Language of document : ECLI:EU:T:2005:214

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

9 juin 2005(*)

« Fonctionnaires – Mise en invalidité – Indemnité compensatrice pour congés non pris – Nombre de jours pris en compte pour le calcul de l’indemnité – Raisons non imputables aux nécessités du service »

Dans l’affaire T-80/04,

Jean-Pierre Castets, ancien fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Saint-Victor-des-Oules (France), représenté par Me G. Crétin, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J. Currall et V. Joris, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission fixant le montant de la compensation pour congés annuels non pris par le requérant au moment de la cessation de ses fonctions, dans la mesure où le calcul de la compensation résulte d’un report de congé limité à douze jours par année civile,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de MM. H. Legal, président, P. Mengozzi et Mme I. Wiszniewska-Białecka, juges,

greffier : M. J. Palacio González,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 février 2005,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1       L’article 57, premier alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, dans sa rédaction applicable à la présente espèce (ci-après le « statut »), prévoit que le fonctionnaire a droit, par année civile, à un congé annuel de 24 jours ouvrables au minimum et de 30 jours ouvrables au maximum, conformément à une réglementation à établir d’un commun accord entre les institutions des Communautés après avis du comité du statut.

2       Aux termes de l’article 59, paragraphe 1, premier alinéa, du statut, le fonctionnaire qui justifie être empêché d’exercer ses fonctions par suite de maladie ou d’accident bénéficie de plein droit d’un congé de maladie.

3       L’article 4 de l’annexe V du statut dispose en ses premier et deuxième alinéas :

« Si un fonctionnaire, pour des raisons non imputables aux nécessités du service, n’a pas épuisé son congé annuel avant la fin de l’année civile en cours, le report de congé sur l’année suivante ne peut excéder douze jours.

Si un fonctionnaire n’a pas épuisé son congé annuel au moment de la cessation de ses fonctions, il lui sera versé, à titre de compensation, par jour de congé dont il n’a pas bénéficié, une somme égale au trentième de sa rémunération mensuelle au moment de la cessation de ses fonctions. »

 Faits à l’origine du litige

4       Le requérant est un ancien fonctionnaire de la Commission.

5       Le 28 mars 2003, la commission d’invalidité, saisie par l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») en application de l’article 59, paragraphe 1, quatrième alinéa, du statut, a reconnu que le requérant était atteint d’une invalidité permanente considérée comme totale et le mettant dans l’impossibilité d’exercer des fonctions correspondant à un emploi de sa carrière.

6       Par décision du 10 avril 2003, il a été mis à la retraite et admis au bénéfice d’une pension d’invalidité, fixée conformément aux dispositions de l’article 78, troisième alinéa, du statut, avec effet au 1er mai 2003.

7       Au moment de la cessation de ses fonctions, l’Office de gestion et de liquidation des droits individuels de la Commission a déterminé le nombre de jours de congé annuel non pris par le requérant qui pouvait faire l’objet d’une compensation. Ainsi qu’il ressort de la fiche de rémunération du requérant du mois de juillet 2003, ce service a limité à douze jours le report des 43 jours de congé auxquels le requérant avait droit en 2002 (ci-après la « décision litigieuse »). La compensation correspondante a été versée au requérant au mois de juillet 2003.

8       Le 29 juillet 2003, le requérant a introduit une réclamation contre la décision litigieuse sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut. Il y arguait que, en application de l’article 57 du statut et de l’article 4, premier et deuxième alinéas, de l’annexe V du statut, l’administration ne saurait se référer aux absences du requérant pour cause de maladie, lesquelles ne sont pas contestées, pour lui retirer le bénéfice de son congé annuel ou limiter le nombre de jours de congé non pris qui peuvent être compensés. Le requérant demandait que le montant de la compensation soit recalculé en conséquence.

9       L’AIPN a adopté une décision explicite de rejet de cette réclamation le 9 décembre 2003. La décision a été notifiée au requérant par courrier en date du 19 décembre 2003. Dans cette décision, l’AIPN a relevé, premièrement, que le requérant n’avait pas introduit la demande de report de ses jours de congé, requise par les instructions de service, rappelées dans les Informations administratives n° 66/2002, du 2 août 2002 et, deuxièmement, qu’une maladie prolongée ne constituait pas un motif de report de congé au-delà de la limite de douze jours, conformément à la conclusion des chefs d’administration n° 53A/70, du 9 janvier 1970.

 Procédure et conclusions des parties

10     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 février 2004, le requérant a introduit le présent recours.

11     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

12     Lors de l’audience tenue le 2 février 2005, le Tribunal a constaté l’absence des parties et clos la procédure orale.

13     Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la décision du 9 décembre 2003 par laquelle l’AIPN a rejeté sa réclamation en date du 29 juillet 2003 ;

–       enjoindre à l’Office de gestion et de liquidation des droits individuels de la Commission de recalculer le nombre de jours de congé annuel non pris au jour de sa cessation de fonctions et de régulariser, conformément à l’article 4, deuxième alinéa, de l’annexe V du statut, le paiement des 31 jours de l’année 2002, majoré des intérêts en vigueur ;

–       condamner la Commission aux dépens.

14     La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours comme non fondé ;

–       statuer sur les dépens comme de droit.

 Sur la recevabilité

15     S’agissant du premier chef de conclusions du requérant, il faut rappeler que, selon l’article 91, paragraphe 1, du statut et conformément à une jurisprudence constante, une demande tendant à l’annulation d’une décision de rejet d’une réclamation a pour effet de saisir le juge communautaire de l’acte faisant grief contre lequel ladite réclamation a été présentée (arrêt de la Cour du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, Rec. p. 23, point 8, et arrêt du Tribunal du 23 mars 2004, Theodorakis/Conseil, T‑310/02, non encore publié au Recueil, point 19).

16     En conséquence, bien que la requête soit formellement dirigée contre la décision de rejet de la réclamation du requérant, il convient de la comprendre comme tendant à l’annulation de l’acte faisant grief que constitue la décision litigieuse.

17     S’agissant du deuxième chef de conclusions du requérant, il suffit de relever, que, selon une jurisprudence constante, il n’incombe pas au Tribunal, dans le cadre d’un recours introduit au titre de l’article 91 du statut, d’adresser des injonctions aux institutions communautaires. En effet, en cas d’annulation d’un acte, l’institution concernée est tenue, en vertu de l’article 233 CE, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt (arrêts du Tribunal du 9 juin 1994, X/Commission, T‑94/92, RecFP p. I‑A‑149 et II‑481, point 33, et du 2 mars 2004, Di Marzio/Commission, T‑14/03, non encore publié au Recueil, point 63).

18     Est par conséquent irrecevable le chef de conclusions du requérant visant à ce que le Tribunal enjoigne à l’Office de gestion et de liquidation des droits individuels de la Commission de recalculer le nombre de jours de congé annuel non pris par le requérant au jour de sa cessation de fonctions et de lui payer les 31 jours non pris de l’année 2002, majoré des intérêts en vigueur.

19     Dès lors, seul est recevable le premier chef de conclusions du requérant en ce qu’il tend à l’annulation de la décision litigieuse.

 Sur le fond

20     Le requérant invoque deux moyens à l’appui de son recours. Le premier moyen est tiré d’une erreur d’appréciation portant sur l’obligation du requérant d’introduire une demande de report de ses jours de congé restant à prendre au-delà de douze jours. Le second moyen est tiré d’une violation de l’article 4, premier alinéa, de l’annexe V du statut.

21     Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’examiner d’abord le second moyen qui soulève la question de savoir si l’absence du service pour congé de maladie constitue une raison imputable aux nécessités du service, au sens de l’article 4, premier alinéa, de l’annexe V du statut.

 Arguments des parties

22     Par son second moyen, le requérant soutient qu’il résulte de l’article 4, premier alinéa, de l’annexe V du statut que le fait d’être en congé de maladie pendant une année civile entière constitue une raison imputable aux nécessités du service justifiant le report des jours de congé non pris au-delà de la limite des douze jours prévue par cette disposition. Il soutient que les conclusions des chefs d’administration n° 53A/70, du 9 janvier 1970, et n° 17/78, du 28 avril 1978, sont contraires à la lettre des dispositions du statut et à l’interprétation qu’en a donnée le Tribunal dans sa jurisprudence (arrêts du Tribunal du 26 septembre 1990, Virgili-Schettini/Parlement, T‑139/89, Rec. p. II‑535, publication sommaire, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 5 novembre 1991, Parlement/Virgili-Schettini, C‑348/90 P, Rec. p. I‑5211, et du 10 juillet 1992, Pasetti Bombardella/Parlement, T‑66/91, Rec. p. II‑2111). En particulier, se référant à l’arrêt Virgili-Schettini/Parlement, précité (point 4 du sommaire), il relève que l’administration ne saurait se prévaloir des absences d’un fonctionnaire pour cause de maladie, qui ne sont pas contestées, pour lui retirer le plein bénéfice de son congé annuel. Un agent en congé de maladie ne pourrait conserver le plein bénéfice de son congé annuel s’il n’avait pas la possibilité de reporter la totalité des congés qu’il n’a pas pu prendre du seul fait de sa maladie.

23     Le requérant ajoute que la notion de « nécessités du service », au sens de l’article 4, premier alinéa, de l’annexe V du statut, ne doit pas seulement être entendue comme une surcharge de travail extérieure à l’agent, mais que le terme « service » doit s’analyser comme l’activité de l’agent au service de l’administration.

24     La Commission conteste d’abord l’interprétation de l’article 4, premier alinéa, de l’annexe V du statut qui est effectuée par le requérant. Elle soutient qu’une maladie prolongée, y compris une maladie se prolongeant sur une année civile entière, ne constitue pas un motif de report de congé au-delà de la limite de douze jours fixée par le statut, comme le confirment les conclusions des chefs d’administration n° 53A/70, du 9 janvier 1970, et n° 17/78, du 28 avril 1978. Elle relève que les dispositions statutaires en cause confirment implicitement que la non‑utilisation du congé annuel doit être considérée comme exceptionnelle. Elle souligne que les dispositions ouvrant droit à des prestations financières doivent être interprétées strictement. Pour ces raisons, elle estime qu’il ne convient pas de donner une interprétation large aux termes « nécessités du service ».

25     La Commission constate ensuite que les arrêts cités par le requérant ne sont pas pertinents parce qu’ils ne répondent pas à la question posée en l’espèce, c’est-à-dire celle de savoir si le congé de maladie est une raison imputable aux nécessités du service l’ayant empêché de faire valoir son droit au congé annuel. Elle relève que les termes « nécessités du service » ont, dans tous ces arrêts, été interprétés comme visant des activités professionnelles empêchant le fonctionnaire, par les devoirs de sa charge, de bénéficier du congé annuel auquel il avait droit.

26     Enfin, en réponse à l’argument du requérant selon lequel le terme « service » doit s’analyser comme l’activité de l’agent au service de l’administration, la Commission avance que le sens ordinaire des termes « nécessités du service » s’oppose à ce que soit ainsi qualifiée l’absence pour maladie. Il résulterait des dispositions de l’article 59, paragraphe 1, premier alinéa, du statut que le fonctionnaire absent pour maladie est dispensé d’exercer ses fonctions, et donc d’effectuer une activité au service de l’administration.

 Appréciation du Tribunal

27     Le requérant soutient que le fait d’être en congé de maladie pendant une année civile entière constitue une raison imputable aux nécessités du service justifiant le report des jours de congé non pris au-delà de la limite de douze jours prévue par le statut. Cette interprétation ne saurait être retenue.

28     Il résulte de l’article 4, premier alinéa, de l’annexe V du statut que c’est seulement si un fonctionnaire n’a pas pu épuiser son congé annuel pendant l’année civile en cours pour des raisons imputables aux nécessités du service que le report des jours de congé non pris peut excéder douze jours. De même, c’est uniquement dans la limite des jours de congé annuel qui n’ont pas été pris en raison des nécessités du service que l’article 4, deuxième alinéa, de l’annexe V du statut ouvre au fonctionnaire ayant cessé ses fonctions le bénéfice de l’indemnité compensatoire prévue par cette disposition (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 juillet 1970, Tortora/Commission, 32/69, Rec. p. 593, points 13 et 14).

29     Les termes « nécessités du service » doivent être interprétés comme visant des activités professionnelles empêchant le fonctionnaire, du fait des devoirs de sa charge, de bénéficier du congé annuel auquel il a droit. Ainsi, dans l’arrêt Tortora/Commission, précité, la Cour a jugé que le fonctionnaire en cause n’avait pas droit au bénéfice d’une indemnité compensatoire s’il n’avait pas prouvé avoir été empêché d’achever les tâches qui lui avaient été confiées avant la cessation définitive de ses fonctions. La Cour a notamment relevé qu’aucune mission spécifique ou travail important de longue durée n’avaient été confiés au fonctionnaire en cause au sein de la direction qu’il avait réintégrée avant son départ. Ainsi, aucune obligation de service n’aurait pu l’empêcher d’épuiser ses jours de congé annuel (points 15 à 19).

30     S’il convient d’admettre, avec le requérant, que le terme « service » utilisé dans l’expression « nécessités du service » renvoie à l’« activité de l’agent au service de l’administration », il résulte des dispositions de l’article 59, paragraphe 1, premier alinéa, du statut qu’un fonctionnaire ne bénéficiera d’un congé de maladie que s’il « justifie être empêché d’exercer ses fonctions ». Il en résulte que, lorsqu’un fonctionnaire bénéficie d’un congé de maladie, il est, par définition, dispensé d’exercer ses fonctions et n’est donc pas en service au sens de l’article 4, premier alinéa, de l’annexe V du statut.

31     C’est en vain qu’au soutien de son interprétation le requérant invoque deux arrêts du Tribunal (arrêts Virgili-Schettini/Parlement et Pasetti Bombardella/Parlement, précités). Aucun de ces arrêts ne précise en effet si l’absence du service pour congé de maladie constitue une raison imputable aux nécessités du service. En effet, dans l’arrêt Virgili-Schettini/Parlement, précité (points 28 à 32), le Tribunal a constaté que l’accumulation des jours de congé au profit de la requérante était liée à sa surcharge de travail, et notamment à la préparation des sessions du Parlement. Dans l’arrêt Pasetti Bombardella/Parlement, précité (point 28), le Tribunal a établi qu’il ressortait clairement des pièces du dossier que c’était « en raison de l’accomplissement des tâches qui lui [étaient] confiées » que le requérant n’avait pas été en mesure d’épuiser son congé annuel avant sa mise à la retraite.

32     Enfin, à supposer que, dans des circonstances exceptionnelles, l’obligation de s’abstenir d’exercer des démarches particulières puisse constituer une raison imputable aux nécessités du service au sens de l’article 4, premier alinéa, de l’annexe V du statut, le requérant n’a apporté aucun élément visant à démontrer qu’il se trouvait placé dans de telles circonstances.

33     En conséquence, la notion de « nécessités du service » ne peut être interprétée comme recouvrant l’absence de service justifiée par un congé de maladie, et ce même en cas de maladie prolongée.

34     Au vu des éléments exposés ci-dessus, il convient de rejeter le moyen tiré d’une violation de l’article 4, premier alinéa, de l’annexe V du statut comme non fondé.

35     Il ressort de ce qui précède que l’AIPN ne pouvait légalement tenir compte des jours de congé non pris par le requérant au-delà de douze jours aux fins du calcul de la compensation due à l’occasion de la cessation de ses fonctions. Dans ces conditions, il convient de rejeter le recours sans qu’il soit besoin d’examiner le premier moyen, tiré d’une erreur d’appréciation de l’AIPN portant sur l’obligation du requérant d’introduire une demande de report de ses congés restant à prendre au‑delà de douze jours, ce moyen étant, en tout état de cause, inopérant.

 Sur les dépens

36     Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l’article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Chaque partie supportera ses propres dépens.


Legal

Mengozzi

Wiszniewska-Białecka


Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juin 2005.


Le greffier

 

Le président


H. Jung

 

H. Legal


* Langue de procédure : le français.