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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

22 décembre 2023 (*)

« Référé – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds et des ressources économiques – Demande de mesures provisoires – Irrecevabilité partielle – Fumus boni juris – Urgence – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑743/22 R IV,

Nikita Dmitrievich Mazepin, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Mes D. Rovetta, M. Campa, M. Moretto, V. Villante, T. Marembert et A. Bass, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J. Rurarz et Mme P. Mahnič, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

République de Lettonie, représentée par Mmes J. Davidoviča et K. Pommere, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE VICE-PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

vu l’ordonnance du 3 octobre 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R III et T‑743/22 R IV, non publiée),

à la suite de l’audition de référé du 5 décembre 2023,

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, le requérant, M. Nikita Dmitrievich Mazepin, sollicite, notamment, dans les mêmes conditions que celles prévues dans l’ordonnance du 19 juillet 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée, EU:T:2023:406), en substance, le sursis à l’exécution de la décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104), et du règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3), en ce qu’ils le concernent (ci‑après, pris ensemble, les « actes de septembre 2023 »), ainsi que de la décision, figurant dans la lettre du Conseil de l’Union européenne du 15 septembre 2023, de maintenir son nom sur la liste des personnes, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives.

 Antécédents du litige et conclusions des parties

2        Le requérant est un ressortissant russe.

3        La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives décidées par l’Union européenne eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

4        Le 9 mars 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/397, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 80, p. 31), par laquelle le nom du requérant a été ajouté sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figure à l’annexe de la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), telle que modifiée.

5        À la même date, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2022/396, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 80, p. 1), par lequel le nom du requérant a été ajouté à la liste qui figure à l’annexe I du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6), tel que modifié.

6        Le 14 septembre 2022, compte tenu de la poursuite des actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/1530, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 239, p. 149), par laquelle il a décidé de maintenir le nom du requérant sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figure à l’annexe de la décision 2014/145, en modifiant les motifs de l’inscription de son nom sur cette liste.

7        À la même date, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2022/1529, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 239, p. 1), par lequel le nom du requérant a été maintenu sur la liste qui figure à l’annexe I du règlement no 269/2014, avec la même modification des motifs que celle visée au point précédent.

8        Le 13 mars 2023, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2023/572, modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 75I, p. 134), par laquelle il a décidé de maintenir le nom du requérant sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figure à l’annexe de la décision 2014/145, en modifiant les motifs de l’inscription de son nom sur cette liste ainsi que les informations d’identification le concernant.

9        À la même date, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2023/571, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2023, L 75I, p. 1), par lequel le nom du requérant a été maintenu sur la liste qui figure à l’annexe I du règlement no 269/2014, avec la même modification des motifs et des informations d’identification que celle visée au point précédent.

10      Le 5 juin 2023, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2023/1094, modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 146, p. 20), par laquelle il a, en particulier, modifié le critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145, pour y inclure les membres de la famille proche ou d’autres personnes physiques qui tirent avantage des femmes ou hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie.

11      À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) 2023/1089, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2023, L 146, p. 1), afin de donner effet aux modifications apportées par la décision 2023/1094.

12      Le 13 septembre 2023, le Conseil a adopté la décision 2023/1767, par laquelle il a décidé de maintenir le nom du requérant sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figure à l’annexe de la décision 2014/145.

13      Les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste des personnes, entités et organismes visés sont désormais les suivants :

« Nikita Mazepin est le fils de Dmitry Mazepin, propriétaire et ancien directeur général de JSC UCC Uralchem. Jusqu’en mars 2022, il a été pilote de course de l’écurie de Formule 1 Haas, parrainée par Dmitry Mazepin par l’intermédiaire d’Uralkali, une filiale d’Uralchem. Sa fondation “We compete as one” (Nous concourrons en ne faisant qu’un) est destinée à être financée par des fonds provenant d’Uralkali. Il est également associé à son père par des intérêts commerciaux communs dans la société Hitech GP, qui était détenue en partie par Dmitry Mazepin à travers Uralkali et dont l’objectif est de favoriser la carrière de Nikita Mazepin en tant que pilote de sport automobile, et qui est désormais détenue par un associé commun des deux hommes.

Il est donc membre de la famille proche de son père, Dmitry Mazepin, auquel il est associé et dont il tire avantage, et qui est un homme d’affaires influent intervenant dans des secteurs économiques constituant une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

14      À la même date, le Conseil a adopté le règlement d’exécution 2023/1765, par lequel le nom du requérant a été maintenu, avec la même motivation, sur la liste qui figure à l’annexe I du règlement no 269/2014.

15      Le 15 septembre 2023, le Conseil a adressé une lettre au requérant pour l’informer de sa décision de maintenir son nom sur les listes des personnes faisant l’objet de mesures restrictives.

16      Par son second mémoire en adaptation, déposé le 20 septembre 2023 dans l’affaire T‑743/22, le requérant a demandé au Tribunal d’annuler les actes de septembre 2023, pour autant qu’ils le concernent, ainsi que la décision figurant dans la lettre du Conseil du 15 septembre 2023.

17      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 2 octobre 2023, le requérant a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut à ce qu’il plaise au juge des référés :

–        ordonner, dans les mêmes conditions que celles prévues dans l’ordonnance du 19 juillet 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée, EU:T:2023:406), le sursis à l’exécution des actes de septembre 2023, en ce qu’ils maintiennent son nom dans la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives conformément à la décision 2014/145 et au règlement no 269/2014, ainsi que de la décision figurant dans la lettre du Conseil du 15 septembre 2023 ;

–        accorder toute autre mesure provisoire appropriée que le juge des référés jugerait nécessaire au vu des circonstances, afin d’éviter que le préjudice grave qu’il a déjà subi ne se trouve encore aggravé, ainsi que pour garantir qu’il soit mis en mesure de faire utilement valoir les droits conférés en vertu de l’ordonnance du 19 juillet 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée, EU:T:2023:406) ;

–        ordonner au Conseil de publier, dans la même série du Journal officiel de l’Union européenne que celle dans laquelle est publiée la réinscription de son nom, une note indiquant clairement que ladite réinscription fait l’objet d’une suspension dans les mêmes conditions que celles prévues dans l’ordonnance du 19 juillet 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée, EU:T:2023:406) ;

–        ordonner au Conseil d’informer le juge des référés des mesures adoptées ;

–        ordonner, en vertu de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal et avec effet immédiat, le sursis à l’exécution des actes de septembre 2023, pour autant qu’ils le concernent, ainsi que de la décision figurant dans la lettre du Conseil du 15 septembre 2023 dans les mêmes conditions que celles prévues dans l’ordonnance du 19 juillet 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée, EU:T:2023:406), jusqu’à l’adoption de l’ordonnance mettant fin à la procédure de référé ;

–        condamner le Conseil aux dépens exposés dans le cadre de la présente procédure.

18      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 20 octobre 2023, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au juge des référés :

–        rejeter la demande en référé comme irrecevable en ce qu’elle concerne la lettre du 15 septembre 2023 ;

–        rejeter comme irrecevable la demande de toute autre « mesure provisoire appropriée » et de publication, dans la même série du Journal officiel de l’Union européenne que celle dans laquelle est publiée la réinscription du nom du requérant, d’une note indiquant clairement que ladite réinscription fait l’objet d’une suspension ;

–        rejeter le reste de la demande comme non fondée ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Considérations générales

19      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

20      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

21      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision statuant sur le principal. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

22      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

23      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient, tout d’abord, d’examiner la recevabilité de certains chefs de conclusions du requérant, puis la condition relative au fumus bonus juris et, enfin, celle de l’urgence.

 Sur la recevabilité de la demande en référé en ce qu’elle vise à obtenir le sursis à l’exécution de la lettre du 15 septembre 2023 et l’octroi de toute autre mesure provisoire appropriée

24      Le Conseil conclut au rejet, comme étant irrecevables, d’une part, du premier chef de conclusions en ce qu’il vise à obtenir le sursis à l’exécution de la décision figurant dans sa lettre du 15 septembre 2023 et, d’autre part, du deuxième chef de conclusions du requérant.

25      S’agissant de la lettre du Conseil du 15 septembre 2023, il y a lieu de constater qu’il s’agit de l’acte par lequel cette institution a communiqué au requérant, d’une part, l’information relative au maintien, après révision, de son nom sur les listes litigieuses, ainsi que, d’autre part, les motifs dudit maintien. Il s’agit donc, à première vue, d’un acte purement informatif, qui, comme tel, n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, au sens de l’article 263 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil (T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, points 57 et suivants). Il y a donc lieu de rejeter la demande en référé comme irrecevable en ce qu’elle vise à obtenir la suspension d’une prétendue décision figurant dans la lettre du 15 septembre 2023.

26      S’agissant du deuxième chef de conclusions du requérant, il y a lieu de rappeler que ce dernier sollicite toute autre mesure provisoire que le juge des référés jugerait nécessaire au vu des circonstances afin d’éviter que le préjudice grave qu’il aurait déjà subi ne s’aggrave et afin de garantir qu’il soit en mesure de faire utilement valoir les droits conférés par l’ordonnance du 19 juillet 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée, EU:T:2023:406).

27      À cet égard, il convient de constater que le requérant ne fournit pas d’explication de nature à éclaircir suffisamment cette demande, laquelle revêt un caractère vague et imprécis. En l’absence de plus amples précisions quant à son objet, une telle demande ne remplit pas les conditions de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, auquel renvoie l’article 156, paragraphe 5, de ce même règlement. Ce chef de conclusions est, dès lors, irrecevable (voir, en ce sens, ordonnance du 12 février 1996, Lehrfreund/Conseil et Commission, T‑228/95 R, EU:T:1996:16, point 58).

 Sur le fumus boni juris

28      Selon une jurisprudence constante, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est le cas dès lors que l’un de ces moyens révèle l’existence d’un différend juridique ou factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond [voir, en ce sens, ordonnances du 3 décembre 2014, Grèce/Commission, C‑431/14 P‑R, EU:C:2014:2418, point 20 et jurisprudence citée, et du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 59 et jurisprudence citée].

29      Afin de déterminer si la condition relative au fumus boni juris est remplie en l’espèce, il y a lieu de procéder à un examen prima facie du bien‑fondé des griefs invoqués par la partie requérante à l’appui du recours dans l’affaire principale et donc de vérifier si au moins l’un d’entre eux présente un caractère suffisamment sérieux pour justifier qu’il ne soit pas écarté dans le cadre de la procédure de référé (voir ordonnance du 4 mai 2020, Csordas e.a./Commission, T‑146/20 R, non publiée, EU:T:2020:172, point 26 et jurisprudence citée).

30      En l’espèce, afin de démontrer que les actes de septembre 2023 sont, à première vue, entachés d’illégalité, le requérant invoque trois moyens.

31      Il convient d’examiner, tout d’abord, le troisième moyen, par lequel le requérant soutient, en substance, que les motifs d’inscription de son nom sur les listes en cause ne sont ni fondés, ni étayés, de sorte que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation, n’a pas respecté la charge de la preuve et a violé ses droits de la défense.

32      En particulier, en premier lieu, le requérant fait valoir que la société Uralkali, et non Uralchem, était le sponsor de l’écurie de Formule 1 Haas, son ancien employeur, et que son père, M. Dmitry Arkadievich Mazepin, dont le nom est également inscrit sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives, n’a jamais été le directeur général d’Uralkali. Ainsi, l’implication potentielle de son père dans la conclusion de l’accord de parrainage entre la société Uralkali et l’écurie de Formule 1 Haas n’aurait pas dû être présumée, mais aurait dû être clairement établie par le Conseil. Or, rien dans la base documentaire qui lui a été communiquée à ce jour n’établirait que son père avait participé au processus décisionnel ayant abouti à la signature de l’accord de parrainage ou l’avait influencé de manière décisive. De plus, les preuves fournies par le Conseil ne permettraient pas d’établir que le requérant n’aurait pas pu obtenir sa place de pilote dans cette écurie sans ce parrainage. Enfin, l’accord de parrainage conclu avec l’écurie de Formule 1 Haas aurait été, pour Uralkali, une opération commerciale tout à fait justifiée du point de vue économique et les groupes mondiaux d’engrais parraineraient régulièrement des évènements et des compétitions sportifs.

33      En deuxième lieu, le requérant soutient que la fondation « We compete as one » n’est pas destinée à être financée par Uralkali et que son père n’est pas impliqué dans une telle décision de financement.

34      En troisième lieu, le requérant fait valoir que rien dans les documents du Conseil ne démontre qu’il est associé à son père par des intérêts commerciaux communs dans la société Hitech GP ou qu’il tire avantage de son père par l’intermédiaire de cette société.

35      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

36      En premier lieu, le Conseil soutient que le requérant a tiré avantage de son père par le biais de l’accord de parrainage conclu entre Uralkali et l’écurie de Formule 1 Haas, dans la mesure où il n’aurait pu obtenir la place de pilote au sein de cette écurie sans le parrainage important apporté par son père.

37      En deuxième lieu, le Conseil relève que la fondation « We compete as one », fondée et présidée par le requérant, tire avantage du père de ce dernier de différentes manières et poursuit des intérêts communs avec des sociétés détenues et effectivement contrôlées par le père du requérant.

38      Dans ce cadre, le Conseil ajoute que, même si aucun parrainage direct n’a été octroyé à ce jour, une promesse médiatisée de financement constitue déjà un bénéfice pour la fondation « We compete as one », dans la mesure où une telle promesse lui donne de la crédibilité et attire des sponsors potentiels. En outre, de nouveaux éléments de preuve auraient montré que, en juin 2023, lors du Forum économique international de Saint‑Pétersbourg, cette fondation avait organisé une table ronde modérée par le requérant, à laquelle aurait participé le nouveau directeur général d’Uralchem. De plus, la fondation aurait noué un partenariat avec l’université d’État de Moscou, laquelle aurait signé avec Uralchem, en juin 2023, un accord de parrainage portant sur de nouveaux projets éducatifs. Enfin, le président‑directeur général de ladite fondation, en poste jusqu’au 31 mai 2022, aurait été à l’époque et serait encore à ce jour un conseiller du directeur général d’Uralchem.

39      En troisième lieu, le Conseil fait valoir que, d’une part, le père du requérant détenait, jusqu’en 2022, des droits de propriété partiels dans Hitech GP, directement ou par l’intermédiaire d’Uralkali, et qu’il continue de contrôler Hitech GP. D’autre part, le requérant aurait été employé par cette société quand il était pilote des équipes de Formule 2 et 3. Hitech GP, qui aurait publiquement confirmé qu’elle souhaiterait accéder à la Formule 1 avec sa propre écurie, serait toujours étroitement associée au requérant et à son père. En particulier, le requérant envisagerait de faire partie de l’équipe de Formule 1 de Hitech GP.

40      À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous‑tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

41      En l’espèce, il y a lieu de constater que, au vu du libellé des motifs du maintien du nom du requérant sur les listes en cause figurant dans les actes de septembre 2023 et des critères d’inscription tels que modifiés par la décision 2023/1094, l’inscription du nom du requérant sur ces listes est désormais fondée sur deux critères, à savoir le critère de l’association, prévu à l’article 1er, paragraphe 1, et à l’article 2, paragraphe 1, in fine de la décision 2014/145, telle que modifiée, et le critère visant les membres de la famille proche ou d’autres personnes physiques, qui tirent avantage des femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie, prévu à l’article 1er, paragraphe 1, sous e), et à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145, telle que modifiée. En effet, ainsi que cela ressort des motifs rappelés au point 13 ci-dessus, le nom du requérant a été maintenu sur les listes litigieuses en raison de sa qualité de membre de la famille proche de son père, M. Dmitry Arkadievich Mazepin, auquel il est associé et dont il tire avantage, et qui est un homme d’affaires influent intervenant dans des secteurs économiques constituant une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.

42      Pour justifier le maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, outre les preuves déjà fournies dans le contexte des procédures de référé précédentes, le Conseil a fourni les dossiers WK 8979/2023 INIT, WK 5142/2023 INIT, WK 5142/2023 ADD 1, WK 9510/2023 INIT et WK 9948/2023 INIT comportant des éléments d’information publiquement accessibles, à savoir des liens vers des sites Internet, des articles de presse et des captures d’écran correspondantes.

43      Il convient donc de déterminer si les allégations du requérant, selon lesquelles le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant qu’il existait une base factuelle suffisamment solide justifiant le maintien de son nom sur les listes en cause, sont, à première vue, fondées.

44      À cet effet, en premier lieu, il convient d’examiner l’argument du requérant selon lequel le Conseil ne démontre pas que, par la conclusion de l’accord de parrainage entre Uralkali et l’écurie de Formule 1 Haas, il a tiré avantage de son père.

45      À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort des motifs du maintien du nom du requérant sur les listes en cause qu’il a été, en tant que pilote de l’écurie de Formule 1 Haas jusqu’en mars 2022, parrainé par son père par l’intermédiaire d’Uralkali, une filiale d’Uralchem.

46      Cette partie des motifs d’inscription a trait au fait que le père du requérant, propriétaire et ancien directeur général de JSC UCC Uralchem, et homme d’affaires influent intervenant dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, aurait, par l’accord de parrainage conclu entre Uralkali, filiale d’Uralchem, et l’écurie de Formule 1 Haas, parrainé les activités de son fils.

47      Par ailleurs, ainsi que l’a constaté le juge des référés dans les ordonnances du 1er mars 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R, non publiée, EU:T:2023:102, point 46), et du 19 juillet 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée, EU:T:2023:406, point 64), le Conseil a étayé à suffisance de droit le fait qu’Uralkali a conclu un accord de parrainage avec l’écurie de Formule 1 Haas. Au demeurant, le requérant ne le conteste pas.

48      Néanmoins, le requérant fait valoir, d’une part, que les éléments de preuve fournis par le Conseil ne permettent pas d’établir qu’il n’aurait pas pu obtenir cette place de pilote dans l’écurie de Formule 1 Haas sans l’accord de parrainage et, d’autre part, que ledit accord était, pour Uralkali, une opération commerciale tout à fait justifiée d’un point de vue économique et que, à ce dernier égard, il n’est pas établi que ledit accord irait à l’encontre de l’intérêt d’Uralkali.

49      Or, s’il est admis qu’Uralkali a conclu un accord de parrainage avec l’écurie de Formule 1 Haas, il existe, à ce stade et au vu des arguments présentés, des raisons de douter que les mesures restrictives concernant le requérant reposent sur une base factuelle suffisamment solide et, en particulier, que les dossiers de preuve sur lesquels le Conseil avait fondé lesdites mesures permettent d’étayer le fait que le requérant tire avantage de son père par le biais de l’accord de parrainage. En d’autres termes, si le Conseil démontre que Uralkali, une société liée au père du requérant, a bien conclu ce contrat de parrainage avec l’écurie de Formule 1 Haas, il existe, à première vue, des raisons de douter que la conclusion de ce contrat ait été contraire aux intérêts de cette société et que le requérant n’aurait pas pu obtenir une place de pilote au sein de cette écurie sans ce parrainage.

50      Il est vrai que certains éléments de preuve fournis par le Conseil suggèrent que le requérant aurait bénéficié du soutien d’une société liée à son père pour devenir pilote de l’équipe de Formule 1 ou font état d’appréciations négatives quant à ses résultats en tant que pilote de Formule 1. Toutefois, force est de constater que la pièce no 10 du dossier WK 9948/2023 INIT comporte une appréciation positive concernant ses qualifications et son expérience pour concourir en Formule 1.

51      Par ailleurs, il ressort des ordonnances du 1er mars 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R, non publiée, EU:T:2023:102, point 49), et du 19 juillet 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée, EU:T:2023:406, point 67), d’une part, que le requérant a eu de très bons résultats en GP 3 (ancienne dénomination de la Formule 3) et en Formule 2 avant son recrutement en Formule 1 et, d’autre part, que le Conseil n’a pas démontré que le requérant aurait obtenu le poste de pilote de Formule 1 uniquement en raison du soutien financier de son père. Les éléments présentés par le Conseil dans le cadre de la présente procédure en référé ne permettent pas, à première vue, de remettre en cause ces appréciations.

52      En outre, à ce stade et au vu des arguments présentés, comme il a été relevé dans les ordonnances du 1er mars 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R, non publiée, EU:T:2023:102, point 50), et du 19 juillet 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée, EU:T:2023:406, point 68), il existe, à première vue, des raisons de douter que les éléments de preuve fournis par le Conseil permettent de considérer que le parrainage entre Uralkali et l’écurie de Formule 1 Haas a équivalu à une action philanthropique ou à une opération commerciale contraire aux intérêts économiques d’Uralkali et que ce parrainage n’a pas bénéficié aux deux parties contractantes.

53      À cet égard, au point 70 de ses observations sur la demande en référé, le Conseil fait valoir que la résiliation de la convention de parrainage entre Uralkali et l’écurie de Formule 1 Haas immédiatement après la résiliation du contrat du requérant avec cette écurie montre que ce parrainage n’avait aucun lien avec les prétendus avantages que cette société tirerait du parrainage d’une écurie de Formule 1. Or, cet argument apparaît, à première vue, en contradiction avec, en particulier, les pièces nos 6 et 9 du dossier WK 1127/2023 INIT (ordonnance du 19 juillet 2023, Mazepin/Conseil, T‑743/22 R II, non publiée, EU:T:2023:406, point 68), les pièces nos 12 à 15 du dossier WK 9510/2023, la pièce no 3 du dossier WK 9948/2023 INIT et la déclaration de l’écurie concernée du 5 mars 2022, mentionnée au point 167 de la demande en référé, dont il ressort que c’est l’écurie Haas qui a unilatéralement mis fin à l’accord de parrainage.

54      De plus, ainsi qu’il a été relevé au point 50 de l’ordonnance du 1er mars 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R, non publiée, EU:T:2023:102), et au point 69 de l’ordonnance du 19 juillet 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée, EU:T:2023:406), tant Uralchem qu’Uralkali parrainaient d’autres activités sportives. En particulier, Uralchem était un partenaire de longue date de la Fédération russe de natation et Uralkali avait été un sponsor de l’organisateur du Grand Prix de Formule 1 de Russie.

55      Dans ce cadre, le requérant ajoute, exemples à l’appui, que d’autres sociétés mondiales d’engrais parrainent régulièrement des évènements ou championnats sportifs.

56      Dans ces conditions, il convient de conclure que les éléments présentés par le requérant révèlent l’existence d’un différend factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et méritent un examen approfondi par le Tribunal dans le cadre de l’affaire au principal afin de déterminer si le maintien du nom du requérant sur les listes annexées aux actes de septembre 2023 repose sur une base factuelle suffisamment solide.

57      En deuxième lieu, il convient de rappeler qu’il est également indiqué dans les motifs figurant dans les actes de septembre 2023 que « [l]a fondation [du requérant] “We compete as one” (Nous concourrons en ne faisant qu’un) est destinée à être financée par des fonds provenant d’Uralkali ».

58      Cette partie des motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause a trait au fait que le père du requérant aurait, par le biais d’Uralkali, l’intention de financer la fondation de son fils.

59      Le requérant nie tirer un avantage de son père par le biais de la fondation « We compete as one » et fait valoir que cette fondation n’est destinée à être financée, ni directement par Uralkali, ni au moyen des fonds de cette dernière. En tout état de cause, le Conseil n’aurait pas démontré l’implication de son père dans ce supposé financement de ladite fondation.

60      Si le Conseil reconnaît, au point 95 de ses observations sur la demande en référé, que le parrainage direct d’Uralkali n’a pas été accordé jusqu’à présent, il relève qu’il ressort clairement de plusieurs éléments de preuve, et notamment de déclarations publiques tant du requérant que de représentants d’Uralkali, que la fondation « We compete as one » avait reçu l’assurance qu’elle serait financée par Uralkali.

61      Certes, comme il a également été relevé au point 74 de l’ordonnance du 19 juillet 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée, EU:T:2023:406), des articles de presse faisant partie des dossiers de preuves présentent la fondation en cause comme étant celle du requérant et font état d’informations ou de déclarations, y compris du requérant lui-même, selon lesquelles ladite fondation sera ou serait financée par des fonds provenant d’Uralkali. Or, le requérant souligne à juste titre que ces preuves sont antérieures à la création de ladite fondation. Tel est également le cas des nouvelles preuves invoquées par le Conseil, à savoir la pièce no 1 du dossier WK 8979/2023 INIT et les pièces nos 12 à 15 du dossier WK 9510/2023 INIT, qui ont été publiées peu après la résiliation du contrat de parrainage entre l’écurie de Formule 1 Haas et Uralkali.

62      De plus, à première vue, aucune pièce du dossier ne semble indiquer qu’Uralkali aurait obtenu le remboursement, par l’écurie Haas, des sommes exposées en vertu du contrat de parrainage qui devaient, le cas échéant, être mises à la disposition de la future fondation, ou que cette société aurait effectivement contribué au financement de la fondation « We compete as one » ou, depuis la création de ladite fondation, renouvelé des promesses de financement.

63      En outre, sans qu’il soit besoin à ce stade de se prononcer sur leur valeur probante, contestée par le Conseil, il y a lieu de relever que, au soutien de son argumentation, le requérant reproduit, dans la demande en référé, les déclarations de la directrice générale de la fondation « We compete as one », selon lesquelles la fondation n’a jamais tiré avantage d’Uralkali et elle n’a pas connaissance de tels plans pour l’avenir, ainsi que du directeur général d’Uralkali, selon lesquelles cette société n’a jamais apporté de soutien financier à la fondation depuis sa création.

64      Il y a encore lieu de constater que l’argument du Conseil, selon lequel les déclarations de financement de la fondation « We compete as one » par Uralkali, antérieures à la création de ladite fondation, constituent en elles-mêmes un avantage pour celle-ci, n’apparaît, à première vue, pas étayé.

65      S’agissant de l’affirmation du Conseil, au point 96 de ses observations sur la demande en référé, selon laquelle, en juin 2023, lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, la fondation « We compete as one » a organisé une table ronde qui a été animée par le requérant et à laquelle le nouveau directeur général d’Uralchem a participé, il convient de relever que cet événement ne démontre pas, à première vue, que le requérant tire un quelconque avantage de son père. En particulier, il ressort des pièces nos 1 à 3 du dossier WK 9510/2023 INIT et de la pièce no 19 du dossier WK 9948/2023 INIT, d’une part, que la table ronde en cause, qui portait sur les bénéfices et la place du sport dans la vie des entreprises, a été organisée par la fondation en cause, en partenariat avec l’organisme Managers Association, dans le cadre de la 26e édition d’un forum international d’entreprises. D’autre part, outre le directeur général d’Uralchem, sont intervenus comme orateurs des directeurs d’autres entreprises importantes ainsi que le président de la fédération russe de triathlon. De plus, selon la pièce no 2 du dossier WK 9510/2023 INIT, des membres d’Uralchem et d’Uralkali devaient également participer à plusieurs autres discussions au cours de ce forum d’une durée de quatre jours, lors duquel ces sociétés animaient, par ailleurs, des stands.

66      Au point 97 de ses observations sur la demande en référé, le Conseil fait valoir que, en décembre 2022, la fondation « We compete as one » a noué un partenariat avec l’université d’État de Moscou, que cette université a signé avec Uralchem, en juin 2023, un accord de parrainage portant sur de nouveaux projets éducatifs et que, le même mois, ladite fondation a indiqué que les athlètes soutenus par elle pourraient participer à une initiative éducative à l’université d’État de Moscou dans le cadre d’une nouvelle coopération.

67      Or, les preuves invoquées par le Conseil ne démontrent pas, à première vue, que l’accord de parrainage conclu entre Uralchem et l’université d’État de Moscou peut être considéré comme une initiative prise pour permettre à la fondation du requérant de participer à un projet de coopération avec cette université. En effet, il ressort des pièces nos 6 et 7 du dossier WK 9510/2023 INIT qu’Uralchem a signé des contrats de partenariat avec plusieurs universités russes, afin de développer des activités dans des domaines scientifiques et d’ingénierie. Or, selon lesdites pièces, les projets éducatifs dont peuvent bénéficier les membres de la fondation présidée par le requérant se rapportent à des disciplines différentes, telles que l’entrepreneuriat, à la gestion d’entreprises et au marketing. En outre, il convient de relever que, dans la pièce no 6 du dossier WK 9510/2023 INIT, il est indiqué que la société Uralchem a, depuis de nombreuses années, établi des projets de coopération avec l’université d’État de Moscou.

68      S’agissant de l’argument du Conseil selon lequel le président‑directeur général de la fondation « We compete as one », qui a exercé cette fonction jusqu’au 31 mai 2022, était à l’époque et serait encore à ce jour un conseiller du directeur général d’Uralchem, force est de constater que ce lien correspond à un fait passé et que rien ne démontre, à première vue, qu’il y a toujours des liens de cette nature entre la fondation en cause et Uralchem.

69      Il résulte de tout ce qui précède que les éléments présentés par le requérant révèlent l’existence d’un différend factuel important dont la solution nécessite un examen approfondi dans le cadre de l’affaire au principal afin de déterminer si le maintien du nom du requérant sur les listes en cause repose sur une base factuelle suffisamment solide. Il en va de même de l’argument du Conseil selon lequel un contexte plus large démontrerait que la fondation « We compete as one » tire avantage de différentes manières de sociétés détenues et effectivement contrôlées par M. Dmitry Arkadievich Mazepin et poursuit des intérêts communs avec celles‑ci.

70      En troisième lieu, il y a lieu de rappeler qu’il est encore indiqué dans les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause qu’« il est également associé à son père par des intérêts commerciaux communs dans la société Hitech GP, qui était détenue en partie par Dmitry Mazepin à travers Uralkali et dont l’objectif est de favoriser la carrière de Nikita Mazepin en tant que pilote de sport automobile, et qui est désormais détenue par un associé commun des deux hommes. »

71      Le requérant affirme que rien dans le dossier de preuves du Conseil ne démontre qu’il est associé à son père par des intérêts commerciaux communs dans la société Hitech GP ou qu’il tire avantage de son père par l’intermédiaire de cette société.

72      À cet égard, il convient de constater que, si certains éléments de preuve démontrent que le requérant a été employé par Hitech GP à l’époque où celle‑ci était détenue par son père ou Uralkali, force est de constater que rien n’indique, à première vue, que son père détient actuellement des participations dans Hitech GP. Ceci ressort également du libellé des motifs d’inscription rappelés au point 70 ci-dessus et des annexes 43 et 44 à la demande en référé. En outre, le Conseil indique, au point 106 de ses observations sur la demande en référé, que les participations détenues par le père du requérant et par Uralkali ont été transférées peu de temps avant l’imposition de mesures restrictives à l’encontre de M. Dmitry Arkadievich Mazepin.

73      Le Conseil allègue encore que le père du requérant continuerait à contrôler la société Hitech GP en dépit de la cession de ses participations, que la carrière du requérant reste liée à Hitech GP et que cette société a confirmé publiquement qu’elle prévoyait de se lancer en Formule 1 avec sa propre écurie.

74      Or, le requérant fait valoir que les pièces nos 5 et 6 du dossier WK 9948/2023 INIT ne font état que de rumeurs non étayées selon lesquelles son père continuerait à contrôler Hitech GP en dépit du changement de propriétaire de cette dernière. Force est de constater que cet argument n’apparaît, à première vue, pas dénué de tout fondement.

75      En outre, comme le requérant le fait valoir, il ressort de sources publiques que, hormis lui-même, au moins 90 pilotes de course automobile ont, à ce jour, couru pour Hitech GP. Dans le contexte rappelé aux points 72 et 74 ci-dessus, le fait que la carrière du requérant puisse rester liée à Hitech GP et que ce dernier puisse envisager de courir pour cette écurie ne démontre pas, à première vue, qu’il est associé à son père ou tire avantage de ce dernier par l’intermédiaire de Hitech GP.

76      Dans ces conditions, il convient de conclure que les éléments présentés par le requérant révèlent l’existence d’un différend factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et méritent un examen approfondi par le Tribunal dans le cadre de l’affaire principale afin de déterminer si le maintien du nom du requérant sur les listes en cause repose sur une base factuelle solide.

77      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, sans préjuger de la décision du Tribunal sur l’affaire au principal, le présent moyen apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux au sens de la jurisprudence rappelée au point 28 ci-dessus.

78      Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris.

 Sur la condition relative à l’urgence

79      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir, en ce sens, ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

80      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si le requérant parvient à établir l’urgence.

81      En premier lieu, pour démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice invoqué, le requérant soutient qu’il existe un risque considérable, sauf à ce que les mesures provisoires demandées soient accordées, qu’il se trouve empêché de demander un visa pour l’espace Schengen, ce qui, combiné à la durée que prendrait probablement la délivrance d’un tel visa, entraînerait une interruption inacceptable des efforts déployés pour reprendre sa carrière professionnelle, de sorte que toute tentative visant à prévenir la survenance d’un préjudice irréparable serait ainsi rendue pratiquement vaine.

82      En deuxième lieu, le requérant allègue que les écuries automobiles ne sont manifestement pas disposées à engager des négociations sérieuses ni, a fortiori, à conclure des contrats avec un pilote pleinement inscrit sur les listes en cause et qui ne bénéficie pas à tout le moins d’une dérogation pour ses activités professionnelles.

83      En troisième lieu, le requérant fait valoir qu’il subira un préjudice grave et irréparable dans sa carrière professionnelle de pilote de Formule 1 si les mesures provisoires ne sont pas accordées. Le requérant ajoute qu’il ne peut attendre l’issue de la procédure au fond sans subir un préjudice grave et irréparable dans sa carrière professionnelle comme pilote dans d’autres compétitions de sport automobile, comme la Formule 2 ou le Deutsche Tourenwagen Masters.

84      Le Conseil soutient que le requérant n’a pas démontré l’existence d’une urgence. Premièrement, selon le Conseil, il n’existe aucun lien de causalité entre le préjudice allégué et les mesures restrictives litigieuses, ce qui signifie que la suspension de ces dernières ne pourrait pas offrir au requérant de protection contre le type de préjudice qu’il cherche à éviter. Deuxièmement, le préjudice allégué ne serait ni quantifié ni étayé par des éléments de preuve, de sorte qu’il serait purement hypothétique et fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains. Troisièmement, en tout état de cause, le préjudice allégué par le requérant serait purement pécuniaire et serait, de ce fait, réparable dans le cadre d’un recours en indemnité. Enfin, le requérant solliciterait la protection d’un droit dont, en tant que ressortissant d’un État tiers, il ne disposerait pas dans l’ordre juridique de l’Union, à savoir le droit d’entrer et de séjourner dans l’Union.

85      À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que, au point 75 de l’ordonnance du 1er mars 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R, non publiée, EU:T:2023:102), et au point 93 de l’ordonnance du 19 juillet 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée, EU:T:2023:406), le président du Tribunal a déjà constaté que le préjudice invoqué par le requérant, à savoir la privation de la possibilité de négocier son recrutement comme pilote de Formule 1 ou comme pilote professionnel dans d’autres championnats de sport automobile, était d’ordre non pécuniaire.

86      En deuxième lieu, s’agissant de l’argument du Conseil tiré de l’absence de lien de causalité entre les effets produits par les actes de septembre 2023 et le dommage invoqué par le requérant, il est vrai que la résiliation du contrat de ce dernier par l’écurie de Formule 1 Haas, en mars 2022, n’apparaît pas être une conséquence de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, mais de l’intervention militaire russe en Ukraine. Toutefois, force est de constater que le requérant produit, en annexe à sa demande en référé, une lettre, datée du 22 septembre 2022, d’une écurie participant, en particulier, au championnat Deutsche Tourenwagen Masters. Il ressort de cette lettre que, malgré l’intérêt porté à la candidature du requérant, ce dernier ne serait pas recruté aussi longtemps que des mesures restrictives seront prises à son encontre. L’auteur de cette lettre ajoute que la candidature du requérant pourrait cependant être considérée si lesdites mesures restrictives étaient levées.

87      En outre, le requérant a produit, en annexe à sa demande en référé, une lettre, datée du 24 juin 2023, d’une autre écurie automobile en vue d’un éventuel recrutement pour la saison 2024 du World Endurance Championship de la Fédération internationale de l’automobile (FIA). L’auteur de cette lettre précise être disposé à fournir au requérant les documents nécessaires en vue de sa demande de visa pour pouvoir se rendre en Italie. À cet égard, il y a lieu de relever que, à cette date, le président du Tribunal avait, par l’ordonnance du 5 avril 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée), provisoirement accordé le sursis à l’exécution des mesures prises à l’encontre du requérant alors en vigueur.

88      Par ailleurs, lors de l’audition de référé du 5 décembre 2023 et à la suite de celle-ci, le requérant a produit deux lettres de la part d’autres écuries automobiles, datées respectivement du 29 novembre 2023 et du 6 décembre 2023, qui l’invitaient à se rendre en Italie en vue de négocier son éventuel recrutement pour deux autres championnats. Or, aux dates desdites lettres, le sursis à l’exécution des actes de septembre 2023 à l’encontre du requérant avait déjà été provisoirement accordé par le président du Tribunal dans l’ordonnance du 3 octobre 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R III et T‑743/22 R IV, non publiée).

89      Le Conseil excipe de l’irrecevabilité de la lettre du 29 novembre 2023 visée au point 88 ci-dessus, motif pris de sa tardiveté. Certes, conformément à l’article 156, paragraphe 4, du règlement de procédure, les demandes de sursis ou d’autres mesures provisoires doivent contenir toutes les preuves et offres de preuve disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires. Toutefois, il y a lieu de constater que la lettre en cause est postérieure à l’introduction de la demande en référé. En outre, elle ne vient pas remédier à des défaillances de la demande en référé, mais doit être assimilée à un complément d’information au même titre qu’une réponse apportée par une des parties à une question du juge des référés. Il y a donc lieu de considérer que ces circonstances justifient, en l’espèce, la tardiveté du dépôt de cette pièce et, partant, que celle-ci est recevable.

90      Par ailleurs, le sursis à l’exécution des actes de septembre 2023 à l’encontre du requérant, provisoirement accordé par l’ordonnance du 3 octobre 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R III et T‑743/22 R IV, non publiée), a permis au requérant de se soumettre à une première série de contrôles médicaux et d’entraînements, d’une durée d’une semaine, au sein d’une institution de médecine sportive spécialisée en Italie.

91      Il ressort de ce qui précède que le sursis à l’exécution des actes de septembre 2023 s’avère nécessaire pour permettre au requérant de poursuivre une carrière comme pilote professionnel de sport automobile dans le cadre de championnats se déroulant uniquement ou en partie sur le territoire de l’Union. Il y a donc lieu de conclure que le requérant a démontré à suffisance l’existence d’un lien de causalité entre les effets produits par les actes de septembre 2023 et le préjudice invoqué.

92      En troisième lieu, s’agissant du caractère grave du préjudice invoqué, il convient de relever que, en l’absence du sursis sollicité, le requérant serait privé de la possibilité de négocier son recrutement comme pilote de Formule 1 ou comme pilote professionnel dans d’autres championnats de sport automobile qui se déroulent uniquement ou en partie sur le territoire de l’Union jusqu’au 15 mars 2024, conformément à l’article 6, deuxième alinéa, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2023/1767.

93      Le préjudice qui en résulterait pour le requérant, en l’absence du sursis sollicité, peut être qualifié de particulièrement grave du fait que, compte tenu de son âge, de l’impossibilité d’avoir entre‑temps un entraînement régulier sur des voitures de Formule 1 ou des voitures similaires et du risque de ne pas pouvoir renouveler sa Super Licence après plus de trois ans d’interruption, dans l’hypothèse où les actes de septembre 2023 seraient annulés par le Tribunal à l’issue de la procédure au fond, il lui serait extrêmement difficile, voire impossible, de reprendre sa carrière de pilote de Formule 1.

94      Certes, comme le relève le Conseil, depuis l’adoption des ordonnances du 1er mars 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R, non publiée, EU:T:2023:102), et du 19 juillet 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée, EU:T:2023:406), la saison 2023 de la Formule 1 a pris fin, les écuries de Formule 1 ont recruté leurs principaux pilotes pour la saison 2024 et le requérant participe actuellement à l’Asian Le Mans Series qui se déroule en dehors du territoire de l’Union. Toutefois, ainsi que le fait valoir le requérant, des négociations en vue du recrutement d’autres pilotes, en particulier pour des tests de Formule 1 et pour d’autres championnats se déroulant uniquement ou en partie sur le territoire de l’Union sont toujours en cours. Il y a également lieu de constater que la dernière course de l’Asian Le Mans Series est programmée le 11 février 2024, de sorte que ce championnat prendra fin avant la date jusqu’à laquelle la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2023/1767, est applicable, à savoir le 15 mars 2024. À cet égard, il y a encore lieu de relever que, eu égard à la proximité temporelle entre la date de l’audience de plaidoiries dans l’affaire principale, à savoir le 5 décembre 2023, et la date de la fin de l’Asian Le Mans Series, il est plausible que l’arrêt statuant sur le principal ne sera pas prononcé avant la fin dudit championnat.

95      Il y a lieu d’ajouter qu’il est constant entre les parties qu’un certain nombre de championnats, autres que la Formule 1, peuvent s’avérer pertinents pour le renouvellement de la Super Licence du requérant. Par exemple, tel apparaît être le cas du FIA World Endurance Championship pour lequel le requérant avait été considéré comme pilote potentiel par une écurie automobile, ainsi qu’il ressort de la lettre du 24 juin 2023 qu’il produit en annexe à sa demande en référé mentionnée au point 87 ci-dessus. Le Conseil semble aussi admettre, dans ses observations sur la lettre du 6 décembre 2023, que la participation du requérant à l’Asian Le Mans Series ou au Fanatec GT World Challenge pourrait permettre à ce dernier, en fonction de son classement, d’obtenir des points en vue du renouvellement de sa Super Licence.

96      Par ailleurs, même dans l’hypothèse où la participation du requérant à des championnats tels que l’Asian Le Mans Series, l’Italian Gran Turismo ou le Fanatec GT World Challenge Europe ne lui permettrait pas d’obtenir des points en vue du renouvellement de sa Super Licence, elle lui permet de poursuivre sa carrière en tant que pilote automobile professionnel dans d’autres championnats. L’importance d’une telle participation pour la poursuite de sa carrière est démontrée par le fait que, dans la lettre du 6 décembre 2023 mentionnée au point 88 ci-dessus, l’écurie automobile en cause se réfère explicitement à l’« impressionnante performance » du requérant lors des courses de l’Asian Le Mans Series quelques jours auparavant.

97      Ainsi, en l’absence du sursis sollicité et eu égard à la durée potentielle de la procédure dans l’affaire principale, la possibilité pour le requérant de reprendre, à l’issue de la procédure au fond, sa carrière de pilote de Formule 1, qui exige très régulièrement sa présence sur le territoire de l’Union, notamment pour participer aux Grands Prix, semble hypothétique ou, à tout le moins, fortement limitée.

98      En quatrième lieu, il convient de constater que le préjudice consistant en la privation de la possibilité de négocier son recrutement comme pilote de Formule 1 ou comme pilote professionnel dans d’autres championnats de sport automobile serait irréparable.

99      En effet, la période d’activité potentielle du requérant jusqu’à la date de la décision du Tribunal au fond se sera irrémédiablement écoulée. Ainsi, le préjudice en résultant pour le requérant deviendra définitif et une éventuelle compensation pécuniaire ne sera pas à même de le rétablir dans la situation antérieure à la survenance de ce préjudice. Par conséquent, comme l’avance le requérant, une indemnisation ne saura, en l’espèce, réparer ce préjudice moral.

100    En cinquième lieu, il y a lieu de rappeler que, dans l’hypothèse où le sursis à exécution des actes de septembre 2023 sollicité serait accordé par la présente ordonnance, le requérant, en sa qualité de ressortissant russe, pourra entrer et séjourner dans le territoire de l’Union uniquement dans les conditions prévues par un visa éventuellement accordé par les autorités compétentes d’un État membre. L’argument du Conseil selon lequel le requérant chercherait à obtenir, par sa demande en référé, la protection d’un droit dont il ne dispose pas dans l’ordre juridique de l’Union doit donc être écarté.

101    Eu égard à tout ce qui précède, il convient de constater que la condition relative à l’urgence est remplie en l’espèce, le risque de la survenance d’un préjudice grave et irréparable étant établi à suffisance de droit.

 Sur la mise en balance des intérêts

102    Il est de jurisprudence bien établie que, dans le cadre de la mise en balance des différents intérêts en présence, le juge des référés doit déterminer, notamment, si l’intérêt de la partie qui sollicite le sursis à exécution à en obtenir l’octroi prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte attaqué, en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir ordonnance du 11 mars 2013, Iranian Offshore Engineering & Construction/Conseil, T‑110/12 R, EU:T:2013:118, point 33 et jurisprudence citée).

103    S’agissant plus particulièrement de la condition selon laquelle la situation juridique créée par une ordonnance de référé doit être réversible, il y a lieu de relever que la finalité de la procédure de référé se limite à garantir la pleine efficacité de la future décision au fond. Par conséquent, cette procédure a un caractère purement accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe, de sorte que la décision prise par le juge des référés doit présenter un caractère provisoire, en ce sens qu’elle ne saurait ni préjuger du sens de la future décision au fond ni la rendre illusoire en la privant d’effet utile (voir ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 65 et jurisprudence citée).

104    Il convient donc d’examiner si les intérêts du requérant à obtenir la suspension immédiate des actes de septembre 2023 prévalent sur ceux poursuivis par le Conseil par l’adoption de ces actes.

105    S’agissant des intérêts poursuivis par le requérant, celui‑ci allègue que l’éventuelle annulation des actes de septembre 2023 par le Tribunal à l’issue de la procédure au fond ne permettrait pas de renverser la situation résultant de leur mise en œuvre immédiate. En effet, le préjudice moral causé à sa carrière professionnelle se réaliserait définitivement en ce qui concerne la période écoulée entre la date d’entrée en vigueur des mesures restrictives et la date de la décision dans l’affaire au principal. En outre, pour ce qui concerne la période d’activité qui pourra subsister après la décision dans l’affaire principale, il ne serait guère réaliste de considérer qu’il puisse revenir en Formule 1, et même en Formule 2 ou en Deutsche Tourenwagen Masters, s’il devait attendre le prononcé de l’arrêt au fond. Par conséquent, il se verrait dans l’impossibilité de courir ou de suivre des programmes d’entraînement aussi lors des saisons 2023 et 2024.

106    Par ailleurs, le requérant soutient que, du point de vue de l’intérêt du Conseil, d’une part, la suspension de l’application des actes de septembre 2023 ne ferait pas obstacle aux objectifs qu’il poursuit en cas de rejet du recours dans l’affaire principale dès lors qu’il ne demande pas, en particulier, le dégel provisoire de tous ses fonds ou ressources économiques, mais uniquement la suspension des actes de septembre 2023 dans la mesure où cela s’avère nécessaire pour lui permettre de négocier son recrutement, de participer aux prochains championnats de sport automobile et de poursuivre sa carrière professionnelle. D’autre part, le requérant allègue que les mesures provisoires demandées ne mettraient pas en danger les objectifs poursuivis par l’Union par la décision 2023/1767 et le règlement d’exécution 2023/1765 dès lors qu’il est un pilote professionnel qui n’est impliqué dans aucune société russe, qui a toujours maintenu une position neutre sur la guerre en tant qu’athlète professionnel, qui a couru sous un drapeau neutre lors de la saison 2021 de Formule 1 et qui confirme être prêt à signer l’engagement des pilotes requis par la FIA pour que les pilotes russes et biélorusses puissent continuer à concourir.

107    Le Conseil répond que la mise en balance des intérêts plaide contre l’octroi du sursis à exécution des actes de septembre 2023. En premier lieu, l’octroi des mesures provisoires demandées entraînerait un préjudice grave et irréparable pour les objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) poursuivis par les mesures restrictives énoncées dans la décision 2014/145 et le règlement no 269/2014. En deuxième lieu, un tel octroi porterait atteinte à la crédibilité des mesures prises dans le cadre de la PESC afin de maintenir et d’accroître la pression collective sur la Russie, qui mène une guerre d’agression contre l’Ukraine, en violation manifeste de la charte des Nations unies. En troisième lieu, dans la mesure où les mesures restrictives constituent l’un des outils les plus puissants dont dispose le Conseil pour mettre en œuvre la PESC, priver cet instrument de son effet affecte directement l’efficacité de la PESC.

108    S’agissant de la mise en balance des intérêts, il convient de relever que, pour ce qui concerne l’intérêt du requérant, il résulte des points 97 et 99 ci‑dessus que l’annulation des actes de septembre 2023 ne permettra pas le renversement de la situation résultant de leur exécution immédiate, dès lors que le préjudice moral se sera réalisé de manière définitive pour ce qui concerne la période d’activité potentielle du requérant jusqu’à la date de la décision au fond et que, à cette date, la reprise de sa carrière de pilote de Formule 1 lui sera extrêmement difficile, voire impossible.

109    Par conséquent, dans l’hypothèse où le requérant obtiendrait gain de cause par l’annulation des actes de septembre 2023 dans le cadre de la procédure au fond, le préjudice qu’il aura éventuellement subi du fait de l’atteinte portée à ses intérêts ne pourra pas faire l’objet d’une évaluation et d’une réparation ou compensation ultérieure.

110    Pour ce qui concerne le Conseil, les intérêts invoqués sont des intérêts publics qui visent à protéger la sécurité et la stabilité européennes et s’insèrent dans une stratégie globale, laquelle vise à mettre un terme, aussi rapide que possible, à l’agression subie par l’Ukraine.

111    Eu égard à l’importance primordiale des objectifs poursuivis par les actes de septembre 2023, à savoir la protection de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine, qui s’inscrivent dans l’objectif plus large du maintien de la paix et de la sécurité internationales, il convient d’examiner si la suspension immédiate des actes de septembre 2023, pour autant que ces actes concernent le requérant, risquerait de compromettre la poursuite par l’Union des objectifs, notamment pacifiques, qu’elle s’est assignés conformément à l’article 3, paragraphes 1 et 5, TUE, au prix, chaque jour, de dommages matériels et immatériels irréparables.

112    Ainsi qu’il résulte des points 41 à 77 ci‑dessus, il existe, à ce stade, des raisons de douter que les actes par lesquels les mesures restrictives ont été maintenues à l’égard du requérant reposent sur une base factuelle suffisamment solide et, en particulier, que les différents éléments de preuve fournis par le Conseil permettent d’étayer le fait que le requérant est associé à son père, qu’il aurait tiré avantage de ce dernier ou qu’il continuerait d’en tirer avantage.

113    En outre, le requérant a soutenu, sans être contredit par le Conseil sur ce point, qu’il n’est impliqué dans aucune société russe, qu’il a toujours maintenu une position neutre sur la guerre en tant que sportif professionnel, qu’il a couru sous un drapeau neutre lors de la saison 2021 de Formule 1 et qu’il est prêt à signer l’engagement des pilotes requis par la FIA pour que les pilotes russes et biélorusses puissent continuer à concourir.

114    Il convient ainsi de constater que le requérant n’est aucunement impliqué dans l’agression subie par l’Ukraine et qu’il n’exerce aucune activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie. Il demande uniquement que lui soit donnée l’opportunité de poursuivre sa carrière de pilote automobile, en particulier en Formule 1, sans le soutien financier de son père.

115    Enfin, dès lors que le requérant demande la suspension de l’application des actes de septembre 2023, pour autant qu’ils le concernent, uniquement dans la mesure où cela s’avère nécessaire pour lui permettre de négocier son recrutement, de participer aux prochains championnats de sport automobile et de poursuivre sa carrière professionnelle, il y a lieu de reconnaître que, dans ces conditions, le sursis à l’exécution de ces actes ne préjugera pas la future décision sur l’affaire principale ni ne compromettra la finalité même de la procédure de référé, qui est de garantir la pleine efficacité de la future décision statuant sur le principal.

116    Eu égard à tout ce qui précède, il convient de conclure que la balance des intérêts penche en faveur du requérant.

117    À cet égard, la suspension de l’application des actes de septembre 2023, en ce qu’ils concernent le requérant, devra être limitée au strict nécessaire pour lui permettre de négocier son recrutement en tant que pilote professionnel de Formule 1 ou en tant que pilote d’autres championnats de sport automobile se déroulant uniquement ou en partie sur le territoire de l’Union, ainsi que de participer aux Grands Prix, essais, entraînements et séances libres de Formule 1 et aux autres championnats, courses, essais, entraînements et séances libres de sport automobile se déroulant sur le territoire de l’Union. À cet effet, le requérant est uniquement autorisé à, premièrement, entrer sur le territoire de l’Union afin de négocier et de conclure des accords avec une équipe de course ou avec des sponsors qui ne sont pas liés aux activités de son père ni à des personnes physiques ou morales dont le nom est inscrit sur les listes figurant aux annexes de la décision 2014/145 et du règlement no 269/2014 ; deuxièmement, entrer sur le territoire de l’Union afin de participer en tant que pilote titulaire, de réserve ou d’essai à des championnats de Formule 1 de la FIA ou à d’autres championnats, à des entraînements, à des essais ou à des séances libres de sport automobile, également en vue d’obtenir le renouvellement de sa Super Licence ; troisièmement, entrer sur le territoire de l’Union pour se soumettre aux examens médicaux imposés par la FIA ou par son équipe de course ; quatrièmement, entrer sur le territoire de l’Union pour suivre les programmes de contrôles médicaux et d’entraînements, y compris sur simulateur ; cinquièmement, entrer sur le territoire de l’Union pour participer à des activités de course, de parrainage et de promotion à la demande de son équipe de course ou de ses sponsors ; sixièmement, ouvrir un compte bancaire sur lequel un salaire, des primes et des avantages provenant de son équipe de course pourront lui être versés et, septièmement, utiliser ledit compte bancaire et une carte de crédit uniquement pour couvrir les frais qui permettent à un pilote professionnel de voyager sur le territoire de l’Union, de négocier et de conclure des accords avec une équipe de course ou avec des sponsors, de participer à des championnats, des Grands prix, des courses, des entraînements, des essais ou des séances libres dans les États membres de l’Union et de suivre un programme de contrôles médicaux et d’entraînements.

118    En cas de recrutement en tant que pilote de Formule 1 ou en tant que pilote d’autres championnats de sport automobile se déroulant uniquement ou en partie sur le territoire de l’Union, le requérant doit courir sous un drapeau neutre et signer l’engagement des pilotes requis par la FIA à cet effet.

119    Il résulte de tout ce qui précède que la demande de sursis des actes de septembre 2023 doit être accueillie dans cette mesure. Par ailleurs, il n’y a pas lieu d’accorder les mesures provisoires sollicitées dans les troisième et quatrième chefs de conclusions du requérant, dès lors qu’elles n’apparaissent pas nécessaires pour attribuer au sursis à l’exécution des actes de septembre 2023 l’effet utile recherché. La demande en référé est donc rejetée pour le surplus, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la recevabilité du troisième chef de conclusions du requérant.

120    La présente ordonnance clôturant la procédure de référé, il y a lieu de rapporter l’ordonnance du 3 octobre 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R III et T‑743/22 R IV, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure, par laquelle le président du Tribunal a ordonné, sous certaines conditions, le sursis à l’exécution des actes de septembre 2023 et de la lettre du 15 septembre 2023, en ce qu’ils concernent le requérant, jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé.

121    En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE VICE-PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il est sursis à l’exécution de la décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et du règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, en ce que le nom de M. Nikita Dmitrievich Mazepin a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives et uniquement dans la mesure où cela s’avère nécessaire pour lui permettre de négocier son recrutement en tant que pilote professionnel de Formule 1 ou en tant que pilote d’autres championnats de sport automobile se déroulant uniquement ou en partie sur le territoire de l’Union européenne, ainsi que de participer aux Grands Prix, essais, entraînements et séances libres de Formule 1 et aux autres championnats, courses, essais, entraînements et séances libres de sport automobile se déroulant sur le territoire de l’Union. À cet effet, M. Mazepin est uniquement autorisé à, premièrement, entrer sur le territoire de l’Union afin de négocier et de conclure des accords avec une équipe de course ou avec des sponsors qui ne sont pas liés aux activités de M. Dmitry Arkadievich Mazepin ni à des personnes physiques ou morales dont le nom est inscrit sur les listes figurant aux annexes de la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ; deuxièmement, entrer sur le territoire de l’Union afin de participer en tant que pilote titulaire, de réserve ou d’essai à des championnats de Formule 1 de la Fédération internationale de l’automobile (FIA) ou à d’autres championnats, à des entraînements, à des essais ou à des séances libres de sport automobile, également en vue d’obtenir le renouvellement de sa Super Licence ; troisièmement, entrer sur le territoire de l’Union pour se soumettre aux examens médicaux imposés par la FIA ou par son équipe de course ; quatrièmement, entrer sur le territoire de l’Union pour suivre les programmes de contrôles médicaux et d’entraînements, y compris sur simulateur ; cinquièmement, entrer sur le territoire de l’Union pour participer à des activités de course, de parrainage et de promotion à la demande de son équipe de course ou de ses sponsors ; sixièmement, ouvrir un compte bancaire sur lequel un salaire, des primes et des avantages provenant de son équipe de course pourront lui être versés et, septièmement, utiliser ledit compte bancaire et une carte de crédit uniquement pour couvrir les frais qui permettent à un pilote professionnel de voyager sur le territoire de l’Union, de négocier et de conclure des accords avec une équipe de course ou avec des sponsors, de participer à des championnats, des Grands Prix, des courses, des entraînements, des essais ou des séances libres dans les États membres de l’Union et de suivre un programme de contrôles médicaux et d’entraînements.

En cas de recrutement en tant que pilote de Formule 1 ou en tant que pilote d’autres championnats de sport automobile se déroulant uniquement ou en partie sur le territoire de l’Union, M. Mazepin doit courir sous un drapeau neutre et signer l’engagement des pilotes requis par la FIA à cet effet.

2)      La demande en référé est rejetée pour le surplus.

3)      L’ordonnance du 3 octobre 2023, Mazepin/Conseil (T743/22 R III et T743/22 R IV), est rapportée.

4)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 22 décembre 2023.

Le greffier

 

Le vice-président

V. Di Bucci

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : l’anglais.