Language of document : ECLI:EU:T:2006:386

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

12 décembre 2006 (*)

« Aides d’État – Législation espagnole prévoyant des mesures en faveur du secteur agricole à la suite de la hausse du coût du carburant – Procédure formelle d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE – Décision constatant que certaines mesures ne constituent pas des aides – Recours en annulation – Recevabilité – Qualité pour agir – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑146/03,

Asociación de Empresarios de Estaciones de Servicio de la Comunidad Autónoma de Madrid, établie à Madrid (Espagne),

Federación Catalana de Estaciones de Servicio, établie à Barcelone (Espagne),

représentées par Mes R. Ortega Bueno et M. Delgado Echevarría, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. J. L. Buendía Sierra, puis par M. J. R. Vidal Puig, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume d’Espagne, représenté par MM. E. Braquehais Conesa, abogado del Estado et M. Muñoz Pérez, en qualité d’agent,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision 2003/293/CE de la Commission, du 11 décembre 2002, relative aux mesures en faveur du secteur agricole mises à exécution par l’Espagne à la suite de la hausse du coût du carburant (JO 2003, L 111, p. 24),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, président, A. W. H. Meij et Mme I. Pelikánová, juges,

greffier: Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 mars 2006,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

 Dispositions de droit communautaire

1        L’article 20, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1) énonce :

« Toute partie intéressée peut présenter des observations […] suite à une décision de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen. Toute partie intéressée qui a présenté de telles observations et tout bénéficiaire d’une aide individuelle reçoivent une copie de la décision prise par la Commission [de clore la procédure formelle d’examen]. »

2        La communication de la Commission sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (JO 1998, C 384, p. 3, ci-après la « communication sur la fiscalité ») énonce notamment :

« 16. Ce qui est donc avant tout pertinent pour l’application de l’article [87], paragraphe 1, [CE] à une mesure fiscale, c’est que cette mesure instaure, en faveur de certaines entreprises de l’État membre, une exception à l’application du système fiscal. Il convient donc d’abord de déterminer le régime commun applicable. Il est ensuite nécessaire d’examiner si l’exception ou des différenciations à l’intérieur de ce régime sont justifiées ‘par la nature ou l’économie du système fiscal’, c’est-à-dire, si elles résultent directement des principes fondateurs ou directeurs du système fiscal de l’État membre concerné. Si tel n’est pas le cas, il s’agit d’une aide d’État.

[…]

25.      […] De plus, il peut aussi être justifié par la nature du système fiscal que des coopératives qui distribuent tous leurs profits à leurs membres ne soient pas imposées au niveau de la coopérative lorsque l’impôt est perçu au niveau de leurs membres. »

 Dispositions de droit espagnol

3        L’article 1er de la Ley 27/1999 de Cooperativas (loi sur les coopératives) (BOE n° 170, du 17 juillet 1999, p. 27027, ci-après la « loi 27/1999 ») définit la coopérative comme « une association de personnes volontairement réunies pour exercer des activités économiques visant à satisfaire leurs besoins et aspirations économiques et sociaux, au moyen d’une entreprise ayant une structure et un fonctionnement démocratiques, conformément aux principes énoncés par l’Alliance coopérative internationale ».

4        L’article 93 de la loi 27/1999 autorise les coopératives agricoles à réaliser des opérations avec des tiers non associés. Il résulte du paragraphe 4 de cette disposition que, pour chaque type d’activité, les opérations que les coopératives agricoles peuvent réaliser avec des tiers non associés sont limitées à 50 % des opérations réalisées avec les associés.

5        L’article 7 de la Ley 20/1990 sobre Régimen Fiscal de las Cooperativas (loi sur le régime fiscal des coopératives) (BOE n° 304, du 20 décembre 1990, p. 37970, ci-après la « loi 20/1990 ») classe les coopératives agricoles parmi les entités spécialement protégées. À ce titre, les coopératives agricoles se voient reconnaître les avantages fiscaux prévus par les articles 33 et 34 de la loi 20/1990. Ainsi, premièrement, elles sont exemptées de l’impôt sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés dans certains cas que la loi détermine. Deuxièmement, pour ce qui concerne l’impôt sur les sociétés, elles bénéficient de l’application du taux de 20 % à la base d’imposition correspondant aux résultats issus de l’activité propre à la coopérative (le taux général de 35 % étant maintenu pour les résultats non issus d’une telle activité), de la liberté d’amortissement pour les éléments de l’actif fixe neuf amortissable, achetés dans les trois ans suivant la date de leur inscription au registre des coopératives, et d’un allègement de 50 % du montant de l’impôt, défini comme étant égal à la somme algébrique des montants résultant de l’application aux bases d’imposition, positives ou négatives, des taux d’imposition prévus, lorsque le résultat est positif. Troisièmement, elles bénéficient d’un allègement de 95 % du montant de l’impôt sur les activités économiques. Quatrièmement, elles bénéficient d’un allégement de 95 % du montant de l’impôt sur les biens immeubles.

6        Il résulte de l’article 9, paragraphe 2, sous a), et de l’article 13, paragraphe 10, de la loi 20/1990 que les coopératives agricoles qui réalisent avec des tiers non associés un chiffre d’affaires qui dépasse 50 % du chiffre d’affaires réalisé avec des associés perdent la qualité de coopérative spécialement protégée et, partant, tous les avantages fiscaux qui sont liés à cette qualité.

7        La Disposición Adicional Decimoquinta de la Ley 34/1998 del Sector de Hidrocarburos (quinzième disposition additionnelle de la loi 34/1998 relative au secteur des hydrocarbures) (BOE n° 241, du 8 octobre 1998, p. 33517, ci-après la « quinzième disposition additionnelle de la loi 34/1998 ») dispose que, pour pouvoir distribuer du carburant à des tiers non associés, les coopératives agricoles doivent constituer une entité dotée d’une personnalité juridique propre et assujettie au régime fiscal général.

 Antécédents du litige

8        Le 29 septembre 2000, les autorités espagnoles ont notifié à la Commission plusieurs mesures destinées à compenser les effets négatifs de la hausse du prix du carburant.

9        Parmi ces mesures figure le Real Decreto-Ley 10/2000 de medidas urgentes de apoyo a los sectores agrario, pesquero y del transporte (décret-loi royal relatif à des mesures urgentes de soutien aux secteurs agricole, de la pêche et des transports) (BOE n° 241, du 7 octobre 2000, p. 34614, ci-après le « décret-loi »).

10      Le décret-loi a notamment pour effet de modifier la loi 20/1990, la loi 27/1999 et la quinzième disposition additionnelle de la loi 34/1998. Ainsi, il résulte des différentes dispositions de l’article 1er du décret-loi (ci-après les « mesures litigieuses ») que les coopératives agricoles peuvent désormais, sans perdre le statut de coopératives spécialement protégées, distribuer un certain type de carburant (gasoil à usage agricole dénommé « gasoil B ») à des tiers non associés, sans être tenues par la limite de 50 % du montant total des activités réalisées avec des associés et sans avoir à constituer une entité dotée d’une personnalité juridique propre.

11      Le 6 novembre 2000, les requérantes, qui regroupent des exploitants de stations-service situés dans les communautés autonomes de Madrid et de Catalogne, ont soumis à la Commission une plainte dirigée contre les mesures litigieuses. En substance, les requérantes soutenaient que ces mesures constituaient des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, incompatibles avec le marché commun.

12      Par télécopie du 20 novembre 2000, la Commission a demandé aux autorités espagnoles des informations complémentaires sur les mesures notifiées. Les autorités espagnoles ont répondu par lettres des 9 janvier et 13 mars 2001.

13      Le 11 avril 2001, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure visée à l’article 88, paragraphe 2, CE à l’égard des mesures notifiées. Cette décision a été notifiée aux autorités espagnoles le 25 avril 2001.

14      Par la communication 2001/C 172/02 de la Commission, du 16 juin 2001, portant invitation à présenter des observations en application de l’article 88, paragraphe 2, CE (JO C 172, p. 2), la lettre du 25 avril 2001 notifiant aux autorités espagnoles la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen a été portée à la connaissance des parties intéressées.

15      Au stade de l’ouverture de la procédure formelle d’examen, la Commission considérait que les mesures litigieuses supposaient la concession d’avantages fiscaux aux coopératives agricoles, dont celles-ci ne bénéficiaient pas auparavant, que ces avantages étaient octroyés en raison d’une mesure fiscale sélective qui affectait les ressources de l’État et n’étaient pas justifiées par la nature ou l’économie du système fiscal Selon elle, les mesures litigieuses devaient être considérées comme des aides au fonctionnement incompatibles avec le marché commun, ne pouvant en outre bénéficier des dérogations prévues à l’article 87, paragraphes 2 et 3, CE.

16      Le Royaume d’Espagne a présenté ses observations par lettre du 6 juin 2001.

17      En tant que parties intéressées, les requérantes ont soumis leurs observations à la Commission par lettre du 12 juillet 2001, dans laquelle elles rappelaient les arguments avancés dans leur plainte. Elles indiquaient également à la Commission que, en violation de l’obligation de suspension prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE, le gouvernement espagnol avait mis les mesures litigieuses à exécution au profit des coopératives agricoles.

18      D’autres parties intéressées, parmi lesquelles la confédération des coopératives agricoles espagnoles, ont soumis leurs observations.

 Décision attaquée

19      Le 11 décembre 2002, la Commission a adopté la décision 2003/293/CE relative aux mesures en faveur du secteur agricole mises à exécution par l’Espagne à la suite de la hausse du coût du carburant (JO 2003, L 111, p. 24, ci-après la « décision attaquée »). En ce qui concerne les mesures litigieuses, la décision attaquée est rédigée en ces termes :

« (141) Les modifications apportées par le [décret-loi] à la loi 27/1999 et à la loi 20/1990 ne font que rétablir la situation réglementaire en vigueur avant l’adoption de la loi 34/1998 en ce qui concerne la distribution de produits pétroliers par les coopératives agricoles jusqu’à l’adoption de la loi 34/1998.

(142) L’Espagne a expliqué dans ses commentaires, qu’aux termes de la loi 20/1990, les bénéfices que les coopératives agricoles retirent des opérations réalisées avec des tiers non associés sont imposés au taux général de l’impôt sur les sociétés, de sorte que ces opérations ne bénéficient d’aucun allégement fiscal et que les modifications apportées par le [décret-loi] n’entraînent aucun changement du régime fiscal applicable aux opérations de livraison de gasoil B par les coopératives aux tiers non associés.

(143) Les coopératives agricoles, grâce aux modifications introduites par le [décret-loi], peuvent réaliser cette activité sans être obligées de constituer une nouvelle entité juridique pour la distribution de gasoil B aux tiers non associés et sont autorisées à dépasser la limite de 50 % du volume de chiffre d’affaires pour les opérations de livraison aux tiers non associés, sans perte de leur privilège fiscal.

(144) Il est certain que, en ce qui concerne les revenus provenant des opérations avec des tiers non associés, les coopératives agricoles sont imposées au taux général de l’impôt sur les sociétés au même titre que les autres sociétés, mais il est également certain que, à la suite desdites modifications, les coopératives peuvent désormais distribuer du gasoil B aux tiers non associés sans aucune limitation du chiffre d’affaires et sans obligation de constituer une nouvelle entité juridique, tout en continuant à bénéficier du traitement fiscal différencié accordé aux coopératives.

(145) Avant l’entrée en vigueur du [décret-loi], les coopératives bénéficiaient déjà d’avantages fiscaux en ce qui concerne l’impôt sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, l’impôt sur les activités économiques, l’impôt sur les biens immeubles et l’impôt sur les sociétés. S’agissant de ce dernier impôt, les opérations réalisées avec des associés sont imposées à un taux réduit et les coopératives spécialement protégées, comme le sont en principe les coopératives agricoles, bénéficient d’une ristourne de 50 % au titre de l’impôt sur les sociétés.

(146) Toutefois, il convient d’examiner les avantages fiscaux dont jouissent les sociétés coopératives à la lumière des obligations que les normes d’ajustement technique imposent aux coopératives. Comme le signale la confédération des coopératives agricoles espagnoles dans ses observations, cet avantage fiscal ne peut être apprécié indépendamment du traitement fiscal des excédents nets de l’associé coopérateur dans le cadre de l’[impôt sur le revenu des personnes physiques], excédents dont les caractéristiques sont complètement différentes de celles des dividendes dans une entreprise capitaliste. L’atténuation de la double imposition dans la relation société capitaliste-actionnaire (dividende) n’a pas de contrepartie dans la relation société coopérative-associé coopérateur (distribution des excédents nets), de sorte que les excédents nets sont plus lourdement imposés que les dividendes. L’avantage que la coopérative peut tirer de l’abattement sur l’impôt sur les sociétés est corrigé par la double imposition au regard de l’[impôt sur le revenu des personnes physiques] qui est appliquée à l’associé de la coopérative et donc par l’augmentation de la charge fiscale.

(147) La fiscalité des coopératives agricoles en Espagne doit être analysée dans son ensemble. Cette fiscalité établit des différenciations quant à sa structure et contient des éléments avantageux, contrebalancés par des obligations spécifiques (dotations de Fonds obligatoires, traitement du capital, double imposition).

(148) En conséquence, au vu des informations communiquées par l’Espagne et par la confédération des coopératives agricoles espagnoles, la Commission considère donc que les modifications apportées par le [décret-loi] à la législation relative aux coopératives agricoles ne constituent pas un avantage sous forme d’allégement des charges grevant leur budget et ne constituent pas une mesure fiscale sélective qui affecte les ressources de l’État. Il s’ensuit que cette mesure n’est pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1,[CE].

[...]

(167) Sur la base des informations fournies par l’Espagne dans ses commentaires […] les mesures de soutien aux coopératives agricoles […] sont à considérer comme des mesures fiscales justifiées par la nature ou l’économie du système fiscal et qui ne relèvent donc pas des critères d’application de l’article 87, paragraphe 1,[CE].

Article premier

Les mesures mises à exécution par l’Espagne, concernant […] les mesures de soutien aux coopératives agricoles prévues par le [décret-loi] [….] ne constituent pas une aide aux termes de l’article 87, paragraphe 1, [CE]. »

 Procédure

20      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 avril 2003, les requérantes ont introduit le présent recours.

21      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 7 août 2003, le Royaume d’Espagne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 22 septembre 2003, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis cette intervention. La partie intervenante a déposé son mémoire. Les autres parties n’ont pas déposé d’observations sur celui-ci dans les délais impartis.

22      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 22 octobre 2003, les requérantes ont renoncé à la présentation d’un mémoire en réplique.

23      En application de l’article 14 du règlement de procédure du Tribunal et sur proposition de la deuxième chambre élargie, le Tribunal a décidé, les parties entendues conformément à l’article 51 dudit règlement, de renvoyer l’affaire devant la deuxième chambre.

24      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a invité les parties requérantes à déposer certains documents et a posé, par écrit, des questions aux parties requérantes, à la Commission et au Royaume d’Espagne, en les invitant à y répondre lors de l’audience.

25      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions écrites et orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 8 mars 2006.

 Conclusions des parties

26      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en ce qu’elle déclare que les mesures litigieuses ne constituent pas des aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE ;

–        condamner la Commission aux dépens.

27      La Commission ainsi que le Royaume d’Espagne concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, le rejeter comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 Sur la recevabilité

 Arguments des parties

28      Sans soulever d’exception d’irrecevabilité par acte séparé conformément à l’article 114 du règlement de procédure, la Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, conteste la recevabilité du recours.

29      Après avoir relevé que les requérantes sont deux associations d’entreprises qui regroupent des stations-service situées dans la Communauté autonome de Madrid et en Catalogne, la Commission indique qu’il résulte d’une jurisprudence constante qu’une association chargée de défendre les intérêts collectifs d’entreprises n’est en principe recevable à introduire un recours en annulation contre une décision finale de la Commission en matière d’aides d’État que si les entreprises en question le sont également à titre individuel ou si elle peut faire valoir un intérêt propre à la poursuite de l’action, notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par l’acte dont l’annulation est demandée (voir arrêt du Tribunal du 29 septembre 2000, CETM/Commission, T‑55/99, Rec. p. II‑3207, point 23, et la jurisprudence citée).

30      En l’espèce, aucune des requérantes ne satisferait à l’une au moins de ces deux conditions alternatives.

31      Tout d’abord, s’agissant des membres des requérantes, la Commission et le Royaume d’Espagne soutiennent qu’ils ne sont ni directement ni individuellement concernés par la décision attaquée. Cette décision porterait tout au plus sur un régime général d’aides d’État dès lors que le décret-loi se présente à l’égard de ses bénéficiaires potentiels comme une mesure de portée générale qui s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite. Or, un recours introduit par les bénéficiaires potentiels d’un tel régime ne serait pas recevable, car ce régime ne les concernerait que du fait de leur condition objective d’entreprise opérant dans le secteur en cause au même titre que tout opérateur économique se trouvant actuellement ou potentiellement, dans une situation identique (arrêt du Tribunal du 5 juin 1996, Kahn Scheepvaart/Commission, T‑398/94, Rec. p. II‑477, points 39 et 41). En l’espèce, les membres des requérantes pourraient d’autant moins être concernés directement et individuellement par la décision attaquée que celle-ci n’affecte leur situation concurrentielle que potentiellement et indirectement.

32      Lors de l’audience, la Commission s’est également référée à l’arrêt de la Cour du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum (C‑78/03 P, Rec. p. I‑10737), duquel il résulterait que, même si certains membres d’une association peuvent être considérés comme des concurrents directs des bénéficiaires de l’aide en cause, il n’en résulte pas que leur position sur le marché puisse être substantiellement affectée.

33      Le Royaume d’Espagne expose, en substance, que les membres des requérantes n’ont établi ni leur condition de concurrentes des bénéficiaires des mesures litigieuses ni l’affectation substantielle de leur position sur le marché.

34      S’agissant des 240 stations-service dont les requérantes ont indiqué, à la suite des mesures d’organisation de la procédure, qu’elles étaient en concurrence directe avec des bénéficiaires des mesures litigieuses, le Royaume d’Espagne a fait valoir lors de l’audience que ces stations-service ne représentaient qu’une partie très limitée des quelque 8 500 stations-service que compte l’Espagne. Il en a conclu qu’il n’avait pas été démontré que la position concurrentielle de ces entreprises avait été substantiellement affectée.

35      Ensuite, s’agissant de l’existence d’un intérêt propre des requérantes à la poursuite de l’action, la Commission et le Royaume d’Espagne font valoir, en substance, que la position des requérantes dans la présente affaire n’est pas comparable à la position de négociatrice qui a été définie par la jurisprudence (arrêts de la Cour du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, et du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90, Rec. p. I‑1125). D’une part, les requérantes ne représenteraient que des opérateurs dont l’activité est essentiellement locale, tous situés dans deux des dix-sept communautés autonomes espagnoles, ce qui limiterait la portée des intérêts représentés. D’autre part, la portée et l’objet des interventions des requérantes dans la présente affaire se limiteraient à la dénonciation des mesures litigieuses. En raison de ces limitations, la solution jurisprudentielle dégagée par les arrêts Van der Kooy e.a./Commission et CIRFS e.a./Commission, précités, ne serait pas transposable en l’espèce. Par ailleurs, ni le fait que les requérantes ont déposé une plainte auprès de la Commission, ni le fait qu’elles ont échangé de la correspondance ou ont participé à des entretiens ou à des réunions avec cette institution ne suffiraient à établir qu’elles sont individuellement concernées par la décision attaquée.

36      Enfin, s’agissant de l’allégation relative à une prétendue absence de voies de recours effectives devant les juridictions espagnoles, la Commission soutient, en substance, qu’elle n’est pas fondée dès lors que rien n’aurait empêché les requérantes de se prévaloir devant les juridictions espagnoles de l’effet direct de l’article 88, paragraphe 3, CE, ce qui aurait probablement ouvert la voie à une éventuelle question préjudicielle sur le caractère d’aide d’État des mesures litigieuses. Dans ces conditions, les requérantes ne seraient pas privées d’une protection juridictionnelle effective.

37      À ce dernier égard, le Royaume d’Espagne a fait valoir, lors de l’audience, que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la législation espagnole concernant la protection de la concurrence assure une protection effective et que les requérantes sont restées en défaut d’établir qu’elles ont essayé d’obtenir la protection assurée par cette loi.

38      Les requérantes contestent, en substance, qu’elles n’aient pas qualité pour agir en annulation de la décision attaquée. À cet égard, premièrement, elle font valoir qu’elles sont les destinataires de la décision attaquée dès lors que l’article 20, paragraphe 1, du règlement nº 659/1999 prévoit que toute partie intéressée qui, comme elles, a présenté des observations dans la cadre de la procédure formelle d’examen reçoit une copie de la décision par laquelle la Commission clôt cette procédure. Deuxièmement, elles soutiennent que leur qualité pour agir résulte également de ce que, conformément à l’arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission (169/84, Rec. p. 391, points 20 et suivants), leurs membres sont des concurrents directs des bénéficiaires des mesures litigieuses pour la distribution du gasoil B. Troisièmement, elles prétendent que leur qualité pour agir découle de l’atteinte à leur position de négociatrices et de ce qu’elles ont participé de façon active et constante, en tant que tiers intéressé, à la procédure engagée par la Commission (voir ordonnance du Tribunal du 30 septembre 1997, Federolio/Commission, T‑122/96, Rec. p. II‑1559, point 61, et la jurisprudence citée).

39      Enfin, elles soutiennent qu’elles n’ont aucun moyen d’action en Espagne pour dénoncer l’octroi des avantages résultant des mesures litigieuses dès lors que la loi espagnole concernant la protection de la concurrence serait dépourvue de toute efficacité dans la pratique.

 Appréciation du Tribunal

40      Conformément à l’article 230, quatrième alinéa, CE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement.

41      Or, comme il résulte de l’article 25 du règlement n° 659/1999 et de la jurisprudence, les décisions adoptées par la Commission dans le domaine des aides d’État ont pour seuls destinataires les États membres concernés (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 45, et arrêt du Tribunal du 10 mai 2000, SIC/Commission, T‑46/97, Rec. p. II‑2125, point 45). Ainsi, les requérantes ne sont pas les destinataires de la décision attaquée, décision par laquelle la Commission décide de clôturer la procédure formelle d’examen, quand bien même, en vertu de l’article 20, paragraphe 1, du règlement nº 659/1999, elles en ont reçu une copie, en tant que parties intéressées ayant présenté des observations à la suite d’une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen.

42      Il convient donc d’examiner si les requérantes sont directement et individuellement concernées par la décision attaquée.

43      S’agissant de la question de savoir si les requérantes sont individuellement concernées, il convient de rappeler, tout d’abord, que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire de la décision le serait (arrêt Cofaz e.a./Commission, point 38 supra, point 22).

44      Il y a également lieu de relever que, en vertu d’une jurisprudence constante, une association chargée de défendre les intérêts collectifs d’entreprises n’est en principe recevable à introduire un recours en annulation contre une décision finale de la Commission en matière d’aides d’État que si les entreprises en question le sont également à titre individuel ou si elle peut faire valoir un intérêt propre à la poursuite de l’action, notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par l’acte dont l’annulation est demandée (voir arrêt CETM/Commission, point 29 supra, point 23, et la jurisprudence citée).

45      Il convient donc d’examiner, tout d’abord, si, en l’espèce, les membres des requérantes ou du moins certains d’entre eux peuvent être considérés comme directement et individuellement concernés par la décision attaquée.

46      À cet effet, il y a lieu de rappeler que, dans le domaine des aides d’État, ont été reconnues comme individuellement concernées par une décision de la Commission clôturant la procédure ouverte au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, à l’égard d’une mesure d’aide, outre l’entreprise bénéficiaire, les entreprises concurrentes de cette dernière ayant joué un rôle actif dans le cadre de cette procédure, pour autant que leur position sur le marché soit substantiellement affectée par la mesure d’aide faisant l’objet de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt Cofaz e.a./Commission, point 38 supra, point 25).

47      Une entreprise ne saurait donc se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire, mais doit établir en outre, compte tenu de son degré de participation éventuelle à la procédure et de l’importance de l’atteinte à sa position sur le marché, qu’elle est dans une situation de fait qui l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait (arrêt de la Cour du 23 mai 2000, Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, C‑106/98 P, Rec. p. I‑3659, point 41).

48      En l’occurrence, s’agissant, tout d’abord, du degré de participation à la procédure administrative, il convient de relever que les requérantes ont déposé, le 6 novembre 2000, une plainte auprès de la Commission, avant même l’ouverture de la procédure formelle d’examen et qu’elles ont également présenté leurs observations, en tant que parties intéressées, dans le cadre de cette procédure formelle d’examen. Par ailleurs, comme la Commission le relève elle-même (voir point 68 ci-après), la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’égard des mesures litigieuses résulte des informations fournies par les requérantes sur le taux d’imposition applicable aux activités des coopératives avec des tiers. En conséquence, il convient de constater que les requérantes ont joué un rôle déterminant dans le déroulement de la procédure administrative.

49      Cette participation déterminante des requérantes dans le déroulement de la procédure administrative peut être imputée aux membres de celles-ci dès lors qu’il n’est pas contesté entre les parties que les requérantes ont notamment pour but d’assurer la représentation, la gestion et la défense des intérêts communs de leurs membres. Il convient donc de considérer que, par l’intermédiaire des requérantes, leurs membres ont participé de façon déterminante à cette procédure (voir arrêt du Tribunal du 27 avril 1995, AAC e.a./Commission, T‑442/93, Rec. p. II‑1329, point 53).

50      S’agissant, ensuite, de l’atteinte à la position concurrentielle desdits membres, les requérantes ont exposé, en réponse à une question du Tribunal, que 240 stations‑service, qui appartiennent ou qui sont affiliées aux entreprises Campsa Red et Cepsa, toutes deux membres de chacune des deux requérantes, sont toutes dans un rapport direct de concurrence sur le marché local de la vente de gasoil B avec au moins un bénéficiaire des mesures litigieuses. Par ailleurs, sans être contredites, ni par la Commission ni par la partie intervenante, les requérantes ont invoqué la circonstance que des clients des 52 stations-service de la société Campsa Red, qui auparavant se fournissaient en gasoil B auprès d’elles, s’approvisionnent, depuis l’entrée en vigueur des mesures litigieuses, auprès des coopératives agricoles concurrentes.

51      Dès lors qu’il n’appartient pas au juge communautaire, au stade de l’examen de la recevabilité, de se prononcer de façon définitive sur les rapports de concurrence entre certains membres des requérantes et les bénéficiaires des mesures litigieuses (voir, arrêt Cofaz e.a./Commission, point 38 supra, point 28), il convient de constater, à ce stade de l’appréciation, que les requérantes ont indiqué de façon pertinente les raisons pour lesquelles la décision attaquée était susceptible de léser leurs intérêts légitimes en affectant substantiellement la position concurrentielle d’au moins un de leurs membres sur le marché de la fourniture du gasoil B.

52      Cette constatation ne saurait être remise en question au vu de la circonstance, mise en exergue par le Royaume d’Espagne lors de l’audience, que les 240 stations-service mentionnées par les requérantes ne représentent que 10 % des stations-service exploitées par l’ensemble des membres des requérantes et à peine 2,82 % des quelque 8 500 stations-service que compte l’Espagne. En effet, il ne peut se déduire des pourcentages invoqués par le Royaume d’Espagne aucune indication pertinente pour apprécier l’impact de la décision attaquée sur la situation concurrentielle de l’un ou l’autre membre des requérantes.

53      Il convient donc de considérer qu’au moins un membre de chacune des requérantes est individuellement concerné par la décision attaquée.

54      Quant à la question de savoir si certains des membres des requérantes sont directement concernés par la décision attaquée, il suffit d’observer que la décision de la Commission de clore la procédure formelle d’examen a laissé entiers tous les effets des mesures litigieuses, déjà mises à exécution, de sorte que les membres des requérantes, entretenant un rapport direct de concurrence avec les bénéficiaires de ces mesures, sont directement concernés par la décision attaquée (arrêt Cofaz e.a./Commission, point 38 supra, point 30).

55      Contrairement à ce que soutiennent la Commission et le Royaume d’Espagne (voir point 31 ci-dessus), la circonstance que les mesures litigieuses constituent un régime et non une mesure individuelle n’entraîne pas que la décision attaquée n’affecte les membres des requérantes que de façon potentielle et indirecte. En effet, tant dans le cadre de leurs observations à la suite de l’ouverture de la procédure formelle d’examen que dans leurs écritures devant le Tribunal, les requérantes ont indiqué, sans être contredites ni par la Commission ni par la partie intervenante, que les mesures litigieuses avaient déjà été mises en œuvre par le Royaume d’Espagne. Dans ces conditions, force est de constater que la position concurrentielle des membres des requérantes est effectivement et directement affectée par la décision attaquée selon laquelle ces mesures déjà mises en œuvre ne constituent pas des aides.

56      Dès lors que certains membres des requérantes ont qualité pour agir en annulation de la décision attaquée, conformément à la jurisprudence rappelée au point 44 ci-dessus, il convient de considérer que les requérantes ont également qualité pour agir contre cette décision. Pour ces motifs, le recours doit être déclaré recevable, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments avancés par les parties.

 Sur le fond

57      Au soutien de son recours, la requérante allègue, en substance, deux moyens d’annulation. Le premier moyen est pris de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE. Le second est pris de la violation de la règle selon laquelle il incombe à l’État membre concerné de justifier l’adoption d’une mesure par la nature et l’économie du système.

58      La Commission, conteste le bien-fondé de chacun de ces deux moyens. Le Royaume d’Espagne ne conteste le bien-fondé que du premier moyen.

59      Il convient d’examiner tout d’abord le premier moyen.

60      Les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission a violé l’article 87, paragraphe 1, CE en ce que, dans la décision attaquée, elle affirme que les mesures litigieuses ne sont pas constitutives d’une aide, car elles ne confèrent pas d’avantage aux coopératives agricoles et sont conformes à la nature et à l’économie du système fiscal applicable aux coopératives. Ce moyen se subdivise en trois branches. Dans le cadre de la première branche, les requérantes soutiennent que la Commission a conclu à tort à l’absence d’avantage en raison d’une appréciation erronée du régime fiscal espagnol. Dans le cadre de la deuxième branche, les requérantes font valoir que la Commission a erronément conclu à l’absence de caractère sélectif des mesures litigieuses en raison d’une appréciation erronée de la conformité des mesures litigieuses à la nature et à l’économie du système fiscal espagnol. Par la troisième branche du présent moyen, les requérantes allèguent que la Commission aurait dû conclure à l’existence d’une aide d’État incompatible avec le marché commun.

 Quant à la première branche, tirée d’une erreur d’appréciation du régime fiscal espagnol entachant l’appréciation selon laquelle les mesures litigieuses ne confèrent pas d’avantage aux coopératives agricoles

 Arguments des parties

61      Les requérantes soutiennent que l’analyse du régime fiscal des coopératives effectuée par la Commission dans la décision attaquée est incomplète et erronée. Plus particulièrement, elles contestent que le régime fiscal avantageux appliqué à l’ensemble des coopératives soit compensé par des obligations fiscales et sociales supplémentaires par rapport à d’autres types de sociétés. Au contraire, le système fiscal applicable aux sociétés coopératives serait nécessairement avantageux, en termes nets, par rapport au régime fiscal des autres types de sociétés.

62      À cet égard, en premier lieu, les requérantes contestent l’analyse du régime fiscal applicable aux coopératives au titre de l’impôt sur les sociétés.

63      Tout d’abord, la comparaison effectuée par la Commission dans la décision attaquée entre, d’une part, les excédents nets distribués aux associés coopérateurs et, d’autre part, les dividendes distribués aux actionnaires des sociétés de capitaux, serait entachée d’erreur, car elle ne tiendrait pas compte de ce qu’il existerait un mécanisme alternatif de rétribution des coopérateurs, à savoir l’augmentation du prix auquel la coopérative leur achète leurs produits, qui permettrait aux coopérateurs de recevoir un montant supérieur à celui qu’ils recevraient par la distribution des excédents nets, ces derniers étant soumis au paiement de l’impôt sur les sociétés et affectés à des fonds obligatoires. Ce mécanisme reposerait sur l’article 57, paragraphe 2, sous a), de la loi 27/1999 selon lequel le montant des fournitures de biens et/ou de services réalisées par les associés au profit de la coopérative sont des dépenses déductibles à concurrence d’une somme qui ne peut dépasser les prix réels d’achat.

64      Ensuite, la comparaison entre excédents nets et dividendes, telle qu’elle figure au considérant 92 de la décision attaquée, reposerait sur une appréciation erronée des obligations légales d’apport et du statut de ces apports. Ainsi, cette comparaison tiendrait compte de ce que, en vertu des articles 55 et 56 de la loi 27/1999, les coopératives sont tenues d’affecter un pourcentage déterminé de leurs excédents à des fonds (fonds de réserve obligatoire et fonds pour l’éducation et la promotion), alors qu’elle ne prendrait pas en considération l’article 214 du Real Decreto Legislativo 1564/1989, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley de Sociedades Anónimas, du 22 décembre 1989 (décret législatif royal portant approbation du texte remanié de la loi sur les sociétés anonymes), en vertu duquel les sociétés qui relèvent de cette disposition ont également des obligations d’apport à la réserve légale.

65      En outre, le tableau comparatif reproduit au considérant 92 de la décision attaquée ne mentionnerait pas la ristourne de 50 % de l’impôt sur les sociétés dont bénéficient les coopératives.

66      Enfin, la décision attaquée ne ferait nulle mention de la liberté d’amortissement des éléments de l’actif fixe neuf dont bénéficient les coopératives au titre de l’article 33 de la loi 20/1990, alors qu’une telle liberté ne serait pas reconnue aux sociétés commerciales.

67      En second lieu, les requérantes soutiennent que la Commission a erronément analysé le régime fiscal applicable aux coopératives dans la mesure où elle a omis de tenir compte d’autres avantages fiscaux. À cet égard, elles font valoir que, en leur qualité d’entités spécialement protégées, sous certaines conditions, les coopératives agricoles sont totalement exemptées de l’impôt sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, et qu’elles bénéficient d’un allègement de 95 % du montant de l’impôt et des éventuelles majorations en ce qui concerne l’impôt sur les activités économiques et l’impôt sur les biens immeubles. La décision attaquée ne tiendrait aucun compte de ces avantages fiscaux dont l’impact sur le compte de résultat des coopératives serait significatif, comme cela ressortirait d’un tableau, produit par les requérantes dans le cadre de la procédure formelle d’examen, analysant l’impact fiscal de ces avantages et montrant les bénéfices qu’ils procurent aux coopératives.

68      La Commission fait valoir, à titre liminaire, que l’existence d’un avantage ne peut être déduite de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE et des doutes qu’elle a exprimés quant à l’existence d’un éventuel avantage fiscal en faveur des coopératives. Cette décision résulterait uniquement des informations erronées fournies par les requérantes selon lesquelles, depuis l’entrée en vigueur du décret-loi, les activités des coopératives avec des tiers n’étaient plus imposées au taux général de 35 % mais au taux réduit de 20 %. Or, à la suite de la réponse des autorités espagnoles à l’ouverture de la procédure formelle d’examen, il serait apparu que ces informations étaient erronées et que, tant avant qu’après l’adoption du décret-loi, les activités des coopératives avec des tiers étaient imposées à un taux de 35 %. Après prise en compte de ces éléments, la Commission n’aurait plus de raison de considérer que le régime fiscal des coopératives constituait un avantage en faveur de ces dernières par rapport aux sociétés de capitaux.

69      Sous le bénéfice de cette observation liminaire, en premier lieu, la Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, conteste que les différents aspects du régime fiscal des coopératives identifiés par les requérantes constituent des avantages par rapport à la situation des sociétés de capitaux.

70      S’agissant, premièrement, de l’impôt sur les sociétés, la Commission conteste que le régime applicable aux coopératives confère à celles-ci un avantage.

71      Tout d’abord, le mode alternatif de rétribution des associés par un prix de transfert supérieur au prix du marché serait sans pertinence en l’espèce, puisque, par définition, il ne pourrait entrer en ligne de compte que dans le cadre des activités avec des coopérateurs associés et non dans le cadre d’opérations réalisées avec des tiers, comme la distribution de carburant, seule activité concernée dans le cadre du présent litige.

72      Ensuite, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les fonds obligatoires ne seraient pas équivalents à la réserve légale des sociétés anonymes. D’une part, ils seraient intégrés dans le patrimoine non distribuable de la coopérative et, en cas de dissolution de celle-ci, ne seraient pas récupérés par les associés. D’autre part, à la différence de la réserve légale des sociétés anonymes à laquelle 10 % des bénéfices doivent être affectés jusqu’à ce que la réserve atteigne 20 % du capital social, les coopératives seraient toujours tenues d’affecter 25 % de leurs résultats issus de l’activité propre à la coopérative et 50 % de leurs résultats non issus d’une telle activité.

73      Enfin, s’agissant de la liberté d’amortissement pour certains éléments de l’actif, la Commission fait observer que cette mesure n’a pas été modifiée par le décret-loi et qu’elle n’est donc pas évaluée, en principe, dans la décision attaquée. En tout état de cause, la législation espagnole prévoirait également la liberté d’amortissement pour les éléments de l’actif fixe en ce qui concerne les entreprises de dimension réduite de sorte que la plupart des stations-service bénéficieraient déjà d’un régime au moins analogue à celui applicable aux coopératives.

74      S’agissant, deuxièmement, des autres avantages fiscaux allégués par les requérantes et liés à l’impôt sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, à l’impôt sur les activités économiques et à l’impôt sur les biens immeubles, la Commission fait valoir que ces prétendus avantages n’ont pas été modifiés par le décret-loi et que, partant, ils ne sont pas évalués, en principe, dans la décision attaquée. De plus, ces avantages sembleraient avoir été d’application, sans changements notables, avant l’adhésion de l’Espagne, ce qui ne permettrait pas d’exclure qu’ils constituent des mesures existantes. En tout état de cause, ces avantages seraient de faible importance par rapport à l’impôt sur les sociétés, de sorte que leur prise en compte n’aurait pas pu remettre en cause la conclusion selon laquelle il n’est pas établi que les coopératives jouissent d’un meilleur traitement fiscal que les sociétés de capitaux.

75      Elle fait valoir, en second lieu, que, même si le décret-loi établit un régime moins restrictif que le régime qui l’a immédiatement précédé, en ce qui concerne des activités de distribution de gasoil à des tiers par les coopératives agricoles, cette évolution dans le temps du régime applicable n’impliquerait pas qu’il existe un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. L’existence d’un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE dépendrait de la question de savoir si certaines entreprises ont bénéficié d’un traitement avantageux de la part de l’État membre par rapport à d’autres entreprises se trouvant dans une situation comparable. Or, il n’y aurait pas lieu de parler d’un avantage pour les coopératives par rapport aux sociétés de capitaux, ni d’un avantage pour les coopératives agricoles par rapport à d’autres catégories de coopératives. L’élément principal permettant de commencer à s’interroger sur l’existence éventuelle d’une aide ferait donc défaut.

 Appréciation du Tribunal

76      Au soutien de la présente branche, les requérantes font notamment valoir que la Commission a omis de prendre en compte le statut fiscal avantageux pour les coopératives agricoles, s’agissant de l’impôt sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, de l’impôt sur les activités économiques et de l’impôt sur les biens immeubles.

77      Pour les raisons exposées ci-après (voir points 80 et suivants), le Tribunal n’est pas en mesure de contrôler le bien-fondé de la décision attaquée sur ce point.

78      À cet égard, comme il ressort d’une jurisprudence constante, la motivation d’une décision individuelle faisant grief doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, point 41 supra, point 63, et arrêt du Tribunal du 21 mars 2001, Métropole télévision/Commission, T‑206/99, Rec. p. II‑1057, point 44).

79      Par ailleurs, le défaut ou l’insuffisance de motivation relève de la violation des formes substantielles au sens de l’article 230 CE et doit être soulevé d’office par le juge communautaire (arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, point 41 supra, point 67, et arrêt Métropole télévision/Commission, point 77 supra, point 43).

80      En l’espèce, la décision attaquée n’indique pas de façon claire et non équivoque les raisons pour lesquelles le régime fiscal applicable aux coopératives agricoles, s’agissant de l’impôt sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, de l’impôt sur les activités économiques et de l’impôt sur les biens immeubles, n’est pas constitutif d’un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

81      En effet, d’une part, le considérant 145 de la décision attaquée indique explicitement que les coopératives bénéficient d’avantages fiscaux en ce qui concerne, outre l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, l’impôt sur les activités économiques et l’impôt sur les biens immeubles. D’autre part, le considérant 148 de la décision attaquée indique que les mesures litigieuses ne constituent pas un avantage et donc pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

82      Certes, lors de l’audience, la Commission a soutenu que le raisonnement exposé aux considérants 146 et 147 de la décision attaquée s’appliquait non seulement à l’impôt sur les sociétés, mais également aux impôts sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, sur les activités économiques et sur les biens immeubles.

83      Toutefois, force est de constater qu’une telle motivation est incompréhensible.

84      Premièrement, le considérant 146 indique que l’avantage que la coopérative peut tirer de l’abattement de 50 % sur l’impôt sur les sociétés est corrigé par la double imposition au regard de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Dès lors que la Commission n’a pas avancé la moindre raison pour laquelle les avantages résultant des impôts sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, sur les activités économiques et sur les biens immeubles seraient également corrigés par la double imposition au regard de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, le considérant 146 ne peut être compris que comme se référant à une correction de l’abattement de 50 % sur l’impôt sur les sociétés.

85      Deuxièmement, le considérant 147 se borne à mentionner que la fiscalité des coopératives agricoles, examinée dans son ensemble, établit des différenciations quant à sa structure et contient des éléments avantageux, contrebalancés par des obligations spécifiques (dotations de fonds obligatoires, traitement du capital, double imposition). Ce considérant reste muet sur les raisons pour lesquelles les obligations spécifiques qu’il mentionne contrebalancent, outre l’abattement de 50 % de l’impôt sur les sociétés, également les avantages résultant des impôts sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, sur les activités économiques et sur les biens immeubles. De telles raisons font d’autant plus défaut en l’espèce que les obligations spécifiques explicitement mentionnées doivent se comprendre, à la lecture de la décision attaquée, comme relatives à l’impôt sur les sociétés. En effet, outre leur mention au considérant 147, ces obligations spécifiques sont également évoquées aux considérants 83 à 95 de la décision attaquée qui n’envisagent que l’impôt sur les sociétés.

86      Par ailleurs, il convient encore de relever qu’aucun des arguments avancés par la Commission ou le Royaume d’Espagne dans leurs écritures devant le Tribunal ne permet d’éclairer à suffisance les motifs de la décision attaquée.

87      S’agissant, tout d’abord, de l’argument selon lequel les mesures liées aux impôts sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, sur les activités économiques et sur les biens immeubles n’ont pas été modifiés par le décret-loi et que, en conséquence, ces aspects ne sont pas évalués, en principe, dans la décision attaquée, il convient de relever que cet argument manque en fait dès lors que le considérant 145 atteste de la prise en compte, par la Commission, de l’existence d’avantages fiscaux au profit des coopératives résultant de ces impôts.

88      Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme la Commission, la situation fiscale des coopératives au titre des impôts sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, sur les activités économiques et sur les biens immeubles a été modifiée par les mesures litigieuses. En effet, avant l’adoption de ces mesures, le statut fiscal des coopératives ne trouvait pas à s’appliquer à l’activité de distribution de carburant dès lors que cette activité devait être réalisée par une entité juridique distincte ne bénéficiant pas de ce statut fiscal privilégié. À partir de l’entrée en vigueur des mesures litigieuses, le champ d’application de ce statut fiscal privilégié a été étendu aux activités de distribution du carburant. Il convient donc de considérer que la situation fiscale des coopératives agricoles a été modifiée par les mesures litigieuses.

89      S’agissant, ensuite, de l’argument selon lequel le statut fiscal au titre des impôts sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, sur les activités économiques et sur les biens immeubles pourrait être constitutif d’une aide existante, dans la mesure où ce statut ne semble pas avoir été modifié depuis l’adhésion du Royaume d’Espagne, force est de constater qu’il n’apporte aucun éclairage permettant de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission conclut à l’absence d’avantage au considérant 148 de la décision attaquée. En effet, pour autant que la Commission entende affirmer que le statut fiscal privilégié constitue une aide existante, elle admet nécessairement que ce statut fiscal constitue une aide et, partant, qu’il confère bel et bien un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

90      S’agissant, enfin, de l’argument selon lequel l’avantage qui résulte des impôts sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, sur les activités économiques et sur les biens immeubles est de faible importance par rapport à l’impôt sur les sociétés, force est de constater qu’il ne permet pas, lui non plus, de donner sens à la décision attaquée. En effet, admettre la faible importance d’un avantage revient nécessairement à en admettre la réalité. Par ailleurs, il convient de relever que la Commission a précisé à l’audience qu’elle n’entendait pas soutenir, par cet argument, que l’avantage qui résulte des impôts sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, sur les activités économiques et sur les biens immeubles est inférieur au seuil de la règle de minimis. En conséquence, l’argument avancé ne permet pas de comprendre les raisons pour lesquelles le régime fiscal au titre des impôts sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, sur les activités économiques et sur les biens immeubles ne constitue pas un avantage.

91      Il ressort de tout ce qui précède que la décision attaquée est affectée d’un vice de motivation tel que le Tribunal n’est pas en mesure d’exercer son contrôle sur le bien-fondé de l’appréciation de la Commission selon laquelle aucun avantage ne résulte du régime applicable aux coopératives s’agissant des impôts sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, sur les activités économiques et sur les biens immeubles.

92      Toutefois, un tel défaut de motivation n’est susceptible d’entraîner l’annulation de la décision attaquée que si celle-ci est privée d’une motivation suffisante au soutien du dispositif selon lequel les mesures litigieuses ne constituent pas une aide d’État, aux termes de l’article 87, paragraphe 1, CE. À cet égard, il convient de relever que, dans la décision attaquée, la Commission affirme, d’une part, que les mesures litigieuses ne constituent pas un avantage et, d’autre part, que, si ces mesures constituent un avantage, celui-ci est dépourvu de caractère sélectif en raison de sa conformité à la nature et à l’économie du système.

93      Il convient donc d’examiner, à ce stade, les arguments des parties s’agissant de la sélectivité des mesures litigieuses.

 Quant à la deuxième branche, tirée d’une erreur d’appréciation de la conformité des mesures litigieuses à la nature et à l’économie du système fiscal espagnol entachant l’appréciation de l’absence de caractère sélectif de ces mesures

 Arguments des parties

94      Premièrement, les requérantes relèvent qu’il résulte du point 16 de la communication sur la fiscalité que, pour apprécier si une exception ou des différenciations à l’intérieur d’un régime commun applicable sont justifiées par la nature ou l’économie du système fiscal, il y a lieu d’examiner si elles résultent directement des principes fondateurs ou directeurs du système fiscal de l’État membre concerné.

95      Selon elles, tel ne serait pas le cas en l’espèce. À cet égard, elle font tout d’abord valoir que la comparaison entre les principes qui ont inspiré les mesures litigieuses et les principes qui ont inspiré la législation fiscale sur les coopératives montre que les mesures litigieuses ne s’inscrivent pas dans la logique qui sous-tend la législation fiscale sur les coopératives. En effet, comme cela ressortirait de l’exposé des motifs du décret-loi, les mesures litigieuses auraient pour objectif de remédier à l’impact de l’augmentation du prix du pétrole sur certains opérateurs. En revanche, les principes qui sous-tendent l’économie du système fiscal espagnol, s’agissant des coopératives, seraient de favoriser le mouvement coopératif en raison de sa fonction sociale, comme cela ressortirait notamment de l’exposé des motifs de la loi 20/1990 et de la loi 27/1999.

96      Ensuite, le régime fiscal avantageux que le législateur espagnol a consenti aux coopératives en général serait subordonné à la condition qu’elles limitent à un pourcentage déterminé leurs activités avec des tiers non associés, afin de toujours maintenir un équilibre entre leur fonction sociale et le respect des conditions de la concurrence. Or, ce serait précisément cette limitation que le décret-loi aurait supprimée pour compenser l’augmentation du prix du pétrole.

97      De plus, les requérantes relèvent que les mesures litigieuses sont adoptées au moyen du mécanisme du décret-loi royal auquel le législateur recourt dans des situations d’urgence, ce qui révélerait, en soi, le caractère dérogatoire de ces mesures.

98      En outre, il résulterait des conclusions de l’avocat général M. Darmon sous l’arrêt de la Cour du 17 mars 1993, Sloman Neptun (C‑72/91 et C‑73/91, Rec. p. I‑887, I‑903, point 50), ainsi que des conclusions de l’avocat général M. Ruiz-Jarabo Colomer sous l’arrêt de la Cour du 19 mai 1999, Italie/Commission (C‑6/97, Rec. p. I‑2981, I‑2983, point 27), qu’une mesure qui a pour objectif de pallier une situation conjoncturelle ne saurait être justifiée par un système qui vise à réglementer de manière avantageuse et stable un secteur déterminé de l’économie d’un pays. L’objet et la nature d’une telle mesure lui conféreraient un caractère dérogatoire par rapport au système général. Tel serait précisément le cas des mesures litigieuses, ce que le gouvernement espagnol lui-même reconnaîtrait.

99      Enfin, il serait incohérent de considérer les mesures litigieuses comme s’inscrivant dans le système fiscal général alors que, au point 168 de la décision attaquée, la Commission aurait considéré que d’autres mesures prévues par le décret-loi en vue d’atténuer l’impact de l’augmentation du prix des carburants dans le secteur agricole, telles que des avantages fiscaux en matière de transmission de certaines terres et exploitations agricoles, constituent des aides sélectives non justifiées par la nature ou l’économie du système fiscal.

100    Deuxièmement, les requérantes font valoir, en substance, que c’est à tort que la Commission considère que les mesures litigieuses sont justifiées par la nature et l’économie du système fiscal applicable aux coopératives alors que ces mesures sont applicables aux seules coopératives agricoles en excluant les coopératives d’exploitation communautaire de la terre et de la mer qui, elles, resteraient soumises à l’obligation de ne pas dépasser 50 % de leur chiffre d’affaires total pour leurs opérations avec des tiers non associés et de constituer une entité juridique distincte soumise au régime fiscal général pour la distribution de carburant. Les mesures litigieuses traiteraient donc de manière différente des entités qui se trouvent dans une situation juridique identique. Il résulterait tant de la jurisprudence que de la pratique antérieure de la Commission que de telles règles ne pourraient pas être justifiées par leur conformité au système fiscal général applicable aux coopératives (voir arrêt de la Cour du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline, C‑143/99, Rec. p. I‑8365, point 41, et la jurisprudence citée).

101    Par ailleurs, le cas d’espèce ne rentrerait pas dans l’hypothèse visée au point 25 de la communication sur la fiscalité selon lequel la nature du système fiscal peut justifier que des coopératives qui distribuent tous leurs profits à leurs membres ne soient pas imposées au niveau de la coopérative lorsque l’impôt est perçu au niveau de leurs membres. En effet, le régime applicable à la distribution des excédents nets serait applicable tant aux coopératives agricoles qu’aux autres coopératives, lesquelles ne pourraient pas bénéficier des avantages prévus par les mesures litigieuses, de sorte que lesdites mesures accorderaient un avantage supplémentaire aux coopératives agricoles par rapport aux autres coopératives.

102    Les mesures litigieuses seraient donc destinées à améliorer la situation compétitive des coopératives agricoles par rapport à d’autres opérateurs, ce qui impliquerait de les considérer, en tant que mesures étrangères au système fiscal des coopératives, comme des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (arrêt de la Cour du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C‑75/97, Rec. p. I‑3671, points 38 et 39).

103    La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, fait valoir, premièrement, que, même si un quelconque élément avantageux était identifié au profit des sociétés coopératives, quod non, celui-ci serait pleinement justifié par la nature et l’économie du système fiscal qui requiert l’application de traitements différents à des réalités distinctes.

104    À cet égard, elle soutient que la nature et l’économie du système fiscal dans le cadre des aides d’État se réfèrent à la mise en adéquation de la réglementation fiscale avec les principes qui sous-tendent l’ordre juridique concerné. En l’espèce, parmi ces principes figureraient ceux d’égalité et de progressivité consacrés par l’article 31 de la Constitution espagnole aux termes duquel « [t]oute personne contribu[e] aux dépenses publiques, en fonction de sa capacité économique, par un système fiscal juste fondé sur des principes d’égalité et de progressivité qui ne revêtira, en aucun cas, le caractère d’une confiscation ». L’idée centrale que traduirait cette disposition de la Constitution espagnole résiderait dans la notion de justice distributive selon laquelle le traitement différent de situations identiques serait tout aussi injuste que le traitement identique de situations différentes.

105    Or, il découlerait de la définition même de la société coopérative telle que prévue à l’article 1er de la loi 27/1999 que cette société présente des traits caractéristiques qui la distingue de la société de capitaux.

106    Selon la Commission et le Royaume d’Espagne, la coopérative est, tout d’abord, une société de personnes et non de capitaux, ce qui se traduirait par de nombreuses différences de fonctionnement. Ainsi, le lien personnel particulier existant entre la coopérative et les coopérateurs impliquerait que la rémunération perçue par un associé dans une coopérative ne saurait être assimilée à une rémunération de capitaux. Ensuite, tous les associés auraient les mêmes droits dans la prise de décision, alors que, dans les sociétés de capitaux, ce droit dépendrait essentiellement de la part détenue dans le capital social. Par ailleurs, le capital social d’une coopérative serait variable, en fonction de l’adhésion et du départ des associés, et moins important que dans une société de capitaux de sorte que les fonds obligatoires prendraient une plus grande place, les bénéfices leur étant affectés en priorité. En outre, les associés d’une coopérative devraient prendre part à l’activité économique exercée par la coopérative. De plus, les bénéfices distribués aux associés d’une coopérative ne seraient pas comparables, en volume ou en nature, à ceux que distribue une société de capitaux à ses actionnaires. Enfin, la rémunération perçue par l’associé d’une coopérative ne saurait être assimilée à un simple rendement de capital.

107    Ces caractéristiques des sociétés coopératives, communes à plusieurs ordres juridiques, commanderaient que les réglementations fiscales nationales contiennent des modalités d’application spécifiques pour tenir compte des différences entre sociétés coopératives et sociétés de capitaux. Telle serait la justification de la loi 20/1990 qui prévoit le régime fiscal des coopératives.

108    Ce régime fiscal constituerait un régime fiscal à part entière et non une exception au régime fiscal des sociétés de capitaux qui ne constituerait pas le régime fiscal général mais un régime applicable aux seules sociétés de capitaux. Dans ces conditions, le régime fiscal des sociétés de capitaux ne pourrait pas être considéré comme le système normalement applicable auquel le régime fiscal des coopératives constituerait une dérogation. L’application du régime fiscal des coopératives ne pourrait donc pas, en tant que tel, constituer un avantage.

109    La Commission ajoute que, en réclamant un traitement fiscal identique pour les sociétés de capitaux et les sociétés coopératives, tout en ne tenant pas compte des différences fondamentales qui existent entre ces deux formes de sociétés, les requérantes s’attachent à une conception purement formelle de la justice incompatible avec la jurisprudence selon laquelle, pour toute comparaison, il y a lieu de déterminer au préalable si les situations des entreprises considérées sont comparables ou non, sous peine de commettre une erreur de droit en qualifiant une mesure d’aide (arrêt de la Cour du 3 juillet 2003, Chronopost e.a./Ufex e.a., C‑83/01 P, C‑93/01 P et C‑94/01 P, Rec. p. I‑6993, point 33).

110    La Commission fait valoir, deuxièmement, qu’aucun argument avancé par les requérantes ne permet d’établir que les mesures litigieuses ne s’accordent pas avec la logique du système fiscal.

111    Tout d’abord, le fait que certaines mesures soient adoptées formellement par un décret-loi, intégré ultérieurement dans une loi, n’impliquerait pas nécessairement que ces mesures réunissent les caractéristiques d’un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. L’utilisation de la forme juridique du décret-loi royal n’exclurait pas non plus que certaines des mesures qu’il contient puissent être conformes à la nature et à l’économie du système fiscal.

112    Ensuite, la Commission conteste que le décret-loi soit une mesure de politique industrielle. À cet égard, soutenue par le Royaume d’Espagne, elle fait valoir que l’effet du décret-loi sur les coopératives agricoles est, dans une large mesure, le rétablissement de la situation juridique initiale dans laquelle ces coopératives pouvaient distribuer du gasoil à des tiers sans qu’elles soient tenues de constituer une filiale ayant une personnalité juridique distincte. Selon la Commission, l’obligation de constituer une telle filiale n’existait pas dans le régime juridique applicable à la distribution de carburants tel qu’il résultait de la libéralisation de cette activité à la suite de l’adhésion de l’Espagne à la Communauté. Elle aurait été imposée par la quinzième disposition additionnelle de la loi 34/1998 en vue de protéger les propriétaires de stations-service de la concurrence des coopératives. À cet égard, le Royaume d’Espagne précise que ce retour à la situation juridique d’origine était justifié par l’absence de nécessité, au fil du temps, de maintenir cette mesure. La Commission en conclut que, si une de ces mesures peut être qualifiée de mesure de politique industrielle, il s’agit de la quinzième disposition additionnelle de la loi 34/1998 et non du décret-loi.

113    Elle rejette encore l’allégation selon laquelle seules les coopératives agricoles bénéficient d’avantages au détriment des autres coopératives.

114    Enfin, elle conteste également que la décision attaquée soit contradictoire et incohérente en ce que, contrairement aux mesures litigieuses, les avantages fiscaux liés à la transmission d’exploitations agricoles y seraient qualifiés d’avantages non justifiés par l’économie du système. À cet égard, elle soutient qu’elle avait l’obligation d’examiner chacune des mesures prévues dans le décret-loi en fonction de leurs aspects spécifiques et qu’un tel examen aurait conduit à des résultats différents dans les deux cas. Ainsi, la transmission d’une exploitation agricole ne devrait en principe pas recevoir un traitement fiscal différent de celui de la transmission de toute autre propriété, alors qu’il existerait de nombreux motifs qui conduisent à appliquer des régimes fiscaux différents aux coopératives et aux sociétés de capitaux. L’amalgame que font les requérantes serait donc dépourvu de toute logique et, si la Commission avait procédé à un tel amalgame, la décision attaquée aurait été entachée d’illégalité.

 Appréciation du Tribunal

115    Il convient de rappeler, de nouveau, que le défaut ou l’insuffisance de motivation relève de la violation des formes substantielles au sens de l’article 230 CE et doit être soulevé d’office par le juge communautaire (arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, point 41 supra, point 67, et arrêt Métropole télévision/Commission, point 78 supra, point 43).

116    En l’espèce, la décision attaquée ne fait mention d’aucun élément permettant de comprendre le raisonnement suivi par la Commission pour parvenir à la conclusion selon laquelle les mesures litigieuses ne sont pas sélectives (considérant 148), car justifiées par la nature et l’économie du système (considérant 167).

117    Certes, le considérant 148 de la décision attaquée indique que c’est au vu des informations communiquées par le Royaume d’Espagne et par la confédération des coopératives agricoles espagnoles que la Commission considère que les mesures litigieuses ne sont pas sélectives. Il convient donc d’examiner si les informations fournies à la Commission, telles que rapportées dans la décision attaquée, à supposer que la Commission les ait faites siennes, permettent de comprendre le raisonnement suivi par cette institution pour considérer que les mesures litigieuses ne sont pas sélectives, car justifiées par la nature et l’économie du système.

118    S’agissant, tout d’abord, des informations communiquées par la confédération des coopératives agricoles espagnoles, telles que rapportées dans la décision attaquée, force est de constater qu’elles portent sur l’absence d’avantage et non sur l’absence de sélectivité. Ces informations ne contiennent donc pas d’éléments sur lesquels appuyer un raisonnement s’agissant de l’absence de caractère sélectif de l’avantage qui résulterait des mesures litigieuses.

119    S’agissant, ensuite, des informations communiquées par le Royaume d’Espagne, il y a lieu de relever que ces informations, telles que relatées aux considérants 103 à 120 de la décision attaquée, visent, pour l’essentiel, à justifier les mesures litigieuses par une politique de libéralisation du secteur de la distribution de carburant. Or, une telle explication ne permet pas de comprendre les raisons pour lesquelles les mesures litigieuses seraient justifiées par la nature ou l’économie du système fiscal. En effet, sauf éclaircissement circonstancié qui fait défaut en l’espèce, une considération tirée de la politique de libéralisation du marché du carburant poursuivie par le Royaume d’Espagne ne relève pas nécessairement de la nature ou de l’économie du système fiscal espagnol.

120    Par ailleurs la circonstance relevée au considérant 119 de la décision attaquée, selon laquelle les avantages liés à l’impôt sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés sont antérieurs aux mesures litigieuses et ont pour objet de renforcer les sociétés coopératives et le mouvement coopératif en Espagne, ne relève pas non plus nécessairement de la nature et de l’économie du système fiscal.

121    En toute hypothèse, même à admettre que, malgré l’absence de toute explication circonstanciée sur ce point dans la décision attaquée, la Commission ait entendu considérer que la promotion du mouvement coopératif faisait partie de la nature et de l’économie du système fiscal espagnol, force est néanmoins de constater que le considérant 119 de la décision attaquée ne mentionne cette justification qu’à l’égard de l’avantage qui résulte de l’impôt sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés et reste muet sur les avantages qui résultent du régime des impôts sur les biens immeubles, d’une part, et sur les activités économiques, d’autre part.

122    Il résulte donc de ce qui précède que la décision attaquée est affectée d’un vice de motivation tel que le Tribunal n’est pas en mesure d’exercer son contrôle sur le bien-fondé de l’appréciation de la Commission selon laquelle, à supposer que les mesures litigieuses constituent un avantage, cet avantage n’est pas sélectif, car il est justifié par la nature et l’économie du système.

123    En conséquence, il découle du constat de l’absence de motivation effectué au point 90 ci-dessus ainsi que de celui exposé au point précédent que la décision attaquée n’est pas suffisamment motivée en ce qui concerne l’appréciation selon laquelle les mesures litigieuses ne constituent pas des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

124    Il y a donc lieu d’annuler la décision attaquée en ce que la Commission a violé l’obligation de motivation que lui impose l’article 253 CE, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens et arguments des parties et sur la demande des requérantes tendant à ce que la Commission produise le dossier complet d’instruction de la procédure d’examen des mesures litigieuses.

 Sur les dépens

125    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses conclusions et les requérantes ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par les requérantes.

126    Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Le Royaume d’Espagne supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      L’article 1er de la décision 2003/293/CE de la Commission, du 11 décembre 2002, relative aux mesures en faveur du secteur agricole mises à exécution par l’Espagne à la suite de la hausse du coût du carburant, est annulée en ce qu’il constate que les mesures de soutien aux coopératives agricoles prévues par le Real Decreto-Ley 10/2000 de medidas urgentes de apoyo a los sectores agrario, pesquero y del transporte (décret-loi relatif à des mesures urgentes de soutien aux secteurs agricole, de la pêche et des transports) ne constituent pas une aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

2)      La Commission supportera, outre ses propres dépens, les dépens exposés par les requérantes.

3)      Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

Pirrung

Meij

Pelikánová

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 décembre 2006.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      J. Pirrung


* Langue de procédure : l’espagnol.