Language of document : ECLI:EU:T:2023:280

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

24 mai 2023 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne tridimensionnelle – Forme d’un inhalateur – Cause de nullité absolue – Caractère distinctif acquis par l’usage – Article 51, paragraphe 2, du règlement (CE) no 40/94 [devenu article 59, paragraphe 2, du règlement (UE) 2017/1001] – Obligation de motivation – Article 94 du règlement 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑477/21,

Glaxo Group Ltd, établie à Brentford (Royaume-Uni), représentée par Mes T. de Haan et F. Verhoestraete, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. D. Gája et V. Ruzek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Cipla Europe NV, établie à Anvers (Belgique),

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. J. Schwarcz et R. Norkus (rapporteur), juges,

greffier : Mme A. Juhász-Tóth, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 2 décembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Glaxo Group Ltd, demande l’annulation de la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 19 mai 2021 (affaire R 1835/2016‑1) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 16 décembre 2014, l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, Cipla Europe NV (ci-après la « demanderesse en nullité »), a présenté à l’EUIPO une demande de nullité de la marque de l’Union européenne tridimensionnelle ayant été enregistrée à la suite d’une demande déposée par la requérante le 12 avril 2001 pour le signe suivant :

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3        La requérante revendiquait les couleurs « lilas (Pantone 2645C) » et « pourpre foncé (Pantone 2617C) » avec la précision suivante :

« Lilas (Pantone 2645C) et pourpre foncé (Pantone 2617C) incorporés ou appliqués à la forme tridimensionnelle dans les proportions décrites dans l’illustration ».

4        Les produits couverts par la marque contestée pour lesquels la nullité était demandée relevaient des classes 5 et 10 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondaient, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 5 : « Produits et substances pharmaceutiques destinés à prévenir, traiter et/ou soulager les affections respiratoires » ;

–        classe 10 : « Inhalateurs, pièces et parties constitutives de tous les produits précités ».

5        Les causes invoquées à l’appui de la demande en nullité étaient celles visées à l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO 2009, L 78, p. 1), lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous a) à e), ii), du même règlement [devenus respectivement article 59, paragraphe 1, sous a), et article 7, paragraphe 1, sous a) à e), ii), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

6        Le 16 septembre 2016, la division d’annulation a fait droit à la demande en nullité sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, sous a), lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

7        Le 3 octobre 2016, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

8        Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours. Tout d’abord, elle a considéré que la demanderesse en nullité n’avait pas démontré que la marque contestée était dépourvue de caractère distinctif à la date pertinente, à savoir à la date de la demande d’enregistrement de celle-ci. Toutefois, la chambre de recours a estimé qu’il ressortait des éléments de preuve produits et des discussions portées devant la division d’annulation que le choix des couleurs pour les médicaments contre l’asthme renvoyait aux principes actifs ainsi qu’à la finalité et aux caractéristiques du médicament. Elle a conclu que les couleurs avaient, à la date pertinente, une signification spécifique en ce qui concernait les inhalateurs en cause et qu’un tel usage était descriptif.

9        En outre, la chambre de recours a estimé que les principes relatifs à la couleur pourpre dégagés par l’arrêt du 9 septembre 2020, Glaxo Group/EUIPO (Nuance de couleur pourpre) (T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405), pour le même marché, s’appliquaient mutatis mutandis à la date pertinente dans la présente affaire, lesdits principes étant inhérents au marché des produits pharmaceutiques au cours des dernières décennies.

10      Enfin, la chambre de recours a considéré que les éléments de preuve produits n’avaient pas démontré que la marque contestée avait acquis un caractère distinctif par l’usage avant la date de la demande d’enregistrement ou après cette date, mais avant la date de la demande en nullité.

 Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens, y compris ceux exposés devant la chambre de recours.

12      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

13      À titre liminaire, il convient de constater que, compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 12 avril 2001, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis  par les dispositions matérielles du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1) (voir, en ce sens, ordonnance du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, EU:C:2004:587, points 39 et 40, et arrêt du 23 avril 2020, Gugler France/Gugler et EUIPO, C‑736/18 P, non publié, EU:C:2020:308, point 3 et jurisprudence citée). Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001.

14      En l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la chambre de recours dans la décision attaquée et par l’EUIPO dans ses écritures aux dispositions du règlement 2017/1001 ainsi que les références faites par la requérante aux dispositions du règlement no 207/2009 comme visant les dispositions, d’une teneur identique, du règlement no 40/94.

15      Au soutien de son recours, la requérante présente trois moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 et de l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le deuxième moyen est tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94 [devenu article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, lui-même devenu article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001]. Le troisième moyen est tiré de la violation de l’article 51, paragraphe 2, du règlement no 40/94 (devenu article 52, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, lui-même devenu article 59, paragraphe 2, du règlement 2017/1001).

16      Il convient d’examiner d’abord le troisième moyen et, ensuite, les premier et deuxième moyens.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 51, paragraphe 2, du règlement no 40/94

17      La requérante fait valoir que la chambre de recours a omis d’examiner l’argument subsidiaire selon lequel la marque contestée avait acquis un caractère distinctif par l’usage, tout comme elle n’a pas examiné les nombreux éléments de preuve produits devant les instances de l’EUIPO.

18      En outre, la chambre de recours aurait commis une erreur en considérant, au point 65 de la décision attaquée, que le caractère distinctif acquis par l’usage devait être apprécié à la date de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

19      Quant au point 66 de la décision attaquée, d’une part, la phrase « [l]a demande aurait également pu acquérir un caractère distinctif après l’enregistrement, avant la demande d’enregistrement » serait incompréhensible et, d’autre part, le refus de la chambre de recours d’examiner les éléments de preuve produits par la requérante pour démontrer que la marque contestée avait acquis un caractère distinctif par l’usage n’aurait pas été suffisamment motivé et ne lui aurait pas permis de comprendre la décision attaquée.

20      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

21      Selon l’article 51, paragraphe 2, du règlement no 40/94, lorsqu’une marque de l’Union européenne a été enregistrée contrairement, notamment, à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, lequel prévoit que sont refusées à l’enregistrement les marques dépourvues de caractère distinctif, elle ne peut toutefois être déclarée nulle si, par l’usage qui en a été fait, elle a acquis après son enregistrement un caractère distinctif pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée. Selon l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 40/94 (devenu article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, devenu lui-même article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001), le paragraphe 1, sous b), de ce même article n’est pas applicable si la marque a acquis, pour les produits ou services pour lesquels est demandé l’enregistrement, un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait.

22      En outre, un signe ne peut être enregistré en tant que marque de l’Union européenne que si la preuve est rapportée qu’il a acquis, par l’usage qui en a été fait, un caractère distinctif dans la partie de l’Union européenne dans laquelle il n’avait pas ab initio un tel caractère, au sens du paragraphe 1, sous b), du même article. La Cour a également précisé que la partie de l’Union visée au paragraphe 2 dudit article pouvait être constituée, le cas échéant, d’un seul État membre (voir arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, point 75 et jurisprudence citée).

23      Il s’ensuit que, s’agissant d’une marque dépourvue de caractère distinctif ab initio dans l’ensemble des États membres, une telle marque ne peut être enregistrée en vertu de cette disposition que s’il est démontré qu’elle a acquis un caractère distinctif par l’usage dans l’ensemble du territoire de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, point 76 et jurisprudence citée).

24      En l’espèce, la requérante fait valoir, en substance, que la chambre de recours n’a pas examiné l’argument tiré de l’existence d’un caractère distinctif acquis par l’usage ni les éléments de preuve produits à cet égard.

25      Ces allégations doivent être rejetées. En effet, d’une part, il ressort du point 65 de la décision attaquée que la chambre de recours a considéré que la marque contestée aurait été enregistrable à la date de la demande d’enregistrement si elle avait déjà acquis un caractère distinctif en raison de l’usage qui en avait été fait. Or, selon la chambre de recours, ladite marque ne pouvait pas avoir acquis un tel caractère avant la date de la demande d’enregistrement faute d’avoir été utilisée sur le territoire de tous les États membres. D’autre part, la chambre de recours a estimé que les preuves produites ne démontraient pas que la marque contestée avait acquis un caractère distinctif en raison de l’usage qui en avait été fait entre la date de son enregistrement et celle de la demande en nullité.

26      Certes, la motivation de la décision attaquée est particulièrement brève en ce qui concerne le caractère distinctif acquis par l’usage de la marque contestée durant la période comprise entre son enregistrement et la date de la demande en nullité. Toutefois, la chambre de recours a pris le soin de renvoyer à cet égard à la motivation de la décision de la division d’annulation. En effet, selon une jurisprudence constante, lorsque la chambre de recours entérine la décision de la division d’annulation dans son intégralité, et compte tenu de la continuité fonctionnelle entre divisions d’annulation et chambres de recours, dont atteste l’article 71, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, cette décision ainsi que sa motivation font partie du contexte dans lequel la décision de la chambre de recours a été adoptée, contexte qui est connu de la requérante et qui permet au juge d’exercer pleinement son contrôle de légalité [voir arrêt du 8 juillet 2020, Euroapotheca/EUIPO – General Nutrition Investment (GNC LIVE WELL), T‑686/19, non publié, EU:T:2020:320, point 20 et jurisprudence citée].

27      Concernant la prétendue incohérence de la première phrase du point 66 de la décision attaquée, il convient de constater, comme l’EUIPO le fait valoir à juste titre, qu’il s’agit d’une erreur matérielle sans incidence sur le raisonnement de la chambre de recours.

28      Partant, il y a lieu de rejeter le troisième moyen comme étant non fondé.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 et de l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux

29      La requérante fait valoir, en substance, que la chambre de recours n’a pas examiné le caractère distinctif intrinsèque résultant de la combinaison particulière des éléments qui composaient la marque contestée, à savoir sa forme, les couleurs « lilas » et « pourpre foncé » ainsi que l’agencement particulier de ces couleurs. Partant, la chambre de recours aurait manqué à son obligation de motivation, en violation de l’article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 et de l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux.

30      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

31      L’EUIPO fait valoir que la chambre de recours a tenu compte de la marque contestée dans son ensemble lors de l’appréciation de son caractère distinctif intrinsèque.

32      S’agissant de la forme de la marque contestée, la chambre de recours aurait indiqué que les inhalateurs pouvaient avoir la forme d’une botte, laquelle est la forme la plus traditionnelle et protégée par un brevet dans les années 50.

33      S’agissant des couleurs de la marque contestée, l’EUIPO fait valoir qu’une couleur dépourvue de caractère distinctif appliquée sur une forme non distinctive ne peut que conduire à conclure à l’absence de caractère distinctif de la combinaison, sans qu’il y ait lieu, en l’espèce, de présumer que la combinaison serait plus que la simple somme de ses éléments. Les couleurs ayant une fonction technique ou informative sur le marché des inhalateurs, le fait que la forme de la marque contestée soit couverte de deux nuances de pourpre, le couvercle étant plus foncé que le corps, ne saurait influer sur la conclusion de la chambre de recours selon laquelle la marque contestée était dépourvue de caractère distinctif dans son ensemble. Le fait que la couleur du couvercle différait fréquemment de la couleur du corps de l’inhalateur serait, d’ailleurs, confirmé par les normes et habitudes pertinentes du marché mentionnées au point 40 de la requête.

34      En outre, le fait que la requérante a été en mesure de contester la décision attaquée sur le fond et qu’elle a donc compris le raisonnement de la chambre de recours démontrerait qu’il n’y a pas eu de violation de l’obligation de motivation.

35      Il convient de rappeler que, selon l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux, le droit à une bonne administration comporte notamment l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions.

36      L’obligation de motivation découle également de l’article 94, paragraphe 1, première phrase, du règlement 2017/1001, aux termes duquel les décisions de l’EUIPO sont motivées. Elle a la même portée que celle découlant de l’article 296 TFUE. Il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte. Cette obligation a pour objectif de permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI, C‑447/02 P, EU:C:2004:649, points 63 à 65 et jurisprudence citée). Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée [voir arrêt du 7 février 2007, Kustom Musical Amplification/OHMI (Forme d’une guitare), T‑317/05, EU:T:2007:39, point 57 et jurisprudence citée]. Il ne saurait être exigé des chambres de recours de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties devant elles. La motivation peut donc être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles la décision de la chambre de recours a été adoptée et à la juridiction compétente de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle [arrêt du 25 mars 2009, Anheuser-Busch/OHMI – Budějovický Budvar (BUDWEISER), T‑191/07, EU:T:2009:83, point 128].

37      En outre, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle, qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs. En effet, le caractère éventuellement erroné des motifs n’en fait pas une motivation inexistante [voir arrêt du 30 septembre 2016, Alpex Pharma/EUIPO – Astex Pharmaceuticals (ASTEX), T‑355/15, non publié, EU:T:2016:591, point 45 et jurisprudence citée].

38      S’agissant d’une marque complexe, telle que celle faisant l’objet du présent litige, il ressort de la jurisprudence qu’un éventuel caractère distinctif peut être examiné, en partie, pour chacun de ses éléments, pris séparément, mais doit, en tout état de cause, se fonder sur la perception globale de cette marque par le public pertinent et non sur la présomption que des éléments dépourvus isolément de caractère distinctif ne peuvent, une fois combinés, présenter un tel caractère. En effet, la seule circonstance que chacun de ces éléments, pris séparément, est dépourvu de caractère distinctif n’exclut pas que la combinaison qu’ils forment puisse présenter un tel caractère (voir arrêt du 15 septembre 2005, BioID/OHMI, C‑37/03 P, EU:C:2005:547, point 29 et jurisprudence citée).

39      En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que la chambre de recours a défini la marque contestée comme étant une marque tridimensionnelle complexe caractérisée par sa forme, ses couleurs spécifiques et l’agencement desdites couleurs.

40      Après avoir rappelé que le débat devant la division d’annulation avait notamment porté sur la question de savoir si, à la date de la demande d’enregistrement de la marque contestée, les couleurs avaient une signification spécifique en ce qui concernait les inhalateurs en cause, la chambre de recours a considéré qu’il ressortait des éléments de preuve produits que les médicaments contre l’asthme se présentaient sous diverses couleurs et que le choix de ces dernières renvoyait aux principes actifs ainsi qu’à la finalité et aux caractéristiques du médicament et qu’un tel usage devait être considéré comme descriptif. Ensuite, la chambre de recours a analysé divers éléments de preuve relatifs à la couleur et a conclu qu’il en ressortait que les couleurs avaient une fonction technique ou informative, tant pour les professionnels de la santé que pour les consommateurs finaux.

41      S’agissant de la forme de botte des inhalateurs, telle que la forme décrite par la marque contestée, la chambre de recours a considéré que celle-ci était la forme la plus traditionnelle et qu’elle était protégée par un brevet dans les années 50.

42      Enfin, la chambre de recours a estimé, en substance, que certains éléments de preuve démontraient que la marque contestée était inhabituelle sur le marché des produits en cause, mémorisable par le public pertinent et comprise par ce dernier comme une référence à la titulaire de ladite marque. Toutefois, la chambre de recours a considéré que les principes qu’elle déduisait de l’arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre (T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405), étaient applicables mutatis mutandis en l’espèce.

43      La chambre de recours a conclu que la marque contestée était dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94.

44      Il ressort de ce qui précède que la chambre de recours, comme la requérante le fait valoir à juste titre, n’a pas procédé à une appréciation globale des éléments constitutifs de la marque contestée bien qu’elle ait examiné le caractère distinctif de chacun d’entre eux pris individuellement.

45      À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence bien établie qu’il existe une continuité fonctionnelle entre les différentes unités de l’EUIPO, d’une part, et les chambres de recours, d’autre part. Il découle de cette continuité fonctionnelle entre les différentes instances de l’EUIPO que, dans le cadre du réexamen que les chambres de recours doivent faire des décisions prises par les unités de l’EUIPO statuant en première instance, elles sont tenues de fonder leur décision sur tous les éléments de fait et de droit que les parties ont fait valoir soit dans la procédure devant l’unité ayant statué en première instance, soit dans la procédure de recours. Ainsi, par l’effet dévolutif de la procédure de recours, le contrôle exercé par les chambres de recours implique une nouvelle appréciation du litige dans son ensemble, les chambres de recours devant intégralement réexaminer la requête initiale et tenir compte des preuves produites en temps utile [voir arrêt du 23 octobre 2018, Mamas and Papas/EUIPO – Wall-Budden (Tour de lit d’enfant), T‑672/17, non publié, EU:T:2018:707, point 39 et jurisprudence citée].

46      Partant, en l’espèce, s’il n’était pas exigé que la chambre de recours refasse une analyse détaillée de chaque élément de preuve, elle était toutefois tenue de fonder sa conclusion concernant le caractère distinctif intrinsèque de la marque contestée sur une appréciation d’ensemble de ladite marque. Or, force est de constater que la chambre de recours a omis de procéder à une telle appréciation.

47      En outre, contrairement à ce que prétend l’EUIPO, la jurisprudence rappelée au point 26 ci-dessus selon laquelle lorsque la chambre de recours entérine la décision de la division d’annulation dans son intégralité, et compte tenu de la continuité fonctionnelle entre divisions d’annulation et chambres de recours, cette décision ainsi que sa motivation font partie du contexte dans lequel la décision de la chambre de recours a été adoptée, contexte qui est connu de la requérante et qui permet au juge d’exercer pleinement son contrôle de légalité, ne peut pas être appliquée au cas d’espèce.

48      Premièrement, il ne ressort pas de la décision attaquée que la chambre de recours s’est référée à la décision de la division d’annulation en faisant siens les motifs de cette dernière décision concernant l’appréciation globale de la marque contestée.

49      Secondement, si tant la division d’annulation que la chambre de recours sont parvenues à la conclusion que la marque contestée était dépourvue de caractère distinctif intrinsèque, ces deux instances ont motivé de manière différente leur décision respective. En effet, la division d’annulation a considéré qu’il ressortait des éléments de preuve produits par les parties que les couleurs en général et leur combinaison constituaient une caractéristique habituelle des inhalateurs avant même que la requérante ne dépose sa demande d’enregistrement de la marque contestée, qu’il n’avait pas été démontré à suffisance que les couleurs indiquaient une caractéristique des produits en cause et que, partant, la combinaison des nuances de couleur pourpre de la forme d’inhalateur était perçue par le public pertinent comme étant un élément commun et habituel du produit et non comme une indication d’origine. Or, la chambre de recours a conclu, au contraire, qu’il ressortait des éléments de preuve produits que la couleur avait une fonction technique et informative.

50      Il en résulte que la chambre de recours devait nécessairement procéder à une appréciation globale du caractère distinctif intrinsèque de la marque contestée après avoir examiné le caractère distinctif des différents éléments de la marque complexe.

51      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le premier moyen dès lors que la chambre de recours a conclu que la marque contestée était dépourvue de caractère distinctif intrinsèque sans exposer les motifs pour lesquels ladite marque, considérée dans son ensemble, était dépourvue de caractère distinctif intrinsèque.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94

52      Le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94, s’articule en trois branches tirées, la première, d’une contradiction de motifs relatifs à l’appréciation du caractère distinctif à la date de la demande d’enregistrement de la marque contestée, la deuxième, de l’absence d’éléments spécifiques permettant de réfuter la présomption de légalité et, la troisième, d’une erreur d’appréciation du caractère distinctif intrinsèque de ladite marque. Il convient d’examiner ensemble les première et deuxième branches de ce moyen.

53      La requérante fait valoir, en substance, que l’ensemble de la motivation de la décision attaquée est contradictoire et que la demanderesse en nullité, à qui revenait la charge de la preuve, n’a produit aucun élément de preuve se rapportant à la date de dépôt de la marque contestée. Il serait donc erroné en fait et juridiquement contradictoire de considérer que des éléments de preuve datant de 2013 à 2015 concernaient la situation à la date pertinente en l’espèce.

54      Selon la requérante, une telle contradiction de motifs équivaut à une absence de motivation justifiant l’annulation de la décision attaquée.

55      L’EUIPO admet qu’il existe une contradiction entre, d’une part, l’affirmation de la chambre de recours, au point 46 de la décision attaquée, selon laquelle le secteur pharmaceutique « évolue constamment » et « des périodes de dix ans, voire plus, sont des périodes suffisamment longues pour que la perception des produits se modifie en fonction des nouvelles tendances et de leur évolution constante » et, d’autre part, la conclusion de ladite chambre, au point 63 de la même décision, selon laquelle « les principes établis dans [l’arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre (T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405)] concernant la couleur pourpre, pour exactement le même marché [2015] s’appliquent mutatis mutandis à la date antérieure [2001] ».

56      Toutefois, l’EUIPO fait valoir qu’il ressort du raisonnement de la chambre de recours qu’elle a considéré que l’évolution de la perception, par le consommateur, des couleurs utilisées en rapport avec les produits pharmaceutiques à inhaler ne pouvait être aussi rapide entre 2001, année du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, et 2015 pour que les principes découlant de l’arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre (T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405), ne s’appliquent pas à la date de dépôt de la marque contestée.

57      De même, l’EUIPO soutient que la demanderesse en nullité a produit des éléments de preuve, portant une date ultérieure au dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, démontrant que les couleurs avaient une fonction technique et informative pour les inhalateurs et que la chambre de recours a considéré que cette conclusion pouvait être extrapolée à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée. Selon l’EUIPO, si les consommateurs étaient, à un certain moment, habitués à percevoir des couleurs comme ayant une fonction technique ou informative sur les inhalateurs, il était peu probable qu’il n’en allait pas de même à un moment antérieur de dix ou de quinze ans.

58      À titre liminaire, il convient de rappeler, premièrement, que la procédure de nullité a pour objet, notamment, de permettre à l’EUIPO de revoir la validité de l’enregistrement d’une marque et d’adopter une position qu’il aurait dû, le cas échéant, adopter d’office au cours de la procédure d’enregistrement [voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2013, ultra air/OHMI – Donaldson Filtration Deutschland (ultrafilter international), T‑396/11, EU:T:2013:284, point 20]. Ainsi, l’enregistrement d’une marque ne saurait créer une confiance légitime pour le titulaire de ladite marque en ce qui concerne le résultat d’une procédure en nullité ultérieure [arrêt du 19 mai 2010, Ravensburger/OHMI – Educa Borras (Memory), T‑108/09, non publié, EU:T:2010:213, point 25].

59      Aux termes de l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, dans les procédures en nullité engagées en vertu de l’article 59 du même règlement, l’EUIPO limite son examen aux moyens et aux arguments soumis par les parties. En outre, aux termes de l’article 27, paragraphe 2, du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001 et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1), dans les procédures inter partes, l’examen du recours est limité aux moyens invoqués dans le mémoire exposant les motifs et, le cas échéant, dans le recours incident. Les questions de droit non soulevées par les parties sont examinées par la chambre de recours uniquement dans la mesure où elles concernent des exigences procédurales essentielles ou lorsqu’il est nécessaire de résoudre ces questions afin de garantir une application correcte du règlement 2017/1001 eu égard aux faits, preuves et arguments soumis par les parties.

60      Selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’une procédure de nullité, la marque de l’Union européenne enregistrée étant présumée valide, il appartient à la personne ayant présenté la demande en nullité d’invoquer devant l’EUIPO les éléments concrets qui mettraient en cause sa validité [voir arrêt du 21 avril 2015, Louis Vuitton Malletier/OHMI – Nanu-Nana (Représentation d’un motif à damier marron et beige), T‑359/12, EU:T:2015:215, point 61 et jurisprudence citée].

61      Deuxièmement, ainsi qu’il a été précisé au point 36 ci-dessus, la motivation exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et par l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux, lu conjointement avec l’article 94, paragraphe 1, première phrase, du règlement 2017/1001, doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle.

62      En l’espèce, la date pertinente aux fins de l’examen de la demande de nullité est la date du dépôt de la demande d’enregistrement, à savoir le 12 avril 2001.

63      Il ressort de la décision attaquée que, dans le cadre de l’analyse du caractère distinctif intrinsèque de la marque contestée, la chambre de recours a d’abord constaté que la demanderesse en nullité n’avait pas démontré que la marque contestée était dépourvue de caractère distinctif à la date pertinente.

64      Toutefois, par la suite et sur le fondement des mêmes preuves produites par la demanderesse en nullité, la chambre de recours est parvenue à la conclusion contraire, à savoir que les couleurs avaient, en ce qui concernait les médicaments contre l’asthme, une fonction technique et informative pour les consommateurs dans la mesure où elles renvoyaient « en quelque sorte » aux principes actifs ainsi qu’à la finalité et aux caractéristiques du médicament. La chambre de recours a considéré qu’un tel usage des couleurs était descriptif.

65      Interrogé à l’audience sur cet antagonisme apparent entre les motifs de la décision attaquée, l’EUIPO s’est limité à faire valoir que la fonction technique ou informative des couleurs ressortait non seulement des éléments de preuve examinés par la chambre de recours aux points 52 à 56 de cette décision, mais aussi des documents examinés par la division d’annulation dans sa décision, à laquelle une référence aurait été faite au point 49 de la décision attaquée.

66      À cet égard, il y a lieu de relever que, au point 49 de la décision attaquée, la chambre de recours s’est bornée à indiquer que la discussion devant la division d’annulation avait également porté sur la compréhension par le public pertinent des couleurs utilisées telles que définies dans la description de la marque contestée, en se concentrant sur la question de savoir si, à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de ladite marque, les couleurs avaient une signification spécifique en ce qui concernait les inhalateurs en cause. Or, il convient de rappeler que, contrairement à ce que fait valoir l’EUIPO, la division d’annulation a estimé qu’il n’avait pas été démontré à suffisance que les couleurs indiquaient une caractéristique des produits en cause.

67      En dépit du fait que dans l’arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre (T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405), la date pertinente pour l’appréciation du caractère distinctif du signe en cause, à savoir une couleur en elle-même, était le 24 septembre 2015, soit près de quatorze ans après la date pertinente en l’espèce, la chambre de recours a toutefois considéré, au point 58 de la décision attaquée, que ses conclusions relatives au caractère descriptif de l’usage des couleurs pour les médicaments contre l’asthme étaient confirmées par ledit arrêt.

68      Or, cette appréciation de la chambre de recours apparaît comme étant en opposition avec le point 46 de la décision attaquée auquel il a été considéré que l’industrie pharmaceutique évoluait constamment, que des périodes de dix ans ou plus étaient suffisamment longues pour que la perception des produits se soit modifiée en fonction des nouvelles tendances et de leur évolution constante et que cela générait une incertitude qui rendait difficile l’établissement de la validité des informations dans le temps. Si la chambre de recours a également considéré qu’une appréciation différente pouvait être justifiée s’il y avait des éléments de preuve portant une date ultérieure à la date pertinente, mais proche de celle-ci, elle n’a pas pour autant identifié et examiné lesdits éléments de preuve.

69      En outre, contrairement à ce que fait valoir l’EUIPO, la décision attaquée ne permet pas de comprendre pour quelles raisons les principes déduits par la chambre de recours de l’arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre (T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405), étaient applicables à la marque contestée et à la date pertinente en l’espèce.

70      Dans ces circonstances, il convient de constater que la décision attaquée est entachée d’une contradiction de motifs. Or, une telle contradiction équivaut à une absence de motivation, car les parties et le juge de l’Union sont dans l’impossibilité de déterminer si, dans l’analyse de la chambre de recours portant sur le caractère distinctif de la marque contestée, des documents datant d’au moins dix ans après la date pertinente pouvaient démontrer quelle était la perception d’une certaine couleur par le consommateur à cette date et, partant, si la demanderesse en nullité avait démontré à suffisance que la marque contestée était dépourvue de caractère distinctif à ladite date.

71      Compte tenu de ces éléments, il y a lieu d’accueillir la première et la deuxième branches du deuxième moyen et de constater que la chambre de recours a manqué à son obligation de motivation en raison d’une contradiction de motifs dans la décision attaquée.

72      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer le premier moyen et les première et deuxième branches du deuxième moyen comme fondés et, partant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la troisième branche du deuxième moyen, de faire droit aux conclusions de la requérante en annulant la décision attaquée.

 Sur les dépens

73      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

74      L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

75      En outre, la requérante a conclu à la condamnation de l’EUIPO aux dépens qu’elle a exposés devant la chambre de recours. À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure, les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme des dépens récupérables. Partant, il y a également lieu de condamner l’EUIPO aux dépens indispensables exposés par la requérante aux fins de la procédure devant la chambre de recours.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 19 mai 2021 (affaire R 1835/2016-1) est annulée.

2)      L’EUIPO est condamné aux dépens, y compris ceux exposés aux fins de la procédure devant la chambre de recours.

Marcoulli

Schwarcz

Norkus

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 mai 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.