Language of document : ECLI:EU:C:2023:487

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME TAMARA ĆAPETA

présentées le 15 juin 2023 (1)

Affaire C330/22

Friends of the Irish Environment CLG

contre

Minister for Agriculture, Food and the Marine,

Irlande,

Attorney General

[demande de décision préjudicielle formée par la High Court (Haute Cour, Irlande)]

« Renvoi préjudiciel – Validité – Règlement (UE) no 1380/2013 – Article 43, paragraphe 2, TFUE – Politique commune de la pêche – Règlement (UE) 2019/472 – Fixation des possibilités de pêche – Limites du total admissible des captures supérieures au rendement maximal durable – Pouvoir d’appréciation du Conseil en vertu de l’article 43, paragraphe 3, TFUE – Règlement (UE) 2020/123 »






I.      Introduction

1.        De nombreux mythes et légendes ancestraux d’Irlande mentionnent le nom de l’esprit des océans, Manannán mac Lir. Puissant seigneur de guerre doté d’un char lui permettant de fendre les flots, cet esprit était également considéré comme un éleveur dont l’activité sur les « plaines de la mer » était prospère. Son cheptel se composait non pas de bovins et d’ovins, mais de bancs de poissons. Ces derniers étaient si féconds dans les eaux autour de l’Irlande que lorsque des commissions royales successives se sont penchées sur le secteur de la pêche en 1863 et en 1885, les ichtyologistes les plus éminents de l’époque ont conclu que les pêcheries étaient « inépuisables » (2).

2.        Hélas, les ichtyologistes de l’époque se trompaient. Les stocks halieutiques ne constituent pas une ressource éternelle qui se renouvelle d’elle-même et échappe à l’influence humaine. Ainsi que nous l’avons appris au cours de ce siècle, les stocks halieutiques requièrent une gestion prudente afin que leur survie soit garantie. Ce point est au cœur de l’argumentation de la requérante. Celle-ci avance en effet l’argument selon lequel le règlement (UE) 2020/123 (3), qui établit les possibilités de pêche pour l’année 2020, fixerait des limites de pêche pour certains stocks dans les eaux autour de l’Irlande (4) qui seraient supérieures aux niveaux durables à long terme (5). Elle fonde principalement son argument sur le règlement de base établissant la politique commune de la pêche (ci-après la « PCP ») (6). Dans cet acte, le législateur de l’Union a désigné l’année 2020 comme étant la date butoir à partir de laquelle la pêche dans les eaux de l’Union devrait être pratiquée à des niveaux durables pour tous les stocks.

3.        En droit, la présente affaire ne soulève toutefois pas la question de savoir si les niveaux fixés par le Conseil de l’Union européenne sont durables ou non. Il n’appartient pas à la Cour de trancher cette question. La thèse juridique de la requérante porte plutôt sur l’existence et les limites du pouvoir d’appréciation dont jouit le Conseil lorsqu’il établit les possibilités de pêche dans les eaux de l’Union en vertu de l’article 43, paragraphe 3, TFUE. Lorsqu’elle répondra à cette question de compétence, la Cour devra également éclaircir la question connexe de savoir dans quelle mesure une réglementation propre à un domaine et à un sujet relevant de la PCP est susceptible d’influer sur les objectifs de base de cette politique.

II.    Les faits à l’origine du litige et les questions préjudicielles

4.        Le Conseil répartit chaque année les possibilités de pêche entre les États membres de manière à attribuer une part prévisible des stocks pour chacune des espèces de poissons se trouvant dans les eaux de l’Union. Ces parts individuelles attribuées aux États membres constituent les « totaux admissibles des captures » (ci-après les « TAC »). Lorsque le Conseil détermine et répartit les TAC annuels, il est tenu d’agir conformément aux objectifs de la PCP, tels que décrits dans le règlement no 1380/2013.

5.        L’article 2 du règlement no 1380/2013 énumère plusieurs objectifs guidant la mise en œuvre de la PCP. Son paragraphe 1 prévoit notamment que cette politique « garantit que les activités de pêche et d’aquaculture soient durables à long terme sur le plan environnemental ». Son paragraphe 2 énonce par la suite, à son premier alinéa, que dans le cadre de la gestion de ladite politique, l’Union « vise à faire en sorte que l’exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au‑dessus des niveaux qui permettent d’obtenir le rendement maximal durable ». Ce paragraphe poursuit en précisant à son second alinéa que « le taux d’exploitation permettant d’obtenir le rendement maximal durable sera, si cela est possible, atteint en 2015 et pour tous les stocks, progressivement et par paliers, en 2020 au plus tard » (7) (ci‑après l’« objectif de RMD de 2020 »).

6.        La notion de « rendement maximal durable » (ci-après le « RMD ») renvoie à une stratégie d’exploitation mise en œuvre dans le secteur de la pêche aux quatre coins du monde. Elle part du postulat qu’il existe un certain niveau de capture pouvant être pêché dans un stock halieutique sans que cela ait des répercussions sur la taille à l’équilibre de la population de ce stock. L’idée qui sous-tend cette notion consiste, en substance, à ne pêcher que l’excédent de poissons, et ce naturellement lorsque le stock atteint son point d’équilibre et que ses taux de reproduction diminuent. Il s’ensuit que, en « faisant disparaître » cet excédent, les taux de reproduction demeurent maximisés et le stock halieutique se reconstitue chaque année sans affecter sa survie à long terme. Partant, le RMD est un postulat théorique qui vise à mettre en balance l’objectif de conservation des stocks halieutiques exploités commercialement pour les générations futures, d’une part, avec l’intérêt économique et social à l’exploitation de ces stocks, d’autre part.

7.        En vertu du règlement no 1380/2013, le RMD d’un stock donné et la manière de l’atteindre sont déterminés sur la base des « meilleurs avis scientifiques disponibles » (8) ou, en l’absence de données scientifiques pertinentes, sur la base de l’approche de précaution (9). Il est constant entre toutes les parties à la présente procédure que le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) a préparé, spécifiquement à l’intention de la Commission européenne, un avis sur les quatre stocks en cause en tenant compte de ces deux approches. Dès lors, aucune partie ne conteste que les « meilleurs avis scientifiques disponibles » et l’approche de précaution, sur la base desquels le CIEM a élaboré son avis, ont montré que le TAC des quatre stocks en cause dans les eaux autour de l’Irlande doit être fixé à un niveau nul pour l’année 2020 en vue d’obtenir ultérieurement le RMD de ces stocks (10).

8.        On ne saurait davantage contester le fait que l’existence de stocks à « prise nulle », associée aux « obligations de débarquement », dans les « pêcheries mixtes » (11) induit le problème connexe des « stocks à quotas limitants » et l’obligation de contraindre les navires de pêche à cesser toute opération bien avant qu’ils n’atteignent les quotas principaux qui leur ont été attribués. Il convient de clarifier ce phénomène. Les pêcheries mixtes sont des eaux où se trouvent plusieurs espèces de poissons et où des espèces différentes sont susceptibles d’être capturées ensemble lors d’une même opération de pêche. L’obligation de débarquement impose à tous les navires de pêche de conserver à bord tous les poissons capturés, de les enregistrer et de les imputer sur les quotas applicables à ces stocks (12). Dans les faits, la combinaison de ces éléments signifie qu’un stock dont le TAC est nul peut limiter la pêche d’autres stocks dans des pêcheries mixtes dès sa capture, souvent en tant que prise accessoire lorsque est en réalité ciblé un autre stock. Une prise accessoire d’un stock dont le quota n’est pas épuisé (ou est nul) peut ainsi avoir pour effet de limiter la pêche en contraignant les navires de pêche à cesser toute opération bien avant qu’ils n’atteignent les quotas principaux qui leur ont été attribués.

9.        Compte tenu de la problématique susmentionnée, et après avoir reçu l’avis de prise nulle pour les quatre stocks en cause, la Commission a demandé au CIEM de formuler un autre avis portant précisément sur la quantité des quatre stocks en cause qui est capturée en tant que prises accessoires de façon concomitante à la pêche de stocks « cibles » dans des pêcheries mixtes. Comme son nom l’indique, le « stock cible » représente le type de stock qu’un navire de pêche envisage de capturer au cours d’une opération de pêche déterminée lorsqu’il sort en mer. Les poissons qui finissent par accident ou par hasard dans ses filets constituent des prises accessoires.

10.      Conformément à la demande de la Commission (13), le CIEM a donné des estimations concernant la quantité de prises accessoires des quatre stocks en cause qui seraient probablement capturées si la pêche de certains stocks cibles dans les pêcheries mixtes autour de l’Irlande était pratiquée au niveau des TAC au cours de l’année 2020. Il importe de noter que l’avis transmis par le CIEM ne déclarait pas qu’un tel niveau de prises accessoires serait compatible avec l’obtention du RMD pour les quatre stocks en cause dans le cas où ces stocks seraient capturés uniquement en tant que prises accessoires. Les estimations pertinentes du CIEM représentaient seulement son appréciation mathématique de la quantité de chacun de ces quatre stocks qui serait inéluctablement capturée si un autre stock était ciblé.

11.      Dans son règlement de 2020, le Conseil a fixé pour l’année 2020, en se fondant sur les estimations susmentionnées, les possibilités de pêche pour les quatre stocks en cause à des niveaux supérieurs à zéro, à des niveaux correspondant à ceux estimés par le CIEM comme représentant la quantité de prises accessoires inévitables dans les pêcheries mixtes, ou encore à des niveaux inférieurs aux niveaux estimés par le CIEM.

12.      Sur la base du TAC annuel fixé par le Conseil pour l’année 2020 et des quantités pertinentes allouées à l’Irlande, le Minister for Agriculture, Food and the Marine (ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires maritimes, Irlande) (ci-après le « ministre ») émettait tous les mois des avis de gestion de la pêche au titre de l’article 12, paragraphe 1, du Sea Fisheries and Maritime Jurisdiction Act 2006 (loi irlandaise de 2006 relative à la pêche en mer et à la compétence maritime). Ces avis prévoyaient la quantité de prises des quatre stocks halieutiques en cause que les navires irlandais étaient autorisés à débarquer chaque mois de l’année 2020.

13.      L’organisation non gouvernementale Friends of the Irish Environment CLG (ci-après la « requérante ») a introduit en Irlande un recours contre ces avis émis par le ministre. Elle soutient en substance que, en fixant le TAC des quatre stocks en cause à un niveau supérieur à zéro pour l’année 2020, le Conseil a enfreint le règlement no 1380/2013, notamment l’objectif de RMD de 2020 prévu à l’article 2, paragraphe 2, de ce règlement. Les avis du ministre ne seraient donc pas valides.

14.      Le ministre défend son plan d’action (et, partant, le niveau des TAC fixés par le Conseil) en invoquant, entre autres, la circonstance que le règlement no 1380/2013 doit être lu en combinaison avec le règlement (UE) 2019/472 (14). Ce dernier est un instrument situé au même rang dans la hiérarchie des normes, qui reconnaît spécifiquement la difficulté de pêcher dans les pêcheries mixtes et le problème connexe consistant à éviter le phénomène des « stocks à quotas limitants ». Il est affirmé que ce règlement a eu pour effet d’autoriser la fixation de TAC supérieurs à zéro pour les stocks à l’égard desquels un avis de prise nulle avait été émis, lorsque de tels TAC étaient susceptibles de permettre, dans une certaine mesure, d’« éviter le phénomène des stocks à quotas limitants ».

15.      Dans ce contexte de fait et de droit, la High Court (Haute Cour, Irlande) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Étant donné que le [règlement de 2020] a été remplacé et/ou que les mesures nationales d’exécution ont expiré, est-il nécessaire de procéder au présent renvoi préjudiciel ?

2)      L’annexe I A du [règlement de 2020] est-elle non valide, eu égard aux buts et objectifs du [règlement no 1380/2013] et, notamment, de son article 2, paragraphes 1 et 2, y compris l’objectif visé par l’article 2, paragraphe 2, deuxième phrase, et les principes de bonne gouvernance énoncés à l’article 3, sous c) et d), de ce règlement (ce qui inclut la mesure dans laquelle il s’applique aux stocks pour lesquels une approche de précaution est requise), lorsqu’ils sont lus conjointement avec les articles 9, 10, 15 et 16 dudit règlement ainsi qu’avec ses considérants et les articles 1er, 2, 3, 4, 5, 8 et 10 du [règlement 2019/472], pour autant que les [TAC] fixés par le [règlement de 2020] ne suivent pas les avis de prise nulle pour le [RMD] émis par le [CIEM] pour certaines espèces ? »

16.      La requérante, le gouvernement irlandais, le Conseil et la Commission ont déposé des observations écrites. Ces parties ont été entendues, de même que le Parlement européen, lors de l’audience qui s’est tenue le 16 mars 2023.

III. Analyse

A.      Observations liminaires

17.      La juridiction de renvoi souhaite en substance savoir si le règlement de 2020 est valide en ce qu’il établit des possibilités de pêche supérieures à zéro pour les quatre stocks en cause dans les eaux autour de l’Irlande (15). La réponse à cette question lui permettrait de se prononcer sur la validité des mesures nationales ayant attribué ces quotas en Irlande. Toutefois, le règlement de 2020 ne peut être considéré comme valide que s’il a été adopté dans les limites du pouvoir d’appréciation que le législateur de l’Union aurait, le cas échéant, accordé au Conseil. Il s’ensuit que l’analyse de la Cour doit tout d’abord porter sur la question de savoir si le règlement no 1380/2013 accorde ou non au Conseil un pouvoir d’appréciation pour fixer les possibilités de pêche annuelles pour les quatre stocks en cause à des niveaux supérieurs à zéro. Dans le cas où elle estimerait que cette question appelle une réponse négative, comme je le lui suggère, la Cour devrait ensuite apprécier si d’autres éléments du « droit primaire de la PCP », tels que ceux figurant dans le règlement 2019/472, remettent en cause cette conclusion.

18.      En conséquence, j’examinerai dans un premier temps le cadre du traité dans lequel s’inscrit le présent litige (section B). Je m’efforcerai alors d’expliquer les raisons pour lesquelles la validité du règlement de 2020 ainsi que la méthode d’examen devant être appliquée par la Cour afin d’apprécier cette validité sont fonction de l’interprétation des deux règlements en cause dans la présente affaire, à savoir le règlement no 1380/2013 et le règlement 2019/472. Je traiterai dans un deuxième temps de l’interprétation de ces règlements (section C). J’exposerai tout d’abord les raisons pour lesquelles j’estime que le règlement no 1380/2013 n’a conféré au Conseil aucune marge d’appréciation lui permettant de s’écarter, lorsqu’il détermine le TAC des prises accessoires dans certaines pêcheries mixtes, de l’avis sur les captures qu’il a reçu en l’espèce (section C, sous-section 1). Je me pencherai ensuite sur le point de savoir si le règlement 2019/472 a eu un quelconque effet sur ce choix réglementaire (section C, sous-section 2). Ce n’est que dans un troisième temps que j’apprécierai la validité du règlement de 2020 à la lumière de mes conclusions (section D, sous-section 1). Néanmoins, je présenterai également à la Cour un autre axe d’appréciation de cette validité, pour le cas où elle ne partagerait pas ma conclusion selon laquelle le règlement 2019/472 ne déroge pas à la mission explicite définie par le règlement no 1380/2013 (section D, sous-section 2). Étant donné que je parviens dans les deux cas à la conclusion que le règlement de 2020 est entaché d’invalidité, j’exposerai succinctement qu’il convient malgré tout de maintenir les effets de ce règlement (section E).

B.      Le cadre du traité et le critère d’examen applicable

19.      L’article 43 TFUE définit la base juridique qui permet d’adopter des mesures établissant et gérant la PCP. L’article 43, paragraphe 2, de ce traité prévoit que les actes législatifs relevant du domaine de la pêche sont adoptés par la procédure législative ordinaire. Toutes les décisions réservées au législateur de l’Union qui ont trait à cette politique doivent être fondées sur cette disposition (16). L’article 43, paragraphe 3, dudit traité consacre quant à lui une procédure législative spéciale permettant au Conseil d’adopter des actes sur proposition de la Commission. Cette disposition peut servir de fondement pour l’adoption des mesures spécifiques qui y sont énumérées, y compris celles fixant les « possibilités de pêche », c’est-à-dire celles déterminant le TAC d’un stock donné.

20.      Le rapport entre les dispositions susmentionnées est quelque peu spécial (17). Dans le domaine de la pêche, le Conseil tire son pouvoir directement du traité. Il est ainsi en droit d’adopter des mesures sur le fondement de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, et ce même si aucun acte législatif adopté au titre de l’article 43, paragraphe 2, TFUE ne lui reconnaît une compétence à cette fin (18). Cependant, l’article 43, paragraphe 3, TFUE ne permet pas au Conseil de définir certains choix politiques de base dans le domaine de la PCP. De tels choix doivent être opérés par la procédure législative prévue à l’article 43, paragraphe 2, TFUE (19). Si le législateur de l’Union fixe les objectifs de la politique de la pêche sur le fondement de l’article 43, paragraphe 2, TFUE, ces choix politiques lient le Conseil lorsqu’il adopte des actes au titre de l’article 43, paragraphe 3, TFUE. Par conséquent, même si les paragraphes 2 et 3 de l’article 43 TFUE ne sont pas, au sens strict du terme, liés l’un à l’autre comme le seraient des actes de base et des actes d’exécution, les actes adoptés sur le fondement de ce paragraphe 2 déterminent les compétences dont est investi le Conseil lorsqu’il agit au titre de ce paragraphe 3 (20).

21.      Il s’ensuit que pour apprécier la validité d’un acte du Conseil qui fixe les possibilités de pêche annuelles, il faut commencer par déterminer la mesure dans laquelle le législateur de l’Union a déjà légiféré sur cette question au titre de l’article 43, paragraphe 2, TFUE (21). Cela suppose d’examiner la nature du pouvoir d’appréciation que le cadre politique établi par le législateur de l’Union aurait, le cas échéant, accordé au Conseil.

22.      Trois actes sont en cause dans la présente affaire : le règlement no 1380/2013 et le règlement 2019/472, adoptés sur le fondement de l’article 43, paragraphe 2, TFUE, et le règlement de 2020, adopté au titre de l’article 43, paragraphe 3, de ce traité.

23.      Lorsqu’elle contrôlera la validité du règlement de 2020 à la lumière du règlement no 1380/2013 et du règlement 2019/472, la Cour devra appliquer une méthode différente selon que la « décision » contestée (à savoir celle fixant un TAC supérieur à zéro pour les quatre stocks en cause) s’inscrivait ou non dans le cadre de la marge d’appréciation laissée au Conseil. Si le législateur de l’Union n’a pas accordé au Conseil la faculté de procéder à un exercice de mise en balance lorsqu’il détermine et attribue les TAC pour l’année 2020 et les années suivantes, le simple fait de constater que le Conseil s’est écarté du choix opéré par le législateur de l’Union entraîne l’invalidité de sa décision. Dans le cas contraire, où le Conseil pourrait légitimement mettre en balance l’objectif consistant à atteindre le RMD des prises accessoires dans des pêcheries mixtes avec d’autres objectifs de la PCP et s’écarter, au besoin, de l’avis de TAC nul émis par le CIEM, la validité de la décision du Conseil dépendrait alors du point de savoir si ce dernier a dépassé les limites du pouvoir d’appréciation qui lui a été accordé (22). Dans un tel cas, le niveau de contrôle devant être retenu par la Cour dépendrait de l’étendue du pouvoir d’appréciation accordé au Conseil ainsi que de la complexité de l’évaluation à laquelle celui-ci devait procéder (23).

24.      Il résulte de ce qui précède qu’il importe avant tout de déterminer l’étendue de la marge d’appréciation que le législateur de l’Union a conférée au Conseil en ce qui concerne la fixation du TAC des prises accessoires dans des pêcheries mixtes.

C.      L’interprétation du droit primaire de la PCP

1.      Le cadre politique du règlement no 1380/2013

25.      Le règlement no 1380/2013 est la réponse du législateur de l’Union à la surpêche dans les eaux de l’Union. Dans son livre vert de 2009, qui a précédé la proposition de ce règlement, la Commission avait constaté que la précédente « PCP [...] n’a[vait] pas suffisamment bien fonctionné » et elle avait prévenu qu’une vision écologique et durable de la PCP « [était] loin de correspondre à la réalité de la situation [de l’époque], qui se caractéris[ait] par une surexploitation des stocks [...] et une baisse des quantités de poissons capturées par les pêcheurs européens » (24).

26.      Ainsi, dans sa proposition législative, la Commission a expliqué que le cadre envisagé avait pour objectif général de « garantir que les activités de pêche et d’aquaculture créent des conditions environnementales durables à long terme, ce qui constitue une condition préalable indispensable pour que le secteur de la pêche devienne durable du point de vue économique et social, et contribue à la sécurité des approvisionnements alimentaires » (25). En d’autres termes, le règlement no 1380/2013 a été proposé en vue de réorienter cette politique vers l’objectif à long terme de la durabilité des activités de pêche.

27.      Le choix politique susmentionné est énoncé à l’article 2 du règlement no 1380/2013. Lorsqu’il énonce les objectifs de la PCP (telle que révisée), l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement met en exergue la nécessité d’une vision à long terme et fait référence à des préoccupations tant environnementales que socio-économiques. À cet égard, aux termes de cette disposition, la PCP vise à garantir que « les activités de pêche et d’aquaculture soient durables à long terme sur le plan environnemental et gérées en cohérence avec les objectifs visant à obtenir des retombées positives économiques, sociales et en matière d’emploi » (26).

28.      L’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013 prévoit que la gestion des pêches « vise à faire en sorte que l’exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d’obtenir le rendement maximal durable » (27). L’article 2, paragraphe 2, second alinéa, de ce règlement précise alors la date butoir pour atteindre un tel objectif : « si cela est possible [...] en 2015 et pour tous les stocks, progressivement et par paliers, en 2020 au plus tard » (28). L’article 2, paragraphe 5, dudit règlement fixe ensuite d’autres objectifs de la PCP, parmi lesquels celui de « créer les conditions pour que le secteur de la pêche [...] soi[t] économiquement viabl[e] et compétiti[f] » [article 2, paragraphe 5, sous c), du même règlement] et celui de « contribuer à garantir un niveau de vie équitable aux personnes qui sont tributaires des activités de pêche, en tenant compte de la pêche côtière et des aspects socioéconomiques » [article 2, paragraphe 5, sous f), du règlement no 1380/2013].

29.      Lu dans son ensemble, l’article 2 du règlement no 1380/2013 permet assurément de mettre en balance les idéaux concurrents de durabilité et de gestion des pêches, d’une part, avec les objectifs économiques et sociaux des communautés qui sont tributaires de la mer pour subsister, d’autre part. Partant, lorsqu’il est chargé de déterminer et de répartir les possibilités de pêche, le Conseil jouit en principe d’une certaine marge d’appréciation pour mettre en balance les intérêts concurrents visés à l’article 2 de ce règlement.

30.      Il me semble néanmoins que, à compter de l’année 2020, l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013 a restreint le pouvoir d’appréciation du Conseil en ce qui concerne la décision relative à l’opportunité et aux délais quant à la réalisation des niveaux correspondant au RMD pour les stocks relevant de ce règlement. J’estime en effet que, en fixant une date butoir impérative, le législateur de l’Union a entendu empêcher le Conseil de faire prévaloir des intérêts économiques à court terme sur l’objectif général à long terme consistant à rétablir progressivement et à maintenir les populations des stocks halieutiques au-dessus des niveaux de biomasse permettant d’obtenir le RMD. L’approche du législateur de l’Union présente des similitudes avec la manière dont on prend une résolution telle que « à partir de lundi, j’arrête le chocolat ! » ; après tout, si ce « lundi » n’est pas une date butoir impérative, il n’arrivera jamais et l’on continuera indéfiniment de manger du chocolat.

31.      Pour garantir cette responsabilisation, l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013 lie le Conseil à deux égards. En premier lieu, l’objectif de RMD ne saurait être contourné après l’année 2020 [sous a)]. En second lieu, cet objectif concerne indifféremment tous les stocks, qu’ils soient ou non qualifiés de « stocks cibles » ou de « stocks de prises accessoires » dans le cadre de certaines opérations de pêche [sous b)].

a)      L’année 2020 comme date impérative

32.      L’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013 semble fixer une date impérative, à savoir l’année 2020. Cette disposition empêche ainsi de dévier du choix du législateur de l’Union d’obtenir le RMD à compter de l’année 2020. En d’autres termes, il était jusqu’alors encore possible de mettre en balance l’objectif consistant à obtenir le RMD avec d’autres objectifs socio-économiques. Depuis l’année 2020, cependant, cette possibilité n’existe plus, de même que, en conséquence, le pouvoir d’appréciation dont jouissait le Conseil pour s’écarter de l’objectif consistant à obtenir le RMD lorsqu’il fixait ses TAC annuels. Pour le dire autrement, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, de ce règlement, le législateur de l’Union semble avoir agi en sorte d’empêcher les pressions socio-économiques à court terme de prévaloir sur la réalisation des objectifs de durabilité à long terme à partir de l’année 2020.

33.      Cette interprétation est étayée par le considérant 7 du règlement no 1380/2013, aux termes duquel il est encore possible de reporter, postérieurement à la date butoir de l’année 2015, la date à laquelle les taux d’exploitation permettant d’obtenir le RMD seront atteints, dans le cas où le fait de les atteindre d’ici cette année mettrait gravement en péril la viabilité sociale et économique des flottes de pêche concernées. Il s’ensuit que de telles préoccupations ne peuvent plus être prises en compte après l’année 2020.

34.      Le fait d’exclure l’objectif de RMD de l’exercice de mise en balance auquel se livre le Conseil lorsqu’il fixe les possibilités de pêche annuelles me paraît également conforme au « premier objectif général » (pour reprendre les termes employés par le Conseil dans ses observations écrites), tel qu’énoncé à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013. Cela nécessite de parvenir à une pêche durable à long terme sur le plan environnemental. La Commission a elle-même fait observer par le passé que l’exercice de la pêche dans le respect des RMD est en réalité plus rentable à long terme pour le secteur de la pêche que la diminution continue de ces rendements (29). Partant, le fait de dissocier les objectifs socio-économiques à court terme des décisions relatives aux mesures visant à atteindre l’objectif de RMD contribue à long terme non seulement aux objectifs environnementaux de la PCP, mais également aux objectifs sociaux, économiques, ainsi qu’en matière d’emploi et d’approvisionnement alimentaire, poursuivis par cette politique.

35.      Lors de l’audience, la requérante a avancé que cette conclusion est également étayée par plusieurs éléments de contexte figurant dans le règlement no 1380/2013. À cet égard, je souhaite attirer l’attention de la Cour sur la circonstance que des dispositions de ce règlement renvoient à l’article 2, paragraphe 2, dudit règlement : elles mentionnent précisément cette dernière disposition chaque fois que ce même règlement semble définir une manière spécifique de gérer la pêche, en application de laquelle aucune mise en balance supplémentaire n’aurait lieu. Ainsi, l’article 16, paragraphe 4, du règlement no 1380/2013, qui régit la façon dont les possibilités de pêche sont déterminées, renvoie uniquement à l’article 2, paragraphe 2, de ce règlement. En revanche, il est plus généralement renvoyé à l’article 2 dudit règlement dès qu’une approche mettant en balance l’ensemble des objectifs de la PCP apparaît nécessaire (30).

b)      « Tous les stocks »

36.      Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, second alinéa, du règlement no 1380/2013, l’objectif de RMD à atteindre d’ici l’année 2020 vaut pour « tous les stocks » (31). Partant, une simple lecture de cette disposition établit une obligation claire et contraignante de pêcher « tous les stocks » (à savoir tant les stocks cibles que les stocks de prises accessoires), sans distinction, à des niveaux correspondant au RMD à partir de l’année 2020 (32). Je souscris à la position de la requérante selon laquelle on ne saurait lire différemment cette définition de manière crédible, puisque, dans le cas contraire, la Cour réécrirait par mégarde la définition des « stocks » qui figure dans ce règlement (33). Il s’ensuit qu’une simple lecture de l’article 2, paragraphe 2, dudit règlement ne permet pas d’opérer une quelconque distinction entre les « stocks cibles » et les « stocks de prises accessoires », telle que celle que le Conseil entend introduire par le règlement de 2020.

37.      Je suis en outre confortée dans cette conclusion par la position que le Parlement a exposée lors de l’audience, selon laquelle l’on ne saurait raisonnablement déduire de l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013 une quelconque exception à cette règle, que ce soit de cette disposition elle-même ou d’autres passages de ce règlement.

c)      L’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013 devrait-il recevoir une interprétation différente en ce qui concerne les pêcheries mixtes ?

38.      En principe, le Conseil et la Commission retiennent également l’interprétation susmentionnée d’un objectif contraignant auquel aucune dérogation ne trouve à s’appliquer. Cependant, leur argumentation, qui repose sur une lecture de l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013 selon laquelle cette disposition met en place un cadre rigide (« tous les stocks ») et une date butoir (l’année 2020) pour la pêche des quatre stocks en cause, induit des problèmes d’ordre pratique en matière de durabilité. Ces parties soutiennent plus précisément que, de par la combinaison des pêcheries mixtes, des TAC de prise nulle et de l’obligation de débarquement, le fait de n’autoriser aucune dérogation à l’objectif de RMD de 2020 pour les stocks à prise nulle « bloquerait » les flottes de pêche qui opèrent dans des pêcheries mixtes. Partant, l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013 devrait être interprété comme autorisant l’exclusion des prises accessoires de l’obligation de RMD dans des pêcheries mixtes, dans le cas où la définition d’objectifs de prise nulle pour ces stocks exigerait des flottes qu’elles cessent prématurément leurs opérations de pêche des poissons cibles.

39.      Je suis d’avis que la lettre du règlement no 1380/2013 ne suggère pas qu’il soit possible de retenir une telle interprétation. Interrogées lors de l’audience, les parties n’ont pas été en mesure d’indiquer un article précis qui accorderait la faculté d’opérer une telle distinction. En fait, considéré dans son ensemble, ce règlement ne se réfère que deux fois aux « prises accessoires », et ce seulement dans des passages dépourvus de rapport avec le point de savoir si l’obligation de respecter le RMD devrait ou non s’appliquer aux prises accessoires dans des pêcheries mixtes (34). De surcroît, la référence figurant à l’article 16, paragraphe 4, dudit règlement, aux termes de laquelle « [l]es possibilités de pêche sont déterminées conformément aux objectifs énoncés à l’article 2, paragraphe 2 » du même règlement, emploie la locution adverbiale « conformément à » précisément pour démontrer l’existence d’un lien obligatoire entre la détermination de TAC et la garantie que le niveau de RMD sera atteint au plus tard en 2020 pour tous les stocks. Il s’ensuit que cette disposition n’opère pas non plus de distinction entre les « stocks cibles » et les « stocks de prises accessoires ».

40.      L’obligation de débarquement, avancée par certaines parties, ne saurait être invoquée pour justifier une différence de traitement à l’égard des prises accessoires dans les pêcheries mixtes. Cette conclusion est corroborée par le considérant 32 du règlement no 1380/2013, qui énonce qu’une augmentation du TAC résultant de l’obligation de débarquement ne devrait être prévue que « [s]ous réserve d’un avis scientifique et sans remettre en cause les objectifs en matière de rendement maximal durable » (35). Là encore, aucune distinction entre ces deux types de stocks n’est envisagée.

41.      La faculté d’opérer une telle distinction ne saurait davantage raisonnablement se fonder sur l’article 9, paragraphe 5, du règlement no 1380/2013, ainsi que l’a relevé le gouvernement irlandais et comme je l’expliquerai lorsque j’examinerai l’incidence du règlement 2019/472 (voir point 47 des présentes conclusions).

d)      Conclusion intermédiaire

42.      Pour conclure, l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013 contraint les États membres à pêcher à des niveaux correspondant au RMD de tous les stocks au plus tard en 2020, sans exception. Il s’ensuit que ce règlement n’a pas accordé au Conseil le pouvoir d’appréciation lui permettant de déroger à l’obligation de respecter le RMD des prises accessoires lorsqu’il fixe les possibilités de pêche dans des pêcheries mixtes.

2.      L’incidence du règlement 2019/472

43.      Le règlement 2019/472 est un plan pluriannuel, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1380/2013, adopté sur le fondement de l’article 43, paragraphe 2, TFUE. En vertu de l’article 9, paragraphe 1, de ce second règlement, les plans de cette nature visent à garantir la réalisation de l’objectif consistant « à rétablir et à maintenir les stocks halieutiques au-dessus des niveaux permettant d’obtenir le rendement maximal durable conformément à l’article 2, paragraphe 2 » dudit règlement. Par conséquent, quoique importants pour atteindre les objectifs de la PCP, notamment parce qu’ils mettent en balance les larges principes de conservation et de durabilité avec des objectifs socio‑économiques (36), les plans pluriannuels ne visent pas à modifier l’objectif de RMD de 2020 énoncé à l’article 2, paragraphe 2, du même règlement, mais plutôt à permettre sa réalisation.

44.      Le règlement 2019/472 établit un plan pluriannuel pour la gestion des eaux occidentales, y compris celles autour de l’Irlande (37). L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement énumère les stocks démersaux qui relèvent de son champ d’application. Toutefois, en vertu de son article 1er, paragraphe 4, ledit règlement s’applique également aux prises accessoires non listées qui sont capturées lors de la pêche des stocks démersaux susmentionnés (38). Du fait de cette distinction, ses articles 4 et 5 distinguent également et respectivement les objectifs pour les « stocks cibles » (39) des objectifs pour les « stocks de prises accessoires ». Son article 5 prévoit à l’égard de ces derniers que la gestion des pêcheries mixtes en ce qui concerne les stocks de prises accessoires « tient compte de la difficulté de pêcher tous les stocks en même temps à des niveaux correspondant au RMD, en particulier lorsque cela conduit à la fermeture prématurée de la pêcherie ».

45.      La disposition susmentionnée peut-elle être comprise en ce sens qu’elle remet en cause la conclusion (formulée au point 42 des présentes conclusions) selon laquelle le règlement no 1380/2013 exige que « tous les stocks » soient pêchés à des niveaux correspondant au RMD à partir de l’année 2020, qu’ils soient capturés comme « stocks cibles » ou comme « stocks de prises accessoires » ? Je ne pense pas qu’elle le puisse.

a)      Le règlement 2019/472 en tant qu’expression de l’article 9, paragraphe 5, du règlement no 1380/2013

46.      Lors de l’audience, le gouvernement irlandais a laissé entendre que le règlement 2019/472 constituerait une expression de la possibilité, prévue à l’article 9, paragraphe 5, du règlement no 1380/2013, que les plans pluriannuels « [tiennent] compte des problèmes spécifiques des pêcheries mixtes en ce qui concerne la réalisation des objectifs énoncés à l’article 2, paragraphe 2, [de ce règlement] pour la combinaison de stocks concernée par le plan dans les cas où des avis scientifiques indiquent qu’il est impossible d’augmenter la sélectivité ».

47.      Qu’il exprime ou non cette possibilité, je ne saurais lire l’article 9, paragraphe 5, du règlement no 1380/2013 en ce sens qu’il permet aux plans pluriannuels de s’écarter de l’objectif de RMD de 2020 figurant à l’article 2, paragraphe 2, de ce règlement dans le cas particulier des pêcheries mixtes. Une telle lecture serait non seulement contraire au libellé clair de cette disposition, mais elle irait également à l’encontre de la raison d’être de ce libellé. Le fait d’autoriser la capture de certains stocks en tant que « prises accessoires », nonobstant des avis scientifiques préconisant un TAC nul, signifierait que le Conseil pourrait fixer des possibilités de pêche de manière contraire aux principes mêmes de bonne gouvernance que le législateur de l’Union a entendu consacrer pour la gestion de la PCP (40). Il s’ensuit que la possibilité, prévue à l’article 9, paragraphe 5, dudit règlement, que les plans pluriannuels prévoient des objectifs et des mesures de conservation spécifiques afin de tenir compte de certains problèmes des pêcheries mixtes ne saurait permettre au Conseil de retirer les prises accessoires de l’objectif de RMD inscrit à l’article 2, paragraphe 2, du même règlement.

b)      Le règlement 2019/472 a-t-il modifié le règlement no 1380/2013 ?

48.      Dans leurs observations écrites, le Conseil et la Commission exposent que le règlement 2019/472 est l’acte à la fois le plus récent et le plus spécifique, de sorte que les règles d’interprétation « lex posterior derogat legi priori » et « lex specialis derogat legi generali » permettraient de parvenir à la conclusion que ce règlement prime le règlement no 1380/2013. En effet, ces adages permettent souvent de résoudre les conflits entre deux normes de même rang au sein de l’ordre juridique des États membres, et il est constant que le règlement no 1380/2013 et le règlement 2019/472 ont tous deux été adoptés sur le fondement du même article, à savoir l’article 43, paragraphe 2, TFUE.

49.      Néanmoins, en premier lieu, le droit de l’Union n’établit aucune hiérarchie claire entre ses normes de droit dérivé (41). En second lieu, il ne me paraît pas judicieux d’appliquer de telles règles d’interprétation de manière automatique et sans tenir compte de la raison d’être et de la substance des deux normes qui sont comparées. À cet égard, même s’il se fonde sur une disposition identique du traité, un plan pluriannuel ne me semble pas pouvoir avoir un caractère aussi convaincant que le règlement no 1380/2013 lui-même. Ce dernier constitue, après tout, la législation même qui établit le cadre dans lequel les plans pluriannuels sont définis en vue de leur mise en œuvre. Par conséquent, s’il se peut qu’il n’existe aucune hiérarchie fondée sur la base juridique de droit primaire entre les deux règlements susmentionnés, une hiérarchie a certainement été envisagée au niveau du droit dérivé.

50.      Définis et régis par les articles 9 et 10 du règlement no 1380/2013, les plans pluriannuels sont destinés à contribuer à la réalisation des objectifs énoncés à l’article 2, paragraphe 2, de ce règlement (42). Autrement dit, ces plans peuvent enrichir, compléter ou préciser le cadre de base établi par ledit règlement, qui laisse une grande marge de manœuvre pour prendre diverses décisions ayant trait à cette politique, raison pour laquelle ces actes doivent être adoptés sur le fondement de l’article 43, paragraphe 2, TFUE. Toutefois, indépendamment de son contenu, un plan pluriannuel ne saurait en soi déroger au libellé exprès des objectifs du même règlement.

51.      Si l’on considère cependant que les deux actes susmentionnés ont le même rang normatif, le règlement no 1380/2013 peut-il être modifié de manière tacite ou implicite ? Lors de l’audience, le Parlement a semblé approuver l’existence de cette possibilité. Il a expliqué que si le libellé de l’article 2, paragraphe 2, de ce règlement était clair et ne prévoyait aucune exception, le cadre juridique avait toutefois « évolué » avec l’entrée en vigueur du règlement 2019/472. S’agissant, notamment, de l’obligation de débarquement, ainsi que le Parlement l’a relevé, le législateur de l’Union ne considérait plus comme possible de se conformer à l’objectif de RMD de 2020 pour tous les stocks. Les articles 4 et 5 de ce dernier règlement visaient ainsi à opérer une distinction entre les stocks cibles et les stocks de prises accessoires, notamment en fixant des possibilités de pêche. Ces articles ont donc « modifié implicitement » l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013 (comme le Parlement l’a exposé lors de l’audience) en retirant de fait les prises accessoires de la référence à « tous les stocks » figurant dans cette disposition. Il en résulte que les objectifs de pêche des stocks cibles et des stocks de prises accessoires diffèrent, ces premiers étant les seuls à être exploités à des niveaux de biomasse qui permettent de rétablir le RMD. Lorsque le même stock est capturé en tant que prise accessoire, l’établissement de TAC ne serait alors pas limité par l’objectif de RMD de 2020 ; en synthèse, le pouvoir d’appréciation permettant au Conseil de mettre en balance cet objectif avec d’autres objectifs de la PCP lui a été « réaccordé », du moins en ce qui concerne la région délimitée des eaux occidentales (43).

52.      Le droit de l’Union ne définit pas ce qui constituerait pour lui une modification. On pourrait admettre qu’il y ait une modification à partir du moment où la substance d’un acte est modifiée. Un acte modificatif distinct peut être adopté à cette fin. Dans la pratique, les institutions de l’Union ont en effet pour habitude d’identifier expressément, dans le nouvel acte modifiant un acte antérieur, les dispositions antérieures qui font l’objet de modifications. Toutefois, cela n’est pas nécessaire stricto sensu pour des actes normatifs de même rang.

53.      De même, ni le droit primaire ni le droit dérivé de l’Union n’imposent expressément une procédure pour modifier la réglementation. Si certains aspects des modalités de modification ou d’abrogation sont exposés dans des guides de rédaction (44) ou des accords interinstitutionnels (45), ces documents ne sont toutefois pas du droit. Il s’ensuit que la manière dont le législateur de l’Union modifie ou abroge la réglementation antérieure continue de faire partie de son « privilège parlementaire ».

54.      On peut se demander pourquoi il importerait qu’une modification soit réalisée de manière expresse ou implicite si la réglementation envisage en tout état de cause les effets de cette modification.

55.      En premier lieu, la préoccupation la plus évidente résulte du défaut de transparence des modifications implicites à l’égard du public. Cette partie intéressée doit, ne serait-ce que de manière générale, savoir quel est l’état du droit à un moment donné (46). Il s’agit d’un aspect de l’État de droit (47). En l’absence d’éléments d’explication, les modifications implicites nuisent donc à la transparence de la réglementation. Elles risquent de mettre en péril la sécurité et la prévisibilité des relations préexistantes ainsi que des droits et obligations qui en découlent (48).

56.      En deuxième lieu, je soutiendrais que l’une des raisons pour lesquelles il conviendrait d’insister sur l’intention expressément déclarée de procéder à une modification, notamment à des choix politiques, réside dans l’exigence visant à permettre la participation au processus législatif. Cela constitue un aspect important des sociétés démocratiques. Si le législateur de l’Union exprime ouvertement ses intentions (ou propositions d’intentions), une « opposition législative » significative peut se former au cours du processus législatif de l’Union non seulement au sein du Parlement, mais également parmi les différents acteurs. Par ailleurs, cela peut encourager le public à exprimer son accord ou son désaccord dans les urnes.

57.      En troisième et dernier lieu, comment la Cour pourrait-elle trancher le point de savoir si la réglementation a été modifiée dans le cas où le texte normatif lui‑même ou les travaux préparatoires ne contiendraient aucun élément expliquant expressément l’intention de modifier les choix législatifs antérieurs ? Il incombe à la Cour de déterminer le sens juridique d’une disposition donnée du droit de l’Union, en tenant compte de son contexte et de son objet. Il lui est considérablement plus difficile d’accomplir ce devoir lorsque le contexte et l’objet de cette disposition ont éventuellement été modifiés de manière implicite par le législateur de l’Union, et que les documents préparatoires ou finaux ne contiennent aucun élément d’explication au sujet d’une telle modification, et ce d’autant plus lorsque cette modification porte sur des éléments se trouvant au cœur de la politique et pouvant présenter un intérêt pour le public. Dans le cas où, comme en l’espèce, la Cour est en substance contrainte de statuer sur la « véritable » intention du législateur de l’Union, il est davantage légitime de se ranger du côté de l’intention présumée d’un texte législatif si ce texte ou les travaux préparatoires reflètent réellement ce que les membres de ce corps législatif affirmeront ultérieurement être le résultat escompté.

58.      Dans de tels cas, la Cour ne peut se prononcer qu’en se fondant sur des principes : la sécurité juridique exige qu’une modification implicite soit suffisamment claire pour permettre de conclure qu’il s’agit d’une modification. Cela vaut a fortiori lorsque la modification implicite d’une politique induit un changement dans l’orientation ou la politique de la réglementation. S’agissant plus particulièrement de ce dernier type de modification d’un texte juridique, je soutiendrais en fait qu’il existe une présomption allant à l’encontre de la modification implicite d’une règle de droit dérivé de l’Union. Indépendamment de la manière dont une dérogation est introduite, qu’elle soit expresse ou implicite, la Cour doit pouvoir clairement constater qu’une modification a été effectuée.

59.      En l’espèce, il est loin d’être évident que le règlement 2019/472 visait à modifier implicitement l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013. Par conséquent, dans la mesure où il est impossible d’établir de manière concluante qu’une modification a ou non été apportée, la Cour ne peut statuer qu’en présumant que le règlement no 1380/2013 n’a pas été modifié.

c)      Conclusion intermédiaire

60.      Je considère que la distinction introduite par les articles 4 et 5 du règlement 2019/472 entre les stocks cibles et les stocks de prises accessoires n’influe pas sur l’obligation générale dans le cadre de cette politique, énoncée à l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013, qui impose de pêcher tous les stocks aux niveaux correspondant au RMD en 2020 au plus tard, et demeure donc soumise à cette obligation. Cela signifie que le Conseil ne jouissait d’aucun pouvoir d’appréciation pour fixer le TAC des quatre stocks en cause à un niveau supérieur à zéro, même si ces stocks ne sont capturés qu’en tant que prises accessoires.

D.      La validité du règlement de 2020

1.      L’invalidité du règlement de 2020 découle de l’absence de pouvoir d’appréciation accordé au Conseil

61.      Compte tenu des conclusions exposées ci-dessus, mon analyse de la validité du règlement de 2020 peut être relativement succincte.

62.      Ainsi qu’il est constant entre les parties à la présente procédure et comme il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’annexe I A du règlement de 2020, le Conseil a fixé le TAC des quatre stocks en cause dans les eaux autour de l’Irlande à un niveau supérieur à zéro.

63.      Les parties ne contestent pas que ces TAC ne s’inscrivent pas dans la lignée des « meilleurs avis scientifiques disponibles » ou de l’approche de précaution en matière de gestion des pêches afin d’obtenir le RMD. Partant, le règlement de 2020 est en partie contraire à l’objectif énoncé à l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013, qui consiste à rétablir progressivement et à maintenir les populations des stocks halieutiques au-dessus des niveaux de biomasse qui permettent d’obtenir le RMD en 2020 au plus tard pour tous les stocks. Ainsi que je l’ai exposé aux points 43 à 60 des présentes conclusions, le règlement 2019/472 ne remet pas en cause cette conclusion.

64.      Il s’ensuit que le Conseil ne jouissait d’aucun pouvoir d’appréciation pour fixer les possibilités de pêche dans les eaux autour de l’Irlande à un niveau supérieur à zéro pour les quatre stocks en cause. Sa décision était donc illégale. Je propose en conséquence que la Cour déclare l’annexe I A du règlement de 2020 invalide, dans la mesure où elle fixe les possibilités de pêche dans les eaux autour de l’Irlande à un niveau supérieur à zéro pour les quatre stocks en cause.

2.      L’invalidité découle du dépassement, par le Conseil, des limites de son pouvoir d’appréciation

65.      Il se peut néanmoins que la Cour ne souscrive pas à mon interprétation du règlement no 1380/2013 ou qu’elle estime que le règlement 2019/472 pouvait modifier – et a effectivement modifié – l’article 2, paragraphe 2, de ce premier règlement de manière à exclure les prises accessoires capturées dans les pêcheries mixtes de la notion recouverte par les termes « tous les stocks ». Dans ce cas, l’appréciation de la validité du règlement de 2020 nécessiterait d’examiner si le Conseil est resté dans les limites de son pouvoir d’appréciation lorsqu’il a déterminé le TAC des quatre stocks en cause.

66.      Dans une telle hypothèse, le règlement no 1380/2013 et le règlement 2019/472 permettraient au Conseil, lors de la fixation de ses possibilités de pêche annuelles, de mettre en balance l’objectif de RMD de 2020 pour les quatre stocks en cause, quand ceux-ci sont capturés en tant que prises accessoires dans des pêcheries mixtes, avec les autres objectifs de la PCP. En d’autres termes, le Conseil serait en mesure de s’écarter de l’avis de prise nulle émis pour les quatre stocks en cause afin d’obtenir le RMD, s’il considérait cela nécessaire pour préserver, par exemple, la survie des flottes de pêche ou le nombre d’emplois dans le secteur de la pêche.

67.      Comment la Cour doit-elle apprécier le respect du pouvoir d’appréciation du Conseil dans la présente affaire ? Il me paraît nécessaire que la Cour vérifie si le Conseil a pris en considération toutes les préoccupations qui devraient entrer en ligne de compte dans le cadre de cet exercice de mise en balance, même si elle ne peut pas remettre en cause la manière dont ces éléments ont été mis en balance.

68.      Il ressort des explications du Conseil et de la Commission que le règlement de 2020 a fixé un TAC à un niveau supérieur à zéro pour les quatre stocks en cause dans les eaux autour de l’Irlande afin d’éviter la limitation des opérations de pêche d’autres stocks (cibles). En d’autres termes, l’action du Conseil a contribué aux objectifs socio-économiques de la PCP. Le Conseil devrait donc démontrer qu’il a pris en compte l’ensemble des considérations qui sont liées aux divers objectifs qu’il a mis en balance. Je suis d’avis que cette démonstration devrait au moins inclure des éléments d’explication sur les éventuels préjudices (de nature financière ou économique) que le phénomène des « stocks à quotas limitants » causerait au secteur de la pêche et aux populations côtières concernées, ainsi que sur les dangers pour les stocks halieutiques en cause et les perspectives quant à l’atteinte de l’objectif de RMD de 2020 pour ces stocks.

69.      Le Conseil lui-même semble convenir que son pouvoir d’appréciation ne se limite pas à la nature et à la portée des mesures à prendre, mais s’étend également à la constatation des données de base. Il devrait donc démontrer à la Cour qu’il s’est livré à cet exercice de constatation des données quand il a fixé les possibilités de pêche en cause dans la présente affaire.

70.      Néanmoins, quand il a été invité, lors de l’audience, à expliquer de manière détaillée la portée des effets socio-économiques attendus dans le cas où les TAC nuls pertinents auraient été adoptés, le Conseil n’a pu fournir à la Cour aucune précision sur les informations qu’il avait prises en compte aux fins de son exercice de mise en balance. Il n’a pas non plus été en mesure d’expliquer la nature des conséquences financières, économiques ou sociales qui auraient résulté de sa fixation du TAC pour les quatre stocks en cause dans les eaux autour de l’Irlande à un niveau nul. La seule partie qui a été capable d’apporter des éléments de réponse sur ce point, à savoir la Commission, a indiqué que le nombre de navires potentiellement concernés serait d’environ 6 000 et que l’éventuel préjudice découlant d’une fermeture de l’ensemble du bassin maritime autour de l’Irlande s’élèverait approximativement à 1 milliard d’euros (49). Je n’ai aucune raison de douter de ces données chiffrées, mais le fait de présenter deux indicateurs économiques parmi tant d’autres (50) ne suffit pas pour expliquer de manière convaincante comment l’exercice de mise en balance du Conseil aurait été mené. Après tout, c’est sur la base de cette motivation que la Cour exerce ensuite son contrôle juridictionnel, même dans les domaines où ses pouvoirs de contrôle sont « limités ». Dans l’absolu, la Cour n’est tout simplement pas en mesure de « faire son travail » lorsque les institutions se contentent de lui promettre que les données pertinentes « ont été prises en compte ».

71.      Cela étant, à supposer que la Cour dispose de ces données, il est manifeste que, lorsque le Conseil procède à son exercice de mise en balance (sous réserve qu’il ait effectivement joui d’un pouvoir d’appréciation pour mettre en balance des objectifs socio-économiques avec l’objectif de RMD de 2020), l’objectif fondamental consistant à obtenir le RMD pour tous les stocks ne saurait pour autant être écarté dans son intégralité. À cet égard, le Conseil a fait valoir qu’il avait fixé le TAC des quatre stocks en cause à des niveaux égaux ou inférieurs aux estimations du CIEM pour les prises accessoires inévitables (51). Il a exposé que ces niveaux (que je qualifie de) « plus favorables » permettaient d’augmenter dans une certaine mesure la biomasse du stock reproducteur (d’environ 10 %, par exemple, pour le cabillaud dans l’ouest de l’Écosse) des quatre stocks en cause et que c’était en fait l’objectif clair qu’il poursuivait. À nouveau, même si je ne conteste pas ces données chiffrées, l’on ne saurait ignorer la circonstance que, même à ces niveaux, les quatre stocks en cause demeureraient en deçà de la limite la plus faible de biomasse nécessaire pour que ces stocks puissent se reproduire. En d’autres termes, ces niveaux « plus favorables » causeraient malgré tout des préjudices irréparables aux quatre stocks en cause, car leur TAC a été fixé à un seuil représentant un pourcentage important de leur biomasse actuelle (par exemple, le TAC du cabillaud pour l’année 2020 représentait respectivement 62 % et 54 % de la biomasse du stock reproducteur dans les deux pêcheries concernées) (52). À ma connaissance, ces niveaux ont été retenus sur la base de l’estimation du CIEM relative à la quantité attendue de prises accessoires. Or, il ne ressort pas des informations dont dispose la Cour qu’un avis scientifique ait été demandé au sujet de l’éventuelle incidence des TAC retenus sur les chances de reconstitution des stocks en cause, que ceux-ci soient ou non pêchés à des niveaux correspondant au RMD (53). Par conséquent, il me semble qu’en fixant ces TAC à un seuil représentant un montant important de la biomasse du stock reproducteur des quatre stocks en cause, le Conseil n’a pas respecté son obligation de rechercher et de formuler ces niveaux en se basant sur les « meilleurs avis scientifiques disponibles » ou sur l’approche de précaution (54).

72.      Enfin, dans ses observations écrites et lors de l’audience, le Conseil a expliqué que, tout en autorisant quelques captures des quatre stocks en cause en tant que prises accessoires, il a pris en compte des mesures correctives supplémentaires, telles que l’engagement des États membres de ne pas recourir à l’augmentation de 10 % du TAC, autorisée en vertu de l’article 15, paragraphe 9, du règlement no 1380/2013, en ce qui concerne les quatre stocks en cause. Si l’on prend en considération le fait que 10 % du TAC nul, tel que préconisé par le CIEM, serait toujours équivalent à zéro, cet engagement ne semble pas constituer une mesure corrective importante. Le Conseil a également affirmé avoir introduit plusieurs mesures techniques, telles que l’utilisation obligatoire de filets de pêche avec un maillage spécifique dans certaines eaux, qui augmenteraient la sélectivité des stocks capturés dans les pêcheries mixtes (55). Toutefois, non seulement ces obligations n’ont été introduites qu’au milieu de l’année 2020, mais, plus important encore, l’article 9, paragraphe 5, du règlement no 1380/2013 ne permet de prévoir des mesures spécifiques relatives aux pêcheries mixtes que lorsqu’il est impossible d’augmenter la sélectivité autrement. Il s’ensuit que toutes les mesures augmentant la sélectivité auraient dû être prises en compte avant, et non après, l’augmentation du TAC des prises accessoires.

73.      En conclusion, même si le règlement 2019/472 devait être interprété en ce sens qu’il modifie le règlement no 1380/2013 au regard des stocks de prises accessoires dans les pêcheries mixtes (quod non), j’estime que le Conseil et la Commission n’ont pas fourni à la Cour suffisamment d’informations pour lui permettre de conclure que le règlement de 2020 n’a pas été adopté en dehors des limites définies par le règlement no 1380/2013 et le règlement 2019/472.

74.      Par conséquent, même dans cette hypothèse subsidiaire, je propose à la Cour de déclarer le règlement de 2020 invalide, dans la mesure où il fixe le TAC des quatre stocks en cause dans les eaux autour de l’Irlande à un niveau supérieur à zéro.

E.      Le maintien des effets du règlement de 2020

75.      Si le règlement de 2020 est déclaré invalide, la base sur laquelle les possibilités de pêche ont été fixées pour cette année disparaîtra de manière rétroactive, comme si ce règlement avait été annulé (56). Dans un tel cas, la Cour bénéficie, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, applicable par analogie, également dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité des actes de l’Union au titre de l’article 267 TFUE, d’un pouvoir d’appréciation pour indiquer, dans chaque cas particulier, les effets de l’acte concerné qui doivent être considérés comme définitifs (57).

76.      En l’espèce, le règlement de 2020 a expiré à la fin de l’année 2020. Il ne me semblerait pas justifié, dans le droit fil de la demande du Conseil, de remettre en cause la légalité des activités de pêche menées par des opérateurs de bonne foi, notamment car cela risquerait d’induire de graves répercussions sur un nombre élevé de rapports juridiques établis sur cette base.

77.      Partant, si la Cour choisit de suivre ma conclusion, je lui propose de limiter les effets dans le temps de la déclaration d’invalidité des passages concernés de l’annexe I A du règlement de 2020, en maintenant les effets que ces passages ont produits pendant la période de validité de ce règlement.

IV.    .Conclusion

78.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la seconde question préjudicielle posée par la High Court (Haute Cour, Irlande) de la manière suivante :

1)      L’annexe I A du règlement (UE) 2020/123 du Conseil, du 27 janvier 2020, établissant, pour 2020, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union est invalide pour les quatre stocks en cause, dans la mesure où il fixe des possibilités de pêche supérieures à zéro pour :

–        le cabillaud (Gadus morhua) dans la division CIEM 6a [eaux de l’Union et eaux internationales de la zone 5b à l’est de 12° 00′ O (COD/5BE6A)] ;

–        le cabillaud (Gadus morhua) dans les divisions CIEM 7e à 7k ;

–        le merlan (Merlangius merlangus) dans la division CIEM 7a (WHG/07A.), et

–        la plie (Pleuronectes platessa) dans les divisions CIEM 7h, 7j et 7k (PLE/7HJK.).

2)      Les effets produits par l’annexe I A du règlement 2020/123 pendant la période de validité de ce règlement sont maintenus.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Voir Roney, J. B., « [Mis-]managing Fisheries on the West Coast of Ireland in the Nineteenth Century », Humanities, vol. 8(1), no 4, 2019, p. 10, citant le premier zoologiste britannique spécialiste en systémique des animaux marins, lequel était membre de la commission royale de 1885 et avait déclaré : « à quelques exceptions près, la faune de la haute mer, de par sa condition et son environnement, semblerait être, dans une large mesure, indépendante de l’influence de l’homme. [...] La nature exerce presque invariablement ses propres lois et celles-ci échappent en règle générale, dans les fonds marins, à l’influence de l’homme ». Voir, également, Roberts, C., The Unnatural History of the Sea, Island Press, 2007, p. 142, 143 et 157 (constatant que les commissions royales de 1863 et de 1885 se sont toutes deux ralliées, en substance, à la conclusion d’une pêche illimitée).


3      Règlement du Conseil du 27 janvier 2020 établissant, pour 2020, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union (JO 2020, L 25, p. 1, ci-après le « règlement de 2020 »).


4      Ces espèces et zones de pêche sont plus précisément les suivantes : « cabillaud (Gadus morhua) dans la division 6a (ouest de l’Écosse) » (publication le 28 juin 2019) ; « cabillaud (Gadus morhua) dans les divisions 7e à 7k (Manche occidentale et mer Celtique méridionale) » (publication le 16 août 2019) ; « merlan (Merlangius merlangus) dans la division 7a (mer d’Irlande) » (publication le 28 juin 2019) ainsi que « plie (Pleuronectes platessa) dans les divisions 7h à 7k (sud de la mer Celtique, sud-ouest de l’Irlande) » (publication le 13 novembre 2019) (par souci de simplicité, je désigne ces stocks sous l’expression « les quatre stocks en cause » et ces divisions sous les termes « les eaux autour de l’Irlande »).


5      Les possibilités de pêche pertinentes en cause dans la présente affaire figurent à l’annexe I A du règlement de 2020.


6      C’est-à-dire le règlement (UE) no 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, relatif à la politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) no 1954/2003 et (CE) no 1224/2009 du Conseil et abrogeant les règlements (CE) no 2371/2002 et (CE) no 639/2004 du Conseil et la décision 2004/585/CE du Conseil (JO 2013, L 354, p. 22).


7      C’est moi qui souligne.


8      Ainsi qu’il ressort, par exemple, de l’article 3, sous c), du règlement no 1380/2013.


9      Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, point 8, du règlement no 1380/2013, l’approche de précaution en matière de gestion des pêches est « une approche selon laquelle l’absence de données scientifiques pertinentes ne devrait pas servir de justification pour ne pas adopter ou pour reporter l’adoption de mesures de gestion visant à conserver les espèces cibles, les espèces associées ou dépendantes, les espèces non cibles et leur environnement ».


10      Dans son avis, le CIEM explique que sa recommandation d’un TAC nul reposait sur l’approche du RMD pour les deux stocks de cabillaud et le stock de merlan, mais sur l’approche de précaution pour le stock de plie. Il convient toutefois de souligner que, comme l’atteste l’avis du CIEM versé au dossier de la Cour et comme l’ont confirmé le Conseil et la Commission lors de l’audience, même si des niveaux de TAC correspondant au RMD étaient utilisés pour les quatre stocks en cause, ces stocks resteraient en dessous du niveau de référence de la biomasse limite du stock reproducteur, à savoir en dessous du niveau au-delà duquel les taux de reproduction de ces stocks sont considérés comme réduits. Par conséquent, on peut conclure qu’il faudrait plus d’une année pour élever le TAC des quatre stocks en cause à un niveau supérieur à zéro.


11      Article 15 du règlement no 1380/2013.


12      En vertu du précédent cadre de la PCP, établi par le règlement (CE) no 2371/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche (JO 2002, L 358, p. 59), les navires n’étaient pas tenus de cesser leurs activités de pêche lorsque leur quota pour l’un de ces stocks était épuisé. Ils pouvaient au contraire continuer de pêcher afin de capturer d’autres stocks cibles. Dès lors, ils continuaient de capturer les stocks pour lesquels les quotas étaient déjà épuisés, même s’ils n’avaient pas le droit de débarquer le fruit de ces captures. Les captures dépassant les quotas étaient rejetées. L’introduction de l’obligation de débarquement a entraîné l’abandon de cette pratique consistant à rejeter les captures indésirées.


13      La question que la Commission a posée au CIEM s’articulait en substance autour des éléments suivants : dans le cas où le stock cible X (par exemple, l’églefin) serait pêché dans les eaux de la pêcherie mixte Y, combien de prises accessoires d’un autre type de stock (par exemple, le cabillaud) seraient susceptibles de finir dans les filets des pêcheurs de l’Union si le nombre de captures du poisson cible atteignait le TAC maximal de ce dernier ?


14      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un plan pluriannuel pour les stocks pêchés dans les eaux occidentales et les eaux adjacentes ainsi que pour les pêcheries exploitant ces stocks, modifiant les règlements (UE) 2016/1139 et (UE) 2018/973 et abrogeant les règlements (CE) no 811/2004, (CE) no 2166/2005, (CE) no 388/2006, (CE) no 509/2007 et (CE) no 1300/2008 du Conseil (JO 2019, L 83, p. 1).


15      Telle était en substance la seconde question posée par la juridiction de renvoi, que le Conseil et la Commission ont proposé de reformuler. La Cour ne m’a pas demandé de m’exprimer sur la première question.


16      Voir, notamment, arrêt du 26 novembre 2014, Parlement et Commission/Conseil (C‑103/12 et C‑165/12, EU:C:2014:2400, point 48).


17      L’article ayant précédé ces dispositions, à savoir l’article 37 CE, ne comportait qu’une seule base juridique pour l’adoption des actes relevant de la PCP.


18      Voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2016, Allemagne/Parlement et Conseil (C‑113/14, EU:C:2016:635, points 58 et 59). Voir également, par analogie, arrêt du 24 novembre 2022, Parlement/Conseil (Mesures techniques relatives aux possibilités de pêche) (C‑259/21, EU:C:2022:917, point 74), aux termes duquel le pouvoir de la Commission d’adopter des actes délégués sur le fondement des règlements de base dans le domaine de la pêche n’empêche pas le Conseil d’adopter, au titre de la compétence qu’il tire de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, des mesures techniques concernant des questions similaires à celles visées par le pouvoir délégué de la Commission.


19      Voir arrêt du 1er décembre 2015, Parlement et Commission/Conseil (C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:790, point 48), aux termes duquel « l’adoption de dispositions en vertu de l’article 43, paragraphe 2, TFUE suppose obligatoirement d’apprécier si ces dispositions sont “nécessaires” pour pouvoir poursuivre les objectifs afférents aux politiques communes régies par le traité FUE, de sorte que cette adoption implique une décision politique qui doit être réservée au législateur de l’Union ».


20      Voir arrêt du 1er décembre 2015, Parlement et Commission/Conseil (C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:790, points 54 et 58).


21      Ainsi que l’a exposé la Cour, le Conseil doit agir en respectant non seulement les limites des compétences qu’il tire de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, mais également le cadre imposé par le droit primaire de la PCP. Voir arrêt du 1er décembre 2015, Parlement et Commission/Conseil (C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:790, points 58 et 59).


22      Dans le même ordre d’idées, voir conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes Parlement et Commission/Conseil (C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:337, point 89), aux termes desquelles « la mesure du pouvoir discrétionnaire (plus ou moins importante) dont le Conseil bénéficie aux fins de l’adoption des mesures au titre de l’article 43, paragraphe 3, TFUE dépend de la marge de latitude que le législateur de l’Union a décidé de lui conférer ».


23      Voir, par exemple, arrêt du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen) (C‑611/17, EU:C:2019:332, points 57 et 58 ainsi que jurisprudence citée).


24      Livre vert de la Commission, « Réforme de la politique commune de la pêche » [COM(2009) 163 final], 22 avril 2009, p. 5. Ce n’était pas la première fois que la Commission se désespérait de l’état des ressources halieutiques de l’Union : dans une publication de 1994, cette institution relevait que « trop de pêcheurs [faisaient] la chasse à trop peu de poissons, et [que] trop de poissons juvéniles, immatures, [étaient] capturés. La croissance de la demande, l’obligation des pêcheurs de couvrir des dépenses d’investissements de plus en plus lourdes et l’élaboration d’un matériel de plus en plus sophistiqué comme le sonar et le radar, capables de localiser des bancs de poissons avec une précision remarquable, [avaient] accentué la pression exercée sur une ressource qui n’est pas inépuisable » (Commission européenne, Direction générale des affaires maritimes et de la pêche, Secrétariat général, La nouvelle politique commune de la pêche, Office des publications officielles des Communautés européennes, Luxembourg, 1994, p. 13).


25      Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la politique commune de la pêche [COM(2011) 425 final], 13 juillet 2011, p. 6.


26      C’est moi qui souligne.


27      C’est moi qui souligne.


28      C’est moi qui souligne.


29      Voir, à cet égard, communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, « Application du principe de durabilité dans les pêcheries de l’Union européenne au moyen du rendement maximal durable » [COM(2006) 360 final], 4 juillet 2006, section 2.2 : « [l]’exercice de la pêche dans le respect des RMD réduirait les coûts et augmenterait les bénéfices de l’industrie de la pêche sous l’effet de la diminution de l’effort consenti par tonne de poisson capturé (et des frais connexes, comme le carburant). Les choix opérés par les États membres et par tous les opérateurs du secteur de la pêche seront facilités par l’augmentation des captures et une meilleure répartition de la richesse ».


30      Hormis l’article 16 du règlement no 1380/2013, les dispositions relatives aux principes et objectifs des plans pluriannuels (article 9 de ce règlement) et à la gestion des stocks présentant un intérêt pour l’Union (article 33 dudit règlement) renvoient expressément à l’article 2, paragraphe 2, du même règlement, de sorte qu’elles peuvent être lues en ce sens qu’elles font de la durabilité environnementale un mode de fonctionnement obligatoire. En l’absence de référence à d’autres objectifs de mise en balance, je ne vois aucun élément de nature à étayer l’argument selon lequel le Conseil bénéficierait d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de mettre en balance l’objectif de RMD de l’année 2020 avec d’autres objectifs. Comparons les dispositions susmentionnées avec, à titre d’exemples, celles relatives aux mesures de conservation (articles 6 et 11 du règlement no 1380/2013), au contenu des plans pluriannuels (article 10 de ce règlement), aux mesures nationales (articles 19 et 20 dudit règlement), aux obligations de l’Union à l’égard des organisations internationales de pêche (article 29 du même règlement), à l’organisation du marché commun de la pêche (article 35 du règlement no 1380/2013), ou encore à l’aide financière apportée par l’Union (article 40 de ce règlement). Lorsque ces dernières dispositions renvoient aux objectifs de la PCP, elles le font en se référant de manière générale à l’article 2 dudit règlement, et donc aux objectifs collectifs concurrents figurant à cet article. Eu égard auxdites dispositions, je soutiendrais que le Conseil jouit d’une certaine latitude pour mettre en balance les intérêts concurrents qu’il estime nécessaires.


31      C’est moi qui souligne.


32      Aucun argument sérieux ne plaiderait en faveur d’un changement sémantique entre la version de l’année 2013 et la version actuelle ; nous n’avons pas affaire à une loi datant du règne d’Henri VII, comme celle passée à la postérité qui exigeait qu’un membre de la maison du roi qui était accusé d’avoir conspiré pour assassiner le roi ou un seigneur du royaume fût jugé par un jury composé de « twelve sad men » (au sens moderne des termes, « douze hommes tristes »). Ainsi que Lord Leggatt l’a expliqué, « le terme “sad” signifiait à l’époque “sobre et discret”. Il serait absurde, dans la mesure où le sens ordinaire du terme a par la suite évolué, d’interpréter la loi comme exigeant que le jury se compose de douze personnes marquées par le chagrin » [Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume‑Uni), News Corp UK & Ireland Ltd (Appellant) v Commissioners for His Majesty’s Revenue and Customs (Respondent), [2023] UKSC 7, point 82].


33      L’article 4, paragraphe 1, point 14, du règlement no 1380/2013, définit le « stock » comme « une ressource biologique marine qui est présente dans une zone de gestion donnée ».


34      Le considérant 29 du règlement no 1380/2013 mentionne les « prises accessoires » lorsqu’il évoque la faculté, pour les États membres, de « comptabiliser les prises accessoires par rapport aux quotas prévus pour les espèces cibles ». Cette faculté figure quant à elle à l’article 15, paragraphe 8, de ce règlement et permet aux États membres de déduire de leur quota du stock cible « les captures d’espèces soumises à l’obligation de débarquement et dépassant les quotas des stocks en question, ou les captures d’espèces pour lesquelles l’État membre ne dispose pas de quota [...] [pour autant que] le stock des espèces non cibles se situe dans des limites biologiques de sécurité ». Néanmoins, ainsi que je l’ai déjà expliqué dans les présentes conclusions et que l’ont confirmé le Conseil et la Commission lors de l’audience, l’avis du CIEM pour les quatre stocks en cause prouve qu’aucun de ces stocks n’aurait atteint les limites biologiques de sécurité pour l’année 2020, et ce même si aucun TAC n’avait été fixé pour eux. En d’autres termes, il n’aurait pas été possible de recourir en l’espèce à l’article 15, paragraphe 8, dudit règlement, quand bien même cette disposition eût été à l’origine du prétendu pouvoir d’appréciation du Conseil.


35      C’est moi qui souligne.


36      Voir conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes Parlement et Commission/Conseil (C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:337, point 73).


37      Le champ d’application territorial du règlement 2019/472 est exposé à son article 2, paragraphe 1.


38      Sur les quatre stocks en cause dans la présente affaire, un seul stock [le cabillaud (Gadus morhua) dans les divisions CIEM 7e à 7k] est énuméré à l’article 1er, paragraphe 1, du règlement 2019/472. Cela signifie qu’en vertu de son article 1er, paragraphe 4, ce règlement ne s’applique aux trois autres stocks que lorsqu’ils sont des prises accessoires.


39      Il ressort de l’article 4 du règlement 2019/472 que les stocks pêchés en tant que stocks ciblés doivent atteindre l’objectif de RMD de 2020.


40      En vertu de l’article 3, sous c), du règlement no 1380/2013, les principes de bonne gouvernance, qui sous-tendent la PCP, nécessitent d’« établi[r] de[s] mesures conformément aux meilleurs avis scientifiques disponibles ».


41      Voir, par analogie, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 119), qui rappelle que « la légalité interne d’un acte de l’Union ne saurait être examinée au regard d’un autre acte de l’Union de même rang normatif, excepté s’il a été adopté en application de ce dernier acte ou s’il est expressément prévu, dans l’un de ces deux actes, que l’un prime l’autre ».


42      Voir, à cet égard, article 9, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013, qui expose la finalité des plans pluriannuels.


43      Étant donné qu’il ne porte que sur une zone donnée, le règlement 2019/472 ne saurait modifier en soi l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013. Il pourrait au mieux introduire des dérogations régionales au cadre établi par ce règlement.


44      Voir, par exemple, « Guide pratique commun du Parlement européen, du Conseil et de la Commission à l’intention des personnes qui contribuent à la rédaction des textes législatifs de l’Union européenne », 2016, point 18.14., aux termes duquel « il convient de faire en règle générale des modifications formelles des actes qu’on souhaite modifier ».


45      Voir, par exemple, accord interinstitutionnel du 22 décembre 1998 sur les lignes directrices communes relatives à la qualité rédactionnelle de la législation communautaire (JO 1999, C 73, p. 1), points 18 et 21, aux termes desquels « [t]oute modification d’un acte est clairement exprimée » et « [l]es actes et dispositions devenus obsolètes font l’objet d’une abrogation expresse ».


46      Bien que, si nous devions faire preuve de réalisme, la transparence totale de l’état du droit constitue un idéal inatteignable ; voir, à cet égard et par analogie, arrêt de la Cour EDH du 10 novembre 2005, Leyla Șahin c. Turquie (CE:ECHR:2005:1110JUD004477498, § 91), aux termes duquel « [i]l faut en plus avoir à l’esprit que, aussi clair que le libellé d’une disposition légale puisse être, il existe immanquablement un élément d’interprétation judiciaire, car il faudra toujours élucider les points obscurs et s’adapter aux circonstances particulières. À lui seul, un certain doute à propos de cas limites ne suffit pas à rendre l’application d’une disposition légale imprévisible. En outre, une telle disposition ne se heurte pas à l’exigence de prévisibilité aux fins de la Convention du simple fait qu’elle se prête à plus d’une interprétation ». Voir, également, la remarque souvent citée de l’avocat général Wahl, selon laquelle « l’on trouvera [...] autant de cas de figure d’un “véritable” acte clair que l’on risque de rencontrer une licorne » (conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes X et van Dijk, C‑72/14 et C‑197/14, EU:C:2015:319, point 62).


47      S’agissant des aspects formels et matériels de la notion d’« État de droit », voir Bačić Selanec, N., et Ćapeta, T., « The Rule of Law and Adjudication of the Court of Justice of the European Union », The Changing European Union : A Critical View on the Role of Law and the Courts, Modern Studies in European Law, Hart Publishing, Oxford, 2022, p. 35 à 62.


48      Voir, par analogie, arrêt du 26 janvier 2017, GGP Italy/Commission (T‑474/15, EU:T:2017:36, point 63), aux termes duquel « le principe de sécurité juridique vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit de l’Union. À cette fin, il est essentiel que les institutions respectent l’intangibilité des actes qu’elles ont adoptés et qui affectent la situation juridique et matérielle des sujets de droit, de sorte qu’elles ne pourront modifier ces actes que dans le respect des règles de compétence et de procédure ». Voir également, en ce sens, arrêts du 9 juillet 1981, Gondrand et Garancini (169/80, EU:C:1981:171, point 17), et du 22 février 1984, Kloppenburg (70/83, EU:C:1984:71, point 11).


49      Je souhaite préciser que cet éventuel préjudice n’atteindrait un tel montant que si les opérations de pêche cessaient complètement. Or, la Commission n’a pas expliqué à la Cour pourquoi les opérations de pêche cesseraient ainsi ou en quoi la fixation du TAC des quatre stocks en cause à un niveau nul aurait pour corollaire la fermeture de l’ensemble du bassin maritime.


50      Je pourrais considérer, pour être réaliste, que le Conseil aurait également examiné le nombre de pêcheries dont la fermeture était prévue, l’éventuelle capacité des flottes de pêche à réorienter leurs opérations de pêche vers d’autres stocks ou d’autres eaux, le nombre d’emplois susceptibles d’être perdus dans une région ou un secteur donnés, ou encore des informations similaires relatives aux acteurs qui en dépendent (ou bien à ce qui est désigné en macroéconomie sous les expressions « secteur secondaire » ou « secteur tertiaire »).


51      Les estimations du CIEM relatives aux prises accessoires inévitables de cabillaud dans l’ouest de l’Écosse s’élevaient à 1 279 tonnes, et le Conseil a fixé le TAC du cabillaud dans ces eaux au même montant. S’agissant des trois autres stocks, le TAC fixé par le Conseil était inférieur aux estimations du CIEM (pour le cabillaud de la mer Celtique, l’estimation du CIEM se situait entre 1 331 et 1 854 tonnes, et le Conseil a fixé le TAC à 805 tonnes ; pour le merlan de la mer d’Irlande, l’estimation du CIEM se situait entre 901 et 917 tonnes de prises accessoires, et le Conseil a fixé le TAC à 721 tonnes ; enfin, pour les plies, l’estimation du CIEM s’élevait à 100 tonnes de prises accessoires, et le Conseil a fixé le TAC à 67 tonnes).


52      Ainsi que l’a exposé la juridiction de renvoi au point 102 de son ordonnance de renvoi.


53      Cela a été confirmé lors de l’audience par la Commission. Toutefois, celle-ci n’a pas exposé la raison pour laquelle un tel avis n’a pas été demandé.


54      Voir, à cet égard, article 5, paragraphes 1 et 2, du règlement 2019/472.


55      Voir article 13 du règlement de 2020.


56      Voir arrêt du 26 avril 1994, Roquette Frères (C‑228/92, EU:C:1994:168, point 17).


57      Voir, par exemple et par analogie, arrêt du 28 avril 2016, Borealis Polyolefine e.a. (C‑191/14, C‑192/14, C‑295/14, C‑389/14 et C‑391/14 à C‑393/14, EU:C:2016:311, point 103 et jurisprudence citée).