Language of document : ECLI:EU:T:1996:127

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

8 novembre 2000 (1)

«Assistance d'urgence de la Communauté aux États de l'ex-Union soviétique - Appel d'offres - Recours en annulation - Recours en indemnité»

Dans les affaires jointes T-485/93, T-491/93, T-494/93 et T-61/98,

Société anonyme Louis Dreyfus & Cie, établie à Paris (France), représentée par Me R. Saint-Esteben, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me A. May, 398, route d'Esch,

Glencore Grain Ltd, anciennement Richco Commodities Ltd, établie à Hamilton (Bermudes), représentée par Mes P. V. F. Bos et J. G. A. van Zuuren, avocats aubarreau de Rotterdam, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me M. Loesch, 11, rue Goethe,

Compagnie Continentale (France), établie à Labège (France), représentée par Me P. Chabrier, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me E. Arendt, 8-10, rue Mathias Hardt,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par Mme M.-J. Jonczy, conseiller juridique, MM. B. J. Drijber et N. Khan, membres du service juridique, puis par Mme Jonczy et M. H. van Vliet, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de la décision de la Commission du 1er avril 1993 relative à des contrats conclus entre chacune des requérantes et Exportkhleb et, d'autre part, une demande de réparation des dommages prétendument subis en raison de cette décision,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, président, A. Potocki et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 23 février 2000,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Ayant constaté la nécessité d'apporter une assistance alimentaire et médicale à l'Union soviétique et à ses républiques, le Conseil a adopté, le 16 décembre 1991, la décision 91/658/CEE concernant l'octroi d'un prêt à moyen terme à l'Union soviétique et à ses républiques (JO L 362, p. 89). L'article 4, paragraphe 3, de cette décision dispose:

«L'importation de produits, dont le financement est assuré par le prêt, se fait aux prix du marché mondial. La libre concurrence doit être garantie pour l'achat et lalivraison des produits qui doivent répondre aux normes de qualité reconnues internationalement.»

2.
    Par le règlement (CEE) n° 1897/92, du 9 juillet 1992, la Commission a adopté certaines modalités d'application du prêt à moyen terme octroyé par la décision 91/658 (JO L 191, p. 22). Selon l'article 4 de ce règlement, les prêts accordés par la Communauté aux républiques de l'ex-Union soviétique ne financent que les achats et les fournitures de produits couverts par des contrats qui ont été reconnus par la Commission en conformité avec les dispositions de la décision 91/658 et avec les accords conclus entre ces républiques et la Commission en vue de l'octroi de ces prêts. L'article 5 du règlement n° 1897/92 précise que cette reconnaissance n'est accordée que si les conditions suivantes sont, notamment, remplies:

«1) Le contrat est passé à la suite d'une procédure garantissant la libre concurrence. À cette fin, les organismes d'achat des républiques doivent, en sélectionnant les entreprises fournisseuses dans la Communauté, chercher au moins trois offres parmi des entreprises indépendantes entre elles [...]

2) Le contrat présente les conditions d'achat les plus favorables au vu des prix normalement obtenus sur les marchés internationaux.»

3.
    Le 9 décembre 1992, la Communauté européenne, la Fédération de Russie et son agent financier, la Vnesheconombank (ci-après la «VEB»), ont signé, conformément au règlement n° 1897/92, un «Memorandum of Understanding» (accord-cadre) sur le fondement duquel la Communauté européenne accorderait à la Fédération de Russie le prêt institué par la décision 91/658. Cet accord-cadre reproduit, en son article 7, septième et douzième tirets, les dispositions précitées de l'article 5 du règlement n° 1897/92.

4.
    Le même jour, la Commission et la VEB ont signé le contrat de prêt prévu par le règlement n° 1897/92 et par l'accord-cadre susvisé. Ce contrat définit le mécanisme de déboursement du prêt. Il stipule, en son article 5.1, sous a), que la demande d'approbation adressée par la VEB à la Commission doit être faite, notamment, sous la forme du modèle joint en annexe 2-A à ce contrat. Or, de cette annexe, il ressort que la VEB doit joindre à cette demande, d'une part, une copie du contrat de fourniture, d'autre part, les trois invitations à soumettre des offres adressées à des entreprises indépendantes et émises avant la conclusion de ce contrat, ainsi que les réponses à ces invitations.

5.
    Le 15 janvier 1993, conformément à l'article 2 de la décision 91/658, la Commission, en tant qu'emprunteur, a conclu, au nom de la Communauté, un accord de prêt avec un consortium de banques conduit par le Crédit Lyonnais.

Faits à l'origine du litige

6.
    Dans le courant du dernier trimestre de l'année 1992, les requérantes, sociétés de négoce international, ont été contactées dans le cadre d'un appel d'offres informel organisé par Exportkhleb, société d'État chargée par la Fédération de Russie de négocier les achats de blé.

7.
    Par contrats conclus les 27 et 28 novembre 1992, selon le cas, les requérantes et Exportkhleb sont convenues de ce qui suit. La société anonyme Louis Dreyfus & Cie (ci-après «Louis Dreyfus») s'est engagée à livrer une quantité de 325 000 tonnes de blé de meunerie au prix de 140,50 dollars des États-Unis (USD) la tonne, cif free out-ports de la mer Baltique. La société Glencore Grain a conclu un contrat de livraison de 700 000 tonnes de blé de meunerie au prix de 140 USD la tonne dans les mêmes conditions. La Compagnie Continentale (France), pour sa part, a signé deux contrats. Le premier portait sur la livraison de 500 000 tonnes de blé de meunerie, dont 50 000 furent ultérieurement annulées, au prix de 140,40 USD la tonne, cif free out-ports de la mer baltique; le second, sur 20 000 tonnes de blé dur au prix de 145 USD la tonne, cif free out-ports de la mer Noire. Ce second contrat fut modifié le 2 décembre 1992 en vue de la livraison de 15 000 tonnes supplémentaires de blé dur au prix de 148 USD la tonne, cif free out-ports de la mer Noire. Aux termes de chacun de ces contrats, la marchandise devait être embarquée durant les mois de janvier et de février 1993.

8.
    Après la signature du contrat de prêt, la VEB a demandé à la Commission d'approuver chacun des contrats conclus entre Exportkhleb et les requérantes.

9.
    Après qu'elle eut obtenu de celles-ci certains renseignements complémentaires indispensables, concernant notamment le taux de change écus/USD, qui n'avait pas été fixé dans les contrats, la Commission a donné son accord le 27 janvier 1993, sous forme de notes de confirmation adressées à la VEB.

10.
    Selon les requérantes, les lettres de crédit sur la base desquelles le financement devait intervenir ne sont devenues opérationnelles que dans le courant de la seconde quinzaine du mois de février 1993, soit quelques jours seulement avant la fin de la période d'embarquement prévue par les contrats.

11.
    Or, si une partie importante de la marchandise avait été livrée ou était en cours d'embarquement, il devenait évident, d'après les requérantes, que la totalité des marchandises ne pourrait être livrée avant la fin du mois de février 1993.

12.
    Par télex du 19 février 1993, Exportkhleb a convoqué les exportateurs à une réunion à Bruxelles, qui s'est tenue les 22 et 23 février 1993. Au cours de cette réunion, Exportkhleb a demandé aux exportateurs de formuler de nouvelles offres de prix pour la livraison de ce qu'elle appelait le «solde prévisible», c'est-à-dire les quantités dont on pouvait raisonnablement envisager qu'elles ne seraient pas livrées avant la date du 28 février 1993. Selon les requérantes, le cours du blé sur le marché mondial aurait considérablement augmenté entre le mois denovembre 1992, date à laquelle avaient été conclus les contrats de vente, et le mois de février 1993, date des nouvelles négociations.

13.
    À l'issue de cette réunion de Bruxelles, les requérantes sont convenues avec Exportkhleb de nouvelles livraisons de blé qui devaient être effectuées avant la fin du mois d'avril 1993. La société Louis Dreyfus s'est vue attribuer un marché de 185 000 tonnes de blé de meunerie au prix de 155 USD. Glencore Grain a pris l'engagement de livrer 450 000 tonnes de blé de meunerie au même prix. Enfin, la Compagnie Continentale (France) s'est vue chargée de livrer 300 000 tonnes de blé de meunerie, dont 120 000 au prix initialement convenu et 180 000 tonnes au prix de 155 USD, ainsi que 20 000 tonnes de blé dur ou de blé de meunerie à ce même prix.

14.
    Selon les requérantes, du fait de l'urgence découlant de la gravité de la situation alimentaire en Russie, il fut décidé, à la demande d'Exportkhleb, de formaliser ces modifications par de simples avenants aux contrats initiaux.

15.
    Le 9 mars 1993, Exportkhleb a informé la Commission que les contrats signés avec cinq de ses fournisseurs avaient été modifiés et que les livraisons à venir s'effectueraient dorénavant au prix de 155 USD la tonne (cif free out-ports de la mer Baltique), à convertir en écus au taux de 1,17418 (soit 132 écus la tonne).

16.
    Par télécopie du 12 mars 1993, le directeur général de la direction générale de l'agriculture (DG VI) a attiré l'attention d'Exportkhleb sur le fait que, puisque la valeur maximale de ces contrats avait déjà été fixée par la note de confirmation de la Commission et que la totalité des crédits disponibles pour le blé avait déjà été engagée, la Commission ne pourrait accepter une telle demande que si la valeur globale des contrats était maintenue, ce qui pouvait être obtenu par une réduction correspondante des quantités en cours à livrer. Il ajoutait que la demande d'approbation des amendements ne pourrait être prise en considération par la Commission qu'à la condition d'être présentée officiellement par la VEB.

17.
    Selon les requérantes, ces informations ont été interprétées comme valant confirmation de l'accord de principe de la Commission, sous réserve d'un examen aux fins d'approbation formelle, une fois le dossier transmis par la VEB.

18.
    Les avenants aux contrats ont alors été formellement conclus, même s'ils ont été fictivement datés du 22 février 1993, date de la réunion de Bruxelles. Si le prix par tonne n'a pas été modifié par rapport à celui annoncé le 9 mars 1993, les volumes ont été adaptés, afin d'éviter que le montant total ne soit supérieur à celui initialement prévu. Les requérantes ont alors repris ou poursuivi leurs livraisons.

19.
    Les dossiers contenant les nouvelles offres et les amendements aux contrats ont été officiellement transmis à la Commission par la VEB les 22 et 26 mars 1993.

20.
    Par lettre du 1er avril 1993, signée par le membre de la Commission en charge des questions agricoles, la Commission a informé la VEB de son refus d'approuver les amendements aux contrats initiaux.

21.
    Dans cette lettre, l'auteur faisait savoir que, après examen des amendements apportés aux contrats conclus entre Exportkhleb et certains fournisseurs, la Commission pouvait accepter ceux relatifs au report des échéances de livraison et de paiement. En revanche, il affirmait: «[L]'ampleur des augmentations de prix est telle que nous ne pouvons pas les considérer comme une adaptation nécessaire, mais comme une modification substantielle des contrats initialement négociés.» Il poursuivait: «En fait, le niveau actuel des prix sur le marché mondial (fin mars 1993) n'est pas significativement différent de celui qui prévalait à la date à laquelle les prix ont été initialement convenus (fin novembre 1992).» Le membre de la Commission rappelait que la nécessité de garantir, d'une part, une libre concurrence entre fournisseurs potentiels et, d'autre part, les conditions d'achat les plus favorables était l'un des principaux facteurs gouvernant l'approbation des contrats par la Commission. Constatant qu'en l'espèce les amendements avaient été conclus directement avec les entreprises concernées, sans mise en concurrence avec d'autres fournisseurs, il concluait: «La Commission ne peut pas approuver des changements aussi importants par le biais de simples amendements des contrats existants.» Il indiquait également: «[S']il était jugé nécessaire de modifier les prix ou les quantités, il conviendrait de négocier de nouveaux contrats devant être soumis à la Commission pour approbation selon la procédure complète usuelle (en ce compris la présentation d'au moins trois offres).»

22.
    Les sociétés Louis Dreyfus et Glencore Grain soutiennent qu'Exportkhleb les a informées, le 5 avril 1993, du refus opposé par la Commission. La Compagnie Continentale (France) fait valoir que, à cette même date, elle a reçu un télex d'Exportkhleb l'informant de ce refus mais que le texte complet de la lettre du 1er avril 1993 ne lui a été communiqué que le 20 avril 1993.

Procédure

23.
    Par acte déposé au greffe de la Cour les 9 juin, 5 juillet et 22 juin 1993, les sociétés Louis Dreyfus, Glencore Grain et Compagnie Continentale (France) ont, respectivement, introduit un recours, inscrit sous les numéros C-311/93, C-343/93 et C-357/93.

24.
    Par ordonnances du 27 septembre 1993, la Cour a renvoyé ces affaires devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes, en application de la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993, modifiant la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 144, p. 21).

25.
    Ces affaires ont été enregistrées au greffe du Tribunal sous les numéros T-485/93, T-491/93 et T-494/93.

26.
    Par arrêts du 24 septembre 1996, Dreyfus/Commission (T-485/93, Rec. p. II-1101), Richco/Commission (T-491/93, Rec. p. II-1131), et Compagnie Continentale/Commission (T-494/93, p. II-1157), le Tribunal a rejeté comme irrecevables les demandes en annulation présentées par chacune des requérantes et rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission en ce qui concerne les demandes en indemnité présentées par les sociétés Louis Dreyfus et Glencore Grain.

27.
    Par actes déposés au greffe de la Cour entre le 28 novembre et le 23 décembre 1996, les requérantes ont formé un pourvoi contre ces arrêts, en tant qu'ils déclaraient irrecevables les demandes en annulation.

28.
    Par ordonnances du Tribunal du 27 janvier 1997, le Tribunal a décidé de suspendre la procédure écrite, en ce qui concerne les demandes en indemnité, dans l'attente des arrêts de la Cour.

29.
    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 avril 1998, la société Compagnie Continentale (France) a introduit un nouveau recours, tendant à ce que la Commission soit condamnée à réparer le préjudice subi par la requérante du fait de la décision du 1er avril 1993. L'affaire a été enregistrée au greffe du Tribunal sous le numéro T-61/98.

30.
    Par arrêts du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission (C-386/96 P, Rec. p. I-2309), Compagnie Continentale/Commission (C-391/96 P, Rec. p. I-2377), et Glencore Grain/Commission (C-403/96 P, Rec. p. I-2405), la Cour a annulé les arrêts du Tribunal en ce qu'ils déclaraient irrecevables les demandes en annulation, renvoyé les affaires devant le Tribunal pour qu'il statue au fond et réservé les dépens.

31.
    La procédure écrite a été reprise devant le Tribunal au stade où elle se trouvait, conformément à l'article 119, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

32.
    Par ordonnance du 9 juin 1998, le Tribunal (troisième chambre), rappelant que, dans l'arrêt du 24 septembre 1996 rendu dans l'affaire T-494/93, il ne s'était pas prononcé sur la tardiveté du recours alléguée par la Commission, a décidé de joindre la demande de statuer sur l'irrecevabilité au fond.

33.
    Par ordonnance du président de la troisième chambre du Tribunal du 11 juin 1998, les affaires T-494/93 et T-61/98 ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt, conformément à l'article 50 du règlement de procédure.

34.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

35.
    Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 19 janvier 2000, les affaires T-485/93, T-491/93, T-494/93 et T-61/98 ont été jointes aux fins de la procédure orale, conformément à l'article 50, précité.

36.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l'audience du 23 février 2000.

37.
    Les requérantes ont indiqué à l'audience qu'elles n'avaient pas d'objections à la jonction, aux fins de l'arrêt, des affaires T-485/93, T-491/93 et T-494/93 et T-61/98.

38.
    Conformément à l'article 50 du règlement de procédure, le Tribunal décide de joindre ces affaires aux fins de l'arrêt.

Conclusions des parties

39.
    Dans l'affaire T-485/93, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

    

-    annuler la décision du 1er avril 1993;

-    condamner la Commission à réparer les préjudices matériel et moral qu'elle a subis;

-    condamner la Commission aux dépens.

40.
    Dans l'affaire T-491/93, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision du 1er avril 1993;

-    condamner la Commission à lui verser, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de cette décision, la somme de 7 374 023,78 euros, à majorer des intérêts à compter du dépôt du recours;

-    condamner la Commission aux dépens.

41.
    Dans les affaires jointes T-494/93 et T-61/98, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision de la Commission du 1er avril 1993;

-    condamner la Commission à lui verser, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de cette décision, la somme de 1 858 987 euros, à majorer des intérêts;

-    condamner la Commission aux dépens.

42.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    dans l'affaire T-491/93, rejeter la demande en indemnité comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondée;

-    dans l'affaire T-494/93, rejeter le recours en annulation comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé;

-    pour la demande en annulation dans l'affaire T-491/93 et pour les recours dans les affaires T-485/93 et T-61/98, les rejeter comme non fondés;

-    condamner les requérantes aux dépens.

Sur la tardiveté du recours en annulation dans l'affaire T-494/93

Arguments de la Commission

43.
    La Commission soutient que la demande en annulation, introduite le 22 juin 1993, est tardive.

44.
    En effet, elle relève que la requérante reconnaît avoir été informée de la décision attaquée dès le 5 avril 1993, par un télex d'Exportkhleb. Or, ce télex ferait connaître à la requérante, sans ambiguïté, le contenu et les raisons de la prise de position de la Commission. Le recours aurait donc dû être formé dans le délai de deux mois à compter du 5 avril 1993, soit le 11 juin 1993 au plus tard, délai de distance inclus.

45.
    À titre subsidiaire, la Commission observe que la requérante n'a obtenu copie de la décision que le 20 avril 1993. Or, compte tenu du libellé clair du télex du 5 avril 1993, de l'urgence et de la gravité des conséquences des informations ainsi communiquées, une entreprise prudente n'aurait pas attendu le 20 avril 1993 pour obtenir le texte de la décision du 1er avril 1993, mais aurait immédiatement entrepris des démarches à cette fin.

Appréciation du Tribunal

46.
    En vertu de l'article 173, cinquième alinéa, du traité CE (devenu article 230, cinquième alinéa, CE), un recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l'acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance.

47.
    En outre, conformément à l'annexe II du règlement de procédure de la Cour, auquel se réfère l'article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le délai précité de deux mois est augmenté, en raison de la distance, de six jours dans le cas d'une requérante établie en France.

48.
    En l'espèce, la décision du 1er avril n'a été ni publiée ni notifiée à la requérante.

49.
    À défaut de publication ou de notification, il appartient à celui qui a connaissance de l'existence d'un acte qui le concerne d'en demander le texte intégral dans un délai raisonnable. Sous cette réserve, le délai de recours ne saurait courir qu'à partir du moment où le tiers concerné a une connaissance exacte du contenu et des motifs de l'acte en cause de manière à pouvoir faire fruit de son droit de recours (arrêts du Tribunal du 19 mai 1994, Consorzio gruppo di azione locale «Murgia Messapica»/Commission, T-465/93, Rec. p. II-361, point 29, du 7 mars 1995, Socurte e.a./Commission, T-432/93 à T-434/93, Rec. p. II-503, point 49, et du 13 décembre 1995, Windpark Groothusen/Commission, T-109/94, Rec. p. II-3007, point 26). L'expression «connaissance exacte» n'implique pas la connaissance de tous les éléments de la décision mais de l'essentiel de son contenu (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 10 février 1994, Frinil/Commission, T-468/93, Rec. p. II-33, point 32).

50.
    En l'espèce, il y a lieu de relever que le télex du 5 avril 1993, adressé par Exportkhleb à la requérante, ne comporte que deux brefs extraits de la décision du 1er avril 1993. Ces citations, d'ailleurs tronquées, ne font pas état d'un des griefs essentiels formulés par la Commission dans cette décision, à savoir que les avenants aux contrats auraient été conclus sans mise en concurrence avec d'autres fournisseurs potentiels.

51.
    Dans ces conditions, si le télex du 5 avril 1993 permettait à la requérante de comprendre que les services de la Commission avaient émis une opinion défavorable sur les avenants, en revanche, il ne donnait pas une connaissance exacte des motifs qui la sous-tendaient.

52.
    Il ne peut, dès lors, constituer le point de départ du délai du recours en annulation.

53.
    Quant à l'argumentation subsidiaire de la partie défenderesse, le Tribunal considère que, dans les circonstances de l'espèce, le délai de quinze jours qui s'est écoulé entre le 5 avril 1993, date de la réception du télex d'Exportkhleb, et le 20 avril 1993, date de la réception du texte de la décision, n'est pas déraisonnable, au sens de la jurisprudence précitée, en dépit de l'urgence de la situation révélée par l'information donnée par Exportkhleb.

54.
    Dès lors, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours doit être rejetée.

Sur la demande en annulation

Sur la violation de la décision 91/658 et du règlement n° 1897/92

55.
    Il n'est pas contesté entre les parties que les nouveaux termes des contrats de vente, qui portaient sur les prix, les quantités et même, dans un cas, sur la nature du produit à livrer, devaient, afin de pouvoir bénéficier de la garantie financièrecommunautaire, être approuvés par la Commission. À cet égard, il importe peu de savoir si ces nouveaux termes doivent être qualifiés d'avenants aux contrats initiaux ou de nouveaux contrats.

56.
    Il est également constant entre les parties que, parmi les conditions posées par les textes pertinents en vue d'obtenir l'approbation de la Commission, l'une concerne le prix convenu, une autre le respect de la libre concurrence lors de la passation du contrat. Il ressort de la décision attaquée que, selon la Commission, l'une et l'autre de ces conditions ne sont pas remplies.

57.
    Il n'est par ailleurs pas contesté par les parties que ces deux conditions sont cumulatives, de sorte que l'absence d'une d'entre elles suffit à justifier la décision de ne pas approuver les contrats.

58.
    Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de procéder, tout d'abord, à l'examen de la seconde condition.

Arguments des requérantes

59.
    Les requérantes soutiennent que, contrairement à ce qu'indique la Commission dans la décision attaquée, la condition relative au respect de la libre concurrence a été respectée lors de la passation des contrats en février 1993, comme elle l'avait été lors de la conclusion des contrats en novembre 1992.

60.
    Elles rappellent, à ce titre, le contexte, et en particulier l'urgence, dans lequel sont intervenues les négociations lors de la réunion des 22 et 23 février 1993 (voir, notamment, arrêt du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission, précité, point 50).

61.
    Elles observent ensuite que les dispositions de la décision 91/658 et du règlement n° 1897/92 n'exigent aucun formalisme particulier pour la mise en concurrence des fournisseurs communautaires. D'ailleurs, l'article 5, paragraphe 1, du règlement n° 1897/92 prévoirait seulement qu'Exportkhleb, en tant qu'organisme d'achat, doive «chercher» au moins trois offres parmi des entreprises indépendantes entre elles.

62.
    Elles soulignent, de plus, que, lors de la passation des contrats en novembre 1992, l'appel à concurrence entre au moins trois entreprises indépendantes avait pris la forme d'une simple convocation téléphonique. En revanche, lors de la passation des avenants, la procédure de mise en concurrence aurait été plus formelle, les entreprises étant convoquées par télex. De surcroît, les requérantes relèvent que la presse spécialisée avait fait état de la réunion de Bruxelles des 22 et 23 février 1993. La Commission n'ayant émis aucune objection contre la procédure de passation des contrats initiaux, les critiques qu'elle adresse à la procédure ayant conduit à l'adoption des avenants seraient sans fondement.

63.
    À l'occasion de cette réunion de Bruxelles, les 22 et 23 février 1993, les négociations, même si elles étaient séparées, auraient conduit chaque fournisseur à s'aligner sur le prix le plus bas offert aux autorités russes.

64.
    Enfin, selon les requérantes, il serait logique qu'Exportkhleb ait souhaité, lors du deuxième appel d'offres, se procurer les quantités non encore satisfaites; le fait que les quantités requises dans le cadre du second appel d'offres étaient égales à celles qui n'avaient pas été livrées n'établirait donc pas l'absence de concurrence dans la procédure.

Appréciation du Tribunal

65.
    Il convient de souligner, à titre liminaire, que la condition relative au respect de la libre concurrence lors de la passation de contrats est essentielle au bon fonctionnement du mécanisme de prêt instauré par la Communauté. Au-delà de la prévention des risques de fraude ou de collusion, elle tend, de manière plus générale, à garantir une utilisation optimale des moyens mis en place par la Communauté en vue de l'assistance aux républiques de l'ex-Union soviétique. De fait, elle vise à protéger aussi bien la Communauté, en tant que prêteur, que ces républiques, en tant que bénéficiaires de l'assistance alimentaire et médicale.

66.
    Le respect de cette condition n'apparaît donc pas comme une simple obligation formelle, mais bien comme un élément indispensable de la mise en oeuvre du mécanisme de prêt.

67.
    Il convient, dans ces conditions, de vérifier si la Commission, lorsqu'elle a adopté la décision attaquée, a, à juste titre, considéré que n'était pas établi le respect de la condition de libre concurrence lors de la conclusion des avenants aux contrats. La légalité de la décision doit être appréciée au regard de l'ensemble des règles qui s'imposaient à la Commission en la matière, en ce compris les accords conclus avec les autorités russes.

68.
    Les avenants conclus avec les différentes entreprises communautaires constituent, les uns par rapport aux autres, des contrats spécifiques, devant, chacun, faire l'objet d'une autorisation de la part de la Commission. Il convient donc d'examiner si chaque requérante, lorsqu'elle est convenue des nouveaux termes du contrat avec Exportkhleb, a été mise en concurrence avec au moins deux entreprises indépendantes.

69.
    À cet égard, il y a lieu de relever, tout d'abord, que le télex adressé par Exportkhleb aux requérantes les invitant à une réunion à Bruxelles les 22 et 23 février 1993 ne peut être regardé comme établissant la preuve que chaque entreprise a, avant la conclusion des avenants, été mise en concurrence avec au moins deux entreprises indépendantes les unes des autres.

70.
    Il est vrai que les textes communautaires applicables ne prévoient pas de forme particulière pour l'appel d'offres. Toutefois, en l'espèce, la question n'est pas de savoir si un télex peut constituer un appel d'offres valable, mais celle de savoir si ce télex établit que chaque entreprise a été mise en concurrence avec d'autres avant de conclure les nouveaux termes. Or, force est de constater que le télex d'Exportkhleb, libellé de manière générale, sans indiquer notamment les quantités qui seraient à livrer ou les conditions de livraison, n'apporte pas cette preuve.

71.
    De même, les extraits de la presse spécialisée produits par les requérantes, qui font état de la venue de représentants d'Exportkhleb en Europe pour discuter, notamment, des approvisionnements de blé dans le cadre du prêt communautaire, n'établissent en rien que les avenants ont été conclus avec des entreprises qui auraient été préalablement mises en concurrence avec au moins deux autres entreprises indépendantes.

72.
    Comme l'a souligné la requérante Glencore Grain, il est exact que les textes applicables imposent seulement à Exportkhleb de «chercher» au moins trois offres concurrentes. Il n'est donc pas exclu que certaines entreprises, bien qu'y ayant été invitées, renoncent à présenter une offre.

73.
    Toutefois, en l'espèce, le dossier ne fait même pas apparaître que, pour chacun des avenants finalement conclus, au moins deux entreprises tierces concurrentes auraient décliné la demande d'Exportkhleb.

74.
    Ainsi, dans la télécopie qu'elle a adressée à la Commission le 9 mars 1993 en vue de signaler les modifications apportées aux contrats, Exportkhleb s'est limitée à indiquer les contrats conclus avec chaque entreprise. Pour chaque contrat, il n'est mentionné que l'offre faite par l'entreprise qui a obtenu le contrat et les termes convenus après négociation avec Exportkhleb et cette entreprise. Il n'est nullement fait état, pour chacun de ces contrats, d'au moins deux autres réponses, fussent-elles négatives, aux invitations à soumettre des offres. Cette télécopie révèle seulement que chaque entreprise a conclu avec Exportkhleb un contrat correspondant au tonnage qui lui restait à livrer à la date de la réunion à Bruxelles. En réalité, si des offres étaient bien jointes à la télécopie du 9 mars 1993, il s'agissait d'offres distinctes pour des contrats distincts, et non pour un seul et même contrat. Cette télécopie ne permet donc pas non plus d'établir que chaque avenant aurait été conclu après mise en concurrence d'au moins trois entreprises indépendantes entre elles.

75.
    La Commission a par ailleurs indiqué, sans être contestée sur ce point, que lors de la notification officielle, par la VEB, des nouveaux termes des contrats, soit les 22 et 26 mars 1993, elle n'a pas reçu les réponses, favorables ou non, d'au moins trois entreprises indépendantes.

76.
    Les requérantes font toutefois observer que la libre concurrence a été respectée, puisque chacune a été obligée de s'aligner sur le prix le plus bas proposé.

77.
    Il est vrai que la télécopie du 9 mars 1993 d'Exportkhleb à la Commission révèle que les prix offerts allaient de 155 à 158,50 USD, mais que le prix convenu avec Exportkhleb était finalement de 155 USD pour toutes les entreprises.

78.
    Néanmoins, cela démontre tout au plus que, avant la conclusion de chacun des contrats, il a existé une négociation entre Exportkhleb et chaque requérante. En revanche, compte tenu également des éléments qui précèdent, cela n'établit pas que ce prix aurait été le résultat de la mise en concurrence, pour chaque contrat à passer, d'au moins trois entreprises indépendantes entre elles.

79.
    Il apparaît ainsi qu'il n'est pas démontré que la Commission ait commis une erreur en concluant que le principe de libre concurrence n'avait pas été respecté lors de la conclusion des avenants aux contrats.

80.
    L'une des conditions cumulatives énoncées dans la réglementation applicable n'étant pas remplie, il y a lieu de rejeter le premier moyen, sans qu'il y ait lieu d'examiner si le prix convenu dans les avenants correspondait aux prix du marché mondial.

Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

Arguments des requérantes

81.
    Dans l'affaire T-485/93, la requérante fait valoir que les services de la Commission lui ont donné oralement des assurances précises selon lesquelles les avenants seraient approuvés. C'est d'ailleurs sur cette base que la requérante aurait, dès le 4 mars 1993, repris ses embarquements de blé à destination de la Russie.

82.
    En outre, chacune des requérantes se prévaut de la lettre adressée par le directeur général de la DG VI le 12 mars 1993 à Exportkhleb qui aurait fait naître dans le chef des autorités russes, puis dans le leur, l'espérance fondée selon laquelle l'augmentation de prix prévue dans les avenants aux contrats serait acceptée. En effet, il ressortirait de cette lettre que:

-    la Commission ne remettait pas en cause la procédure même de négociation qui s'était déroulée à Bruxelles en février 1993 et qui avait été portée à sa connaissance;

-    il était donné un accord de principe à l'avenant et au nouveau prix, dans la mesure où, simplement, le montant total du crédit communautaire déjà alloué demeurerait inchangé, ce qui supposait une réduction des quantités;

-    il était rappelé l'obligation d'une notification formelle de l'avenant à la Commission, ce qui a été fait dans les jours qui ont suivi.

83.
    Les requérantes dans les affaires T-491/93 et T-494/93 se prévalent également d'une lettre du 26 mars 1993 adressée au vice-ministre de la Fédération de Russie par le membre de la Commission en charge des questions agricoles. Celui-ci n'émettrait en effet pas le moindre doute sur la conformité du prix convenu le 23 février 1993 avec les prix du marché.

84.
    En adoptant le 1er avril 1993 une position contraire à celle qui avait été précédemment exprimée sur des points identiques, la Commission aurait méconnu le principe de protection de la confiance légitime (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 14 septembre 1995, Lefebvre e.a./Commission, T-571/93, Rec. p. II-2379, point 74).

Appréciation du Tribunal

85.
    Selon une jurisprudence constante, le droit de réclamer la protection de la confiance légitime s'étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l'administration communautaire, notamment en lui fournissant des assurances précises, a fait naître dans son chef des espérances fondées (arrêt du Tribunal du 8 juillet 1999, Vlaamse Televisie Maatschappij/Commission, T-266/97, non encore publié au Recueil, point 71).

86.
    En l'espèce, les requérantes se prévalent d'assurances verbales émanant des services de la Commission, d'une lettre du directeur général de la DG VI du 12 mars 1993 et d'une lettre du membre de la Commission en charge des questions agricoles du 27 mars 1993.

87.
    Tout d'abord, aucun élément du dossier ne permet d'établir la réalité des prétendues assurances verbales, que la Commission nie avoir formulées, ni, a fortiori, qu'elles présentaient les caractéristiques nécessaires pour faire naître une confiance légitime.

88.
    Cette branche du moyen doit, en conséquence, être rejetée.

89.
    Les requérantes tirent ensuite parti de la lettre du directeur général de la DG VI à Exportkhleb du 12 mars 1993, dont il ressortirait que la Commission se déclarait prête à approuver les amendements aux contrats, et en particulier l'augmentation des prix, sous réserve que le montant total du contrat ne soit pas modifié, ce qui impliquait en contrepartie une réduction des volumes livrés.

90.
    Toutefois, il y a lieu de relever que cette lettre comportait un dernier paragraphe libellé comme suit:

«Afin d'être en mesure d'examiner et d'approuver les contrats amendés, la Commission a besoin d'une demande officielle de [la VEB] en ce sens, en transmettant les contrats amendés ou nouveaux, dès que possible.»

(«In order to be able to examine and to approve the amended contracts, the Commission needs an official request from the [VEB] to do so by transmitting the amended or new contracts as soon as possible.»)

91.
    Les requérantes font valoir que cette phrase a été comprise comme signifiant que la demande officielle n'était qu'une formalité.

92.
    Son libellé s'oppose toutefois à une telle interprétation. En effet, le directeur général de la DG VI indique explicitement que la notification est nécessaire afin d'être en mesure d'«examiner» et d'«approuver» les contrats amendés.

93.
    Au surplus, il convient de constater que, dans la lettre en cause, ce directeur général n'indique ni que le prix nouvellement fixé serait conforme au prix du marché, ni que la procédure suivie pour la conclusion des avenants avait été conduite dans le respect de la libre concurrence, au sens des textes applicables. Or, il est constant entre les parties que ce sont pourtant ces deux éléments qui constituent le fondement de la décision du 1er avril 1993. Cette dernière n'est, en revanche, pas fondée sur la circonstance que, même en présence d'une réduction des volumes, la Commission ne pourrait pas approuver d'augmentation des prix, ce qui serait en contradiction avec la lettre du directeur général de la DG VI.

94.
    Le fait que celui-ci se disait prêt à accepter une augmentation de prix si les volumes étaient adaptés en conséquence ne signifie ni que ce nouveau prix serait conforme au marché, ni que les avenants auraient été conclus dans le respect de la libre concurrence.

95.
    Certes, les requérantes font valoir que la lettre du directeur général de la DG VI doit être comprise dans le contexte d'urgence qui prévalait à l'époque et que la Cour a rappelé dans ses arrêts du 5 mai 1998, précités (voir, par exemple, arrêt Dreyfus/Commission, point 50).

96.
    Toutefois, ainsi qu'elles l'ont souligné au stade de l'examen de la recevabilité des présents recours, l'approbation de la Commission présentait un caractère essentiel dans l'économie des contrats de fourniture de blé à la Russie.

97.
    Ce lien étroit a été retenu par la Cour dans ses arrêts du 5 mai 1998, précités. Celle-ci a ainsi jugé qu'il était «légitime de considérer que le contrat de fourniture n'a été conclu qu'en fonction des obligations assumées par la Communauté» (notamment arrêt Dreyfus/Commission, précité, point 50) et que «le paiement des livraisons ne pouva[it] s'effectuer qu'au moyen des ressources financières mises à [la] disposition des acheteurs par la Communauté» (même arrêt, point 51). Elle a également jugé que, en l'absence de la garantie de financement mise en place parla Communauté, «la faculté qu'aurait eue Exportkhleb de donner exécution aux contrats de fourniture (...) était purement théorique» (même arrêt, point 52).

98.
    Compte tenu du caractère essentiel du financement communautaire, il ne peut être admis que les requérantes aient pu se fonder sur une lettre du directeur général de la DG VI, adressée de surcroît à Exportkhleb, et non à la VEB, sans attendre la décision finale de la Commission.

99.
    Au vu de l'ensemble de ces éléments, les requérantes ne peuvent prétendre que la lettre du directeur général de la DG VI du 12 mars 1993 aurait fait naître dans leur chef des espérances fondées, au sens de la jurisprudence.

100.
    Enfin, quant à la lettre du membre de la Commission en charge des questions agricoles du 26 mars 1993, il y a lieu de relever qu'elle contient la conclusion suivante:

«Ainsi que vous le savez, ces amendements [aux contrats] doivent être soumis par la VEB pour approbation par la Commission. La demande officielle concernant ces amendements aux contrats vient seulement de parvenir à mes services par télécopie (22 mars) et est actuellement en cours d'examen.»

[«As you are aware, these amendments must be presented by the VEB for approval to the Commission. The official demand concerning such amendments to the contracts has only just reached my services by fax (22/3) and is currently being studied.»]

101.
    En outre, cette lettre ne comporte aucun élément de nature à laisser penser que la Commission considérait que la libre concurrence avait été respectée et que les prix correspondaient aux prix du marché.

102.
    Dès lors, la lettre du 26 mars 1993 n'était pas de nature à faire naître des espérances fondées dans le chef des requérantes.

103.
    Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime doit être rejeté.

Sur la violation de l'obligation de motivation

Arguments des parties

104.
    Selon les requérantes, la Commission a méconnu l'obligation de motivation, au sens de l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE) (arrêt du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a. et British Midland Airways/Commission, T-371/94 et T-394/94, Rec. p. II-2405, points 89 et 95).

105.
    À l'occasion d'une réunion à Bruxelles, le 13 mai 1993, entre les représentants de la Commission et ceux du Comité du commerce des céréales et des aliments du bétail de la CEE (Coceral), dont les requérantes sont membres, il serait apparu que d'autres motifs que ceux exposés dans la décision avaient été pris en compte. Ainsi qu'il ressort du compte rendu de cette réunion, les prix convenus dans les avenants auraient, selon la Commission, été le résultat d'une concertation préalable entre les exportateurs.

106.
    Or, ce motif, dont la réalité n'aurait jamais été démontrée, serait absent de la décision. La décision du 1er avril 1993 ne mentionnerait donc pas toutes les justifications, voire les véritables justifications, du refus.

107.
    Dans l'affaire T-491/93, la requérante offre d'apporter des éléments complémentaires en vue de confirmer la réalité des propos tenus lors de la réunion du 13 mai 1993, par l'audition des personnes qui y ont assisté.

108.
    La Commission, dans son mémoire en défense, aurait d'ailleurs confirmé l'existence d'autres motifs que ceux mentionnés dans la décision, puisqu'elle s'est référée à des «considérations plus larges de nature politique et économique» - au demeurant non précisées - qui auraient été prises en compte pour refuser les avenants.

109.
    Dans les affaires T-485/93 et T-494/93, la partie défenderesse soutient, à titre liminaire, que le moyen est irrecevable, faute de remplir les conditions de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal. Dès lors que la décision est motivée, il importerait peu de s'interroger, dans le cadre de l'article 190 du traité, sur le point de savoir si d'autres motifs auraient également pu justifier la décision. Aucun élément ne permettrait donc de comprendre en quoi l'article 190 du traité aurait été méconnu en l'espèce.

110.
    La Commission observe que le compte rendu de réunion invoqué par les requérantes a été établi par un des représentants du Coceral et qu'elle n'en a pas reconnu l'exactitude.

111.
    De surcroît, contrairement aux prétentions des requérantes, la Commission n'aurait nullement affirmé dans son mémoire en défense que d'autres éléments auraient été pris en compte lors de l'adoption de la décision.

112.
    À titre subsidiaire, la Commission rappelle que la motivation exigée par l'article 190 du traité dépend de la nature de l'acte en cause (arrêt de la Cour du 14 mai 1998, Windpark/Commission, C-48/96 P, Rec. p. I-2873, points 34 et 35), en tenant compte du cadre dans lequel l'acte a été adopté. En l'espèce, la décision s'inscrirait dans une relation de droit privé, dans le cadre de laquelle la Commission jouirait d'une discrétion absolue. Aucune motivation particulière ne serait donc requise, a fortiori à l'égard de la requérante, qui n'est qu'un tiers par rapport au contrat du 9 décembre 1992.

Appréciation du Tribunal

113.
    Aux termes de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la requête doit contenir, notamment, un exposé sommaire des moyens invoqués. En l'espèce, contrairement à ce que soutient la partie défenderesse, le Tribunal constate que tel est bien le cas. En réalité, les objections présentées par la Commission ne relèvent pas de la recevabilité formelle du moyen, mais de l'examen du bien-fondé de celui-ci.

114.
    Le prétendu motif d'irrecevabilité doit, en conséquence, être rejeté.

115.
    Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l'article 190 du traité, qui constitue une forme substantielle au sens de l'article 173 du traité, doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle.

116.
    En l'espèce, il ressort clairement de la décision que la Commission a considéré que les contrats amendés qui lui étaient soumis ne pouvaient être approuvés dès lors qu'ils ne remplissaient pas les conditions requises par les textes en vigueur, à savoir que ces contrats n'avaient pas été conclus dans le respect du principe de libre concurrence et que les nouveaux prix n'étaient pas conformes aux prix du marché.

117.
    Les requérantes ne contestent d'ailleurs pas avoir compris ce raisonnement, ce dont attestent les arguments qu'elles ont soumis à l'appui de leur premier moyen.

118.
    Il y a lieu de conclure, dès lors, que la décision est conforme aux exigences de l'article 190 du traité.

119.
    En revanche, il n'appartient pas au Tribunal, dans le cadre d'un moyen fondé sur la violation de l'article 190 du traité, de vérifier si d'autres motifs que ceux indiqués dans une décision auraient pu justifier celle-ci. Cela dépasse en effet le contrôle de la motivation, tel qu'il a été rappelé ci-dessus.

120.
    Le présent moyen doit donc être rejeté.

Sur la demande de réparation du préjudice matériel

Sur la recevabilité

121.
    Dans l'affaire T-491/93, la Commission soutient que la demande en réparation du préjudice matériel n'est pas recevable. En effet, la requête ne permettrait pas de comprendre le sens de la demande, et en particulier la nature du préjudice invoqué. Elle ne remplirait donc pas les conditions exigées par l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.

122.
    Aux termes de cette disposition, la requête doit contenir l'objet du litige et un exposé sommaire des moyens. En l'espèce, le Tribunal constate que tel est bien le cas. L'objection présentée par la Commission ne relève pas de l'examen de la recevabilité formelle de la requête, mais de l'examen au fond de la demande indemnitaire.

123.
    La fin de non-recevoir présentée par la Commission doit donc être rejetée.

Sur le fond

124.
    Il suffit de rappeler que l'engagement de la responsabilité suppose la réunion d'un ensemble de conditions en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché à l'institution, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (notamment arrêt du Tribunal du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T-336/94, Rec. p. II-1343, point 30).

125.
    En l'espèce, le Tribunal constate que les fautes alléguées par les requérantes consistent, selon le cas, dans tous ou dans certains des moyens qu'elles invoquent à l'appui de leur recours en annulation.

126.
    Les moyens en question ayant été précédemment rejetés, il en découle que les requérantes ne sont pas parvenues à démontrer l'existence d'une faute dans le chef de la Commission.

127.
    Dans ces conditions, la demande en réparation du prétendu préjudice matériel doit être rejetée.

Sur la demande de réparation du préjudice moral

128.
    Dans l'affaire T-485/93, la requérante soutient que les déclarations du directeur général de la DG VI, en présence des représentants de la profession des exportateurs communautaires de céréales, lors de la réunion du 13 mai 1993 (voir ci-dessus point 105), insinuant que la requérante aurait participé à des pratiques illicites lors de la négociation de l'avenant au contrat, lui auraient causé un préjudice moral.

129.
    En réparation de ce préjudice, la requérante demande que la Commission soit condamnée au versement d'un euro.

130.
    Il y a lieu de relever que le document sur lequel se fonde la requérante pour établir la faute de la Commission est un compte rendu de la réunion en question établi par le Coceral. Il ne s'agit donc ni d'un compte rendu officiel ni même d'un compte rendu que la Commission aurait, d'une façon ou d'une autre, approuvé.

131.
    La réalité des propos rapportés dans ce document, contestée par la Commission, ne peut donc pas être considérée comme établie.

132.
    Dans ces conditions, la demande en réparation du préjudice moral, présentée dans l'affaire T-485/93, doit être rejetée.

133.
    Il s'ensuit que les recours doivent être rejetés dans leur ensemble.

Sur les dépens

134.
    En vertu de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de décider que la Commission supportera l'ensemble des dépens exposés jusqu'au prononcé des arrêts de la Cour du 5 mai 1998. Chaque requérante supportera ses propres dépens exposés après le prononcé de ces arrêts et les requérantes supporteront solidairement les dépens de la Commission exposés après ce prononcé.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    Les affaires T-485/93, T-491/93, T-494/93 et T-61/98 sont jointes aux fins de l'arrêt.

2)    Les recours sont rejetés.

3)    La Commission supportera ses propres dépens et les dépens exposés par chacune des requérantes jusqu'au prononcé des arrêts de la Cour du 5 mai 1998. Chaque requérante supportera ses propres dépens exposés après le prononcé de ces arrêts et les requérantes supporteront solidairement les dépens de la Commission exposés après ce prononcé.

Pirrung
Potocki
Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 novembre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. W. H. Meij


1: Langues de procédure: le français et le néerlandais.