Language of document : ECLI:EU:T:2013:97

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

27 février 2013 (*)

« Pêche – Conservation des ressources halieutiques – Reconstitution des stocks de thon rouge – Mesures interdisant la pêche par les senneurs à senne coulissante battant pavillon de la France ou de la Grèce – Recours en annulation – Acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution – Affectation directe – Recevabilité – Taux d’épuisement des quotas par État et par senneur – Capacité réelle de capture »

Dans l’affaire T‑367/10,

Bloufin Touna Ellas Naftiki Etaireia, établie à Athènes (Grèce),

Chrisderic, établie à Saint-Cyprien (France),

André Sébastien Fortassier, demeurant à Grau-d’Agde (France),

représentés initialement par Mes V. Akritidis et E. Petritsi, avocats, puis par Mes Akritidis et F. Crespo, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mme K. Banks, MM. A. Bouquet et D. Nardi, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation du règlement (UE) n° 498/2010 de la Commission, du 9 juin 2010, interdisant, dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la mer Méditerranée, la pêche du thon rouge par les senneurs à senne coulissante battant pavillon de la France ou de la Grèce ou enregistrés dans ces États membres (JO L 142, p. 1),

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, président, V. Vadapalas (rapporteur) et K. O’Higgins, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 novembre 2012,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Les requérants, Bloufin Touna Ellas Naftiki Etaireia (ci-après la « requérante grecque »), Chrisderic ainsi que M. André Sébastien Fortassier (ci-après les « requérants français »), sont respectivement propriétaires des senneurs à senne coulissante nommés Aigaion, battant pavillon de la Grèce, Chrisderic II et Ville d’Agde IV, battant tous deux pavillon de la France, autorisés à pêcher du thon rouge. En application des quotas de pêche alloués aux États membres de l’Union européenne par le règlement (UE) n° 53/2010 du Conseil, du 14 janvier 2010, établissant, pour 2010, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’UE et, pour les navires de l’UE, dans les eaux soumises à des limitations de capture et modifiant les règlements (CE) n° 1359/2008, (CE) n° 754/2009, (CE) n° 1226/2009 et (CE) n° 1287/2009 (JO L 21, p. 1), les autorités grecques et françaises ont attribué, respectivement, à la requérante grecque et aux requérants français des quotas de pêche pour 2010.

2        Le 15 avril 2010, les requérants ont déposé une demande d’autorisation d’opération conjointe de pêche (ci-après l’« OCP »), conformément à l’article 19 du règlement (CE) n° 302/2009 du Conseil, du 6 avril 2009, relatif à un plan pluriannuel de reconstitution des stocks de thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée, modifiant le règlement (CE) n° 43/2009 et abrogeant le règlement (CE) n° 1559/2007 (JO L 96, p. 1). Cette OCP concernait la pêche du thon rouge vivant par les navires Aigaion, Chrisderic II et Ville d’Agde IV et couvrait la période de pêche réglementée s’étendant du 16 mai au 14 juin 2010.

3        Les 21 et 30 avril 2010, les autorités françaises et grecques ont respectivement transmis à la Commission européenne leurs demandes d’OCP. Le 12 mai 2010, après que la République hellénique eut modifié son plan de pêche annuel en raison de la révision du quota individuel de l’Aigaion, la Commission a notifié à la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA) les cinq OCP pour lesquelles des demandes lui avaient été soumises par des États membres, dont celle des requérants.

4        Par lettre du 19 mai 2010, les autorités grecques ont informé la requérante grecque que les opérations de pêche pourraient débuter le 23 mai.

5        En application de l’article 36, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil, du 20 novembre 2009, instituant un régime communautaire de contrôle afin d’assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) n° 847/96, (CE) n° 2371/2002, (CE) n° 811/2004, (CE) n° 768/2005, (CE) n° 2115/2005, (CE) n° 2166/2005, (CE) n° 388/2006, (CE) n° 509/2007, (CE) n° 676/2007, (CE) n° 1098/2007, (CE) n° 1300/2008, (CE) n° 1342/2008 et abrogeant les règlements (CEE) n° 2847/93, (CE) n° 1627/94 et (CE) n° 1966/2006 (JO L 343, p. 1), la Commission a, le 9 juin 2010, adopté le règlement (UE) n° 498/2010 interdisant, dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la mer Méditerranée, la pêche du thon rouge par les senneurs à senne coulissante battant pavillon de la France ou de la Grèce ou enregistrés dans ces États membres (JO L 142, p. 1, ci-après le « règlement attaqué »).

6        L’article 1er de ce règlement énonce ce qui suit :

« La pêche du thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, ainsi que dans la Méditerranée, par les senneurs à senne coulissante battant pavillon de la France ou de la Grèce ou enregistrés dans ces États membres est interdite à compter du 10 juin 2010, 00 heures. »

7        Par ailleurs, le 14 juin 2010, la Commission a adopté, en vertu de l’article 36, paragraphe 2, du règlement n° 1224/2009, le règlement (UE) n° 508/2010 interdisant, dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la mer Méditerranée, la pêche du thon rouge par les senneurs à senne coulissante battant pavillon de l’Espagne ou enregistrés dans cet État membre (JO L 149, p. 7).

8        Selon l’article 2 de ce règlement :

« Les activités de pêche du stock visé à l’annexe du présent règlement effectuées par des senneurs à senne coulissante battant pavillon de l’État membre mentionné à ladite annexe ou enregistrés dans cet État membre [sont] interdite[s] à compter de la date fixée dans cette annexe. »

9        L’annexe de ce règlement mentionne la date du 10 juin 2010 comme date à compter de laquelle était également interdite la pêche du thon rouge par les senneurs à senne coulissante battant pavillon de l’Espagne ou enregistrés en Espagne.

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 septembre 2010, les requérants ont introduit le présent recours.

11      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a posé des questions écrites à la Commission, auxquelles celle-ci a répondu dans le délai imparti.

12      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 14 novembre 2012.

13      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué ;

–        condamner la Commission aux dépens.

14      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

15      La Commission, sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, considère que, la République française ayant attribué à d’autres segments de sa flotte le quota inutilisé des senneurs à senne coulissante français, certains doutes existeraient sur l’intérêt toujours actuel des requérants français à l’annulation du règlement attaqué.

16      Les requérants soutiennent que le règlement attaqué a eu pour eux d’importants effets négatifs, qui justifient à la fois l’existence d’un intérêt direct et individuel et, par là même, la qualité pour agir dans le cadre de la présente procédure devant le Tribunal. À cet égard, contrairement à ce que soutient la Commission, le fait que la République française ait révisé son plan de pêche et qu’elle ait épuisé son quota national n’aurait aucune incidence sur l’intérêt des requérants français à l’annulation du règlement attaqué.

17      Il convient tout d’abord de rappeler que, selon l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.

18      En l’espèce, il y a lieu de constater que le règlement attaqué est un acte réglementaire, adopté par la Commission sur la base de l’article 36, paragraphe 2, du règlement n° 1224/2009, dont les dispositions visent à interdire, dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, la pêche du thon rouge par les senneurs à senne coulissante battant pavillon de la France ou de la Grèce, ou enregistrés dans ces États membres, à compter du 10 juin 2010 à 00 heures.

19      Il n’est donc pas contestable que les dispositions du règlement attaqué s’adressent en termes abstraits à un nombre indéterminé de personnes et s’appliquent à des situations définies objectivement (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 juin 1993, Abertal e.a./Commission, C‑213/91, Rec. p. I‑3177, point 19, et ordonnance du Tribunal du 29 juin 1995, Cantina cooperativa fra produttori vitivinicoli di Torre di Mosto e.a./Commission, T‑183/94, Rec. p. II‑1941, point 51).

20      En outre, les requérants ayant précisément pour activité la pêche du thon rouge sur des senneurs à senne coulissante, battant, pour l’Aigaion, pavillon de la Grèce et, pour le Chrisderic II et la Ville d’Agde IV, pavillon de la France, ils sont directement affectés par le règlement attaqué.

21      Enfin, il y a lieu de relever que l’arrêt de la pêche, tel que résultant du règlement attaqué, ne nécessite pas de mesure d’exécution de la part des États membres.

22      Il s’ensuit que le règlement attaqué est un acte règlementaire ne comportant pas de mesures d’exécution et qui concerne directement les requérants, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Ces considérations ne sont pas, par ailleurs, contestées par les parties.

23      S’agissant des arguments de la Commission visant à mettre en doute l’existence toujours actuelle de l’intérêt des requérants français à l’annulation du règlement attaqué, il y a lieu de les rejeter.

24      À cet égard, il suffit de relever que, au jour de la fermeture de la pêche du thon rouge par ledit règlement, les requérants français n’avaient pas épuisé le quota qui leur avait été initialement attribué. En effet, le quota initialement alloué à chaque senneur français s’élevait à 51 tonnes et, au moment de la fermeture de la pêche, lesdits requérants avaient pêché chacun 31,5 tonnes. Par conséquent, ils n’avaient utilisé, à cette date, que 61,7 % de leur quota.

25      Par ailleurs, il ressort des écritures de la Commission que, en dépit du transfert de 168 tonnes du quota inutilisé vers d’autres segments de flotte, les senneurs français n’ont pas totalement épuisé les quotas qui leur avaient été alloués.

26      Ainsi, force est de constater que les senneurs français n’ont pas pu utiliser la totalité de leur quota, en raison du règlement attaqué interdisant la pêche du thon rouge à compter du 10 juin 2010.

27      Il en résulte que, en raison de cette interdiction, les requérants français ont vu le quota qui leur avait été initialement alloué réduit de façon substantielle. De ce fait, contrairement à ce que soutient la Commission, il ne saurait être considéré que l’intérêt à agir des requérants français a disparu.

28      Enfin, s’agissant de l’intérêt à agir de la requérante grecque, il suffit de relever qu’il ressort des points 34 et 42 ci-après qu’elle se trouve dans une situation identique à celle des requérants français, à savoir qu’elle n’a pas pu utiliser la totalité du quota qui lui avait été alloué, la Commission n’ayant, au surplus, pas contesté, la concernant, le caractère toujours actuel de son intérêt à agir.

29      Dès lors, il y a lieu de considérer que le présent recours est recevable.

 Sur le fond

30      À l’appui de leur recours, les requérants invoquent trois moyens, tirés, le premier, de la violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, le deuxième, de la violation du principe de proportionnalité et, le troisième, de la violation du principe de bonne administration et du devoir de diligence.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination

31      Les requérants affirment que la Commission a pratiqué une double discrimination. À cet égard, premièrement, elle aurait interdit la poursuite des opérations de pêche des senneurs à senne coulissante battant pavillon de la Grèce, de l’Espagne et de la France, ou enregistrés dans ces États membres (ci-après les « senneurs grec, espagnols et français ») à la même date, et ce avant la fin de la période de pêche, alors que, en réalité, l’épuisement du quota grec aurait été bien inférieur à celui du quota espagnol. Deuxièmement, tout en informant les trois États membres de la suspension de ces opérations de pêche, la Commission aurait publié deux règlements de suspension obligatoire distincts, à savoir le règlement attaqué, concernant les senneurs grec et français, et le règlement n° 508/2010, concernant les senneurs espagnols. Or, ce dernier aurait autorisé, en pratique, la flotte espagnole à poursuivre ses activités de pêche jusqu’au terme de la période de pêche initialement prévue, à savoir le 14 juin 2010, ce qui aurait abouti à une discrimination fondée sur la nationalité.

–       Sur la première branche du premier moyen, relative à la discrimination résultant de l’arrêt de la pêche à la même date pour les senneurs grec, espagnols et français

32      Il y a lieu de rappeler que le respect du principe de non-discrimination requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt de la Cour du 17 mars 2011, AJD Tuna, C‑221/09, non encore publié au Recueil, point 88, et la jurisprudence citée).

33      Il convient d’examiner si la Commission, en décidant de l’arrêt anticipé de la pêche à la même date pour les senneurs grec, espagnols et français, a commis une discrimination au sens de la jurisprudence citée au point précédent.

34      À cet égard, il y a lieu de relever que la Commission a envoyé, le 9 juin 2010, trois télécopies aux administrations des États membres concernés, indiquant que, à la date du 8 juin 2010, les senneurs grec, espagnols et français avaient utilisé respectivement 61,7 %, 90,5 % et 85,7 % de leur quota et que, de ce fait, la capacité de pêche de ces navires était réputée épuisée le 9 juin 2010.

35      Bien que, à la lumière desdits pourcentages, l’on relève l’existence d’une nette différence entre le pourcentage d’utilisation des quotas par les senneurs espagnols, d’une part, et par le senneur grec, d’autre part, et qu’il en ressort que les senneurs espagnols ont pu pêcher davantage de thon rouge que les senneurs français, force est de constater que ces pourcentages ne donnent qu’une image imparfaite de la situation réelle. En effet, la Commission, afin de décider de l’arrêt de la pêche, a tenu compte du risque pour les États membres de dépasser le quota qui leur avait été alloué. À cet égard, il y a lieu de noter que les quotas alloués à la République hellénique, au Royaume d’Espagne et à la République française pour la pêche du thon rouge à la senne coulissante étaient, respectivement, de 60 tonnes, de 803,9 tonnes et de 1 699 tonnes.

36      Ainsi, à la date du 8 juin 2010, il restait à la République hellénique, au Royaume d’Espagne et à la République française, respectivement, des quotas de 23 tonnes, de 76,1 tonnes et de 243 tonnes pour la pêche du thon rouge à la senne coulissante. Il y a lieu de relever que la flotte grecque n’est constituée que d’un senneur à senne coulissante, à savoir l’Aigaion, bateau de la requérante grecque, alors que les flottes espagnole et française doivent partager le quota attribué à leurs États membres d’origine entre, respectivement, 6 et 16 senneurs à senne coulissante.

37      Or, selon les données reçues par la Commission et non contestées par les requérants, l’Aigaion a pêché en une seule journée, soit le 6 juin 2010, 37 tonnes de thon rouge et les requérants français ont pêché chacun 31,5 tonnes ce même jour. Dans le cadre de leur OCP, les requérants avaient donc pêché 100 tonnes de thon rouge. Par ailleurs, au 6 juin 2010, la flotte espagnole avait pêché 597 tonnes de thon rouge et la flotte française, prise dans sa totalité, en avait pêché 1 107 tonnes.

38      La Commission, se fondant sur ces données ainsi que sur la capacité de capture des senneurs à senne coulissante et sur les taux de capture moyens de la flotte de senneurs à senne coulissante de l’Union, tels qu’ils avaient été observés durant les saisons de pêche de 2007, 2008 et 2009, a déterminé la date probable d’épuisement des quotas comme étant le 9 juin 2010 pour les senneurs grec, espagnols et français.

39      À cet égard, même si le taux d’épuisement des quotas grec, espagnol et français n’était pas le même, il résulte des données fournies par la Commission et des calculs effectués par cette dernière qu’il existait un risque que les senneurs à senne coulissante dépassent le quota qui leur avait été alloué, et ce d’autant plus que les quotas restants, de 23 tonnes pour le senneur grec, de 12,7 tonnes pour chaque senneur espagnol et de 19,5 tonnes pour chacun des requérants français, selon une moyenne théorique, étaient relativement bas.

40      En outre, il y a lieu d’admettre que, si les requérants ont pu pêcher 100 tonnes en une journée, il est probable qu’ils auraient été capables de pêcher le quota restant, à savoir 62 tonnes, en une journée. Le même raisonnement est applicable aux capacités de pêche de la flotte espagnole ou de la flotte française, prises dans leur intégralité.

41      Ainsi, la Commission s’est bien fondée sur la capacité réelle des senneurs grec, espagnols et français à capturer du thon rouge et non sur leur capacité théorique à atteindre leur quota de capture pour décider la fermeture de la pêche (voir, en ce sens, arrêt AJD Tuna, précité, point 102).

42      Elle a, en outre, utilisé une méthode de calcul fondée sur des critères objectifs, à savoir l’analyse des données disponibles au 6 juin 2010 et l’analyse des données des campagnes de pêche des années 2007, 2008 et 2009. Cette méthode a été appliquée de la même manière aux senneurs grec, espagnols et français, afin de déterminer la date à laquelle leur quota serait réputé épuisé.

43      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de rejeter la première branche du premier moyen des requérants, selon laquelle la Commission a commis une discrimination en arrêtant la pêche du thon rouge à la même date pour les senneurs grec, espagnols et français.

–       Sur la seconde branche du premier moyen, relative à la discrimination résultant de l’adoption du règlement attaqué et du règlement n° 508/2010 à des dates différentes

44      Il y a lieu de vérifier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 32 ci-dessus, si, en adoptant le règlement attaqué et le règlement n° 508/2010, la Commission a commis une discrimination en ce qu’elle aurait permis aux senneurs espagnols de pêcher plus longtemps que les requérants.

45      Il convient de rappeler que le règlement attaqué a été adopté le 9 juin 2010 et a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 10 juin 2010, alors que le règlement n° 508/2010 a été adopté le 14 juin 2010 et a été publié audit Journal officiel le 15 juin 2010. Selon l’article premier du règlement attaqué, la pêche du thon rouge par les senneurs à senne coulissante « battant pavillon de la France ou de la Grèce ou enregistrés dans ces États membres » est interdite à compter du 10 juin 2010. Selon l’annexe au règlement n° 508/2010, la pêche du thon rouge par les senneurs à senne coulissante espagnols est interdite également à compter du 10 juin 2010.

46      S’agissant, tout d’abord, des arguments des requérants développés dans le mémoire en réplique visant à démontrer qu’il existe des contradictions entre la date à laquelle le quota espagnol devait être réputé épuisé et celle finalement retenue pour l’arrêt de la pêche du thon rouge dans le règlement n° 508/2010, il y a lieu de les rejeter.

47      En effet, que ce soit pour les senneurs grec, espagnols ou français, la Commission a indiqué que la date d’épuisement des quotas était réputée être le 9 juin 2010. En conséquence, la Commission a fixé, dans le règlement attaqué, la date du 10 juin 2010 à 00 heures comme date d’interdiction de la pêche du thon rouge pour les senneurs grec et français. Dans le règlement n° 508/2010, la date d’interdiction est également le 10 juin 2010. Certes, l’heure exacte à laquelle l’interdiction de pêche devait prendre effet n’y est pas précisée. Toutefois, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 4, paragraphe 2, du règlement (CEE, Euratom) n° 1182/71 du Conseil, du 3 juin 1971, portant détermination des règles applicables aux délais, aux dates et aux termes (JO L 124, p. 1), la prise d’effet d’un acte de la Commission fixée à une date déterminée intervient au début de la première heure du jour correspondant à cette date. Par conséquent, comme pour le règlement attaqué, l’interdiction de la pêche du thon rouge pour les senneurs espagnols a été fixée, par le règlement n° 508/2010, au 10 juin 2010 à 00 heures.

48      Ensuite, les requérants soutiennent qu’ils ont fait l’objet d’une discrimination au motif que le règlement n° 508/2010, en ayant été adopté après le règlement attaqué, aurait permis aux senneurs espagnols de pêcher, en pratique, plus longtemps qu’eux.

49      En premier lieu, il convient de constater que, ainsi que le soutient la Commission, indépendamment de la circonstance que le règlement n° 508/2010 a été adopté le 14 juin 2010, les autorités espagnoles ont décidé de l’arrêt de la pêche du thon rouge les 8 et 9 juin 2010 et, par conséquent, les senneurs espagnols n’ont pas, en pratique, pêché plus longtemps que les requérants.

50      À cet égard, il y a lieu de se référer aux télécopies, datées des 8 et 9 juin 2010, envoyées par les autorités espagnoles à la Commission, par lesquelles elles l’informaient que la pêche du thon rouge par les senneurs à senne coulissante cesserait pour quatre de leurs navires le 8 juin 2010 à 17 heures et pour leurs deux derniers navires le 9 juin 2010 à 9 heures.

51      Ainsi, contrairement à ce qu’allèguent les requérants, les senneurs espagnols n’ont pas bénéficié de jours supplémentaires de pêche, mais ont, au contraire, arrêté celle-ci un jour plus tôt que les senneurs grec et français, dans la mesure où, d’après les informations transmises par les autorités espagnoles, le dernier senneur a cessé la pêche le 9 juin 2010.

52      À l’appui de leur thèse selon laquelle les senneurs espagnols auraient pêché plus longtemps qu’eux, les requérants mentionnent le cas d’un navire espagnol, le Nuevo Elorz, qui aurait pêché, selon les procès-verbaux de capture de la CICTA, 10 341 kg de thon rouge le 10 juin 2010. Toutefois, ainsi que cela ressort de la duplique et des réponses de la Commission aux questions du Tribunal, il s’agit d’une erreur de la CICTA, dans la mesure où la date à laquelle le Nuevo Elorz a pêché les 10 341 kg de thon rouge en question était le 5 juin 2010 et non le 10 juin 2010.

53      Par conséquent, contrairement à ce que prétendent les requérants, ce senneur espagnol ne saurait être considéré comme ayant pêché au-delà du 10 juin 2010. En outre, il y a lieu de constater que les requérants n’ont apporté aucune preuve visant à démontrer que d’autres senneurs espagnols auraient effectivement pêché au-delà de cette date.

54      En second lieu, il y a lieu de relever que le règlement n° 508/2010 a simplement permis de confirmer l’arrêt de la pêche du thon rouge, par les senneurs espagnols, tel que décidé par les autorités espagnoles.

55      La Commission indique, dans le mémoire en défense, qu’elle a informé, par télécopie en date du 11 juin 2010, tous les États membres que le Royaume d’Espagne avait décidé, de façon autonome, de la fermeture de la pêche du thon rouge pour ses senneurs.

56      Les requérants estiment que cette télécopie n’informe pas les États membres de la fermeture autonome de la pêche du thon rouge pour les senneurs espagnols, mais de l’interdiction de pêche adressée par la Commission au Royaume d’Espagne. D’ailleurs, ils soulignent que la Commission a agi de façon contradictoire en adoptant le règlement n° 508/2010, alors qu’elle aurait affirmé qu’il n’était pas nécessaire de publier un tel règlement dans la mesure où les autorités espagnoles avaient déjà procédé, de manière volontaire, à la fermeture des activités de pêche de leur flotte de senneurs à senne coulissante.

57      Toutefois, même à supposer les arguments des requérants établis, cela ne saurait avoir d’incidence sur le présent recours. En effet, il convient de remarquer que les arguments des requérants visent, en substance, à remettre en cause la légalité du règlement n° 508/2010 et, donc, à tirer profit de l’illégalité qui serait ainsi éventuellement constatée pour demander l’annulation du règlement attaqué sur la base de la violation du principe de non-discrimination.

58      Or, même à supposer que le règlement n° 508/2010 puisse comporter des incohérences, il y a lieu de relever que celui-ci, ayant été adopté postérieurement au règlement attaqué, demeure sans incidence sur la légalité dudit règlement attaqué.

59      Il résulte de tout ce qui précède qu’aucun senneur grec, espagnol ou français n’était autorisé à pêcher et ne pêchait effectivement à la date du 10 juin 2010.

60      Par conséquent, même si la Commission a adopté le règlement attaqué et le règlement n° 508/2010 à des dates différentes, cette situation n’a pas entraîné, en pratique, une discrimination entre senneurs grec, espagnols et français.

61      Au vu de tout ce qui précède, il y a donc lieu de rejeter le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité

62      Les requérants considèrent que la Commission aurait pu adopter des mesures plus proportionnées, afin de veiller au respect, par les États membres de l’Union, du régime prévu par le règlement n° 1224/2009. En effet, la Commission aurait appliqué une interdiction disproportionnée à un moment où l’épuisement des différents quotas nationaux, en particulier celui du senneur grec, était bien inférieur à celui des senneurs espagnols et où il n’y aurait pas eu de risque réel de dépasser ces quotas, au vu de leurs faibles niveaux d’utilisation.

63      À cet égard, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser l’objectif visé et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir arrêt AJD Tuna, précité, point 79, et la jurisprudence citée).

64      Selon une jurisprudence constante, le législateur de l’Union dispose, dans le domaine de l’agriculture, y compris la pêche, d’un large pouvoir d’appréciation, qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 40 TFUE à 43 TFUE lui attribuent. Par conséquent, le contrôle du juge doit se limiter à vérifier si la mesure en cause n’est pas entachée d’erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ou si l’autorité en question n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation (voir arrêt AJD Tuna, précité, point 80, et la jurisprudence citée).

65      En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des conditions de la mise en œuvre de ce principe, eu égard au large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union en matière de politique agricole commune, y compris la pêche, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt AJD Tuna, précité, point 81, et la jurisprudence citée).

66      Il incombe dès lors au Tribunal de vérifier si l’interdiction de pêcher le thon rouge à la senne coulissante à compter du 10 juin 2010 n’était pas manifestement inappropriée (voir, par analogie, arrêt AJD Tuna, précité, point 82).

67      À cet égard, il y a lieu de relever que les arguments des requérants concernant le risque d’épuisement de leur quota sont semblables à ceux développés dans le cadre du premier moyen, concernant, en particulier, le fait que la Commission aurait commis une discrimination en décidant de l’arrêt de la pêche le 10 juin 2010.

68      Or, comme il a été établi dans le cadre de l’examen du premier moyen, la Commission a décidé de l’arrêt de la pêche du thon rouge le 10 juin 2010, car, au vu des données relatives aux captures déjà effectuées par les senneurs à senne coulissante et des taux de capture moyens de la flotte de senneurs à senne coulissante de l’Union, observés durant les saisons de pêche de 2007, de 2008 et de 2009, il existait un risque réel que les bateaux de l’Union dépassent leur quota.

69      Les requérants soutiennent également que plusieurs mesures permettent d’éviter le dépassement des quotas de pêche de manière efficace, à savoir, premièrement, la présence d’un observateur de la CICTA à bord de chaque senneur à senne coulissante, deuxièmement, le fait que, les prises étant vivantes, elles pourraient, dans le cas d’un dépassement de quota, être rejetées à l’eau en temps réel et, troisièmement, le fait que les requérants participaient à une OCP, placée sous le contrôle permanent de l’observateur de la CICTA et de la Commission elle-même. Durant l’audience, les requérants ont d’ailleurs invoqué les campagnes de pêche de 2011 et de 2012, durant lesquelles les senneurs auraient pêché 100 % de leur quota, sans pour autant les dépasser, pour démontrer que ces différentes mesures sont réellement efficaces et suffisent à éviter tout risque de dépassement des quotas.

70      S’agissant des arguments relatifs aux campagnes de pêche de 2011 et de 2012, à les supposer établis, ils ne sauraient être pris en considération dans le cadre du présent recours. En effet, selon une jurisprudence constante, la légalité d’un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE doit s’apprécier à la lumière des faits et des éléments dont disposait l’autorité compétente au moment de l’adoption de cet acte (voir arrêt du Tribunal du 22 mai 2012, Portugal/Commission, T‑345/10, non publié au Recueil, point 86, et la jurisprudence citée).

71      S’agissant des arguments des requérants relatifs au caractère prétendument disproportionné des mesures d’interdiction de pêche du thon rouge adoptées par la Commission, il convient de relever que la Cour, au point 83 de l’arrêt AJD Tuna, précité, a indiqué que des mesures d’interdiction de pêche prises par la Commission au motif que l’épuisement des quotas était imminent n’étaient pas manifestement inappropriées. Il y a lieu de retenir cette appréciation dans le cas présent, dans la mesure où la Commission, en vertu du principe de précaution, a mis en œuvre les mesures qui lui semblaient les plus appropriées, afin d’éviter tout risque de dépassement des quotas.

72      Par ailleurs, il y a lieu de noter que, s’il ne peut être exclu que les mesures invoquées par les requérants puissent réduire le risque de dépassement des quotas, il n’en demeure pas moins que, comme le souligne la Commission dans le mémoire en défense, ces mesures ne sont pas infaillibles, alors que l’arrêt de la pêche constitue le moyen le plus fiable de ne pas dépasser lesdits quotas.

73      Ainsi, au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe de bonne administration et du devoir de diligence

74      Premièrement, les requérants estiment que le règlement attaqué a abouti à une violation du devoir de diligence et du principe de bonne administration, puisque le risque d’épuisement des quotas aurait été davantage lié aux activités des pêcheurs espagnols, qui bénéficieraient du quota le plus élevé de l’Union, qu’à celles des pêcheurs, et requérants, grec et français.

75      À cet égard, il convient de relever que, indépendamment du fait que cet argument est peu clair, il doit être rattaché, ainsi que l’a fait noter la Commission, sans être contredite par les requérants, à la première branche du premier moyen du présent recours, laquelle a été rejetée (voir point 43 ci-dessus). Par conséquent, cet argument doit être rejeté sur le même fondement.

76      Deuxièmement, les requérants considèrent que la Commission a tardé à communiquer les informations sur l’OCP à la CICTA, ce qui contreviendrait au principe de bonne administration en ce que ce retard aurait été injustifié et qu’il aurait abouti à l’impossibilité pour les requérants de mener leurs opérations de pêche pendant une période de sept jours.

77      La Commission considère que le principe de bonne administration n’a pas été violé, dans la mesure où, s’agissant notamment de la notification de l’OCP à la CICTA, elle a dû attendre que les gouvernements grec et français lui aient notifié l’OCP et que les adaptations nécessaires aient été apportées aux plans de pêche nationaux. Elle ajoute que le délai mis à communiquer l’OCP à la CICTA a été causé par des différences entre les informations antérieurement communiquées par les autorités grecques et celles contenues dans la notification de l’OCP des requérants que les autorités grecques ont transmise à la Commission.

78      Toutefois, il y a lieu de relever que, à supposer que le deuxième argument des requérants soit fondé, celui-ci n’est pas susceptible d’entraîner l’annulation du règlement attaqué et doit donc être rejeté comme inopérant.

79      En effet, selon les requérants, ladite communication tardive aurait eu pour conséquence de retarder le début de la pêche. Or, ce fait est dépourvu de pertinence dans le cadre de l’examen du présent recours, dont l’objet n’est pas de déterminer la date de début de la pêche, mais le bien-fondé de l’interdiction de la pêche. À cet égard, il convient de relever que, durant l’audience, les requérants eux-mêmes ont reconnu qu’il s’agissait de deux événements distincts.

80      En outre, il convient de remarquer que la Commission a fixé la date d’interdiction de la pêche en fonction des données relatives aux captures effectuées depuis le début de la pêche, à savoir le 16 mai 2010, par l’ensemble des senneurs grec et français, dont font partie les requérants. Dans ce contexte, il est constant que, si les senneurs avaient commencé leurs activités de pêche plus tôt grâce à une communication plus rapide de l’OCP, ils auraient, a priori, atteint leur quota plus tôt et l’arrêt de la pêche serait donc intervenu plus tôt également.

81      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le troisième moyen et, partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

82      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens de la Commission, conformément aux conclusions de celle-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Bloufin Touna Ellas Naftiki Etaireia, Chrisderic et André Sébastien Fortassier sont condamnés aux dépens.

Papasavvas

Vadapalas

O’Higgins

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 février 2013.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.