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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

29 septembre 2011 (*)

«Manquement d’État – Directive 73/239/CEE – Articles 6, 8, 9, 13 et 15 à 17 – Directive 92/49/CEE – Articles 22 et 23 – Assurance directe autre que l’assurance sur la vie – Modification des statuts d’un organisme d’assurances quant à la compétence de celui-ci – Non-application de la réglementation de l’Union en matière d’assurance autre que l’assurance sur la vie»

Dans l’affaire C‑82/10,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 11 février 2010,

Commission européenne, représenté par Mme N. Yerrell, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Irlande, représentée par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. E. Regan, SC, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, M. L. Bay Larsen, Mmes C. Toader (rapporteur), A. Prechal et M. E. Jarašiūnas juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 mars 2011,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en n’appliquant pas dans son intégralité, à toutes les entreprises d’assurances sur une base non discriminatoire, la réglementation de l’Union en matière d’assurance, notamment les articles 6, 8, 9, 13 et 15 à 17 de la première directive 73/239/CEE du Conseil, du 24 juillet 1973, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité de l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, et son exercice (JO L 228, p. 3), telle que modifiée par la directive 2005/68/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 novembre 2005 (JO L 323, p. 1, ci-après la «première directive»), ainsi que les articles 22 et 23 de la directive 92/49/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239 et 88/357/CEE (troisième directive «assurance non vie») (JO L 228, p. 1), telle que modifiée par la directive 2005/68 (ci-après la «troisième directive»), l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ces directives.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

2        Le secteur des assurances a fait l’objet d’une coordination à l’échelle de l’Union européenne et, en matière d’assurance autre que l’assurance sur la vie, l’acte juridique de base est la première directive. Cette dernière a été modifiée et complétée, notamment par la deuxième directive 88/357/CEE du Conseil, du 22 juin 1988, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, fixant les dispositions destinées à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services et modifiant la directive 73/239 (JO L 172, p. 1), et par la troisième directive, pour créer un cadre juridique commun en vue de l’exercice de l’activité d’assurance dans l’Union.

 La première directive

3        Le quatrième considérant de la première directive énonce «qu’il convient d’exclure du champ d’application de la directive certaines mutuelles qui, en vertu de leur régime juridique, remplissent des conditions de sécurité et offrent des garanties financières spécifiques» et «qu’il convient en outre d’exclure certains organismes, dans plusieurs États membres, dont l’activité ne s’étend qu’à un secteur très restreint et se trouve statutairement limitée à un certain territoire ou à des personnes déterminées».

4        L’article 4 de la première directive dispose:

«La directive ne concerne pas, sauf modification de leurs statuts quant à la compétence:

[…]

c)      en Irlande

Voluntary Health Insurance Board [ci-après le ‘VHI’]».

5        L’article 6 de la première directive prévoit que l’accès aux activités d’assurance directe est subordonné à l’octroi d’un agrément administratif préalable.

6        En vertu de l’article 8 de la première directive, les entreprises d’assurances qui sollicitent l’agrément doivent revêtir l’une des formes juridiques prévues, limiter leur objet social à l’activité d’assurance et aux opérations qui en découlent directement, à l’exclusion de toute autre activité commerciale, présenter un programme d’activités à l’autorité de contrôle et apporter la preuve qu’elles possèdent le fonds minimal de garantie prévu à l’article 17, paragraphe 2, de la même directive et qu’elles sont dirigées de manière effective par des personnes qui remplissent les conditions requises d’honorabilité et de qualification ou d’expérience professionnelles. L’article 9 de ladite directive précise que les indications ou justifications devant figurer dans le programme d’activités visé à l’article 8 de celle-ci doivent notamment concerner les éléments constituant le fonds minimal de garantie.

7        Conformément aux articles 13, 15, 16 et 17 de la première directive, les entreprises d’assurances sont soumises à la surveillance financière de leur État membre d’origine, lequel doit exiger qu’elles disposent d’une bonne organisation administrative et comptable ainsi que de procédures de contrôle interne adéquates et doit leur imposer la constitution de provisions techniques suffisantes relatives à l’ensemble de leurs activités ainsi que la détention, à tout moment, d’une marge de solvabilité disponible suffisante par rapport à l’ensemble de celles-ci, dont en principe un tiers doit constituer le fonds minimal de garantie visé à l’article 8 de la même directive.

 La troisième directive

8        L’article 2, paragraphe 2, de la troisième directive prévoit que celle-ci «ne s’applique ni aux assurances et opérations ni aux entreprises et institutions auxquelles la directive 73/239/CEE ne s’applique pas, ni aux organismes cités à l’article 4 de celle-ci».

9        L’article 3 de la troisième directive dispose que, «[n]onobstant l’article 2 paragraphe 2, les États membres prennent toutes dispositions pour que les monopoles concernant l’accès à l’activité de certaines branches d’assurance, accordés aux organismes établis sur leur territoire et visés à l’article 4 de la directive 73/239/CEE, disparaissent au plus tard le 1er juillet 1994».

10      L’article 22 de la troisième directive fixe certaines conditions relatives au placement, par les entreprises d’assurances, des actifs représentatifs de leurs provisions techniques et de leurs réserves d’équilibrage.

11      L’article 23 de la troisième directive apporte des précisions complémentaires sur la mesure dans laquelle des actifs non congruents peuvent être détenus par les entreprises d’assurances.

 La réglementation nationale

12      Le VHI a été institué et est régi par la loi de 1957 relative à l’assurance maladie volontaire (Voluntary Health Insurance Act 1957, ci-après la «loi de 1957»). Cette loi a été modifiée à plusieurs reprises en 1996, en 1998, en 2001 et en 2008.

13      En vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la loi de 1957, le VHI devait «créer et mettre en œuvre un régime d’assurance maladie volontaire destiné à compenser, dans une mesure que le ministre peut préciser de temps à autre, les dépenses exposées par les personnes cotisant à cet effet [au VHI], et par les personnes à leur charge, pour bénéficier de services médicaux, chirurgicaux et d’autres services de santé que le ministre [de la Santé] peut préciser de temps à autre».

14      La loi de 1996 portant modification de la loi relative à l’assurance maladie volontaire [Voluntary Health Insurance (Amendment) Act, ci-après la «loi de 1996»] a doté le VHI d’une prérogative légale supplémentaire en vertu de laquelle il lui est permis de procéder à la création et à la mise en œuvre des régimes d’assurance «liés à la santé».

15      L’article 2 de la loi de 1996 donne du régime d’assurance lié à la santé la définition suivante:

«un régime d’assurance volontaire ayant pour objet de fournir l’une ou l’autre des prestations suivantes, ou les deux, à savoir:

i)      le versement par le [VHI] aux personnes, en cas d’affection, de blessure ou de maladie, de sommes qui sont soit définies dans le régime, soit calculées d’une manière et par référence à des éléments éventuellement précisés;

ii)      l’obtention par le [VHI] de la fourniture de services de santé à des personnes sans que les prestataires concernés des services de santé leur en imputent le coût ou sur paiement par ces personnes à ces prestataires d’une partie du coût des services, moyennant le paiement au [VHI], par ou au nom des personnes, de cotisations, de primes ou d’autres redevances, ou

un système d’obtention par le [VHI] de la fourniture à des personnes de services liés à la prévention d’affections ou de maladies sans que les prestataires des services leur en imputent le coût ou sur paiement par ces personnes à ces prestataires d’une partie du coût des services, moyennant le paiement au [VHI], par ou au nom des personnes, de cotisations, de primes ou d’autres redevances».

16      L’article 1er de la loi de 1998 portant modification de la loi relative à l’assurance maladie volontaire [Voluntary Health Insurance (Amendment) Act 1998] habilite le VHI à «agir en qualité d’agent d’un assureur en matière d’octroi d’une couverture d’assurance au titre d’un plan santé international».

17      L’article 14 de la loi de 2001 portant modification de la loi sur l’assurance maladie [Health Insurance (Amendment) Act 2001, ci-après la «loi de 2001»], intitulé «pouvoirs supplémentaires du [VHI] («Additional powers of [VHI]»), dispose:

«Outre les pouvoirs que lui confèrent les lois de 1957 à 1998 concernant l’assurance maladie volontaire, le [VHI] peut, avec l’accord du ministre [de la Santé] et sous réserve du respect de conditions qu’il ou elle juge opportunes et définit par écrit, mettre en œuvre un système de fourniture de services, ou fournir autrement (que ce soit en son nom propre ou en qualité d’agent d’un tiers) des services en matière de soins de santé, d’assurance maladie, d’assurance liée à la maladie, de soins à la personne ou d’activités annexes [y compris des activités de conseil ou de consultation (et, en particulier, des activités impliquant l’exploitation de technologies de l’information ou la fourniture de conseils quant à cette exploitation)].»

18      L’article 6 de la loi de 2008 portant modification de la loi relative à l’assurance maladie volontaire [Voluntary Health Insurance (Amendment) Act 2008, ci-après la «loi de 2008»], entrée en vigueur le 5 juin 2008, prévoit notamment une obligation pour le VHI de satisfaire avant le 31 décembre 2008 aux exigences en matière de solvabilité requises par la réglementation de l’Union.

19      L’article 7 de la loi de 2008 dispose que, «à la date ou après la date» d’obtention de son agrément, le VHI peut exercer des activités supplémentaires, telles que l’exploitation d’infrastructures médicales ou la fourniture de services dans les secteurs des retraites et de la finance.

20      L’article 10, paragraphe 1, de la loi de 2008 prévoit la création d’une «agence» aux fins de lui transférer «les activités afférentes aux régimes d’assurance maladie et aux régimes d’assurance en matière de santé exercées par le [VHI] conformément à l’article 2 [de la loi de 1996]».

 La procédure précontentieuse

21      Le 25 janvier 2007, à la suite d’une plainte, la Commission a adressé à l’Irlande une lettre de mise en demeure, attirant l’attention de cet État membre sur le fait qu’il était contraire aux exigences de la première directive de continuer à exempter le VHI de l’application de la réglementation de l’Union en matière d’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, et ce malgré les changements considérables apportés à la compétence de cet organisme depuis 1973.

22      Dans leur réponse du 23 février 2007, les autorités irlandaises ont soutenu qu’il résultait de l’article 2, paragraphe 2, de la troisième directive que la dérogation prévue à l’article 4 de la première directive continuait de s’appliquer «nonobstant toute question relative à la modification de la compétence» du VHI et que, en tout état de cause, les diverses modifications apportées aux activités de celui-ci par les lois de 1996, de 1998 et de 2001 n’avaient pas eu d’incidence sensible sur sa «compétence» par rapport à la situation qui prévalait sous le régime institué par la loi de 1957. Néanmoins, elles ont confirmé que le gouvernement irlandais avait consenti à mettre fin à la dérogation et que diverses mesures avaient été engagées pour introduire les changements nécessaires.

23      Estimant que les autorités irlandaises n’avaient pas pris les mesures nécessaires pour qu’il soit satisfait aux exigences de la réglementation de l’Union en matière d’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, dont celles relatives à l’agrément, à la surveillance financière, à la constitution de provisions techniques et à la marge de solvabilité, la Commission a, le 14 novembre 2007, adressé à l’Irlande un avis motivé invitant cet État membre à s’y conformer dans un délai de deux mois.

24      Dans sa réponse du 15 janvier 2008, l’Irlande a maintenu les arguments qu’elle avait invoqués dans sa réponse à la lettre de mise en demeure et, par lettre du 16 avril 2008, elle a envoyé à la Commission un exemplaire de la loi de 2008. Par courriel du 20 novembre 2008, elle a indiqué à la Commission que le VHI avait déposé une demande d’agrément auprès de l’autorité de réglementation financière au cours du mois de juin de l’année 2008.

25      Compte tenu de ces nouvelles informations, la Commission a, le 1er décembre 2008, adressé un avis motivé complémentaire à l’Irlande. Dans celui-ci, il était notamment précisé que, malgré l’obligation imposée au VHI par l’article 6 de la loi de 2008 de constituer un fonds de garantie, cette institution n’avait reçu d’information ni sur la constitution effective du fonds exigée ni sur l’issue de la demande d’agrément présentée par le VHI. Dans ces conditions, la Commission a conclu que l’Irlande ne s’était pas encore conformée à l’obligation de veiller à ce que le VHI soit pleinement soumis aux exigences des première et troisième directives.

26      Dans leur réponse du 26 janvier 2009, les autorités irlandaises ont affirmé que, en adoptant la loi de 2008, elles avaient arrêté les mesures législatives nécessaires pour garantir le respect de la réglementation de l’Union en matière d’assurance directe autre que sur la vie et qu’elles faisaient preuve de toute la volonté nécessaire afin de mettre en œuvre lesdites mesures. Elles ont précisé que la demande d’agrément avait été déposée par le VHI au cours du mois de juin de l’année 2008 auprès de l’autorité de réglementation financière sur la base de projections financières faisant apparaître que les niveaux de solvabilité exigés seraient atteints avant la fin de l’année 2008, mais que deux évènements ultérieurs avaient empêché la mise en œuvre de ces projections, à savoir un arrêt de la Supreme Court du 16 juillet 2008 concernant un projet de système de péréquation des risques et l’effondrement des marchés financiers. Ces autorités ont également réaffirmé que l’Irlande s’était «engagé[e] à mettre fin à la dérogation dont bénéficiait le VHI et à ce qu’il exécute cet engagement».

27      La Commission soutient toutefois que, malgré les avancées effectuées sur ce dossier par l’Irlande, le VHI continue d’exercer toutes ses activités commerciales sans avoir reçu l’agrément de l’autorité de réglementation financière.

28      C’est dans ces conditions que la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Sur la dérogation prévue à l’article 4 de la première directive

 Argumentation des parties

29      La Commission soutient qu’il ressort clairement de l’article 4 de la première directive, lu en combinaison avec le quatrième considérant de celle-ci, que le législateur de l’Union n’envisageait qu’une exclusion limitée du régime général institué par cette directive, fondée sur des circonstances spécifiques clairement définies qui existaient à l’époque de l’adoption de cette dernière.

30      La Commission considère également que l’article 2, paragraphe 2, de la troisième directive a simplement repris la dérogation énoncée à l’article 4 de la première directive, indépendamment de la nouvelle obligation édictée à l’article 3 de la troisième directive visant à mettre fin au régime monopolistique des organismes en cause.

31      En ce qui concerne la définition du terme «capacity», figurant au début de l’article 4 de la première directive, qui est traduit par «compétence» dans la version française de celle-ci, la Commission estime que, dans ce contexte, la notion de «compétence» d’un organisme doit s’entendre par rapport à la fonction de l’organisme en cause, eu égard non pas à l’organisation de celui-ci, mais aux activités qu’il est habilité à exercer en vertu du droit national.

32      Selon la Commission, conformément à l’article 4 de la première directive, toute modification qui étend la compétence d’un organisme concerné au-delà de celle qui existait à la date à laquelle la dérogation lui a été accordée met fin à cette dérogation.

33      La Commission estime, par conséquent, que la nature précise de toute modification apportée à la compétence est sans importance aux fins d’apprécier s’il convient de maintenir le bénéfice de la dérogation. Elle considère notamment qu’il n’est pas juridiquement pertinent de savoir si les divers changements apportés à la loi de 1957 ont eu des répercussions «déterminantes» sur la compétence du VHI ou s’ils ont modifié ses «fonctions principales».

34      Toutefois, la Commission souligne, en tout état de cause, que la modification résultant de la loi de 1996, qui autorise le VHI à mettre en œuvre des régimes d’assurance «liés à la santé», et celle issue de la loi de 2001, qui autorise le VHI à fournir des services supplémentaires, constituent des changements déterminants et même substantiels apportés à la compétence de cet organisme.

35      Dans son mémoire en défense, l’Irlande fait valoir, en premier lieu, que, en ce qui concerne l’interprétation de la notion de «compétence», il n’aurait pas été dans l’intention du législateur de l’Union de prévoir qu’une règle aussi importante que la dérogation prévue à l’article 4 de la première directive cesserait de s’appliquer en raison de modifications incidentes ou mineures des statuts du VHI ou de la législation irlandaise.

36      À cet égard, selon ledit État membre, cette notion doit être comprise comme faisant référence à la «compétence de base» ou à l’«objet social» et non à une notion, comme le suggère la Commission, dont l’interprétation aboutirait à ce que toute modification apportée aux pouvoirs du VHI lui ferait perdre le bénéfice de la dérogation prévue audit article 4.

37      En deuxième lieu, l’Irlande soutient qu’il découle de l’article 2, paragraphe 2, de la troisième directive que celui-ci a vocation à s’appliquer comme une dérogation continue à l’application des dispositions de cette directive au VHI, indépendamment d’éventuelles modifications des statuts de celui-ci quant à sa compétence, puisque le statut de monopole d’État des institutions concernées est à l’origine de la dérogation établie.

38      En troisième lieu, l’Irlande attire l’attention sur les modifications apportées au cadre légal du VHI, en soutenant que, en réalité, il n’existe aucune différence déterminante entre la nature des activités actuelles de cet organisme et celles qu’il exploitait lorsque la dérogation a été introduite, à savoir une activité liée à l’assurance maladie privée et aux opérations qui en découlent directement.

39      En quatrième lieu, ledit État membre affirme que, par l’adoption de la loi de 2008, qui a été communiquée à la Commission, il a mis sa législation en conformité avec celle requise par les directives en matière d’assurance directe autre que l’assurance sur la vie. Cette loi mettra un terme à la dérogation dont bénéficie le VHI et cet organisme sera soumis au cadre réglementaire standard applicable à tous les autres opérateurs d’assurance maladie volontaire sur le marché irlandais. Cet engagement de procéder à un tel changement ne découlerait d’aucun impératif juridique, mais serait une question de politique nationale.

40      Dans son mémoire en duplique, l’Irlande relève que, en ce qui concerne la notion de «compétence», la Commission qualifie l’interprétation qu’elle préconise de «fonctionnelle», mais qu’elle ne répond pas à l’élément essentiel du mémoire en défense sur ce point, qui est la question de savoir si ce terme vise la nature monopolistique des organismes spécifiquement mentionnés dans la première directive.

 Appréciation de la Cour

41      Il convient de rappeler d’emblée que, ainsi qu’il ressort de son deuxième considérant, la première directive vise à faciliter l’accès aux activités d’assurance directe autres que l’assurance sur la vie et leur exercice en éliminant les divergences existant entre les législations nationales en matière de contrôle et en coordonnant notamment les dispositions relatives aux garanties financières imposées aux entreprises d’assurances.

42      Dès l’entrée en vigueur de la première directive, le secteur des assurances directes autres que l’assurance sur la vie a été régi par des normes qui prévoient notamment la nécessité pour les entreprises d’assurances concernées d’obtenir un agrément administratif préalable (article 6 de la première directive) et de satisfaire, pour pouvoir obtenir un tel agrément, à diverses conditions d’ordre technique et prudentiel, liées notamment à la forme de la société et à la constitution d’un fonds de garantie (article 8 de la même directive), ainsi qu’à la marge de solvabilité nécessaire (articles 13 et 15 à 17 de ladite directive).

43      Toutefois, conformément à l’article 4 de la première directive, à condition qu’aucune modification de leurs statuts «quant à la compétence» n’intervienne, un nombre limité d’entreprises d’assurances dans chaque état membre a été exempté de l’application de ce régime. Ainsi qu’il ressort du quatrième considérant de la première directive, il s’agit, notamment, de «certains organismes dans plusieurs États membres, dont l’activité ne s’étend qu’à un secteur très restreint et se trouve statutairement limitée à un certain territoire ou à des personnes déterminées».

44      Il résulte clairement du seul libellé de ces dispositions que la dérogation prévue à l’article 4 de la première directive doit nécessairement faire l’objet d’une interprétation stricte, une dérogation ou une exception à une règle générale devant être interprétée restrictivement (voir, par analogie, arrêts du 30 septembre 2003, Anastasiou e.a., C-140/02, Rec. p. I‑10635, point 54; du 13 décembre 2007, Bayerischer Rundfunk e.a., C-337/06, Rec. p. I‑11173, point 64, et du 20 mai 2010, ČPP Vienna Insurance Group, C-111/09, non encore publié au Recueil, point 23).

45      Cette conclusion est corroborée par les travaux préparatoires de la première directive. En effet, selon le texte dudit article 4, dans sa version contenue dans la proposition de première directive 66/543/CEE du Conseil, du 17 juin 1966, de coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité de l’assurance directe, autre que l’assurance sur la vie, et son exercice (JO 1966, 175, p. 3056), les modifications des statuts qui auraient déclenché l’application des règles concernant, notamment, l’obtention de l’agrément administratif préalable pour les sociétés d’assurances exemptées concernaient seulement la «compétence territoriale» et les «branches exercées».

46      Le fait que le législateur de l’Union a choisi d’utiliser, dans la version finale dudit article 4, le terme plus général «compétence» sans y ajouter l’adjectif «territoriale» et sans aucun renvoi aux modifications des statuts «quant aux branches exercées» révèle qu’il a souhaité limiter le bénéfice de la dérogation de manière plus stricte que dans la proposition de première directive 66/543/CEE.

47      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de comprendre la notion de «compétence» prévue à l’article 4 de la première directive comme englobant les fonctions ou les activités essentielles qui étaient exercées, lors de l’entrée en vigueur de cette directive, par les organismes visés par cette disposition.

48      Par conséquent, compte tenu de la portée limitée de ladite dérogation, si les activités ou les fonctions essentielles exercées par les organismes bénéficiant d’une telle dérogation, tels que le VHI, devaient être modifiées par l’ajout d’activités ou des fonctions nouvelles qui n’entraient pas dans les compétences initiales de ces organismes, ladite dérogation devrait cesser d’être applicable.

49      En vue de vérifier si de telles modifications sont intervenues en Irlande il y a lieu d’analyser les diverses lois relatives au VHI adoptées en Irlande depuis l’entrée en vigueur de la première directive.

50      À cet égard, il convient de relever que si, conformément à la loi de 1957, le VHI devait «créer et mettre en œuvre un régime d’assurance maladie volontaire destiné à compenser […] les dépenses exposées par les [assurés] pour bénéficier de services médicaux, chirurgicaux et d’autres services de santé», il n’en demeure pas moins que cet organisme a obtenu, en application de la loi de 1996, le droit de fournir d’autres services «liés à la santé», et, en vertu de la loi de 1998 portant modification de la loi relative à l’assurance maladie volontaire, le pouvoir d’agir «en qualité d’agent d’un assureur en matière d’octroi d’une couverture d’assurance au titre d’un plan santé international». En application de la loi de 2001, au moyen des «pouvoirs supplémentaires» («additional powers») qui lui ont été octroyés, il a obtenu le droit d’effectuer, notamment, «des activités de conseil ou de consultation».

51      L’Irlande ne conteste pas l’existence de ces modifications successives des statuts du VHI, mais elle soutient que celles-ci demeurent liées à l’activité initiale de base, c’est-à-dire à l’assurance maladie volontaire. En outre, les activités supplémentaires exercées par le VHI à la suite desdites modifications seraient d’importance mineure par rapport à l’activité principale, qui est restée inchangée depuis 1957, puisque, par exemple, le revenu réalisé par le VHI en 2009 au titre de toutes ses activités accessoires équivalait à 1,3 % du total de ses revenus.

52      Toutefois, étant donné que, à tout le moins, le pouvoir du VHI d’agir en tant qu’agent pour le compte d’un autre assureur au titre d’un plan de santé international ou le droit d’effectuer des activités de conseil vont au-delà des activités de base qu’il était autorisé à effectuer sur le fondement de la loi de 1957, il y a lieu de constater que l’argumentation dudit État membre ne saurait prospérer, et ce indépendamment de l’importance financière de ces nouvelles activités au regard de la totalité des revenus de cet organisme, un tel critère n’étant pas prévu par la première directive.

53      Il en résulte que, dans les circonstances de la présente affaire et compte tenu des conclusions tirées aux points 47 et 48 du présent arrêt, des modifications telles que celles des statuts du VHI à partir de la loi de 1996 sont de nature à modifier substantiellement les statuts de cet organisme quant à sa compétence au sens de l’article 4 de la première directive et, par conséquent, à entraîner la perte du bénéfice de la dérogation prévue à cette disposition en faveur du VHI.

54      Cette conclusion demeure valable dans le cadre de la troisième directive, dont le champ d’application coïncide avec celui de la première directive.

55      Ainsi, s’agissant de la relation entre l’article 2, paragraphe 2, de la troisième directive et l’article 3 de celle-ci, il convient de préciser que cet article 2 maintient la condition relative à la modification des statuts quant à la compétence prévue à l’article 4 de la première directive, puisqu’il dispose que la troisième directive «ne s’applique [pas] aux organismes cités à l’article 4 [de la première directive]» et que cet article 3 vise seulement, «nonobstant [cet] article 2, paragraphe 2», à ce que les États membres fassent disparaître, au plus tard le 1er juillet 1994, les monopoles accordés aux organismes visés audit article 4.

56      La même conclusion peut être tirée des travaux préparatoires de la troisième directive, dont il ressort que le champ d’application de celle-ci coïncide avec celui de la première directive, et que demeuraient exclus du champ d’application de la proposition de troisième directive du Conseil du 27 juillet 1990 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, et modifiant les directives 73/239 et 88/357 (JO 1990, C 244, p. 28), notamment, «les organismes de droit public jouissant d’un monopole pour la couverture de certains risques (articles 2 à 4 de la première directive)».

57      Enfin, en ce qui concerne l’argument invoqué par l’Irlande, concernant le stade avancé des travaux entrepris au niveau interne pour qu’un agrément administratif soit obtenu par le VHI, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 20 novembre 2003, Commission/France, C‑296/01, Rec. p. I‑13909, point 43, et du 4 mars 2010, Commission/Italie, C‑297/08, non encore publié au Recueil, point 79).

58      À cet égard, les justifications invoquées par l’Irlande, selon lesquelles le retard dans l’exécution de la loi de 2008, qui mettra fin à la dérogation concernant le VHI, serait dû à des difficultés internes, ne sauraient être accueillies. Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, un État membre ne saurait exciper des dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union (voir, notamment, arrêt du 4 juin 2009, Commission/Grèce, C-568/07, Rec. p. I-4505, point 50).

59      En conséquence, il convient de constater que, en n’appliquant pas dans son intégralité, à toutes les entreprises d’assurances sur une base non discriminatoire, la réglementation de l’Union en matière d’assurance, notamment les articles 6, 8, 9, 13 et 15 à 17 de la première directive ainsi que les articles 22 et 23 de la troisième directive, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ces directives.

 Sur la limitation dans le temps des effets du présent arrêt

60      Tant dans ses observations écrites que lors de l’audience, l’Irlande a demandé que, dans le cas où la Cour ferait droit au recours de la Commission, les effets de l’arrêt soient limités dans le temps «afin de permettre la mise en œuvre efficace de toutes les modifications éventuelles». Cette limitation dans le temps des effets de l’arrêt serait justifiée, d’une part, par le fait que cet État membre a agi de bonne foi en adoptant la loi de 2008 et, d’autre part, par le risque de difficultés sérieuses que l’arrêt de la Cour risquerait d’engendrer.

61      En l’occurrence, l’Irlande soutient que le VHI assure près de 1,4 million de personnes, détient plus de 60 % du total du marché de l’assurance maladie privée et supporte plus de 80 % du total des demandes de remboursement qui, pour l’année 2010, était susceptible d’atteindre un montant de l’ordre de 1,7 milliard d’euros. Cet État membre insiste sur les difficultés et les risques que générerait un arrêt constatant un manquement concernant le bon fonctionnement du VHI et la stabilité du marché de l’assurance maladie privée. Il fait également valoir que l’effondrement des marchés financiers a empêché l’application de la loi de 2008 qui était destinée à assurer la conformité du régime du VHI avec le droit de l’Union.

62      La Commission fait observer qu’il n’apparaît pas que la condition relative au risque de troubles graves soit satisfaite en l’espèce et elle ajoute que les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt de la Cour ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets dans le temps de celui-ci.

63      Selon une jurisprudence constante de la Cour, à supposer même que les arrêts rendus au titre de l’article 258 TFUE aient les mêmes effets que ceux rendus au titre de l’article 267 TFUE et que des considérations de sécurité juridique puissent rendre nécessaire, à titre exceptionnel, la limitation de leurs effets dans le temps, dès lors que sont remplies les conditions établies par la jurisprudence de la Cour dans le cadre de l’article 267 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 7 juin 2007, Commission/Grèce, C‑178/05, Rec. p. I‑4185, point 67; du 15 décembre 2009, Commission/Italie, C‑239/06, Rec. p. I‑11913, point 59; Commission/Finlande, C‑284/05, Rec. p. I‑11705, point 58, et Commission/Italie, C‑387/05, Rec. p. I‑11831, point 59), ces conditions n’apparaissent toutefois pas remplies en l’espèce.

64      En particulier et en tout état de cause, ledit État membre n’a démontré ni que la constitution du fonds de garantie et les mesures nécessaires au respect de la marge de solvabilité auraient, compte tenu des montants en jeu, des répercussions économiques graves ni que la constatation du présent manquement, en mettant éventuellement en cause des relations juridiques établies de bonne foi, affecterait de manière démesurée le fonctionnement du marché de l’assurance maladie privée.

65      Il résulte de ces considérations qu’il n’y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.

 Sur les dépens

66      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de l’Irlande et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

1)      En n’appliquant pas dans son intégralité, à toutes les entreprises d’assurances sur une base non discriminatoire, la réglementation de l’Union en matière d’assurance, notamment les articles 6, 8, 9, 13 et 15 à 17 de la première directive 73/239/CEE du Conseil, du 24 juillet 1973, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité de l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, et son exercice, telle que modifiée par la directive 2005/68/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 novembre 2005, ainsi que les articles 22 et 23 de la directive 92/49/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239 et 88/357/CEE (troisième directive «assurance non vie»), telle que modifiée par la directive 2005/68, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ces directives.

2)      L’Irlande est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.