Language of document : ECLI:EU:C:2013:807

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Melchior Wathelet

présentées le 5 décembre 2013 (1)

Affaire C‑553/12 P

Commission européenne

contre

Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI)

«Pourvoi – Concurrence – Articles 82 CE et 86, paragraphe 1, CE – Maintien des droits privilégiés accordés par la Grèce en faveur d’une entreprise publique pour l’exploration et l’exploitation des gisements de lignite – Avantage concurrentiel sur les marchés de la fourniture du lignite et de l’électricité de gros grâce à l’exercice de ces droits – Extension de la position dominante du premier au second de ces marchés – Obligation pour la Commission d’établir un comportement abusif de la part de l’entreprise publique»





1.        Dans le présent pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 20 septembre 2012 (2), par lequel celui-ci a annulé la décision de la Commission (3) concernant les droits d’exploration et d’exploitation de gisements de lignite que la République hellénique a conférés à Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI) (4) et maintenus en sa faveur.

2.        Par ladite décision, la Commission avait, notamment, constaté que l’octroi et le maintien de ces droits étaient contraires à l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE (désormais articles 106, paragraphe 1, TFUE et 102 TFUE (5)), dès lors qu’ils créaient une situation d’inégalité des chances entre les opérateurs économiques dans l’accès aux combustibles primaires aux fins de la production d’électricité et permettaient à la DEI de maintenir ou de renforcer sa position dominante sur le marché de gros de l’électricité de la Grèce, en excluant toute nouvelle entrée sur le marché ou en y faisant obstacle.

I –    Les antécédents du litige

3.        La DEI a été créée en 1950 sous la forme d’une entreprise publique appartenant à l’État grec. Elle bénéficiait du droit exclusif de produire, de transporter et de fournir de l’électricité en Grèce. En 1996, elle a été transformée en société par actions, détenue par l’État en tant qu’actionnaire unique.

4.        Le 1er janvier 2001, elle a été transformée en société anonyme conformément, en particulier, à la loi grecque no 2773/1999, relative à la libéralisation du marché de l’électricité (FEK A’ 286), qui a notamment transposé la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 décembre 1996, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (JO 1997, L 27, p. 20). Selon l’article 43, paragraphe 3, de cette loi, la participation de l’État au capital de la DEI ne peut, en aucun cas, être inférieure à 51 % des actions avec droit de vote, même après une augmentation de capital. La République hellénique détient actuellement 51,12 % des actions de cette entreprise. Depuis le 12 décembre 2001, les actions de la DEI sont cotées à la Bourse d’Athènes (Grèce), ainsi qu’à la Bourse de Londres (Royaume-Uni).

5.        Toutes les centrales électriques grecques fonctionnant au lignite appartiennent à la DEI. Selon l’Institut grec de recherches géologiques et minières, les réserves connues de l’ensemble des gisements de lignite en Grèce étaient estimées, au 1er janvier 2005, à 4 415 millions de tonnes. Selon la Commission, il existe encore 4 590 millions de tonnes de réserves de lignite en Grèce.

6.        La République hellénique a attribué à la DEI des droits d’exploration et d’exploitation du lignite pour des mines dont les réserves s’élèvent à environ 2 200 millions de tonnes. 85 millions de tonnes de réserves appartiennent à des personnes privées et sur d’autres gisements publics, pour environ 220 millions de tonnes, des droits d’exploration et d’exploitation ont été conférés à d’autres personnes privées, ces gisements approvisionnant en partie les centrales électriques de la DEI. Aucun droit d’exploitation n’a encore été attribué pour environ 2 000 millions de tonnes de réserves de lignite en Grèce.

7.        À la suite de l’entrée en vigueur de la directive 96/92, le marché grec de l’électricité a été ouvert à la concurrence. En mai 2005, un marché journalier obligatoire pour tous les vendeurs et acheteurs d’électricité dans le réseau interconnecté grec, qui comprend la Grèce continentale et certaines îles grecques, a été créé. Sur ce marché, les producteurs et les importateurs d’électricité injectent et vendent leur production et leurs importations sur une base journalière (6).

8.        En 2003, la Commission a reçu la plainte d’un particulier demandant que son identité reste confidentielle. Selon le plaignant, la décision de l’État grec d’octroyer à la DEI une licence exclusive d’exploration et d’exploitation du lignite en Grèce, qui serait contraire à l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE. À la suite de plusieurs échanges avec la République hellénique, lesquels ont eu lieu entre 2003 et 2008, la Commission a adopté la décision litigieuse.

9.        Dans cette décision, la Commission relève que la République hellénique savait depuis l’adoption de la directive 96/92, qui devait être transposée pour le 19 février 2001 au plus tard, que le marché de l’électricité devait être libéralisé. Elle ajoute que la République hellénique a adopté des mesures étatiques qui concernaient deux marchés distincts, le premier étant celui de la fourniture de lignite et le second le marché de gros de l’électricité, qui englobe la production et la fourniture d’électricité dans des centrales ainsi que l’importation d’électricité par le biais de dispositifs d’interconnexion.

10.      Selon la Commission, la DEI détenait sur ces deux marchés une position dominante avec une part de marché supérieure, respectivement, à 97 % et à 85 %. En outre, il n’y aurait pas eu de perspective de nouvelle entrée susceptible de diminuer significativement la part de la DEI dans le marché de gros de l’électricité, les importations, qui représentent 7 % de la consommation totale, ne constituant pas une réelle contrainte concurrentielle sur ce marché.

11.      S’agissant des mesures étatiques en cause, la Commission fait observer que la DEI s’est vu octroyer (7) des droits d’exploitation pour 91 % des gisements publics de lignite pour lesquels des droits ont été accordés. Elle précise que, pendant la période d’application de ces mesures, et ce en dépit des possibilités offertes par la législation nationale, aucun autre droit sur un gisement significatif n’a été accordé. En outre, elle indique que la DEI a obtenu sans appels d’offres des droits d’exploration sur certains gisements exploitables, pour lesquels des droits d’exploitation n’avaient pas encore été accordés. La Commission ajoute enfin que les centrales fonctionnant au lignite, qui seraient les moins coûteuses en Grèce, sont les plus utilisées, puisqu’elles produisent 60 % de l’électricité permettant d’approvisionner le réseau interconnecté.

12.      Grâce à l’octroi à la DEI et au maintien en sa faveur de droits quasi monopolistiques d’exploitation du lignite qui lui garantissent un accès privilégié au combustible le plus attractif en Grèce à des fins de production d’électricité, la République hellénique aurait ainsi créé une inégalité des chances entre les opérateurs économiques sur le marché de gros de l’électricité et donc faussé la concurrence, renforçant ainsi la position dominante de la DEI et excluant toute nouvelle entrée sur le marché ou y faisant obstacle, et ce en dépit de la libéralisation du marché de gros de l’électricité.

13.      Par la décision litigieuse, la Commission demandait, en outre, à la République hellénique de l’informer, dans un délai de deux mois à compter de la notification de celle-ci, des mesures qu’elle avait l’intention de prendre pour corriger les effets anticoncurrentiels des mesures étatiques en cause, en indiquant que ces mesures devraient être adoptées et mises en œuvre dans les huit mois à compter de sa décision.

II – Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

14.      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2008, la DEI a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. Au cours de la procédure, la République hellénique est intervenue au soutien de la DEI, tandis que Elliniki Energeia kai Anaptyxi AE (HE & DSA) et Energeiaki Thessalonikis AE, sociétés anonymes actives dans le domaine de la production d’énergie électrique en Grèce, sont intervenues au soutien de la conclusion de la Commission visant à rejeter le recours.

15.      À l’appui de son recours, la DEI a invoqué quatre moyens, tirés, premièrement, d’erreurs de droit dans l’application des dispositions combinées des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE, ainsi que d’une erreur manifeste d’appréciation;, deuxièmement, de la violation de l’obligation de motivation prévue à l’article 253 CE; troisièmement, d’une part, de la violation des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de protection de la propriété privée et, d’autre part, de l’existence d’un détournement de pouvoir et, quatrièmement, d’une violation du principe de proportionnalité.

16.      Le premier moyen s’articulait en cinq branches, dont les deuxième et quatrième mettaient en cause la conclusion de la Commission, selon laquelle l’exercice des droits d’exploitation du lignite accordés à la DEI aurait eu pour effet d’étendre sa position dominante du marché du lignite au marché de gros de l’électricité, en violation des dispositions combinées des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE. En substance, la DEI soulevait deux griefs à l’encontre de cette conclusion de la Commission.

17.      Par le second de ces griefs, que le Tribunal a examiné en premier lieu, la DEI reprochait à la Commission de ne pas avoir établi l’existence d’un abus réel ou potentiel de sa position dominante sur les marchés concernés, alors que cette preuve serait une condition préalable à l’application de l’article 86, paragraphe 1, CE en combinaison avec l’article 82 CE.

18.      Au point 85 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que le différend, en l’espèce, se focalisait principalement sur la question de savoir si la Commission devait identifier un abus réel ou potentiel de la position dominante de la DEI ou s’il lui suffisait d’établir que les mesures étatiques en cause faussaient la concurrence en créant en faveur de la DEI une inégalité des chances entre les opérateurs économiques.

19.      S’agissant du marché de la fourniture de lignite, le Tribunal a certes relevé aux points 87 à 89 de son arrêt que, par les mesures étatiques en cause, la République hellénique avait octroyé à la DEI des droits d’exploitation du lignite pour des mines dont les réserves s’élevaient à environ 2 200 millions de tonnes, que ces mesures, antérieures à la libéralisation du marché de l’électricité, avaient été maintenues et continuaient à affecter ce marché et qu’en outre, nonobstant l’intérêt que les concurrents de la DEI avaient manifesté, aucun opérateur économique n’avait pu obtenir de la République hellénique des droits d’exploitation sur d’autres gisements de lignite, bien que la Grèce disposât encore d’environ 2 000 millions de tonnes de réserves de lignite non encore exploitées. Il a toutefois estimé que l’impossibilité, pour les autres opérateurs économiques, d’avoir accès aux gisements de lignite encore disponibles ne pouvait être imputée à la DEI, dès lors que l’octroi des licences d’exploitation de lignite dépendait exclusivement de la volonté de la République hellénique. Le Tribunal a ajouté que, sur ledit marché, le rôle de la DEI s’était limité à exploiter les gisements sur lesquels elle détenait des droits, la Commission n’ayant pas soutenu que, en ce qui concerne l’accès au lignite, la DEI avait abusé de sa position dominante sur le marché de la fourniture de cette matière première.

20.      Le Tribunal a ensuite analysé, aux points 90 à 93 de son arrêt, la constatation de la Commission selon laquelle l’impossibilité pour les concurrents de la DEI d’entrer sur le marché de la fourniture de lignite avait des répercussions sur le marché de gros de l’électricité. La Commission avait fait valoir à cet égard que, puisque le lignite était le combustible le plus attractif en Grèce, son exploitation permettait de produire de l’électricité à un coût variable faible et de la mettre sur le marché journalier obligatoire avec une marge de profit plus intéressante que l’électricité produite à partir d’autres combustibles. Pour la Commission, la DEI pouvait ainsi maintenir ou renforcer sa position dominante sur le marché de gros de l’électricité en excluant toute nouvelle entrée sur ce marché ou en y faisant obstacle.

21.      Après avoir rappelé au point 91 de l’arrêt attaqué que, à la suite de la libéralisation du marché de gros de l’électricité, un marché journalier obligatoire avait été créé en Grèce, mécanisme dont les règles de fonctionnement ne furent pas remises en question par la décision litigieuse et devaient être respectées tant par la DEI que par ses concurrents, et que, en outre, la DEI avait été présente sur ce marché avant sa libéralisation, le Tribunal a relevé ce qui suit:

«92      Or, la Commission n’a pas établi que l’accès privilégié au lignite aurait été susceptible de créer une situation dans laquelle, par le simple exercice de ses droits d’exploitation, [la DEI] aurait pu commettre des abus de position dominante sur le marché de gros de l’électricité ou aurait été amenée à commettre de tels abus sur ce marché. De même, la Commission ne reproche pas à [la DEI] d’avoir étendu, sans justification objective, sa position dominante sur le marché de la fourniture de lignite au marché de gros d’électricité.

93      En constatant simplement que [la DEI], ancienne entreprise monopolistique, continue à maintenir une position dominante sur le marché de gros de l’électricité grâce à l’avantage que lui donne l’accès privilégié au lignite et que cette situation crée une inégalité des chances sur ce marché entre [la DEI] et les autres entreprises, la Commission n’a ni identifié ni établi à suffisance de droit à quel abus, au sens de l’article 82 CE, la mesure étatique en cause a amené ou pouvait amener [la DEI].»

22.      Le Tribunal a ensuite examiné, aux points 94 à 103 de son arrêt, la jurisprudence constante mentionnée dans la décision litigieuse, selon laquelle un État membre enfreint les interdictions édictées par les articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE lorsque l’entreprise en cause est amenée, par le simple exercice des droits exclusifs ou spéciaux qui lui ont été conférés, à exploiter sa position dominante de façon abusive ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est amenée à commettre de tels abus. Après une analyse des arrêts de la Cour Höfner et Elser, Merci convenzionali porto di Genova, Job Centre, Raso e.a. et MOTOE (8), le Tribunal a conclu ainsi:

«103      Il ressort de ces arrêts […] que l’abus de position dominante de l’entreprise jouissant d’un droit exclusif ou spécial peut soit résulter de la possibilité d’exercer ce droit de manière abusive, soit être une conséquence directe de ce droit. Toutefois, il ne ressort pas de cette jurisprudence que le seul fait que l’entreprise en cause se trouve dans une situation avantageuse par rapport à ses concurrentes, en raison d’une mesure étatique, constitue en soi un abus de position dominante.»

23.      Enfin, aux points 104 à 118 de son arrêt, le Tribunal a répondu à un dernier argument de la Commission qui estimait que la décision litigieuse était conforme à la jurisprudence selon laquelle un système de concurrence non faussée ne pouvait être garanti que si l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques était assurée. La Commission faisait valoir à cet égard que, si l’inégalité des chances entre les opérateurs économiques – et donc la distorsion de la concurrence – était le fait d’une mesure étatique, une telle mesure constituait une violation de l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE.

24.      Au point 105 de cet arrêt, le Tribunal a jugé qu’il ne découlait pas des arrêts sur lesquels la Commission s’était appuyée, à savoir les arrêts France/Commission (dit «Terminaux de télécommunication»), GB-Inno-BM et Connect Austria (9), que, pour considérer qu’une infraction à l’article 86, paragraphe 1, CE appliqué en combinaison avec l’article 82 CE a été commise, il suffisait d’établir qu’une mesure étatique faussait la concurrence en créant une inégalité des chances entre les opérateurs économiques, sans qu’il soit nécessaire d’identifier un abus de la position dominante de l’entreprise.

25.      Après avoir analysé ces arrêts, le Tribunal a conclu au point 113 de son arrêt que, s’il était exact que la Cour a utilisé les formulations invoquées par la Commission, celle-ci ne pourrait les utiliser isolément de leur contexte. Aux points 114 à 117, le Tribunal a en outre constaté que la thèse de la Commission n’était pas non plus soutenue par l’arrêt Dusseldorp e.a. (10), que celle-ci avait invoqué à l’audience.

26.      Le Tribunal en a conclu au point 118 de son arrêt qu’il n’apparaissait pas de cette jurisprudence que la Commission «n’était pas tenue d’identifier et d’établir l’abus de la position dominante auquel la mesure étatique en cause a amené ou pouvait amener [la DEI]». Or, selon le Tribunal (points 87 à 93), pareille démonstration ferait défaut dans la décision litigieuse.

27.      Par conséquent, au point 119, le Tribunal a jugé fondé le second grief soulevé par la DEI dans le cadre des deuxième et quatrième branches du premier moyen et a annulé la décision litigieuse, «sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs, branches et moyens présentés».

III – Le pourvoi

28.      La Commission, la DEI et la République hellénique ont participé à la procédure écrite devant la Cour. Lors de l’audience qui s’est tenue le 3 octobre 2013, toutes ces parties ainsi que Mytilinaios AE, Protergia AE et Alouminion AE (parties intervenantes au soutien de la Commission) ont présenté leurs observations.

29.      À l’appui de son pourvoi, la Commission invoque deux moyens.

A –    Sur le premier moyen

1.      Synthèse des arguments des parties

30.      Par son premier moyen, qui est dirigé contre les points 94 à 118 de l’arrêt attaqué, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation et l’application des dispositions combinées des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE, en jugeant qu’elle devait identifier et établir le comportement abusif auquel la mesure étatique en cause avait amené ou pouvait amener la DEI.

31.      Selon la Commission, cette mesure étatique constituerait en soi une infraction aux articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE. Il suffirait donc de prouver qu’elle a effectivement créé une inégalité des chances en favorisant l’entreprise publique (déjà) privilégiée et qu’elle a par ce fait affecté la structure du marché en permettant à cette dernière de maintenir, de renforcer ou d’étendre sa position dominante sur un autre marché, voisin ou en aval, par exemple en empêchant l’entrée de nouveaux concurrents sur ce marché.

32.      Par voie de conséquence, la Commission reproche au Tribunal d’avoir appliqué de manière erronée la jurisprudence de la Cour aux faits de l’espèce et d’avoir dénaturé le fondement de la décision litigieuse. Elle relève à cet égard que, contrairement à ce que le Tribunal a retenu, cette décision ne se fondait pas sur la constatation que constituait en soi un abus de position dominante le seul fait pour la DEI de se trouver, en raison des mesures étatiques en cause, dans une situation avantageuse par rapport à ses concurrentes. Au contraire, ladite décision aurait détaillé l’infraction en exposant que les mesures étatiques en cause avaient créé une inégalité des chances entre la DEI et ses concurrents et que, par le simple exercice des droits qu’elles avaient conféré à la DEI, cette entreprise était en mesure d’étendre sa position dominante du marché (en amont) du lignite au marché (en aval) de gros de l’électricité en Grèce. Cette extension au marché en aval aurait eu pour effet d’y limiter la concurrence en excluant l’entrée de nouveaux concurrents sur ce marché, même après l’adoption des mesures de libéralisation de celui-ci. D’ailleurs, malgré des demandes en ce sens, aucun droit sur aucun gisement significatif de lignite n’aurait été accordé à des concurrents de la DEI.

33.      Dès lors que la décision litigieuse aurait expliqué comment, d’une part, le maintien en vigueur des mesures étatiques litigieuses et, d’autre part, le simple exercice des droits privilégiés accordés à la DEI, ainsi que le comportement de celle-ci sur le marché en aval, ont conduit à un risque d’abus de sa position dominante sur ce marché en excluant ou empêchant l’entrée de nouveaux concurrents, la Commission aurait satisfait à tous les critères établis par la jurisprudence de la Cour relative à l’application combinée des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE.

34.      La DEI et la République hellénique estiment que ce moyen est dénué de fondement. Il résulterait en effet de la jurisprudence de la Cour que, afin de pouvoir appliquer l’article 86, paragraphe 1, CE en combinaison avec l’article 82 CE, la Commission doit établir le comportement abusif auquel la mesure étatique en question a conduit ou était susceptible de conduire l’entreprise concernée. Le fait que la mesure étatique en cause aboutisse à une situation d’inégalité des chances constituerait certes une condition nécessaire, mais non suffisante pour l’application desdits articles. La Commission tenterait en substance de transformer l’article 86, paragraphe 1, CE en une disposition autonome et de rang supérieur. Le Tribunal aurait, lui, correctement appliqué ladite jurisprudence aux faits de l’espèce.

2.      Analyse

35.      Tout en divisant formellement ce moyen en trois branches interconnectées, la Commission soutient, en substance, que la jurisprudence de la Cour n’exige pas d’identifier un comportement abusif concret, au sens de l’article 82 CE, dans le chef de l’entreprise publique ou privilégiée en position dominante lorsqu’une mesure étatique crée entre cette entreprise et ses concurrents une inégalité des chances qui fausse la concurrence.

36.      Je reprends tout d’abord les passages pertinents de l’arrêt attaqué sur cette question.

37.      Au point 86 de son arrêt, le Tribunal relève qu’«[i]l y a tout d’abord lieu d’observer que les interdictions prévues à l’article 86, paragraphe 1, CE s’adressent aux États membres, alors que l’article 82 CE s’adresse, pour sa part, aux entreprises, leur interdisant l’exploitation abusive d’une position dominante. Dans le cas de l’application combinée de ces deux dispositions, la violation de l’article 86, paragraphe 1, CE par un État membre ne peut être établie que si la mesure étatique est contraire à l’article 82 CE. Se pose donc la question de savoir dans quelle mesure doit être identifié un abus, ne serait-ce que potentiel, de la position dominante d’une entreprise, cet abus ayant un lien avec la mesure étatique» (c’est moi qui souligne).

38.      Ensuite, au point 93 de l’arrêt attaqué, le Tribunal juge que «la Commission n’a ni identifié ni établi à suffisance de droit à quel abus, au sens de l’article 82 CE, la mesure étatique en cause a amené ou pouvait amener la [DEI]».

39.      Finalement, au point 118 de l’arrêt attaqué, le Tribunal constate que la jurisprudence invoquée par la Commission ne permet pas «d’ignorer la jurisprudence citée au point 94 [de cet arrêt (11)] et de se fonder uniquement sur la question de savoir si l’inégalité des chances entre les opérateurs économiques, la concurrence étant alors faussée, est le fait d’une mesure étatique».

40.      À mon avis, la position du Tribunal qui exige l’identification et la preuve d’un abus au sens de l’article 82 CE (points 118, deuxième phrase, et 105 in fine de l’arrêt attaqué) comme condition d’une application combinée des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE ne correspond pas à l’interprétation qu’impose la jurisprudence de la Cour que j’analyse ci-après.

41.      Il est intéressant de relever que les affaires portant sur l’article 86 CE ne sont pas nombreuses et ont été pour la plupart initiées par des questions préjudicielles. De plus, sauf erreur de ma part, il s’agit de la première fois que le Tribunal a été amené à se prononcer sur une décision de la Commission fondée sur l’application de cet article lu en combinaison avec l’article 82 CE.

42.      La théorie dite de l’«extension de la position dominante» (ou la théorie des «effets») (12) – appelée ainsi parce qu’une mesure étatique qui provoque l’extension de cette position d’un marché à un autre a des effets semblables à ceux produits par un abus de cette position dominante – a fait son apparition dans la jurisprudence de la Cour avec l’arrêt GB-Inno-BM, précité (13), qui date de 1991.

43.      Dans cette affaire, la Régie des télégraphes et des téléphones (RTT) soutenait qu’«une infraction à l’article [86, paragraphe 1, CE] ne pourrait être constatée que si l’État membre avait favorisé un abus effectivement commis par elle, par exemple une application discriminatoire des règles relatives à l’agrément». Elle soulignait cependant que «le jugement de renvoi n’[avait] relevé aucun abus effectif et que la simple possibilité d’une application discriminatoire de ces règles, du fait de la désignation de la RTT comme autorité d’agrément alors qu’elle est concurrente des entreprises qui demandent l’agrément, ne saurait en elle-même être constitutive d’abus au sens de l’article [82 CE]» (c’est moi qui souligne) (point 23 de cet arrêt).

44.      La Cour n’a pas retenu l’argumentation de la RTT, en jugeant que «c’est l’extension du monopole de l’établissement et de l’exploitation du réseau téléphonique au marché des appareils téléphoniques, sans justification objective, qui est prohibée comme telle par l’article [82 CE] ou par l’article [86, paragraphe 1, CE], en relation à l’article [82 CE], lorsque cette extension est le fait d’une mesure étatique» (c’est moi qui souligne) (point 24 dudit arrêt).

45.      De plus, la Cour explique, au point 20 de cet arrêt, que «l’article [86, paragraphe 1, CE] interdit aux États membres de mettre, par des mesures législatives, réglementaires ou administratives, les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs dans une situation dans laquelle ces entreprises ne pourraient pas se placer elles-mêmes par des comportements autonomes sans violer les dispositions de l’article [82] CE».

46.      Et la Cour de poursuivre, au point 25 du même arrêt, qu’«un système de concurrence non faussée tel que celui prévu par le traité ne peut être garanti que si l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée». Rappelons que, dans la présente affaire, la Commission reprochait précisément à la République hellénique d’avoir créé une inégalité des chances entre les opérateurs économiques et donc faussé la concurrence, renforçant ainsi la position dominante de la DEI (voir point 12 des présentes conclusions).

47.      Dans l’arrêt Espagne e.a./Commission (dit «Services de télécommunications») (14), la Cour juge que la même conclusion s’impose lorsque le monopole de l’établissement et de l’exploitation du réseau s’étend au marché des services de télécommunications.

48.      Dans l’arrêt Raso e.a., précité, la Cour a déclaré qu’«un cadre juridique tel que celui qui résulte de la [mesure étatique] doit être considéré comme étant, en lui-même, contraire à l’article [86, paragraphe 1, CE], lu en combinaison avec l’article [82 CE]. À cet égard, il importe peu que la juridiction de renvoi n’ait pas relevé d’abus effectif de l’ancienne compagnie portuaire transformée» (15) (c’est moi qui souligne).

49.      Ainsi qu’il ressort de cet arrêt (point 27), bien que le simple fait de créer une position dominante par l’octroi de droits exclusifs, au sens de l’article 86, paragraphe 1, CE, ne soit pas, en tant que tel, incompatible avec l’article 82 CE, un État membre enfreint les interdictions édictées par ces deux dispositions lorsque l’entreprise en cause est amenée, par le simple exercice des droits exclusifs qui lui ont été conférés, à exploiter sa position dominante de façon abusive ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est amenée à commettre de tels abus.

50.      Et la Cour d’ajouter, au point 28 de ce même arrêt, que «force est de constater que, dans la mesure où le système établi par la loi de 1994 non seulement octroie à l’ancienne compagnie portuaire transformée le droit exclusif de fournir de la main-d’œuvre temporaire aux concessionnaires de terminaux et aux autres entreprises autorisées à opérer dans le port, mais, en outre, lui permet, ainsi qu’il résulte du point 17 [de cet] arrêt, de les concurrencer sur le marché des services portuaires, cette ancienne compagnie portuaire transformée se trouve en situation de conflit d’intérêts» (c’est moi qui souligne) (16).

51.      En effet, par le simple exercice de son monopole, la compagnie portuaire en question dans l’affaire Raso e.a., précitée, se trouvait en mesure de fausser à son profit l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques agissant sur le marché des services portuaires et était amenée à abuser de son monopole en imposant à ses concurrents sur le marché des opérations portuaires des prix excessifs pour la fourniture de main-d’œuvre ou en mettant à leur disposition une main-d’œuvre moins adaptée aux tâches à accomplir (points 29 et 30 de cet arrêt). On ne trouve donc pas trace dans cet arrêt d’exigence de constatation d’un comportement abusif concret au sens de l’article 82 CE, même si la Cour identifie des conséquences abusives probables susceptibles de résulter de la mesure étatique (voir point 62 des présentes conclusions).

52.      Dans l’arrêt TNT Traco (17) non plus, la Cour n’a pas constaté de comportement abusif concret, réel ou potentiel, au sens du seul article 82 CE de Poste Italiane.

53.      Je ne peux qu’être d’accord avec l’avocat général Alber qui a précisé, au point 65 de ses conclusions dans cette affaire, que, «[d]ans le cas d’une lecture conjointe des articles [82 CE] et [86 CE], il n’est plus nécessaire que tous les critères de fait inscrits à l’article [82 CE] soient concentrés dans la personne de l’entreprise en position dominante. Est également constitutive d’un abus une mesure des pouvoirs publics, et en particulier l’octroi de droits exclusifs, qui conduit à une situation qui, en raison de sa structure, est abusive».

54.      Dans l’arrêt MOTOE, précité, toujours à propos des articles 82 CE et 86, paragraphe 1, CE, la Cour a jugé, aux points 49 à 51, qu’«un État membre enfreint les interdictions édictées par ces deux dispositions lorsque l’entreprise en cause est amenée, par le simple exercice des droits spéciaux ou exclusifs qui lui ont été conférés, à exploiter sa position dominante de façon abusive ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est conduite à commettre de tels abus [(18)]. À cet égard, il n’est pas nécessaire qu’un abus se produise réellement [(19)]. En tout état de cause, il y a violation des articles 82 CE et 86, paragraphe 1, CE dès lors qu’une mesure imputable à un État membre, et notamment celle par laquelle celui-ci confère des droits spéciaux ou exclusifs au sens de cette dernière disposition, crée un risque d’abus de position dominante [(20)]. En effet, un système de concurrence non faussée, tel que celui prévu par le traité [(21)], ne peut être garanti que si l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée [(22)]. Confier à une personne morale telle que l’ELPA [(23)], qui, elle-même, organise et exploite commercialement des compétitions de motocycles, la tâche de donner à l’administration compétente un avis conforme sur les demandes d’autorisation présentées en vue de l’organisation de telles compétitions revient de facto à lui conférer le pouvoir de désigner les personnes autorisées à organiser lesdites compétitions ainsi que de fixer les conditions dans lesquelles ces dernières sont organisées, et à octroyer, ainsi, à cette entité, un avantage évident sur ses concurrents [(24)]. Un tel droit peut donc amener l’entreprise qui en dispose à empêcher l’accès des autres opérateurs au marché concerné. Cette situation d’inégalité des conditions de concurrence est, en outre, soulignée par le fait, confirmé lors de l’audience devant la Cour, que, lorsque l’ELPA organise ou participe à l’organisation de compétitions de motocycles, elle n’est tenue de recueillir aucun avis conforme pour que l’administration compétente lui octroie l’autorisation requise» (c’est moi qui souligne).

55.      Je crois que l’on peut déjà conclure de ce qui précède que c’est «indépendamment de tout abus effectif» qu’il y a violation des dispositions combinées des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE dès lors qu’une mesure étatique crée un risque d’abus.

56.      Enfin, dans l’arrêt Connect Austria, précité, la Cour a dit pour droit au point 84 que, «[s]i l’inégalité de chances entre les opérateurs économiques, et donc la concurrence faussée, est le fait d’une mesure étatique, une telle mesure constitue une violation de l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE». D’ailleurs (point 87), «une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, qui permet d’attribuer, sans imposer une redevance distincte, des fréquences supplémentaires dans la bande de fréquences réservée à la norme DCS 1800 à une entreprise publique en position dominante, alors que le nouvel entrant sur le marché en cause a dû verser une redevance pour sa licence DCS 1800, est susceptible d’amener l’entreprise publique en position dominante à violer les dispositions de l’article 82 CE, en étendant ou en renforçant sa position dominante, suivant la définition du marché en cause, par une concurrence faussée. Étant donné que, dans ce cas, la concurrence faussée serait le fait d’une mesure étatique créant une situation dans laquelle l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques concernés ne serait pas assurée, celle-ci est susceptible de constituer une violation de l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE» (c’est moi qui souligne).

57.      Je remarque par ailleurs que, si, au point 94 de son arrêt, le Tribunal cite plusieurs des arrêts de la Cour repris ci-dessus, c’est étrangement sans reprendre la précision que l’on y trouve selon laquelle «il n’est pas nécessaire qu’un abus se produise réellement» ou «qu’il importe peu que la juridiction de renvoi n’ait pas relevé d’abus effectif» (25).

58.      Il y a donc une différence substantielle entre, d’une part, l’obligation d’identifier et de prouver un comportement abusif concret au sens du seul article 82 CE et, d’autre part, l’obligation en vue d’une application combinée des articles 82 CE et 86, paragraphe 1, CE d’identifier une conséquence anticoncurrentielle potentielle ou réelle, susceptible de résulter d’une mesure étatique qui accorde des droits privilégiés.

59.      Cette distinction préserve d’ailleurs l’«effet utile» (26) d’une application combinée des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE. En effet, s’il était exigé d’établir un comportement abusif concret au sens du seul article 82 CE dans le cas de l’extension d’une position dominante qui aurait été rendue possible par une mesure étatique, on ne sait pas très bien quel champ d’application pourrait subsister pour la combinaison des articles 82 CE et 86, paragraphe 1, CE.

60.      De ce qui précède, il s’ensuit à mon avis qu’il découle de la jurisprudence de la Cour qu’une mesure étatique enfreint les dispositions de l’article 86, paragraphe 1, CE lues avec celles de l’article 82 CE si l’entreprise à laquelle la mesure étatique a octroyé des droits spéciaux ou exclusifs, par le simple exercice des droits privilégiés qu’elle détient, est amenée ou ne peut éviter d’abuser de sa position dominante (27).

61.      Autrement dit, selon la jurisprudence de la Cour, il y a infraction aux dispositions combinées des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE chaque fois que la mesure étatique accordant des droits privilégiés (à une entreprise publique ou à une entreprise détenant déjà des droits spéciaux ou exclusifs) crée une inégalité des chances entre les opérateurs économiques et permet à l’entreprise en position dominante de fausser la concurrence par le simple exercice de ces droits, par exemple en maintenant ou étendant sa position dominante à un marché en aval, restreignant ainsi l’entrée de concurrents potentiels, sans qu’il soit nécessaire de prouver un comportement abusif concret au sens de l’article 82 CE (28).

62.      Dans ce contexte, il convient de relever que, quand, dans certaines affaires, la Cour mentionne ou identifie bien des conséquences abusives probables, c’est uniquement dans le but d’identifier des effets anticoncurrentiels susceptibles de résulter de la mesure étatique, dans la mesure où celle-ci n’était pas jugée contraire aux dispositions combinées des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE (29).

63.      Au contraire, en l’absence de mesure étatique accordant des droits privilégiés, l’article 82 CE ne pourrait s’appliquer que si un comportement abusif, délibéré et autonome, de l’entreprise dominante lui a permis d’étendre sa position dominante à un marché autre que le sien (30).

64.      Le Tribunal ayant donc commis une erreur de droit en jugeant dans la présente affaire qu’il était nécessaire d’établir un comportement abusif concret au sens de l’article 82 CE, et qu’il ne suffisait pas d’identifier des effets anticoncurrentiels susceptibles de résulter de la mesure étatique, pour conclure qu’il y avait violation des dispositions combinées des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE, le premier moyen de la Commission me paraît fondé.

65.      Je propose donc à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué.

66.      Je lui propose aussi de considérer que, sur ce point, le litige est en état d’être jugé, car le dossier qui lui est soumis contient tous les éléments qui permettent d’apprécier si la Commission a identifié des effets anticoncurrentiels susceptibles de résulter de la mesure étatique en cause, condition pour conclure à une violation des dispositions combinées des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE.

67.      Sans prétendre à ce stade que la Commission a, en réalité, établi l’existence d’un comportement abusif concret de la DEI, je considère qu’elle a identifié des effets anticoncurrentiels susceptibles de résulter de la mesure étatique en cause.

68.      Il s’agit des effets d’exclusion des concurrents potentiels provoqués par l’extension de la position dominante de la DEI du marché primaire de la fourniture de lignite au marché secondaire de gros de l’électricité en Grèce. Ces effets existaient avant et se sont poursuivis même après les mesures prises pour la libéralisation du marché de la production et de la fourniture d’électricité en Grèce, ainsi qu’après mai 2005 (31), date de création du marché de gros de l’électricité (32). À tous les niveaux des marchés concernés, à savoir celui de la fourniture de lignite et de la production d’électricité, ainsi que le marché (de gros) de l’électricité en Grèce, ces effets sont demeurés inchangés après la libéralisation du marché.

69.      En effet, la DEI est restée en mesure de maintenir et de renforcer sa position dominante sur le marché en aval en question, premièrement, par le simple exercice de ses droits privilégiés sur le lignite (aussi bien avant qu’après l’adoption des mesures de libéralisation du marché), deuxièmement, en raison des effets de son propre comportement sur le marché en aval (33) et, troisièmement, par le refus de la République hellénique d’accorder une nouvelle autorisation d’exploration ou d’exploitation de lignite, alors même que des concurrents (potentiels) de la DEI en avaient manifesté l’intérêt (et essayé d’entrer tant sur le marché en amont que sur le marché en aval) (34) et que la Grèce disposait encore d’environ 2 000 millions de tonnes de lignite non encore exploitées (35).

70.      Dans ce contexte, je voudrais ajouter que tant la République hellénique que la DEI auraient pu éviter ou modérer les effets d’exclusion de l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché secondaire si – soit par la mesure étatique, soit par le comportement de la DEI (36) – elles avaient mis une gamme diversifiée de sources d’énergie (englobant des quantités significatives de lignite) à la disposition des nouveaux concurrents se présentant sur le marché en aval.

71.      Ces effets d’exclusion ont encore été renforcés par la politique de la DEI en matière d’injection et de tarification de l’électricité sur le marché journalier obligatoire.

72.      Je suis d’accord avec la Commission que, sur le plan du droit, ces effets anticoncurrentiels sur la structure du marché ne différent guère de ceux qui se sont manifestés dans les affaires GB-Inno-BM, Connect Austria, Services de télécommunications et MOTOE, précitées.

73.      En effet, la DEI, par le simple exercice de ses droits privilégiés sur le marché en amont du lignite où elle était en position dominante, a étendu sa position (et ce sans justification objective (37)) au marché en aval de gros de l’électricité et, de ce fait, a exclu la nouvelle entrée de concurrents potentiels sur ce marché ou y a fait obstacle. Les droits privilégiés accordés à la DEI, entreprise publique, avaient déjà affecté la structure du marché en créant une inégalité des chances et en faussant la concurrence sur le marché en amont et la DEI a exploité cette situation en utilisant sa position dominante sur le marché en amont du lignite comme levier («leverage») en vue d’étendre ou de maintenir sa position sur un autre marché étroitement lié au premier, situé verticalement en aval, celui de la production d’électricité, excluant ainsi l’entrée de nouveaux concurrents sur ce marché en aval et limitant ainsi la concurrence.

74.      Partie intervenante dans le dossier, Mytilinaios AE s’est présentée à l’audience devant la Cour comme étant en Grèce, par le biais de sa filiale Protergia AE, le plus grand producteur d’électricité privé, le plus grand importateur privé de gaz et, par le biais de sa filiale Alouminion AE, le plus grand consommateur de charge de base représentant 6 % de la consommation d’électricité en Grèce, c’est‑à‑dire, en même temps, le plus grand concurrent et le plus grand client de la DEI. Ces entreprises ont souligné que la décision litigieuse constituait la pierre angulaire de l’évolution et du fonctionnement normal du marché grec de l’énergie électrique qui, plus de dix ans après sa libéralisation, restait sous le contrôle de la DEI puisque, pendant la période en question et aujourd’hui encore, la part de marché de l’extraction de lignite de la DEI était de 97 %, de la production d’électricité à base de lignite de 100 %, et de la vente au détail d’électricité de 100 % (38).

75.      Selon les parties intervenantes, en l’absence de pression concurrentielle, la DEI offre aux clients industriels le courant électrique le plus cher de l’Union, contribuant ainsi à l’absence de compétitivité de l’industrie grecque. De plus, il y aurait au moins 17 décisions de la RAE, rendues au cours de l’année 2012 (39), sur plaintes de concurrents de la DEI, qui démontrent, selon les parties intervenantes, que tout ce qui avait été prévu par la Commission dans la décision litigieuse en termes d’abus potentiel s’est vérifié. Toujours selon les parties intervenantes, ce n’est que si les concurrents de la DEI disposent d’un accès à la production de lignite et à la production d’électricité à partir de lignite qu’ils pourront en être de véritables concurrents, ce qui permettrait aux consommateurs de bénéficier de prix concurrentiels (40).

76.      La Commission a donc à mon avis suffisamment démontré que la mesure étatique en cause était susceptible de déformer la concurrence, car, en accordant à la DEI des droits privilégiés sur les gisements de lignite et en maintenant ces droits après la libéralisation du marché de l’électricité en Grèce, elle avait mis cette entreprise publique dans une situation dans laquelle non seulement elle contrôlait le marché de fourniture de lignite, mais était en mesure d’utiliser ce contrôle pour exclure ses concurrents sur le marché de gros de l’électricité de l’accès au lignite qui est, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, nécessaire pour pouvoir entrer et être concurrentiel sur le marché de gros de l’électricité. En exerçant ses droits privilégiés et en choisissant de réserver à sa propre production d’électricité le lignite extrait grâce auxdits droits, la DEI était en mesure de protéger sa position dominante sur le marché de gros de l’électricité, même après la libéralisation de celui-ci.

77.      De manière plus générale, dans des affaires comme la présente, la Commission, en vue d’une application combinée des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE, n’est pas tenue d’apporter la preuve d’un comportement abusif concret au sens du seul article 82 CE de l’entreprise dominante, grâce à la mesure étatique. Par contre, elle est tenue d’identifier des effets anticoncurrentiels susceptibles de résulter de la mesure étatique en cause.

78.      Je propose donc à la Cour de rejeter le second grief soulevé par la DEI dans le cadre des deuxième et quatrième branches du premier moyen devant le Tribunal, tiré d’une erreur de droit lors de l’application des dispositions combinées des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE et de renvoyer l’affaire au Tribunal pour qu’il examine les autres moyens invoqués par la DEI.

B –    Sur le second moyen (à titre subsidiaire)

79.      Je n’examine ce moyen que dans l’hypothèse où la Cour déciderait, en rejetant le premier moyen de la Commission, que l’application combinée des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE nécessite l’identification et la preuve d’un comportement abusif concret de l’entreprise dominante au sens du seul article 82 CE.

1.      Synthèse des arguments des parties

80.      Par son second moyen, qui est formellement également composé de plusieurs branches interconnectées, la Commission fait valoir que les points 85 à 93 de l’arrêt attaqué reposent sur une motivation imprécise, lacunaire et insuffisante, sur une qualification erronée et une dénaturation des preuves ainsi que sur une interprétation erronée du fondement de la décision litigieuse.

81.      Elle soutient en substance que, même si – contrairement à ce qu’elle a fait valoir par son premier moyen – l’application combinée des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE exigeait la preuve de l’existence d’un comportement abusif concret de l’entreprise en position dominante, la décision litigieuse aurait établi l’existence d’un tel comportement en l’espèce.

82.      La Commission soutient que, aux points 79 à 93 de l’arrêt attaqué, les appréciations du Tribunal reposent sur une motivation incorrecte, une qualification erronée des preuves et une dénaturation du fondement de la décision de la Commission, parce que le Tribunal a omis d’examiner, quoi qu’il en dise aux points 87 à 91, l’importance cruciale de certains facteurs, à savoir, d’une part, que la République hellénique a non seulement adopté les mesures litigieuses avant la libéralisation du marché de l’électricité dans le pays, mais les a maintenues même après cette libéralisation et, d’autre part, que les effets anticoncurrentiels ont continué à se produire même après le mois de mai 2005 sur le marché secondaire de gros de l’électricité.

83.      La DEI et la République hellénique font valoir, à titre principal, que le second moyen est irrecevable dans son ensemble au motif que ce ne serait qu’au stade du pourvoi que la Commission chercherait pour la première fois à établir un comportement abusif de la part de la DEI. La Commission déformerait, en outre, les constatations du Tribunal et son appréciation des éléments de preuve.

84.      Subsidiairement, la DEI et la République hellénique soutiennent que le second moyen est dénué de fondement en droit et en fait. En particulier, la faculté pour la DEI de présenter des offres moins élevées dans le système du marché journalier obligatoire en raison du coût variable plus faible du lignite ne constituerait pas un comportement abusif sur le marché de gros de l’électricité. La Commission omettrait de mentionner que des concurrents de la DEI produisent de l’électricité de manière rentable au moyen de centrales au gaz naturel et que ledit marché évoluerait vers une réduction de la part du lignite et une augmentation de la part du gaz naturel dans la production globale d’électricité. Or, la faculté de la DEI de générer des bénéfices grâce à son accès au lignite ne saurait être considérée comme un comportement abusif, ni comme un obstacle à l’entrée effective sur le marché de gros de l’électricité lorsque ses concurrents y génèrent également des bénéfices et y augmentent continuellement leur part. En outre, le faible coût variable du lignite serait compensé par son coût d’investissement plus important.

2.      Analyse

a)      Sur la recevabilité

85.      Contrairement à ce que font valoir la DEI et la République hellénique, il est clair que ce moyen ne peut pas être rejeté dans son ensemble comme irrecevable. La raison en est simple: la Commission critique la motivation de l’arrêt attaqué et allègue que des faits réels ont été dénaturés et juridiquement qualifiés de manière erronée par le Tribunal.

b)      Sur le fond

86.      S’agissant tout d’abord des constatations effectuées par le Tribunal au point 91 de l’arrêt attaqué, je peux être d’accord avec la Commission que celles-ci méconnaissent qu’il importe peu que la DEI ait été présente sur le marché de production et de fourniture d’électricité avant sa libéralisation et qu’elle doive respecter les règles de fonctionnement du marché journalier obligatoire.

87.      En effet, d’une part, les effets anticoncurrentiels qui découlent des mesures étatiques en cause, ainsi que du comportement de la DEI, avant la libéralisation, ont continué à se produire même après le mois de mai 2005 sur le marché secondaire de gros de l’électricité et, d’autre part, la question pertinente est non pas celle de savoir si la DEI se conforme à ces règles, mais celle de savoir dans quelle mesure, tout en respectant celles-ci, elle a la capacité d’utiliser sa position dominante et son avantage concurrentiel sur le marché en amont comme levier pour adopter un comportement abusif sur le marché en aval, notamment au moyen des offres qu’elle soumet sur le marché journalier obligatoire.

88.      Plus fondamentalement, l’arrêt attaqué est fondé sur la prémisse que seules les mesures étatiques en cause ont pu avoir des effets anticoncurrentiels (des répercussions et des conséquences sur les concurrents) existants ou potentiels et qu’aucun comportement abusif de la DEI qui aurait pu y contribuer n’a été identifié.

89.      Or, tant la décision litigieuse que l’arrêt attaqué et la procédure devant la Cour ont mis en lumière divers comportements de la DEI à la fois sur le marché en amont et sur le marché en aval, qui dépassaient la simple exploitation des droits qui lui avaient été conférés par l’État. Le fait que l’entrée de concurrents potentiels sur le marché en aval de l’électricité ait été exclue ou entravée ne résulte donc pas seulement de la mesure étatique (comme dans l’affaire Dusseldorp e.a., précitée), mais résulte aussi (au moins en partie) du comportement de la DEI.

90.      Ainsi, sur le marché en amont, la DEI a choisi de réserver le lignite à sa propre production d’électricité et a pu ainsi protéger sa position dominante sur le marché de gros de l’électricité (le marché en aval) même après la libéralisation de celui-ci. En effet, l’entrée sur le marché en aval de la production et de la fourniture d’électricité dépend notamment de l’accès, sur le marché en amont, à des quantités significatives de lignite afin qu’un nouvel entrant puisse concurrencer la DEI dans des conditions d’égalité. Or, les concurrents potentiels ont rencontré des obstacles sur deux fronts: d’une part, le refus de la République hellénique d’accorder de nouveaux droits d’exploitation sur les autres gisements de lignite et, d’autre part, le contrôle exercé par la DEI sur la fourniture du lignite disponible sur le marché grec. En décidant de réserver la fourniture de lignite à sa propre production d’électricité, au lieu d’en vendre à tout le moins une partie sur ledit marché, la DEI a effectivement exclu les concurrents potentiels de l’accès au lignite et donc à la source d’énergie la moins chère en Grèce, nécessaire pour produire l’électricité de manière profitable et, partant, pour entrer sur le marché en aval de la production et de la fourniture d’électricité.

91.      Sur le marché en aval, dans le cadre du marché journalier obligatoire de gros de l’électricité, la DEI injectait dans le réseau interconnecté (mécanisme de gros ou pool) au tarif qu’elle fixait les plus grandes quantités d’électricité aux prix les plus faibles, ce qui lui permettait non seulement de couvrir ses coûts fixes et ses coûts variables, mais également de réaliser des bénéfices importants (41) et, par conséquent, d’exclure ou d’entraver l’entrée de tout nouveau concurrent sur le marché en aval en question (42).

92.      Il ressort du dossier soumis à la Cour que, contrairement à ce que le Tribunal indique au point 89 de son arrêt, la DEI n’a pas été la participante passive que l’arrêt attaqué présente, dès lors qu’elle pouvait définir sa ligne de conduite, tant en ce qui concerne l’exploitation de ses droits privilégiés sur le lignite qu’en ce qui concerne l’injection et la tarification de l’électricité sur le marché journalier obligatoire.

93.      De plus, comme l’indique la Commission, le Tribunal a totalement omis de prendre en compte le lien indissociable et le «risque» inévitable d’«exploitation abusive» qui découlent des mesures étatiques en cause, du simple fait que la DEI exerce ses droits privilégiés sur le marché en aval, alors que la DEI était en mesure de prévoir le lien de causalité entre sa conduite, tant sur le marché en amont que sur le marché en aval, et les effets inévitablement négatifs sur ses concurrents existants et ses concurrents potentiels sur ce dernier marché.

94.      Outre que le Tribunal n’a pas examiné toutes les preuves mentionnées dans la décision litigieuse de la Commission, ni les preuves fournies par les parties au cours de la procédure devant lui (la Commission a présenté une pléthore de fichiers, de statistiques, de rapports sur le comportement de la DEI après 1995), notamment les preuves spécifiques fournies à sa demande et mentionnées aux points 49 et 87 à 91 de l’arrêt attaqué, je ne trouve pas dans l’arrêt attaqué de motivation (43) qui permette de considérer que les comportements relevés ci-dessus n’étaient pas abusifs, et ce d’autant plus qu’à mon sens il incombe à une entreprise en position dominante, indépendamment des causes d’une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun (44).

95.      En effet, je considère que, même si la notion de responsabilité particulière a été développée et appliquée aux entreprises occupant une position dominante sur la base de l’article 82 CE, cette notion peut aussi, dans le cadre d’une application combinée des articles 82 CE et 86, paragraphe 1, CE, jouer un rôle pour les entreprises publiques ou privilégiées qui détiennent des droits spéciaux ou exclusifs en vertu de mesures étatiques.

96.      Dans ce contexte et en particulier en ce qui concerne l’obligation des États membres, je suis d’accord avec l’avocat général da Cruz Vilaça (45) que: «l’article [86 CE] ne concerne que les entreprises pour le comportement desquelles les États doivent assumer une responsabilité particulière en raison de l’influence qu’ils peuvent exercer sur ce comportement. Il s’agit essentiellement d’assurer que l’intervention de l’État (au sens de ‘pouvoirs publics’, tel que la Cour a interprété cette expression) auprès de ces entreprises n’ait pas pour but ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ou d’introduire des distorsions dans les relations de ces entreprises avec les entreprises privées».

97.      Il découle des considérations qui précèdent que, aux points 85 à 93 de l’arrêt attaqué, les appréciations du Tribunal reposent sur une motivation incorrecte ou insuffisante. Et ce parce que, même si le Tribunal affirme le contraire, la Commission a bien reproché à la DEI et à mon avis même prouvé dans la décision litigieuse que la DEI avait étendu, sans justification objective, sa position dominante du marché de la fourniture de lignite au marché en aval de gros de l’électricité en Grèce.

98.      Je propose donc à la Cour d’accueillir le second moyen de la Commission, d’annuler l’arrêt du Tribunal pour motivation incorrecte ou insuffisante et de lui renvoyer l’affaire pour qu’il examine les autres moyens.

IV – Conclusion

99.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer de la manière suivante:

 1)     À titre principal:

–        annuler l’arrêt du Tribunal du 20 septembre 2012, dans l’affaire DEI/Commission (T‑169/08);

–        rejeter le second grief soulevé par la Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI) dans le cadre des deuxième et quatrième branches du premier moyen devant le Tribunal, tiré d’une erreur de droit dans l’application des dispositions combinées de l’article 86, paragraphe 1, CE et de l’article 82 CE;

–        renvoyer l’affaire au Tribunal;

–        et réserver les dépens.

 2)     À titre subsidiaire:

–        annuler l’arrêt du Tribunal du 20 septembre 2012 dans l’affaire DEI/Commission (T‑169/08);

–        renvoyer l’affaire au Tribunal;

–        et réserver les dépens.


1 –      Langue originale: le français.


2 –      Arrêt DEI/Commission (T‑169/08, ci-après l’«arrêt attaqué»).


3 –      Décision C(2008) 824 final de la Commission, du 5 mars 2008 (ci-après la «décision litigieuse»).


4 –      Il s’agit de la compagnie publique d’électricité, dont le titre anglais est The Public Power Corporation, parfois également appelée PPC.


5 –      J’utiliserai l’ancienne numérotation dans les présentes conclusions dans la mesure où la décision litigieuse a été prise sous l’empire du traité CE.


6 –      Pour une description du fonctionnement du marché journalier obligatoire, voir points 12 à 14 de l’arrêt attaqué.


7 –      En vertu du décret législatif grec no 4029/1959, des 12 et 13 novembre 1959 (FEK A’ 250), et de la loi grecque no 134/1975, des 23 et 29 août 1975 (FEK A’ 180).


8 –      Arrêts du 23 avril 1991, Höfner et Elser (C‑41/90, Rec. p. I‑1979); du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova (C‑179/90, Rec. p. I‑5889); du 11 décembre 1997, Job Centre (C‑55/96, Rec. p. I‑7119); du 12 février 1998, Raso e.a. (C‑163/96, Rec. p. I‑533), et du 1er juillet 2008, MOTOE (C‑49/07, Rec. p. I‑4863).


9 –      Respectivement, arrêts du 19 mars 1991 (C‑202/88, Rec. p. I‑1223); du 13 décembre 1991 (C‑18/88, Rec. p. I‑5941), et du 22 mai 2003 (C‑462/99, Rec. p. I‑5197).


10 –      Arrêt du 25 juin 1998 (C‑203/96, Rec. p. I‑4075).


11 –      À savoir, arrêts précités Raso e.a. (point 27); Höfner et Elser (point 29); Merci convenzionali porto di Genova (point 17); Job Centre (point 31) et MOTOE (points 50 et 51).


12 –      Voir considérants 180 à 183 et 191 à 199 de la décision litigieuse (pour les arguments relatifs au cadre d’analyse de cette théorie). Voir, également, ses considérants 200 à 237 (où la Commission a examiné et finalement réfuté les arguments additionnels relatifs, entre autres, à la compétitivité du lignite).


13 –      Cette théorie avait déjà été utilisée par la Commission dans deux décisions fondées sur l’article 86 CE en ce qui concerne le régime de l’activité de courrier accéléré en Espagne [décision 90/456/CEE, du 1er août 1990, relative à la prestation en Espagne de services de courrier rapide international (JO L 233, p. 19)], et aux Pays-Bas [décision 90/16/CEE, du 20 décembre 1989, relative à la prestation aux Pays-Bas du service de courrier rapide (JO 1990 L 10, p. 47)].


14 –      Arrêt du 17 novembre 1992 (C‑271/90, C‑281/90 et C‑289/90, Rec. p. I‑5833,point 36).


15 –      Voir point 31 de l’arrêt. Voir, aussi, arrêt GB-Inno-BM, précité (points 23 à 25).


16 –      Le parallèle peut être fait avec la DEI qui, grâce aux droits quasi monopolistiques d’exploitation du lignite lui conférés par la République hellénique, avait les moyens, en réservant ce lignite à sa propre production d’électricité, d’exclure toute nouvelle entrée sur le marché de gros de l’électricité.


17 –      Arrêt du 17 mai 2001 (C‑340/99, Rec. p. I‑4109).


18 –      Voir, à cet endroit, la jurisprudence citée par la Cour: arrêts Höfner et Elser, précité (point 29); du 18 juin 1991, ERT (C‑260/89, Rec. p. I‑2925, point 37); Merci convenzionali porto di Genova, précité (points 16 et 17); du 5 octobre 1994, Centre d’insémination de la Crespelle (C‑323/93, Rec. p. I‑5077, point 18); Raso e.a., précité (points 27 et 28); du 21 septembre 1999, Albany (C‑67/96, Rec. p. I‑5751, point 93); du 12 septembre 2000, Pavlov e.a. (C‑180/98 à C‑184/98, Rec. p. I‑6451, point 127); du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner (C‑475/99, Rec. p. Ι‑8089, point 39), et du 31 janvier 2008, Centro Europa 7 (C‑380/05, Rec. p. I‑349, point 60). Voir, également, dans un sens analogue, arrêt Connect Austria, précité (point 80).


19 –      À cet endroit, la Cour indique que le point 36 de son arrêt Job Centre, précité, va dans le même sens. En effet, ce dernier précise qu’«il n’est pas nécessaire que le comportement abusif en cause ait effectivement affecté ce commerce. Il suffit d’établir que ce comportement est de nature à avoir un tel effet».


20 –      Voir, en ce sens, la jurisprudence citée à cet endroit par la Cour: arrêts précités ERT (point 37); Merci convenzionali porto di Genova (point 17) et Centro Europa 7 (point 60).


21 –      Outre qu’elle est expressément évoquée à l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE, l’exigence de la concurrence non faussée est également à la base des règles de concurrence énoncées aux articles 81 CE à 89 CE.


22 –      Voir, à cet endroit, la jurisprudence citée par la Cour au point 51 de l’arrêt MOTOE, précité, et arrêts précités Terminaux de télécommunication (point 51); GB-Inno-BM (point 25) et, dans le même sens, ERT, précité (point 37), ainsi que Raso e.a., précité (points 29 à 31).


23 –      L’Elliniki Leschi Aftokinitou kai Perigiseon (club hellénique d’automobilisme et de tourisme, ci-après l’«ELPA»).


24 –      Voir, par analogie, arrêts précités Terminaux de télécommunication (point 51) et GB‑Inno‑BM (point 25), cités par la Cour.


25 –      Voir arrêts précités Raso e.a. (point 31), MOTOE (point 49), ainsi qu’arrêts cités dans les notes 18 à 20 et 22 des présentes conclusions.


26 –      La Cour a jugé dans plusieurs affaires que, si le simple fait, pour un État membre, de créer une position dominante par l’octroi de droits exclusifs n’est pas en tant que tel incompatible avec l’article 86 CE, il n’en demeure pas moins que le traité CE impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures susceptibles d’éliminer l’effet utile de cette disposition. Voir, par exemple, arrêts ERT, précité (point 35), et du 10 février 2000, Deutsche Post (C‑147/97 et C‑148/97, Rec. p. I‑825, point 39). Comme l’avocat général da Cruz Vilaça l’a correctement expliqué, au point 65 de ses conclusions dans l’affaire Bodson (arrêt du 4 mai 1988, 30/87, Rec. p. Ι‑2497), la disposition de l’article 86, paragraphe 1, CE «vise à éviter que les pouvoirs publics utilisent la relation spéciale de suprématie qui les lie à certains types d’entreprises pour leur imposer des comportements prohibés par le traité ou leur accorder des avantages incompatibles avec le marché commun». La raison pour laquelle les dispositions de l’article 86 CE ont été insérées dans le traité est justement l’influence que les pouvoirs publics peuvent exercer sur les décisions commerciales de ces entreprises. C’est la raison pour laquelle l’article 86 CE ne concerne que les entreprises pour le comportement desquelles les États doivent assumer une responsabilité particulière en raison de l’influence qu’ils peuvent exercer sur ce comportement. Il s’agit essentiellement d’assurer que l’intervention de l’État auprès de ces entreprises n’ait pas pour but ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ou d’introduire des distorsions dans les relations de ces entreprises avec les entreprises privées.


27 –      Voir, par exemple, arrêt MOTOE, précité (points 49 à 51).


28 –      Voir arrêts précités Services de télécommunications (point 36) et Connect Austria (points 80 à 84). Voir, également, arrêts précités Terminaux de télécommunication (point 51); Dusseldorp e.a. (point 61 et suivants) ainsi que GB-Inno-BM (points 20 et 21). Voir, également, Debegioti, S., «I paravasi ton arthron 106(1) kai 102 SynthLEE enopsei ton apofaseon tou Genikou Dikastiriou tis Enosis gia ton elliniko ligniti» (La violation des articles 106, paragraphe 1, et 102 TFUE en vue des arrêts du Tribunal sur le lignite grec), Dikaio Epicheiriseon & Etairion (Droit des entreprises et sociétés), 2012, p. 900 à 914. Selon cet auteur, l’arrêt attaqué a mal interprété la jurisprudence de la Cour.


29 –      Dans l’arrêt Connect Austria, précité, la Cour a décrit des pratiques potentielles de l’entreprise publique ou privilégiée qui n’étaient toutefois pas nécessairement illégales au sens de l’article 82 CE. Par conséquent, la constatation du Tribunal au point 111, in fine, de l’arrêt attaqué, selon laquelle, «ainsi, la Cour a également pris en considération le comportement de l’entreprise publique sur le marché», constitue une erreur de droit puisque, dans l’arrêt Connect Austria, aucun comportement concret n’avait été constaté.


30 –      Voir, par exemple, arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, Rec. p. 461, point 91), et du 10 juillet 1990, Tetra Pak/Commission (T‑51/89, Rec. p. II‑309, points 23 et 24).


31 –      La République hellénique était tenue de prendre des mesures de libéralisation du marché de l’électricité depuis février 2001, mais avait manqué de le faire (voir considérants 61 et 62, 85, 109, 136.3, 147, 150 et 235 de la décision litigieuse).


32 –      Le Tribunal reconnaît, lui-même, au point 87 de l’arrêt attaqué, que les mesures prises par la République hellénique, à savoir les privilèges octroyés à la DEI avant 2001, ont continué à produire leurs effets après 2001.


33 –      Voir, par exemple, considérants 164, 182, 188 et 189, 191, 193, 195 à 197, 199, 214 et 215, notes 237 et 255, et considérants 223 à 225, 228 et 229, 233 et 238 de la décision litigieuse.


34 –      Voir, par exemple, considérants 185, 225 et 237 de la décision litigieuse.


35 –      Le Tribunal mentionne cette cause de renforcement des effets anticoncurrentiels au point 88 de l’arrêt attaqué.


36 –      En effet, une fois extrait par l’entreprise qui détient les droits privilégiés d’exploitation, en tant que produit, le lignite peut soit i) être vendu ou écoulé sur le marché local (ou être exporté), soit ii) être utilisé par cette entreprise comme combustible pour produire de l’électricité. La DEI a choisi la seconde option et n’utilise le lignite que pour produire, elle-même, de l’électricité. Voir, par exemple, considérants 126 et 127 de la décision litigieuse.


37 –      Pendant la procédure administrative et la procédure devant le Tribunal, la République hellénique n’a jamais soutenu que l’extension de la position dominante de la DEI du marché primaire de la fourniture de lignite vers le marché secondaire (en aval) de gros de l’électricité «se justifiait objectivement». Voir, par exemple, considérant 240 de la décision litigieuse.


38 –      Voir décision no 822/2012 de l’autorité grecque de régulation de l’énergie (RAE), qui souligne qu’«[i]l n’existe pas de marché de l’électricité qui fonctionne de façon rentable, sachant que la DEI détient l’ensemble des centrales au gaz et au lignite et détient plus de 65 % du marché de la production électrique, alors que ses concurrents utilisent des unités de production plus récentes au gaz naturel», et par conséquent, RAE dit tout simplement qu’il n’est pas possible d’avoir un marché fonctionnant naturellement que ce soit du côté de la production ou du côté de la fourniture.


39 –      Voir, notamment, décision no 822/2012 de la RAE, du 17 octobre 2012, sur la plainte RAE I‑153708/22.03.202 déposée par la société G.M.M.LARKO AE contre la DEI, point 23: «il est manifeste qu’il n’existe pas de marché de l’électricité fonctionnant efficacement; cela est démontré, sans qu’il soit besoin d’une analyse particulière, attendu que la [DEI] détient, à elle seule, l’ensemble des centrales à lignite et hydroélectriques du pays et qu’elle continue à détenir plus de 65 % du marché de l’électricité, alors même que tous ses concurrents exploitent de nouvelles centrales au gaz naturel, non amorties, et qu’ils ont en face d’eux des centrales mûres – c’est-à-dire amorties – au lignite, au gaz naturel ou hydroélectriques. Il ne peut donc exister de marché fonctionnel dans le secteur de la fourniture, puisque l’ensemble de ce marché est contrôlé, de fait et essentiellement, par la [DEI]» (c’est moi qui souligne). Voir, également, à titre indicatif, la décision no 831/2012 ainsi que les décisions no 346/2012 et no 822/2012 de la RAE (ces dernières mettent en lumière l’exploitation abusive par la DEI de sa position dominante, surtout au détriment de ses clients industriels).


40 –      Voir considérants 255, 215 et 244 de la décision litigieuse, qui font référence au fonctionnement du marché de fourniture de l’électricité et à la situation des petits producteurs.


41 –      Voir considérants 83 à 90 de la décision litigieuse, et point 90 de l’arrêt attaqué.


42 –      Voir considérants 84 à 98, 199, 215 (ainsi que notes 237 et 255), 222 à 225, 228 et 229 et 237 de la décision litigieuse. Voir, aussi, observations écrites de la Commission du 7 mars 2011, déposées au Tribunal sur demande spéciale de ce dernier mentionnée au point 49 de l’arrêt attaqué. Cela ressort également de la réponse du 1er février 2011 de la République hellénique aux questions du Tribunal.


43 –      Un pourvoi est recevable si l’arrêt contient une motivation contradictoire ou insuffisante. Voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission (C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 25); du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission (C‑403/04 P et C‑405/04 P, Rec. p. I‑729, point 77), et du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission (C‑120/06 P et C‑121/06 P, Rec. p. Ι‑6513, point 90), ainsi que du 16 juillet 2009, Der grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission (C‑385/07 P, Rec. p. Ι‑6155, point 71). En outre, le Tribunal doit motiver ses arrêts d’une manière permettant à la Cour d’exercer un contrôle sur une éventuelle dénaturation du contenu des éléments de preuve produits devant lui [voir arrêts du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission, (C‑237/98 P, Rec. p. I‑4549, points 50 et 51), et du 12 juillet 2005, Commission/CEVA et Pfizer (C‑198/03 P, Rec. p. I‑6357, point 50)].


44 –      Voir, notamment, arrêt du 9 novembre 1983, Michelin/Commission (322/81, Rec. p. 3461, point 57). Voir, également, arrêts du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission (C‑395/96 P et C‑396/96 P, Rec. p. I‑1365, point 34), et ERT, précité (point 35).


45 –      Voir ses conclusions ayant donné lieu à l’arrêt Bodson, précité (points 67 et 68).