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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

20 octobre 2021 (*)

« Référé – Marque de l’Union européenne – Représentation professionnelle – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑497/21 R,

Giovanna Paola Girardi, demeurant à Madrid (Espagne), représentée par Me G. Macías Bonilla, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mmes A. Söder et G. Predonzani, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE et tendant au sursis à l’exécution, d’une part, de la décision de l’EUIPO du 14 juin 2021 concernant la capacité à agir de la requérante en tant que représentante devant l’EUIPO et, d’autre part, des directives de l’EUIPO relatives à l’examen des marques de l’Union européenne, dans la partie relative à la représentation professionnelle des avocats espagnols (partie A, section 5, annexe 1),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        La requérante, Mme Giovanna Paola Girardi, est avocate au barreau de Madrid, spécialisée en droit de la propriété intellectuelle de l’Union européenne.

2        Le 3 juin 2021, la requérante a formé une demande en nullité d’une marque devant l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), au nom d’un client dont le domicile légal se situe en dehors de l’Espace économique européen (EEE).

3        Par lettre du 14 juin 2021, l’EUIPO a notifié à la requérante une irrégularité concernant sa capacité à agir en tant que représentante devant l’EUIPO (ci‑après la « décision attaquée »), conformément à l’article 120 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

4        Selon les termes de la lettre de l’EUIPO du 14 juin 2021, en Espagne, les avocats ne peuvent représenter que des clients qui ont leur résidence permanente dans l’Union. Les clients qui ont leur résidence permanente en dehors de l’Union doivent être représentés par un représentant dûment agréé, conformément à l’annexe 1, partie A « Dispositions générales », section 5 « Représentation professionnelle » des directives relatives à l’examen des marques de l’Union européenne. Lorsque la personne représentée n’est pas résidente d’un État membre de l’Union, elle ne peut pas être représentée par un avocat et doit être représentée par un mandataire agréé portant le titre d’« agent officiel en propriété intellectuelle ».

5        Le 16 juin 2021, la requérante a introduit une réclamation dirigée contre la décision attaquée.

6        Le 22 juin 2021, l’EUIPO a, à la suite d’un courriel qui lui a été adressé par la requérante le 17 juin 2021, encouragé celle‑ci à présenter tous les moyens de droit contre l’irrégularité en cause dans le cadre de la procédure devant le service compétent.

7        Le 23 juillet 2021, l’EUIPO a informé la requérante qu’il avait contacté l’Oficina Española de Patentes y Marcas (OEPM, Office des brevets et des marques espagnol) afin de confirmer le contenu et la validité actuelle des dispositions pertinentes du droit national relatives à la capacité de représentation des avocats espagnols et a déclaré qu’avant que cet OEPM ne clarifie la situation, l’EUIPO ne prendra aucune autre mesure ou n’émettra aucune autre notification concernant cette irrégularité.

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 août 2021, la requérante a introduit un recours tendant notamment à l’annulation de la décision attaquée.

9        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal d’ordonner à l’EUIPO de suspendre l’application de la décision attaquée à son égard et de ne pas appliquer la mesure de base, figurant à la section 5, partie A, des directives relatives à l’examen des marques de l’Union européenne, relative à la représentation professionnelle des avocats espagnols, jusqu’au prononcé de la décision dans l’affaire principale.

10      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 15 septembre 2021, l’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 5 octobre 2021, la requérante a produit de nouveaux éléments de preuve.

12      Le 18 octobre 2021, l’EUIPO a déposé ses observations sur les nouveaux éléments de preuve produits par la requérante.

 En droit

13      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12 et jurisprudence citée).

14      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

15      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

16      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

17      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

18      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

19      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

20      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si la requérante parvient à démontrer l’urgence.

21      En l’espèce, pour démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice, la requérante fait valoir, en premier lieu, que la décision attaquée lui retire le droit de représenter des clients dont le domicile légal se situe en dehors de l’EEE avec effet immédiat, futur et rétroactif. Selon elle, cette décision porte préjudice non seulement à elle-même, dont les clients non européens représentent environ 80 % de son activité, mais également aux clients eux‑mêmes. Elle estime que, si la demande en nullité présentée le 3 juin 2021 devait être tenue en suspens jusqu’à ce que la question de la représentation professionnelle soit clarifiée par les juridictions de l’Union, l’EUIPO ne pourrait commencer à examiner ladite demande que dans un délai de trois à cinq ans. La marque de la cliente de la requérante serait alors diluée et l’objectif poursuivi par cette demande pourrait être plus difficile, voire impossible, à atteindre. En deuxième lieu, elle allègue qu’elle perdra la confiance d’une clientèle difficile à constituer, ce qui peut représenter la fin de sa microentreprise. En troisième lieu, elle soutient qu’il faudra étendre ce constat à ses confrères, les avocats espagnols dans leur ensemble, si le Tribunal ne suspend pas l’application de la mesure de base.

22      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

23      En premier lieu, s’agissant de l’argumentation de la requérante selon laquelle la décision attaquée lui porte préjudice, car les clients non européens représentent environ 80 % de son activité, il convient de constater qu’il s’agit d’une allégation, dénuée de tout élément de preuve, ne permettant pas au juge des référés d’avoir une image fidèle et globale de la situation financière de la requérante. Par conséquent, dans de telles circonstances, le juge des référés n’est pas en mesure d’apprécier si le préjudice allégué peut être qualifié de grave et d’irréparable.

24      Par ailleurs, il convient de relever que le préjudice invoqué par la requérante est de nature purement financière.

25      À cet égard, il convient de relever qu’un préjudice d’ordre financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut, en règle générale, faire l’objet d’une compensation financière ultérieure (voir ordonnance du 2 octobre 2019, FV/Conseil, T‑542/19 R, non publiée, EU:T:2019:718, point 42 et jurisprudence citée).

26      Il est vrai que, même en cas de préjudice d’ordre purement pécuniaire, une mesure provisoire se justifie s’il apparaît que, en l’absence de cette mesure, la partie qui la sollicite se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière, puisqu’elle ne disposerait pas d’une somme devant normalement lui permettre de faire face à l’ensemble des dépenses indispensables pour assurer la satisfaction de ses besoins élémentaires jusqu’au moment où il sera statué sur le recours principal (voir ordonnance du 2 octobre 2019, FV/Conseil, T‑542/19 R, non publiée, EU:T:2019:718, point 43 et jurisprudence citée).

27      Toutefois, pour pouvoir apprécier si le préjudice allégué présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de la décision attaquée, le juge des référés doit, dans tous les cas, disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés qui démontrent la situation financière de la partie qui sollicite la mesure provisoire et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées [voir ordonnance du 27 avril 2010, Parlement/U, T‑103/10 P(R), EU:T:2010:164, point 37 et jurisprudence citée].

28      Or, comme cela a été mentionné au point 23 ci‑dessus, la requérante a omis de fournir ces indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés certifiés, dans le cas d’espèce. En effet, elle s’est abstenue de fournir la moindre information sur la taille, les caractéristiques et le chiffre d’affaires total de son entreprise.

29      En deuxième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la perte de confiance de sa clientèle pourra représenter la fin de sa microentreprise, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, si l’imminence du préjudice allégué ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant, un préjudice de nature purement hypothétique, fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne justifiant pas l’octroi de mesures provisoires (voir ordonnance du 7 décembre 2015, POA/Commission, T‑584/15 R, non publiée, EU:T:2015:946, point 22 et jurisprudence citée).

30      Par ailleurs, il convient de noter à cet égard que l’EUIPO affirme ne pas encore avoir pris de décision à l’encontre de la requérante en ce qui concerne la capacité de celle-ci de représenter des clients non établis dans l’EEE. Il n’est donc pas certain que l’interprétation de l’EUIPO se soit cristallisée en une position définitive.

31      En troisième lieu, il y a lieu d’écarter les arguments de la requérante selon lesquels la décision attaquée porte également préjudice à ses clients et à ses confrères, les avocats espagnols dans leur ensemble, dans la mesure où les atteintes alléguées ne la concernent pas personnellement.

32      En effet, selon une jurisprudence constante, une partie requérante ne peut pas, pour établir l’urgence, invoquer l’atteinte portée aux droits des tiers ou à l’intérêt général (voir ordonnance du 26 septembre 2017, António Conde & Companhia/Commission, T‑443/17 R, non publiée, EU:T:2017:671, point 35 et jurisprudence citée).

33      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée à défaut, pour la requérante, d’établir l’urgence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la recevabilité, de se prononcer sur le fumus boni juris ou de procéder à la mise en balance des intérêts.

34      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 20 octobre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : l’anglais.