Language of document : ECLI:EU:C:2013:152

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 7 mars 2013 (1)

Affaire C‑219/12

Finanzamt Freistadt Rohrbach Urfahr

contre

Unabhängiger Finanzsenat Außenstelle Linz

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof (Autriche)]

«TVA – Notion d’‘activité économique’ – Système photovoltaïque placé sur le toit d’une habitation privée – Vente de l’électricité à une société qui pourvoit aux besoins en électricité de cette habitation»





1.        Un propriétaire a installé chez lui un système photovoltaïque (panneaux solaires) produisant de l’électricité, mais dépourvu de capacité de stockage. Sa production annuelle est inférieure à la consommation annuelle du ménage. Aux termes d’un contrat conclu avec un fournisseur d’électricité, le propriétaire vend de l’électricité à ce fournisseur qui pourvoit également aux besoins en électricité du ménage. Estimant que cette vente d’électricité constitue une activité économique, le propriétaire entend récupérer la taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la «TVA») acquittée en amont sur le système photovoltaïque et son installation. Le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) souhaite savoir si cette approche est correcte.

 La sixième directive 77/388/CEE

2.        Les panneaux solaires en cause ont été installés en 2005. La législation pertinente en droit de l’Union était alors la sixième directive 77/388/CEE (2), et plus précisément les dispositions suivantes (3).

3.        L’article 2 prévoit que les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, sont soumises à la TVA.

4.        L’article 4, paragraphe 1, qualifie d’«assujetti» «quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité». Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, les activités économiques sont «toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence».

5.        Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, une livraison de biens s’entend du «transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire», alors que l’article 5, paragraphe 2, précise que le courant électrique doit être considéré comme un bien corporel. L’article 5, paragraphe 6, prévoit qu’«[e]st assimilé à une livraison effectuée à titre onéreux le prélèvement par un assujetti d’un bien de son entreprise pour ses besoins privés ou ceux de son personnel ou qu’il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu’il affecte à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée. [...]»

6.        L’article 11, A, paragraphe 1, sous a), énonce la règle générale en vertu de laquelle la base d’imposition est constituée par «tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acheteur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations». Toutefois, pour les opérations visées à l’article 5, paragraphe 6, l’article 11, A, paragraphe 1, sous b), prévoit que la base d’imposition est constituée par «le prix d’achat des biens ou de biens similaires ou, à défaut de prix d’achat, par le prix de revient, déterminés au moment où s’effectuent ces opérations».

7.        L’article 17 (4), intitulé «Naissance et étendue du droit à déduction», prévoit notamment ce qui suit:

«1.      Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

2.      Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)      la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

[...]»

8.        L’article 20 prévoit que le montant des déductions de la taxe acquittée en amont est régularisé le cas échéant:

«1.      La déduction initialement opérée est régularisée suivant les modalités fixées par les États membres, notamment:

[...]

b)      lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration [...].

2.      En ce qui concerne les biens d’investissement, une régularisation est opérée pendant une période de cinq années, dont celle au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué. Chaque année, cette régularisation ne porte que sur le cinquième de la taxe dont ces biens ont été grevés. Cette régularisation est effectuée en fonction des modifications du droit à déduction intervenues au cours des années suivantes, par rapport à celui de l’année au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué.

[...]»

9.        Enfin, l’article 24 autorise à certaines conditions les États membres à introduire ou à maintenir certains régimes particuliers, y compris des franchises ou des atténuations dégressives de la taxe, pour les petites entreprises. L’article 24, paragraphe 2, autorise notamment l’exonération de TVA des entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à un seuil déterminé. L’article 24, paragraphe 5, prévoit que les assujettis qui bénéficient de la franchise de la taxe n’ont pas le droit de déduire conformément à l’article 17 ni de faire apparaître la taxe sur leurs factures.

10.      Le seuil considéré aux fins de l’application de l’article 24, paragraphe 2, varie considérablement entre les États membres selon la date d’adhésion ou les seuils de TVA appliqués avant l’entrée en vigueur de la sixième directive (5). Certains États membres n’ont pas de régime propre aux petites entreprises, alors que d’autres appliquent un seuil dépassant 70 000 euros de chiffre d’affaires annuel. En Autriche, le seuil est fixé à un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 30 000 euros net (6), et il s’applique automatiquement sauf si le commerçant opte pour la taxation (7).

 Les faits, la procédure et la question préjudicielle

11.      Selon la décision de renvoi, M. Fuchs, le propriétaire en cause dans la procédure au principal, a installé des panneaux solaires sur le toit de sa maison en 2005. L’installation est dépourvue de capacité de stockage. La totalité du courant produit est livrée au réseau public, le courant nécessaire pour les besoins du ménage étant racheté au même prix que le prix de livraison, à savoir 0,181 euro, avec une TVA de 20 % comprise dans les deux cas. M. Fuchs a acquis et installé le système photovoltaïque au prix de 38 367,76 euros, incluant une TVA de 20 %, à savoir 6 394,63 euros. Il a reçu pour cette installation une subvention unique d’un montant de 19 020 euros.

12.      La décision de renvoi indique également que de 2005 à 2008, le ménage de M. Fuchs a consommé quelque 44 600 kWh d’électricité et que, sur la totalité de la production de son installation photovoltaïque fournie sur l’ensemble de la période, à savoir 19 801 kWh, il a livré 11 156 kWh au réseau et consommé lui‑même directement (8) 8 645 kWh. Au cours des cinq premiers mois d’exploitation du système photovoltaïque, en 2005, 2 829 kWh ont été produits et 1 986 kWh distribués dans le réseau.

13.      Le Finanzamt Freistadt Rohrbach Urfahr (centre des impôts de Freistadt Rohrbach Urfahr, ci‑après le «Finanzamt») a émis pour M. Fuchs un avis d’imposition à la TVA pour 2005 portant refus des déductions de la taxe acquittée en amont. M. Fuchs a formé un recours auprès de l’Unabhängiger Finanzsenat Außenstelle Linz (chambre fiscale indépendante, section de Linz, ci‑après l’«Unabhängiger Finanzsenat»), qui a constaté un crédit d’impôt de 6 309,29 euros en sa faveur. Ce chiffre correspond à la différence entre la taxe de 6 394,63 euros acquittée en amont sur le coût de l’installation et la taxe en aval de 85,34 euros sur la totalité de l’électricité produite par ladite installation (aussi bien celle distribuée dans le réseau que celle consommée par le ménage) en 2005.

14.      Le Finanzamt a interjeté appel contre cette décision devant le Verwaltungsgerichtshof qui a posé la question préjudicielle suivante:

«L’exploitation d’une installation photovoltaïque reliée au réseau, dépourvue de capacités propres de stockage de l’électricité et située au‑dessus ou à proximité d’une résidence privée servant à des fins d’habitation, et qui, d’un point de vue technique, est conçue de telle sorte que l’électricité produite par l’installation est inférieure en permanence à la quantité totale d’électricité consommée à titre privé par son exploitant pour son ménage est‑elle une ‘activité économique’, au sens de l’article 4 de [la sixième directive], dudit exploitant?»

15.      Les gouvernements autrichien et allemand ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Aucune audience n’a été demandée ni tenue.

 Appréciation

 Questions préliminaires

16.      La question soulevée par le Verwaltungsgerichtshof ne porte que sur le point de savoir si la livraison d’électricité au réseau par une personne dans la situation de M. Fuchs constitue une «activité économique» du point de vue de la TVA. J’expliquerai pourquoi je considère qu’il convient de répondre par l’affirmative. Toutefois, bien que cette réponse puisse permettre de trancher la question litigieuse dans la procédure au principal, il pourrait s’avérer nécessaire de prendre en considération d’autres aspects aussi bien dans la situation de M. Fuchs que dans des situations analogues.

17.      D’abord, je relève que les modalités exactes de fonctionnement du système photovoltaïque de M. Fuchs ne sont pas tout à fait claires. La décision de renvoi indique, d’une part, que toute l’électricité produite est livrée au réseau et, d’autre part, que, entre 2005 et 2008, une partie était livrée au réseau, le reste étant consommé directement par le ménage.

18.      En réponse à une demande de la Cour, le Verwaltungsgerichtshof a dans une certaine mesure clarifié la situation. Il s’avère que l’Unabhängiger Finanzsenat a constaté, en tant qu’élément de fait, que toute l’électricité produite était livrée au réseau public et que les 8 645 kWh qualifiés de «directement» consommés par le ménage étaient consommés en même temps qu’une quantité équivalente d’électricité était livrée au réseau. La juridiction de renvoi a raisonné en partant de cette prémisse, mais elle indique que le Finanzamt conteste cette constatation de l’Unabhängiger Finanzsenat et fait valoir que la consommation de M. Fuchs provient d’abord des panneaux solaires, le complément étant fourni par le réseau si nécessaire, et que seul l’excédent d’électricité par rapport aux besoins du ménage (à des moments où les panneaux produisent plus que ce que le ménage consomme) est distribué dans le réseau.

19.      Le Verwaltungsgerichtshof considère que la différence entre ces deux situations est dénuée de pertinence s’agissant de la question à laquelle il convient de répondre. Je considère néanmoins qu’il est utile d’examiner les dispositions de la sixième directive au regard de différents scénarios possibles.

 Existence d’une activité économique

20.      La Cour a relevé l’étendue du champ d’application couvert par la notion d’«activités économiques» figurant à l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive, ainsi que le caractère objectif de cette notion, en ce sens que l’activité est considérée en elle‑même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats. Une activité est ainsi, en règle générale, qualifiée d’économique lorsqu’elle présente un caractère permanent et est effectuée contre une rémunération perçue par l’auteur de l’opération (9).

21.      Conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la sixième directive, l’électricité est un bien corporel. Au moyen de ses panneaux solaires, M. Fuchs produit de l’électricité. Il fournit cette électricité à titre onéreux à son exploitant de réseau. Il s’agit donc en principe d’une livraison de biens taxable. La production et la livraison n’ont pas lieu de manière continue, mais elles présentent «un caractère de permanence». Elles se poursuivent déjà depuis plusieurs années. Aussi longtemps que les panneaux solaires fonctionnent et que M. Fuchs maintient ses accords avec l’exploitant du réseau, de l’électricité continuera à être produite quand la luminosité et les conditions météorologiques le permettront, et elle continuera à être livrée au réseau conformément auxdits accords.

22.      Il ressort par ailleurs clairement des informations figurant dans la décision de renvoi que l’objectif de M. Fuchs est, au moins en partie, de tirer des recettes de la fourniture d’électricité. Même si le résultat concret consiste seulement en une réduction de sa facture d’électricité, cette réduction a lieu par compensation entre les recettes perçues de la part de l’exploitant du réseau et les paiements dont il est redevable envers ce dernier, et ce sont ces recettes que M. Fuchs entend retirer, de manière permanente, de ses livraisons.

23.      Je considère comme dénué de pertinence en l’espèce le fait que, en raison de sa conception, le système photovoltaïque couvre une partie des besoins du ménage, mais n’engendre pas systématiquement un excédent qui serait toujours mis en vente indépendamment de la consommation du ménage.

24.      La question de savoir si une activité vise à réaliser des recettes ayant un caractère de permanence est une question de fait qui doit être appréciée compte tenu de l’ensemble des données de l’espèce, parmi lesquelles figure, notamment, la nature du bien visé (10).

25.      En l’espèce, M. Fuchs utilise son système photovoltaïque pour fournir tout ou partie (selon le contexte de fait correct) de l’électricité produite à l’exploitant du réseau avec lequel il a conclu un contrat aux termes duquel la fourniture est rémunérée. Il s’agit là objectivement d’une activité économique. Tel n’aurait en revanche pas été le cas si le système avait été conçu pour ne fournir que le ménage (et qu’il avait par exemple été muni de batteries pour stocker les productions excédentaires temporaires en vue d’une utilisation ultérieure, et éventuellement d’un dispositif permettant de recevoir de l’électricité du réseau durant les insuffisances de production temporaires, mais sans qu’il soit possible d’alimenter le réseau).

26.      À cet égard, je ne souscris pas à l’argument du gouvernement autrichien selon lequel les deux types d’installation sont de nature tellement comparable qu’ils doivent être traités de la même manière du point de vue de la TVA. Comme je l’ai relevé, l’appréciation doit être objective. Il existe, du point de vue de la qualification en tant qu’activité économique, une différence objective entre un système conçu pour ne pourvoir qu’à des besoins domestiques en électricité et un système conçu pour livrer tout ou partie de sa production au réseau d’électricité contre rémunération. Je comprends les arguments d’ordre politique invoqués par ce gouvernement (selon lesquels un type de système photovoltaïque ne devrait pas bénéficier, du fait de la déduction de la TVA acquittée en amont, d’un financement public plus important qu’un autre). Je considère toutefois qu’une telle politique pourrait être mise en œuvre par d’autres moyens, comme par exemple une exclusion du droit d’opter pour la taxation (11) ou un ajustement des subventions accordées pour installer de tels systèmes (12), sans porter atteinte à la définition objective d’activité économique.

27.      Je considère dès lors que M. Fuchs exerce une activité économique (de production d’électricité et/ou d’exploitation de panneaux solaires en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence) au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive, et qu’il est par conséquent un assujetti au sens de l’article 4, paragraphe 1.

28.      En fait, on pourrait parvenir à la même conclusion à partir du traitement fiscal réservé à ces opérations par les autorités fiscales autrichiennes elles‑mêmes. La juridiction de renvoi indique que la TVA est facturée sur les livraisons de M. Fuchs à l’exploitant du réseau. Seules des livraisons effectuées par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la TVA. Il s’ensuit que M. Fuchs ne peut être qu’un assujetti agissant en tant que tel s’il effectue des livraisons imposables. Le point de vue de l’administration fiscale exposé dans la décision de renvoi et celui que le gouvernement autrichien a présenté à la Cour (à savoir que M. Fuchs agit à titre privé) ne sont pas compatibles avec la perception de la TVA sur les livraisons d’électricité de M. Fuchs.

29.      Il est évident que, dans la mesure où il agit en tant qu’assujetti, M. Fuchs est soumis à l’ensemble des règles du droit de l’Union et des règles nationales qui régissent les droits et les obligations des assujettis.

Déductibilité de la taxe acquittée en amont

30.      La question qui se pose devant la juridiction nationale n’est pas seulement de savoir si l’exploitation des panneaux solaires de M. Fuchs constitue une activité économique, mais surtout s’il a le droit de déduire la TVA acquittée en amont sur l’acquisition des panneaux de la TVA en aval sur ses livraisons d’électricité à l’exploitant du réseau.

31.      Si le seul but de l’exploitation était d’alimenter le réseau en électricité, la réponse à cette question serait en principe affirmative. Pour paraphraser l’article 17, paragraphes 1 et 2, sous a), de la sixième directive, M. Fuchs serait autorisé, en tant qu’assujetti, à déduire de la taxe qu’il a l’obligation d’acquitter sur ses opérations taxées en aval (la fourniture d’électricité) la taxe acquittée en amont pour les biens qui lui sont livrés et pour les services qui lui sont rendus par un autre assujetti (à savoir les panneaux solaires et leur installation) et utilisés pour les besoins de ces opérations. En outre, le droit à déduction prendrait naissance dès que la taxe en amont deviendrait exigible.

32.      Cependant, il convient de rappeler qu’il est probable que, dans de nombreux États membres, une personne fournissant seulement les quantités d’électricité produites par les panneaux solaires de M. Fuchs se situerait en dessous du seuil de taxation. Dès lors, conformément à l’article 24, paragraphe 5, de la sixième directive, cette personne ne pourrait pas facturer de taxe en aval ni déduire la taxe acquittée en amont. Dans le cas de M. Fuchs, les livraisons se situent en dessous du seuil applicable en Autriche. Toutefois, une TVA ayant été perçue sur lesdites livraisons, force est de supposer qu’il a opté pour la taxation (13) et le droit à déduction correspondant. D’ailleurs, le fait que les autorités autrichiennes ont admis que M. Fuchs pouvait opter pour la taxation constitue un élément supplémentaire établissant qu’elles l’ont considéré comme exerçant une activité économique dès lors qu’il n’est pas possible d’opter pour la taxation s’agissant d’une activité qui ne relève pas du champ d’application de la TVA (14).

33.      En tout cas, l’opération pourrait ne pas avoir pour seul objectif la fourniture d’électricité au réseau. 44 % de l’électricité produite pourraient être consommés par le propre ménage de M. Fuchs, peut‑être sans intégrer le réseau (15). Le cas échéant, cet élément doit également être pris en considération pour déterminer les modalités d’application du droit à déduction.

34.      S’agissant de l’activité économique de fourniture d’électricité, les panneaux solaires doivent être considérés comme des biens d’investissement au sens de la sixième directive. La Cour a défini les biens d’investissement du point de vue de la TVA comme étant «les biens qui, utilisés aux fins d’une activité économique, se distinguent par leur caractère durable et leur valeur, lesquels impliquent que les coûts d’acquisition ne sont pas normalement comptabilisés comme dépenses courantes, mais sont amortis au cours de plusieurs exercices» (16).

35.      Il est de jurisprudence constante que, en cas d’utilisation d’un bien d’investissement à des fins tant professionnelles que privées (ce qui pourrait être le cas en l’espèce), l’assujetti a le choix, pour les besoins de la TVA, i) d’affecter ce bien dans sa totalité au patrimoine de son entreprise, ii) de le conserver dans sa totalité dans son patrimoine privé en l’excluant ainsi complètement du système de la TVA, iii) de ne l’intégrer dans son entreprise qu’à concurrence de l’utilisation professionnelle effective (17).

36.      Les modalités d’exercice du droit à déduction s’agissant de panneaux solaires dont la production est utilisée en partie à des fins privées (consommation directe sans passer par le réseau) et en partie à des fins professionnelles (alimentation du réseau à titre onéreux) dépendront dès lors notamment de la répartition de l’affectation desdits panneaux entre le patrimoine professionnel et le patrimoine privé de la personne concernée.

37.      Premièrement, s’ils sont conservés dans leur totalité dans le patrimoine privé, ils sont complètement exclus du système de la TVA et il ne saurait être question de déduction (18). J’ajoute qu’il en irait de même dans le cas d’un système photovoltaïque indépendant non connecté au réseau et pourvoyant aux seuls besoins du ménage. Il n’y aurait alors pas d’activité économique et pas de livraison imposable.

38.      Deuxièmement, si les panneaux solaires sont entièrement affectés au patrimoine professionnel du propriétaire en sa qualité d’assujetti (ce qui pourrait être le cas en l’espèce), le droit à déduction n’est pas mis en cause, mais cette situation aura des incidences sur le traitement au regard de la TVA de l’électricité consommée par son propre ménage. Cette électricité doit alors être considérée comme un bien livré par son entreprise pour ses besoins privés, opération régie par l’article 5, paragraphe 6, de la sixième directive et par conséquent soumise à la TVA.

39.      Dans ces conditions, la base d’imposition sera, conformément à l’article 11, A, paragraphe 1, sous b), constituée par «le prix d’achat des biens ou de biens similaires ou, à défaut de prix d’achat, par le prix de revient, déterminés au moment où s’effectuent ces opérations». Étant donné que, à supposer qu’il se livre de l’électricité à lui‑même, le propriétaire, n’achète pas les biens (à savoir l’électricité en question) mais qu’il les produit, la base d’imposition doit être le prix d’achat de biens similaires (à savoir de l’électricité achetée au réseau) ou bien le prix de revient, déterminés au moment où s’effectue la livraison. On pourrait se demander si, lorsqu’un prix de revient réel peut être calculé, il est approprié de recourir au prix d’achat de biens similaires qui pourrait être supérieur ou inférieur au prix de revient. En l’espèce, ce prix de revient serait probablement supérieur, en tout cas durant les quelques premières années. Alors que les coûts de production courants (l’entretien par exemple), peuvent être très faibles, il convient également de tenir compte du coût des panneaux et de leur installation, amorti sur une durée appropriée. Cet élément est susceptible d’augmenter le coût du kWh et dès lors les montants de TVA à comptabiliser sur l’électricité produite par les panneaux solaires et consommée par le ménage au cours de la période d’amortissement.

40.      Troisièmement, si les panneaux solaires ne sont intégrés au patrimoine professionnel du propriétaire en sa qualité d’assujetti que dans la mesure où ils sont effectivement utilisés pour produire de l’électricité fournie à l’exploitant du réseau, le droit à déduction ne peut être exercé que dans la même mesure. Cette situation pourrait néanmoins susciter des difficultés si la proportion d’électricité fournie aux ménages et celle qui est livrée au réseau connaissent d’importantes variations. Dans ce cas, il conviendrait éventuellement de recourir à la procédure d’ajustement prévu à l’article 20, paragraphe 2, de la sixième directive (19).

41.      Je relève toutefois que la procédure au principal porte sur l’acquisition et l’installation de panneaux solaires en 2005, époque à laquelle les assujettis avaient le droit (et en fait l’obligation) de répartir l’affectation des biens d’investissement entre les sphères privée et professionnelle. Depuis 2010, l’article 168 bis, paragraphe 2, de la directive 2006/12, a autorisé les États membres à prévoir que les dépenses relatives à des biens faisant partie du patrimoine de l’entreprise ne sont déductibles qu’à proportion de leur utilisation aux fins des activités de l’entreprise de l’assujetti (20).

42.      Enfin, j’observe que, dans la mesure où M. Fuchs a le droit de déduire la TVA acquittée en amont sur les panneaux solaires, on pourrait soulever la question de l’éventuelle incidence de la subvention de 19 020 euros (21) sur le montant déductible. Si la subvention doit s’analyser comme un paiement d’une partie de la totalité du prix TVA comprise, on pourrait soutenir que M. Fuchs lui‑même n’a payé que le montant de TVA inclus dans le solde de ce prix et qu’il n’avait le droit de déduire que ledit montant. Cependant, l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Commission/France (22) semble exclure cette approche.

 Conclusion

43.      Au vu des considérations qui précèdent, je pense que la Cour devrait répondre à la question soulevée par le Verwaltungsgerichtshof dans les termes suivants:

L’exploitation d’une installation photovoltaïque reliée au réseau et située au‑dessus ou à proximité d’une résidence privée servant à des fins d’habitation constitue une activité économique au sens de l’article 4 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, dans la mesure où l’électricité produite par l’installation est livrée à titre onéreux au réseau en question. Dans ces circonstances, la taxe payée en amont sur l’acquisition de l’installation peut être déduite de la taxe facturée en aval sur la livraison d’électricité au réseau sous réserve de l’ensemble des dispositions de cette directive régissant une telle déduction.


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – Sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée (ci‑après la «sixième directive»). Au 1er janvier 2007, elle a été abrogée et remplacée par la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1) qui présente les dispositions en vigueur en matière de TVA dans une structure et une rédaction remaniées sans en modifier, en principe, le fond.


3 – Voir, à présent, les dispositions suivantes de la directive 2006/12: articles 1er, paragraphe 2, 9, paragraphe 1, 14, paragraphe 1, 15, paragraphe 1, 16, 74, 167 à 168 bis et 281 à 291.


4 – Tel que modifié par l’article 28 septies de la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388/CEE (JO L 376, p. 1).


5 – Voir articles 284 à 287 de la directive 2006/112.


6 – Article 6, paragraphe 1, point 27, de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Umsatzsteuergesetz) de 1994.


7 – Article 6, paragraphe 3, de la même loi.


8 – Voir points 17 et 18 ci‑dessous.


9 – Arrêt du 29 octobre 2009, Commission/Finlande (C‑246/08, Rec. p. I‑10605, point 37 et jurisprudence citée).


10 – Voir arrêt du 19 juillet 2012, Rēdlihs (C‑263/11, point 33 et jurisprudence citée).


11 – Voir point 10 ci‑dessus et point 32 ci‑dessous.


12 – Voir point 12 ci‑dessus.


13 – Voir point 10 ci‑dessus.


14 – Voir point 28 ci‑dessus.


15 –      Voir point 18 ci‑dessus.


16 – Voir, plus récemment, arrêt du 16 février 2012, Eon Aset Menidjmunt (C‑118/11, point 35 et jurisprudence citée).


17 – Voir, plus récemment, arrêt du 16 février 2012, van Laarhoven (C‑594/10, point 25 et jurisprudence citée). Voir également point 41 ci‑dessous.


18 – Voir conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Charles et Charles‑Tijmens (arrêt du 14 juillet 2005, C‑434/03, Rec. p. I‑7037, points 58, 75 et 76).


19 –      Voir point 8 ci‑dessus. Voir, également, arrêt du 14 septembre 2006, Wollny (C‑72/05, Rec. p. I‑8297).


20 – Voir directive 2009/162/UE du Conseil, du 22 décembre 2009, modifiant diverses dispositions de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2010, L 10, p. 14).


21 – Voir point 12 ci‑dessus.


22 –      Arrêt du 6 octobre 2005, C‑243/03, Rec. p. I‑8411.