutique spécifique est ou non revendiqué ?

4)      La primauté du régime applicable aux médicaments s’applique‑t‑elle également, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2001/83, dans un tel cas de figure ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la quatrième question

25      Par sa quatrième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2001/83 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique non seulement aux « médicaments par fonction », visés à l’article 1er, point 2, sous b), de cette directive, mais également aux « médicaments par présentation », visés à l’article 1er, point 2, sous a), de ladite directive.

26      À titre liminaire, il convient de souligner que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2001/83 dispose, en substance, que cette directive s’applique aux médicaments à usage humain destinés à être mis sur le marché dans les États membres et qui sont fabriqués industriellement.

27      Le champ d’application de la directive 2001/83 est ainsi limité aux produits qui sont des médicaments fabriqués industriellement, à l’exclusion des produits qui ne répondent pas à l’une ou à l’autre des définitions de la notion de « médicament » figurant, respectivement, à l’article 1er, point 2, sous a), de cette directive, à savoir les « médicaments par présentation », et à l’article 1er, point 2, sous b), de ladite directive, à savoir les « médicaments par fonction » (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2014, Octapharma France, C‑512/12, EU:C:2014:149, point 30).

28      Or, premièrement, le libellé de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2001/83, en ce qu’il vise expressément le « médicament », ne permet pas de procéder à une distinction entre les deux définitions de la notion de « médicament » adoptées, respectivement, au point a) et au point b) de l’article 1er, point 2, de ladite directive, sauf à en méconnaître la lettre même.

29      Deuxièmement, une exclusion des « médicaments par présentation » de l’application prioritaire du régime juridique applicable aux médicaments est incompatible avec l’intention exprimée par le législateur, lequel a entendu, par l’obligation prévue à l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2001/83, concilier les impératifs de sécurité juridique des opérateurs économiques avec l’exigence de qualité, de sécurité et d’efficacité des médicaments à usage humain.

30      En effet, la directive 2004/27, qui a introduit cette disposition dans la directive 2001/83, prévoit, à son considérant 7, qu’il y a lieu « de clarifier les définitions et le champ d’application de la directive 2001/83 de manière à assurer un niveau élevé d’exigences de qualité, de sécurité et d’efficacité des médicaments à usage humain » et que, « afin de prendre en compte, d’une part, l’émergence de nouvelles thérapies et, d’autre part, le nombre croissant de produits dits “frontière” entre le secteur des médicaments et les autres secteurs, il convient de modifier la définition du médicament pour éviter, lorsqu’un produit répond pleinement à la définition du médicament, mais pourrait aussi répondre à la définition d’autres produits réglementés, que subsiste un doute sur la législation applicable ».

31      À cet égard, il importe néanmoins de souligner que ce considérant 7 précise également que, « lorsqu’un produit répond de façon évidente à la définition d’autres catégories de produits, notamment les denrées alimentaires, les compléments alimentaires, les dispositifs médicaux, les biocides ou les produits cosmétiques, la [directive 2004/27] n’est pas applicable ».

32      Cependant, une telle exception est conditionnée, conformément au libellé dudit considérant 7, par le caractère évident de la satisfaction des conditions prévues par une autre définition, ainsi que la Commission européenne l’a soutenu lors de l’audience, selon laquelle le législateur n’a nullement entendu remettre en cause la règle de l’application prioritaire de la directive 2001/83.

33      Or, en l’occurrence, le caractère évident de la satisfaction des conditions de la notion de « dispositif médical » semble faire défaut, ce qu’il appartiendra toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

34      Ainsi, un produit qui répond à la définition de la notion de « médicament », visée à l’article 1er, point 2, sous a) ou b), de la directive 2001/83, doit se voir appliquer le régime juridique établi par cette directive et ne peut pas, par voie de conséquence, être qualifié de « dispositif médical », au sens de la directive 93/42 (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Laboratoires Lyocentre, C‑109/12, EU:C:2013:626, point 41).

35      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2001/83 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique non seulement aux « médicaments par fonction », visés à l’article 1er, point 2, sous b), de cette directive, mais également aux « médicaments par présentation », visés à l’article 1er, point 2, sous a), de ladite directive.

 Sur les deuxième et troisième questions

36      Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42 ainsi que l’article 1er, point 2, de la directive 2001/83 doivent être interprétés en ce sens que, lorsque le mode d’action principal d’un produit n’est pas scientifiquement constaté, ce produit peut répondre à la définition de la notion de « dispositif médical », au sens de la directive 93/42, ou à celle de « médicament par fonction » ou de « médicament par présentation », au sens de la directive 2001/83.

37      En premier lieu, il convient de relever qu’il découle de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42 qu’une substance ne peut être qualifiée de « dispositif médical » que lorsque l’action principale voulue dans ou sur le corps humain n’est obtenue ni par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par la voie métabolique (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Laboratoires Lyocentre, C‑109/12, EU:C:2013:626, point 44).

38      À cet égard, il importe de souligner que les articles 3 et 4 de cette directive imposent au fabricant souhaitant commercialiser un produit en tant que « dispositif médical » de démontrer la satisfaction d’une telle condition.

39      Cette approche est par ailleurs confortée par l’économie générale de la directive 93/42, laquelle ne prévoit pas le même niveau de protection du consommateur que celui prévu par la directive 2001/83. Cette divergence se justifie par l’exigence négative imposée aux dispositifs médicaux en ce sens que l’action principale voulue n’est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42. La présomption de moindre dangerosité de ces produits justifie la mise en circulation de marchandises sur une base déclaratoire, contrairement au régime juridique applicable aux médicaments, par fonction ou par présentation, pour lesquels l’article 6 de la directive 2001/83 exige l’octroi préalable d’une autorisation de mise sur le marché.

40      En deuxième lieu, l’article 1er, paragraphe 5, sous c), de la directive 93/42 impose plus précisément aux autorités compétentes de tenir compte « tout particulièrement » du mode d’action principal du produit concerné. Or, une telle formulation ne saurait être interprétée comme permettant aux autorités nationales de tenir compte d’autres critères, puisqu’il découle de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de cette directive que le mode d’action de tout « dispositif médical » doit nécessairement être autre que pharmacologique, immunologique ou métabolique.

41      Dès lors, en l’absence de connaissance scientifique permettant d’établir que l’action principale voulue dans ou sur le corps n’est pas obtenue par des moyens pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques, l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42 ne permet pas de qualifier un produit de « dispositif médical ».

42      En troisième lieu, s’agissant de la qualification de « médicament par fonction », au sens de l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83, il importe de relever que, selon une jurisprudence constante, contrairement à la notion de « médicament par présentation », au sens de l’article 1er, point 2, sous a), de cette directive, dont l’interprétation extensive a pour objet de préserver les consommateurs des produits qui n’auraient pas l’efficacité qu’ils seraient en droit d’attendre, celle de « médicament par fonction » vise à englober les produits dont les propriétés pharmacologiques ont été scientifiquement constatées (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2012, Chemische Fabrik Kreussler, C‑308/11, EU:C:2012:548, point 30 et jurisprudence citée).

43      En outre, s’agissant de la détermination d’un produit comme « médicament par fonction », au sens de la directive 2001/83, il y a lieu de rappeler que les autorités nationales, agissant sous le contrôle du juge, doivent se prononcer au cas par cas, en tenant compte de l’ensemble des caractéristiques du produit concerné, dont notamment sa composition, ses propriétés pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques telles qu’elles peuvent être établies en l’état actuel de la connaissance scientifique, ses modalités d’emploi, l’ampleur de sa diffusion, la connaissance qu’en ont les consommateurs et les risques que peut entraîner son utilisation (arrêt du 15 janvier 2009, Hecht‑Pharma, C‑140/07, EU:C:2009:5, point 39).

44      Toutefois, à défaut de connaissances scientifiques disponibles, un produit ne saurait satisfaire à la définition de la notion de « médicament par fonction », laquelle requiert, conformément à l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83, une action pharmacologique, immunologique ou métabolique.

45      En quatrième lieu, s’agissant de la qualification de « médicament par présentation », au sens de l’article 1er, point 2, sous a), de la directive 2001/83, il importe de rappeler qu’un produit est « présenté comme possédant des propriétés curatives ou préventives », au sens de la directive 2001/83, lorsqu’il est « décrit » ou « recommandé » expressément comme tel, éventuellement au moyen d’étiquettes, de notices ou d’une présentation orale.

46      Un produit est également « présenté comme possédant des propriétés curatives ou préventives » chaque fois qu’il apparaît, de manière même implicite, mais certaine, aux yeux d’un consommateur moyennement avisé, que ce produit devrait, eu égard à sa présentation, avoir les propriétés concernées (arrêt du 15 novembre 2007, Commission/Allemagne, C‑319/05, EU:C:2007:678, point 46 et jurisprudence citée).

47      À cet égard, il convient de tenir compte de l’attitude d’un consommateur moyennement avisé auquel la forme donnée à un produit pourrait inspirer une confiance particulière, du type de celle qu’inspirent normalement les médicaments compte tenu des garanties qui entourent leur fabrication comme leur commercialisation. Si la forme extérieure donnée à ce produit peut constituer un indice sérieux en faveur de sa qualification en tant que médicament par présentation, cette forme doit s’entendre non seulement de celle du produit lui-même, mais aussi de son conditionnement, qui peut tendre, pour des raisons de politique commerciale, à le faire ressembler à un médicament (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2007, Commission/Allemagne, C‑319/05, EU:C:2007:678, points 44, 46 et 47 ainsi que jurisprudence citée).

48      Ainsi, les éléments évoqués par la juridiction de renvoi, tels que la présentation du produit concerné comme possédant des propriétés curatives ou de nature à atténuer une maladie, les références aux interactions médicamenteuses et aux effets indésirables, ainsi qu’une distribution exclusive en pharmacie, sont des éléments qui, pris dans leur ensemble, sont susceptibles de faire apparaître les produits concernés, aux yeux d’un consommateur moyennement avisé, comme ayant les propriétés d’un médicament, ce qu’il appartiendra toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

49      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42 ainsi que l’article 1er, point 2, de la directive 2001/83 doivent être interprétés en ce sens que, lorsque le mode d’action principal d’un produit n’est pas scientifiquement constaté, ce produit ne peut répondre ni à la définition de la notion de « dispositif médical », au sens de la directive 93/42, ni à celle de « médicament par fonction », au sens de la directive 2001/83. Il appartient aux juridictions nationales d’apprécier, au cas par cas, si les conditions relatives à la définition de la notion de « médicament par présentation », au sens de cette dernière directive, sont satisfaites.

 Sur la première question

50      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42 doit être interprété en ce sens qu’une action principale voulue d’une substance peut être « pharmacologique », et tombe ainsi en dehors du champ d’application de cette directive, dans les situations où ce mode d’action ne repose pas sur une action médiée par des récepteurs et où la substance concernée n’est pas non plus absorbée par le corps humain, mais reste à la surface de ce dernier, par exemple, au niveau des muqueuses.

51      Compte tenu des réponses apportées aux deuxième à quatrième questions préjudicielles, il n’y a pas lieu de répondre à la première question préjudicielle.

 Sur les dépens

52      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 2, paragraphe 2, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004,

doit être interprété en ce sens que :

il s’applique non seulement aux « médicaments par fonction », visés à l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83, telle que modifiée, mais également aux « médicaments par présentation », visés à l’article 1er, point 2, sous a), de ladite directive.

2)      L’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux, telle que modifiée par la directive 2007/47/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 septembre 2007, ainsi que l’article 1er, point 2, de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27,

doivent être interprétés en ce sens que :

lorsque le mode d’action principal d’un produit n’est pas scientifiquement constaté, ce produit ne peut répondre ni à la définition de la notion de « dispositif médical », au sens de la directive 93/42, telle que modifiée par la directive 2007/47, ni à celle de « médicament par fonction », au sens de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27. Il appartient aux juridictions nationales d’apprécier, au cas par cas, si les conditions relatives à la définition de la notion de « médicament par présentation », au sens de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, sont satisfaites.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.