Language of document : ECLI:EU:T:2021:890

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

15 décembre 2021 (*) (i)

« Fonction publique – Personnel de la BEI – Plainte pour harcèlement moral – Enquête administrative – Décision portant rejet de la plainte – Décision portant rejet de la demande de conciliation – Droit d’être entendu – Responsabilité »

Dans l’affaire T‑757/19,

HB, représentée par Me C. Bernard-Glanz, avocat,

partie requérante,

contre

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par Mmes G. Faedo et K. Carr, en qualité d’agents, assistées de Me B. Wägenbaur, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et sur l’article 50 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et tendant, d’une part, à l’annulation des décisions de la BEI des 20 juin et 10 octobre 2019 rejetant, respectivement, une plainte pour harcèlement et intimidation et une demande de conciliation et, d’autre part, à la réparation du préjudice que la requérante aurait prétendument subi à la suite de ces décisions,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen, président, Mmes N. Półtorak (rapporteure) et M. Stancu, juges,

greffier : Mme X. Lopez Bancalari, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 5 juillet 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, HB, est entrée au service de la Banque européen d’investissement (BEI) le 1er février 2011, en tant qu’assistante administrative affectée au département consacré à l’initiative Jaspers (ci-après le « département en cause »).

2        Aux termes du contrat qu’elle a signé le 21 décembre 2010, la requérante a initialement été engagée pour une période de trois ans. Le 24 juillet 2013, le contrat à durée déterminée de la requérante a, par avenant, été prorogé pour une nouvelle période de trois ans, allant du 1er février 2014 au 31 janvier 2017.

3        Lors de sa prise de fonctions, la requérante était placée sous l’autorité de W, chef de division, puis sous celle de X, le directeur du département en cause. Occasionnellement, les fonctions de la requérante consistaient également à remplacer l’assistant de Y, [donnée personnelle].

4        Le 16 novembre 2015, à l’initiative de X, dont le départ à la retraite était prévu pour le 28 février 2016, la requérante a rencontré Z, successeur désigné de X au poste de directeur du département en cause.

5        Le 22 novembre 2015, la requérante a envoyé un courrier électronique à X et Z, déplorant le fait que Z lui aurait indiqué qu’il ne souhaitait pas travailler avec elle lorsqu’il prendrait ses nouvelles fonctions de directeur du département en cause.

6        Au printemps 2016, la requérante a interrogé Z sur la possibilité d’être affectée au nouveau bureau que la BEI ouvrait à Budapest (Hongrie). Elle a également fait part à Y de son intérêt pour une affectation dans ce nouveau bureau.

7        Le 29 septembre 2016, le contrat de la requérante a été requalifié en contrat à durée indéterminée, à compter du 1er février 2017. Il a été précisé dans ce contrat que, indépendamment des autres motifs de rupture, celui-ci expirerait automatiquement à la fin du préavis donné par la BEI en cas de fin ou de modification du mandat de la BEI au titre de l’initiative Jaspers.

8        Entre janvier et avril 2017, la requérante a été placée en congé de maladie, lequel aurait été la conséquence d’une extrême fatigue.

9        Pendant son congé de maladie, la requérante s’est portée candidate au poste, devenu vacant, d’assistant de Y. À son retour de congé de maladie, la requérante a été informée que sa candidature n’avait pas été retenue pour ce poste.

10      À la suite de conversations avec la requérante les 3 et 5 mai 2017, Y, par courrier électronique du 5 mai 2017, a indiqué à cette dernière que Z et lui-même avaient pris acte de sa volonté de changer d’affectation et que, dans ce contexte, ils s’efforceraient de l’aider à trouver une solution appropriée.

11      Le 5 mai 2017, Y et Z ont également sollicité le docteur A, médecin du travail de la BEI, afin de lui faire part de leurs préoccupations au sujet de la requérante. Par courrier électronique du 8 mai 2017, le docteur A a informé Y et Z qu’elle avait reçu la requérante en consultation, au cours de laquelle elle n’avait pas détecté de situation pathologique. Le docteur A a ajouté que, au regard des rapports établis par les médecins traitants de la requérante, celle-ci se portait parfaitement bien, de sorte qu’elle était apte au travail.

12      Les 19 et 20 juin 2017, la requérante a participé à la réunion annuelle des parties prenantes à l’initiative Jaspers, qui s’est tenue à Bratislava (Slovaquie). À cette occasion, la requérante aurait envoyé à Y, également présent à Bratislava, une série de SMS. En particulier, la requérante a, le 20 juin 2017, envoyé à Y le SMS suivant : « [confidentiel] (1) ».

13      Le 26 juin 2017, la requérante a été convoquée par un membre du personnel de la BEI à une réunion avec Y, à laquelle s’est joint le chef de la division des relations sociales et du bien-être au travail du département des relations sociales et des services administratifs de la direction générale « Personnel ». À la suite de cette réunion, Y a envoyé un courrier électronique à la requérante, lui demandant, en substance, de bien vouloir confirmer par écrit qu’elle reconnaissait que le contenu du SMS envoyé le 20 juin 2017 était inapproprié, qu’elle présentait ses excuses pour l’envoi de ce SMS et qu’elle promettait de s’abstenir à l’avenir d’envoyer de tels messages. La requérante a accédé à cette demande par courrier électronique du 27 juin 2017.

14      Le 28 juillet 2017, la requérante a accepté la proposition de la BEI du 20 juillet 2017 de l’affecter de manière permanente au bureau régional de l’initiative Jaspers à Vienne (Autriche), à compter du 1er novembre 2017.

15      Par courrier électronique du 13 septembre 2017, la requérante a informé Z que, pour diverses raisons personnelles, elle souhaitait finalement renoncer à cette affectation à Vienne.

16      Z a répondu à la requérante, par courrier électronique du 14 septembre 2017, et lui a fait savoir qu’il prenait acte de sa décision et qu’il allait en informer les parties concernées. Z a également indiqué à la requérante que la raison pour laquelle il lui avait proposé une affectation à Vienne était seulement de l’aider à sortir de la situation dans laquelle elle se trouvait.

17      La requérante a ensuite été placée en congé de maladie jusqu’au 29 novembre 2017.

18      Le 29 novembre 2017, la requérante a rencontré le docteur B, nouveau médecin du travail de la BEI, qui l’a adressée au docteur C, en vue d’une expertise psychiatrique.

19      Dans son rapport d’expertise psychiatrique daté du 30 novembre 2017, le docteur C a déclaré la requérante apte au travail et a conclu à l’absence de pathologie psychiatrique. Il a également relevé l’existence d’une situation professionnelle conflictuelle et stressante, et a préconisé un changement de poste.

20      Le 8 janvier 2018, Z a fait passer à la requérante un entretien d’évaluation concernant ses performances pour l’année 2017.

21      Le 29 janvier 2018, la requérante a envoyé un courrier électronique à Y lui demandant de bien vouloir lui transmettre le SMS qu’elle lui avait envoyé le 20 juin 2017 (voir point 12 ci-dessus), ainsi que le rapport que ce dernier aurait rédigé à la suite de cet envoi. Par courrier électronique du 30 janvier 2018, Y a répondu à la requérante qu’il était surpris par sa demande, dès lors qu’il considérait que, à la suite de son courrier électronique du 27 juin 2017 (voir point 13 ci-dessus), l’incident était clos.

22      Le 30 janvier 2018, la BEI a proposé à la requérante une réaffectation dans une autre division du département en cause, à compter du 1er février 2018. Par courrier électronique du 21 février 2018, la requérante a, en substance, marqué son accord avec cette réaffectation, tout en formulant un certain nombre d’observations.

23      La requérante a ensuite été placée en congé de maladie pour une nouvelle période de deux mois, et a repris le travail en avril 2018.

24      Le 2 avril 2018, la requérante a reçu le rapport d’évaluation concernant ses performances pour l’année 2017. Par courrier électronique du 9 mai 2018, la requérante a sollicité la tenue d’un entretien en vue du réexamen de l’évaluation concernant ses performances pour l’année 2017.

25      Un premier entretien en vue du réexamen de l’évaluation des performances de la requérante pour l’année 2017 s’est tenu le 30 mai 2018. Au cours de cet entretien, la requérante a également évoqué la possibilité de recourir à l’une des procédures prévues par la politique de dignité au travail.

26      Dans ce contexte, un second entretien s’est tenu le 19 juin 2018. Lors de cet entretien, la BEI a notamment proposé à la requérante une nouvelle affectation au sein d’une autre direction de la BEI, en dehors du département en cause. Par courrier électronique du 20 juin 2018, la BEI a demandé à la requérante de bien vouloir donner une réponse sur cette proposition avant le 27 juin 2018.

27      Par courrier électronique du 22 juin 2018, la requérante a, au titre des règles internes de la BEI, introduit une plainte (ci-après la « plainte ») tendant, en substance, à dénoncer les comportements de Z et Y, ainsi que de l’administration de la BEI à son égard, comme constituant un harcèlement moral au sens des articles 3.6 et 3.6.1 du code de conduite du personnel de la BEI et une violation des règles internes relatives au respect de la dignité. La requérante n’a pas donné suite à la proposition de la BEI concernant une nouvelle affectation.

28      Le 9 juillet 2018, la requérante a adressé à la BEI un mémorandum, accompagné de pièces justificatives, tel que prévu par la « politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail », exposant sa plainte en détails en vue de l’ouverture de la procédure formelle d’enquête (ci-après la « procédure d’enquête »).

29      La requérante a par la suite été placée en congé de maladie, du 17 décembre 2018 au 31 décembre 2019.

 Sur le contenu de la plainte relative à un harcèlement moral

30      Dans sa plainte, la requérante expliquait que ses conditions de travail se seraient fortement dégradées à partir de novembre 2015, à la suite de sa première rencontre avec Z (voir point 4 ci-dessus), au cours de laquelle ce dernier lui aurait dit très clairement qu’il ne souhaitait pas travailler avec elle lorsqu’il prendrait ses fonctions de directeur du département en cause.

31      En substance, la requérante faisait valoir que, au printemps 2016, souffrant d’un sentiment de détresse et d’incertitude ainsi que d’une perte de confiance en elle, elle avait sollicité Z au sujet de la possibilité d’être affectée au nouveau bureau que la BEI ouvrait à Budapest, ce qu’elle envisageait comme une « lueur d’espoir ». Invoquant le prétendu désintérêt de Z pour cette demande d’affectation, la requérante se serait finalement adressée à Y. La requérante affirmait que Y l’avait écoutée et avait essayé de la conseiller sur la marche à suivre.

32      La requérante expliquait par ailleurs dans sa plainte que, compte tenu de la situation, elle aurait commencé à souffrir d’une extrême fatigue et à rencontrer un certain nombre de problèmes de santé au cours de l’année 2016, justifiant son placement en congé de maladie à plusieurs reprises à partir de l’automne 2016.

33      La requérante indiquait qu’elle avait perçu une nouvelle « lueur d’espoir » en apprenant, au début de l’année 2017, que le poste d’assistant de Y, qu’elle avait occasionnellement occupé dans le cadre de remplacements ponctuels, était devenu vacant. La requérante s’était donc portée candidate à ce poste. Or, la requérante aurait appris, au retour d’un congé de maladie, en avril 2017, que sa candidature n’avait pas été retenue pour ce poste.

34      C’est également au retour de ce congé de maladie que la requérante situait dans sa plainte une nouvelle détérioration de sa relation de travail avec son supérieur hiérarchique, Z. Elle résumait cette situation en évoquant une « guerre psychologique » à son égard.      

35      La requérante affirmait avoir rencontré Y à plusieurs reprises au début du mois de mai 2017 et que ce dernier aurait fait avancer les choses au sujet d’une hypothétique affectation à Budapest qu’elle continuait à espérer. Dans les semaines qui ont suivi ces rencontres, la requérante aurait de nouveau essayé de solliciter Y à plusieurs reprises, mais celui-ci se serait montré plus distant.

36      La requérante indiquait avoir essayé de parler à Y le 19 juin 2017, au cours de la réunion annuelle des parties prenantes à l’initiative Jaspers à Bratislava et que, face à l’absence d’écoute de celui-ci, elle lui avait, le 20 juin 2017, envoyé un SMS pour lui faire part de sa déception quant à son comportement à son égard.

37      La requérante faisait valoir que, deux jours plus tard, Y l’avait informée qu’il avait rédigé un rapport en raison du caractère inapproprié du SMS qu’elle lui avait envoyé le 20 juin 2017. Elle déplorait avoir dû présenter des excuses publiques à ce sujet lors d’une réunion du 26 juin 2017 ainsi que d’avoir dû réitérer ces excuses par écrit, par l’envoi d’un courrier électronique.

38      La requérante expliquait que, à la suite de cet épisode, Z lui avait indiqué que Y ne voulait plus la voir et qu’il l’aurait également fortement encouragée à accepter une proposition de réaffectation à Vienne, ce qu’elle a fait en juillet 2017, alors que, pour des raisons liées à son histoire personnelle, elle ne le voulait absolument pas. Elle faisait valoir que, pour ne pas subir les « tortures » qu’une affectation à Vienne lui ferait vivre, elle avait finalement informé Z, par courrier électronique du 13 septembre 2017, qu’elle souhaitait renoncer à cette affectation.

39      La requérante prétendait également que, à son retour de congé de maladie à la fin du mois de novembre 2017, elle avait découvert que le bureau qu’elle occupait précédemment avait été réattribué à un autre membre du personnel de la BEI, de sorte qu’elle avait été contrainte d’occuper un « bureau de passage ».

40      La requérante contestait en outre, compte tenu des circonstances, avoir dû passer un entretien d’évaluation avec Z au début du mois de janvier 2018. Elle prétendait que, au cours de cet entretien, elle avait dû supporter des déclarations très lourdes et offensantes, exprimées de manière hostile, effrayante et humiliante par Z.

41      Enfin, la requérante déplorait n’avoir jamais reçu de réponses aux observations qu’elle avait formulées le 21 février 2018 en réaction à la proposition de réaffectation qui lui avait été faite le 31 janvier 2018. Elle ajoutait que, à son retour de congé de maladie en avril 2018, elle avait commencé à chercher une solution informelle afin que son honneur soit lavé, que sa réputation soit restaurée et qu’elle soit transférée à un poste approprié, mais que, à son grand regret, cela n’avait pas été possible.

42      La requérante concluait ainsi sa plainte en demandant à la BEI :

–        premièrement, d’ordonner l’ouverture d’une enquête administrative afin que sa réputation soit réhabilitée ;

–        deuxièmement, de réparer le préjudice lié à toutes ses pertes, matérielles et immatérielles, aux humiliations et aux injustices qu’elle avait dû subir ;

–        troisièmement, de la transférer à un poste approprié, au moins équivalent à celui dont elle avait été privée et ne relevant pas de l’autorité de Z, dans un environnement de travail équitable, juste et prévenant, respectant sa santé et sa dignité.

 Sur la procédure d’enquête

43      Le 1er octobre 2018, le comité d’enquête, déjà en possession du mémorandum de la requérante du 9 juillet 2018, a reçu un document exprimant la position de Z. Le 7 octobre 2018, Y a également transmis ses observations au comité d’enquête.

44      Le 19 novembre 2018, le comité d’enquête a procédé à l’audition de la requérante, de Z ainsi que de deux témoins, l’un choisi par Z et l’autre à l’initiative du comité, la requérante n’ayant pas désigné de témoin. Ni la requérante ni Z n’étaient assistés ou représentés, bien que cette possibilité leur ait été dûment spécifiée.

45      Le 10 décembre 2018, le comité d’enquête a procédé à l’audition de Y, qui était en congé de maladie lorsque la première audition a eu lieu, ainsi qu’à une seconde audition de la requérante.

46      À la suite de l’audition de Y, le comité d’enquête a considéré, après avoir entendu celui-ci, qu’il pouvait y avoir « une dynamique » pour discuter des termes d’un éventuel accord à l’amiable. Toutefois, cette tentative s’est révélée infructueuse.

47      Le comité d’enquête n’ayant pas été en mesure de procéder à l’audition du témoin indiqué par Y, ce témoin a produit une déclaration écrite par courrier électronique.

48      Le comité d’enquête a également sollicité des informations, par courrier électronique, auprès de différentes personnes, parmi lesquelles l’ancien chef de la division des relations sociales et du bien-être au travail ainsi que l’ancien médecin du travail.

49      Par courrier électronique du 29 mars 2019, la BEI a communiqué à la requérante le projet de rapport d’enquête du comité d’enquête et l’a invitée à formuler ses observations.

50      Le 3 mai 2019, la requérante a transmis à la BEI un courrier électronique contenant ses observations sur le projet de rapport d’enquête.

 Sur le rapport d’enquête

51      Le 11 juin 2019, le comité d’enquête a adopté son rapport (ci-après le « rapport »), dans lequel il a considéré que la plainte de la requérante contre Z et Y était manifestement infondée.

52      En particulier, le comité d’enquête a examiné un à un les éléments invoqués par la requérante dans sa plainte, mais n’a pas estimé qu’ils pouvaient relever de la notion de « harcèlement moral ».

 Sur la décision attaquée

53      Par décision du 20 juin 2019 (ci-après la « décision attaquée »), le président de la BEI a informé la requérante de la clôture de la procédure d’enquête et, tout en lui transmettant le rapport du comité d’enquête, lui a indiqué que ce dernier était parvenu à la conclusion qu’il n’existait pas de harcèlement de la part de Z ou de Y à son égard, de sorte que sa plainte était rejetée.

54      Par lettre du 16 septembre 2019, le conseil de la requérante a, au titre de l’article 41 du règlement du personnel, dans sa version applicable au litige résultant de la décision du conseil d’administration de la BEI du 4 juin 2013 et entrée en vigueur le 1er juillet suivant, présenté une demande de conciliation dans laquelle cette dernière demandait, en substance, à la commission de conciliation de procéder à un réexamen de l’affaire.

55      Par décision du 10 octobre 2019, le président de la BEI a rejeté la demande de conciliation de la requérante (ci-après la « décision de rejet de la demande de conciliation »), au motif que les décisions adoptées sur la base des recommandations du comité d’enquête dans le cadre des procédures relatives à la politique de dignité au travail ne pouvaient faire l’objet d’une procédure de conciliation. À cet égard, le président de la BEI a notamment relevé que l’objectif d’une procédure de conciliation était de parvenir à une solution amiable, ce qui n’était pas approprié en matière de harcèlement.

 Procédure et conclusions des parties

56      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 8 novembre 2019, la requérante a introduit une demande d’aide juridictionnelle. Cette demande a été enregistrée sous la référence T‑757/19 AJ. Par ordonnance du 24 avril 2020, le président du Tribunal a rejeté ladite demande.

57      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 mai 2020, la requérante a introduit le présent recours.

58      Saisi d’une demande présentée par la requérante sur le fondement de l’article 66 de son règlement de procédure, le Tribunal a omis le nom de cette partie dans la version publique du présent arrêt.

59      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 26 novembre 2020, la requérante a introduit une seconde demande d’aide juridictionnelle. Cette demande a été enregistrée sous la référence T‑757/19 AJ II.

60      Par décision du 5 janvier 2021 du Tribunal (première chambre), la juge rapporteure a été chargée d’explorer les possibilités de régler le litige par la voie d’un règlement amiable, conformément à l’article 50 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 125 bis du règlement de procédure. Dans cette perspective, une lettre a été envoyée aux parties.

61      Dans leurs observations sur les possibilités de régler le litige par la voie d’un règlement amiable déposées respectivement les 28 et 31 janvier 2021, la BEI et la requérante ont, en substance, fait valoir que les conditions pour le succès d’une telle procédure n’étaient pas réunies. Le 2 février 2021, le Tribunal a constaté l’échec de la tentative de règlement amiable.

62      Par ordonnance du 8 mars 2021, le président de la première chambre du Tribunal a admis la requérante au bénéfice de l’aide juridictionnelle.

63      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 5 juillet 2021.

64      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ainsi que, dans la mesure du nécessaire, la décision de rejet de la demande de conciliation ;

–        condamner la BEI à l’indemniser à concurrence de montants respectivement de 100 000 euros et de 50 000 euros, assortis d’intérêts, en réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi ;

–        condamner la BEI aux dépens.

65      La BEI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation de la décision attaquée

66      À l’appui de ses conclusions en annulation, la requérante invoque trois moyens, tirés, respectivement :

–        premièrement, de la violation du droit à voir ses affaires traitées avec impartialité, équité et prudence ainsi que d’un défaut de motivation ;

–        deuxièmement, d’erreurs d’appréciation dans la qualification des faits ayant conduit à une violation du code de conduite et de la politique de dignité au travail ;

–        troisièmement, de la violation du droit d’être entendu et du principe de confidentialité de la procédure d’enquête.

 Sur la motivation de la décision attaquée

67      S’agissant du bien-fondé des moyens en annulation, il y a lieu d’observer que la requérante a fait valoir, en particulier dans le cadre de du premier moyen, que la décision attaquée souffre d’un défaut de motivation.

68      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver une décision faisant grief a pour but de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est entachée d’un vice permettant d’en contester la légalité et de permettre au juge de l’Union européenne d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée (voir arrêt du 4 mai 2005, Schmit/Commission, T‑144/03, EU:T:2005:158, point 115 et jurisprudence citée).

69      En outre, si la motivation doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, elle doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est, en outre, pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte est suffisante doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 19 décembre 2019, ZQ/Commission, T‑647/18, non publié, EU:T:2019:884, point 118 et jurisprudence citée).

70      Il s’ensuit qu’une motivation ne doit pas être exhaustive, mais, au contraire, doit être considérée comme suffisante dès lors qu’elle expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir arrêt du 19 décembre 2019, ZQ/Commission, T‑647/18, non publié, EU:T:2019:884, point 119 et jurisprudence citée).

71      Enfin, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celle-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. Les griefs et les arguments visant à contester le bien-fondé d’un acte sont, dès lors, dénués de pertinence dans le cadre d’un moyen tiré du défaut ou de l’insuffisance de motivation (voir arrêt du 19 décembre 2019, ZQ/Commission, T‑647/18, non publié, EU:T:2019:884, point 120 et jurisprudence citée).

72      En l’espèce, il ressort du libellé de la décision attaquée que la BEI a chargé la comité d’enquête de mener une enquête administrative afin d’examiner l’existence d’un harcèlement moral dont la requérante aurait fait l’objet, qui a également compris l’examen des allégations de cette dernière à cet égard. En outre, dans ladite décision, le président de la BEI a indiqué qu’il ressortait du rapport du comité d’enquête qu’il n’existait pas de harcèlement de la part de Z ou de Y à l’encontre de la requérante. Ainsi, le président de la BEI a clairement indiqué, dans la décision attaquée, que celle-ci se fondait sur le rapport du comité d’enquête, qui avait été annexé à ladite décision.

73      Ainsi, il doit être considéré que la décision attaquée et le rapport du comité d’enquête fournissent ensemble à la requérante une indication suffisante sur les motifs de la décision et permettent au juge d’exercer son contrôle sur la légalité de ladite décision.

74      Le Tribunal estime opportun d’examiner tout d’abord l’argumentation soulevée dans le cadre du troisième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation du droit d’être entendu et de la violation du principe de confidentialité

75      Le troisième moyen se divise en deux branches.

76      Par la première branche, la requérante fait valoir que, bien qu’elle se soit vu transmettre le projet de rapport d’enquête du comité d’enquête avant sa finalisation, aucun résumé des déclarations des harceleurs présumés ainsi que des témoins qui ont été entendus ne lui a été communiqué. Elle soutient également qu’elle n’a pas non plus été entendue par le président de la BEI avant l’adoption de la décision attaquée. Selon la requérante, ces éléments seraient constitutifs d’une violation du droit d’être entendu, consacré par l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

77      La requérante ajoute qu’elle n’a pas non plus eu accès aux documents, visés dans le rapport d’enquête, qui attesteraient des tentatives de la part de Z de protéger sa réputation et de satisfaire à ses demandes de mobilité. Or, la requérante relève que c’est en partie en se fondant sur ces documents, auxquels elle n’a pas eu accès, que le comité d’enquête a établi que c’était à tort qu’elle avait pu croire que Z la harcelait.

78      En réponse, la BEI, d’une part, rétorque que la requérante a été mise en mesure de formuler utilement des observations sur le contenu du projet de rapport d’enquête avant que le président de la BEI n’adopte la décision attaquée, ce qu’elle a fait, et, d’autre part, tout en reconnaissant que le comité d’enquête n’a pas transmis à la requérante un résumé distinct des procès-verbaux des auditions des harceleurs présumés et des témoins, soutient que, en tout état de cause, l’issue de l’enquête n’aurait pas été différente si la requérante avait eu la possibilité de présenter des observations à propos des témoignages des deux personnes concernées et des deux témoins.

79      L’article 41 de la Charte dispose, à son paragraphe 2, que le droit à une bonne administration comporte, notamment, le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard, le droit d’accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires, ainsi que l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions.

80      Ainsi, le droit de l’intéressé d’être entendu avant l’adoption de toute décision individuelle l’affectant défavorablement est expressément consacré par les dispositions susvisées de la Charte, laquelle a, depuis le 1er décembre 2009, date d’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la même valeur juridique que les traités (arrêt du 10 janvier 2019, RY/Commission, T‑160/17, EU:T:2019:1, point 34).

81      En particulier, le droit d’être entendu garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts (voir arrêt du 25 juin 2020, HF/Parlement, C‑570/18 P, EU:C:2020:490, point 58 et jurisprudence citée).

82      En outre, lorsqu’une décision ne peut être prise que dans le respect du droit d’être entendu, l’intéressé doit être mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet de la mesure envisagée, dans le cadre d’un échange écrit ou oral initié par l’administration et dont la preuve incombe à celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 10 janvier 2019, RY/Commission, T‑160/17, EU:T:2019:1, point 45 et jurisprudence citée).

83      Il ressort également de la jurisprudence, applicable mutatis mutandis aux différends entre la BEI et les membres de son personnel, que, dans le cadre d’un litige en matière de harcèlement impliquant des fonctionnaires de l’Union, la personne ayant déposé une plainte pour harcèlement auprès de la direction du personnel était en droit, afin de pouvoir présenter utilement ses observations à l’institution concernée avant que celle-ci ne prenne une décision, de se faire communiquer, à tout le moins, un résumé des déclarations de la personne accusée de harcèlement et des différents témoins entendus au cours de la procédure d’enquête, la communication de ce résumé devant être effectuée, le cas échéant, dans le respect du principe de confidentialité. La Cour a indiqué qu’il en allait ainsi dans la mesure où ces déclarations avaient été utilisées dans le rapport remis à l’autorité qui a pris la décision de ne pas donner suite à la plainte, et qui comprenait des recommandations au regard desquelles cette autorité avait fondé sa décision (voir arrêt du 25 juin 2020, HF/Parlement, C‑570/18 P, EU:C:2020:490, point 60 et jurisprudence citée).

84      En l’espèce, il ressort du dossier et, notamment, du projet de rapport d’enquête qui a été transmis à la requérante le 29 mars 2019 (voir point 49 ci-dessus), ainsi que du contenu du rapport du comité d’enquête que, afin de statuer sur la plainte de la requérante, ce comité disposait non seulement des témoignages de Z et Y, tels qu’ils étaient exprimés dans les documents écrits que ces derniers avaient transmis (voir point 43 ci-dessus) et tels qu’ils ressortaient de leurs auditions respectives (voir points 44 et 45 ci-dessus), mais également d’autres témoignages, recueillis lors d’auditions (voir point 44 ci-dessus) ou directement par écrit (voir point 47 ci-dessus). En outre, le comité d’enquête a également sollicité des informations, par courrier électronique, auprès d’autres personnes (voir point 48 ci-dessus). L’ensemble de ces témoignages et de ces informations ont fourni au comité d’enquête une vision d’ensemble et détaillée de la réalité des faits ainsi que de la perception de ceux-ci par les différents acteurs de ce dossier.

85      Il ressort également explicitement du rapport que le comité d’enquête disposait de documents attestant des tentatives de la part de Z de protéger la réputation de la requérante et de satisfaire à ses demandes de mobilité, documents dont il est précisé que la requérante n’en a pas eu connaissance, et ce alors même que ces documents paraissent avoir joué un rôle déterminant dans l’appréciation du comité d’enquête et, partant, dans la décision attaquée, par laquelle le président de la BEI a rejeté la plainte de la requérante.

86      Or, dans la mesure où l’ensemble des témoignages et des informations visés au point 84 ci-dessus, d’une part, et les documents visés au point 85 ci-dessus, d’autre part, ont été pris en compte par le président de la BEI aux fins de l’adoption de la décision attaquée, il importait que la requérante puisse s’exprimer à leur sujet.

87      Cependant, il ressort de la jurisprudence que la communication desdits documents à la requérante devait être effectuée dans le respect des intérêts légitimes de confidentialité qui doivent ainsi être mis en balance avec le droit d’être entendu (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, HF/Parlement, C‑570/18 P, EU:C:2020:490, point 63 et jurisprudence citée).

88      À cet égard, il a déjà été jugé que, afin de garantir la confidentialité des témoignages et les objectifs que celle-ci protège, tout en s’assurant que c’est utilement que la partie requérante est entendue avant qu’une décision lui faisant grief ne soit adoptée, il peut être recouru à certaines techniques telles que l’anonymisation, voire la divulgation de la substance des témoignages sous la forme d’un résumé, ou encore le masquage de certaines parties du contenu des témoignages (voir arrêt du 25 juin 2020, HF/Parlement, C‑570/18 P, EU:C:2020:490, point 66 et jurisprudence citée).

89      Si le rapport du comité d’enquête se référait, certes, à ces extraits des témoignages et aux informations visés au point 84 ci-dessus, force est cependant de constater, ainsi que le reconnaît expressément la BEI dans le cadre du présent recours (voir point 78 ci-dessus), que la requérante ne s’est pas vu communiquer, à tout le moins, de résumé anonymisé des déclarations des différents témoins et n’a pas pu être entendue sur celles-ci, de telle sorte qu’elle n’a pas été mise en mesure de formuler utilement des observations sur leur contenu avant que le président de la BEI n’adopte la décision attaquée, qui l’affecte défavorablement. La même observation doit être formulée s’agissant des documents visés au point 85 ci-dessus.

90      Or, ce défaut de communication constitue une irrégularité ayant inévitablement affecté tant l’avis du comité d’enquête que la décision attaquée (voir, par analogie, arrêt du 25 juin 2020, HF/Parlement, C‑570/18 P, EU:C:2020:490, point 73). En effet, si la requérante s’était vu accorder la possibilité d’être utilement entendue, celle-ci aurait pu faire valoir auprès du président de la BEI qu’une autre appréciation des faits et des différents éléments de contexte, déterminante pour cette décision, était possible et qu’une pondération différente devait leur être appliquée.

91      Dès lors, il ne saurait être exclu que la décision prise par le président de la BEI sur la plainte déposée par la requérante eût été différente.

92      Il s’ensuit que, en l’espèce, l’absence de communication, à tout le moins de résumé et non pas seulement d’extraits choisis, des témoignages et des informations visés au point 84 ci-dessus, d’une part, et des documents visés au point 85 ci-dessus, d’autre part, est contraire aux exigences découlant de l’article 41 de la Charte.

93      Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’accueillir la première branche du troisième moyen et d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit besoin de procéder à l’analyse de la seconde branche du présent moyen, ni à celle des premier et deuxième moyens.

94      Du fait de l’annulation de la décision attaquée, il n’est pas non plus besoin de se prononcer sur le chef de conclusions visant à obtenir l’annulation de la décision de rejet de la demande de conciliation, dès lors que la requérante ne conclut en ce sens que « dans la mesure du nécessaire » et que la décision de rejet de la demande de conciliation n’a d’objet qu’au regard de la décision attaquée au sujet de laquelle la conciliation était demandée.

 Sur les conclusions indemnitaires

95      La requérante formule deux demandes indemnitaires qu’il convient d’examiner successivement.

96      Pour sa part, la BEI conclut au rejet des conclusions indemnitaires, en contestant l’existence d’une quelconque faute.

 Sur la réparation du préjudice moral détachable des illégalités affectant la décision attaquée

97      La requérante fait valoir qu’elle a subi un préjudice moral détachable des illégalités qui affecteraient la décision attaquée et qui, en toute hypothèse, ne pourrait pas être intégralement réparé par la seule annulation de cette décision.

98      Ce préjudice moral, qu’elle évalue ex æquo et bono à un montant de 100 000 euros, découlerait en substance, en premier lieu, du fait que la BEI n’a pris aucune mesure provisoire pour la protéger en l’éloignant de Z, alors que plusieurs médecins l’avaient recommandé, et, en second lieu, du parti pris et des erreurs d’appréciation du comité d’enquête qui ont altéré sa confiance dans la BEI et qui ont développé chez elle un sentiment d’injustice.

99      À cet égard, il convient de rappeler que, en application d’une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la BEI est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement qui lui est reproché, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêt du 13 juillet 2018, SQ/BEI, T‑377/17, EU:T:2018:478, point 165 et jurisprudence citée).

100    Par ailleurs, selon une jurisprudence constante également applicable mutatis mutandis aux litiges entre la BEI et les membres de son personnel, le contentieux entre l’Union et ses agents, quel que soit le régime d’emploi appliqué à ses agents, obéit à des règles particulières et spéciales en regard de celles découlant des principes généraux régissant la responsabilité non contractuelle de l’Union dans le cadre de l’article 268 TFUE et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. En effet, à la différence de tout autre particulier agissant au titre de ces dernières dispositions, le fonctionnaire ou l’agent de l’Union est lié à l’institution ou à l’agence dont il dépend par une relation juridique d’emploi comportant un équilibre de droits et d’obligations réciproques spécifiques, qui est reflété par le devoir de sollicitude de l’institution à l’égard de l’intéressé. Cet équilibre est essentiellement destiné à préserver la relation de confiance qui doit exister entre les institutions et leurs agents aux fins de garantir aux citoyens le bon accomplissement des missions d’intérêt général dévolues aux institutions. Il s’ensuit que, lorsqu’elle agit en tant qu’employeur, l’Union est soumise à une responsabilité accrue se manifestant par l’obligation de réparer les dommages causés à son personnel par toute illégalité commise en sa qualité d’employeur et non uniquement, comme cela est le cas pour les recours introduits au titre de l’article 268 et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour les seules violations suffisamment caractérisées d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir arrêt du 13 juillet 2018, SQ/BEI, T‑377/17, EU:T:2018:478, point 166 et jurisprudence citée).

101    Dès lors que l’une des trois conditions, rappelées au point 99 ci-dessus, n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle (voir arrêt du 13 juillet 2018, SQ/BEI, T‑377/17, EU:T:2018:478, point 167 et jurisprudence citée).

102    En l’espèce, s’agissant de l’absence de prise de mesure provisoire d’éloignement de la requérante au cours de la procédure d’enquête, il y a lieu de rappeler que, en toute hypothèse, les avis d’experts médicaux ne sont pas de nature à établir, par eux-mêmes, l’existence, en droit, d’un harcèlement ou d’une faute de l’institution eu égard à son devoir d’assistance. En particulier, il ressort de la jurisprudence que, si les médecins-conseils de l’institution peuvent mettre en évidence l’existence de troubles psychiques chez des fonctionnaires ou des agents, ils ne sauraient toutefois établir que lesdits troubles résultent d’un harcèlement moral, dès lors que, pour conclure à l’existence d’un tel harcèlement, les auteurs d’une telle attestation médicale se fondent nécessairement et exclusivement sur la description que les intéressés leur ont faite de leurs conditions de travail au sein de l’institution en cause, sans confronter cette version des faits à celle de la personne mise en cause, dans ses comportements, par lesdits fonctionnaires ou agents (voir arrêt du 3 octobre 2019, DQ e.a./Parlement, T‑730/18, EU:T:2019:725, point 72 et jurisprudence citée).

103    En outre, aucune obligation d’adopter des mesures provisoires d’éloignement, mise à la charge de la BEI, n’est explicitement prévue par le code de conduite ou la politique de dignité au travail, à la différence des règles internes d’autres institutions. Toutefois, l’article 3.6 du code de conduite prévoit que « [l]a BEI est dans l’obligation de faire montre de sollicitude à l’égard de la personne concernée et de lui proposer son appui ». Ainsi, il peut être déduit de ce devoir de sollicitude que, dans certaines circonstances, la BEI soit tenue d’adopter certaines mesures provisoires.

104    Or, il ressort du dossier que des efforts ont été déployés par la BEI afin de permettre à la requérante de trouver un emploi en dehors du département en cause et que, en particulier, la BEI a proposé à la requérante, le 20 juillet 2017, d’être affectée de manière permanente au bureau régional de l’initiative Jaspers à Vienne (voir point 14 ci-dessus). La BEI a aussi proposé à la requérante une autre affectation au sein d’une autre direction de la BEI lors de l’entretien du 19 juin 2018 (voir point 26 ci-dessus). Ainsi, force est de constater que, en moins d’un an, la BEI a proposé à deux reprises à la requérante d’être affectée en dehors du département en cause.

105    Dans ces circonstances, la requérante n’est pas fondée à soutenir que la BEI n’a pas répondu avec toute la sollicitude requise à sa situation en ne cherchant pas à lui permettre de trouver un emploi hors du département en cause.

106    Il convient donc de rejeter la demande indemnitaire de la requérante visant la prétendue carence de la BEI à adopter des mesures provisoires d’éloignement.

107    S’agissant du préjudice découlant du parti pris et des erreurs d’appréciation du comité d’enquête, il ressort des écritures de la requérante que sa demande indemnitaire doit être interprétée comme visant à réparer les conséquences dommageables découlant du contenu du rapport d’enquête dont l’illégalité serait notamment établie par les éléments avancés à l’appui de sa demande d’annulation de la décision attaquée.

108    À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité constitue, en elle-même, la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé (voir arrêt du 7 février 1990, Culin/Commission, C‑343/87, EU:C:1990:49, point 26 et jurisprudence citée). Tel ne saurait toutefois être le cas lorsque la partie requérante démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et n’étant pas susceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir arrêt du 13 juillet 2018, SQ/BEI, T‑377/17, EU:T:2018:478, point 180 et jurisprudence citée).

109    En l’espèce, le préjudice moral dont se prévaut la requérante est dû, en substance, au sentiment d’injustice et aux tourments qui ont été occasionnés par le fait, pour celle-ci, de devoir mener une procédure précontentieuse, puis contentieuse, afin de voir ses droits reconnus. Selon la requérante, le rejet de sa plainte l’a placée dans une situation d’insécurité, d’incertitude et de désarroi qui constitue selon elle un préjudice moral qui n’est pas susceptible d’être intégralement réparé par la seule annulation de la décision attaquée.

110    Pour rejeter cette demande, il suffit néanmoins de constater que la requête ne comporte pas la moindre preuve quant à l’étendue dudit préjudice moral prétendument subi par la requérante.

111    En tout état de cause, le Tribunal estime que l’annulation de la décision attaquée constitue en elle-même une réparation adéquate du préjudice moral prétendument subi par la requérante.

112    Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la première demande indemnitaire de la requérante.

 Sur la réparation du préjudice résultant de la perte d’une chance de régler le litige à l’amiable

113    La requérante soutient qu’elle devrait être indemnisée de la perte d’une chance de régler le litige à l’amiable et d’éviter d’introduire un recours devant le Tribunal, dès lors que sa demande de conciliation du 16 septembre 2019 a été rejetée pour des motifs illicites. Elle évalue ce préjudice ex æquo et bono à un montant de 50 000 euros. En particulier, la requérante fait valoir que c’est à tort que la BEI a rejeté sa demande de conciliation au motif que les décisions adoptées sur la base des recommandations du comité d’enquête dans le cadre des procédures relatives à la politique de dignité au travail ne pouvaient faire l’objet d’une procédure de conciliation (voir point 55 ci-dessus).

114    Selon la jurisprudence, pour déterminer le montant de l’indemnité à verser au titre de la perte d’une chance, il convient, après avoir identifié la nature de la chance dont le fonctionnaire a été privé, de déterminer la date à partir de laquelle il aurait pu bénéficier de cette chance, puis de quantifier ladite chance et, enfin, de préciser quelles ont été pour lui les conséquences financières de cette perte de chance (voir, par analogie, arrêt du 13 mars 2013, AK/Commission, F‑91/10, EU:F:2013:34, point 91 et jurisprudence citée).

115    De plus, selon la jurisprudence, lorsque cela est possible, la chance dont un fonctionnaire a été privé doit être déterminée objectivement, sous la forme d’un coefficient mathématique résultant d’une analyse précise. Cependant, lorsque ladite chance ne peut pas être quantifiée de cette manière, il est admis que le préjudice subi puisse être évalué ex æquo et bono (voir, par analogie, arrêt du 13 mars 2013, AK/Commission, F‑91/10, EU:F:2013:34, point 92 et jurisprudence citée).

116    En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que c’est par des motifs erronés que, par décision du 10 octobre 2019, le président de la BEI a rejeté la demande de conciliation de la requérante. En effet, en prétendant que les décisions adoptées sur la base des recommandations du comité d’enquête dans le cadre des procédures relatives à la politique de dignité au travail ne pouvaient faire l’objet d’une procédure de conciliation (voir point 55 ci-dessus), et ce alors que seules les procédures disciplinaires étaient explicitement exclues du périmètre des différends pouvant faire l’objet d’une telle procédure, le président de la BEI a méconnu les dispositions de l’article 41 du règlement du personnel, dans sa version en vigueur, en lui apportant une restriction que celui-ci ne prévoyait pas. À cet égard, la BEI a d’ailleurs confirmé, lors de l’audience, que certaines décisions adoptées dans le cadre des procédures relatives à la politique de dignité au travail avaient pu faire l’objet d’une procédure de conciliation.

117    Il s’ensuit que la première condition d’engagement de la responsabilité de la BEI, à savoir l’illégalité du comportement reproché, est remplie.

118    Ainsi, la requérante a perdu une chance de régler le litige à l’amiable, dès lors que sa demande de conciliation a été rejetée pour des motifs illicites, lui causant un préjudice.

119    Dans la présente affaire, le Tribunal est toutefois dans l’impossibilité de fixer un coefficient mathématique reflétant la perte de chance subie, d’une part, parce que ladite chance est sans lien avec la rémunération de la requérante et, d’autre part, parce que la requérante est restée en défaut de soumettre au Tribunal des éléments d’analyse précis à partir desquels il aurait pu déterminer ce coefficient, cette dernière s’étant, en particulier, bornée à indiquer qu’elle avait perdu une chance de voir sa situation réexaminée.

120    Dès lors, faisant usage de la faculté pour le Tribunal d’évaluer le préjudice subi ex æquo et bono, il convient d’allouer à la requérante une somme forfaitaire, en réparation de la perte de chance qu’elle a subie en raison de l’absence d’ouverture d’une procédure de conciliation de la part de la BEI, alors qu’une telle procédure aurait dû être ouverte, en application de l’article 41 du règlement du personnel, dans sa version en vigueur au moment des faits.

121    Dans l’évaluation du montant de ladite réparation, il y a lieu de tenir compte du fait que la simple existence d’une chance, même à la supposer faible, pour la requérante de voir les demandes contenues dans sa plainte être accueillies à la suite d’une procédure de conciliation est suffisante pour établir l’existence d’un préjudice susceptible d’une réparation adéquate.

122    Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal fixe ex æquo et bono le montant de la réparation à allouer à la requérante au titre de son préjudice, résultant de la perte d’une chance de voir sa plainte réexaminée en raison de l’absence d’ouverture d’une procédure de conciliation de la part de la BEI, à la somme forfaitaire de 1 000 euros.

123    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’annuler la décision attaquée, de condamner la BEI à verser à la requérante la somme de 1 000 euros au titre de la perte d’une chance de régler le litige à l’amiable, et de rejeter le recours pour le surplus.

 Sur les dépens

124    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

125    La BEI ayant succombé pour l’essentiel, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du 20 juin 2019 du président de la Banque européenne d’investissement (BEI) est annulée.

2)      La BEI est condamnée à verser à HB la somme de 1 000 euros au titre de la perte d’une chance de régler le litige à l’amiable.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      La BEI est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par HB.

Kanninen

Półtorak

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 décembre 2021.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Sur le contenu de la plainte relative à un harcèlement moral

Sur la procédure d’enquête

Sur le rapport d’enquête

Sur la décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur les conclusions en annulation de la décision attaquée

Sur la motivation de la décision attaquée

Sur le troisième moyen, tiré de la violation du droit d’être entendu et de la violation du principe de confidentialité

Sur les conclusions indemnitaires

Sur la réparation du préjudice moral détachable des illégalités affectant la décision attaquée

Sur la réparation du préjudice résultant de la perte d’une chance de régler le litige à l’amiable

Sur les dépens


* Langue de procédure: l’anglais.


i      Conformément à la réglementation en matière de protection des données à caractère personnel dans le cadre des fonctions juridictionnelles du Tribunal, une donnée a été occultée dans la version publique de l’arrêt par décision du greffier et remplacée par la mention [donnée personnelle].


1 Données confidentielles occultées.