Language of document : ECLI:EU:T:2021:864

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

8 décembre 2021 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne verbale GRILLOUMI – Marques de certification nationales verbales antérieures ΧΑΛΛΟΥΜΙ HALLOUMI – Motif relatif de refus – Absence de risque de confusion – Similitude des services et des produits – Article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑556/19,

République de Chypre, représentée par MM. S. Malynicz, QC, S. Baran, barrister, et Mme V. Marsland, solicitor,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Gája, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Fontana Food AB, établie à Tyresö (Suède), représentée par Mes P. Nihlmark et L. Zacharoff, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO du 29 mai 2019 (affaire R 1284/2018‑4), relative à une procédure d’opposition entre la République de Chypre et Fontana Food,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović, présidente, M. F. Schalin (rapporteur) et Mme P. Škvařilová‑Pelzl, juges,

greffier : Mme A. Juhász-Tóth, administratrice,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 9 août 2019,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 26 août 2020,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 21 octobre 2019,

vu la décision du 23 octobre 2019 de suspendre la procédure,

vu la décision du 9 mars 2021 portant jonction des affaires T‑556/19 et T‑593/19 aux fins de la phase orale de la procédure,

vu la modification de la composition des chambres du Tribunal,

à la suite de l’audience du 10 mai 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 25 octobre 2016, l’intervenante, Fontana Food AB, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal GRILLOUMI.

3        Les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 43 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Services de restauration (alimentation) ; services de coffee-shop ; services de restauration (alimentation) ».

4        La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques de l’Union européenne no 207/2016, du 2 novembre 2016.

5        Le 2 février 2017, la République de Chypre a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement no 207/2009 (devenu article 46 du règlement 2017/1001), à l’enregistrement de la marque demandée pour les services visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était notamment fondée sur les marques antérieures suivantes :

–        la marque de certification chypriote verbale XAΛΛOYMI HALLOUMI, enregistrée le 25 juin 1992 sous le numéro 366765, désignant les produits relevant de la classe 29 et correspondant à la description suivante : « Produit laitier et, plus particulièrement, fromage à la forme repliée connu sous le nom de halloumi frais » ;

–        la marque de certification chypriote verbale XAΛΛOYMI HALLOUMI, enregistrée le 25 juin 1992 sous le numéro 366766, désignant les produits relevant de la classe 29 et correspondant à la description suivante : « Produit laitier et, plus particulièrement, fromage à la forme repliée connu sous le nom de halloumi affiné ».

7        Les motifs invoqués à l’appui de l’opposition étaient ceux visés à l’article 8, paragraphe 1, sous b), et à l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009 [devenus article 8, paragraphe 1, sous b), et article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001].

8        Le 8 mai 2018, la division d’opposition a rejeté l’opposition et condamné la République de Chypre aux dépens.

9        Le 6 juillet 2018, la République de Chypre a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’opposition.

10      Par décision du 29 mai 2019 (ci-après la « décision attaquée »), la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours et condamné la République de Chypre à supporter les frais exposés aux fins des procédures d’opposition et de recours.

11      S’agissant notamment de l’évaluation du risque de confusion en vertu de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, la chambre de recours a estimé que les produits et les services couverts par les marques en conflit étaient différents, de sorte que l’opposition n’était pas fondée au regard de cette disposition. En particulier, elle a estimé que, si les services couverts par la marque demandée et certains produits alimentaires auraient pu être considérés comme similaires en raison de l’existence d’un lien de complémentarité, l’existence d’un tel lien n’avait toutefois pas été démontrée en ce qui concernait les fromages.

 Conclusions des parties

12      La République de Chypre conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

13      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans son intégralité ;

–        condamner la République de Chypre aux dépens.

 En droit

14      Compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 25 octobre 2016, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, arrêts du 8 mai 2014, Bimbo/OHMI, C‑591/12 P, EU:C:2014:305, point 12, et du 18 juin 2020, Primart/EUIPO, C‑702/18 P, EU:C:2020:489, point 2 et jurisprudence citée). Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le présent litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001.

15      Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la chambre de recours dans la décision attaquée et par les parties à l’instance dans leurs écritures soit à l’article 8, paragraphe 1, sous b), soit à l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 comme visant soit l’article 8, paragraphe 1, sous b), soit l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009.

16      Au soutien du recours, la République de Chypre invoque en substance deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 et, le second, de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du même règlement.

17      Il y a lieu de de commencer par l’examen du premier moyen, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

18      Le premier moyen se décompose, en substance, en trois branches.

19      Par la première branche, la République de Chypre invoque une erreur d’appréciation de la chambre de recours en ce qu’elle a considéré que les services couverts par la marque demandée étaient différents du fromage, produit relevant de la classe 29 et visé par les marques antérieures, alors qu’il existerait entre eux un lien de complémentarité. Le raisonnement de la chambre de recours serait erroné au regard de quatre éléments.

20      Tout d’abord, elle aurait appliqué à tort un critère tenant au caractère mutuellement indispensable des services et des produits en cause, alors qu’il aurait suffi de constater qu’ils pouvaient être utilisés ou proposés ensemble. Ensuite, elle aurait négligé la jurisprudence du Tribunal selon laquelle, concernant les denrées alimentaires, y compris le lait et les produits laitiers, les services de restauration utiliseraient nécessairement de tels produits, de sorte qu’il existerait un lien de complémentarité entre ces services et ces produits. Par ailleurs, elle aurait fait une application erronée de la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 février 2011, Yorma’s/OHMI – Norma Lebensmittelfilialbetrieb (YORMA’S) (T‑213/09, non publié, EU:T:2011:37), en ce qui concernait le critère de complémentarité. Enfin, elle se serait fondée sur la considération erronée et non étayée selon laquelle il n’existait pas de restaurants de fromage. La chambre de recours aurait dès lors commis une erreur de droit, puisque, à partir du constat erroné de l’absence de similitude des services et des produits en cause, elle aurait estimé qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une appréciation globale du risque de confusion. Or, dans les circonstances de l’espèce, le constat d’un degré de similitude quelconque entre les produits et les services en cause aurait été suffisant pour justifier qu’il fût procédé à une appréciation globale du risque de confusion.

21      L’EUIPO fait valoir, quant à lui, premièrement, qu’il souscrit pleinement à l’analyse de la chambre de recours dans la décision attaquée en ce qui concerne la comparaison des produits et des services désignés par les marques en conflit. À cet égard, il expose que le constat d’une similitude entre ces produits et ces services ne peut résulter ni du fait qu’ils concernent tous des produits alimentaires, ni du fait qu’ils sont complémentaires en ce qu’ils peuvent être utilisés ou achetés ensemble, ce qui serait le cas pour pratiquement toutes les denrées alimentaires. Le critère ultime résiderait dans le fait que le consommateur pertinent estime que la responsabilité de la fabrication des produits en cause ou de la fourniture des services en cause incombe à la même entreprise ou à des entreprises liées économiquement.

22      En ce qui concerne la comparaison des produits désignés par les marques antérieures avec les services désignés par la marque demandée, l’EUIPO expose que la simple possibilité que des produits alimentaires soient consommés dans un restaurant ne constitue pas un motif suffisant pour conclure à l’existence d’un degré de complémentarité pertinent pouvant conduire au constat d’une similitude au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009. L’existence d’une « proximité » ou d’un « lien » entre des produits et des services désignés par des droits concurrents pourrait tout au plus conduire à la mise en œuvre des dispositions de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009. Par ailleurs, à la différence des plats préparés, et même s’il existe des restaurants spécialisés dans les plats à base de fromage, il ne serait pas justifié d’affirmer que le public pertinent pourrait penser que les produits « fromages » proviennent de la même entreprise que celle proposant la « restauration » ou des « services de restauration », voire d’entreprises économiquement liées à celle-ci.

23      En outre, si, comme le fait valoir la République de Chypre, dans l’arrêt du 18 février 2016, Harrys Pubar et Harry’s New York Bar/OHMI – Harry’s New York Bar et Harrys Pubar (HARRY’S BAR) (T‑711/13 et T‑716/13, non publié, EU:T:2016:82), le Tribunal a pu estimer qu’une vaste gamme de produits alimentaires, dont les fromages, présentait une similitude avec des services de « restaurant, brasserie et café » compris dans la classe 43, en se fondant sur le fait que ces services « utilis[ai]ent nécessairement » ces denrées alimentaires et que ces dernières « p[ouvai]ent être proposées à la vente dans les lieux de restauration », il se serait toutefois agi d’une considération excessive ne correspondant pas à la réalité. En effet, dans l’hypothèse où les consommateurs achèteraient dans ces lieux un service de restauration pouvant inclure ces produits, ils ignoreraient le plus souvent sous quelle marque lesdits produits sont vendus et ils ne se rendraient pas dans ces établissements pour y acheter des produits tels que de la viande crue, une douzaine d’œufs ou une meule de fromage. En outre, l’arrêt susmentionné ne prendrait pas en considération la question de la perception par le consommateur de l’origine commune des services en question et des produits tels que les « viande ; poisson ; volaille et gibier ; extraits de viande ; fruits et légumes conservés, séchés et cuits ; gelées ; confitures ; marmelades ; compotes ; œufs ; lait et produits laitiers ; beurre ; fromage ; huiles et graisses comestibles ; boissons lactées ; boissons instantanées à base de lait ; yaourts », alors qu’il s’agirait d’un critère déterminant eu égard aux faits de l’espèce.

24      Cela ne signifierait pas que des marques désignant des fromages ne bénéficieraient d’aucune protection contre des demandes d’enregistrement de marques désignant des services de restauration, mais le titulaire des premières devrait se fonder sur d’autres motifs d’opposition, d’annulation ou de violation, comme ceux découlant des dispositions de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009.

25      L’intervenante expose, tout d’abord, que la chambre de recours a conclu à bon droit à l’absence de similitude entre les services désignés par la marque demandée et les produits désignés par les marques antérieures. Pour conclure à la complémentarité de produits et de services, la condition tenant à l’existence d’un lien étroit entre eux devrait être remplie. Or, la chambre de recours aurait, en l’espèce, fait une application correcte de ce critère lorsqu’elle a comparé les produits désignés par les marques antérieures et les services désignés par la marque demandée. L’arrêt du 10 septembre 2008, Boston Scientific/OHMI – Terumo (CAPIO) (T‑325/06, non publié, EU:T:2008:338), viendrait conforter cette analyse, en retenant la nécessité d’un lien étroit entre des produits complémentaires, et pas seulement la possibilité d’un lien ou l’existence d’un lien fortuit, comme le simple fait que les denrées alimentaires seraient nécessaires à la préparation de nourriture ou aux services de restauration. En outre, à supposer que le Tribunal ait déjà jugé que le lait et les produits laitiers, d’une part, et les services de restauration, d’autre part, étaient complémentaires, une telle appréciation ne serait pas transposable au cas d’espèce, où la catégorie de produits en cause serait plus étroite.

26      L’intervenante fait valoir, ensuite, que le Tribunal a déjà considéré à plusieurs reprises que le caractère distinctif intrinsèque de la marque HALLOUMI était faible en raison de son caractère descriptif et qu’une marque descriptive n’avait pas de caractère distinctif, qu’elle fût individuelle ou de certification. À cet égard, la République de Chypre commettrait une erreur en se fondant sur le postulat selon lequel les marques de certification seraient tellement différentes des marques individuelles que les motifs absolus de nullité de l’article 7 du règlement no 207/2009 leur seraient inapplicables.

27      L’intervenante expose, enfin, que le caractère distinctif de toute marque antérieure doit être apprécié dans le cadre de toute opposition et qu’il n’existe pas d’exception à cette appréciation en faveur des marques de certification. La chambre de recours aurait par ailleurs procédé à une exacte appréciation des éléments de preuve produits par la République de Chypre et se rapportant au caractère distinctif allégué des marques antérieures. Ces éléments démontreraient tout au plus que le terme « halloumi » serait perçu comme étant la désignation d’un type de fromage. Par ailleurs, l’usage d’un terme descriptif auprès des consommateurs n’aurait pas pour effet de le rendre plus distinctif aux yeux de ces derniers.

28      Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement lorsque, en raison de son identité ou de sa similitude avec une marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire sur lequel la marque antérieure est protégée. Le risque de confusion comprend le risque d’association avec la marque antérieure.

29      Lorsque, comme en l’espèce, les marques antérieures invoquées à l’appui de l’opposition sont des marques de certification nationales, qui ont été enregistrées en vertu d’une législation nationale transposant la directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), le risque de confusion doit s’entendre, par analogie avec le régime des marques collectives, comme étant le risque que le public puisse croire que les produits ou les services visés par lesdites marques antérieures et ceux visés par la marque demandée proviennent tous de personnes autorisées par le titulaire desdites marques antérieures à utiliser celles-ci ou, le cas échéant, d’entreprises économiquement liées audites personnes ou audit titulaire (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 5 mars 2020, Foundation for the Protection of the Traditional Cheese of Cyprus named Halloumi/EUIPO, C‑766/18 P, EU:C:2020:170, point 64).

30      En outre, en cas d’opposition formée par le titulaire d’une marque de certification, s’il y a lieu de tenir compte de la fonction essentielle de ce type de marque afin d’appréhender ce qu’il convient d’entendre par risque de confusion, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, il n’en demeure pas moins que la jurisprudence établissant les critères au regard desquels il doit concrètement être apprécié si un tel risque existe est transposable aux affaires concernant une marque de certification antérieure (voir, par analogie, arrêt du 5 mars 2020, Foundation for the Protection of the Traditional Cheese of Cyprus named Halloumi/EUIPO, C‑766/18 P, EU:C:2020:170, point 65).

31      Aux fins de l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, un risque de confusion présuppose à la fois une identité ou une similitude des marques en conflit et une identité ou une similitude des produits ou des services qu’elles désignent. Il s’agit là de conditions cumulatives [voir arrêt du 22 septembre 2016, Sun Cali/EUIPO – Abercrombie & Fitch Europe (SUN CALI), T‑512/15, EU:T:2016:527, point 45 et jurisprudence citée].

32      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner si la chambre de recours a estimé à juste titre, s’agissant des marques en conflit, qu’il n’existait pas de risque de confusion dans l’esprit du public pertinent, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

33      S’agissant de la définition du public pertinent, au point 13 de la décision attaquée, la chambre de recours a relevé que les produits et les services désignés par les marques en conflit étaient destinés au consommateur final, qui était censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. Par conséquent, elle a estimé que, dans la mesure où les marques antérieures étaient enregistrées à Chypre, l’appréciation devait être fondée sur la perception du grand public dans ce pays.

34      À cet égard, il convient de relever que la marque demandée désigne des services d’usage courant et que les marques antérieures sont quant à elles enregistrées pour des produits de consommation courante, en l’occurrence des fromages, et que lesdits services et produits s’adressent tous au grand public, lequel, lors de l’achat de ceux-ci, fera preuve d’un niveau d’attention généralement moyen. Il convient donc de confirmer les conclusions de la chambre de recours en ce qui concerne la définition du public pertinent, qui apparaissent bien fondées eu égard aux éléments du dossier et ne sont, au demeurant, pas contestées par les parties.

35      S’agissant de la comparaison des produits et des services en cause, au point 21 de la décision attaquée, la chambre de recours a conclu que les produits et les services désignés par les marques en conflit étaient différents, après avoir exposé, au point 18 de cette même décision, que, si les services désignés par la marque demandée pouvaient être considérés comme semblables à des produits alimentaires, notamment quand des restaurants vendaient de la nourriture à emporter ou à consommer au comptoir, cela ne s’appliquait pas aux fromages. Selon elle, si la différence entre un point de vente de nourriture et un restaurant en libre-service peut être floue, toutefois, s’agissant des services relevant de la classe 43, c’est davantage la nature de service d’un restaurant qui importe, et non la vente d’un produit alimentaire en elle-même. À cet égard, si un établissement comportant un restaurant ou une zone semblable à un restaurant en libre-service devait vendre du fromage au comptoir, cette situation concernerait non pas des « services de restaurant », mais les produits en tant que tels.

36      Aux points 19 et 20 de la décision attaquée, la chambre de recours a en outre considéré, en substance, que les pièces produites par la République de Chypre afin de démontrer que certains restaurants et établissements de restauration servaient essentiellement des repas à base de fromage ou proposaient de tels repas en vue d’une consommation immédiate étaient insuffisantes pour prouver, du point de vue du public pertinent, la similitude, eu égard à leur complémentarité, des services de restauration en question et des fromages servis dans ces lieux. En effet, en substance, rien n’indiquerait que les consommateurs percevraient une origine commune entre les services fournis par ces prestataires et les fromages qu’ils serviraient.

37      En l’espèce, il y a lieu d’examiner si la chambre de recours a conclu à juste titre que les services désignés par la marque demandée et les produits désignés par les marques antérieures ne présentaient pas de similitude, de sorte qu’il y avait lieu d’exclure l’existence d’un risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

38      Selon la jurisprudence, pour apprécier la similitude entre des produits et des services, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre eux et qui incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire. D’autres facteurs peuvent également être pris en compte, tels que, par exemple, les canaux de distribution des produits et des services concernés [voir arrêt du 11 juillet 2007, El Corte Inglés/OHMI – Bolaños Sabri (PiraÑAM diseño original Juan Bolaños), T‑443/05, EU:T:2007:219, point 37 et jurisprudence citée].

39      Dans la mesure où la comparaison porte, d’une part, sur les services désignés par la marque demandée, qui correspondent à des services de restauration et de coffee-shops compris dans la classe 43, et, d’autre part, sur les produits désignés par les marques antérieures, en l’occurrence des fromages, qui relèvent de la catégorie plus large des produits alimentaires compris dans la classe 29, la chambre de recours a pu, sans commettre d’erreur et ainsi qu’elle y avait d’ailleurs été invitée par la République de Chypre, rechercher l’existence d’une similitude en raison de leur complémentarité plutôt que de facteurs tels que leur nature, leur destination ou leur utilisation. En effet, les produits et les services en cause ne sont pas identiques et il est incontestable que, au regard des facteurs relatifs à leur nature, à leur destination ou à leur utilisation, ils ne sont pas semblables (voir, en ce sens, arrêt du 18 février 2016, HARRY’S BAR, T‑711/13 et T‑716/13, non publié, EU:T:2016:82, point 58 et jurisprudence citée).

40      Or, si le critère de complémentarité des produits et des services en cause ne représente qu’un facteur parmi plusieurs autres, tels que la nature, l’utilisation ou les canaux de distribution de ces produits ou de ces services, au regard desquels leur similitude peut s’apprécier, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un critère autonome, susceptible de fonder, à lui seul, l’existence d’une telle similitude (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Hesse/OHMI, C‑50/15 P, EU:C:2016:34, point 23).

41      À cet égard, il convient de rappeler que des produits ou des services sont complémentaires lorsqu’il existe entre eux un lien étroit, en ce sens que l’un est indispensable ou important pour l’usage de l’autre, de sorte que les consommateurs peuvent penser que la responsabilité de la fabrication de ces produits ou de l’offre de ces services incombe à la même entreprise [voir, en ce sens, arrêt du 4 février 2013, Hartmann/OHMI – Protecsom (DIGNITUDE), T‑504/11, non publié, EU:T:2013:57, point 44 et jurisprudence citée].

42      Ainsi que cela résulte de la jurisprudence du Tribunal, il y a lieu de constater que les services de restauration utilisent nécessairement les produits compris dans la classe 29, notamment les fromages, de sorte qu’il existe une complémentarité entre ces services et ces produits. Premièrement, les fromages peuvent être proposés à la clientèle de nombreux restaurants, voire de coffee-shops, en étant incorporés comme ingrédients dans des plats destinés à la vente sur place ou à emporter. Deuxièmement, les fromages, sans être transformés comme ingrédients, peuvent être vendus en l’état aux consommateurs, notamment dans les restaurants dont l’activité ne se limite pas à préparer et à servir des plats cuisinés, mais consiste également à vendre de la nourriture destinée à la consommation hors du lieu de vente. De tels produits sont donc utilisés et proposés dans le cadre des services de restauration ou de coffee-shop. Ces produits sont par conséquent étroitement liés auxdits services [voir, en ce sens, arrêts du 13 avril 2011, Bodegas y Viñedos Puerta de Labastida/OHMI – Unión de Cosecheros de Labastida (PUERTA DE LABASTIDA), T‑345/09, non publié, EU:T:2011:173, point 52, et du 18 février 2016, HARRY’S BAR, T‑711/13 et T‑716/13, non publié, EU:T:2016:82, point 59 et jurisprudence citée].

43      Eu égard à ces considérations, il y a lieu de considérer, contrairement à ce qu’a estimé la chambre de recours, que le lien de complémentarité entre les fromages et les services de restauration et de coffee-shop doit amener au constat qu’il existe un certain degré de similitude entre, d’une part, les « [s]ervices de restauration (alimentation) ; services de coffee-shop ; services de restauration (alimentation) » relevant de la classe 43 et visés par la marque demandée et, d’autre part, les « fromages » relevant de la classe 29 et visés par les marques antérieures. Ce degré de similitude doit toutefois être qualifié de faible, dans la mesure où, d’une part, les services et les produits en cause ont à l’évidence une nature différente, en raison du caractère fongible des premiers et non fongible des seconds [voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2019, Brown Street Holdings/EUIPO – Enesan (FIGHT LIFE), T‑800/17, non publié, EU:T:2019:31, point 25 et jurisprudence citée], et, d’autre part, les « [s]ervices de restauration (alimentation) ; services de coffee-shop ; services de restauration (alimentation) » relevant de la classe 43 et visés par la marque demandée peuvent présenter un lien de complémentarité avec des produits alimentaires très variés, dont les fromages ne constituent qu’une partie.

44      Or, l’existence d’une telle similitude ne permet pas d’exclure d’emblée que le public pertinent soit amené à penser que les services et les produits en cause ont une même origine commerciale.

45      Par conséquent, la chambre de recours ayant commis une erreur en considérant que ces produits et ces services n’étaient pas similaires, elle a conclu à tort que l’une des conditions cumulatives de l’existence d’un risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 n’était pas remplie. Dès lors, elle ne pouvait pas s’abstenir de procéder à l’examen des autres facteurs susceptibles de concourir à l’existence d’un tel risque, avant, le cas échéant, de procéder à une appréciation globale de ce risque.

46      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer la première branche du premier moyen comme fondée et, partant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les deuxième et troisième branches du premier moyen ni le second moyen, de faire droit aux conclusions de la République de Chypre en annulant la décision attaquée.

 Sur les dépens

47      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

48      L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la République de Chypre, conformément aux conclusions de cette dernière.

49      En application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, l’intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 29 mai 2019 (affaire R 1284/20184) est annulée.

2)      L’EUIPO est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la République de Chypre.

3)      Fontana Food AB supportera ses propres dépens.

Tomljenović

Schalin

Škvařilová-Pelzl

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 décembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.