Language of document : ECLI:EU:T:2005:139

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

21 avril 2005(*)

« Article 85 du traité CE (devenu article 81 CE) – Exécution d’un arrêt du Tribunal – Remboursement de frais de garantie bancaire – Responsabilité non contractuelle de la Communauté »

Dans l’affaire T-28/03,

Holcim (Deutschland) AG, anciennement Alsen AG, établie à Hambourg (Allemagne), représentée initialement par Mes F. Wiemer et K. Moosecker, puis par Mes Wiemer, P. Niggemann et B. Menkhaus, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. R. Lyal et W. Mölls, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en indemnité visant à obtenir le remboursement des frais de garantie bancaire engagés par la requérante à la suite d’une amende fixée par la décision 94/815/CE de la Commission, du 30 novembre 1994, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (Affaire IV/33.126 et 33.322 – Ciment) (JO L 343, p. 1), annulée par l’arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, dit « Ciment » (T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. J. Azizi, président, M. Jaeger et F. Dehousse, juges,

greffier : M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 juin 2004,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1       La requérante, la société Alsen AG, devenue Holcim (Deutschland) AG, dont le siège se situe à Hambourg (Allemagne), a pour activité la fabrication de matériaux de construction. Alsen AG provient de la fusion réalisée en 1997 entre Alsen Breitenburg Zement- und Kalkwerke GmbH (ci-après « Alsen Breitenburg ») et Nordcement AG (ci-après « Nordcement »).

2       Par décision 94/815/CE, du 30 novembre 1994, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (Affaire IV/33.126 et 33.322 – Ciment) (JO L 343, p. 1, ci-après la « décision Ciment »), la Commission a condamné Alsen Breitenburg et Nordcement à des amendes respectives de 3,841 millions et de 1,85 million d’euros, pour violation de l’article 85 du traité CE (devenu article 81 CE).

3       Alsen Breitenburg et Nordcement ont introduit des recours en annulation contre cette décision. Ces recours ont été enregistrés sous les références T‑45/95 et T‑46/95 et ont ensuite été joints aux recours intentés par les autres sociétés visées par la décision Ciment.

4       Suivant la faculté offerte par la Commission, Alsen Breitenburg et Nordcement ont décidé de constituer une garantie bancaire, évitant ainsi de devoir payer immédiatement les amendes en cause. La garantie bancaire de Alsen Breitenburg a été constituée du 3 mai 1995 au 2 mai 2000 auprès de la Berenberg Bank, moyennant une commission annuelle de 0,45 %. Nordcement a constitué du 18 avril 1995 au 3 mai 2000 une garantie bancaire auprès de la Deutsche Bank, moyennant une commission annuelle de 0,375 % et une commission unique d’établissement de 15,34 euros. Au total, la requérante a payé aux banques, pour la constitution des garanties bancaires, un montant de 139 002,21 euros.

5       Par arrêt du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, dit « Ciment » (T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491), le Tribunal a annulé la décision Ciment en ce qui concerne la requérante et a condamné la Commission aux dépens.

6       En vertu de l’article 91 du règlement de procédure du Tribunal, et par lettre du 28 septembre 2001, la requérante a dès lors demandé à la défenderesse le remboursement, d’une part, des frais de procédure (notamment les frais d’avocat s’élevant à 545 000 euros) et, d’autre part, des frais résultant de la constitution des garanties bancaires.

7       Par lettre du 24 janvier 2002, la défenderesse a proposé à la requérante le remboursement d’une partie des frais d’avocat (à hauteur de 130 000 euros), mais a refusé le remboursement des frais de garantie bancaire, en se prévalant de la jurisprudence relative aux dépens, au sens de l’article 91 du règlement de procédure.

8       Par lettre du 5 avril 2002, la requérante a de nouveau invité la défenderesse à lui rembourser l’intégralité des frais d’avocat et de garantie bancaire. Pour le remboursement des frais de garantie bancaire, la requérante se fondait, cette fois-ci, sur l’article 288, deuxième alinéa, CE et l’article 233 CE, ainsi que sur l’arrêt du Tribunal du 10 octobre 2001, Corus UK/Commission (T‑171/99, Rec. p. II‑2967), intervenu entre-temps.

9       Par un courrier électronique du 30 mai 2002, la défenderesse a proposé le paiement des frais d’avocat à hauteur de 200 000 euros. S’agissant des frais de garantie bancaire, elle a, de nouveau, refusé de procéder à leur remboursement, considérant que la possibilité de surseoir au paiement de l’amende en constituant une garantie bancaire était une simple option et qu’elle ne pouvait dès lors être rendue responsable des frais engendrés par la décision des entreprises de recourir à cette possibilité.

 Procédure et conclusions des parties

10     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 31 janvier 2003, la requérante a introduit le présent recours.

11     Le 10 avril 2003, la défenderesse a soulevé une exception d’irrecevabilité, au titre de l’article 114 du règlement de procédure, dans la mesure où le recours est fondé sur l’article 233 CE, et a déposé un mémoire en défense.

12     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience publique du 10 juin 2004.

13     La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       condamner la Commission à lui verser la somme de 139 002,21 euros, majorée d’intérêts de retard au taux de 5,75 % l’an à compter du 15 avril 2000 ;

–       condamner la Commission aux dépens.

14     La défenderesse conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours comme étant irrecevable, en ce qu’il est fondé sur l’article 233 CE ;

–       rejeter intégralement le recours, en ce qu’il est fondé sur l’article 288 CE :

–       en tant qu’irrecevable ou, subsidiairement, en tant que non fondé, dans la mesure où il concerne les frais de garantie bancaire encourus avant le 31 janvier 1998 ;

–       en tant que non fondé au demeurant ;

–       condamner la requérante aux dépens.

15     Dans ses observations, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       déclarer le recours recevable, en ce qu’il est fondé sur l’article 233 CE ;

–       à titre subsidiaire, interpréter le recours, en ce qu’il est fondé sur l’article 233 CE, comme étant un recours en annulation ou en carence ;

–       condamner la défenderesse aux dépens.

 Sur la recevabilité

 Sur la recevabilité du recours en ce qu’il est fondé sur l’article 233 CE

 Arguments des parties

16     La défenderesse fait valoir que, si la requérante est d’avis que l’article 233 CE n’a pas été respecté, deux voies de recours lui seraient offertes, à savoir le recours en annulation (article 230 CE) et le recours en carence (article 232 CE).

17     Or, le présent recours, qui tend à la faire condamner au versement d’une certaine somme, ne constituerait ni un recours en annulation ni un recours en carence.

18     Selon la défenderesse, en engageant la présente procédure, la requérante espérerait obtenir un arrêt produisant directement le résultat auquel, à son avis, la Commission serait tenue à son égard en exécution de l’arrêt Ciment. Le traité CE ne contiendrait cependant aucune base juridique autorisant une telle solution.

19     La jurisprudence de la Cour concernant les actions dites « en paiement » confirmerait qu’aucun autre type de recours que ceux prévus à l’article 230 CE et à l’article 232 CE n’est envisageable.

20     La défenderesse en déduit que la demande fondée sur l’article 233, premier alinéa, CE et visant à la faire condamner au remboursement des frais de garantie bancaire est manifestement irrecevable. Elle ajoute qu’une telle demande ne peut être interprétée comme étant un recours introduit en vertu de l’article 230 CE ou de l’article 232 CE, qui serait d’ailleurs également irrecevable en l’espèce.

21     La requérante fait observer, en premier lieu, qu’elle demande le remboursement du préjudice qu’elle a subi. Elle considère ainsi que l’invocation de l’article 233 CE entre dans le cadre d’une « action en réparation » et que la défenderesse ne disposait pas, en l’espèce, de marge de manœuvre. Se fondant, d’une part, sur l’effet rétroactif d’un arrêt d’annulation et, d’autre part, sur la jurisprudence du Tribunal (en particulier l’arrêt Corus UK/Commission, point 8 supra, point 50), la requérante estime qu’une obligation de rembourser les frais de garantie bancaire pèse sur la défenderesse. Elle indique par ailleurs que le Tribunal, dans l’arrêt Ciment (points 5116 et suivants), a justement déclaré que les frais de garantie bancaire devaient être remboursés.

22     En second lieu, la requérante fait valoir que l’article 233, premier alinéa, CE crée aussi un droit à réparation, de sorte qu’elle peut invoquer cette disposition.

23     La requérante s’oppose à la conclusion de la défenderesse selon laquelle les droits tirés de l’article 233, premier alinéa, CE pourraient être invoqués exclusivement dans le cadre d’un recours en annulation ou d’un recours en carence. Cette conclusion ne trouverait aucun appui dans le libellé de l’article 233 CE et ne résulterait pas non plus de la jurisprudence citée par la défenderesse.

24     La requérante estime encore que la thèse soutenue par la défenderesse est incompatible avec le principe d’économie de procédure, puisqu’elle conduirait à emprunter deux voies de recours (un recours en réparation au titre de l’article 288 CE et un recours en annulation ou en carence au titre de l’article 233 CE).

25     À titre subsidiaire, la requérante demande au Tribunal d’interpréter le recours, en ce qu’il est fondé sur l’article 233, premier alinéa, CE, comme étant un recours en annulation ou en carence.

26     À cet égard, la requérante considère qu’il serait incompatible avec le principe d’économie de procédure de l’obliger à demander à nouveau à la Commission le remboursement des frais bancaires, pour ensuite introduire un recours en annulation ou en carence, alors même que la défenderesse a déjà fait savoir de façon définitive qu’elle refusait de payer le montant concerné. La requérante relève, enfin, qu’elle aurait encore la possibilité d’introduire un recours en annulation, puisque la défenderesse n’aurait pas encore pris de décision attaquable.

 Appréciation du Tribunal

–       Sur la recevabilité du recours en ce qu’il est fondé sur l’article 233 CE

27     À titre liminaire, il y a lieu de relever que la requérante a fondé en partie son recours, et de façon autonome, sur l’article 233 CE, afin d’obtenir le remboursement des frais de garantie bancaire.

28     Ainsi, pour expliquer le fondement juridique de son droit, la requérante distingue clairement dans sa requête le « droit au remboursement au titre de l’article 233 CE » [titre II, point 1, sous a), de la requête] et « le droit à réparation fondé sur les dispositions combinées de l’article 288, deuxième alinéa, et de l’article 235 CE » [titre II, point 1, sous b), de la requête].

29     De plus, la requérante précise que, « [p]arallèlement au droit tiré de l’article 233 CE, la Commission est également tenue, sur la base des dispositions combinées de l’article 288, deuxième alinéa, et de l’article 235 CE, de rembourser les frais de garantie » (point 22 de la requête).

30     Enfin, la requérante a indiqué, lors de l’audience, que son recours reposait effectivement sur deux bases juridiques distinctes et autonomes, à savoir l’article 233 CE, d’une part, et les dispositions combinées de l’article 288 CE et de l’article 235 CE, d’autre part.

31     Il convient de rappeler, à cet égard, que le traité CE prévoit, de façon limitative, les voies de recours qui s’offrent aux justiciables pour faire valoir leurs droits (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 21 octobre 1982, K./Allemagne et Parlement, 233/82, Rec. p. 3637).

32     L’article 233 CE n’instaurant pas de voie de recours, il ne saurait fonder, de façon autonome, une demande comme celle de l’espèce visant le remboursement de frais de garantie bancaire.

33     Cela ne signifie pas pour autant que le justiciable soit sans recours lorsqu’il considère que les mesures que comporte l’exécution d’un arrêt n’ont pas été prises. La Cour a déjà eu l’occasion de juger, sur ce point, que l’obligation qui résulte de l’article 233 CE pouvait être mise en œuvre par le biais, notamment, des voies de droit prévues à l’article 230 CE et à l’article 232 CE (arrêt de la Cour du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission, 97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, Rec. p. 2181, points 24, 32 et 33).

34     Dans ce contexte, il n’appartient pas au juge communautaire de se substituer au pouvoir constituant communautaire en vue de procéder à une modification du système des voies de recours et des procédures établi par le traité (arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I-6677, point 45 ; arrêts du Tribunal du 27 juin 2000, Salamander e.a./Parlement et Conseil, T‑172/98, T‑175/98 à T‑177/98, Rec. p. II‑2487, point 75, et du 15 janvier 2003, Philip Morris International e.a./Commission, T‑377/00, T‑379/00, T‑380/00, T‑260/01 et T‑272/01, Rec. p. II‑1, point 124).

35     Le fait que, comme l’avance la requérante, la défenderesse ne disposerait pas de marge de manœuvre en l’espèce ou que le Tribunal aurait déclaré dans l’arrêt Ciment que les frais de garantie bancaire devaient être remboursés ne modifie pas cette conclusion. Il en va de même de l’argument de la requérante selon lequel l’article 233 CE crée des « droits à réparation » ou selon lequel d’autres voies de recours, en dehors du recours en annulation ou en carence, peuvent être utilisées pour faire valoir ces droits ou bien encore de l’argument selon lequel le principe d’économie de procédure devrait trouver à s’appliquer.

36     En effet, la seule question posée dans le cadre de l’exception d’irrecevabilité est celle de savoir si l’article 233 CE, en tant que tel, constitue une voie de droit spécifique. Au vu des voies de recours limitatives prévues par le traité et de la jurisprudence précitée, la réponse doit être négative.

37     À titre surabondant, il convient de relever que le Tribunal, dans l’arrêt Ciment, n’a pas indiqué, contrairement à ce que prétend la requérante, que les frais de garantie bancaire devaient être remboursés. Il a seulement précisé, dans le contexte d’ailleurs des affaires T‑50/95 et T‑51/95 dans lesquelles la requérante n’était pas partie, que « ces demandes concern[aient] en réalité l’exécution du présent arrêt et qu’il appart[enait] à la Commission de prendre les mesures que comporte une telle exécution, conformément à l’article 176 du traité CE (devenu article 233 CE) » (arrêt Ciment, point 5118). Il résulte de ce point que le Tribunal n’a pas jugé que la Commission avait l’obligation de rembourser les frais de garantie bancaire au titre de l’article 233 CE. Le Tribunal a seulement indiqué qu’il appartenait à la Commission de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt. Il faut rappeler à cet égard qu’il n’appartient pas au Tribunal de se substituer à la Commission pour déterminer les mesures qu’elle aurait dû prendre dans le cadre de l’article 233 CE (arrêt du Tribunal du 8 octobre 1992, Meskens/Parlement, T‑84/91, Rec. p. II‑2335, points 78 et 79).

38     Il faut également relever que la présente affaire n’est pas comparable à celle qui a donné lieu à l’arrêt Corus UK/Commission, point 8 supra. Dans cet arrêt, le Tribunal a considéré (au point 39) que l’article 34 CA (le pendant, pour le traité CECA, de l’article 233 CE) instituait une voie de droit spécifique, distincte de celle prévue par le régime commun en matière de responsabilité de la Communauté que mettait en œuvre l’article 40 CA (le pendant, pour le traité CECA, de l’article 288 CE), lorsque le préjudice invoqué procédait d’une décision de la Commission annulée par le juge communautaire.

39     Toutefois, l’article 233 CE, invoqué dans la présente affaire, est rédigé dans des termes différents de ceux de l’article 34 CA. Selon cette dernière disposition, non seulement la Commission devait prendre les mesures propres à assurer une équitable réparation du préjudice résultant directement de la décision ou de la recommandation annulée, mais son abstention permettait d’ouvrir un recours en indemnité devant la Cour. Dans ces conditions, la solution retenue par le Tribunal dans l’arrêt Corus UK/Commission, point 8 supra, ne saurait être transposée en l’espèce.

40     Pour l’ensemble de ces motifs, le recours de la requérante, en ce qu’il est fondé sur l’article 233 CE, doit être rejeté comme irrecevable.

–        Sur la demande de la requérante tendant à voir interpréter le recours comme étant un recours en annulation ou en carence

41     Il convient tout d’abord de rappeler que, dans la partie introductive de sa requête, la requérante précise que le présent recours a pour objet une « demande de réparation ». Par ailleurs, les conclusions de la requête visent à « condamner la Commission à verser à la requérante la somme de 139 002,21 euros, majorée d’intérêts de retard au taux de 5,75 % l’an à compter du 15 avril 2000 ». Il résulte de ces éléments que le présent litige a clairement pour objet d’obtenir une réparation et non d’obtenir l’annulation d’un acte ni de faire constater la carence de la défenderesse.

42     L’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, dispose que « [l]a Cour est saisie par une requête adressée au greffier » et que « [l]a requête doit contenir l’indication du nom et du domicile du requérant et de la qualité du signataire, l’indication de la partie ou des parties contre lesquelles la requête est formée, l’objet du litige, les conclusions et un exposé sommaire des moyens invoqués ».

43     De même, l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure prévoit que la requête visée à l’article 21 du statut de la Cour contient l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués.

44     Selon une jurisprudence constante, ces indications doivent être suffisamment claires et précises pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Enso Española/Commission, T‑348/94, Rec. p. II‑1875, point 143).

45     Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, il résulte des dispositions combinées de l’article 44, paragraphe 1, et de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure que l’objet de la demande doit être déterminé dans la requête. Une demande formulée pour la première fois dans la réplique modifie l’objet initial de la requête et doit, dès lors, être considérée comme une nouvelle demande et être rejetée comme irrecevable (voir arrêt du Tribunal 11 janvier 2002, Biret et Cie/Conseil, T‑210/00, Rec. p. II‑47, point 49, et la jurisprudence citée). Ce même raisonnement vaut lorsque l’objet initial de la requête est modifié dans le cadre d’observations sur une exception d’irrecevabilité.

46     Compte tenu de ces éléments et dès lors que la requête avait pour seul objet d’obtenir une « réparation », la demande de la requérante tendant à voir interpréter le recours, en ce qu’il est fondé sur l’article 233, premier alinéa, CE, comme étant un recours en annulation ou en carence doit être rejetée comme irrecevable.

 Sur la prescription de l’action en indemnité fondée sur l’article 235 CE et l’article 288, deuxième alinéa, CE

 Arguments des parties

47     La défenderesse conteste également, pour une partie des frais bancaires encourus par la requérante, la recevabilité du recours fondé sur l’article 235 CE et l’article 288, deuxième alinéa, CE.

48     Au regard de l’article 46 du statut de la Cour, la défenderesse considère que le prétendu droit revendiqué est prescrit et le recours irrecevable, dans la mesure où il porte sur les frais de garantie bancaire encourus avant le 31 janvier 1998.

49     En l’espèce, l’acte qui donnerait éventuellement naissance à une obligation de réparation pour la requérante, à savoir la décision Ciment, a été adopté le 30 novembre 1994 et a été notifié à la requérante le 3 février 1995. Les garanties bancaires ont été constituées les 18 et 21 avril 1995, puis transmises à la Commission. La période couverte par la garantie commençait à la fin du délai de paiement, soit le 3 mai 1995. Étant donné que les conditions d’une obligation de réparation pouvaient se trouver réunies, le cas échéant, selon la défenderesse, à compter de ce jour, le 3 mai 1995 serait à considérer comme la date de départ du délai de prescription.

50     La défenderesse reconnaît que, en l’espèce, le préjudice n’aurait pas été causé de façon instantanée, mais de façon continue, jusqu’au terme des garanties bancaires. Dans un tel cas, la prescription visée à l’article 46 du statut de la Cour s’appliquerait à la période antérieure de plus de cinq ans à la date de l’acte interruptif, sans affecter les droits nés au cours des périodes postérieures.

51     En l’espèce, la défenderesse considère que la requérante, dans sa lettre du 5 avril 2002, l’a bien invitée à lui rembourser les frais de garantie bancaire en invoquant l’article 288, deuxième alinéa, CE, mais elle n’a cependant pas, comme l’exige l’article 46, troisième phrase, du statut de la Cour, formé ensuite un recours dans le délai prévu à l’article 230 CE.

52     La défenderesse en conclut que la prescription n’a été interrompue qu’avec le dépôt de la requête, le 31 janvier 2003 et que les droits concernant les frais de garantie bancaire encourus avant le 31 janvier 1998 sont donc prescrits.

53     La requérante soutient, au contraire, que la prescription de la demande de remboursement des frais de garantie bancaire n’a commencé à courir qu’à partir du prononcé de l’arrêt Ciment. Se référant notamment à l’arrêt de la Cour du 27 janvier 1982, Birra Wührer e.a./Conseil et Commission (256/80, 257/80, 265/80, 267/80 et 5/81, Rec. p. 85, points 10 à 12), elle estime que ce n’est qu’à partir du prononcé de l’arrêt que les conditions auxquelles se trouve subordonnée l’obligation de réparation étaient réunies.

54     Selon la requérante, l’élément décisif pour faire naître le droit à réparation n’est pas, en l’espèce, la simple illégalité de la décision infligeant l’amende, mais son annulation en justice, puisque, tant que la décision était valide, il y avait une base juridique à la constitution des garanties bancaires. Le recours en annulation contre la décision infligeant l’amende n’ayant pas d’effet suspensif, l’obligation imposée par le dispositif de la décision Ciment se poursuivrait pendant la durée de la procédure.

55     Une approche différente, selon la requérante, ne serait pas compatible avec le principe d’économie de procédure, puisqu’elle imposerait d’introduire également, concomitamment à l’action en annulation contre la décision infligeant l’amende, un recours en indemnité visant à obtenir le remboursement des frais de garantie bancaire. Pour éviter des arrêts divergents sur la légalité de la décision en cause, le Tribunal ne pourrait alors statuer sur le recours en indemnité qu’après l’arrêt d’annulation, le recours en indemnité devant être suspendu jusque-là.

56     Par ailleurs, la requérante estime que l’ampleur du préjudice a été déterminée par la durée du recours en annulation. À ce titre, il n’y aurait pas de préjudice successif dans le cas d’espèce.

57     Enfin, elle considère que l’approche soutenue par la défenderesse conduirait au résultat que le délai de prescription du droit au remboursement des frais de garantie bancaire continuerait à courir tant que se poursuivrait la procédure d’annulation. Ainsi la défenderesse pourrait se soustraire à des demandes de réparation en faisant en sorte, par l’introduction d’un pourvoi, que l’arrêt d’annulation acquière force exécutoire le plus tard possible.

58     La requérante en conclut que la prescription a commencé à courir en mars 2000 et a été interrompue par l’introduction du recours le 31 janvier 2003, soit avant l’expiration du délai de prescription, conformément à l’article 46 du statut de la Cour.

 Appréciation du Tribunal

59     Selon la jurisprudence, le délai de prescription de l’action en responsabilité non contractuelle de la Communauté ne saurait commencer à courir avant que ne soient réunies toutes les conditions auxquelles se trouve subordonnée l’obligation de réparation (arrêt du Tribunal du 11 janvier 2002, Biret International/Conseil, T‑174/00, Rec. p. II‑17, point 38).

60     En l’espèce, le dommage prétendument causé à la requérante s’est manifesté dès la constitution des garanties bancaires. Les annexes 2 et 3 de la requête montrent à cet égard que la garantie bancaire de Alsen Breitenburg a été constituée du 3 mai 1995 au 2 mai 2000 auprès de la Berenberg Bank et celle de Nordcement du 18 avril 1995 au 3 mai 2000 auprès de la Deutsche Bank. Ces banques ont dès lors appliqué des frais, calculés sur la base d’une commission annuelle exprimée en pourcentage des sommes garanties (0,45 % pour la Berenberg Bank et 0,375 % pour la Deutsche Bank).

61     Dans ces conditions, les sommes à devoir aux banques étaient proportionnelles au nombre de jours durant lesquels les garanties bancaires étaient en vigueur. Ce calcul des frais bancaires ressort de l’annexe 2 de la requête, la Berenberg Bank ayant calculé les frais au prorata du nombre de jours écoulés. La requérante a confirmé, lors de l’audience, que les frais de garantie bancaire s’accumulaient au fur et à mesure des jours.

62     De plus, il faut relever que les frais déjà encourus auraient dû être payés aux banques, quel que soit le sort final du recours en annulation.

63     Estimant que la décision Ciment était illégale (ce qui est confirmé par le fait qu’elle a déposé un recours en annulation), la requérante était en mesure de mettre en cause la responsabilité non contractuelle de la Communauté dès la constitution des garanties bancaires. Elle aurait pu faire valoir, dans ce contexte, l’existence d’un dommage futur mais certain et déterminable (à savoir les frais de garantie bancaire applicables), dès lors que ce préjudice était prévisible avec une certitude suffisante (voir, sur la possibilité d’invoquer un préjudice futur, notamment, arrêt de la Cour du 2 juin 1976, Kampffmeyer e.a./Conseil et Commission, 56/74 à 60/74, Rec. p. 711, point 6, et arrêt du Tribunal du 8 juin 2000, Camar et Tico/Commission et Conseil, T‑79/96, T‑260/97 et T‑117/98, Rec. p. II‑2193, points 192 et 207).

64     Contrairement à ce que soutient la requérante, l’annulation de la décision Ciment ne s’imposait pas pour faire courir le délai de prescription de l’action en indemnité. Le Tribunal a déjà eu l’occasion de préciser que le fait qu’un requérant a estimé ne pas disposer encore de l’ensemble des éléments lui permettant de démontrer à suffisance de droit la responsabilité de la Communauté dans le cadre d’une procédure judiciaire ne saurait, pour autant, empêcher le délai de prescription de courir. En effet, une confusion serait alors créée entre le critère procédural relatif au commencement du délai de prescription et le constat de l’existence des conditions de responsabilité, qui ne peut, en définitive, qu’être tranché par le juge saisi aux fins de l’appréciation définitive du litige au fond (ordonnance du Tribunal du 17 janvier 2001, Autosalone Ispra dei Fratelli Rossi/Commission, T‑124/99, Rec. p. II‑53, point 24).

65     En l’espèce, l’éventuelle violation du droit communautaire existait dès l’adoption de la décision Ciment. Au moment où la requérante a reçu notification de cette décision, elle en a officiellement pris connaissance, en fait et en droit. C’est également à cet instant que la décision Ciment a commencé à produire des effets juridiques envers la requérante. À partir de cette date, celle-ci avait donc la possibilité de soulever une violation du droit communautaire.

66     Adopter une autre approche reviendrait par ailleurs à remettre en cause l’autonomie du recours en indemnité par rapport aux autres voies de recours, notamment par rapport au recours en annulation (voir, sur l’autonomie du recours en indemnité, arrêt du Tribunal du 10 avril 2002, Lamberts/Médiateur, T‑209/00, Rec. p. II‑2203, point 58, et la jurisprudence citée).

67     Les arguments avancés par la requérante au sujet du principe de l’économie de procédure sont, à cet égard, inopérants. En effet, même si ce principe peut permettre d’éviter qu’un justiciable ne soit obligé d’introduire un nouveau recours lorsqu’une nouvelle décision remplace la décision attaquée [arrêt du Tribunal du 10 octobre 2001, British American Tobacco International (Investments)/Commission, T‑111/00, Rec. p. II‑2997, point 22], il ne saurait permettre de remettre en cause les règles régissant la prescription de l’action en réparation. Or tel serait le cas si la position de la requérante était suivie.

68     Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il convient de juger que le délai de prescription de l’action en responsabilité non contractuelle a commencé à courir, en l’espèce, dès la constitution des garanties bancaires par les sociétés concernées, à savoir le 3 mai 1995 pour Alsen Breitenburg et le 18 avril 1995 pour Nordcement.

69     Il faut toutefois tenir compte également du fait que le préjudice invoqué dans la présente affaire n’a pas été instantané, mais continu. En effet, comme indiqué précédemment, les frais ont été calculés au prorata du nombre de jours durant lesquels les garanties bancaires étaient en vigueur. Ce point a d’ailleurs été confirmé par la requérante lors de l’audience. Dès lors, le préjudice invoqué a évolué de jour en jour et présentait un caractère continu.

70     Dans un tel cas, la prescription visée à l’article 46 du statut de la Cour s’applique, en fonction de la date de l’acte interruptif, à la période antérieure de plus de cinq ans à cette date, sans affecter les droits nés au cours des périodes postérieures (arrêts du Tribunal du 16 avril 1997, Hartmann/Conseil et Commission, T‑20/94, Rec. p. II‑595, point 132 ; Biret International/Conseil, point 59 supra, point 41, et ordonnance du Tribunal du 19 septembre 2001, Jestädt/Conseil et Commission, T‑332/99, Rec. p. II‑2561, points 44 et 45).

71     À cet égard, l’article 46 du statut de la Cour vise comme un acte interruptif soit la requête formée devant la Cour, soit la demande préalable que la victime peut adresser à l’institution compétente. Dans ce dernier cas, la requête doit être formée dans le délai de deux mois prévu à l’article 230 CE, les dispositions de l’article 232, deuxième alinéa, CE étant le cas échéant applicables.

72     En l’espèce, par une première lettre du 28 septembre 2001, et au titre de l’article 91 du règlement de procédure, la requérante a demandé à la défenderesse le remboursement des frais résultant de la constitution des garanties bancaires. Elle a réitéré sa demande par une lettre du 5 avril 2002, invoquant alors l’article 288, deuxième alinéa, CE.

73     Cependant, à la suite de ces deux demandes, la requérante n’a pas formé, comme l’exige l’article 46, troisième phrase, du statut de la Cour, une requête dans le délai prévu à l’article 230 CE. Ces lettres ne constituent donc pas des actes interruptifs de prescription au sens de l’article 46 du statut de la Cour.

74     Pour l’ensemble de ces motifs, et compte tenu du fait que le présent recours a été introduit le 31 janvier 2003, celui-ci doit être rejeté comme irrecevable pour ce qui concerne les frais de garantie bancaire encourus par la requérante cinq années avant cette date, c’est-à-dire avant le 31 janvier 1998.

 Sur le fond

75     Le recours étant rejeté comme irrecevable en ce qu’il est fondé sur l’article 233 CE, l’examen du Tribunal quant au fond se limite aux arguments de la requérante présentés au titre de l’article 288, deuxième alinéa, CE et de l’article 235 CE. Par ailleurs, comme le recours en indemnité est également rejeté comme irrecevable pour ce qui est des frais de garantie bancaire encourus avant le 31 janvier 1998, l’examen au fond ne vise que les frais encourus après cette date.

 Arguments des parties

76     S’agissant de l’illégalité de la décision Ciment annulée par le Tribunal, la requérante allègue que cette décision renferme un vice entraînant la responsabilité de la Communauté. Elle souligne que cette décision a été partiellement annulée parce que la défenderesse n’a pas pu prouver la violation, par la requérante, de l’article 85 du traité CE ou sa participation à des accords de restriction de concurrence. La requérante considère donc que, en l’espèce, la Commission a commis une faute grave.

77     La requérante précise que la défenderesse ne disposait pas d’un pouvoir d’appréciation lors de l’adoption de la décision Ciment. Se référant à l’arrêt de la Cour du 10 juillet 2003, Commission/Fresh Marine (C‑472/00 P, Rec. p. I‑7541), elle considère qu’une simple violation du droit communautaire suffit, dès lors, à établir l’existence d’une « violation suffisamment caractérisée ». Suivant l’arrêt Ciment, la défenderesse n’aurait, dans le cas d’espèce, pas dû infliger d’amende, ce qui réduirait totalement son pouvoir d’appréciation. La présente affaire serait d’ailleurs différente de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Corus UK/Commission, point 8 supra, dans laquelle il s’agissait d’analyser si la Commission avait mal exercé son pouvoir d’appréciation dans la détermination du montant de l’amende. La requérante en conclut que, dans le cas d’espèce, l’illégalité de la décision infligeant l’amende suffit pour engager la responsabilité de la Communauté.

78     Dans ces conditions, la détermination du caractère complexe de l’affaire serait sans pertinence. En toute hypothèse, il faudrait analyser la situation particulière de la requérante. Dès lors que le Tribunal a considéré qu’il n’existait pas de preuves suffisantes en l’espèce, la situation de la requérante ne pouvait pas être considérée comme complexe. Il y aurait, en tout état de cause, une violation grave de l’obligation de diligence de la Commission.

79     Enfin, la requérante indique que la coopération ou non des autres entreprises au cours de la procédure administrative ne peut, en aucun cas, lui nuire. Par ailleurs, les frais de garantie bancaire devraient être remboursés en vertu du principe de loyauté.

80     S’agissant du lien de causalité, la requérante précise que la décision Ciment lui a causé directement un préjudice, à savoir les frais de garantie bancaire. Elle indique que ce préjudice ne repose pas sur une libre décision de sa part et souligne que, en cas de rejet de son recours en annulation, elle aurait subi un préjudice soit du fait des intérêts versés, soit du fait des frais de garantie bancaire facturés. La requérante précise également que, si la constitution d’une garantie bancaire n’avait pas les mêmes conséquences juridiques que le paiement immédiat de l’amende, elle ne constituerait plus une alternative valable pour les entreprises.

81     Quant au préjudice, la requérante fournit en annexe à sa requête deux décomptes bancaires pour un montant total de 139 002,21 euros. Elle demande également que la Commission soit condamnée au paiement d’intérêts de retard (à hauteur de 5,75 %), à compter d’un mois suivant le prononcé de l’arrêt Ciment, soit le 15 avril 2000.

82     La défenderesse considère, pour sa part, que la requérante fait une lecture erronée de l’arrêt Commission/Fresh Marine, point 77 supra. La Cour aurait seulement relevé dans cet arrêt que la simple infraction au droit communautaire « peut » suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée. Le critère décisif serait le caractère manifeste et grave de la faute commise et il conviendrait d’examiner aussi, selon la défenderesse, tous les facteurs qui peuvent fournir une indication sur la gravité de la faute commise par la Commission.

83     Dans le cas d’espèce, la défenderesse estime que l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ciment était très complexe. L’infraction se caractériserait par de nombreuses ramifications, l’implication d’une grande partie de l’industrie européenne et un nombre extrêmement élevé de participants et donc de destinataires de la décision. Par ailleurs, l’entente aurait été tenue secrète et, durant l’enquête, aucune des entreprises n’aurait coopéré au-delà de ce qui serait prévu par les règles sur les pouvoirs d’investigation.

84     Concernant le lien de causalité, la défenderesse estime que, à la différence du paiement d’une amende, la constitution d’une garantie bancaire n’est pas une obligation. Elle en conclut qu’il n’y a pas de lien de causalité direct, au sens de la jurisprudence, entre la faute éventuelle de la Commission et le préjudice allégué.

85     Sur le préjudice, la défenderesse précise que, pour ce qui est des intérêts réclamés, à la date du 15 avril 2000 (proposée par la requérante pour faire courir les intérêts de retard), elle n’avait pas connaissance des exigences de la requérante ni du montant réclamé. Quant à la lettre de la requérante du 5 avril 2002, elle n’aurait pas été suivie d’une requête dans les délais indiqués à l’article 46, deuxième phrase, du statut de la Cour. La défenderesse considère, dès lors, qu’un droit au paiement des intérêts de retard ne pourrait être envisagé, en tout état de cause, qu’à partir de l’introduction du présent recours, soit le 31 janvier 2003. Enfin, quant au taux des intérêts réclamés, la défenderesse souligne que le taux appliqué par la Banque centrale européenne à ses principales opérations de refinancement, au 31 janvier 2003, se situait à 2,75 %. La majoration de deux points de pourcentage fixée dans l’arrêt Corus UK/Commission, point 8 supra, aboutirait à un taux d’intérêt de 4,75 % et non pas de 5,75 % comme le soutient la requérante.

 Appréciation du Tribunal

86     Il résulte d’une jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16, et arrêt du Tribunal du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T‑336/94, Rec. p. II‑1343, point 30).

 Sur la condition tenant à l’illégalité du comportement reproché

87     S’agissant de la condition tenant à l’illégalité du comportement reproché, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. À cet égard, il convient de rappeler que le régime dégagé par la Cour en matière de responsabilité non contractuelle de la Communauté prend notamment en compte la complexité des situations à régler, les difficultés d’application ou d’interprétation des textes et, plus particulièrement, la marge d’appréciation dont dispose l’auteur de l’acte mis en cause. Le critère décisif pour considérer une violation du droit communautaire comme suffisamment caractérisée réside dans la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution communautaire concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêts de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, points 40 et 42 à 44 ; du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355, points 52 à 55, et Commission/Fresh Marine, point 77 supra, points 24 à 26).

–        Concernant le contexte factuel et juridique de la décision Ciment

88     À titre liminaire, il y a lieu de rappeler, premièrement, que la décision Ciment disposait, dans son article 1er, que certaines associations, fédérations et entreprises (y inclus la requérante) avaient enfreint l’article 85, paragraphe 1, du traité CE, en participant à un accord (dénommé « accord Cembureau » du nom de l’association européenne du Ciment) ayant pour objet le respect des marchés domestiques et la réglementation des transferts de ciment d’un pays à l’autre. L’association Cembureau comprenait des membres directs et des membres indirects. Les entreprises dont la fusion a donné naissance à la requérante faisaient partie de cette deuxième catégorie (voir, notamment, point 1440 de l’arrêt Ciment). Dans ce contexte, et s’agissant des membres indirects de Cembureau, l’article 1er de la décision Ciment visait les entreprises (y inclus donc la requérante) qui avaient manifesté leur adhésion à l’accord Cembureau en participant à une mesure de mise en œuvre de celui-ci (point 4076 de l’arrêt Ciment).

89     À cet égard, l’article 5 de la décision Ciment concluait que certaines associations, fédérations et entreprises (y inclus la requérante) avaient enfreint l’article 85, paragraphe 1, du traité CE, en participant, dans le cadre du European Cement Export Committee (ci-après l’« ECEC »), à des pratiques concertées visant à éviter les incursions des concurrents sur les marchés nationaux respectifs de la Communauté.

90     Pour ces raisons, aux termes de l’article 9 de la décision Ciment, des amendes de 3,841 millions et de 1,85 million d’euros ont été infligées, respectivement, à Alsen Breitenburg et à Nordcement (dont la fusion a donné naissance à la requérante).

91     Le Tribunal a toutefois jugé que les éléments de preuve avancés dans la décision Ciment, même considérés dans leur ensemble, n’établissaient pas que les membres de l’ECEC, dans le cadre de leur coopération au sein de ce comité à l’exportation, visaient à canaliser leurs surplus de production en vue de renforcer la règle du respect des marchés domestiques (point 3849 de l’arrêt Ciment).

92     Dans la mesure où les activités au sein de l’ECEC ont été considérées, à l’article 5 de la décision Ciment, comme constituant une infraction à l’article 85, paragraphe 1, du traité CE, au motif qu’elles visaient à éviter les incursions des concurrents sur les marchés nationaux respectifs de la Communauté, le Tribunal a décidé d’annuler l’article 5 de la décision Ciment (point 3850 des motifs et points 16 et 17 du dispositif de l’arrêt Ciment).

93     Par ailleurs, dès lors qu’il n’avait pas été établi que les comportements visés à l’article 5 de la décision Ciment poursuivaient le même objectif que l’accord Cembureau, le Tribunal a jugé que ces comportements ne pouvaient être considérés comme des éléments constitutifs de l’infraction visée à l’article 1er de la décision Ciment (point 4058 de l’arrêt Ciment). Le Tribunal a dès lors décidé d’annuler également, pour ce qui concerne la requérante, l’article 1er de la décision Ciment (points 4074 à 4079 des motifs et points 16 et 17 du dispositif de l’arrêt Ciment).

94     En conséquence, l’article 9 de la décision Ciment, fixant les amendes pour Alsen Breitenburg et Nordcement, a lui aussi été annulé (point 4718 des motifs et points 16 et 17 du dispositif de l’arrêt Ciment).

–        Concernant le pouvoir d’appréciation de la Commission

95     Il y a lieu de rappeler que le juge communautaire exerce de manière générale un entier contrôle sur le point de savoir si les conditions d’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité CE se trouvent ou non réunies. Ce n’est que lorsqu’il exerce un contrôle sur les appréciations économiques complexes faites par la Commission que le juge communautaire se limite à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (arrêts de la Cour du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42/84, Rec. p. 2545, point 34, et du 28 mai 1998, Deere/Commission, C‑7/95 P, Rec. p. I‑3111, point 34).

96     En l’espèce, il convient de relever tout d’abord que le contrôle opéré par le Tribunal, qui a donné lieu à l’annulation de la décision Ciment pour ce qui concerne la requérante, a porté sur l’existence d’un comportement infractionnel au regard de l’article 85, paragraphe 1, du traité CE. Ce contrôle n’a pas porté sur la fixation, par la Commission, du montant des amendes en cause infligées à la requérante.

97     Par ailleurs, il ressort des points 3771 à 3850 de l’arrêt Ciment, qui ont motivé l’annulation de l’article 5 de la décision Ciment, et donc en conséquence l’annulation des articles 1er et 9 de cette même décision, pour ce qui concerne la requérante, que le Tribunal a exercé un entier contrôle quant à l’application par la défenderesse de l’article 85, paragraphe 1, du traité CE.

98     Les points pertinents de l’arrêt Ciment ne font pas référence à des appréciations économiques faites par la Commission, ou à un quelconque pouvoir d’appréciation de celle-ci, qui auraient pu limiter l’étendue du contrôle opéré par le Tribunal.

99     Enfin, il convient de souligner que la qualification du comportement des entreprises en cause comme étant constitutif ou non d’une infraction au titre de l’article 85, paragraphe 1, du traité CE relevait en l’espèce de la simple application du droit sur la base des éléments factuels à la disposition de la Commission.

100   Il résulte de ces éléments que le pouvoir d’appréciation de la Commission, en l’espèce, s’en trouvait réduit. Dans ces conditions, la violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité CE, relevée par le Tribunal dans l’arrêt Ciment, à savoir l’insuffisance des preuves avancées par la défenderesse au soutien des pratiques incriminées de la requérante, pourrait suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée.

101   Toutefois, comme il est rappelé au point 87 ci-dessus, le régime dégagé par la Cour en matière de responsabilité non contractuelle de la Communauté doit également amener le juge communautaire à tenir compte, outre du pouvoir d’appréciation détenu par l’institution concernée, notamment, de la complexité des situations à régler ainsi que des difficultés d’application ou d’interprétation des textes.

–        Concernant la complexité des situations à régler et les difficultés d’application ou d’interprétation des textes

102   En l’espèce, il convient de relever, premièrement, que l’affaire qui a donné lieu à la décision puis à l’arrêt Ciment était particulièrement complexe. À cet égard, l’argument avancé par la requérante selon lequel la complexité du contexte de l’affaire est sans pertinence doit être écarté. En effet, ce contexte permet, au contraire, de mesurer la complexité des situations à régler, au sens de la jurisprudence.

103   La procédure, qui a duré plus de trois ans, visait des associations tant internationales que nationales et de nombreuses entreprises implantées dans des pays tiers ainsi que la quasi-totalité des entreprises communautaires du secteur en cause. L’enquête menée par la défenderesse a nécessité la réunion d’un grand nombre d’éléments.

104   Le Tribunal a d’ailleurs relevé la complexité de cette affaire en précisant, au point 654 de l’arrêt Ciment, que, dans « l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Suiker Unie e.a./Commission […] qui était également une affaire complexe, la Cour a jugé […] qu’un délai de deux mois était raisonnable [pour préparer une réponse à une communication des griefs] ».

105   Par ailleurs, et s’agissant des délais d’enquête, le Tribunal a relevé au point 709 de l’arrêt Ciment « [qu’]un délai de 31 mois entre les vérifications en avril 1989 et la notification de la [communication des griefs] en novembre 1991 était raisonnable, si l’on tient compte de l’ampleur et de la difficulté d’une enquête portant sur la quasi-totalité de l’industrie européenne du ciment » et que « [l]e fait qu’il a fallu 20 mois à la Commission après la fin des auditions pour adopter la décision attaquée, le 30 novembre 1994, ne constitu[ait] pas une violation du principe du respect du délai raisonnable dans une procédure administrative en matière de politique de la concurrence, dès lors que la décision attaquée devait être adressée à 42 entreprises et associations d’entreprises différentes, qu’elle constatait 24 infractions différentes et qu’elle avait dû être rédigée dans les neuf langues officielles de la Communauté ».

106   La requérante a d’ailleurs reconnu elle-même, dans sa lettre du 28 septembre 2001 adressée à la défenderesse, que cette affaire se caractérisait par une extrême complexité. La requérante se référait notamment à l’objet et à la nature du litige, à son importance sous l’angle du droit communautaire ainsi qu’aux difficultés de la cause et au nombre d’entreprises concernées.

107   Il convient de relever, deuxièmement, que les situations étaient d’autant plus complexes à régler en l’espèce que les entreprises concernées par l’enquête de la Commission étaient des membres directs ou indirects de Cembureau. Dans ce dernier cas, qui recouvrait la situation de la requérante, les entreprises concernées étaient représentées au sein de Cembureau par leurs associations respectives.

108   Il convient de relever, troisièmement, que, s’agissant de la partie de la décision Ciment qui concernait spécifiquement la requérante, la défenderesse était confrontée à un ensemble de documents probants dont l’interprétation n’était pas évidente.

109   Ainsi, s’agissant des motifs qui ont conduit à l’annulation de la décision Ciment, pour ce qui concerne la requérante, le Tribunal (aux points 3790 et 3792 de l’arrêt Ciment) a indiqué tout d’abord :

« Il ne ressort […] pas [de l’article 1er de l’acte de constitution de l’ECEC du 6 décembre 1979, de l’article 1er de celui du 26 septembre 1986, du compte rendu de la réunion de Paris du 23 janvier 1979 et d’une note interne de Ciments français du 7 mars 1989] que le véritable objectif poursuivi par les membres de l’ECEC ait été de renforcer la règle du respect des marchés domestiques européens […] Bien [que la note de Blue Circle du 1er décembre 1983] fasse état d’un lien entre le respect des marchés domestiques et la canalisation des surplus de production, il ne saurait être présumé, sur la base de la simple existence d’un comité à l’exportation, que ses membres visaient, par leurs activités au sein de celui-ci, à ‘éviter les incursions des concurrents sur les marchés nationaux respectifs de la Communauté’. »

110   Pour ce qui est de l’affiliation directe ou indirecte des membres de l’ECEC à Cembureau, le Tribunal (aux points 3799 et 3800 de l’arrêt Ciment) a noté :

« Certes, pour les parties à l’accord Cembureau qui ont participé aux activités de l’ECEC après la conclusion dudit accord, les informations échangées au cours des réunions de ce comité à l’exportation à propos des marchés tiers ont été utiles pour leur permettre de canaliser leurs surplus de production vers des destinations non européennes et ont donc facilité, dans leur chef, l’exécution de l’accord Cembureau. Or, parmi les membres de l’ECEC figurent plusieurs membres directs de Cembureau (la FIC, le SFIC, Aalborg, Oficemen, Irish Cement, l’ATIC, Italcementi, Cementir et l’AGCI), dont la participation à l’accord Cembureau ne fait l’objet d’aucun doute en raison de leur participation aux réunions des chefs de délégation au cours desquelles l’accord Cembureau a été conclu et/ou confirmé […] Toutefois, cette constatation n’implique pas que la coopération organisée dans le cadre de l’ECEC entre tous les membres de ce comité ait eu pour objectif de renforcer la règle du respect des marchés domestiques. »

111   En ce qui concerne les rapports entre l’ECEC et le European Export Policy Committee (ci-après l’« EPC »), le Tribunal (aux points 3806 et 3821 de l’arrêt Ciment) a relevé :

« [F]orce est de constater, au vu des éléments de preuve auxquels la Commission se réfère dans la décision attaquée [à savoir les documents mentionnés au paragraphe 32 de la décision Ciment], que les membres de l’ECEC ont toujours estimé que leur comité à l’exportation avait des caractéristiques et une identité propres par rapport à celles de l’EPC […] Même si l’on admet que le respect des marchés domestiques était la règle sous-jacente à la coopération au sein de l’EPC, les documents mentionnés au paragraphe 32 de la décision attaquée ne permettent donc pas de conclure que les liens qui ont existé entre l’ECEC et l’EPC avaient influencé les activités de l’ECEC d’une manière telle que les membres de ce dernier comité avaient adopté la règle du respect des marchés domestiques pour les activités au sein de l’ECEC. »

112   S’agissant, enfin, de l’absence de limitation des activités de l’ECEC à la grande exportation, le Tribunal (aux points 3825, 3827 et 3828 de l’arrêt Ciment) a considéré :

« La Commission ne saurait toutefois se fonder sur [le] compte rendu [de l’ECEC du 22 mars 1985] pour établir que la coopération au sein de l’ECEC visait à renforcer la règle du respect des marchés domestiques par la canalisation des surplus de production […] Force est de constater qu’aucun des comptes rendus cités au point [3826] n’établit un lien entre les importations venant des pays tiers et le principe du respect des marchés domestiques […] En tout état de cause, le simple fait d’avoir examiné, à quelques occasions, la situation des importations en provenance des pays tiers ne démontre pas que ‘le but et l’effet de la coopération au sein d[e l]’ECEC étaient de renforcer la règle du respect des marchés domestiques’ […] En ce qui concerne les documents mentionnés au paragraphe 33, point 5, de la décision attaquée, il est exact, comme le soutient la Commission, que certains comptes rendus font état de quelques informations sur la situation des pays membres. Toutefois, la simple mention d’un élément d’information relatif à un marché interne de la Communauté au cours d’une réunion de l’ECEC ou du Steering Committee de l’ECEC ne démontre pas nécessairement que les activités de l’ECEC visaient à ‘renforcer la règle du respect des marchés domestiques’. »

113   Il en ressort que, sans fondamentalement remettre en cause l’analyse de la Commission quant à l’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité CE aux accords en cause, le Tribunal s’est limité, dans l’arrêt Ciment, à contester l’appréciation par la Commission du caractère probant de certaines pièces retenues aux fins de constater l’infraction à l’égard de certaines requérantes. En particulier, il apparaît que la divergence d’interprétation entre le Tribunal et la Commission sur ce point n’a porté que sur une activité marginale de l’entente, à savoir celle exercée dans le cadre de la coopération des parties au sein de l’ECEC, en vue de canaliser leurs surplus de production, dans le but de renforcer ainsi la règle du respect des marchés domestiques, à savoir la répartition des marchés qui constituait le véritable « noyau » de l’entente. Par ailleurs, si le Tribunal a annulé la décision Ciment en ce qui concerne la requérante, il a néanmoins constaté que la Commission disposait d’un certain nombre d’indices susceptibles d’accréditer sa thèse selon laquelle la coopération au sein de l’ECEC avait pour but et pour effet de renforcer la règle du respect des marchés domestiques et ce n’est qu’après avoir procédé à une appréciation détaillée du contenu des documents en cause que le Tribunal est parvenu à la conclusion que, vus dans leur ensemble et compte tenu, notamment, des explications fournies par les entreprises concernées, ces documents ne permettaient pas d’établir à suffisance de droit que l’activité au sein de l’ECEC renforçait la règle du respect des marchés domestiques.

114   Pour l’ensemble de ces raisons, compte tenu du fait que l’affaire Ciment était une affaire particulièrement complexe, impliquant un nombre très important d’entreprises et notamment la quasi-totalité de l’industrie européenne du ciment, que la structure de Cembureau rendait l’enquête difficile de part l’existence de membres directs et indirects, et du fait qu’il a été nécessaire d’analyser un nombre important de documents, et ce y compris s’agissant de la situation spécifique de la requérante, il y a lieu de considérer que la défenderesse se trouvait confrontée à des situations complexes à régler.

115   Enfin, il convient de tenir compte des difficultés d’application des dispositions du traité CE en matière d’ententes (voir, par analogie, arrêt Corus UK/Commission, point 8 supra, point 46). Ces difficultés d’application étaient d’autant plus importantes que les éléments factuels de l’affaire en cause, y compris pour la partie de la décision concernant la requérante, étaient nombreux.

116   Pour l’ensemble de ces motifs, il y a lieu de considérer que la violation du droit communautaire, constatée dans l’arrêt Ciment, pour ce qui est de la partie de la décision concernant la requérante, n’est pas suffisamment caractérisée.

117   S’agissant du principe de loyauté, qui rendrait obligatoire le remboursement des frais de garantie bancaire, la requérante n’explique pas en quoi il aurait pour objet de conférer des droits aux particuliers ni en quoi il y aurait une violation suffisamment caractérisée de ce principe en l’espèce. Il en va de même du principe de diligence qui incomberait à la défenderesse. Dès lors, ces arguments sont inopérants.

118   Compte tenu de ce qui précède, la première condition dégagée par la jurisprudence pour permettre l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté n’est pas remplie en l’espèce.

 Sur la condition tenant à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué

119   En tout état de cause, la Communauté ne peut être tenue pour responsable que du préjudice qui découle de manière suffisamment directe du comportement irrégulier de l’institution concernée (voir, notamment, arrêt de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier e.a./Conseil, 64/76 et 113/76, 167/78 et 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21 ; arrêts du Tribunal du 18 septembre 1995, Blackspur e.a./Conseil et Commission, T‑168/94, Rec. p. II‑2627, point 52 ; du 24 octobre 2000, Fresh Marine/Commission, T‑178/98, Rec. p. II‑3331, point 118, et du 13 février 2003, Meyer/Commission, T‑333/01, Rec. p. II‑117, point 32).

120   En l’espèce, il convient d’abord de rappeler que, aux termes de l’article 9 de la décision Ciment, des amendes de 3,841 millions et de 1,85 million d’euros ont été infligées, respectivement, à Alsen Breitenburg et à Nordcement. En vertu de l’article 11, premier alinéa, de cette même décision, les amendes étaient payables dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision. En outre, aux termes du second alinéa de cette disposition, le montant de l’amende portait intérêt de plein droit à compter de l’expiration du délai précité.

121   Il convient de souligner que, conformément à l’article 192, premier alinéa, du traité CE (devenu article 256 CE), la décision Ciment formait sur ce point titre exécutoire, dès lors qu’elle comportait une obligation pécuniaire à la charge des personnes autres que les États, et ce nonobstant l’introduction du recours en annulation contre cette décision en vertu de l’article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE). En effet, en vertu de l’article 185, première phrase, du traité CE (devenu article 242 CE), un recours formé devant le juge communautaire n’a pas d’effet suspensif (arrêt du Tribunal du 14 juillet 1995, CB/Commission, T‑275/94, Rec. p. II‑2169, points 50 à 52).

122   Or, il est constant que la requérante, par dérogation à ces dispositions, n’a pas payé l’amende qui lui était infligée à l’article 9 de la décision Ciment, la Commission lui ayant offert la possibilité, dans la lettre de notification de ladite décision, de constituer une garantie bancaire destinée à garantir le paiement de l’amende jusqu’au prononcé de l’arrêt Ciment. En effet, l’entreprise qui introduit un recours contre une décision de la Commission lui infligeant une amende a le choix soit de payer l’amende au moment de son exigibilité à charge, s’il y a lieu, de payer des intérêts de retard au taux fixé par la Commission dans sa décision, soit de demander le sursis à exécution de la décision en application de l’article 185, deuxième phrase, du traité CE, soit, enfin, au cas où la Commission lui en donne la possibilité, de constituer une garantie bancaire destinée à garantir le paiement de l’amende et des intérêts de retard, conformément aux conditions fixées par la Commission (arrêt CB/Commission, point 121 supra, point 54).

123   Dans ces conditions, la requérante ne saurait valablement soutenir que les frais de constitution de garantie bancaire qu’elle a encourus en l’espèce résultent directement de l’illégalité de la décision Ciment. En effet, le préjudice qu’elle allègue à cet égard résulte de son propre choix de ne pas exécuter l’obligation de payer l’amende, en dérogeant aux règles prévues par l’article 192, premier alinéa, du traité CE et l’article 185, première phrase, du traité CE, dans le délai imparti par la décision Ciment, par la constitution d’une garantie bancaire.

124   Il convient de souligner, par ailleurs, que les deux options à la disposition de la requérante, à savoir l’introduction d’un recours contre la décision Ciment ainsi qu’une demande de sursis à exécution de ladite décision (en ce qui concerne à tout le moins le paiement de l’amende) et la constitution d’une garantie bancaire suivant la faculté offerte par la Commission, constituaient de réelles alternatives au paiement immédiat de l’amende. Elles étaient, par ailleurs, laissées à la libre appréciation des entreprises (voir, en ce sens, arrêt CB/Commission, point 121 supra, points 54 et 55). Ces options ne revêtaient donc pas un caractère obligatoire découlant de la décision Ciment. Il convient d’ailleurs de relever que certaines entreprises (comme la requérante) ont choisi l’option de constituer des garanties bancaires alors que d’autres ont préféré remplir l’obligation financière découlant de la décision Ciment et payer l’amende concernée (voir, à cet égard, arrêt Ciment, point 5116). Si la requérante avait décidé de payer l’amende, elle aurait dès lors évité d’avoir à payer des frais de garantie bancaire (voir, s’agissant des intérêts de retard, arrêt CB/Commission, point 121 supra, point 83).

125   Aucun des arguments avancés par la requérante n’est susceptible de remettre en cause cette conclusion.

126   En particulier, en ce qui concerne la circonstance alléguée selon laquelle les considérations émises au point 57 de l’arrêt Corus UK/Commission, point 8 supra, seraient transposables en l’espèce, il convient de constater que, à cet endroit de l’arrêt précité, le Tribunal a jugé non pas, comme le suggère la requérante, que les entreprises destinataires d’une décision infligeant des amendes n’avaient pas le choix entre payer immédiatement l’amende et constituer une garantie bancaire, mais que, d’une part, en payant l’amende, l’entreprise ne faisait que se plier au dispositif d’une décision exécutoire nonobstant le recours formé par elle devant le Tribunal et, d’autre part, la constitution d’une garantie bancaire plutôt que le paiement immédiat de l’amende constituait une simple faculté laissée par la Commission à l’entreprise en cause.

127   En tout état de cause, et sans entrer ici dans l’examen d’un possible préjudice ou dans une analyse détaillée des différences entre l’article 34 CA et l’article 233 CE, il doit être souligné que les considérations, dans l’arrêt Corus UK/Commission, point 8 supra, qui ont conduit le Tribunal à juger que, dans le cas d’un arrêt annulant ou réduisant l’amende imposée à une entreprise pour infraction aux règles de concurrence, la Commission a l’obligation de restituer non seulement le montant en principal de l’amende indûment payée, mais aussi les intérêts moratoires produits par ce montant ne sont pas applicables en cas de constitution d’une garantie bancaire. En effet, il doit être rappelé que, dans son arrêt Corus UK/Commission, point 8 supra, le Tribunal a fondé cette obligation, aux points 54 à 56, sur la circonstance, d’une part, que l’obligation de restitution intégrale de l’amende indûment payée ne saurait faire abstraction de l’écoulement du temps susceptible d’en réduire la valeur et, d’autre part, que le défaut de paiement d’intérêts moratoires aboutirait à un enrichissement sans cause de la Communauté, lequel est contraire aux principes généraux du droit communautaire.

128   Or, aucune de ces considérations ne saurait être invoquée par la requérante en l’espèce.

129   En effet, d’une part, s’agissant de la première considération, il y a lieu de relever que, lorsqu’une garantie bancaire a été constituée, la Commission ne doit pas restituer une amende indûment perçue, puisque, par hypothèse, cette amende n’a pas été payée. L’entreprise n’a donc subi aucune perte de valeur quant au montant de l’amende qu’elle était pourtant tenue de payer immédiatement à la Commission, eu égard au caractère exécutoire de la décision attaquée (article 192, premier alinéa, du traité CE) et à l’absence d’effet suspensif des recours devant le Tribunal (article 185, première phrase, du traité CE). Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, le seul préjudice financier éventuel subi par l’entreprise concernée résulte de sa propre décision de constituer une garantie bancaire afin d’être en mesure, par dérogation aux règles rappelées ci-dessus, de ne pas payer immédiatement l’amende, et ce bien qu’elle ne bénéficie pas d’un sursis à l’exécution de la décision infligeant l’amende.

130   D’autre part, s’agissant de la seconde considération, il doit être constaté que, contrairement à la situation dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Corus UK/Commission, point 8 supra, le défaut, pour la Commission, de prendre en charge les frais afférents à la constitution d’une garantie bancaire n’aboutit à aucun enrichissement sans cause de la Communauté, puisque les frais de constitution de ladite garantie bancaire ont été payés non à la Communauté, mais à un tiers. Le respect du principe général interdisant l’enrichissement sans cause ne justifie donc en aucun cas une telle restitution. Bien au contraire, si la Commission devait prendre en charge les frais afférents à la constitution d’une garantie bancaire, cela permettrait de replacer l’entreprise concernée dans la situation qui était la sienne avant l’adoption de la décision litigieuse, mais la Commission, en revanche, serait pénalisée, puisqu’elle devrait restituer à ladite entreprise des montants dont elle n’a pas eu la jouissance.

131   Compte tenu de ces éléments, le lien de causalité entre le comportement reproché à la défenderesse et le préjudice allégué ne saurait être qualifié de suffisamment direct en l’espèce.

132   Au vu de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le préjudice prétendument subi, le recours fondé sur l’article 235 CE et l’article 288, deuxième alinéa, CE, en ce qui concerne les frais de garantie bancaire postérieurs au 31 janvier 1998, doit être rejeté comme non fondé.

 Sur les dépens

133   Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter l’ensemble des dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la défenderesse.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours, en ce qu’il est fondé sur l’article 233 CE, est rejeté comme irrecevable.

2)      La demande subsidiaire tendant à voir interpréter le recours, en ce qu’il est fondé sur l’article 233 CE, comme un recours en annulation ou en carence est rejetée comme irrecevable.

3)      La demande en indemnité, pour ce qui est des frais de garantie bancaire encourus par la requérante avant le 31 janvier 1998, est rejetée comme irrecevable.

4)      Le recours est rejeté, pour le surplus, comme non fondé.

5)      La partie requérante est condamnée aux dépens.

 

Azizi

Jaeger

Dehousse

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 avril 2005.


Le greffier

 

       Le président

H. Jung

 

       J. Azizi       


* Langue de procédure : l'allemand.