Language of document : ECLI:EU:T:2000:247

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

26 octobre 2000 (1)

«Marque communautaire - Vocable Investorworld -

Motif absolu de refus - Absence de caractère distinctif»

Dans l'affaire T-360/99,

Community Concepts AG, anciennement Touchdown Gesellschaft für erfolgsorientiertes Marketing mbH, établie à Munich (Allemagne), représentée par Mes F. Bahr et F. Cordt-Terzi, avocats à Munich, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me N. Decker, 16, avenue Marie-Thérèse,

partie requérante,

contre

Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles)(OHMI), représenté par MM. A. von Mühlendahl, vice-président chargé des affaires juridiques, D. Schennen, chef de service au département juridique, et E. Joly, administrateur au même département, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique de la Commission, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la troisième chambre de recours de l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) du 15 octobre 1999 (affaire R 204/1999-3), refusant l'enregistrement du vocable Investorworld en tant que marque communautaire,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de Mme V. Tiili, président, MM. R. M. Moura Ramos et P. Mengozzi, juges,

greffier: M. G. Herzig, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 24 décembre 1999,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 6 avril 2000,

à la suite de la procédure orale du 5 juillet 2000,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1.
    Le 8 septembre 1998, Direkt Anlage Bank AG a déposé une demande de marque communautaire à l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (ci-après l'«Office»).

2.
    La marque dont l'enregistrement a été demandé est le vocable Investorworld.

3.
    Les services pour lesquels cet enregistrement est demandé et qui sont concernés par le présent recours relèvent de la classe 36 «assurances, affaires financières, affaires monétaires et affaires immobilières», au sens de l'arrangement de Nice concernant la classification des produits et des services aux fins de l'enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié. L'enregistrement duvocable Investorworld a également été demandé pour des produits et services relevant des classes 9, 16, 35, 38 et 41 au sens dudit arrangement.

4.
    Par décision du 22 février 1999, notifiée le 23 février 1999, l'examinateur qui a considéré la demande l'a rejetée au titre de l'article 38 du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié, au motif que le vocable Investorworld était dépourvu de caractère distinctif.

5.
    Le 23 avril 1999, la demanderesse a formé un recours auprès de l'Office, au titre de l'article 59 du règlement n° 40/94, contre la décision de l'examinateur. Le recours a été déféré aux chambres de recours.

6.
    Par lettre du 3 septembre 1999, Touchdown Gesellschaft für erfolgsorientiertes Marketing mbH, à laquelle a succédé la requérante, a demandé à l'Office l'inscription au registre du transfert à son profit de la demande de marque communautaire en cause.

7.
    Le recours a été rejeté par décision de la troisième chambre de recours du 15 octobre 1999 (ci-après la «décision attaquée»), en ce que la demande d'enregistrement se rapporte aux services relevant de la classe 36 au sens de l'arrangement de Nice. La décision de l'examinateur, du 22 février 1999, a été annulée en ce qu'elle concerne les produits et services relevant des classes 9, 16, 35, 38 et 41 au sens dudit arrangement.

8.
    Selon la décision attaquée, le vocable Investorworld est, à l'égard des services relevant de la classe 36, dépourvu de caractère distinctif au sens de l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 et purement descriptif au sens de l'article 7, paragraphe 1, sous c), du même règlement. Le mot anglais «investor» doit être compris dans le sens d'«investisseur, bailleur de fonds, souscripteur de capital», et le mot «world» dans celui de «monde, terre, univers» et encore dans un sens figuré comme «les humains, les gens». Dans ce sens figuré, le mot «monde» est utilisé, par exemple, dans les expressions «monde des affaires», «monde de la mode», «monde commercial» et «monde scientifique». La combinaison des mots «investor» et «world» donnerait donc, au moins dans la zone linguistique anglaise de la Communauté européenne, une indication claire, non équivoque et perceptible immédiatement de la nature et de la destination des services de la classe 36 désignés dans la demande, au sens d'un «monde de l'investisseur, monde auquel l'investisseur s'adresse, monde des investisseurs». Par conséquent, le vocable Investorworld est dépourvu de tout élément supplémentaire imaginé et donc de tout caractère distinctif.

9.
    La décision attaquée a été notifiée le 25 octobre 1999.

10.
    Le transfert de la demande de marque communautaire litigieuse au profit de la requérante a été inscrit au registre par l'Office le 4 janvier 2000.

Conclusions des parties

11.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée en ce que celle-ci a rejeté le recours devant l'Office;

-    condamner le défendeur aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure devant la chambre de recours.

12.
    L'Office conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante aux dépens.

Sur les conclusions en annulation

13.
    La requérante invoque, en substance, deux moyens à l'appui de son recours, tirés, le premier, d'une violation de l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 et, le second, d'une violation de l'article 7, paragraphe 1, sous c), du même règlement.

14.
    En ce qui concerne le second moyen, l'Office reconnaît que celui-ci est bien fondé. Il estime néanmoins que le présent recours doit être rejeté, étant donné que, en vertu de l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, le manque de caractère distinctif du vocable Investorworld empêche en tout état de cause l'enregistrement de celui-ci.

Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94

Arguments des parties

15.
    La requérante fait observer que le vocable Investorworld est contraire aux règles grammaticales de la langue anglaise et n'est pas employé dans cette langue, à l'écrit ou à l'oral. Ainsi, contrairement à ce qui est exposé dans la décision attaquée, il n'est comparable avec aucune des expressions comme «monde des affaires», «monde de la mode» ou «monde scientifique». En effet, le vocable en cause n'est pas «investment world» ou «investor's world», ce qui serait linguistiquement exact, mais Investorworld. Du fait qu'il est grammaticalement erroné, ce vocable a un caractère distinctif.

16.
    L'impropriété de langage qui le caractérise correspond, en outre, à la volonté de faire doublement référence aux personnes. À cet égard, la requérante fait remarquer qu'elle a exagérément mis l'accent sur le lien avec les gens, d'une part, par le choix du mot «investor» (investisseur) au lieu du terme «investment» (investissement) et, d'autre part, par l'ajout de «world».

17.
    La requérante conclut que le vocable Investorworld est, dans une certaine mesure, imaginé et présente donc un caractère distinctif. Par conséquent, le motif absolu de refus énoncé à l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, qui porte sur l'hypothèse dans laquelle le signe déposé est entièrement dépourvu d'un tel caractère, ne s'applique pas à la demande d'enregistrement en cause.

18.
    L'Office reconnaît qu'un caractère distinctif minimal suffit pour qu'un vocable puisse être enregistré comme marque, mais soutient que le vocable en question n'a pas ce caractère. L'absence du «s» apostrophe, comme il devrait figurer dans l'expression «Investor's World», ne suffit pas à conférer au vocable Investorworld un caractère distinctif. Selon l'Office, il s'agit d'une variante orthographique à peine perceptible . L'Office fait observer, à cet égard, qu'il a pour pratique constante de refuser l'enregistrement d'un signe composé uniquement de deux mots accolés, dont aucun ne peut en soi bénéficier de protection et qui doivent être écrits séparément en application des règles grammaticales.

19.
    L'Office estime que le vocable Investorworld peut être interprété, au sens figuré, comme signifiant «monde des investisseurs», indiquant ainsi que les services désignés portent sur tout ce qui est susceptible d'être de quelque intérêt pour les investisseurs. Par conséquent, ce vocable est dépourvu de caractère distinctif parce qu'il ne permet pas d'identifier l'entreprise qui se trouve à l'origine de l'offre de services. Or, justement, un signe est distinctif s'il est apte à distinguer les produits et services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises. Dans ce contexte, l'Office précise qu'il a pour pratique de refuser tout vocable qui comporte le mot «world», d'une part, et un terme décrivant l'objet ou le public cible du produit ou du service, d'autre part, comme les vocables «World of music» pour des disques et «The world of wine» pour des produits liés au vin.

Appréciation du Tribunal

20.
    Aux termes de l'article 4 du règlement n° 40/94, l'élément déterminant pour qu'un signe susceptible de représentation graphique puisse constituer une marque communautaire consiste dans son aptitude à distinguer les produits d'une entreprise de ceux d'une autre entreprise (arrêts du Tribunal du 8 juillet 1999, Procter & Gamble/OHMI, BABY-DRY, T-163/98, Rec. p. II-2383, point 20, et du 12 janvier 2000, DKV/OHMI, COMPANYLINE, T-19/99, Rec. p. II-1, point 23).

21.
    Aux termes de l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, sont refusées à l'enregistrement «les marques qui sont dépourvues de caractèredistinctif». Le caractère distinctif doit être apprécié par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l'enregistrement du signe est demandé (arrêt COMPANYLINE, précité, point 24).

22.
    En l'espèce, le signe est composé exclusivement des termes «investor» et «world», tous deux usuels dans les pays anglophones. Le terme «investor» permet de comprendre que les services désignés sont destinés aux investisseurs et relèvent de la classe 36 (voir ci-dessus point 3). Le fait d'accoler ce terme à «world» ne présente aucune caractéristique additionnelle susceptible de rendre le signe dans son ensemble apte à distinguer les services de la requérante de ceux d'autres entreprises (arrêts BABY-DRY, précité, point 27, et COMPANYLINE, précité, point 26). En effet, constitué ainsi, le signe en cause ne fait que renvoyer au «monde de l'investisseur», signifiant, comme l'Office l'observe à juste titre, que les services en question portent sur tout ce qui est susceptible d'être de quelque intérêt pour l'investisseur.

23.
    La circonstance que le vocable Investorworld n'est pas grammaticalement correct et n'existe donc pas dans la langue anglaise ne modifie en aucune manière l'appréciation exposée ci-dessus (arrêt COMPANYLINE, précité, point 26).

24.
    En conséquence, le signe Investorworld est dépourvu de caractère distinctif à l'égard de services relevant de la classe 36 de l'arrangement de Nice.

25.
    Il s'ensuit que la chambre de recours a décidé, à juste titre, que sur le fondement de l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, le vocable Investorworld n'est pas susceptible de constituer une marque communautaire pour de tels services.

26.
    Il ressort de l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 qu'il suffit qu'un des motifs absolus de refus énumérés s'applique pour que le signe ne puisse être enregistré comme marque communautaire (voir arrêts BABY-DRY, précité, point 29, et COMPANYLINE, précité, point 30). Par conséquent, le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

27.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du défendeur.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    La requérante est condamnée aux dépens.

Tiili
Moura Ramos
Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 octobre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Mengozzi


1: Langue de procédure: l'allemand.