Language of document : ECLI:EU:T:2021:580

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

15 septembre 2021 (*)

« Droit institutionnel – Réglementation concernant les frais et indemnités des députés au Parlement – Modification du régime de pension complémentaire volontaire – Avis de fixation des droits à pension complémentaire volontaire – Exception d’illégalité – Compétence du bureau du Parlement – Droits acquis et en cours d’acquisition – Proportionnalité – Égalité de traitement – Sécurité juridique »

Dans les affaires jointes T‑720/19 à T‑725/19,

Richard Ashworth, demeurant à Lingfield (Royaume-Uni), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentés par Mes A. Schmitt et A. Grosjean, avocats,

parties requérantes,

contre

Parlement européen, représenté par M. N. Görlitz, Mmes M. Ecker et S. Seyr, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation des décisions du Parlement contenues dans les avis de fixation des droits à pension complémentaire volontaire des requérants, en ce qu’elles consistent à instaurer, pour les pensions établies après le 1er janvier 2019, un prélèvement spécial de 5 % du montant nominal de la pension, versé directement sur le fonds de pension complémentaire volontaire, en application de la décision du bureau du Parlement européen du 10 décembre 2018 modifiant les mesures d’application du statut des députés au Parlement européen (JO 2018, C 466, p. 8),

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann (rapporteur), président, U. Öberg et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 3 mai 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents des litiges

1        Selon l’article 25, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement européen, intitulé « Fonctions du Bureau », le bureau du Parlement (ci-après le « Bureau ») règle, notamment, les questions financières, organisationnelles et administratives concernant les députés au Parlement.

2        Le 12 juin 1990, le Bureau a adopté la réglementation concernant le régime de pension complémentaire volontaire des députés au Parlement (ci-après la « réglementation du 12 juin 1990 »), figurant à l’annexe VII de la réglementation concernant les frais et indemnités des députés au Parlement (ci-après la « réglementation FID »). Cette réglementation avait pour objectif d’instaurer un régime de pension provisoire en attendant l’adoption d’un statut unique qui leur fût applicable.

3        La réglementation du 12 juin 1990 prévoyait, notamment, ce qui suit :

« Article premier

1. En attendant l’adoption d’un statut unique des députés et indépendamment des droits à pension prévus aux annexes I et II, tout député au Parlement européen qui a cotisé pendant au moins deux ans au régime volontaire de pension a droit, après qu’il a cessé ses fonctions, à compter du premier jour du mois suivant celui au cours duquel il atteint l’âge de 60 ans, à une pension à vie.

[…]

3. Toutes les contributions sont investies dans un fonds de pension créé par les questeurs.

[…] »

4        En application de l’article 1er, paragraphe 3, de l’annexe VII de la réglementation FID, les questeurs du Parlement ont créé un fonds de pension sous la forme d’une association sans but lucratif (ASBL), dans lequel les contributions étaient investies.

5        La décision 2005/684/CE, Euratom du Parlement européen, du 28 septembre 2005, portant adoption du statut des députés au Parlement européen (JO 2005, L 262, p. 1, ci-après le « statut des députés »), est entrée en vigueur le 14 juillet 2009, premier jour de la septième législature. Le statut des députés instaure un régime de pension définitif pour les députés, aux termes duquel ceux-ci ont droit, sans cotisation, à une pension d’ancienneté à l’âge de 63 ans révolus.

6        Le statut des députés prévoit des mesures transitoires applicables au régime de pension complémentaire. L’article 27 dudit statut dispose, à cet égard, ce qui suit :

« 1. Le fonds de pension volontaire institué par le Parlement est maintenu après l’entrée en vigueur du présent statut pour les députés ou les anciens députés qui ont déjà acquis ou sont en train d’acquérir des droits dans ce fonds.

2. Les droits acquis ou en cours d’acquisition sont entièrement maintenus. Le Parlement peut mettre des préalables et des conditions à l’acquisition de nouveaux droits.

3. Les députés qui perçoivent l’indemnité [instaurée par le statut] ne peuvent plus acquérir de nouveaux droits dans le fonds de pension volontaire.

4. Les députés élus pour la première fois au Parlement après l’entrée en vigueur du présent statut ne peuvent pas adhérer au fonds.

[…] »

7        La décision du Bureau du Parlement européen des 19 mai et 9 juillet 2008 portant mesures d’application du statut des députés au Parlement européen (JO 2009, C 159, p. 1, ci-après les « mesures d’application ») est entrée en vigueur, en vertu de son article 73, le jour de l’entrée en vigueur du statut des députés, à savoir le 14 juillet 2009.

8        L’article 74 des mesures d’application dispose que, sous réserve des dispositions transitoires prévues à leur titre IV, la réglementation FID expire le jour de l’entrée en vigueur du statut des députés.

9        L’article 76 des mesures d’application, intitulé « Pension complémentaire », dispose ce qui suit :

« 1.      La pension de retraite complémentaire (volontaire) attribuée en vertu de l’annexe VII de la réglementation FID continue d’être versée en application de cette annexe aux personnes qui ont bénéficié de cette pension avant la date d’entrée en vigueur du statut.

2.      Les droits à pension acquis jusqu’à la date d’entrée en vigueur du statut en application de l’annexe VII précitée restent acquis. Ils sont honorés dans les conditions prévues par cette annexe.

3.      Peuvent continuer à acquérir de nouveaux droits après la date d’entrée en vigueur du statut, et conformément à l’annexe VII précitée, les députés élus en 2009 :

a)      qui étaient députés sous une précédente législature ; et

b)      qui ont déjà acquis ou étaient en train d’acquérir des droits dans le régime de pension complémentaire ; et

c)      pour lesquels l’État membre d’élection a arrêté une réglementation dérogatoire, conformément à l’article 29 du statut, ou qui, conformément à l’article 25 du statut, ont opté eux-mêmes en faveur du régime national ; et

d)      qui n’ont pas droit à une pension nationale ou européenne découlant de l’exercice de leur mandat de députés européens.

4.      Les contributions au fonds de pension complémentaire à charge des députés sont versées à partir de leurs fonds privés. »

10      Le 9 mars 2009, à la suite de la constatation d’une détérioration de la situation financière du fonds de pension complémentaire, le Bureau a décidé ce qui suit :

« […] constituer un groupe de travail [...] pour rencontrer des représentants du conseil d’administration du fonds de pension afin d’évaluer la situation ;

[…] avec effet immédiat, […] à titre de mesure conservatoire et de précaution, la possibilité d’appliquer les articles 3 et 4 de l’annexe VII de la réglementation FID est suspendue ;

[…] ces mesures de précaution seront réexaminées par le Bureau au cours d’une prochaine réunion, à la lumière des faits établis et des résultats des contacts et constatations du groupe de travail ».

11      Le 1er avril 2009, le Bureau a décidé de modifier la réglementation du 12 juin 1990. Les modifications comprennent, notamment, les mesures suivantes :

–        l’augmentation avec effet au premier jour de la septième législature – à savoir le 14 juillet 2009 – de l’âge de la retraite de 60 à 63 ans (article 1er de la réglementation du 12 juin 1990) ;

–        l’abrogation avec effet immédiat de la possibilité de versement d’une partie des droits à pension sous forme d’un capital (article 3 de la réglementation du 12 juin 1990) ;

–        l’abrogation avec effet immédiat de la possibilité de retraite anticipée à partir de l’âge de 50 ans (article 4 de la réglementation du 12 juin 1990).

12      Des recours ont été introduits en 2009 par plusieurs députés au Parlement, affiliés au régime de pension complémentaire, ainsi que par l’ASBL ayant pour objet l’annulation des décisions du Bureau des 9 mars et 1er avril 2009, portant modification de la réglementation du 12 juin 1990. Ces recours ont été rejetés par le Tribunal comme irrecevables par l’ordonnance du 15 décembre 2010, Albertini e.a. et Donnelly/Parlement (T‑219/09 et T‑326/09, EU:T:2010:519), ou au fond par les arrêts du 18 octobre 2011, Purvis/Parlement (T‑439/09, EU:T:2011:600), et du 13 mars 2013, Inglewood e.a./Parlement (T‑229/11 et T‑276/11, EU:T:2013:127). Ce dernier arrêt a été confirmé par la Cour par l’ordonnance du 3 avril 2014, Inglewood e.a./Parlement (C‑281/13 P, non publiée, EU:C:2014:227).

13      Le 10 décembre 2018, considérant que, au vu des comptes du fonds de pension complémentaire volontaire, il était nécessaire de prendre « un certain nombre de mesures inévitables sur le plan économique afin d’améliorer la viabilité du fonds de pension complémentaire volontaire, de remédier au problème croissant de liquidité et de réduire le déficit actuariel ainsi que les conséquences négatives pour le contribuable européen », le Bureau a adopté la décision modifiant les mesures d’application (JO 2018, C 466, p. 8, ci-après la « décision du 10 décembre 2018 »).

14      Il résulte de l’article 1er, point 7, de la décision du 10 décembre 2018, applicable à partir du 1er janvier 2019, que l’âge de la retraite pour les bénéficiaires du régime de pension complémentaire volontaire a été relevé de 63 à 65 ans et qu’un prélèvement de 5 % a été instauré sur tous les paiements de pension pour les pensions exigibles après le 1er janvier 2019.

15      Les considérants 5 et 6 de la décision du 10 décembre 2018 énoncent ce qui suit :

« (5)      Au vu des comptes du fonds de pension complémentaire (volontaire), il est nécessaire de prendre un certain nombre de mesures inévitables sur le plan économique afin d’améliorer la viabilité du fonds de pension complémentaire (volontaire), de remédier au problème croissant de liquidité et de réduire le déficit actuariel ainsi que les conséquences négatives pour le contribuable européen.

(6)      À cette fin et en vue de respecter les droits acquis des bénéficiaires recevant déjà une pension, il convient de modifier comme suit les modalités des pensions complémentaires pour les bénéficiaires qui ne remplissent pas, au 1er janvier 2019, toutes les conditions pour recevoir une pension : l’âge de la retraite pour les bénéficiaires du régime de pension complémentaire (volontaire) devrait être relevé de l’âge actuel de 63 ans à 65 ans et un prélèvement de 5 % devrait être instauré sur tous les paiements de pension pour les pensions établies après le 1er janvier 2019. Ces mesures constituent les mesures les moins importunes possible pour les personnes concernées[.] »

16      Le 17 décembre 2018, le président du conseil d’administration de l’ASBL a adressé un courrier au président du Conseil européen dans lequel il a contesté notamment la compétence du Bureau pour adopter la décision du 10 décembre 2018. Le 18 décembre 2018, il a envoyé un courrier au président du Parlement dans lequel il a indiqué que, à cette date, aucune présentation des propositions de modifications des règles par le secrétaire général du Bureau n’avait été faite et aucun procès-verbal de la réunion du Bureau n’était encore disponible. Dans les courriers susmentionnés, le président du conseil d’administration de l’ABSL a fait également référence à l’existence du ou des avis juridiques que le service juridique du Parlement aurait dû formuler avant l’adoption de la décision du 10 décembre 2018.

17      Les requérants, M. Richard Ashworth et les autres personnes physiques dont les noms figurent en annexe, sont d’anciens membres du Parlement qui ont adhéré au régime de pension complémentaire prévu dans l’annexe VII de la réglementation FID. En particulier, dans l’affaire T‑720/19, M. Ashworth a cotisé au régime de pension complémentaire volontaire pour une période de cinq ans, à savoir du 1er août 2004 au 31 juillet 2009. Dans l’affaire T‑721/19, M. Paul Rübig a cotisé au régime de pension complémentaire durant treize ans et six mois, à savoir du 1er février 1996 au 31 juillet 2009. Dans l’affaire T‑722/19, Mme Françoise Grossetête a cotisé au régime de pension complémentaire volontaire pour une période de quinze ans, à savoir du 1er août 1994 au 31 juillet 2009. Dans l’affaire T‑723/19, M. Agustin Díaz de Mera García Consuegra a cotisé au régime de pension complémentaire volontaire pour une période de cinq ans, à savoir entre le 1er août 2004 et le 31 juillet 2009. Dans l’affaire T‑724/19, Mme Pilar Ayuso a cotisé au régime de pension complémentaire volontaire durant dix ans, à savoir du 1er août 1999 au 31 juillet 2009. Dans l’affaire T‑725/19, M. Luis de Grandes Pascual a cotisé au régime de pension complémentaire volontaire pour une période de cinq ans, à savoir du 1er août 2004 au 31 juillet 2009.

18      Le droit à pension dans chacune des affaires est devenu exigible le 1er août 2019.

19      À la suite de la décision du 10 décembre 2018, l’unité « Rémunération et droits sociaux des députés » de la direction générale des finances du Parlement a fait parvenir à chacun des requérants leur avis de fixation des droits à la pension complémentaire volontaire mentionnant une retenue de 5 % effectuée sur le montant total de la pension mensuelle.

20      Il ressort des avis de fixation des droits à la pension complémentaire volontaire des requérants que ces droits ont subi à compter du mois d’août 2019 une déduction d’un montant mensuel de 79,62 euros en ce qui concerne M. Ashworth, dans l’affaire T‑720/19, d’un montant mensuel de 214,96 euros en ce qui concerne M. Rübig, dans l’affaire T‑721/19, d’un montant mensuel de 238,85 euros en ce qui concerne Mme Grossetête, dans l’affaire T‑722/19, d’un montant mensuel de 79,62 euros en ce qui concerne M. Díaz de Mera García Consuegra, dans l’affaire T‑723/19, d’un montant mensuel de 159,23 euros en ce qui concerne Mme Ayuso, dans l’affaire T‑724/19, et d’un montant mensuel de 79,62 euros par mois en ce qui concerne M. de Grandes Pascual, dans l’affaire T‑725/19.

21      Les 19 et 28 février 2019, les requérants ainsi que d’autres députés ou anciens députés affiliés au régime de pension complémentaire volontaire des députés au Parlement ont introduit des recours en annulation contre la décision du 10 décembre 2018. Ces recours ont été rejetés comme irrecevables, au motif que les requérants ont été jugés comme n’étant pas individuellement concernés au sens de l’article 263 TFUE (ordonnance du 7 octobre 2019, Garriga Polledo e.a./Parlement, T‑102/19 et T‑132/19, non publiée, EU:T:2019:742).

 Procédures et conclusions des parties

22      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 18 octobre 2019, les requérants ont introduit les présents recours.

23      Par demandes déposées au greffe du Tribunal le 14 novembre 2019, les requérants ont demandé la jonction des présents recours aux fins de la phase écrite de la procédure, de son éventuelle phase orale et de la décision mettant fin à l’instance. Le 12 décembre 2019, le Parlement s’est déclaré favorable à cette jonction. Par décision du président de chambre du 23 décembre 2019, les présents recours ont été joints aux fins de la phase écrite et de l’éventuelle phase orale de la procédure.

24      Le Parlement a déposé un mémoire en défense au greffe du Tribunal le 14 février 2020. Le 25 mai 2020, les requérants ont déposé une réplique. Le 24 août 2020, le Parlement a déposé une duplique.

25      Les requérants concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer leurs recours respectifs recevables ;

–        annuler les décisions contenues dans chacun de leurs avis de fixation des droits à la pension complémentaire (ci-après les « décisions attaquées ») en ce qu’elles mettent en œuvre le prélèvement spécial de 5 % sur le montant nominal de leurs pensions complémentaires volontaires respectives ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

26      Le Parlement conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

27      Il convient de joindre les présentes affaires aux fins de la décision mettant fin à l’instance, conformément à l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, les parties ayant été entendues sur ce point.

28      À l’appui de leurs recours, les requérants font valoir que les décisions individuelles attaquées sont fondées sur la décision du 10 décembre 2018, dont ils excipent de l’illégalité en invoquant cinq moyens, tirés, le premier, de l’incompétence du Bureau, le deuxième, de la violation des formes substantielles, la troisième, de la violation des droits acquis et en cours d’acquisition et du principe de protection de la confiance légitime, le quatrième, de la violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement et de non-discrimination et, le cinquième, de la violation du principe de sécurité juridique.

29      Il convient de relever que le contenu décisionnel des décisions attaquées est déterminé par la décision du 10 décembre 2018. Par conséquent, il ne pourra être fait droit aux recours que dans l’hypothèse où l’exception d’illégalité de cette décision serait fondée.

 Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence du Bureau

30      Les requérants font valoir, en substance, deux griefs. Le premier est tiré de l’incompétence du Bureau pour adopter la décision du 10 décembre 2018, dès lors que les modifications introduites relèveraient de la compétence législative et impliqueraient de modifier le statut des députés. Le second grief est tiré de la qualification fiscale du prélèvement, qui aurait donc dû être décidé à l’unanimité au sein du Conseil de l’Union européenne.

 Sur le premier grief, tiré de l’incompétence du Bureau pour adopter la décision du 10 décembre 2018

31      Les requérants font valoir que, en tant qu’autorité administrative, le Bureau devait agir dans le cadre prescrit par le statut des députés, qui est un acte législatif adopté selon l’article 223 TFUE. Or, par la décision du 10 décembre 2018, qui modifie les mesures d’application, le Bureau aurait violé l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés, selon lequel « [l]es droits acquis ou en cours d’acquisition sont entièrement maintenus », en réduisant sa portée, sans que la procédure législative applicable pour une telle modification ait été respectée. Ils contestent l’interprétation que le Parlement fait de l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés et soutiennent que cette disposition protège les députés de tout prélèvement arbitrairement décidé par le Bureau pouvant affecter les droits acquis ou en cours d’acquisition tels qu’ils existaient lors de l’entrée en vigueur dudit statut le 14 juillet 2009. Ils invoquent le principe du respect de la hiérarchie des normes et concluent que le Bureau n’avait pas compétence pour modifier, par le biais de mesures d’application, le principe du respect des droits acquis et en cours d’acquisition, sans que l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés ait été préalablement modifié.

32      Le Parlement conteste cette argumentation.

33      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés, entré en vigueur le 14 juillet 2009, prévoit que les droits acquis ou en cours d’acquisition sont entièrement maintenus et que le Parlement peut mettre des préalables et des conditions à l’acquisition de nouveaux droits.

34      L’article 25, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement prévoit que le Bureau règle les questions financières, organisationnelles et administratives concernant les députés sur proposition du secrétaire général de cette institution ou d’un groupe politique. Cette disposition attribue donc une compétence générale au Bureau, notamment, en matière de questions financières concernant les députés. Elle constitue ainsi la base sur laquelle celui-ci peut se fonder pour adopter, sur proposition du secrétaire général du Parlement ou d’un groupe politique, la réglementation concernant lesdites questions (arrêt du 28 novembre 2018, Le Pen/Parlement, T‑161/17, non publié, EU:T:2018:848, point 38).

35      Il y a lieu de rappeler que la décision du 10 décembre 2018 modifie les mesures d’application concernant notamment certaines conditions du régime de pension complémentaire, initialement établies dans l’annexe VII de la réglementation FID. En particulier, cette décision a pour objet de modifier l’âge donnant droit à la pension complémentaire volontaire des députés au Parlement ainsi que d’instaurer un prélèvement de 5 % sur tous les paiements de pension pour les pensions exigibles après le 1er janvier 2019.

36      Or, il a déjà été jugé que la modification du régime de pension complémentaire doit être considérée comme une mesure d’organisation interne destinée à assurer le bon fonctionnement du Parlement (arrêt du 18 octobre 2011, Purvis/Parlement, T‑439/09, EU:T:2011:600, point 64). Le fait que le statut des députés n’était pas encore applicable dans le contexte de cet arrêt ne modifie pas le constat selon lequel la modification du régime de pension complémentaire constitue une mesure relative aux questions financières concernant les députés. Comme le souligne le Parlement, les conditions de paiement des pensions complémentaires figurent non pas dans le statut des députés, dont l’article 27 se limite à renvoyer à la compétence du Parlement pour la fixation de conditions à l’acquisition de nouveaux droits, mais dans l’article 76 des mesures d’application.

37       Il y a donc lieu de considérer que la décision du 10 décembre 2018, modifiant l’âge donnant droit à la pension complémentaire volontaire des députés et instaurant un prélèvement de 5 %, règle des questions financières concernant les députés au sens de l’article 25, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement.

38      Il s’ensuit que le Bureau avait compétence pour adopter une telle décision et que, partant, le premier grief des requérants doit être écarté.

39      Les courriers du président du conseil d’administration de l’ASBL adressés, le 17 et le 18 décembre 2018, respectivement, au président du Conseil européen ainsi qu’au président du Parlement ne constituent que l’expression de l’opinion de leur auteur et ne sont pas de nature à modifier cette conclusion.

40      Pour autant que les requérants soutiennent que la décision du 10 décembre 2018 enfreint l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés, au motif que le principe du respect des droits acquis et en cours d’acquisition aurait été violé, force est de constater que cet argument rejoint le troisième moyen et sera examiné dans ce cadre.

 Sur le second grief, tiré de la qualification fiscale du prélèvement en cause

41      Les requérants soutiennent que la décision du 10 décembre 2018 instaure un prélèvement spécial de 5 % du montant nominal de la pension qui doit être considéré comme un impôt et aurait donc dû être adoptée à l’unanimité au sein du Conseil conformément à l’article 223, paragraphe 2, TFUE. Ils invoquent à cet égard l’arrêt du 3 juillet 1985, Abrias e.a./Commission (3/83, EU:C:1985:283), dans lequel un prélèvement de crise exceptionnelle appliqué aux salaires et aux retraites des fonctionnaires de l’Union, institué par le Conseil, a été considéré comme une taxe. Dans ce contexte, les requérants mentionnent que différents courriers ont mis en doute la compétence du Bureau, et notamment des courriers du président du conseil d’administration de l’ASBL adressés, le 17 et le 18 décembre 2018, respectivement, au président du Conseil européen ainsi qu’au président du Parlement, évoquant notamment deux avis du service juridique du Parlement, dont ils demandent la production.

42      Le Parlement conteste cette argumentation.

43      Il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour, le critère de l’affectation du produit du prélèvement est un critère de distinction pertinent entre un impôt et une cotisation sociale. La Cour a ainsi indiqué qu’il convenait de distinguer entre un impôt destiné à pourvoir aux charges générales des pouvoirs publics et une cotisation affectée au financement d’un système de sécurité sociale, même si la perception d’une telle cotisation se fait dans des formes empruntées à la perception des redevances fiscales (arrêt du 25 février 1969, Klomp, 23/68, EU:C:1969:6, point 20).

44      La Cour a également jugé que l’article 3 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés, qui prévoit l’exonération des Communautés de tous impôts directs et la remise ou le remboursement par les États membres des droits indirects et des taxes à la vente entrant dans le prix des achats importants effectués par les Communautés pour leur usage officiel, doit être interprété en ce sens que des prélèvements obligatoires tels que des suppléments de primes d’assurance automobile destinés à contribuer au financement d’organismes d’intérêt public relèvent de son champ d’application, dans la mesure où ces suppléments s’appliquent à tous les souscripteurs, y compris à ceux qui ne relèvent à aucun titre des organismes qui en sont bénéficiaires, et sont donc dus indépendamment de la qualité d’assujetti ou d’adhérent à ces organismes (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 1996, AGF Belgium, C‑191/94, EU:C:1996:144, points 16 et 17). Dans ce contexte, les suppléments de primes en cause, dus indépendamment de la qualité d’assujetti ou d’adhérent à ces organismes, ont donc été considérés comme des contributions obligatoires au profit d’organismes d’intérêt public plutôt que comme des cotisations sociales.

45      Dans le contexte du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO 1971, L 149, p. 2), tel que modifié et mis à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, et du règlement (CEE) no 574/72 fixant les modalités d'application du règlement no 1408/71 (JO 1997, L 28, p. 1), la Cour a été saisie de la qualification de la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) en France et a conclu que, aux fins de l’application du règlement no 1408/71, le critère déterminant était celui de l’affectation spécifique d’une contribution au financement du régime de sécurité sociale d’un État membre. La CSG et la CRDS étant affectées spécifiquement au financement de différentes branches de la sécurité sociale en France, elles entraient à ce titre dans le champ d’application du règlement no 1408/71. Contrairement aux prélèvements destinés à pourvoir aux charges générales des pouvoirs publics, ces contributions avaient pour objet spécifique et direct de financer la sécurité sociale en France ou d’apurer les déficits du régime général de sécurité sociale français. Le fait que le paiement de la CRDS n’ouvrait droit à aucune contrepartie directe et identifiable en termes de prestations et qu’elle était en partie destinée à apurer une dette du régime de sécurité sociale occasionnée par le financement de prestations servies dans le passé n’avait pas d’incidence (voir, en ce sens, arrêt du 15 février 2000, Commission/France, C‑34/98, EU:C:2000:84, point 39).

46      L’existence ou l’absence de contreparties en termes de prestations est donc indifférente à cet égard (voir arrêt du 26 mai 2005, Allard, C‑249/04, EU:C:2005:329, point 16 et jurisprudence citée).

47      Il ressort ainsi de la jurisprudence que, pour qualifier un prélèvement d’impôt ou de cotisation sociale, sont pertinents, d’une part, le critère tenant au champ d’application des personnes redevables du prélèvement en cause et, d’autre part, le critère de l’affectation dudit prélèvement.

48      En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que, d’une part, le prélèvement de 5 % introduit par la décision du 10 décembre 2018 est perçu uniquement sur les pensions des députés affiliés au régime de pension complémentaire. D’autre part, il est versé directement au fonds de pension, qui est un organisme de droit privé et ne bénéficie qu’aux députés affiliés au régime de pension complémentaire et à leurs ayants droit. Comme cela est admis par les requérants, ce prélèvement n’est ainsi pas inscrit en recette au budget général de l’Union.

49      Dès lors, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le prélèvement de 5 % en cause n’est pas général, puisqu’il ne s’applique pas à tous les citoyens, ni même à tous les députés, mais uniquement aux députés qui ont souscrit au régime de pension complémentaire volontaire. Une telle caractéristique, ajoutée au fait que son produit est affecté au fonds de pension, est de nature à le qualifier de cotisation sociale et non d’impôt.

50      Les requérants invoquent l’arrêt du 3 juillet 1985, Abrias e.a./Commission (3/83, EU:C:1985:283), dans lequel il était question de la légalité d’une modification du statut des fonctionnaires de l’Union, opérée par le règlement (Euratom, CECA, CEE) no 3821/81 du Conseil, du 15 décembre 1981, modifiant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés (JO 1981, L 386, p. 1), instituant un prélèvement exceptionnel de crise, que la Commission aurait considéré comme une « taxe ». Toutefois, outre que la qualification d’une imposition, d’une taxe, d’un droit ou d’un prélèvement au regard du droit de l’Union s’effectue en fonction des caractéristiques objectives de l’imposition, indépendamment de la qualification donnée (voir, par analogie, arrêt du 14 janvier 2016, Commission/Belgique, C‑163/14, EU:C:2016:4, point 30 et jurisprudence citée), force est de constater que, comme le soutient le Parlement, la nature juridique du prélèvement en cause dans l’arrêt du 3 juillet 1985, Abrias e.a./Commission (3/83, EU:C:1985:283), n’a pas été analysée en tant que telle. De plus, le produit de ce prélèvement était affecté au budget général de l’Union, contrairement au prélèvement de 5 % introduit par la décision du 10 décembre 2018, affecté au fonds de pension. L’argument tiré de l’arrêt du 3 juillet 1985, Abrias e.a./Commission (3/83, EU:C:1985:283), doit donc être rejeté.

51      Il s’ensuit que le prélèvement de 5 % introduit par la décision du 10 décembre 2018 ne saurait être considéré comme un impôt ou comme une mesure relative au régime fiscal des députés, relevant de l’unanimité au sein du Conseil, au sens de l’article 223, paragraphe 2, TFUE.

52      Le second grief doit donc être rejeté, sans qu’il soit besoin de faire droit à la demande de production des deux avis du service juridique du Parlement.

53      Partant, le premier moyen doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des formes substantielles

54      Les requérants soutiennent que la décision du 10 décembre 2018 est insuffisamment motivée. En particulier, ils considèrent que les motifs tirés de l’amélioration de la viabilité du fonds de pension complémentaire et de la réduction du déficit actuariel, invoqués au considérant 5 de la décision du 10 décembre 2018, ne sont pas pertinents pour justifier l’instauration du prélèvement spécial de 5 %. Les requérants se réfèrent à ce titre aux débats sur les effets des mesures adoptées par la décision du 10 décembre 2018 et qui concernaient la viabilité du fonds, tels qu’ils ressortent du procès-verbal de la réunion du Bureau du 10 décembre 2018.

55      Le Parlement conteste cette argumentation.

56      Il y a lieu de relever que la décision du 10 décembre 2018 a une portée générale et, dès lors, un caractère réglementaire, puisqu’elle s’applique à la généralité des parlementaires affiliés au régime de pension complémentaire (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 mars 2013, Inglewood e.a./Parlement, T‑229/11 et T‑276/11, EU:T:2013:127, point 32). À cet égard, selon une jurisprudence constante, la motivation des actes de portée générale peut se borner à indiquer la situation d’ensemble qui a conduit à leur adoption et les objectifs généraux que le législateur se propose d’atteindre, sans qu’il soit besoin d’une motivation spécifique à l’appui de tous les détails que peuvent comporter de tels actes (voir arrêt du 13 décembre 2018, Schubert e.a./Commission, T‑530/16, non publié, EU:T:2018:956, point 72 et jurisprudence citée). En outre, selon la jurisprudence, si un acte de portée générale fait ressortir l’essentiel de l’objectif poursuivi par l’institution, il serait excessif d’exiger une motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés (arrêt du 13 novembre 2014, Espagne/Commission, T‑481/11, EU:T:2014:945, point 109).

57      Par ailleurs, le respect de l’obligation de motivation doit être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de la personne concernée, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise (arrêt du 19 novembre 2013, Commission/Conseil, C‑63/12, EU:C:2013:752, point 99).

58      En l’espèce, ainsi qu’il ressort des considérants 5 et 6 de la décision du 10 décembre 2018, le Bureau s’est référé à la situation d’ensemble qui avait conduit à l’adoption de la décision en cause ainsi qu’aux objectifs légitimes poursuivis par celle-ci. Plus précisément, au considérant 5 de cette décision, le Bureau a explicitement indiqué qu’il avait été amené à adopter les mesures concernées en raison de la détérioration de l’état des comptes du fonds de retraite complémentaire volontaire. De plus, il a cité les objectifs visés par ces mesures, à savoir l’amélioration de la viabilité dudit fonds, la gestion du problème croissant de liquidité, la réduction du déficit actuariel ainsi que des conséquences négatives pour le contribuable de l’Union.

59      Par ailleurs, au considérant 6 de la décision du 10 décembre 2018, le Bureau a indiqué que, à cette fin et en vue de respecter les droits acquis des bénéficiaires recevant déjà une pension, il convenait, pour les bénéficiaires qui ne remplissaient pas, au 1er janvier 2019, toutes les conditions pour recevoir une pension, de relever l’âge de la retraite de 63 à 65 ans et d’instaurer un prélèvement de 5 % sur tous les paiements de pension pour les pensions exigibles après le 1er janvier 2019, tout en notant que ces mesures constituaient les mesures les moins importunes possible pour les personnes concernées.

60      En outre, en ce qui concerne le contexte de l’adoption de la décision du 10 décembre 2018, et ainsi qu’il est à juste titre mis en avant par le Parlement, les requérants ne pouvaient pas ignorer le fait que ce dernier était depuis des années à la recherche de solutions dans le but d’améliorer la situation financière du fonds. À cet égard, il convient de relever que des mesures qui avaient précédemment été adoptées par le Parlement, en raison de la situation économique du fonds de pension, et comportant le relèvement de l’âge de la retraite et l’abrogation de la possibilité de paiement sous forme de capital et de retraite anticipée ont été attaquées devant le Tribunal dans les affaires ayant donné lieu à l’ordonnance du 15 décembre 2010, Albertini e.a. et Donnelly/Parlement (T‑219/09 et T‑326/09, EU:T:2010:519), et aux arrêts du 18 octobre 2011, Purvis/Parlement (T‑439/09, EU:T:2011:600), et du 13 mars 2013, Inglewood e.a./Parlement (T‑229/11 et T‑276/11, EU:T:2013:127).

61      Au vu de ce qui précède, le deuxième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation des droits acquis et en cours d’acquisition ainsi que du principe de protection de la confiance légitime

62      Les requérants font valoir, dans une première branche, que la décision du 10 décembre 2018 fait preuve d’une conception très étroite et restrictive de leurs droits acquis et en cours d’acquisition. Ils relèvent que les droits en cours d’acquisition ont été « sacrifiés », alors que l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés énonce clairement et explicitement que « [l]es droits acquis ou en cours d’acquisition sont entièrement maintenus ». Ils allèguent, dans une seconde branche, que le principe de protection de la confiance légitime a été enfreint.

63      Le Parlement conteste cette argumentation.

 Sur la première branche du troisième moyen, tirée du non-respect des droits acquis et des droits en cours d’acquisition, en violation de l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés

64      Il y a lieu de relever que la question portant sur la violation des droits acquis et des droits en cours d’acquisition, d’une part, et celle afférente à la violation de l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés, d’autre part, sont étroitement liées. Il convient donc de les examiner ensemble.

65      Les parties procèdent à une lecture divergente de la portée de l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés. En particulier, les requérants soutiennent, en substance, que l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés impose une interdiction absolue d’apporter des modifications aux modalités du régime de pension complémentaire. En d’autres termes, selon les requérants, ladite disposition a non seulement délimité les groupes de députés qui pouvaient toujours être affiliés au régime de pension complémentaire, mais, de surcroît, a figé pour l’avenir les règles matérielles du régime de pension complémentaire au moment de l’entrée en vigueur du statut des députés.

66      Pour sa part, le Parlement estime, en substance, que l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés ne saurait être interprété comme une règle matérielle définissant des conditions d’octroi de la pension complémentaire, dès lors qu’il ne s’agit que d’une disposition fonctionnelle ayant comme seul but le maintien du régime de pension complémentaire en parallèle avec le nouveau système de pension statutaire.

67      En premier lieu, il convient d’examiner si l’approche des requérants sur la portée de l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés, à savoir que les règles matérielles du régime de pension complémentaire ont été figées au moment de l’entrée en vigueur du statut des députés, se concilie avec la jurisprudence de la Cour sur les notions de « droits acquis » et de « droits en cours d’acquisition ».

68      Il y a lieu de rappeler qu’il est de principe que les lois modificatives d’une disposition législative s’appliquent, sauf dérogation, aux effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi ancienne. Il n’en va autrement que pour les situations nées et définitivement réalisées sous l’empire de la règle précédente, qui créent des droits acquis. Un droit est considéré comme acquis lorsque le fait générateur de celui-ci s’est produit avant la modification législative. Toutefois, tel n’est pas le cas d’un droit dont le fait constitutif ne s’est pas réalisé sous l’empire de la législation qui a été modifiée (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2008, Centeno Mediavilla e.a./Commission, C‑443/07 P, EU:C:2008:767, points 61 à 63 et jurisprudence citée).

69      Il a, de même, été jugé qu’il ne serait possible de se prévaloir d’un droit acquis que si le fait générateur de ce droit s’est produit sous l’empire d’une réglementation antérieure à la modification qui a été apportée à ce régime (voir arrêt du 18 octobre 2011, Purvis/Parlement, T‑439/09, EU:T:2011:600, point 44 et jurisprudence citée).

70      Il ressort de ce qui précède que, dans le cas d’espèce, relatif au régime de pension complémentaire volontaire des membres du Parlement, aucun droit à cette pension ne peut être considéré comme acquis à moins que le fait générateur dudit droit ne se soit produit sous l’empire d’un statut déterminé, antérieur à la modification décidée.

71      S’agissant des droits en cours d’acquisition, cette notion a été abordée par la Cour dans le cadre du droit social de l’Union et, tout particulièrement, dans le contexte de l’interprétation de la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO 2008, L 283, p. 36). En particulier, dans l’arrêt du 24 novembre 2016, Webb-Sämann (C‑454/15, EU:C:2016:891), la Cour a été amenée à se prononcer sur la portée de l’article 8 de ladite directive, prévoyant que les États membres se trouvent dans l’obligation d’appliquer les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs en ce qui concerne les droits acquis, ou les droits en cours d’acquisition, à des prestations de vieillesse. La Cour a admis, en substance, que, dans la mesure où un État membre remplissait l’obligation de garantie d’un niveau minimal de protection par l’article 8 de la directive 2008/94, les droits à pension de la partie requérante pouvaient être réduits en raison de l’insolvabilité de l’employeur (voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2016, Webb-Sämann, C‑454/15, EU:C:2016:891, points 33 à 37).

72      Il ressort de cette jurisprudence qu’il est possible, sous certaines conditions, de modifier des droits en cours d’acquisition à la suite d’une mise en balance des intérêts en cause.

73      Certes, comme l’indiquent les requérants, l’arrêt du 24 novembre 2016, Webb-Sämann (C‑454/15, EU:C:2016:891), concerne la protection des droits à des prestations de vieillesse des travailleurs salariés au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnelle en cas d’insolvabilité de l’employeur. Toutefois, il n’en demeure pas moins que les principes énoncés par la Cour dans cet arrêt demeurent pertinents et applicables en l’espèce. Il en découle, en effet, que des nécessités de nature économique, à savoir l’insolvabilité de l’employeur dans le cadre dudit arrêt, et l’intérêt public de garantir la viabilité du fonds de pension complémentaire dans le cas d’espèce peuvent justifier la modification des modalités d’acquisition du droit à la pension complémentaire.

74      Les requérants invoquent l’arrêt du 16 juillet 2009, Gómez-Limón Sánchez-Camacho (C‑537/07, EU:C:2009:462), concernant l’accord-cadre sur le congé parental, conclu le 14 décembre 1995, qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES (JO 1996, L 145, p. 4). Selon eux, la Cour a considéré que ledit accord-cadre couvrait tous les droits et avantages, en espèces ou en nature, dérivés directement ou indirectement de la relation de travail, auxquels le travailleur pouvait prétendre à l’égard de l’employeur à la date du début du congé parental. Plus précisément, dans l’arrêt du 16 juillet 2009, Gómez-Limón Sánchez-Camacho (C‑537/07, EU:C:2009:462), la Cour aurait jugé que les employeurs devaient reconnaître tous les droits déjà acquis et ceux en cours d’acquisition au début du congé parental et devaient garantir que, à l’issue du congé, les employés pourraient continuer à acquérir des droits comme si ce congé n’avait pas eu lieu, y compris ceux issus de toutes les modifications intervenues entre-temps.

75      Toutefois, cette jurisprudence n’est pas transposable en tant que telle dans le cas d’espèce, dès lors qu’elle ne concerne que l’incidence d’un événement, à savoir la prise du congé parental, sur l’étendue des droits acquis ou des droits en cours d’acquisition.

76      Par conséquent, au regard de la jurisprudence sur les droits acquis et les droits en cours d’acquisition, la thèse des requérants, à savoir que l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés a eu comme conséquence de figer les règles matérielles du régime de pension complémentaire, ne saurait être retenue. En effet, accepter cette interprétation de ladite disposition équivaudrait, contrairement à ce qui est prévu par la jurisprudence, à reconnaître qu’il serait impossible pour l’administration de modifier les conditions matérielles d’acquisition des droits à la pension complémentaire pour les membres du Parlement dont les droits sont en cours d’acquisition, c’est-à-dire pour lesquels le fait générateur ne s’était pas encore produit au moment de l’entrée en vigueur du statut des députés.

77      En second lieu, dans le cas d’espèce et au vu de la conclusion tirée au point 76 ci-dessus, il y a lieu de relever que, contrairement à ce qui est allégué par les requérants, il ressort tant du contenu que de la structure de l’article 27 du statut des députés que l’objectif du législateur était de définir, au moyen de l’article 27 du statut des députés, les groupes de députés qui seraient éligibles à l’acquisition des droits à la pension complémentaire tout en laissant au Bureau la compétence pour définir et modifier les règles matérielles du régime des pensions.

78      Premièrement, il convient de noter qu’une interprétation littérale de la phrase « les droits acquis et droits en cours d’acquisition sont entièrement maintenus », figurant dans l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés, ne permet pas de conclure, en tant que telle et sans recourir à une interprétation contextuelle, que le législateur ait voulu figer les conditions d’acquisition des droits à la pension complémentaire pour l’avenir. En effet, bien que l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés se réfère au maintien des droits acquis ou de ceux en cours d’acquisition, il ne prévoit pas explicitement que ceux-ci ne puissent pas être modifiés dans l’avenir. D’ailleurs, il convient de noter à cet égard que, à la différence de l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés, l’article 76, paragraphe 2, des mesures d’application prévoit explicitement que « [les droits à pension acquis] sont honorés dans les conditions prévues par cette annexe ».

79      Deuxièmement, s’agissant de l’interprétation contextuelle de l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés, il y a lieu de noter que cette disposition est placée dans la partie intitulée « Dispositions transitoires » du statut des députés. La lecture combinée des dispositions incluses dans cette partie, à savoir des articles 25 à 29 du statut des députés, démontre que le législateur visait à réglementer la relation entre le système de la pension d’ancienneté statutaire unique pour les députés du Parlement avec les régimes nationaux ainsi qu’avec le régime de pension complémentaire, tout en assurant la transition vers le système instauré par le nouveau statut des députés. À cet égard, il est caractéristique que les articles 25 à 29 du statut des députés ne contiennent aucune disposition réglementant les conditions matérielles pour l’acquisition des droits de pension. En effet, c’est l’article 14 du statut des députés, inclus dans la partie intitulée « Dispositions et conditions générales régissant l’exercice des fonctions des députés au Parlement européen », qui définit les modalités et les conditions particulières pour acquérir des droits à pension selon le nouveau régime instauré par le statut des députés. Partant, il résulte de l’interprétation contextuelle de l’article 27 du statut des députés que, par cette disposition, le Parlement a voulu introduire une disposition transitoire visant à maintenir le régime de pension complémentaire uniquement pour les députés déjà affiliés à ce régime au moment de l’entrée en vigueur dudit statut.

80      En outre, troisièmement, la structure de l’article 27 du statut des députés confirme le souci du législateur non pas de figer les conditions d’acquisition des droits à la pension complémentaire, mais de délimiter le champ d’application des règles du régime de pension complémentaire pour l’avenir. En ce qui concerne tout particulièrement l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés, la phrase « les droits acquis ou en cours d’acquisition sont entièrement maintenus » constitue la première phrase de cette disposition, accompagnée par la seconde phrase, qui prévoit que « [l]e Parlement peut mettre des préalables et des conditions d’acquisition de nouveaux droits ». Partant, la lecture de l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés dans son ensemble démontre que l’objectif du législateur était de définir le champ d’application personnel du régime de pension complémentaire en prévoyant que celui-ci serait toujours ouvert aux députés affiliés avant l’entrée en vigueur du statut des députés. À cet égard, le terme « nouveaux droits », figurant dans la seconde phrase de cette disposition, confirme la distinction opérée par le législateur avec les droits à pension antérieurement acquis, auxquels il est fait référence à la première phrase de la même disposition.

81      Cette approche est confirmée par l’article 27, paragraphes 3 et 4, du statut des députés. Plus spécifiquement, l’article 27, paragraphe 3, de ce statut précise que « les députés qui perçoivent l’indemnité visée à l’article 10 ne peuvent plus acquérir de nouveaux droits dans le fonds de pension volontaire ». En d’autres termes, cette disposition prévoit que seuls les députés recevant un salaire d’un régime national en vertu des articles 25 ou 29 du statut des députés peuvent acquérir de nouveaux droits dans le régime de pension complémentaire depuis l’entrée en vigueur du statut des députés. Par ailleurs, l’article 27, paragraphe 4, du statut des députés prévoit explicitement que les députés élus pour la première fois après l’entrée en vigueur du statut des députés ne peuvent plus adhérer au régime de pension complémentaire. Il ressort donc du contenu et de la structure de l’article 27 du statut des députés que son seul but est bien d’opérer une distinction entre, d’une part, les groupes de députés qui peuvent maintenir leurs droits à la pension complémentaire et, d’autre part, ceux qui doivent adhérer au nouveau régime de pension introduit par le statut des députés.

82      Au vu de ce qui précède, il convient de constater que l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés doit être interprété en ce sens que, à la suite de l’entrée en vigueur du statut des députés, le régime de pension complémentaire était maintenu pour les membres du Parlement qui y étaient déjà affiliés et que le Bureau restait compétent, en vertu de l’article 25 du règlement intérieur, pour définir et modifier, en vertu de l’article 76, paragraphe 2, des mesures d’application, les modalités d’acquisition du droit à la pension complémentaire.

83      S’agissant, en particulier, des droits acquis, en vertu de la décision du 10 décembre 2018, les membres du Parlement qui bénéficiaient déjà d’une pension complémentaire sous le régime de pension complémentaire lors de son entrée en vigueur le 1er janvier 2019 ont vu leur droit à la pension complémentaire maintenu sans aucun changement. En d’autres termes, aucune condition d’acquisition de cette pension n’a été modifiée. Par conséquent, et au vu de la jurisprudence citée au point 68 ci-dessus, le principe de protection des droits acquis n’a pas été violé par la décision du 10 décembre 2018. À cet égard, il y a lieu de relever que ce principe n’est pas applicable à la situation individuelle des requérants, qui, par hypothèse, n’ont pas de droits acquis en l’espèce, puisque, dès lors qu’ils étaient toujours en fonction, ils ne remplissaient pas toutes les conditions au 1er janvier 2019 pour bénéficier de droits à la pension complémentaire.

84      S’agissant des droits en cours d’acquisition, au regard de la jurisprudence citée au point 68 ci-dessus et de la conclusion tirée au point 82 ci-dessus, le Bureau pouvait, en principe, apporter des modifications aux modalités d’accès au régime de pension complémentaire par le biais des mesures d’application et en ce qui concerne l’avenir, c’est-à-dire s’agissant des affiliés au régime de pension complémentaire qui, à l’instar des requérants, n’avaient pas encore bénéficié de droits à la pension complémentaire, au motif qu’ils n’en remplissaient pas les conditions d’acquisition à la date du 1er janvier 2019. Partant, et ainsi qu’il est à juste titre relevé par le Parlement, il n’existait pas de protection spécifique prévue pour les droits en cours d’acquisition au titre du régime de pension complémentaire qui aurait empêché la modification des modalités du régime pour l’avenir.

85      En d’autres termes, sur le plan des modalités et des conditions des droits à la pension complémentaire des requérants, il n’y avait pas lieu d’assimiler les droits acquis aux droits en cours d’acquisition, ceux-ci n’étant pas plus protégés à cet égard que des droits non acquis. En effet, du point de vue de la situation individuelle des requérants, la perspective du droit à la pension complémentaire existait, mais, tant que toutes les conditions d’acquisition de ce droit n’étaient pas remplies et que la pension complémentaire n’avait pas fait l’objet d’une liquidation, ses modalités et conditions n’étaient pas figées. La modification des conditions d’acquisition des droits des requérants au 1er janvier 2019 en l’espèce n’a donc pas enfreint le principe de protection des droits en cours d’acquisition, sous réserve que cette modification respecte le principe de proportionnalité.

86      À ce titre, l’argument des requérants selon lequel les économies que le Parlement aurait pu réaliser à des fins d’intérêt public par le biais de la réduction du montant de la pension complémentaire n’étaient pas importantes concerne le caractère approprié des mesures adoptées pour réaliser les objectifs visés et relève donc du quatrième moyen, fondé notamment sur la violation du principe de proportionnalité.

87      Au vu de ce qui précède, la première branche du troisième moyen doit être rejetée.

 Sur la seconde branche du troisième moyen, tirée de la violation du principe de protection de la confiance légitime

88      Dans le cadre de la seconde branche du présent moyen, les requérants invoquent la violation du principe de protection de la confiance légitime. Ils estiment qu’ils ont pu anticiper une certaine valeur nominale de leurs pensions correspondant au montant de leurs contributions.

89      Le Parlement conteste cette argumentation.

90      Selon une jurisprudence constante, afin qu’un particulier puisse réclamer la protection de la confiance légitime, l’administration doit lui avoir fourni des assurances précises et avoir fait naître chez lui des espérances fondées. Constituent de telles assurances des renseignements précis, inconditionnels et concordants et émanant de sources autorisées et fiables (arrêts du 18 octobre 2011, Purvis/Parlement, T‑439/09, EU:T:2011:600, point 69, et du 17 octobre 2018, Jalkh/Parlement, T‑26/17, non publié, EU:T:2018:690, point 69).

91      En l’espèce, les requérants ne font référence à aucun renseignement précis, inconditionnel et concordant émanant de sources autorisées et fiables du Parlement qui pourrait établir la présence d’assurances précises faisant naître chez eux une confiance légitime dans le maintien de la réglementation en vigueur. Cela est d’autant plus vrai que, en 2009, le Bureau avait déjà modifié la réglementation FID en invoquant la détérioration de la situation économique et financière du fonds. Il avait ainsi procédé à l’augmentation de l’âge de la retraite, à l’abrogation de la possibilité de versement sous forme de capital ainsi que de la retraite anticipée à 50 ans. Cette décision du Bureau avait fait l’objet des affaires ayant donné lieu aux arrêts du 18 octobre 2011, Purvis/Parlement (T‑439/09, EU:T:2011:600), et du 13 mars 2013, Inglewood e.a./Parlement (T‑229/11 et T‑276/11, EU:T:2013:127). Par conséquent, les requérants ne peuvent même pas prétendre que le contexte de la présente affaire, à savoir la nécessité de réformer les conditions du régime de pension complémentaire, était imprévisible ou leur était inconnu.

92      Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter la seconde branche du troisième moyen et, partant, le troisième moyen dans son ensemble.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement et de non-discrimination

93       Les requérants font valoir que la décision du 10 décembre 2018 a violé premièrement, le principe de proportionnalité et, deuxièmement, le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination.

 Sur la première branche, tirée de la violation du principe de proportionnalité

94      Les requérants font valoir que la décision du 10 décembre 2018 a violé le principe de proportionnalité. Ils se réfèrent à cet égard au procès-verbal de la réunion du Bureau du 10 décembre 2018, faisant état d’un échange de vues mettant en doute les retombées positives des mesures en cause. Ils se réfèrent également à une note du secrétaire général du Parlement du 6 décembre 2018 à l’attention des membres du Bureau, dont il ressort notamment que l’application du prélèvement de 5 % ne permettrait des économies que de 100 000 euros pendant la période allant de 2018 à 2025 et de zéro mois en termes de gain de durée de vie supplémentaire du fonds. Outre qu’ils s’interrogent sur les chiffres figurant dans cette note, les requérants concluent que les mesures adoptées ne sont pas en adéquation avec l’objectif poursuivi d’une amélioration à court terme de la viabilité du fonds et que le Bureau a commis une erreur manifeste d’appréciation.

95      Le Parlement conteste cette argumentation.

96      À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu du principe de proportionnalité, la légalité d’une réglementation de l’Union est subordonnée à la condition que les moyens qu’elle met en œuvre soient de nature à permettre que soit atteint l’objectif légitimement poursuivi par la réglementation en cause et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir, en principe, à la moins contraignante (arrêt du 13 mars 2013, Inglewood e.a./Parlement, T‑229/11 et T‑276/11, EU:T:2013:127, point 70).

97      Par ailleurs, il convient de rappeler que, en matière d’aménagement du régime de pension complémentaire volontaire faisant l’objet du présent litige, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée, par rapport à l’objectif que l’institution compétente est chargée de poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2013, Inglewood e.a./Parlement, T‑229/11 et T‑276/11, EU:T:2013:127, point 71).

98      D’une part, s’agissant de la légitimité des objectifs poursuivis, conformément au considérant 5 de la décision du 10 décembre 2018, les mesures prises étaient destinées, au vu des comptes du fonds de pension complémentaire volontaire, premièrement, à prendre un certain nombre de mesures inévitables sur le plan économique afin d’améliorer la viabilité dudit fonds, deuxièmement, à remédier au problème croissant de liquidité, troisièmement, à réduire le déficit actuariel et, quatrièmement, à réduire les conséquences négatives pour le contribuable de l’Union.

99      Or, dans le cadre de l’exercice de sa compétence pour réglementer le régime de pension complémentaire, le Bureau pouvait légitimement poursuivre ces objectifs. Il convient en particulier de rappeler, à cet égard, que le régime de pension complémentaire repose sur un calcul actuariel, dans le cadre duquel le total des contributions annuelles des affiliés et du Parlement doit, en principe, couvrir la totalité des droits à pension acquis dans la même année, la cotisation de l’affilié correspondant à un tiers et celle du Parlement à deux tiers (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 2011, Purvis/Parlement, T‑439/09, EU:T:2011:600, point 45, et du 13 mars 2013, Inglewood e.a./Parlement, T‑229/11 et T‑276/11, EU:T:2013:127, point 74).

100    Les objectifs visés étaient donc légitimes en l’espèce et correspondaient aux préoccupations du Parlement concernant les problèmes de liquidité affectant le fonds, mentionnés dans les résolutions du Parlement concernant la décharge et évoqués dans la note du secrétaire général à l’attention des membres du Bureau du 6 décembre 2018.

101    D’autre part, s’agissant du caractère approprié des deux mesures adoptées, il convient de relever que la note du 6 décembre 2018, établie notamment sur la base d’une note du secrétaire général du 8 mars 2018 à l’attention des membres du Bureau, fait état d’un déficit actuariel considérable de 305,4 millions d’euros à la fin de l’année 2017 et en forte augmentation. Elle mentionne que, si aucune mesure n’est prise, le fonds aura épuisé ses capitaux bien avant la fin des obligations de pension et peut-être dès 2024, ce qui aura des conséquences négatives pour le contribuable de l’Union.

102    Il ressort de la note du 6 décembre 2018 que trois mesures avaient été envisagées, à savoir le relèvement de l’âge de la retraite de 63 à 65 ans, la mise en place du prélèvement de 5 % sur tous les paiements de pension pour ceux qui n’étaient pas encore retraités et le gel des futures augmentations des pensions par la fin des indexations régulières. Ces mesures ont été classées selon leur risque et leur impact financier, au terme d’une étude réalisée par un consultant indépendant sur la base d’une extraction des coûts liés aux nouveaux retraités des flux de trésorerie annuels du fonds. Les deux premières mesures, seules en cause en l’espèce, ont été considérées par le Bureau comme pouvant être prises immédiatement afin d’améliorer la viabilité du fonds à court terme. Le risque juridique du relèvement de l’âge de la retraite a été considéré comme faible et son impact financier comme permettant des économies de 3,1 millions d’euros pendant la période 2018-2025, avec un gain de deux mois de durée de vie du fonds et une réduction du déficit actuariel de 7,7 millions d’euros. Le risque juridique du prélèvement de 5 % a été considéré comme moyen et son impact financier comme permettant des économies de 0,1 million d’euros pendant la période 2018-2025, une réduction du déficit actuariel de 5,9 millions d’euros et aucun gain en ce qui concerne la durée de vie du fonds.

103    Au vu de ces éléments, la réduction du déficit actuariel par le biais des deux mesures combinées pouvait ainsi être estimée à 13,6 millions d’euros, soit 4,5 % dudit déficit actuariel. Le Parlement mentionne à cet égard un rapport du même consultant de février 2019 selon lequel l’impact combiné des deux mesures serait de 13,3 millions d’euros. De même, comme le Parlement l’indique, le gain de durée de vie supplémentaire du fonds, bien que minime, éviterait une évolution négative de cette durée de vie.

104    En outre, il ressort du procès-verbal de la réunion du Bureau qui a précédé la décision du 10 décembre 2018 que les mesures proposées étaient de nature à garantir que, dès lors que le fonds était financé pour un tiers par les contributions des affiliés au régime de pension et pour deux tiers par des contributions du Parlement, la charge fût partagée entre le Parlement et les affiliés au régime de retraite, ce qui rejoint le quatrième objectif visé.

105    Il résulte de tout ce qui précède que, prises ensemble, les mesures adoptées n’étaient pas manifestement inappropriées pour réaliser les objectifs visés.

106    L’argument des requérants selon lequel le procès-verbal de la réunion du Bureau du 10 décembre 2018 fait état d’un échange de vues mettant en doute les retombées positives des mesures en cause ne modifie pas ce constat, dès lors qu’il ne remet pas concrètement en cause les analyses juridiques et financières sur la base desquelles les mesures ont été prises. De même, l’argument selon lequel ces mesures ne permettraient pas l’amélioration à court terme de la viabilité du fonds n’est pas davantage étayé et doit être écarté.

107    La première branche du quatrième moyen, tirée de la violation du principe de proportionnalité, doit donc être écartée.

 Sur la seconde branche, tirée de la violation du principe d’égalité de traitement et de non-discrimination

108    Les requérants invoquent la violation du principe d’égalité de traitement et soutiennent qu’il existe une discrimination, tout d’abord, entre les députés relevant du statut et ayant droit à une pension à l’âge de 63 ans et les députés relevant de l’annexe VII de la réglementation FID dont les droits à pension n’étaient pas exigibles au 1er janvier 2019, ensuite, entre les députés soumis à l’annexe VII de la réglementation FID dont les droits à pension n’ont pas été exigibles au 1er janvier 2019 et ceux dont les droits à pension étaient exigibles avant le 1er janvier 2019 et, enfin, entre les députés au Parlement et les fonctionnaires de l’Union.

109    Le Parlement conteste cette argumentation.

110    Il ressort d’une jurisprudence constante qu’il y a violation du principe d’égalité de traitement lorsque deux catégories de personnes, dont les situations factuelle et juridique ne présentent pas de différences essentielles, se voient appliquer un traitement différent ou lorsque des situations différentes sont traitées de manière identique (voir arrêt du 13 mars 2013, Inglewood e.a./Parlement, T‑229/11 et T‑276/11, EU:T:2013:127, point 112 et jurisprudence citée).

111    En outre, dans un domaine dans lequel le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le juge, dans son contrôle du respect du principe d’égalité de traitement et de non-discrimination, se limite à vérifier que l’institution concernée n’a pas procédé à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate (arrêt du 13 mars 2013, Inglewood e.a./Parlement, T‑229/11 et T‑276/11, EU:T:2013:127, point 113).

112    Tout d’abord, les requérants invoquent la violation du principe d’égalité de traitement entre, d’une part, les députés relevant du statut et ayant droit à une pension à l’âge de 63 ans et, d’autre part, les députés relevant de l’annexe VII de la réglementation FID dont les droits à pension n’étaient pas exigibles au 1er janvier 2019 et qui vont devoir attendre l’âge de 65 ans pour voir leur pension amputée de 5 %.

113    Toutefois, force est de rappeler que le régime de pension d’ancienneté prévu à l’article 14 du statut des députés et prévoyant la retraite des anciens députés à l’âge de 63 ans révolus est obligatoire et entièrement à la charge du budget de l’Union. Il est donc différent du régime de pension complémentaire volontaire, non obligatoire et à la charge du budget de l’Union pour deux tiers seulement des contributions versées, en cause en l’espèce. Au surplus, l’article 14 du statut des députés mentionne que la pension d’ancienneté existe indépendamment de toute autre pension. Partant, le fait qu’il existe des différences entre le régime applicable en matière de pension d’ancienneté et en matière de pension complémentaire volontaire n’entraîne pas en soi une violation du principe d’égalité de traitement.

114    Ensuite, les requérants invoquent la violation du principe d’égalité de traitement entre les députés soumis à l’annexe VII de la réglementation FID dont les droits à pension n’ont pas été exigibles au 1er janvier 2019 et ceux dont les droits à pension étaient exigibles avant le 1er janvier 2019.

115    Cependant, ces deux situations sont différentes, en ce que les premiers ne bénéficient pas encore de leurs droits à la pension complémentaire à la date d’application de la décision du 10 décembre 2018, alors que les autres en bénéficient déjà et ont, à la date de la décision du 10 décembre 2018, définitivement acquis leurs droits à la pension complémentaire. Par conséquent, les requérants, d’une part, et les affiliés bénéficiant déjà de leur pension complémentaire à la date d’entrée en vigueur de la décision du 10 décembre 2018, d’autre part, se trouvant dans des situations factuelle et juridique différentes, ils ont pu se voir appliquer un traitement différent.

116    Enfin, les requérants invoquent la violation du principe d’égalité de traitement entre les députés au Parlement et les fonctionnaires de l’Union.

117    Or, outre que les requérants n’avancent aucun argument pour étayer la différence de traitement entre les députés au Parlement et les fonctionnaires de l’Union, il y a lieu de rappeler que ceux-ci sont soumis à des statuts différents. Ils se trouvent donc dans des situations factuelle et juridique présentant des différences essentielles et ont ainsi pu se voir appliquer un traitement différent en ce qui concerne les conditions de la pension complémentaire volontaire.

118    Il s’ensuit que, à la date de la décision du 10 décembre 2018, les situations invoquées par les requérants sont différentes de celles qui leur sont applicables et ne sauraient fonder une violation du principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination.

119    La seconde branche du quatrième moyen doit donc être écartée et, partant, ledit moyen dans son ensemble.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique et de l’absence de mesures transitoires

120    Les requérants font valoir que la décision du 10 décembre 2018 ne respecte pas le principe de sécurité juridique, dès lors qu’elle est assortie d’effets rétroactifs. Selon eux, le Parlement devait garantir le respect des engagements pris à l’égard des membres ayant adhéré au régime de pension complémentaire, ce qui impliquait le respect des conditions fixées au moment de l’adhésion au régime. En outre, les requérants soutiennent que la décision du 10 décembre 2018 est illégale en ce qu’elle ne comporterait aucune mesure transitoire, contrairement aux décisions de 2009, qui avaient prévu des mesures transitoires de trois mois.

121    Le Parlement conteste cette argumentation.

122    Il convient de rappeler que l’exigence fondamentale de la sécurité juridique, dans ses différentes manifestations, vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit de l’Union. Le principe de sécurité juridique s’oppose, notamment, à ce qu’un acte de l’Union voie son point de départ fixé à une date antérieure à sa publication (arrêt du 18 octobre 2011, Purvis/Parlement, T‑439/09, EU:T:2011:600, point 65).

123    Dans la présente affaire, il ne ressort pas du dossier que la décision du 10 décembre 2018, publiée au Journal officiel du 28 décembre 2018, aurait produit des effets avant son entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Ainsi, cette décision prévoit expressément qu’elle s’applique aux pensions complémentaires non encore exigibles au 1er janvier 2019. Les députés remplissant toutes les conditions pour en bénéficier avant cette date et ayant, ce faisant, acquis des droits à la pension complémentaire n’ont pas été affectés par ladite décision.

124    Il s’ensuit que, contrairement à ce que les requérants soutiennent, la décision du 10 décembre 2018 n’a pas d’effets rétroactifs.

125    L’argument des requérants selon lequel le respect des engagements pris à l’égard des membres ayant adhéré au régime de pension complémentaire impliquait le respect des conditions fixées au moment de leur adhésion au régime doit être écarté.

126    En effet, il ne saurait être possible de placer sa confiance dans l’absence totale de modification des règles applicables, mais uniquement de mettre en cause les modalités d’application d’une telle modification. Le principe de sécurité juridique n’exige pas l’absence de modification législative, mais requiert plutôt que le législateur tienne compte des situations particulières des opérateurs économiques et prévoie, le cas échéant, des adaptations à l’application des nouvelles règles juridiques (arrêt du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, EU:C:2005:362, point 81).

127    Dès lors que, au 1er janvier 2019, les requérants ne remplissaient pas toutes les conditions rendant la pension complémentaire exigible (conditions d’adhésion au fonds, cessation des fonctions et avoir atteint 63 ans), les conditions fixées au moment de leur adhésion au régime pouvaient être modifiées.

128    En outre, l’argument des requérants relatifs à l’absence de période transitoire doit également être écarté.

129    En effet, certes, il y a lieu de rappeler que, si les fonctionnaires n’ont pas de droit au maintien du statut tel qu’il existe au moment de leur recrutement et si le législateur de l’Union est libre d’apporter à tout moment aux règles du statut les modifications qu’il estime conformes à l’intérêt du service et d’adopter, pour l’avenir, des dispositions statutaires plus défavorables pour les fonctionnaires concernés, c’est à condition de fixer une période transitoire d’une durée suffisante pour éviter que les modalités de liquidation des pensions acquises ne soient modifiées de manière inattendue (arrêt du 29 novembre 2006, Campoli/Commission, T‑135/05, EU:T:2006:366, point 85 ; voir, également, arrêt du 6 juillet 2017, Bodson e.a./BEI, T‑508/16, non publié, EU:T:2017:469, point 109 et jurisprudence citée).

130    Cela étant, il a également été jugé que l’exigence d’une période transitoire ne se conçoit que pour autant qu’il existe des droits acquis dont peuvent se prévaloir les fonctionnaires et les agents de l’Union (arrêt du 12 décembre 2019, Tàpias/Conseil, T‑527/16, EU:T:2019:856, point 174).

131    Or, les requérants ne possèdent pas de droits acquis ou en cours d’acquisition en l’espèce (voir points 83 à 85 ci-dessus).

132    En outre, l’objectif d’une période transitoire est de ne pas violer une attente légitime quant au maintien d’une réglementation (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2017, Bodson e.a./BEI, T‑508/16, non publié, EU:T:2017:469, point 109 et jurisprudence citée). Ainsi, s’il ressort de la jurisprudence que, en présence d’une réglementation qu’elle entend modifier ou supprimer, l’autorité ne viole pas une attente légitime quant à son maintien si elle assortit les nouvelles dispositions d’une période transitoire d’une durée suffisante, il n’en découle pas nécessairement que l’absence de période transitoire constitue ipso facto une violation de la confiance légitime.

133    De plus, à supposer même qu’une confiance légitime ait été créée en l’espèce, quod non, un intérêt public péremptoire peut s’opposer à l’adoption de mesures transitoires pour des situations nées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, mais non achevées dans leur évolution (arrêt du 17 septembre 2009, Commission/Koninklijke FrieslandCampina, C‑519/07 P, EU:C:2009:556, point 85). Ainsi, c’est en l’absence d’intérêt public péremptoire que l’absence de mesures transitoires, protégeant la confiance que l’opérateur pouvait légitimement avoir dans la réglementation de l’Union, viole une règle supérieure de droit (arrêt du 17 septembre 2009, Commission/Koninklijke FrieslandCampina, C‑519/07 P, EU:C:2009:556, point 86).

134    En l’espèce, la viabilité du fonds pouvait constituer un intérêt public péremptoire et, comme l’indique le Parlement, des mesures transitoires auraient privé la réforme entreprise de tout sens économique.

135    Au vu de ce qui précède, le cinquième moyen doit être rejeté et, partant, les recours dans leur ensemble.

 Sur les dépens

136    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Parlement.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les affaires T720/19 à T725/19 sont jointes aux fins de l’arrêt.

2)      Les recours sont rejetés.

3)      M. Richard Ashworth et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe sont condamnés aux dépens.

Spielmann

Öberg

Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 septembre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Papasavvas


Table des matières


Antécédents des litiges

Procédures et conclusions des parties

En droit

Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence du Bureau

Sur le premier grief, tiré de l’incompétence du Bureau pour adopter la décision du 10 décembre 2018

Sur le second grief, tiré de la qualification fiscale du prélèvement en cause

Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des formes substantielles

Sur le troisième moyen, tiré de la violation des droits acquis et en cours d’acquisition ainsi que du principe de protection de la confiance légitime

Sur la première branche du troisième moyen, tirée du non-respect des droits acquis et des droits en cours d’acquisition, en violation de l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés

Sur la seconde branche du troisième moyen, tirée de la violation du principe de protection de la confiance légitime

Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement et de non-discrimination

Sur la première branche, tirée de la violation du principe de proportionnalité

Sur la seconde branche, tirée de la violation du principe d’égalité de traitement et de non-discrimination

Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique et de l’absence de mesures transitoires

Sur les dépens


*      Langue de procédure : le français.


1      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.